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11- Difficultés d’une définition.
« Résilience1 » est un des termes les plus polysémiques compte tenu de son utilisation
multidisciplinaire, notamment en sciences humaines et sociales, en environnement, en
médecine et plus récemment, en tant que « Business Resilience » par les économistes
d’entreprise (Koninckx, Teneau, 2010). Par exemple la « résilience » de haut niveau d’un
matelas est un argument de vente majeur dans le domaine de la literie. En psychologie, on se
sert du terme « résilience » pour désigner la capacité de se refaire une vie et de s'épanouir en
surmontant un choc traumatique grave. En écologie, la résilience est la capacité d’un
écosystème ou d’une espèce à récupérer un fonctionnement et/ ou un développement normal
après avoir subi un traumatisme. D’un point de vue épistémologique, la résilience fait l’objet
d’une guerre d’appropriation entre disciplines et entre chercheurs d’une même discipline. En
France, Boris Cyrulnik, éthologue, revendique la paternité de ce concept en sciences sociales.
Il faut donc admettre qu’une définition générale n’est pas concevable et une priorité sera
donnée ici à l’optique économique et sociale.
Dans cette optique, la résilience désigne, en accord avec B. Cyrulnik (1999), la capacité à
surmonter une souffrance, souffrance personnelle, sociale ou environnementale. Cette
capacité dépend de la vulnérabilité face à la souffrance, à savoir la fragilité de chaque
personne, aux différents moments de son existence. L’éthique de la souffrance a trait aux
comportements, face à une perte générale de capacités selon Ricoeur (Ricoeur,1992), la
douleur ayant trait selon lui à « des affects ressentis comme localisés ».La résilience désigne
la perte d’un élément de la capacité et permet de distinguer les cas de souffrance, les
personnes non souffrantes n’étant pas discernables selon Diamond (2000) qui type cette
observation comme l’effet Anna Karenine2.
12-La souffrance, moitié cachée de l’économie
Le calcul économique se réfère au principe benthamien de la balance des plaisirs (ou bien
être) et des peines (dit mal être). Bentham ne croit pas en la pertinence du bonheur qui est un
état exceptionnel. Le bien être sera réaménagé par Pigou…comme résultant de la
compensation d’une externalité portant atteinte à l’optimum.
La littérature traite quasi exclusivement du bien être et délaisse la souffrance. Ce terme est
absent de la plupart des ouvrages de philosophie ou de sciences sociales. Par exemple,
l’ouvrage de Sen et Nussbaum intitulé « Quality of life » (400 pages) ne contient pas un item
ayant trait à la souffrance. Par contre quand Sen décrit la science économique comme une
science morale, il souligne les préjugés et les rejets d’une science économique dogmatique et
hédoniste.
Cette domination de l’hédonisme est actuellement très popularisée en sciences sociales avec
les éthiques de la joie. Elle fait suite à une prise en compte de l’utilité positive et pratiquement
jamais de l’utilité négative (Popper, 1945 ). L’altruisme de même que le capital social, est
conçu comme fatalement positif ; il ne peut être négatif.
1 Résilience (du verbe latin resilio, ire, sauter en arrière), d’où rebondir, résister (à la déformation).
2 Cf. Tolstoï : « les familles heureuses se ressemblent toutes ; les familles malheureuses sont malheureuses
chacune à leur façon ».