Ces constatations ont relancé les travaux sur les pièces d’histologie,
qui ont alors été conduits avec une méthodologie plus rigoureuse
qu’auparavant, avec en particulier l’utilisation de critères
diagnostiques consensuels et de cerveaux témoins appariés selon
l’âge et le sexe, l’examen des pièces en aveugle par les
investigateurs, l’utilisation de traitements standardisés des tissus et
enfin l’application de techniques de repérage spécifiques des
molécules-cibles, d’analyses morphométriques objectives et de
méthodes d’analyse quantitative assistée par ordinateur. Les
résultats obtenus ont permis de mettre en évidence les anomalies
des tissus qui seront présentées plus loin, et elles ont également
confirmé les résultats de neuro-imagerie, en retrouvant en particulier
une dilatation ventriculaire. De plus, à l’instar des études en neuro-
imagerie, l’anatomopathologie a mis en évidence des réductions du
volume cortical (en particulier temporolimbique) des schizophrènes
et une absence de corrélation entre les anomalies observées et la
durée de la maladie des patients.
Cette dernière constatation, comme l’absence de gliose, atteste du
caractère non évolutif du processus pathologique
[31]
. Cette absence
de gliose, rapportée par la plupart des travaux, a longtemps surpris
les anatomopathologistes, les conduisant même à contester la perte
neuronale et les réductions du volume cortical, car la gliose est un
signe cardinal de toute lésion cérébrale, qu’elle soit traumatique ou
dégénérative. En fait, seuls des événements neuropathologiques
survenant tôt dans le développement cérébral conduisent à des
altérations histologiques exemptes de gliose. L’hypothèse
neurodéveloppementale de la schizophrénie
[20, 30]
découle de cette
constatation.
Méthodes d’étude des tissus cérébraux
Pour éviter la nécrose cellulaire, le tissu cérébral doit être prélevé le
plus tôt possible après la mort. Il subit alors une fixation dans le
formaldéhyde, puis une inclusion dans un milieu qui solidifie le
spécimen, ce qui permet de le couper par la suite en sections fines.
Après ces opérations, les coupes de tissu cérébral peuvent être
colorées (au violet de crésyl, avec la coloration de Nissl à la
gallocyanine-chromalum, ou à l’hématéine-éosine, pour les corps
cellulaires ; avec la coloration de Golgi au nitrate d’argent, pour voir
la forme des neurones et de leurs prolongements axonaux et
dendritiques ; avec la coloration de Holzer, pour visualiser les
cellules gliales) avant un examen en microscopie optique à la
recherche d’anomalies morphologiques.
En dehors de ces traditionnelles méthodes d’observation, les coupes
de tissu fixé peuvent aussi être soumises à des techniques plus
modernes, développées dans les deux dernières décennies. Celles-ci
donnent accès d’une part à des informations sur la structure
chimique des cellules et d’autre part à des informations
quantitatives. L’immunohistochimie permet de marquer les
protéines que l’on souhaite identifier grâce à des anticorps
spécifiques ; l’hybridation in situ met en évidence les acides
nucléiques, grâce à des sondes complémentaires marquées avec des
isotopes radioactifs ou bien avec des groupements chimiques
détectables. Par ailleurs, l’autoradiographie réceptorielle (qui
s’adresse à des tissus non fixés) utilise des ligands marqués
spécifiques des sites de liaison des récepteurs. Enfin, les techniques
stéréologiques permettent de compter le nombre de neurones
contenus dans une région cérébrale définie (ce qui implique que les
échantillons comprennent toute la zone en question, dont les limites
ne doivent pas présenter d’ambiguïté).
Le fait que le cerveau des patients est étudié après leur mort peut
avoir des conséquences. En effet, outre les hypothétiques signes de
la maladie, on peut aussi observer sur les coupes les effets propres
de l’hypoxie consécutive au décès (autolyse cellulaire), les effets d’un
éventuel processus dégénératif concomitant ou encore les
conséquences possibles d’une imprégnation neuroleptique
prolongée. Pour pallier ces inconvénients, il est indispensable de
disposer d’échantillons de tissu prélevés le plus tôt possible et de
tenir compte de l’histoire clinique des patients.
ÉTUDES CYTOARCHITECTURALES
L’anatomopathologie peut en premier lieu procurer des informations
sur les volumes corticaux et plus généralement sur les volumes
cérébraux. Ces volumes peuvent être modifiés par différents
processus histopathologiques, pouvant être irréversibles ou
réversibles. Une diminution de volume ne signifie pas
nécessairement qu’ilyaeuperte neuronale : pour le savoir, il faut
compter les cellules et tenir compte de leur taille
[14]
. Ensuite, on peut
observer l’architecture corticale, c’est-à-dire la composition cellulaire
du cortex et la disposition spatiale des cellules
[14]
. L’architecture du
cortex (ou substance grise) est essentiellement déterminée pendant
la période fœtale. Dans les régions les plus évoluées (frontale,
pariétale et occipitale) où on l’appelle isocortex homotypique, le
cortex compte six couches, comprises entre la pie-mère et la
substance blanche. On y trouve des neurones avec leurs
prolongements, des cellules gliales (dont les astrocytes) jouant le rôle
de tissu de soutien et des capillaires sanguins. Les plages de
substance grise situées entre les corps cellulaires neuronaux et gliaux
et les capillaires sont appelées neuropile. Celui-ci est constitué par
l’enchevêtrement des prolongements cytoplasmiques neuronaux
(axones et dendrites) et gliaux. On appelle gliose la prolifération des
astrocytes consécutive à une lésion cérébrale.
La couche 1 du cortex, située à sa surface, comprend peu de cellules,
la grande majorité des neurones étant de petite taille avec une
arborescence locale (restant à l’intérieur de la substance grise) ; ces
interneurones sont généralement inhibiteurs, à acide gamma-amino-
butyrique (GABA). Les couches 2 et 4, dites granulaires, sont peu
épaisses et denses en petits neurones pyramidaux, mais elles
comprennent aussi des neurones à GABA dans la proportion de 15
et 30 % respectivement. Les couches 3 et 5, les plus épaisses,
contiennent principalement de grands neurones pyramidaux, mais
aussi 15 à 30 % de neurones à GABA. Les neurones pyramidaux
reçoivent des afférences, principalement excitatrices, au niveau de
leurs 6 000 à 10 000 épines dendritiques, situées sur un long arbre
dendritique apical dirigé vers la surface corticale et sur de courtes
dendrites basales issues des parties latérales évasées de leur corps
cellulaire en « fer de lance » ; quelques épines dendritiques reçoivent
aussi des influx inhibiteurs, qui peuvent encore parvenir directement
sur la surface des dendrites, sur les corps cellulaires ou sur la partie
initiale des axones ; après avoir donné naissance à des collatéraux
intrinsèques dirigés verticalement ou horizontalement à l’intérieur
de la substance grise, ces axones projettent généralement à
l’extérieur de la région cérébrale où sont situés les corps cellulaires
dont ils sont issus ; les neurones pyramidaux utilisent comme
neurotransmetteurs des acides aminés excitateurs, tel le glutamate.
Dans la couche 6 (ou couche plexiforme), on trouve des neurones
pyramidaux prenant des formes atypiques, ainsi que des neurones à
GABA.
Cette organisation prend un caractère plus rudimentaire dans
certaines aires cérébrales : l’architecture prend ainsi l’aspect
d’isocortex hétérotypique, caractérisé par des couches moins
distinctes ou moins nombreuses, ou d’allocortex pour les zones les
plus primitives comme la formation hippocampique et la formation
rhinencéphalique. On observe alors une couche granulaire
superficielle et une couche profonde de cellules pyramidales. Le
mésocortex est une forme mixte caractérisée par la juxtaposition de
formations d’isocortex et d’allocortex. La stratification du cortex
détermine la nomenclature chiffrée des aires corticales définie par
Brodmann en 1909. L’architecture de chaque zone corticale dépend
des facteurs suivants : migration, croissance et différenciation
neuronale (sous le contrôle respectif des facteurs de croissance
intrinsèques et extrinsèques), développement des prolongements
neuronaux et des cellules gliales, mort cellulaire programmée, mort
cellulaire dans le cadre du vieillissement normal ou bien d’affections
intercurrentes.
37-285-A-18 Neuropathologie de la schizophrénie Psychiatrie
2