la resilience, une ethique de la souffrance

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La résilience, une éthique de la souffrance,
De la précaution à la protection ;
François Régis. MAHIEU
Le 4/09/2012 .
« Le non-sens de la souffrance, et non la souffrance est la malédiction qui a pesé jusqu'à
présent sur l’humanité », Nietzsche (1887).
Introduction
Il existe de nombreuses définitions dans trop de disciplines différentes pour obtenir un accord
sur une définition interdisciplinaire de la résilience. Cette note propose une compréhension
particulière de la résilience, du point de vue de l’économie, en privilégiant la souffrance avant
le bien être. Cet idéal type est donc une déformation de l’éthique de la souffrance, un
rassemblement des données autour de ce concept. Une résilience a trait à la diminution de la
souffrance avant tout accroissement du Bien Etre.
Le comportement de chaque personne vulnérable pour s’en sortir ou rebondir face à un
environnement défavorable, est assimilé à l’éthique de la souffrance. Les éthiques de la
souffrance sont soumises à de nombreux principes de précaution et de protection. Elles
demandent une analyse psycho-économique du comportement de chacun vis-à-vis de son
environnement. La prise en compte de la résilience comme éthique économique de la
souffrance se propose d’élargir le spectre de l’analyse économique. En remettant en cause le
moralisme de l’analyse économique qui s’interdit les actes immoraux (Harsanyi, 1995) et
surtout la souffrance, elle ouvre une voie nouvelle en économie. Elle introduit fatalement une
vision psychologique, jusque là réprimée en tant qu’analyse de soi par un langage privé (cf.
Wittgenstein). La résilience a le mérite de rappeler comment l’économie produit, entre autres,
de la violence qui fait que la souffrance est la principale caractéristique de l’humanité et la
moins étudiée. Violence inhérente selon Sorel (1907) à l’économie qu’elle soit une pure
théorie libérale de la production ou une dictature du prolétariat.
Cette note privilégie à travers l’éthique de la souffrance, la capacité de résilience et ses
caractéristiques dans une première partie. Face à cette souffrance, des principes de précaution
et de protection sont rappelés dans une seconde et dernière partie.
I- Définition et intégration de la résilience en économie.
La résilience a une application particulière en économie, obligeant cette discipline à s’ouvrir
plus, sans la contester globalement. La résilience est mesurée par la diminution de la
souffrance, loin de l’optique du wellfare ou du wellbeing. Il faut admettre la souffrance, en
sortant de l’idéal ascétique qui caractérise les sciences sociales et « qui a été à tous égards, le
« faute de mieux par excellence » (Nietzsche, 1887).
1
11- Difficultés d’une définition.
« Résilience1 » est un des termes les plus polysémiques compte tenu de son utilisation
multidisciplinaire, notamment en sciences humaines et sociales, en environnement, en
médecine et plus récemment, en tant que « Business Resilience » par les économistes
d’entreprise (Koninckx, Teneau, 2010). Par exemple la « résilience » de haut niveau d’un
matelas est un argument de vente majeur dans le domaine de la literie. En psychologie, on se
sert du terme « résilience » pour désigner la capacité de se refaire une vie et de s'épanouir en
surmontant un choc traumatique grave. En écologie, la résilience est la capacité d’un
écosystème ou d’une espèce à récupérer un fonctionnement et/ ou un développement normal
après avoir subi un traumatisme. D’un point de vue épistémologique, la résilience fait l’objet
d’une guerre d’appropriation entre disciplines et entre chercheurs d’une même discipline. En
France, Boris Cyrulnik, éthologue, revendique la paternité de ce concept en sciences sociales.
Il faut donc admettre qu’une définition générale n’est pas concevable et une priorité sera
donnée ici à l’optique économique et sociale.
Dans cette optique, la résilience désigne, en accord avec B. Cyrulnik (1999), la capacité à
surmonter une souffrance, souffrance personnelle, sociale ou environnementale. Cette
capacité dépend de la vulnérabilité face à la souffrance, à savoir la fragilité de chaque
personne, aux différents moments de son existence. L’éthique de la souffrance a trait aux
comportements, face à une perte générale de capacités selon Ricoeur (Ricoeur,1992), la
douleur ayant trait selon lui à « des affects ressentis comme localisés ».La résilience désigne
la perte d’un élément de la capacité et permet de distinguer les cas de souffrance, les
personnes non souffrantes n’étant pas discernables selon Diamond (2000) qui type cette
observation comme l’effet Anna Karenine2.
12-La souffrance, moitié cachée de l’économie
Le calcul économique se réfère au principe benthamien de la balance des plaisirs (ou bien
être) et des peines (dit mal être). Bentham ne croit pas en la pertinence du bonheur qui est un
état exceptionnel. Le bien être sera réaménagé par Pigou…comme résultant de la
compensation d’une externalité portant atteinte à l’optimum.
La littérature traite quasi exclusivement du bien être et délaisse la souffrance. Ce terme est
absent de la plupart des ouvrages de philosophie ou de sciences sociales. Par exemple,
l’ouvrage de Sen et Nussbaum intitulé « Quality of life » (400 pages) ne contient pas un item
ayant trait à la souffrance. Par contre quand Sen décrit la science économique comme une
science morale, il souligne les préjugés et les rejets d’une science économique dogmatique et
hédoniste.
Cette domination de l’hédonisme est actuellement très popularisée en sciences sociales avec
les éthiques de la joie. Elle fait suite à une prise en compte de l’utilité positive et pratiquement
jamais de l’utilité négative (Popper, 1945 ). L’altruisme de même que le capital social, est
conçu comme fatalement positif ; il ne peut être négatif.
1
Résilience (du verbe latin resilio, ire, sauter en arrière), d’où rebondir, résister (à la déformation).
2
Cf. Tolstoï : « les familles heureuses se ressemblent toutes ; les familles malheureuses sont malheureuses
chacune à leur façon ».
2
Diminuer la souffrance n’est pas le symétrique d’augmenter le plaisir. Elle se traduit par de la
vulnérabilité. La vulnérabilité issue d’une souffrance donnée est cumulative par la perspective
des nouvelles souffrances à venir.
L’économie repose sur une vision optimiste de la société, refusant les modalités négatives de
l’utilité, de l’altruisme ou enfin du capital social. La prise en compte de ces modalités n’est
pas un problème ni une rupture par rapport à l’analyse économique. La résilience est un
phénomène économique qui se situe dans le long terme, plutôt dynamique que statique et qui
peut être purement monétaire comme le propose Emmanuel Lévinas (1983).
La souffrance est un état durable, au contraire, le bonheur comme le profit est un « spot » de
très court terme d’où l’idée de se suicider pour saisir ce moment par enthousiasme3.
13- Priorité de la souffrance.
Dans la classification kantienne des devoirs, la diminution de la souffrance est un
devoir parfait. Elle est prioritaire par rapport à la maximisation du Bien (en fait les biens) et
du bonheur ; maximisation qui s’inscrit plutôt dans les devoirs imparfaits, compte tenu de la
fragilité de l’homme. Cette téléologie du bonheur fonde la conception économique du
développement. Un développement humain soutenable ne peut être délibérément sacrificiel,
en imposant une souffrance considérée comme le prix à payer pour le développement. Par
exemple l’ouvrier modèle souffrira d’autant plus que son licenciement sera une contrainte que
les décideurs lui imposent pour le bien commun. Il subit et n’a pas choisi, la souffrance ne
pouvant être acceptée librement sauf dans des cas pathologiques. La souffrance est une
épreuve mentale et/ou physique que l’on cherche à diminuer. Elle est une manifestation plus
importante que le désagrément (unhappiness) qui traduit une utilité négative limitée et non
une souffrance propre à la vulnérabilité des personnes. Néanmoins, cette souffrance est
récupérée depuis Karl Popper (1945), sous l’appellation d’utilité négative. Celui-ci, dans The
Open Society and Its Ennemies, a proposé un utilitarisme négatif, qui donne la priorité à la
réduction de la souffrance sur l'accroissement du bonheur quand il s'agit d'utilité. Il affirme
qu’il n'y a pas de symétrie morale entre la souffrance et le bonheur, l'une appelant urgemment
à l'aide tandis que l'autre n'exige pas avec une telle urgence qu'on améliore le bonheur d'une
personne qui va bien de toute façon. Cette asymétrie est importante en économie : on y
développe des catalogues de constituants du bien être : revenu, conditions de vie,
équipements….
14- La souffrance, un préalable obligé au bonheur ?
La souffrance est conçue comme un préalable au bonheur dans une séquence temporelle du
type « après l’effort, le réconfort », ou plus sérieusement l’idée du mérite, indispensable dans
le schéma lexicographique de Rawls (1971) . Le mérite positif est conjugué avec le handicap
négatif afin de mériter une redistribution ( J.Roemer,1986 ).
Deux exemples illustrent ce mythe, le multiplicateur d’emploi et l’ajustement structurel
3
Cf. le suicide par bonheur, selon André Gide dans les « faux monnayeurs », repris du suicide par enthousiasme
des frères Karamazov.
3
La flexibilité du marché de l’emploi est une exigence croissante ; elle repose sur un
multiplicateur d’emploi tel que les emplois perdus créent un nombre supérieur d’emplois
nouveaux. La souffrance d’une personne sacrifiée permettra le bonheur des nouveaux
embauchés. Ce calcul est implicite dans la mesure où l’absence de suivi des chômeurs ne
permet pas d’évaluer leur souffrance et leur vulnérabilité par rapport à leur possibilité
d’emploi.
L’ajustement structurel, dans ses formes actuelles ( cf. la tragédie grecque au sein de la zone
euro) repose sur l’idée que les sacrifices d’aujourd’hui permettront le bonheur de demain.
Mais le sacrifice des uns est-il justifié. Le ciblage des responsabilités par rapport à la crise estil établi correctement ?
15- Résilience et oubli des souffrances.
Surmonter une souffrance consiste à oublier celle-ci et éventuellement à pardonner aux
responsables de cette situation. La résilience implique aussi l’oubli des souffrance, sinon le
pardon. La personne garde en elle une vieille rancune ou une haine immédiate vis-à-vis
d’autres personnes ; soit un altruisme négatif et du capital social négatif ! Une conception
forte de la résilience fait intervenir la capacité à oublier.
Des conférences de la paix, des institutions appropriées pour les jeunes, ont pour but d’éviter
le recours à la vengeance, par exemple une violence identitaire. Comment réconcilier le
tortionnaire et ses victimes ?
La résilience permet de surmonter des souffrances pour soi et les autres. « Surmonter »
signifie non seulement guérir d’une souffrance, mais aller jusqu’à l’oublier ; soit une
« aliénation » par rapport à la souffrance ; laquelle peut être encouragée ou dénoncée. La
résilience étant une façon de pactiser avec l’ennemi. De ce point de vue on doit essayer des
thérapies individuelles et de groupe pour lutter contre les désirs de vengeance vis-à-vis de ses
ennemis.
16- Quelle mesure ?
La mesure de la résilience s’effectue par la variation de la souffrance et non par l’accès à du
wellfare ou du wellbeing. Un questionnaire dans ce domaine doit apprécier l’importance de la
résilience dans un univers contraire, et précisera les modes de résilience, les types et les
quantités de souffrance morale, dans des cas personnels et, dans la mesure du possible, plus
sociaux. Les questionnaires porteraient sur l’origine et la nature de la souffrance ressentie, le
partage de cette souffrance en liaison avec la société, l’intensité de la souffrance (par des
échelles), les conséquences de ce ressentiment, les moyens perçus pour rebondir, en insistant
sur les sentiments négatifs : vengeance, envie, frustration….Il est important de savoir quel est
l’élément perturbant à l’origine de la souffrance tel un problème d’identité dans un village qui
ne peut se résoudre que par la mobilité démographique. 4 L’effet Karenine, cité supra, se
traduit par le fait que la dissociation des populations vulnérables s’effectue par la souffrance,
par exemple par le « trop de problèmes » dissocié du « en haut d’en haut ». ( Mahieu, Odunfa,
1989).
4
Cyrulnik donne l’exemple d’un fils d’alcoolique, ayant réussi par ailleurs et qui ne reviendra dans son village
que par le fait qu’il a été investi par des étrangers.
4
II- De la précaution à la protection.
L’éthique de la souffrance se traduit par une très grande fragilité de la personne concernée. La
souffrance conduit à une perte de capacité et à une exposition à une dégradation de la part des
détenteurs de pouvoir. Quels principes retenir ? Selon Cyrulnik (1999), à partir des années
1990, le problème de la résilience consiste en l’étude des facteurs de protection.
21-Le Principe de précaution
Il consiste à simuler, partager la responsabilité, sanctionner. A appliquer à la « liberté »
comme capacité à agir avec intention. (Ginsberg, 1963) qui peut permettre les meilleures
comme les pires actions. Une clause de sauvegarde des activités et des personnes est alors
nécessaire. La précaution implique la protection, en définissant un seuil critique où la
protection devient nécessaire. La politique économique est une application de la règle de
planification de Lange/Lerner : connaissant le bonheur des peuples, l'expert en déduit la
planification des ressources dit autrement (Second théorème du bien être) l'optimum implique
l'équilibre général .Mais les politiques passent par les personnes. D’où des résultats incertains,
des risques d'effets contraires au Bien voulu initialement. Une éthique de la discussion est
nécessaire.
Les politiques inappropriées ont des conséquences très graves : pertes de capacités,
dépendance, migrations, conflits, génocide, pour n’en citer que quelques unes. Un principe de
prévention ou de précaution sociale pourrait alors être utilisé quand les analyses sur les
conséquences restent insuffisantes. La précaution sociale a trait aux incertitudes sur les
événements dans les domaines sociaux : seuils où le social risque d’éclater, de passer par
exemple de la coopération efficace à la division interne inefficace. La précaution est non
seulement matérielle, mais aussi humaine. Cette incertitude tient aux composantes de
l'interaction sociale, le degré d’altruisme par exemple d’une personne ou d’une communauté,
l'utilité espérée attachée aux actions et à leurs conséquences humaines. Quels sont les coûts
pour l’homme ? Du fait des conséquences des politiques sur l'homme et la société, le principe
de précaution humaine et sociale s’impose au politique comme à l’expert. Ainsi, en l’absence
de possibilités de calculer toutes les situations probables, la prise en compte de la pire des
situations possibles s’impose. Il ne s’agit donc pas de ne rien faire, mais plutôt de faire
« comme si » la pire des conséquences pouvait se produire. La décision ne serait alors
probablement pas la même dans ce cas et dans le cas où l’on sous-estimerait les conséquences
néfastes et notamment la pire d’entre elles. Cela revient alors à adopter un principe de
maximin dans les décisions politiques, c’est-à-dire maximiser la situation minimum.
Autrement dit, cela revient à choisir la politique qui risque d’induire la moins mauvaise des
situations parmi les pires qui puissent arriver.
Le principe de précaution humaine et sociale est donc actif : il faut accélérer les
recherches sur les incertitudes, évaluer les dommages possibles et les solutions par des
scénarii comparatifs. Il ouvre ainsi la voie à la responsabilité des experts et des institutions
face à une incertitude sur le milieu social lui-même et ses réactions aux chocs. Par exemple,
on sait que les capacités de réaction des personnes pauvres sont fragiles : allocations
5
imbriquées du temps, transferts inter vivos, et dépendent du type d’altruisme pratiqué. Or, ces
relations entre les politiques des experts et les destructions des milieux sociaux fragiles ne
sont pas connues actuellement. Ce principe implique que si les études concluent à la fragilité
des milieux sociaux, l’expert engage sa responsabilité pénale dans le cas où il aurait un
pouvoir de décision important.
- Le principe de précaution humaine et sociale recherche activement les capacités
mises en uvre par les personnes face à la pauvreté, notamment informelles. Il implique que
la vulnérabilité de ces capacités soit testée face aux chocs possibles et que les catastrophes
humaines (malveillance), économiques (famine) et sociales (guerres civiles, génocides) soient
au moins simulées. Ainsi seront posées des soutenabilités sociales faibles (possibilité d'une
compensation équitable et d'une réversibilité des dégâts humains/sociaux) et des
soutenabilités sociales fortes (destruction irrémédiable). Une gestion dynamique des risques
doit évaluer la relativité des connaissances face à un processus de destruction sociale.
Ces éventualités doivent être discutées et évaluées avec les parties prenantes. Une éthique de
la discussion entre partenaires sans exclusive, pose le problème d’une acceptabilité des
risques par un public dont les préférences sont bornées dans le temps et dans l’espace. Le
principe de précaution humaine et sociale n'est pas un principe de préservation : le social n'est
pas « bon » en soi. Par exemple, il peut exister un utilitarisme social monstrueux et un capital
social pervers (mafia, extrémisme ethnique). L’acceptabilité humaine et sociale ne peut suffire
isolément.
Le principe de précaution humaine et sociale implique de la responsabilité, donc des
sanctions et des incitations ; une catastrophe sociale ne peut, dans un pays sous expertise, être
totalement imputée aux acteurs locaux. Le respect du principe de précaution par l'expert et le
degré de liberté des acteurs locaux doivent être appréciés afin de partager la responsabilité.
22- Critères de précaution
Différents principes peuvent être avancés5 : un critère extrême d’interdiction de créer de la
souffrance, analogue à l’absence d’envie, peut dans un premier temps être avancé; puis un
principe plus affaibli peut être établi, admettant la compensation.
Soit un principe fort de non souffrance (Strong non Suffering Principle) qui ne peut admettre
toute décision pouvant augmenter la souffrance d’une personne ; ce principe peut être étendu
à l’environnement naturel dans le cadre d’une écologie dure tel le jaïnisme.
Soit un principe faible de non-souffrance (Weak non Suffering Principle) qui condamne
toute action qui augmenterait la somme des souffrances, même au-delà d’une certaine limite.
Il est évident que des souffrances extrêmes peuvent se produire au sein de cette somme. Ce
principe justifie par exemple l’application d’un multiplicateur d’emploi (voir supra).
Peter Singer énonce un principe d’égale considération des intérêts et un principe d’égalité,
des conditions qui réclame la même précaution pour les différentes espèces.
Enfin, un principe de non-opportunisme est nécessaire pour ne pas considérer qu’un
« merveilleux malheur » soit réputé indispensable à la résilience. Ainsi nombre de personnes
5
Différents des principes édictés par Derek Parfit (1984) : « Limited Suffering Principle », « Total Suffering
Principle»..
6
estiment qu’une souffrance préalable soit la condition d’une réussite telles les pratiques de
numerus clausus que certains imposent à l’entrée de leur activité.
23-Politiques de précaution et politiques protectionnistes
La libre exposition a des effets connus sur les personnes, favorisant la mobilité des hommes
et des capitaux. Du point de vue économique, le protectionnisme signifie un nationalisme
xénophobe et la création opportuniste de rentes, même s’il peut être indispensable pour sauver
des personnes.
Les difficultés d’un secteur exposé devraient engendrer immédiatement des politiques de
protection, reconnaissance des fragilités pour un secteur, et à différentes échelles : zone
économique, pays, région, localités. L’exposition s’oppose aux critères de précaution de la
personne.
Le protectionnisme peut prendre toutes les valeurs d’un spectre : positif, neutre, négatif. Cette
plurivalence est souvent oubliée au profit d’une condamnation globale du protectionnisme.
Friedrich List, le héraut du protectionnisme, ne voit que l’aspect national et la protection de
l’industrie naissante. Un protectionnisme sur les bases de la préférence nationale fait partie
des slogans de mouvements politiques extrêmes, dénonçant le cosmopolitisme. Un
protectionnisme éthique a trait à la personne et son environnement naturel.
24- Protectionnisme et personne.
La protection de la personne, compte tenu de sa vulnérabilité, justifie une protection par
rapport à son environnement. Le principe de souveraineté d’une nation fait face à une
institution internationale (OMC, Union européenne) qui défend plutôt un principe
d’universalité. Un protectionnisme graduel, prudentiel, à la mesure des risques et minimisant
les rentes implique un contrôle étatique afin de limiter l’opportunisme. La résilience passe par
la conscience des personnes, au-delà de l’opportunisme attribué par l’économie académique
aux individus de l’espèce humaine. Résoudre la pauvreté écologique permet d’éviter une
écologie élitiste, fondée sur une minorité capable d’altruisme intergénérationnel.
25- Protectionnisme et environnement
Il faut admettre que la nature souffre de son exploitation par l’homme, à commencer par
l’abattage des animaux et des végétaux. La souffrance dans les abattoirs rejoint la souffrance
des animaux marins dans les filets ou par hameçonnage. Le bonheur invoqué dans l’élevage
des animaux , par exemple en augmentant leur capabilité, débouche sur la même boucherie au
profit de l’alimentation humaine. La taille anarchique ou la modification génétique des
végétaux, ou encore les coupes forestières engendrent des souffrances immédiates ou
dérivées (cf. la biodiversité). Elles impliquent une résilience de la part des responsables
politiques, bâtie sur le principe d’égalité aux souffrances (Singer, 1993)
7
Le réseau social est une composante majeure de la résilience, par exemple grâce aux
transferts, aux activités sociales informelles. Un tel environnement doit être réfléchi et
protégé s’il permet de surmonter les souffrances, face à des politiques volontaristes visant à
éliminer les pratiques sociales inefficaces. Tel est le cas des politiques de capital social
imaginées par la Banque Mondiale au milieu des années 1990, et encore plus en assimilant les
résiliences en termes utilitaristes de contrats d’assurance. Ces politiques s’opposent aux
pratiques sociales de survie qui reposent selon Dürkheim sur des relations de droits et
d’obligations.
26-Une protection éthique ?
Cette protection est indispensable dès que la personne est atteinte par une décision libérale.
Cela peut concerner l’emploi, la rémunération des activités et des produits, l’identité. Mais, un
merveilleux malheur constituerait une éthique critiquable de la résilience, comme moyen
opportun de réussir !
La protection peut être efficace et éthiquement admissible dans certains contextes. Le
fondateur de l’économie politique, William Petty, admettait le libre échange à condition que
la supériorité de l’Angleterre (le célèbre Mare Nostrum) soit établie. Ce libre échange comme
fruit du protectionnisme revient dans la littérature, avec, par exemple l’école dite du nouveau
Cambridge (Godley and Cripps,1983). Cette suprématie de la nation peut disparaître , tel est
le cas de la vieille Europe qui doit protéger son capital humain et les personnes. Protection ou
Exposition, un solde des avantages, une estimation par les conséquences ou encore une
priorité absolue à des règles ?
Conclusion
La résilience, en tant que comportement réactif à la souffrance est à la mesure de cette
caractéristique principale de l’humanité. Elle est une des variables les plus importantes du
comportement économique, néanmoins niée ou rejetée au nom de la morale économique.
Cette résilience est donc le comportement premier pour les milliard d’affamés, les millions de
chômeurs, le nombre incalculable de personnes souffrant de névroses ; autant de cas où la
vulnérabilité conditionne un possible rebond dans un environnement défavorable. Cette
vulnérabilité de l’humanité souffrante implique des principes, notamment de précaution et de
protection. Ce qui n’empêche pas la résilience d’être plurivalente et donc risquée. Le risque
avec la résilience est résumé dans le titre de l’ouvrage de Cyrulnik (1999), « un merveilleux
malheur » ; cet oxymore peut signifier un déterminisme par le malheur. Les risques attachés à
la notion de résilience impliquent un renouveau des points de vue, notamment en économie.
La vulnérabilité et la souffrance ne sont pas fatales, du fait du système et de
l’individualisation des tâches (Ch. Dejours, 2008) ; des réactions ou encore des rebonds sont
possibles dans le cadre d’une personne reconsidérée dans son environnement social6. Il existe
ainsi une dialectique entre la vulnérabilité et la résilience qui n’est pas fatalement pessimiste.
L’entretien d’embauche, ou l’oral de concours, est une circonstance qui peut être dramatique
pour certaines personnes. Un premier échec se traduira par une vulnérabilité particulière à
l’employabilité jusqu’à se manifester dans la constitution physique et morale. Cette
vulnérabilité peut donner lieu à résilience par la mise en confiance dans un cadre relationnel et
6
Tel est le but des nouvelles techniques d’entretien avec mise en relation (EMR), par exemple pour éviter
l’échec du premier entretien d’embauche et ses conséquences sur la vulnérabilité au chômage.
8
la récupération de la capacité atteinte ; par exemple, la possibilité de narrer sa propre histoire
sans en souffrir , la possibilité de partager. Ainsi la souffrance devient selon Cyrulnik,
« uvre d’art ».
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