L`enregistrement sédimentaire des variations du niveau marin

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L'enregistrement sédimentaire des variations du niveau marin.
Préparation à l’agrégation SV-STU, université Pierre & Marie Curie.
Leçon de spécialité (secteur C) de géologie.
Proposition de plan par : M. Rodriguez, Pr. Agrégé en sciences naturelles et doctorant iSTeP/ ens.
Adresse mail : [email protected]
Définitions :
Il convient de distinguer deux grands types de variation du niveau marin (NM) : les variations
relatives et absolues.
Les variations absolues du niveau marin correspondent à la variation de la distance entre la
surface de la mer et une référence fixe : en pratique, l’ellipsoïde de référence déterminé par la
géodésie est la plus utilisée. Les variations absolues du NM correspondent à des variations spatiales
et temporelles du NM par rapport à cet ellipsoïde. L’eustatisme désigne les changements globaux du
niveau absolu de la mer.
Lorsque nous parlons de niveau marin relatif (NMR), il s’agit du NM mesuré à partir d’un
point de référence dans le soubassement. Il s'agit de la position de la ligne de rivage. Il ne tient pas
compte de l’épaisseur de sédiment mais comprend la subsidence ajoutée au niveau eustatique.
L’accommodation désigne l’espace total disponible pour déposer du sédiment ; la notion d’espace
disponible désignant quant à elle la fraction de cet espace n’ayant pas encore été comblée par du
sédiment.
Fig. 1 : la variation du niveau marin et ses répercutions enregistrables par la sédimentation
(exemple d’une montée du niveau de la mer) (Document : G. Merzeraud).
Les notions de régression et de transgression
Une variation du NMR ne correspond pas toujours à une variation du niveau marin absolu : le
NMR dépend aussi de la subsidence et des apports sédimentaires. Si par exemple, au cours d’une
montée du niveau eustatique les sédiments arrivent plus vite et en plus grande quantité que le
niveau ne monte, alors la plate-forme se comble, la ligne de rivage est repoussée au large, et il y a
régression. En Scandinavie, du fait du rebond post-glaciaire de la lithosphère, une baisse du NMR est
enregistrée à niveau eustatique constant dans les régions où la lithosphère se soulève et vice-versa
dans les régions où la lithosphère subside.
 Les régressions et transgressions correspondent à la position de la ligne de rivage : quand il y
a régression, il y a retrait de la ligne vers le large ; inversement en période de transgression,
la ligne de rivage progresse sur le continent (fig.2).
Fig.2 : Les différentes manières d’obtenir une transgression ou une régression en faisant
varier, indépendamment des autres facteurs, l’eustatisme, la subsidence, et les apports
sédimentaires (Document : G. Merzeraud)
Problématique :
Comment l'enregistrement sédimentaire peut-il constituer un enregistrement des variations
du NMR? Quelle est la résolution temporelle de cet enregistrement ? Que nous apprend l'étude des
sédiments sur les variations du NMR? Comment reconstituer les variations du NMR d’après
l’enregistrement sédimentaire ?
[Nous limitons notre étude à la sédimentation détritique, même si la sédimentation
carbonatée peut aussi fournir des informations précieuses sur les variations du NMR.]
1) Mise en évidence des variations du Niveau Marin Relatif dans l'enregistrement sédimentaire :
approche historique (De Hutton à Vail & Mitchum)
A) Hutton, et l'identification des discontinuités sédimentaires
Lorsque dans un bassin sédimentaire les dépôts se font régulièrement, sans interruption, et
que les strates s’accumulent ainsi les unes sur les autres, on dit qu’il y a concordance des dépôts
sédimentaires. Mais de nombreux évènements tectoniques ou eustatiques peuvent perturber la
concordance des dépôts. James Hutton fut le premier en 1787 à décrire et surtout à proposer une
origine pour une discontinuité érosive particulière : la discordance. L’affleurement étudié se situe à
Jedburgh, en Ecosse. Les discordances sont interprétées par Hutton comme résultant de phases
d’érosion majeures, capables d’araser les chaînes de montagnes (fig. 3).
Fig. 3 : La discordance angulaire décrite par Hutton à Jedburgh en Ecosse (Document : G.
Merzeraud)
Par exemple, les reliefs créés lors du basculement des couches accompagnant une phase de
compression sont ensuite aplanis par l’érosion. Lors du retour de la mer, les nouveaux dépôts
recouvrent les anciennes structures basculées : il s’agit d’une discordance angulaire. Dans le cas plus
simple d’une surface de discordance formée par le simple retrait de la mer, les dépôts mis en place
lors de la transgression suivante n’ont pas une grande différence de pendage avec les dépôts qu’ils
recouvrent. Difficilement identifiable à l’affleurement, ces discordances sont plus visibles à l’échelle
d’une carte géologique : c’est pourquoi on parle de discordance cartographique. Au niveau d’une
surface de discordance donnée, le temps n’est pas enregistré jusqu’au retour de la mer. Ainsi, la
quantité de temps enregistrée par une surface d’érosion peut être bien plus importante que celle
enregistrée dans une séquence de dépôt !
Fig. 4 : Discordance angulaire observée sur l’île de Socotra, Yemen (Photo : M. Fournier)
Autres surfaces remarquables : les niveaux condensés (Hardgrounds)(fig.5). En période de
transgression marine, un point autrefois situé proche d'une source d'apports sédimentaires peut s'en
retrouver éloigné. La sédimentation devient alors essentiellement pélagique, avec des taux de
sédimentation très faibles, qui autorisent une intense bioturbation. Le terme de "niveau condensé"
vient du fait qu'une grande quantité de temps est enregistrée dans une faible épaisseur de
sédiments.
Fig.5 : Exemple de niveau condensé à différentes échelles (Document : G. Merzeraud)
 Les différentes surfaces repères illustrent donc le caractère fragmentaire de l’enregistrement
sédimentaire. Si le temps est enregistré en continu, il ne l’est pas toujours au même endroit. Certaines
formations sédimentaires enregistrent plus de temps que d’autres : une turbidite de quelques cm
d’épaisseur se dépose en quelques heures, là où il faut plusieurs milliers d’années pour obtenir la
même épaisseur de sédiment avec des pélagites ! Ces surfaces repères sont interprétables en termes
de variations du NMR.
B) Lavoisier et l'analyse des faciès sédimentaires
Au 18°siècle, Lavoisier réalisa une des premières mises en évidence des variations relatives
du niveau marin (NM), dans une localité Suisse du nom de St Gobain, alors qu'il travaillait à
l'élaboration des premières cartes géologiques de la France. A la base de l’affleurement étudié (Fig.
6), une strate renfermant des coquilles d’organismes peu usées. Au sommet, une seconde strate
composée de galets arrondis. Lavoisier associe à la première strate un milieu de dépôt calme, tels
ceux observés en milieu pélagique ; à la deuxième strate un milieu de dépôt agité, les angles des
galets (et brèches) ayant été émoussés par un roulement sur un rivage agité par les vagues. En
appliquant le principe de superposition, Lavoisier conclut qu’en un même point de l’espace se sont
succédés au cours du temps deux milieux de dépôts différents (l’un calme, l’autre agité),
correspondant à différentes positions des anciennes lignes de rivage, et différentes profondeurs de la
mer. Lavoisier identifiait ainsi une variation du niveau relatif de la mer.
Fig. 6 : Gravure extraite de la publication originale de Lavoisier, montrant le lien entre la position
de la ligne de rivage et les différentes granularités des dépôts.
La démarche de Lavoisier est basée sur l'analyse des faciès sédimentaires. Un faciès est défini
par l'ensemble des caractères biostratigraphiques, lithologiques et hydrodynamiques d'une strate.
En effet, certaines espèces fossiles sont caractéristiques de milieu de vie + ou - profonds (ex. les
rudistes sont les témoins d’un environnement de plate-forme récifale peu profond). La granularité
d'un dépôt est aussi fonction de la bathymétrie : les marnes fines sont caractéristiques d'un milieu
profond; les sables d'un milieu côtier. Les stratifications présentes dans les dépôts sont des bons
indicateurs de l'hydrodynamique (fig. 7) : un dépôt en milieu profond présente des stratifications
horizontales et parallèles bien régulières (sauf si bioturbation); tandis qu'un dépôt côtier peut être
marqué par des stratifications entrecroisées, témoins de tempêtes littorales.
Fig. 7 : Tableau de synthèse des différents faciès associés à différentes contextes
hydrodynamiques (et donc bathymétries) (Document : P. Homewood).
C) Haug et l'analyse de la géométrie des dépôts.
Une autre démarche émerge au début du 20°siècle (1907) avec les travaux d'Emile Haug. Ces
travaux sont basés sur l'analyse de la géométrie des dépôts qui varient selon les positions successives
de la ligne de rivage. Trois types de géométries principales se mettent en place lors des
transgressions et régressions marines (fig. 9).
 L’aggradation ; qui correspond à un empilement vertical des dépôts sans déplacement de la
ligne de rivage au cours du temps (=> transgression)
 La progradation ; qui correspond à un empilement des sédiments qui se décalent en direction
de l’océan, en suivant la ligne de rivage qui se déplace vers la haute-mer. Les couches
sédimentaires successives ont une certaine obliquité (=> régression)
 La rétrogradation ; qui correspond à l’empilement vertical des couches sédimentaires
lorsque la ligne de rivage progresse sur le continent (=> transgression)
Fig. 8 : Dessins d’Emile Haug, tirés de son traité de géologie, montrant des géométries de
sédiments interprétées comme étant liées aux transgressions et régressions
Comment relier ces géométries élémentaires aux variations du niveau marin relatif (Fig. 9)?
Trois paramètres sont susceptibles de contrôler la position de la ligne de rivage :
l’eustatisme, la subsidence (=enfoncement du substratum), et les apports sédimentaires.
L’eustatisme et la subsidence contrôlent l’espace disponible pour la sédimentation : plus le NM
absolu est élevé, ou plus la subsidence est forte, et plus l’espace disponible est important (et viceversa). Si à NM constant, les apports sédimentaires sont élevés, ils comblent le bassin de la côte vers
l’océan, et la ligne de rivage recule vers l’océan. Les variations de ces paramètres contrôlent la
diversité des géométries sédimentaires.
Fig.9 : Interprétation des géométries des corps sédimentaires en terme de variation du niveau
marin (flèche noire : transgression; blanche : régression) (Document : P. Homewood)
D) De Walter à Sloss : les premières définitions des séquences de dépôt
Au début du XX° siècle, Walter observait que les changements latéraux de faciès
sédimentaires le long d'une formation de même âge correspondent à la succession au cours du
temps de ces mêmes faciès (fig. 10) : autrement dit, une variation du NMR entraîne au cours du
temps un changement de la distribution spatiale des faciès sédimentaires, les variations de la
position de la ligne de rivage entraînant des changements de la bathymétrie, de l'hydrodynamique,
etc... Avec Walter, l'enregistrement sédimentaire commence à être interprété en 4 dimensions, i.e.
en termes de distribution spatiale et temporelle des faciès sédimentaires.
Fig. 10 : Principe de la loi de Walter (Document : P. Homewood)
(attention, le code de couleur correspond aux faciès, et non à l'âge des sédiments; il y a ici 4 couches
sédimentaires composées chacune d'une succession latérale de différents faciès!)
L'analyse des formations sédimentaires à Terre pose plusieurs problèmes : les unités
stratigraphiques sont principalement définies selon leur composition en fossiles : à l’échelle d’un
bassin, deux couches éloignées sont du même âge si elles ont la même composition en fossile
(corrélation biostratigraphique). Cependant, une des limites du principe de continuité est l'existence
de variations latérales de faciès. En effet, au-delà d’une certaine superficie, il est difficile de
concevoir qu’à une époque donnée les environnements (et donc les populations biologiques) étaient
uniformes à la surface de la Terre. Corréler deux couches de même âge mais de différente identité
paléontologique devient alors extrêmement difficile !
En 1949, Lawrence Sloss propose de découper et corréler les séries sédimentaires à partir
des principales discontinuités sédimentaires identifiées sur les forages. Il définit alors une séquence
de dépôt comme : «l’ensemble des dépôts ayant eu lieu pendant un cycle de transgression/régression
(couplé à la subsidence ou à la remontée du fond du bassin), limité à la base et au sommet par une
discontinuité ». Mais… sur de longues distances, les surfaces érosives passent latéralement à des
concordances, séparant parfois des roches identiques : on perd la trace de la surface repère!
Comment reconnaître alors une séquence quand on ne voit plus ses limites?
E) la stratigraphie sismique (Vail) et la stratigraphie génétique:
Dans les années 70, l’utilisation de profils sismiques (acquis par l’industrie pétrolière) a
permis l’identification de l’architecture des corps sédimentaires et des discontinuités à l’échelle du
bassin entier. La sismique réflexion est un outil de prospection de la structure des fonds océaniques
(et dans notre cas des couches sédimentaires) basé sur l'enregistrement d'ondes acoustiques émises
artificiellement depuis la surface et réfléchies en profondeur sur les interfaces séparant des milieux
dans lesquels les vitesses de propagation de ces ondes sont différentes (i.e. les limites de couches
géologiques).
Fig. 11 : Principe de la sismique réflexion (Document : site internet ifremer)
L’utilisation de cet outil fût une véritable révolution, car les problèmes soulevés par Sloss se
trouvaient résolus. Il est désormais possible d’identifier les limites de séquence, et la géométrie des
corps à grande échelle. Depuis, l’architecture des corps sédimentaires et leur interprétation en
termes de variations du NMR n’ont cessé d’être précisées avec les progrès techniques réalisés en
matière de sismique réflexion (fig. 12).
Fig. 12 : Quelques discontinuités et architectures sédimentaires observées par sismique
réflexion
Plusieurs modèles théoriques et prédictifs ont été établis pour faciliter l’interprétation de
l’architecture des dépôts sédimentaires en termes de variations du NMR… Cependant, l’emploi d’une
terminologie complexe, et des frontières mal définies entre réalité observée et théorie, ont éloigné le
modèle de ses vocations «pédagogique » et intégrative initiales… De plus, la résolution des profils
sismiques est restée longtemps inférieure à celle permise par l’étude des affleurements. La sismique
ne permettait d’étudier les variations du NMR que sur de grandes échelles de temps (de l’ordre du
million d’années) ; tandis que l’étude des affleurements ne permet d’étudier les variations du NMR
que sur des échelles de l’ordre de 100 000 ans au plus. Ainsi, au cours des dernières décennies, deux
disciplines complémentaires de la stratigraphie se sont attachées à l’étude des variations du NMR
aux différentes échelles de temps : la stratigraphie « sismique » et la stratigraphie « génétique ». Ceci
a généré un degré de complexité supplémentaire dans la diffusion et l’enseignement de la
stratigraphie séquentielle, puisqu’il faut intégrer deux modèles différents, basés sur des méthodes
d’étude et des outils différents, et révélant des facteurs de contrôle des variations du NMR
différents!
 La stratigraphie génétique s’intéresse aux variations du NMR se déroulant sur des périodes de
l’ordre de 0 à 400 ka. Les variations du NMR observées sont locales et ne peuvent être
généralisables à l’ensemble du globe. Cette discipline s’intéresse particulièrement à comment
une même variation du NMR est enregistrée sur le continent et dans l’océan, et à la
corrélation de l'enregistrement sédimentaire (i.e. dépôts et surfaces remarquables) entre ces
deux milieux.
 La stratigraphie sismique s’intéresse aux variations du NMR se déroulant sur des périodes > 1
Ma. Les variations du NMR sont corrélables à l’échelle d’un bassin entier (la valeur globale de
certaines variations reste discutée).
C’est l’intégration de ces deux approches qui permet d’exploiter le mieux l’enregistrement
sédimentaire des variations du NMR. Nous présentons ici les deux modèles séparément, puis nous en
proposons une vision intégrée en guise de conclusion.
2) La stratigraphie génétique : l'enregistrement sédimentaire des variations du Niveau Marin Relatif
locales à l'échelle de 0- 400 ka
A) la démarche générale et les particularités de la stratigraphie génétique
Les séquences génétiques sont des séquences de dépôt de courte durée (<1Ma) délimitées
par deux surfaces d’inondation maximale (i.e. NMR max.), ou deux niveaux condensés (fig. 5), et
leurs épaisseurs vont de quelques décimètres à la dizaine de mètres. Elles enregistrent un cycle de
variation des milieux de sédimentation, interprétés en termes de transgression et de régression
(reliées aux épisodes de subsidence ou d’eustatisme). La stratigraphie génétique est davantage basée
sur la reconnaissance de la succession des faciès et des surfaces remarquables à l’affleurement ou
dans les forages que sur la reconnaissance de géométries particulières.
Une des originalités de cette démarche est de mettre en évidence les variations du NMR à
Terre à travers l’étude des faciès fluviatiles. En effet, nous pouvons observer actuellement un
changement de morphologie des rivières suivant la pente sur laquelle se fait l’écoulement (fig. 14).
Typiquement, les fortes pentes sont sillonnées par des rivières en tresse, qui évoluent ensuite en
rivière à méandres avec l’adoucissement de la pente, pour adopter une morphologie anastomosée
au niveau des deltas. Une montée du niveau marin entraîne une diminution du profil topographique
des rivières. Ainsi, dans le temps et à un endroit donné, les faciès fluviatiles évoluent du type
« tresse » au type « anastomosé » au fur et à mesure que le NMR s’élève. Inversement, lors d’une
baisse du NMR, l’inclinaison du profil topographique des rivières augmente. Celles-ci vont sur-creuser
leur lit pour rejoindre la ligne de rivage. Les fleuves répondent aux variations du NMR sur une
distance <100 km à partir de la ligne de rivage.
Fig. 13 : Exemples de dépôts fluviatiles observables à l'affleurement : stratifications obliques
(photo gauche, permettent de reconstituer le sens des courants) et stratifications de chenaux (en
anse) (photo droite) observées au niveau des grès Yprésien de Noirmoutier (Vendée) (photos : M.
Rodriguez)
L’un des objectifs de la stratigraphie génétique est donc tout naturellement de corréler les
dépôts entre les domaines continentaux et marins. La répartition du volume de sédiments piégés en
milieu continental ou marin est différente selon la période de variation du NM. La sédimentation
fluviatile a lieu lors de la remontée du NM ; alors qu’il y a peu de sédiments accumulés en milieu
marin. C’est l’inverse en période de bas NM, où les rivières creusent leur lit sans déposer, et où
l’essentiel des dépôts se concentre en milieu marin.
Fig. 14 : Relation entre le niveau marin et la morphologie des rivières (Document : G. Merzeraud)
Fig. 15 : Carte bathymétrique du canyon sous-marin de Capbreton (Document : H. Gillet). Les
différentes générations de terrasses sous-marines observées dans l'axe du canyon sont liées à
l'activité érosive des courants de turbidité. Actuellement déconnecté de son fleuve suite à l'action
de l'homme, le canyon reste actif via les tempêtes qui déclenchent des courants de turbidité.
Pour rattacher la formation des séquences continentales et marines, que l’on soit proche ou
loin de la mer, on fait appel au concept de niveau de base (fig. 16). Sa définition est simple : à la
surface de la planète, il existe des zones de dépôt et des zones d’érosion. Le niveau de base est tout
simplement la surface abstraite sur laquelle il n’y a ni érosion ni dépôt ! Lorsque la topographie est
au dessus du niveau de base, il y érosion. Il y a dépôt lorsque la topographie est en dessous du niveau
de base. En milieu marin ou proche de la mer, c’est principalement l’eustatisme et la subsidence qui
font varier le niveau de base. Plus loin dans le continent, ce sont les processus tectoniques (création
de reliefs) et climatiques qui influencent les oscillations de ce niveau.
B) La stratigraphie génétique appliquée à l’Exemple de la Gironde : des faits vers le modèle
La Gironde est un cas particulièrement bien étudié en France (fig. 17). Ce fleuve s’est mis en
place lors de la dernière déglaciation, il y a environ 18 ka. Le fleuve actuel montre une succession de
faciès qui caractérisent les différentes parties de son estuaire. Des forages réalisés dans des endroits
stratégiques ont permis d’établir la succession de ces faciès au cours des derniers 18 000 ans. La
densité des forages réalisés permet de dessiner des cartes de la répartition des faciès à un stade
donné. Ces études ont été complétées en mer par l’usage de sismique réflexion à très haute
résolution, qui permet d’identifier l’architecture des corps sédimentaires formés par l’ancien fleuve
de la Gironde, lorsque le niveau de la mer était plus bas et que le fleuve entaillait l’actuelle plateforme continentale. Les différentes surfaces clefs ont pu être reliées aux changements de faciès
observés à Terre. C’est un exemple de stratigraphie séquentielle à haute résolution telle qu’elle est
pratiquée aujourd’hui : l’analyse des faciès à terre est couplée à l’usage d’outils géophysiques de très
grande précision en mer.
Fig. 16 : Illustration du concept de niveau de base (Document : G. Merzeraud)
Il est possible d’établir quasiment toute une séquence génétique à partir de cet exemple,
depuis le début d’une transgression jusqu’à la fin : Il y a 18 000 ans, dans une vallée incisée, les
sédiments grossiers transportés par des fleuves érosifs allaient se jeter en mer à plus de 130 km à
l’Ouest de la côte actuelle. Lors de la remontée du NM, vers 10 000 ans, les chenaux sont devenus
méandriformes et l’estuaire s’est formé en aval de l’embouchure actuelle. Enfin, il y a 4000 ans, le
maximum de montée du NM fut atteint et la mer pénétra profondément dans les Terres, recouvrant
l’ancienne plaine alluviale. Les dépôts estuariens ont succédé aux dépôts continentaux.
Fig. 17 : Distribution spatiale actuelle des faciès sédimentaires au niveau de l'estuaire de la Gironde, et la variation de
cette distribution au cours du temps, révélé par les forages réalisés sur la région (Allen & Posamentier, 1993, Hors liste)
C) Le modèle de la stratigraphie génétique
Les études du type de celles réalisées sur la Gironde ont permis de fournir une image
conceptualisée d'une séquence génétique idéale déposée au cours d'un cycle eustatique (régression,
puis transgression). La séquence est délimitée à sa base et son sommet par des surfaces d'inondation
maximale; une surface d'érosion subaérienne marque la transition entre les phases régressive et
transgressive. En période de régression, l'essentiel des dépôts se fait en milieu marin, avec des
variations de faciès selon la position de la ligne de rivage (et donc selon la bathymétrie et
l'hydrodynamique). En période de transgression, l'essentiel des dépôts se fait en milieu continental,
avec des faciès fluviatiles.
> Le modèle de la stratigraphie génétique est basé essentiellement sur l'analyse des faciès
sédimentaires. Il conceptualise les variations du NMR de l'ordre de 10 à 100 ka; i.e. les variations du
NMR d'origine glacio-eustatique liées à la cyclicité des paramètres astronomiques de Milankovitch, et
mises en évidence indépendamment via les oscillations du ᵟ 18O des glaces.
Fig. 18 : Le modèle de la stratigraphie génétique (Document : G. Merzeraud)
3) La stratigraphie séquentielle : l'enregistrement sédimentaire des variations régionales du Niveau
Marin Relatif à l'échelle > 1 Ma
A) La démarche générale et les particularités de la stratigraphie sismique
La sismique ne permet pas d’identifier avec autant de précision que les études
d'affleurements la diversité des faciès sédimentaires -c'est pourquoi les campagnes de sismique
réflexion sont souvent couplées avec des forages/ carottages des sédiments, qui permettent de
corréler, dans une certaine mesure, les faciès sédimentaires avec les faciès sismiques. En revanche, la
sismique permet l'identification des différentes géométries de dépôts ainsi que des surfaces de
discontinuités sédimentaires. Lorsqu’on pointe un profil sismique, l’important est de repérer les
terminaisons des réflecteurs, qui permettent de définir les différentes surfaces et les différentes
géométries sédimentaires. En sismique réflexion, ce sont les surfaces de discordances qui délimitent
la base et le sommet d’une séquence de dépôt. Elles sont identifiables par des terminaisons de
réflecteurs dîtes en toplap, et par les troncatures d’érosion. Mais quel type de terminaison
caractérise la position du niveau marin relatif sur un profil sismique ? Comme on le voit sur les
Fig. 19 : Identification d'une séquence de dépôt (corps progradant) sur un profil de sismique
réflexion (Document: G. Merzeraud)
anciennes études de Haug (Fig. 8), les dépôts côtiers sont parallèles au niveau de l’eau et se déposent
en un biseau qui vient en intersection avec la surface d’érosion, formant un onlap. Les onlap imagent
le niveau 0 du NMR à un instant donné et suivent chacune de ses variations. Grâce à la datation des
réflecteurs via les forages, et la conversion de l’échelle verticale « en temps double » des profils
sismiques vers des échelles métriques, on peut établir une courbe d’aggradation côtière, qui, malgré
quelques approximations, donnent une image des variations du NMR au cours du temps (fig. 20).
Fig. 20 : Méthode de construction de la courbe d'aggradation côtière permettant de représenter les
variations du NMR, d'après l'étude des onlaps côtiers observés sur des séquences de dépôts en
sismique (Document : G. Merzeraud). Bien évidemment, cette méthode est simplifiée et n’est
valide qu’au premier ordre, la réalité étant beaucoup plus complexe...
Les séquences de dépôts ont une signification chrono-stratigraphiques puisque leurs limites
érosives peuvent être datées par leur prolongement en surface de concordance ailleurs dans le
bassin (Voir le diagramme de Wheeler, fig. 21). Grâce aux corrélations à grande échelle permises par
les profils sismiques, il est donc possible de déterminer, indirectement, la quantité de temps
enregistrée par une surface d'érosion! On sait alors pendant combien de temps la zone où s'étend la
surface d'érosion a été exondée… et l’on peut résoudre les grands problèmes soulevés par Sloss au
milieu du XX°siècle…
Fig. 21 : le diagramme de Wheeler
B) Des observations au modèle : exemples.
Si l’on exclut les données de sismique réflexion à très haute résolution, généralement
réservées à l’industrie, l'épaisseur des séquences identifiées en sismique réflexion est plus
importante que celles identifiées à l'affleurement, et sont le résultat de variations se déroulant sur
de plus grandes périodes. D'après des exemples naturels simples, nous tentons ici d'identifier
quelques uns des facteurs à l'origine de ces séquences.
Les craies du Crétacé dans le Bassin Parisien indiquent que le niveau marin a été plus haut
d'environ 200 m par rapport à l'actuel. Un examen détaillé de cette formation indique qu'elle résulte
de plusieurs cycles de transgression/régression d'ordre inférieur, dont la tendance générale est à la
transgression. Quel phénomène peut être à l'origine d'une variation du NMR sur plusieurs Ma?
L'ouverture de l'Atlantique au Crétacé, avec la formation de dorsales gigantesques (reliefs > 2000m),
est probablement responsable de cette grande transgression marine. Du fait des cycles de Wilson, il y
aurait des variations périodiques du volume des dorsales au cours des temps (période de l'ordre de
250 Ma) qui influerait sur la taille du bassin océanique. La surrection des reliefs au cours des cycles
de Wilson influe aussi sur l'apport sédimentaire, en fournissant le matériel à éroder.
 A cette échelle de temps, sont surtout mis en évidence les phénomènes faisant changer la
taille du bassin sédimentaire (le contenant) : la formation des dorsales, des grandes provinces
ignées sous-marines, les zones de subduction…c’est-à-dire les phénomènes liés à la
géodynamique.
C) Le modèle de la stratigraphie séquentielle basé sur la sismique réflexion
La stratigraphie séquentielle cherche à fournir un cadre interprétatif à la complexité de
l’enregistrement sédimentaire résultant des variations du NMR à l’échelle du Ma. C'est un modèle
théorique, qui tente de compiler le maximum de configurations niveau marin/géométrie des corps
sédimentaires possibles. Ce modèle recouvre un cycle eustatique et demi. Il permet d'interpréter
principalement la géométrie des corps sédimentaires en termes de variations cycliques du NMR,
mais il peut aussi être utile pour comprendre l'enregistrement sédimentaire des variations abruptes
du NMR, comme le Messinien. Inutile donc de chercher à retrouver la « limace de Vail » complète
dans la nature, elle n'existe pas! Cette représentation se veut la synthèse d’un ensemble d’études
réalisées en sédimentologie sur ce thème. Comme pour la stratigraphie génétique, il s'agit là d'un
modèle prédictif.
Une séquence est délimitée à la base et au sommet par une surface d’érosion, identifiable
par des réflecteurs tronqués. La transition entre transgression et régression est marquée par la
surface d’inondation maximale, souvent difficile à identifier sur un profil sismique (il faut regarder
l’architecture des dépôts dans leur ensemble, la présence d’un cortège de haut niveau venant buter en downlap
sur cette surface aidant à son identification…mais ce cortège n’est pas toujours là !). En période de bas NMR,
se forme le cône sous-marin profond, composé de turbidite. Dans les premiers stades de montée du
NMR, se forme le cortège de bas niveau, caractérisé par des terminaisons en downlap vers le large,
et des onlaps vers le continent. Le NMR augmentant, la mer ennoie la plate-forme et forme un
cortège transgressif, caractérisé par des onlaps vers le continent et des réflecteurs biseautés et
condensés vers le large (les sédiments restent stockés sur la plate-forme et n’atteignent plus les
régions éloignées de l’embouchure du fleuve). Le cortège de haut niveau correspond au cas où les
apports sédimentaires sont tels que la ligne de rivage est repoussée au large, sans forcément faire
intervenir de cause eustatique. Cortèges de bas et haut niveau ont une géométrie progradante,
caractéristique des régressions ; le cortège transgressif a quant à lui une géométrie aggradante.
Fig. 22 : Modèle de la séquence sismique de Vail pour la sédimentation détritique (Document G.
Merzeraud)
CONCLUSIONS :
L'enregistrement sédimentaire des variations du NMR se fait donc par : les différents faciès
sédimentaires, les différentes surfaces remarquables, et les différentes géométries de dépôt. Le
message sédimentaire ne délivre pas les mêmes informations selon l'échelle à laquelle il est étudié. Il
permet de mettre en évidence plusieurs ordres dans les variations du NMR. Les séquences du 1 au 3°
ordre, qui considèrent des échelles de temps > 1 Ma, sont à relier principalement aux phénomènes
tectoniques qui influent sur le NMR ; alors que les séquences du 4° au 6° ordre, qui considèrent des
échelles de temps de l’ordre de 100 ka, sont le fait des variations glacio-eustatiques, principalement
ou d’autres phénomènes (ex. dilatation thermique des eaux) pour les époques où les glaces étaient
absentes des pôles. La variation du NM est donc un phénomène en « poupées russes » (fig. 23 & 24),
contrôlé par plusieurs phénomènes agissant à différentes échelles de temps. Ces phénomènes se
superposent dans le temps, et agissent tous simultanément, mais avec des amplitudes et des
fréquences différentes. Par exemple, les systèmes turbiditiques de l'Indus et du Bengale (les plus
grands du monde) sont actifs depuis la surrection de l'Hymalaya il y 45-50 Ma. Dans ce cas, le niveau
marin joue un rôle d'interrupteur on/off : quand le niveau marin est haut, les sédiments sont stockés
sur la plate-forme continentale indienne; quand il est bas, les fleuves sont directement connectés
aux canyons et alimentent les systèmes turbiditiques profonds... (cette dernière vue étant bien sûr
simplifiée). Les variations du NMR sont aussi mises en évidence par les études isotopiques de
l’oxygène 18 (etc…). La charte eustatique est la synthèse des études du NM. Les stratigraphies
génétique et sismique sont fondamentales pour la construction d’une telle courbe (voir partie sur la
courbe d’aggradation côtière).
Références bibliographiques principales :
Stratigraphie séquentielle, de G. Merzeraud, Vuibert eds.
Vade mecum de stratigraphie séquentielle, P. Homewood…
Bon courage !
Fig. 23 : La charte eustatique de Vail (Document G. Merzeraud)
Fig. 24 : les variations du niveau marin : une multitude de phénomènes "en poupées russes"!
(Document G. Merzeraud)
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