DMSP, 1997, L. Damak 4
INTRODUCTION : PROBLEMATIQUE ET OBJECTIFS DE LA RECHERCHE
De quoi est-il question lorsque nous parlons de corps humain ? Cette interrogation nous
renvoie à une extrême diversité d’approches scientifiques ou communes et à une infinie
multiplicité des perspectives possibles sur le corps (médicale, religieuse, métaphysique,
philosophique, anthropologique, sociologique, esthétique, psychanalytique, psychologique,
etc.). Ceci entraîne une grande complexité des modèles d’interprétation ou des cadres
d’intelligibilité qui permettent de penser la notion même de corps et de corporéité. Comme le
soulignent Browm, Larrère et Lascoumes (1992, p.11), "les parcours du corps, il faudrait dire
des corps, sont pluriels, comme sont multidimensionnelles et multi-inférentielles les matrices
théoriques et pratiques qui le définissent, le repèrent, l’articulent aux autres champs de
l’expérience matérielle, sociale et culturelle".
Les premières théories du corps humain proviennent des philosophes de la Grèce Antique qui
développeront les doctrines et les solutions les plus extrêmes sur le corps, défendant par
conséquent les arguments les plus opposés. Certains (comme Socrate, Platon) vont mépriser le
corps, ou n’en tiendront pas compte, préférant la noblesse de l’âme et de la pensée à la
bassesse du corps et de la chair. D’autres (Epicure, Lucrèce), par contre, affirmeront la
prééminence du corps, particulièrement dans sa dimension sensuelle et situeront la grandeur
de l’homme dans sa corporéité.
Les théoriciens se querelleront sans trêve et aujourd’hui encore, la problématique de l’union
soma (corps) et psyché (esprit) revient sans cesse : comment un corps peut-il penser ?
Comment y a-t-il de la pensée dans le corps ?1 La réflexion de Huisman et Ribes (1992, p.3)
nous semble bien résumer ce qu’est le corps dans la philosophie actuelle : "c’est par
l’entremise du corps que s’effectue la grande expérience de l’humanité, celle de l’amour ;
c’est à le contempler, à l’éprouver, à le subir que nous connaissons les âges de la vie ; il est
le médiateur privilégié de nos passions, de nos joies comme de nos souffrances. Il s’impose
désormais comme le point de passage de toutes nos expériences et non plus comme l’impasse
d’une expérience qui dévaluerait toutes les autres. La philosophie nous conduit, en dévoilant
le corps, à penser finalement le moyen de toutes nos expériences".
Cette réflexion nous semble bien introduire la problématique de notre thèse. Le corps est le
moyen par lequel nous appréhendons le monde car tout ce qui apparaît nous apparaît du point
de vue de notre corps. Comme le souligne Chirpaz (1969, p. 39), « le "vivre son corps" et le
"vivre le monde" ne sont peut-être qu’une même expérience ». Le corps mêle aussi "l’en soi"
et le "pour soi" c’est-à-dire l’extériorité et l’intériorité (Dagognet, 1992). C’est "la seule
partie du monde qui est sentie de l’intérieur et perçue à sa surface" (Meili-Dworetzki, 1971).
Nous pouvons alors et à juste titre, nous demander si ce corps - qui est à la fois un corps-
objet, visible de l’extérieur (morphologie, apparence) et un corps-sujet, vécu de l’intérieur
(image du corps) - pourrait influencer notre comportement, et plus précisément influencer nos
perceptions et attitudes à l’égard d’objets.
Corps et image du corps du consommateur
1 Ces questions dépassent largement le cadre de cette recherche et ne peuvent être abordées ici.
Parmi les ouvrages récents traitant de ce thème, citons : J.F. Schaal,
Le Corps
(1993), B. Huisman &
F. Ribes,
Les Philosophes et le Corps
(1992), F. Dagnonet (1992),
Le corps multiple et un
ainsi qu’un
ensemble de textes sélectionnés par l’Equipe d’Espace Prépas,
Le corps et caetera
(1992)