La poche de Miami : une dérivation urinaire continente

Progrès en Urologie (1996), 6, 217-225
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La poche de Miami : une dérivation urinaire continente fiable
après exentération pelvienne
Franck BLADOU (1), Gilles HOUVENAEGHEL (1), Dominique ROSSI (2), Gérard SERMENT (2),
Gérard GUERINEL (1), Jean-Robert DELPERO (1)
(1) Département de Chirurgie, Institut Paoli-Calmettes, Marseille, (2) Service d’Urologie, Hôpital Salvator, Marseille
RESUME
Buts : Décrire la technique et donner les résultats
obtenus avec une dérivation urinaire continente, la
poche de Miami, chez des patientes après exentéra-
tion pelvienne pour tumeur gynécologique avancée.
Méthodes : De janvier 93 à janvier 95, une poche de
Miami a été réalisée chez 12 patientes. Un réservoir
colique droit détubulé est réalisé à l’aide d’autosu-
tures à agrafes résorbables, les uretères sont réim-
plantés dans le réservoir avec un système anti-reflux
et le système de continence est réalisé en tubulisant
la dernière anse iléale et en utilisant la valvule de
Bauhin qui peut être renforcée si elle est incompé-
tente. Un suivi postopératoire régulier a été réalisé
(de 6 à 26 mois) avec contrôle des constantes biolo-
giques, urographie intraveineuse, opacification du
réservoir, et bilan urodynamique de la dérivation
continente.
sultats : ll ny a pas eu de complication chirurgica-
le liée à la dérivation urinaire. La continence urinaire
a été obtenue dans tous les cas et après traitement
médical de contractions péristaltiques résiduelles du
réservoir colique tubu chez 2 patientes. La pro-
tection du haut appareil urinaire reste satisfaisante
après 2 ans de surveillance, sans apparition de sténo-
se ou de reflux des anastomoses urétéro-coliques. La
contenance moyenne du réservoir colique était de
465,5 +/- 101 ml à 6 mois avec des pressions de re m-
plissage inférieures à 20 cm H2O.
Conclusion : La poche de Miami est une dérivation
u r i n a i re continente de alisation re l a t i v e m e n t
simple et fiable sur le plan de la continence et de la
protection du haut appareil.
Un recul post-opératoire plus important est néan-
moins souhaitable. La qualité de vie de patientes
jeunes après exentération pelvienne est améliorée
grâce à ce type de dérivation continente qui permet
d’éviter un collecteur à urine abdominal au prix
d’autosondages intermittents.
Mots clés : Dérivation urinaire, continence, exentération pel -
vienne, cancer gynécologique.
Progrès en Urologie (1996), 6, 217-225.
En cas d’impossibilité de remplacement vésical ortho-
topique, une dérivation urinaire cutanée est le plus sou-
vent proposée après cystectomie. L’urétérostomie cuta-
née transiléale type Bricker est la dérivation urinaire
actuellement la plus utilisée dans ces indications, rapi-
de à réaliser, avec des résultats satisfaisants à long
terme [2]. Néanmoins, cette technique entraîne le port
d’un collecteur à urine abdominal permanent avec les
désagréments liés à cet appareillage.
Actuellement, une dérivation urinaire cutanée conti-
nente est une option plus satisfaisante en terme de qua-
lité de vie et acceptabilité de la dérivation urinaire, tout
en permettant une protection du haut appareil urinaire
[12]. La dérivation idéale comporte un système de
réimplantation urétérale antireflux dans un réservoir
digestif compliant qui se remplit à basse pression, et
une stomie cutanée continente fiable. Cependant, de
telles dérivations continentes sont techniquement
longues et difficiles à réaliser par rapport aux dériva-
tions non continentes et donc réalisées par un nombre
restreint d’urologues.
L’exentération pelvienne est réalisée au cours du traite-
ment des tumeurs gynécologiques localement avancées
quand la radiothérapie est insuffisante ou non réalisable,
ainsi que lors des récidives pelviennes tumorales après
radiothérapie [5]. C’est une intervention dont la morbi-
dité est lourde, notamment du fait de l’importance de
l’exérèse chirurgicale, de lésions radiques pelviennes
qui mettent en danger les anastomoses digestives et uri-
naires lors de la reconstruction pelvienne après exérèse.
Des complications graves à type de fistule digestive
et/ou urinaire sont fréquentes [3]. Jusqu’à récemment,
une reconstruction pelvienne n’était réalisée que chez
un nombre limité de patients. Du fait de l’amélioration
des techniques de radiothérapie externe, de chirurgie
(utilisation de pinces automatiques) et d’une meilleure
prise en charge péri-opératoire de ces patients, des pro-
tocoles de reconstruction pelvienne sont réalisés afin
d’améliorer la qualité de vie de ces patients souvent
jeunes [10]. Dès que possible, une reconstruction pel-
vienne comprend une anastomose colo-anale après exé-
rèse rectosigmoïdienne, un remplacement vaginal après
Manuscrit reçu le 18 octobre 1995, accepté : novembre 1995.
Adresse pour correspondance : Dr.F.Bladou, Département de Chirurgie, Institut
Paoli-Calmettes, 231, Boulevard de Sainte-Marguerite, 13273 Marseille Cedex 9.
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colpectomie totale, et une dérivation urinaire continen-
te après pelvectomie antérieure ou totale.
Pendant de nombreuses années, nous avons réalisé de
manière systématique une dérivation urinaire cutae
trans-iale ou trans-colique non continente après exen-
ration pelvienne [3]. Nous rapportons ici notre expérien-
ce récente sur la confection de la poche de Miami après
exentération pelvienne avec un recul maximum de 2 ans.
PATIENTS ET METHODES
Patientes
De janvier 1993 à janvier 1995, une poche de Miami a
été réalisée chez 12 patientes sélectionnées après exen-
tération pelvienne pour cancer gynécologique avancé.
Les critères de sélection des patientes ont été:
1) L’âge jeune de la patiente,
2) le caractère potentiellement curatif de l’exentération,
3) la motivation de la patiente.
4) l’âge moyen de ces patientes était de 45,5 ± 12,8 ans.
La tumeur initiale était un cancer épidermoïde du col
utérin dans tous les cas. Une radiothérapie avec chi-
miothérapie sensibilisante préopératoire a été réalisée
chez 11 patientes sur 12, avec une dose pelvienne de 45
grays. Chez 7 patientes, l’exentération a été motivée
par une récidive tumorale pelvienne après traitement
initial (Tableau 1).
Méthodes
Les patientes ont été suivies régulièrement en postopé-
ratoire, avec contrôle de l’urée et créatinine sanguines,
Tableau 1. Indications et résultats urodynamiques et fonctionnels de la poche de Miami réalisée chez 12 patientes après exenté -
ration pelvienne.
Patient/Age Tumeur Irradiation Technique Capacité Continence UIV Reflux Suivi
initiale pelvienne 1chirurgicale du réservoir2urinaire(grade) (mois)
B./41 Cancer du col 45 Gy Pelv.antérieure 350 ml Bonne Normale Non 18
récidivé PMCGD
PM
S.J./48 Cancer du col Pelv. Totale 400 ml Bonne Normale Non 22
récidivé PM
P.P./40 Cancer du col 60 GY Pelv. antérieure 400 ml Fuites Normale Non 24
récidivé PM occasionnelles bromure de Prifinium
N.V./64 Cancer du col 45 Gy Pelv. antérieure 550 ml Fuites Normale Non 17
primitif PM occasionnelles bromure de Prifinium
DCD méta. cérébrale
M./26 Cancer du col 45 Gy Pelv. totale 600 ml Bonne Normale Non 26
récidivé PMCGD
PM
H./33 Cancer du col 45 Gy Pelv. totale 600 ml Bonne Normale Non 26
récidivé PMCGD
PM
L./39 Cancer du col 45 Gy Pelv. antérieure 400 ml Bonne Normale Non 13
primitif Hépatectomie
partielle
PM
K./59 Cancer du col 45 Gy Pelv. antérieure 650 ml Bonne Normale Non 11
primitif PM
V.B./65 Cancer du col 45 Gy Pelv. antérieure 500 ml Bonne Normale Non 6
récidivé PMCGD
PM
M.G./41 Cancer du col 45 Gy Pelv. antérieure 550 ml Bonne Normale Non 7
récidivé PIM
B.S./56 Cancer du col 45 Gy Pelv. totale, PIM - - - - DCD J8
primitif Colostomie continence choc septique
PMCGD
B.F./34 Cancer du col 45 Gy Pelv. antérieure 450 ml Bonne Normale Non 7
primitif PM
1. Radiothérapie préopératoire PM : Poche de Miami Pelv.Pelvectomie
2. Bilan urodynamique à 6 mois. PMCGD : Plastie myo-cutanée de Grand Droit
ionogramme sanguin et urinaire, urographie intravei-
neuse et opacification du réservoir à 1, 3, 6 mois puis
une fois par an. Un bilan urodynamique a été réalisé à
3, 6 et 12 mois après l’intervention puis une fois par an
Une manométrie du réservoir a été réalisée à l’aide
d’une sonde à trois voies (Porgès, France) de diamètre
12 CH, avec un remplissage de 50 ml/min. Un profil de
pression de l’anse continente à été réalisé en fin de rem-
plissage du réservoir, à l’aide d’un retrait motorisé de la
sonde à vitesse constante (5 mm/sec.).
Technique chirurgicale (Figure 1)
L’éxentération pelvienne est réalisée dans un premier
temps, associée à une cellulectomie pelvienne et rétro-
péritonéale (curages lymphatiques complets). Au cours
des pelvectomies totales, une anastomose colo-anale
est le premier temps de la reconstruction pelvienne, sui-
vie de la confection de la dérivation urinaire continen-
te, et enfin du remplacement vaginal.
Création du réservoir colique
La gouttière pariétocolique droite est incisée et le côlon
droit est mobilisé. Pour le prélèvement du greffon iléo-
colique, le colon droit est sectionné au niveau de l’angle
colique droit et l’iléon à 15-20 centimètres de la valvu-
le de Bauhin à l’aide de pinces mécaniques (GIA 30,
Merlin Med., France). Le greffon iléo-colique est vas-
cularisé par les vaisseaux coliques droits et iléo-bicae-
co-appendiculaires. Une appendicectomie est réalisée
systématiquement. Pour la remise en circuit de l’appa-
reil digestif, une anastomose iléo-transverse est réalisée
par agrafage mécanique trans-suturaire. Les lignes
d’agrafes des extrémités du greffon iléo-colique sont
excisées Le greffon est irrigué au sérum bétadiné dilué.
Le greffon colique est détubulé à 1’aide de pinces auto-
matiques à agrafes résorbables (PolyGIA, Merlin Med.,
France): le colon droit est replié sur lui-même en U le
long de la bandelette antimésentérique, une branche de
la pince PolyGIA est introduite par l’extrémité colique
supérieure et l’autre branche par un orifice créé au
niveau du bas-fond caecal.
L’agrafage-section entraîne une détubulisation par ana-
stomose latéro-latérale des jambages du greffon colique
en U. Un second chargeur de PolyGIA est nécessaire
pour compléter la détubulisation colique. Comme les
rangées d’agrafes non résorbables ne peuvent pas se
chevaucher, une application précise du second chargeur
d’agrafes est réalisée idéalement en éversant le réservoir
colique ce qui permet d’exposer la muqueuse colique et
la première rangée d’agrafes et d’avoir un contrôle
visuel de la position de la seconde rangée d’agrafes
(Figure 2). Les rangées d’agrafes sont inspectées et cau-
thérisées si nécessaire. L’étanchéité du réservoir est
complétée par des points résorbables de fil monobrin
(PDS,4/0) appliqués à la jonction des rangées d’agrafes.
Réimplantation urétérocolique
Une sonde urétérale est mise en place systématique-
ment dans chaque uretère en peropératoire et laissée en
place en moyenne 12 jours après l’intervention. Chez
les 6 premières patientes, une réimplantation urétérale
selon la technique de Camey-Le Duc [6] a été réalisée,
et une réimplantation urétérocolique latéroterminale
laissant 1,5 à 2 cm d’uretère libre dans le réservoir
colique [4] chez les 6 autres patientes (Figure 3). Dans
tous les cas, l’uretère gauche a été mobilisé dans la
fosse iliaque droite en sous-mésocolique gauche. Trois
à quatre points de PDS 4/0 sont placés entre la séreuse
colique et urétérale pour compléter l’étanchéité de
l’anastomose urétérocolique.
Drainage du réservoir colique et contrôle de l’étan -
chéité
Après réimplantation urétérale, les sondes urétérales
sont extériorisées en trans-caeco-pariétal. Une sonde
de Foley Charrière 24 (Porgès, France) est utilisée
comme caecostomie de drainage et extériorisée en
trans-caeco-pariétal direct dans la fosse iliaque droite,
le ballonnet de la sonde étant gonflé à 10 ml dans le
réservoir. Le réservoir colique est fermé par 2 hémi-
surjets de PDS 4/0. Une sonde de Foley Charrière 14
est introduite dans le réservoir à travers la dernière anse
iléale et la valvule de Bauhin. Un remplissage du réser-
voir par cette sonde (300 à 350 ml de sérum physiolo-
gique) permet d’apprécier l’étanchéité du réservoir.
Après remplissage du réservoir et contrôle de l’étan-
chéité, la sonde est retirée et une pression manuelle sur
le réservoir apprécie la continence de la valvule de
Bauhin: une augmentation progressive de la pression à
l’intérieur du réservoir ne doit pas entraîner de fuite
liquide par la dernière anse iléale en cas de valvule de
Bauhin compétente.
Création du système de continence
Après remise en place de la sonde de Foley Ch 14 dans
le réservoir à travers la dernière anse iléale, un calibra-
ge de l’iléon est réalisé par application de 2 chargeurs
successifs de pince mécanique GIA 90 comme précé-
demment décrit [10] (Figure 4). En cas de valvule de
Bauhin incompétente, un renforcement de la valve iléo-
caecale est réalisé à l’aide de 3 surjets circonférentiels
musculoséreux de fil monobrin non résorbable (Ethicrin
3/0, Ethicon) (Figure 5). L’anse iléale calibrée est pas-
sée directement à travers la paroi abdominale et une
iléostomie est réalisée en fosse iliaque droite.
Surveillance et soins post-opératoires
Une irrigation du réservoir est réalisée toutes les 3
heures pour évacuer les sécrétions souvent abondantes
de mucus pendant les 15 premiers jours post-opéra-
toires. Les sondes urétérales et la sonde de Foley Ch24
sont enlevées respectivement au douzième et quinziè-
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Figure 1. Description schématique de la technique opératoire de la poche de Miami.
A : le greffon digestif utilisé comprend la totalité du côlon droit et les 15 derniers centimètres d’iléon. Le
greffon est pédiculisé sur l’artère colique droite et l’artère bi-caeco-appendiculaire.
B : le greffon colique est replié en U sur la bandelette caecale et détubulisé à l’aide de pinces à autosutures
à agrafes résorbables.
C : une éversion complète du greffon colique partiellement détubulisé est nécessaire à une bonne applica -
tion de la seconde pince automatique afin de compléter la détubulisation.
D : la poche de Miami terminée : après une réimplantation urétéro-colique bilatérale et un calibrage de la
dernière anse iléale à la pince GIA à agrafes non résorbables sur une sonde tutrice de Foley CH 14 un ren -
forcement de la valvule de Bauhin est réalisé à l’aide de 3 surjets circonférentiels de fil non résorbable. Une
sonde de Foley CH 24 est extériorisée en transcaecopariétal pour le drainage du réservoir colique. Deux
sondes d’entéro-urétérostomie (non représentées sur le schéma) sont extériorisées en transcaecopariétal.
Figure 2. Création du réservoir colique à l’aide de pinces à
autosutures à agrafes résorbables. Après l’application d’une
première rangée d’agrafes, une seconde pince PolyGIA est
appliquée idéalement en effectuant une éversion du réservoir
colique afin d’exposer la muqueuse colique et la première
rangée d’agrafes. Cette manoeuvre permet d’éviter un che -
vauchement des 2 lignées d’agrafes nécessaires pour une
détubulisation complète du côlon droit.
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Figure 3. Réimplantation urétérale directe dans le réservoir
colique en laissant 1,5 à 2 cm d’uretère libre dans le réservoir.
Figure 4. Le calibrage de la dernière anse iléale sur une sonde
de Foley CH 14 est réalisé à la pince mécanique GIA 90. Une
dernière application de pince GIA 30 est réalisée en fin de cali -
brage à proximité de la valvule iléo-caecale.
Légende : Rc : réservoir colique, A : anse iléale calibrée, E :
excédent d’iléon réséqué.
Figure 5. Renforcement de la valvule iléo-caecale par 3 surjets
circonférentiels de monofil non résorbable en cas de valvule
incompétente.
Figure 6. Manométrie d’un réservoir colique montrant sur la
courbe du haut des contractions péristaltiques persistantes
malgré la détubulisation colique et à l’origine de fuite uri -
naires intermittentes par hyperpression. Sur la courbe du bas,
le même réservoir après injection IV de prifinium, montrant la
disparition des contractions péristaltiques (examen réalisé 6
mois après confection de la poche de Miami).
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