La Chine en crise : les leçons d`une économie au ralenti

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La Chine en crise : les leçons d'une économie au ralenti
Après une période de croissance effrénée incroyablement longue, l'économie chinoise a amorcé son
ralentissement, mais si la phase de croissance a été caractérisée par une stabilité remarquable, la
phase de ralentissement, comme la crise actuelle semble l'indiquer, sera sans doute bien plus
turbulente. Il est en effet bien plus facile de gérer une économie qui va bien, qu'une économie qui
stagne. Plus le rythme est ralenti et plus les risques qui compromettent l'équilibre augmentent. La
grande question est donc de savoir si les Chinois ont effectivement fait leurs devoirs pour bien gérer
le ralentissement de leur économie. Sont-ils prêts ?
Figure 1PIB de la Chine en proportion au PIB mondial, 1992-2012. Source: USFunds.com.
Un ralentissement anticipé
Le ralentissement économique chinois n'a rien d'une surprise ; il était attendu, annoncé depuis
longtemps. En fait, c'est la durée de la phase de croissance qui a été exceptionnelle, voire sans
précédent, s'étalant sur près de trente années, à un rythme galopant oscillant autour de dix pour cent
par an, défiant toutes les prédictions de récession, permettant à des millions de personnes de sortir
du seuil de pauvreté mais aussi de se sortir d'un système arriéré. Un exploit, soulignons-le, unique
dans l'histoire économique du monde! Tout en vivant un tel prodige, les Chinois ont eu bien
suffisamment de temps pour se préparer à un ralentissement de leur régime de croissance, d'autant
plus qu'ils ne sont pas du genre à laisser leur avenir se décider par le jeu du hasard ou celui des flux
et reflux des marchés. La Chine a sûrement concocté un plan A, un plan B et bien d'autres, élaborant
des scénarios alternatifs de ralentissement de la croissance et de son lot d'incertitudes
concomitantes. Et comme d’habitude, la Chine est peu encline à nous laisser percer sa propre lecture
du futur, sans parler de ses stratégies pour l'anticiper. Cependant, nous pouvons avoir une petite idée
de cette stratégie chinoise sous-jacente au regard d'un faisceau d'actions récentes, notamment
quand la Chine a dû faire face aux récentes intempéries sur ses marchés.
La stratégie de la Chine
Au regard de tous les derniers développements de la crise actuelle, il est difficilement concevable que
les Chinois aient été pris au dépourvu. Tout laisse à penser, au contraire, que les choses se sont plus
ou moins passées comme ils l'avaient prévu. La Chine a disposé de tout le temps utile pour permettre
au yuan d’être librement échangeable sur les marchés : pourquoi un pays qui a résisté pendant si
longtemps à toutes les tentations malgré des paramètres économiques soi-disant sains et des tonnes
de « bons » conseils, voire des pressions internationales, choisirait-il d'ouvrir maintenant sa monnaie
en cette période de crise, sachant pertinemment que les réactions du marché pourraient être
relativement brutales ? Les aspects négatifs dans le scénario mondial, comme la plupart des
observateurs s'y attendent, auraient dus les rendre hostiles à un système de taux de changes ouvert.
La décision de laisser flotter le yuan et de le laisser se déprécier n'est pas une réponse réflexe; il faut
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plutôt considérer cette décision comme un virage politique majeur amorcé pour répondre
spécifiquement à la récession mondiale et au-delà.
La Chine, comme le monde le sait trop bien, est un phénoménal épargnant et accumulateur. Elle
épargne et accumule près de la moitié de son produit intérieur brut. De toute évidence, le flux sans
cesse croissant du rendement du volume accumulé de capitaux ne peut être absorbé par le marché
intérieur. Le mécanisme d'accumulation chinois est dépendant et orienté vers les marchés mondiaux,
mais la production mondiale ainsi que les échanges commerciaux se sont récemment
considérablement ralentis et le syndrome du ralentissement de la croissance est susceptible de se
poursuivre pendant un certain temps, selon toute probabilité. Afin de maintenir la dynamique de la
croissance, la Chine devrait alors essayer d'augmenter en permanence sa part du marché mondial,
principalement dans les domaines où elle détient un avantage comparatif établi : le commerce des
marchandises, notamment des produits manufacturés. Sur le marché des produits manufacturés, le
succès de la Chine est indéniable, comme le montre sa progression sur la chaîne de valeur, évoluant
de produits de bas de gamme vers des produits à haute valeur ajoutée, tout en se positionnant sur
des produits nouveaux et à venir. Toutefois, les enjeux de la Chine sont considérables, même
aujourd'hui dans le segment de marché des produits à faible valeur ajoutée, où en toute logique la
concurrence coûts/prix est très forte.
Internationalisation progressive du yuan
Inutile de dire que le flottement et la dépréciation du yuan serait d'un grand secours à la Chine pour
résister à la concurrence montante, du moins à court terme. C'est particulièrement important quand
on compare l'appréciation réelle de la monnaie chinoise vis-à-vis de ses concurrents au cours des
dernières années1. La réaction de pays tels que l'Inde, mettant en garde contre un possible
déclenchement d'une course à la dévaluation, souligne l'importance de cette concurrence2. Il est
intéressant de noter qu'en la matière, la Chine ne peut pas être accusée de dévaluation délibérée, la
chute du yuan s'étant passée sous les auspices d'un marché ouvert à la concurrence. Cela étant, il
serait déraisonnable pour la Chine de supposer que ses concurrents lui permettent de dévaluer
encore plus le yuan par rapport à leurs propres monnaies. Cela est vrai même pour des pays
développés, y compris les États-Unis. La dernière décision de la Fed de ne pas augmenter les taux
d'intérêt en est la preuve : si elle relève les taux d'intérêt, il est à craindre que l'appréciation
subséquente du dollar puisse nuire à la « reprise » des États-Unis. La question n'est donc pas la
dépréciation du yuan, mais sa force et sa probable stabilité à long terme, la garantie pour ce qui n’est
rien d'autre que la position de force de la Chine sur le marché mondial des produits manufacturés ;
les concurrents de la Chine forment un rempart contre une chute libre du yuan3. Le plan pour l'avenir
de la Chine n'est donc certainement pas fondé sur une monnaie nationale faible et dépréciée, sujette
à des attaques spéculatives, mais sur un yuan fort et stable. Pour notre équipe, c'est le scénario le
plus probable, mais aussi parce que, par rapport à beaucoup d'autres économies émergentes, la
Chine est moins exposée aux investisseurs institutionnels étrangers (FII). Il est clair que dans ses
plans pour l'avenir, la Chine considère le yuan comme l'une des monnaies clés de réserve mondiale.
1 Source: ‘The Devaluation of the Yuan’, People’s Democracy, 23/08/2015.
2 Beaucoup de leaders politiques indiens ont rejoint leurs partenaires des autres pays, y compris des
États-Unis, pour critiquer la Chine et la mettre en garde contre une possible guerre des monnaies
3 La Chine est la plus grande puissance commerciale au monde. “La Chine est aujourd'hui le plus grand
partenaire commercial de plus de 120 pays et régions et devenue l'une des forces motrices de l'économie
mondiale”, OMC, Trade Policy Review: Report by China, 27 May 2014. Inutile d’ajouter que la valeur de la
devise chinoise sera le sujet de préoccupation de tous ses partenaires commerciaux.
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En d'autres termes, nous observons ici à la mise en œuvre d'un plan subtil pour une
internationalisation du yuan4.
Rôle mondial
Un pays doté d'une monnaie forte et stable cherchant à lui obtenir le statut de monnaie de réserve
devra en payer le prix. Comme nous l'avons déjà indiqué, la Chine doit se préparer à voir d'autres
pays émergents concurrents prendre sa place sur le marché des produits bas de gamme, là où les
parts de marché sont arrachées à coups de réductions des coûts de productions et des prix. Comme
le démontre l'histoire récente de la Chine elle-même, la politique de taux de change joue un rôle
majeur dans de telles conditions de marché. Mais la sous-évaluation de la monnaie ne peut pas être
une stratégie pour asseoir la réputation d’un pays qui veut jouer un plus grand rôle sur la scène
mondiale. La Chine peut essayer de compenser la perte des parts de marché des produits bas de
gamme en passant sur des produits et des services de pointe, de haute technologie et de forte valeur
ajoutée. Que la Chine ait opté pour ce plan ressort clairement du changement de la nature de ses
échanges commerciaux. Comme le montre le tableau ci-dessous, les économies asiatiques ont
augmenté leur participation aux chaînes de valeur mondiales (CVM) entre 2000 et 2009, mesurées
en termes de proportion d’apport étranger dans les exportations du pays. Fait intéressant, la Chine a
également augmenté les échanges au sein des chaînes de valeur mondiales, mais principalement en
raison de l'activité des zones franches d'exportation qui importent des intrants intermédiaires
nécessaires à la production de produits finis destinés à l'exportation. De toute évidence la Chine
progresse dans les chaînes de valeur mondiales, sans parler d'une autre évolution, celle de « gagner
grâce à la qualité »5. Cependant, l'effort de la Chine à redéfinir son rôle dans la division internationale
du travail ne se fera ni de façon harmonieuse, ni de façon rapide. Si ce projet devait réussir, les
producteurs chinois devront s'attaquer aux sociétés multinationales des pays industrialisés, sur les
marchés de niche, très souvent protégés par des normes comme par des droits de propriété
intellectuelle. Le ralentissement manifeste de la croissance des principaux marchés dans les pays
développés et en voie de développement est une autre raison importante de présumer une
progression plus lente.
Évolution de la participation aux CVM et ses composantes:
Pour les Économies asiatiques 2000-09
(pourcentage de l'augmentation des exportations brutes)
Sl.
No
Country
DOMESTIC INPUTS USED IN
THIRD-COUNTRY EXPORTS
FOREIGN INPUTS CONTAINED
IN EXPORTS
1
Chinese Taipei
16.6
6.2
2
China
-0.3
13.8
3
Rep. of Korea
5.3
7.7
4
Japan
6.9
4.9
5
India
1.3
9.1
6
Hong Kong.
China
9.4
-4.1
7
Thailand
4
-0.3
8
Vietnam
-3.3
7.1
9
Philippines
11
-7.5
Source: OMC, International Trade Statistics 2014
4 Source: ‘The Internationalization of the Renminbi and the Rise of a Multipolar Currency System’,
ECIPE, 01/2014. Voir aussi pour un point de vue différent: ‘How far can Renminbi Internationalization Go?’,
ADBI, 02/2014.
5 Le slogan « win by good quality » et la politique d’amélioration de la qualité des biens exportés est une
indication du changement de stratégie de la Chine. Source: OMC (cf. note 3).
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Cependant, une autre difficulté à laquelle la Chine doit faire face sur le marché international c'est la
prolifération des accords commerciaux préférentiels (ACP) dans différentes parties du monde, en
particulier entre les pays industrialisés, desquels elle ne fait pas partie. La stratégie chinoise à cet
égard est d'intégrer autant d'accords que possible, mais ce qui compte sans doute encore davantage
c'est la quantité de programmes de développement infrastructurel que la Chine a lancés pour
conquérir les marchés jusque-là interdits ou non exploités. Ces méga-programmes (comme les routes
de la soie terrestre et maritime) ne serviront pas seulement à approvisionner les marchés, mais aussi
à ouvrir de nouvelles perspectives d'investissements dont les capitaux chinois, à la recherche des
meilleurs plans d'investissements comme tous les autres capitaux dans le monde après la crise
globale, ont tant besoin. Mais ces programmes de développement infrastructurel sont un autre
indicateur de changement de la politique chinoise : en effet, par le passé et malgré des rendements
très faibles, la Chine réinvestissait l’excédent des revenus en devises étrangères dans des actifs
occidentaux. Ces programmes, tout comme les institutions multilatérales de financement, la Banque
asiatique d'investissement pour les infrastructures (AIIB) et la Banque BRICS, qui ont été mis en
place sous l'impulsion de la Chine, leur permettra de diversifier et équilibrer leur portefeuille. De plus,
les décideurs politiques chinois doivent penser que la stabilité relative de leur économie et de leur
monnaie pourrait également attirer des investisseurs d'autres pays dans ces méga-programmes de
développement infrastructurel. Plutôt que de placer son argent dans des actifs occidentaux à des taux
de rendement très faibles, la Chine se prépare maintenant à utiliser son excédent pour ce qui peut
être appelé des méga-projets sino-centrés. Si tout va bien, de nombreuses banques centrales et
d'autres organismes de ce style pourraient également risquer de laisser en compte une partie de
leurs réserves en devise chinoise6.
Marché intérieur
Les planificateurs chinois ne semblent pas se faire de grandes illusions sur la croissance des
marchés mondiaux, et se consacrent davantage à stimuler la demande interne. L’énorme plan de
relance économique anticyclique introduit dans le sillage de la crise financière mondiale répondait à
cette volonté de stimuler la demande intérieure, mais un autre processus de rectification plus durable
a été initié par le Parti communiste chinois visant à faire le point sur les inégalités croissantes dans le
pays. L'une des conséquences a été de permettre une augmentation substantielle des salaires réels,
un contraste frappant avec la longue stagnation des salaires réels en Occident7. Normalement, une
amélioration de la répartition des revenus devrait s'accompagner d'une progression des dépenses de
consommation (au détriment de l’épargne des ménages) et, partant de là, accroître la demande pour
les biens de consommation. Le renversement conséquent de la balance entre consommation privée
et investissement serait d'un grand secours pour permettre de surmonter des périodes de
ralentissement de la croissance. Incontestablement, et comme le montre le résultat du programme de
stimulation chinois, l'avantage de ces politiques visant à cultiver la demande intérieure se répercutera
sur l'extérieur, au moins en partie. Mais, s’il est vrai que la mondialisation rend même les marchés
« intérieurs » intensément concurrentiels, en raison des coûts de transport et de divers autres
paramètres, les producteurs nationaux gardent un avantage certain sur le marché domestique.
Les périodes de croissance lente donnent lieu à des crises de confiance fréquentes de la part des
investisseurs et en conséquence à des réactions de panique dans le monde économique, mais l'État
6 Source: ECIPE (cf. note 4).
7 Contrairement aux pays occidentaux, le gouvernement chinois accroit ses efforts pour augmenter le
pouvoir d'achat des familles qui se traduit par une amélioration économique générale des salaires minimums,
l'élargissement des programmes de retraites, l'expansion des programmes sociaux, la promotion d'actions en
matière de logement pour les plus pauvres, intensification des dépenses gouvernementales dans les zones
rurales et l'agriculture, etc. Le résultat est que les dépenses de consommation sont devenues la première source
de la croissance économique en Chine. Selon les derniers rapports de l'OMC sur la Chine, alors que les
dépenses de consommation finales contribuaient respectivement à 55% et 50% pour les années 2012 et 2013, la
part des exportations était négative sur ces deux années (- 2,1% et 4,4%).
5
chinois semble profiter d'un certain avantage par rapport à ses homologues occidentaux, puisqu'il
exerce le contrôle sur une partie importante de ses agents économiques tels que les gouvernements
provinciaux, les banques publiques et les entreprises gérées par l'État. L'intervention de l'État pour
stimuler la demande intérieure, améliorer les salaires et la répartition des revenus que nous avons
évoqués plus haut, est un bon exemple pour illustrer cet avantage dont bénéficie la Chine. Ces
réformes visant à améliorer la répartition des revenus et de stimuler la demande intérieure ont été
largement utilisées dans le monde occidental jusque dans les années 1980; le pouvoir exerpar la
finance et les marchés fait que de telles mesures sont impossibles à mettre en œuvre aujourd'hui.
Rien que l'information d'une possible intervention de ltat suffit à envoyer des messages erronés aux
marchés, devenus hyper-sensibles aux politiques gouvernementales. À l'ère de la finance et des
marchés, l'État a perdu son peu d'autonomie dont il avait dans le passé efficacement fait usage par
différents gouvernements pour gérer des situations de crise8. La différence avec la Chine est que
l'État conserve son autonomie vis-à-vis des acteurs privés sur le marché, ce qui sera un atout majeur
pour la Chine dans le ralentissement de son économie.
Néanmoins, on ne sait pas quel est le degré d'immunité de l'économie chinoise face aux crises de
confiance et aux paniques du marché. Si les développements récents, comme la crise des marchés
boursiers, peuvent donner une indication, malgré l'avantage que procure à l'État le fait qu'il contrôle
une partie importante de ses agents économiques, il n'en est pas moins vulnérable9. Rien ne garantit
que les organismes contrôlés par l'État continueront à travailler sur la base des fondamentaux
économiques et à lutter contre l'instinct moutonnier des marchés. En outre, comme l'a démontré la
crise boursière, les agents privés ont acquis une maîtrise considérable sur les ressources de telle
sorte qu'ils ne sont pas facilement contrôlables par l'État malgré tous ses efforts; inutile de préciser
que c'est l'État chinois lui-me qui a créé cette vulnérabilité. Les bulles immobilières tout comme
celles des marchés boursiers ont été alimentées par l'État en injectant de l'argent, libéralisant le crédit
et usant de la propagande libérale. Ces politiques qui ont été conduites précédemment pour soutenir
la croissance ne sont pas facilement inversibles.
Figure 2Shanghai Composite Index, Octobre 2013-Octobre 2015. Source: zonebourse.com.
8 Sources: ‘Inequality in Our Age’, Political Economy Research Institute, 01/2012; et note 1.
9 Source: ‘Taking Stock in China’, Frontline, 07/08/2015.
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