Séance 6_handout

publicité
Philosophies médiévales du langage (et de l’esprit) – CESALLI/Fribourg SP 2012/6
PLAN DE LA SIXIÈME SÉANCE
« Significatio et appellatio – les 11e et 12e siècles »
1. Faut-il prendre les mots au mot ? [suite et fin]
1.1. La question du verbe ‘est’ : valeur existentielle vs. valeur prédicative (Pierre Abélard)
2. Anselme de Canterbury : que signifie le mot ‘grammaticus’ ?
2.1. Le « cas » des paronymes : Aristote (Catégories, 1)
2.2. Aristote contre Priscien : Catégories, 4 contre Intstitutiones, II.18
2.3. Le double problème (sémantique et ontologique) posé par ‘grammaticus’
2.4. Sa solution : la distinction entre significatio per se et significatio per aliud
3. Significatio et appellatio dans le Compendium logicae porretanum (ca. 1160)
3.1. Les trois dimensions de l’imposition : à quelque chose, à partir de quelque chose et en vertu de
quelque chose
3.2. L’identité de signification entre noms principaux (albedo) et noms dérivés (album) et le
nominalisme « porrétain »
COMPLÉMENTS BIBLIOGRAPHIQUES
[Voyez la bibliographie générale]
ANONYMUS, Compendium logicae porretanum, ed. S. Ebbesen, K. M. Fredborg, L. O. Nielsen, Cahiers de l’Institut du
Moyen Âge Grec et Latin, 46 (1982), p. 1-93.
MARENBON JOHN, « The tradition of logic to 1100 », in D. Gabbay & J. Woods (eds.), Handbook of the History of
Logic. Volume 2 : Medieval and Renaissance Logic, Amsterdam : Elsevier, 2008, p. 1-63.
ROSIER-CATACH IRÈNE, « Abélard et les grammairiens. Sur le verbe substantif et la prédication », Vivarium 41
(2003), p. 177-248.
TEXTES
[1]
« Nunc diligenter intueri libet uim praedicationis quam habet uerbum in propositione. […] Nam licet
quantum ad intentionem facientis propositionem sola albedo copuletur, unde ipsa sola praedicari dicitur,
ex ui tamen substantiui uerbi ipsum subiectum albedinis essentialiter Socrati coniungitur, quia ipse
Socrates esse proponitur ui substantiui uerbi, quod significationem essentiae tenet. Duo itaque
coniunguntur Socrati per ‘album’ praedicatum, albedo scilicet in adiacentia et album, id est ipsum
affectum albedine, in essentia. Sola tamen albedo praedicatur, quia sola coniungi intenditur. Non enim
quidquid coniungitur, praedicatur, sed id solum, quod propositione coniungi intenditur. » [Pierre
Abélard, Glossae super Peri hermeneias, III, ed. Jacobi & Strub, p. 122]
« Considérons maintenant avec attention le pouvoir de prédication que possède un verbe dans une
proposition […]. [A propos de ‘est’ dans ‘Socrates est albus’ :] Bien que selon l’intention de celui qui
produit la proposition, seule la blancheur est couplée – raison pour laquelle on dit qu’elle seule est
prédiquée –, toutefois, en vertu du pouvoir du verbe substantif, le sujet même de la blancheur est joint à
Socrate essentiellement, parce qu’en vertu du pouvoir du verbe substantif, lequel conserve une
signification d’essence, il est posé que Socrate lui-même existe. C’est pourquoi deux choses sont jointes
à Socrate par ‘blanc’ <lorsqu’il en est> prédiqué, à savoir la blancheur, en adjacence, et le blanc, c’està-dire <Socrate> lui-même comme porteur de la blancheur, en essence. Pourtant, seule la blancheur est
1
Philosophies médiévales du langage (et de l’esprit) – CESALLI/Fribourg SP 2012/6
prédiquée, parce que seule sa conjonction <à un sujet> est visée. En effet, tout ce qui est conjoint n’est
pas prédiqué, mais cela seulement dont la conjonction est visée par la proposition. »
[2]
« D : De grammatico peto ut me certum facias utrum sit substantia an qualitas […]. M : Dic primum cur
dubites. D : Ideo quia videtur utrumque posse probari necessariis rationibus esse scilicet et non esse. […]
Ut quidem grammaticus probetur esse substantia, sufficit quia omnis grammaticus homo, et omnis homo
substantia. Quidquid enim habet grammaticus ut sequatur eum substantia, non habet nisi ex eo quia
homo est. Quare hoc concesso ut homo sit ; quaecumque sequuntur hominem, sequuntur grammaticum.
Quod vero grammaticus sit qualitas, aperte fatentur philosophi qui de hac re tractaverunt. Quorum
auctoritatem de his rebus est impudentia improbare. Item quoniam necesse est ut grammaticus sit aut
substantia aut qualitas […], quidquid valet ad astruendam unam partem, destruit alteram, et quidquid
unam debilitat, alteram roborat. » [Anselme, De grammatico, I, légèrement modifié]
« D : A propos de grammairien, je requiers que tu me donnes la certitude s’il est une substance ou une
qualité […]. M : Dis-moi d’abord pourquoi tu hésites. D : En ceci qu’il semble que l’un et l’autre peut
être prouvé par des raisons nécessaires, à savoir qu’il est et qu’il n’est pas. […] Assurément, on a de
quoi prouver que grammairien est une substance, car tout grammairien est un homme, et tout homme
est une substance. De fait, tout ce qui permet d’inférer que grammairien est une substance, il ne le
possède que parce qu’il est homme. C’est pourquoi, une fois concédé qu’il est homme, tout ce qui vaut
de l’homme vaudra du grammairien. D’un autre côté, que grammairien soit une qualité, les philosophes
qui ont traité ce problème le reconnaissent avec évidence et ce serait une impudence que de rejeter leur
autorité sur ces problèmes. Pareillement, puisque grammairien est nécessairement ou bien une
substance ou bien une qualité […] tout ce qui est capable de soutenir une possibilité détruit l’autre, et
tout ce qui affaiblit l’une renforce l’autre. »
[3]
« Sic […] principaliter hoc nomen [‘homo’] est significativum et appellativum substantiae, ut cum recte
dicatur : substantia est homo et homo substantia : nullus tamen dicat : rationalitas est homo aut homo
rationalitas, sed habens rationalitatem. Grammaticus vero non significat hominem et grammaticam ut
unum, sed grammaticam per se et hominem per aliud significat. Et hoc homen quamvis sit appellativum
hominis, non tamen proprie dicitur eius significativum ; et licet sit significativum grammaticae, non
tamen est eius appellativum. Appellativum autem nomen cuiuslibet rei nunc dico, quo res ipsa usu
loquendi appellatur. Nullo enim usu loquendi dicitur : grammatica est grammaticus, aut : grammaticus
est grammatica ; sed : homo est grammaticus, et grammaticus homo. » [Anselme, De grammatico, XII]
« Ainsi […] ce nom [‘homme’] est principalement significatif et appellatif d’une substance ; de sorte que,
alors qu’on dit correctement ‘une substance est un homme’ et ‘un homme est une substance’, pourtant
aucun ne dirait ‘la rationalité est un homme’ ou ‘un homme est la rationalité’, mais ‘[un homme est] ce
qui possède la rationalité’. D’autre part, grammairien ne signifie pas un homme et la grammaire comme
un tout, mais il signifie la grammaire par soi et un homme par quelque chose d’autre. Et bien que ce
nom soit appellatif de l’homme, il n’est pourtant pas à proprement parler significatif de celui-ci ; et
quoiqu’il soit significatif de la grammaire, il n’est pourtant pas appellatif de celle-ci. Or j’appelle
maintenant ‘nom appellatif d’une chose quelconque’ ce par quoi la chose elle-même est appelée selon
l’usage des locuteurs. En effet, dans aucun langage usuel il n’est dit ‘la grammaire est un grammairien’
ou ‘un grammairien est la grammaire’, mais ‘un homme est un grammairien’ et ‘un grammairien est un
homme’. »
2
Philosophies médiévales du langage (et de l’esprit) – CESALLI/Fribourg SP 2012/6
[4]
« Quare sive quaeratur de voce sive de re : cum quaeritur quid sit grammaticus secundum tractatum
Aristotelis et secundum sequaces eius, recte respondetur : qualitas ; et tamen secundum appellationem
vere est substantia. » [Anselme, De grammatico, XVIII]
« C’est pourquoi, que l’on s’interroge à propos du mot prononcé ou de la chose, lorsque l’on demande
ce qu’est grammairien selon le traité d’Aristote et selon ceux qui le suivent, on répond correctement :
une qualité ; pourtant, selon l’appellation, il s’agit vraiment d’une substance. »
[5]
« Ratio cur omne nomen dicitur significare duo. Nomen enim alii est impositum, scilicet substantie, et
ex alio, scilicet ex proprietate, et propter aliud, id est propter intellectum constituendum. Unde cum
nomen significet ex inventione substantiam, circa quam qualitatem determinet, et utrumque intellectui
supponat, eque proprie substantiam sicut qualitatem dicitur significare. » [Anonymus, Compendium logicae
porretanum, I.8]
« [Voici] la raison pour laquelle tout nom est dit signifier deux choses. En effet, un nom est imposé à une
chose – à savoir à une substance – et à partir d’une autre chose – à savoir d’une propriété – et en vue
d’une chose – à savoir en vue de constituer un concept. C’est pourquoi, puisqu’un nom signifie de par la
sélection d’une substance dont il vise une qualité, et qu’il présente l’un et l’autre à l’intellect, il est dit
au même titre signifier proprement une substance et une qualité. »
[6]
« Ratio cur dicatur idem significari <nomine sumpto> et principali. Cum hoc nomen ‘album’
impositum sit alicui, id est rei, albo scilicet ex albedine est impositum. Significat ergo pro substantia rem
cui inest, ut ita dicam, albedo ; pro qualitate vero hoc universale Albedo. Sed eidem universali fuit
impositum hoc nomen ‘albedo’. Nam cum hoc nomen ‘albedo’ sit nomen appellativum albedinum, et
eedem sint hoc universale Albedo, substantia est huius nominis idem universale. Sicut enim hoc
universale predicatur de Socrate mediante singulari, cum diticur ‘Socrates est albus’, ita idem universale
subicitur locutioni mediante singulari, cum dicitur ‘Albedo est in Socrate’ (indefinita est enim
propositio). […] Qualitas vero huius nominis ‘albedo’ dicitur substantialis effectus albedinum, qui et
substantia forme dicitur. Sicut enim substantiali proprietate Socrates est id quod est ipse, et ea dicitur
esse substantia Socratis ut humanitas, eodem modo facere album est effectus albedinis et eo albedo est id
quod est. Ex eo enim quod albedo facit album, albedo est. » [Anonymus, Compendium logicae porretanum,
I.17]
[7]
« [Voici] la raison pour laquelle <un nom dérivé> est dit signifier la même chose qu’un nom principal.
Puisque ce nom ‘blanc’ a été imposé à quelque chose, à savoir à une chose, il a été imposé à quelque
chose de blanc à partir de la blancheur. Par suite, pour ce qui est de la substance, il signifie une chose en
laquelle il est, comme si je disais : une blancheur ; mais pour ce qui est de la qualité, <il signifie> cet
universel La Blancheur. Mais ce nom ‘blancheur’ fut imposé au même universel. Car, puisque ce nom
‘blancheur’ est un nom appellatif de blancheurs – et elles-mêmes sont cet universel La Blancheur – ce
même universel est la substance de ce nom. En effet, de même que ce même universel se prédique de
Socrate au moyen d’un singulier, comme lorsque l’on dit ‘Socrate est blanc’, de même, ce même
universel fonctionne comme sujet dans une expression en vertu d’un singulier, comme lorsque l’on dit
‘La Blancheur est en Socrate’ (il s’agit en effet d’une proposition indéfinie). […] Mais la qualité de ce
nom ‘blancheur’ est appelée un effet substantiel des blancheurs, <un effet> qui est aussi appelé la
substance de la forme. En effet, de même que Socrate est ce qu’il est lui-même en vertu d’une propriété
substantielle – et elle est dite être la substance de Socrate, comme l’humanité – de la même manière
rendre blanc est l’effet de la blancheur et c’est en vertu de cet effet que la blancheur est ce qu’elle est.
En effet, la blancheur est <ce qu’elle est> parce qu’elle rend blanc. »
3
Téléchargement