La résilience, une éthique de la souffrance, De la précaution à la protection ; François Régis. MAHIEU Le 4/09/2012 . « Le non-sens de la souffrance, et non la souffrance est la malédiction qui a pesé jusqu'à présent sur l’humanité », Nietzsche (1887). Introduction Il existe de nombreuses définitions dans trop de disciplines différentes pour obtenir un accord sur une définition interdisciplinaire de la résilience. Cette note propose une compréhension particulière de la résilience, du point de vue de l’économie, en privilégiant la souffrance avant le bien être. Cet idéal type est donc une déformation de l’éthique de la souffrance, un rassemblement des données autour de ce concept. Une résilience a trait à la diminution de la souffrance avant tout accroissement du Bien Etre. Le comportement de chaque personne vulnérable pour s’en sortir ou rebondir face à un environnement défavorable, est assimilé à l’éthique de la souffrance. Les éthiques de la souffrance sont soumises à de nombreux principes de précaution et de protection. Elles demandent une analyse psycho-économique du comportement de chacun vis-à-vis de son environnement. La prise en compte de la résilience comme éthique économique de la souffrance se propose d’élargir le spectre de l’analyse économique. En remettant en cause le moralisme de l’analyse économique qui s’interdit les actes immoraux (Harsanyi, 1995) et surtout la souffrance, elle ouvre une voie nouvelle en économie. Elle introduit fatalement une vision psychologique, jusque là réprimée en tant qu’analyse de soi par un langage privé (cf. Wittgenstein). La résilience a le mérite de rappeler comment l’économie produit, entre autres, de la violence qui fait que la souffrance est la principale caractéristique de l’humanité et la moins étudiée. Violence inhérente selon Sorel (1907) à l’économie qu’elle soit une pure théorie libérale de la production ou une dictature du prolétariat. Cette note privilégie à travers l’éthique de la souffrance, la capacité de résilience et ses caractéristiques dans une première partie. Face à cette souffrance, des principes de précaution et de protection sont rappelés dans une seconde et dernière partie. I- Définition et intégration de la résilience en économie. La résilience a une application particulière en économie, obligeant cette discipline à s’ouvrir plus, sans la contester globalement. La résilience est mesurée par la diminution de la souffrance, loin de l’optique du wellfare ou du wellbeing. Il faut admettre la souffrance, en sortant de l’idéal ascétique qui caractérise les sciences sociales et « qui a été à tous égards, le « faute de mieux par excellence » (Nietzsche, 1887). 1 11- Difficultés d’une définition. « Résilience1 » est un des termes les plus polysémiques compte tenu de son utilisation multidisciplinaire, notamment en sciences humaines et sociales, en environnement, en médecine et plus récemment, en tant que « Business Resilience » par les économistes d’entreprise (Koninckx, Teneau, 2010). Par exemple la « résilience » de haut niveau d’un matelas est un argument de vente majeur dans le domaine de la literie. En psychologie, on se sert du terme « résilience » pour désigner la capacité de se refaire une vie et de s'épanouir en surmontant un choc traumatique grave. En écologie, la résilience est la capacité d’un écosystème ou d’une espèce à récupérer un fonctionnement et/ ou un développement normal après avoir subi un traumatisme. D’un point de vue épistémologique, la résilience fait l’objet d’une guerre d’appropriation entre disciplines et entre chercheurs d’une même discipline. En France, Boris Cyrulnik, éthologue, revendique la paternité de ce concept en sciences sociales. Il faut donc admettre qu’une définition générale n’est pas concevable et une priorité sera donnée ici à l’optique économique et sociale. Dans cette optique, la résilience désigne, en accord avec B. Cyrulnik (1999), la capacité à surmonter une souffrance, souffrance personnelle, sociale ou environnementale. Cette capacité dépend de la vulnérabilité face à la souffrance, à savoir la fragilité de chaque personne, aux différents moments de son existence. L’éthique de la souffrance a trait aux comportements, face à une perte générale de capacités selon Ricoeur (Ricoeur,1992), la douleur ayant trait selon lui à « des affects ressentis comme localisés ».La résilience désigne la perte d’un élément de la capacité et permet de distinguer les cas de souffrance, les personnes non souffrantes n’étant pas discernables selon Diamond (2000) qui type cette observation comme l’effet Anna Karenine2. 12-La souffrance, moitié cachée de l’économie Le calcul économique se réfère au principe benthamien de la balance des plaisirs (ou bien être) et des peines (dit mal être). Bentham ne croit pas en la pertinence du bonheur qui est un état exceptionnel. Le bien être sera réaménagé par Pigou…comme résultant de la compensation d’une externalité portant atteinte à l’optimum. La littérature traite quasi exclusivement du bien être et délaisse la souffrance. Ce terme est absent de la plupart des ouvrages de philosophie ou de sciences sociales. Par exemple, l’ouvrage de Sen et Nussbaum intitulé « Quality of life » (400 pages) ne contient pas un item ayant trait à la souffrance. Par contre quand Sen décrit la science économique comme une science morale, il souligne les préjugés et les rejets d’une science économique dogmatique et hédoniste. Cette domination de l’hédonisme est actuellement très popularisée en sciences sociales avec les éthiques de la joie. Elle fait suite à une prise en compte de l’utilité positive et pratiquement jamais de l’utilité négative (Popper, 1945 ). L’altruisme de même que le capital social, est conçu comme fatalement positif ; il ne peut être négatif. 1 Résilience (du verbe latin resilio, ire, sauter en arrière), d’où rebondir, résister (à la déformation). 2 Cf. Tolstoï : « les familles heureuses se ressemblent toutes ; les familles malheureuses sont malheureuses chacune à leur façon ». 2 Diminuer la souffrance n’est pas le symétrique d’augmenter le plaisir. Elle se traduit par de la vulnérabilité. La vulnérabilité issue d’une souffrance donnée est cumulative par la perspective des nouvelles souffrances à venir. L’économie repose sur une vision optimiste de la société, refusant les modalités négatives de l’utilité, de l’altruisme ou enfin du capital social. La prise en compte de ces modalités n’est pas un problème ni une rupture par rapport à l’analyse économique. La résilience est un phénomène économique qui se situe dans le long terme, plutôt dynamique que statique et qui peut être purement monétaire comme le propose Emmanuel Lévinas (1983). La souffrance est un état durable, au contraire, le bonheur comme le profit est un « spot » de très court terme d’où l’idée de se suicider pour saisir ce moment par enthousiasme3. 13- Priorité de la souffrance. Dans la classification kantienne des devoirs, la diminution de la souffrance est un devoir parfait. Elle est prioritaire par rapport à la maximisation du Bien (en fait les biens) et du bonheur ; maximisation qui s’inscrit plutôt dans les devoirs imparfaits, compte tenu de la fragilité de l’homme. Cette téléologie du bonheur fonde la conception économique du développement. Un développement humain soutenable ne peut être délibérément sacrificiel, en imposant une souffrance considérée comme le prix à payer pour le développement. Par exemple l’ouvrier modèle souffrira d’autant plus que son licenciement sera une contrainte que les décideurs lui imposent pour le bien commun. Il subit et n’a pas choisi, la souffrance ne pouvant être acceptée librement sauf dans des cas pathologiques. La souffrance est une épreuve mentale et/ou physique que l’on cherche à diminuer. Elle est une manifestation plus importante que le désagrément (unhappiness) qui traduit une utilité négative limitée et non une souffrance propre à la vulnérabilité des personnes. Néanmoins, cette souffrance est récupérée depuis Karl Popper (1945), sous l’appellation d’utilité négative. Celui-ci, dans The Open Society and Its Ennemies, a proposé un utilitarisme négatif, qui donne la priorité à la réduction de la souffrance sur l'accroissement du bonheur quand il s'agit d'utilité. Il affirme qu’il n'y a pas de symétrie morale entre la souffrance et le bonheur, l'une appelant urgemment à l'aide tandis que l'autre n'exige pas avec une telle urgence qu'on améliore le bonheur d'une personne qui va bien de toute façon. Cette asymétrie est importante en économie : on y développe des catalogues de constituants du bien être : revenu, conditions de vie, équipements…. 14- La souffrance, un préalable obligé au bonheur ? La souffrance est conçue comme un préalable au bonheur dans une séquence temporelle du type « après l’effort, le réconfort », ou plus sérieusement l’idée du mérite, indispensable dans le schéma lexicographique de Rawls (1971) . Le mérite positif est conjugué avec le handicap négatif afin de mériter une redistribution ( J.Roemer,1986 ). Deux exemples illustrent ce mythe, le multiplicateur d’emploi et l’ajustement structurel 3 Cf. le suicide par bonheur, selon André Gide dans les « faux monnayeurs », repris du suicide par enthousiasme des frères Karamazov. 3 La flexibilité du marché de l’emploi est une exigence croissante ; elle repose sur un multiplicateur d’emploi tel que les emplois perdus créent un nombre supérieur d’emplois nouveaux. La souffrance d’une personne sacrifiée permettra le bonheur des nouveaux embauchés. Ce calcul est implicite dans la mesure où l’absence de suivi des chômeurs ne permet pas d’évaluer leur souffrance et leur vulnérabilité par rapport à leur possibilité d’emploi. L’ajustement structurel, dans ses formes actuelles ( cf. la tragédie grecque au sein de la zone euro) repose sur l’idée que les sacrifices d’aujourd’hui permettront le bonheur de demain. Mais le sacrifice des uns est-il justifié. Le ciblage des responsabilités par rapport à la crise estil établi correctement ? 15- Résilience et oubli des souffrances. Surmonter une souffrance consiste à oublier celle-ci et éventuellement à pardonner aux responsables de cette situation. La résilience implique aussi l’oubli des souffrance, sinon le pardon. La personne garde en elle une vieille rancune ou une haine immédiate vis-à-vis d’autres personnes ; soit un altruisme négatif et du capital social négatif ! Une conception forte de la résilience fait intervenir la capacité à oublier. Des conférences de la paix, des institutions appropriées pour les jeunes, ont pour but d’éviter le recours à la vengeance, par exemple une violence identitaire. Comment réconcilier le tortionnaire et ses victimes ? La résilience permet de surmonter des souffrances pour soi et les autres. « Surmonter » signifie non seulement guérir d’une souffrance, mais aller jusqu’à l’oublier ; soit une « aliénation » par rapport à la souffrance ; laquelle peut être encouragée ou dénoncée. La résilience étant une façon de pactiser avec l’ennemi. De ce point de vue on doit essayer des thérapies individuelles et de groupe pour lutter contre les désirs de vengeance vis-à-vis de ses ennemis. 16- Quelle mesure ? La mesure de la résilience s’effectue par la variation de la souffrance et non par l’accès à du wellfare ou du wellbeing. Un questionnaire dans ce domaine doit apprécier l’importance de la résilience dans un univers contraire, et précisera les modes de résilience, les types et les quantités de souffrance morale, dans des cas personnels et, dans la mesure du possible, plus sociaux. Les questionnaires porteraient sur l’origine et la nature de la souffrance ressentie, le partage de cette souffrance en liaison avec la société, l’intensité de la souffrance (par des échelles), les conséquences de ce ressentiment, les moyens perçus pour rebondir, en insistant sur les sentiments négatifs : vengeance, envie, frustration….Il est important de savoir quel est l’élément perturbant à l’origine de la souffrance tel un problème d’identité dans un village qui ne peut se résoudre que par la mobilité démographique. 4 L’effet Karenine, cité supra, se traduit par le fait que la dissociation des populations vulnérables s’effectue par la souffrance, par exemple par le « trop de problèmes » dissocié du « en haut d’en haut ». ( Mahieu, Odunfa, 1989). 4 Cyrulnik donne l’exemple d’un fils d’alcoolique, ayant réussi par ailleurs et qui ne reviendra dans son village que par le fait qu’il a été investi par des étrangers. 4 II- De la précaution à la protection. L’éthique de la souffrance se traduit par une très grande fragilité de la personne concernée. La souffrance conduit à une perte de capacité et à une exposition à une dégradation de la part des détenteurs de pouvoir. Quels principes retenir ? Selon Cyrulnik (1999), à partir des années 1990, le problème de la résilience consiste en l’étude des facteurs de protection. 21-Le Principe de précaution Il consiste à simuler, partager la responsabilité, sanctionner. A appliquer à la « liberté » comme capacité à agir avec intention. (Ginsberg, 1963) qui peut permettre les meilleures comme les pires actions. Une clause de sauvegarde des activités et des personnes est alors nécessaire. La précaution implique la protection, en définissant un seuil critique où la protection devient nécessaire. La politique économique est une application de la règle de planification de Lange/Lerner : connaissant le bonheur des peuples, l'expert en déduit la planification des ressources dit autrement (Second théorème du bien être) l'optimum implique l'équilibre général .Mais les politiques passent par les personnes. D’où des résultats incertains, des risques d'effets contraires au Bien voulu initialement. Une éthique de la discussion est nécessaire. Les politiques inappropriées ont des conséquences très graves : pertes de capacités, dépendance, migrations, conflits, génocide, pour n’en citer que quelques unes. Un principe de prévention ou de précaution sociale pourrait alors être utilisé quand les analyses sur les conséquences restent insuffisantes. La précaution sociale a trait aux incertitudes sur les événements dans les domaines sociaux : seuils où le social risque d’éclater, de passer par exemple de la coopération efficace à la division interne inefficace. La précaution est non seulement matérielle, mais aussi humaine. Cette incertitude tient aux composantes de l'interaction sociale, le degré d’altruisme par exemple d’une personne ou d’une communauté, l'utilité espérée attachée aux actions et à leurs conséquences humaines. Quels sont les coûts pour l’homme ? Du fait des conséquences des politiques sur l'homme et la société, le principe de précaution humaine et sociale s’impose au politique comme à l’expert. Ainsi, en l’absence de possibilités de calculer toutes les situations probables, la prise en compte de la pire des situations possibles s’impose. Il ne s’agit donc pas de ne rien faire, mais plutôt de faire « comme si » la pire des conséquences pouvait se produire. La décision ne serait alors probablement pas la même dans ce cas et dans le cas où l’on sous-estimerait les conséquences néfastes et notamment la pire d’entre elles. Cela revient alors à adopter un principe de maximin dans les décisions politiques, c’est-à-dire maximiser la situation minimum. Autrement dit, cela revient à choisir la politique qui risque d’induire la moins mauvaise des situations parmi les pires qui puissent arriver. Le principe de précaution humaine et sociale est donc actif : il faut accélérer les recherches sur les incertitudes, évaluer les dommages possibles et les solutions par des scénarii comparatifs. Il ouvre ainsi la voie à la responsabilité des experts et des institutions face à une incertitude sur le milieu social lui-même et ses réactions aux chocs. Par exemple, on sait que les capacités de réaction des personnes pauvres sont fragiles : allocations 5 imbriquées du temps, transferts inter vivos, et dépendent du type d’altruisme pratiqué. Or, ces relations entre les politiques des experts et les destructions des milieux sociaux fragiles ne sont pas connues actuellement. Ce principe implique que si les études concluent à la fragilité des milieux sociaux, l’expert engage sa responsabilité pénale dans le cas où il aurait un pouvoir de décision important. - Le principe de précaution humaine et sociale recherche activement les capacités mises en uvre par les personnes face à la pauvreté, notamment informelles. Il implique que la vulnérabilité de ces capacités soit testée face aux chocs possibles et que les catastrophes humaines (malveillance), économiques (famine) et sociales (guerres civiles, génocides) soient au moins simulées. Ainsi seront posées des soutenabilités sociales faibles (possibilité d'une compensation équitable et d'une réversibilité des dégâts humains/sociaux) et des soutenabilités sociales fortes (destruction irrémédiable). Une gestion dynamique des risques doit évaluer la relativité des connaissances face à un processus de destruction sociale. Ces éventualités doivent être discutées et évaluées avec les parties prenantes. Une éthique de la discussion entre partenaires sans exclusive, pose le problème d’une acceptabilité des risques par un public dont les préférences sont bornées dans le temps et dans l’espace. Le principe de précaution humaine et sociale n'est pas un principe de préservation : le social n'est pas « bon » en soi. Par exemple, il peut exister un utilitarisme social monstrueux et un capital social pervers (mafia, extrémisme ethnique). L’acceptabilité humaine et sociale ne peut suffire isolément. Le principe de précaution humaine et sociale implique de la responsabilité, donc des sanctions et des incitations ; une catastrophe sociale ne peut, dans un pays sous expertise, être totalement imputée aux acteurs locaux. Le respect du principe de précaution par l'expert et le degré de liberté des acteurs locaux doivent être appréciés afin de partager la responsabilité. 22- Critères de précaution Différents principes peuvent être avancés5 : un critère extrême d’interdiction de créer de la souffrance, analogue à l’absence d’envie, peut dans un premier temps être avancé; puis un principe plus affaibli peut être établi, admettant la compensation. Soit un principe fort de non souffrance (Strong non Suffering Principle) qui ne peut admettre toute décision pouvant augmenter la souffrance d’une personne ; ce principe peut être étendu à l’environnement naturel dans le cadre d’une écologie dure tel le jaïnisme. Soit un principe faible de non-souffrance (Weak non Suffering Principle) qui condamne toute action qui augmenterait la somme des souffrances, même au-delà d’une certaine limite. Il est évident que des souffrances extrêmes peuvent se produire au sein de cette somme. Ce principe justifie par exemple l’application d’un multiplicateur d’emploi (voir supra). Peter Singer énonce un principe d’égale considération des intérêts et un principe d’égalité, des conditions qui réclame la même précaution pour les différentes espèces. Enfin, un principe de non-opportunisme est nécessaire pour ne pas considérer qu’un « merveilleux malheur » soit réputé indispensable à la résilience. Ainsi nombre de personnes 5 Différents des principes édictés par Derek Parfit (1984) : « Limited Suffering Principle », « Total Suffering Principle».. 6 estiment qu’une souffrance préalable soit la condition d’une réussite telles les pratiques de numerus clausus que certains imposent à l’entrée de leur activité. 23-Politiques de précaution et politiques protectionnistes La libre exposition a des effets connus sur les personnes, favorisant la mobilité des hommes et des capitaux. Du point de vue économique, le protectionnisme signifie un nationalisme xénophobe et la création opportuniste de rentes, même s’il peut être indispensable pour sauver des personnes. Les difficultés d’un secteur exposé devraient engendrer immédiatement des politiques de protection, reconnaissance des fragilités pour un secteur, et à différentes échelles : zone économique, pays, région, localités. L’exposition s’oppose aux critères de précaution de la personne. Le protectionnisme peut prendre toutes les valeurs d’un spectre : positif, neutre, négatif. Cette plurivalence est souvent oubliée au profit d’une condamnation globale du protectionnisme. Friedrich List, le héraut du protectionnisme, ne voit que l’aspect national et la protection de l’industrie naissante. Un protectionnisme sur les bases de la préférence nationale fait partie des slogans de mouvements politiques extrêmes, dénonçant le cosmopolitisme. Un protectionnisme éthique a trait à la personne et son environnement naturel. 24- Protectionnisme et personne. La protection de la personne, compte tenu de sa vulnérabilité, justifie une protection par rapport à son environnement. Le principe de souveraineté d’une nation fait face à une institution internationale (OMC, Union européenne) qui défend plutôt un principe d’universalité. Un protectionnisme graduel, prudentiel, à la mesure des risques et minimisant les rentes implique un contrôle étatique afin de limiter l’opportunisme. La résilience passe par la conscience des personnes, au-delà de l’opportunisme attribué par l’économie académique aux individus de l’espèce humaine. Résoudre la pauvreté écologique permet d’éviter une écologie élitiste, fondée sur une minorité capable d’altruisme intergénérationnel. 25- Protectionnisme et environnement Il faut admettre que la nature souffre de son exploitation par l’homme, à commencer par l’abattage des animaux et des végétaux. La souffrance dans les abattoirs rejoint la souffrance des animaux marins dans les filets ou par hameçonnage. Le bonheur invoqué dans l’élevage des animaux , par exemple en augmentant leur capabilité, débouche sur la même boucherie au profit de l’alimentation humaine. La taille anarchique ou la modification génétique des végétaux, ou encore les coupes forestières engendrent des souffrances immédiates ou dérivées (cf. la biodiversité). Elles impliquent une résilience de la part des responsables politiques, bâtie sur le principe d’égalité aux souffrances (Singer, 1993) 7 Le réseau social est une composante majeure de la résilience, par exemple grâce aux transferts, aux activités sociales informelles. Un tel environnement doit être réfléchi et protégé s’il permet de surmonter les souffrances, face à des politiques volontaristes visant à éliminer les pratiques sociales inefficaces. Tel est le cas des politiques de capital social imaginées par la Banque Mondiale au milieu des années 1990, et encore plus en assimilant les résiliences en termes utilitaristes de contrats d’assurance. Ces politiques s’opposent aux pratiques sociales de survie qui reposent selon Dürkheim sur des relations de droits et d’obligations. 26-Une protection éthique ? Cette protection est indispensable dès que la personne est atteinte par une décision libérale. Cela peut concerner l’emploi, la rémunération des activités et des produits, l’identité. Mais, un merveilleux malheur constituerait une éthique critiquable de la résilience, comme moyen opportun de réussir ! La protection peut être efficace et éthiquement admissible dans certains contextes. Le fondateur de l’économie politique, William Petty, admettait le libre échange à condition que la supériorité de l’Angleterre (le célèbre Mare Nostrum) soit établie. Ce libre échange comme fruit du protectionnisme revient dans la littérature, avec, par exemple l’école dite du nouveau Cambridge (Godley and Cripps,1983). Cette suprématie de la nation peut disparaître , tel est le cas de la vieille Europe qui doit protéger son capital humain et les personnes. Protection ou Exposition, un solde des avantages, une estimation par les conséquences ou encore une priorité absolue à des règles ? Conclusion La résilience, en tant que comportement réactif à la souffrance est à la mesure de cette caractéristique principale de l’humanité. Elle est une des variables les plus importantes du comportement économique, néanmoins niée ou rejetée au nom de la morale économique. Cette résilience est donc le comportement premier pour les milliard d’affamés, les millions de chômeurs, le nombre incalculable de personnes souffrant de névroses ; autant de cas où la vulnérabilité conditionne un possible rebond dans un environnement défavorable. Cette vulnérabilité de l’humanité souffrante implique des principes, notamment de précaution et de protection. Ce qui n’empêche pas la résilience d’être plurivalente et donc risquée. Le risque avec la résilience est résumé dans le titre de l’ouvrage de Cyrulnik (1999), « un merveilleux malheur » ; cet oxymore peut signifier un déterminisme par le malheur. Les risques attachés à la notion de résilience impliquent un renouveau des points de vue, notamment en économie. La vulnérabilité et la souffrance ne sont pas fatales, du fait du système et de l’individualisation des tâches (Ch. Dejours, 2008) ; des réactions ou encore des rebonds sont possibles dans le cadre d’une personne reconsidérée dans son environnement social6. Il existe ainsi une dialectique entre la vulnérabilité et la résilience qui n’est pas fatalement pessimiste. L’entretien d’embauche, ou l’oral de concours, est une circonstance qui peut être dramatique pour certaines personnes. Un premier échec se traduira par une vulnérabilité particulière à l’employabilité jusqu’à se manifester dans la constitution physique et morale. Cette vulnérabilité peut donner lieu à résilience par la mise en confiance dans un cadre relationnel et 6 Tel est le but des nouvelles techniques d’entretien avec mise en relation (EMR), par exemple pour éviter l’échec du premier entretien d’embauche et ses conséquences sur la vulnérabilité au chômage. 8 la récupération de la capacité atteinte ; par exemple, la possibilité de narrer sa propre histoire sans en souffrir , la possibilité de partager. Ainsi la souffrance devient selon Cyrulnik, « uvre d’art ». Références Ballet J. et Mahieu F.R. (2001b), An Economic Approach to Malevolence, Mimeo, Public Choice Society, April, Paris Ballet J. et Mahieu F.R. (2003a), « Le capital social, mesure et incertitude du rendement », in Ballet J. et Guillon R. (eds), Regards croisés sur le capital social, pp.41-56, Paris, L’Harmattan. Ballet J. et Mahieu F.R. (2003b), « La soutenabilité sociale des politiques de lutte contre la pauvreté », in Dubois J.L., Lachaud J.P., Montaud J.M., Pouille A. (Eds), Pauvreté et développement socialement durable, pp. 287-301, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux. Ballet J. et Mahieu F-R. (2003c), Ethique économique, Paris, Ellipses. Ballet J., Bazin D. (2005), “Can homo economicus follow Kant’s categorical imperative ? A comment, Journal of Socio-Economics, 34, 572-577. Ballet J., Dubois J.L., Mahieu F.R. (2004), « A la recherche du développement socialement durable : concepts fondamentaux et principes de base”, Développement Durable et Territoire, n°3, http://www.revue-ddt.org Ballet J., Dubois J-L. , Mahieu F-R. (2005) : L’Autre développement, le développement socialement soutenable , Paris, l’Harmattan. Ballet J., Dubois J-L., Mahieu F-R. (2003), "Le développement socialement durable : un moyen d’intégrer capacités et durabilité", Colloque From Sustainable Development to Sustainable Freedom, 7-9 septembre 2003, Pavie. Cyrulnik, B (1999), Un merveilleux malheur, Paris, Odile Jacob. Dejours,Ch.(2009), Souffrance en France, la banalisation de l’injustice sociale, Paris, Seuil, Points. Dejours C, (1993), Travail: usure mentale. De la psychopathologie à la psychodynamique du travail, Nouvelle édition augmentée, Paris, Bayard. Diamond, F. (2000), De l’inégalité parmi les sociétés, Paris, Folio, Essais. Freud, S ( 1929), Malaise dans la civilisation, Revue française de Psychanalyse, t. VII, n 4, 1934, p. 692, et t. XXXIV, nº I, 1970, p. 9. . Ginberg,M. (1985), On Justice in Society, Pelican Books, Baltimore. Godley,W. and Cripps,F. (1983), Macroeconomics, Fontana. 9 Guillaumont, P. (2009), Caught in a Trap, Paris Economica Harsanyi, J.C, (1995), « A Theory of Prudential Value and a Rule Utilitarian Theory for Morality », Social Choice and Welfare, Vol. 12, 4, 319-335. Koninckx,G et Teneau,G. (2010), Résilience Organisationnelle, Rebondir face aux turbulences, Bruxelles, De Boeck. Lallau B. (2007), “Capacités de gestion de l’incertitude: essai sur les stratégies des maraîchers de Kinshasa, République démocratique du Congo », Journal of Human Development, 8(1) : 153-173. Mahieu, F.R, Odounfa, A. (1988) , « La différenciation sociale en Afrique de l'Ouest face aux droits et aux obligations ». Miméo, Abidjan, Université Nationale de Côte d'Ivoire. Nicolaï, A, (2005), Comportements économiques et structures sociales, Paris, l’Harmattan Nietzsche, F.(1887), La généalogie de la morale, réédition Folio, Paris, Gallimard, 1994. Nussbaum, M., Sen, A. (1993), The Quality of Life, Cambridge, Clarendon Press. Parfit, D.(1984), Reasons and persons, Oxford, U. Press. Popper,K.R (1959) "The Propensity Interpretation of Probability", British Journal for the Philosophy of Science, Vol. 10, p.25-42. Popper Karl R (1945), The Open Society and its Ennemies, London 1945, Princeton, Princeton U. Press. Rawls, J. (1971), Theory of Justice, Oxford U. Press Ricoeur,P. (1992), La souffrance n’est pas la douleur, Autrement,142,février 1994. Ricoeur, P. (1997), “Autonomie et vulnérabilité”, in La justice et le mal, édité par A. Garapon et D. Salas, Paris, Odile Jacob. Roemer, J. (1986), « Equality of Opportunity », Boston Review, Vol. XX, n° 2. Rousseau, S. (2001), « Capabilités, risques et vulnérabilités » in Pauvreté et développement socialement durable, Dubois, J. L., Lachaud, J. P., Montaud, J. M., Pouille, A. (eds), P.U.B., Bordeaux, 11-22. Sen,A.K. et Nussbaum, Quality of life, Singer, P. (1993), Questions d’éthique pratique, Paris, Bayard Sorel, G. (1807), Réflexions sur la violence, réédition Paris, Labor, 2006. 10