curriculum Les erreurs innées du métabolisme: un nouveau défi pour la médecine adulte Luisa Bonaféa, Bernard Peletb, Olivier Boulatc, Andrea Superti-Furgad Quintessence P Les erreurs innées du métabolisme (EIM) existent chez l’adulte. Actuellement, 1⁄3 des patients sont des adultes. Dans un proche avenir et grâce à l’amélioration des soins dans ce domaine, le nombre de ces patients adultes dépassera celui des patients pédiatriques. P Le diagnostic et le suivi de ces patients sont possibles si l’on dispose de spécialistes formés et d’un laboratoire spécialisé, usuellement situés dans des centres universitaires. P Ces maladies sont parfois traitables par des approches biochimiques et moléculaires spécifiques, souvent avec un bon pronostic à long terme. On a assisté ces dernières années à un fort développement des thérapies moléculaires ciblées. Du fait de leur coût élevé, celles-ci posent malheureusement des problèmes majeurs aux systèmes de santé. P La création de consultations spécialisées pour les adultes atteints d’EIM est incontournable, d’une part pour assurer la transition de la prise en charge des patients qui ne sont plus pédiatriques, d’autre part pour faciliter le diagnostic des EIM moins sévères qui ne se manifestent qu’à l’âge l’adulte. Introduction Luisa Bonafé Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis. Les erreurs innées du métabolisme (EIM) sont des maladies génétiques caractérisées par la dysfonction d’une enzyme ou d’une protéine impliquée dans le métabolisme cellulaire. Elles constituent environ un tiers des maladies génétiques d’étiologie connue [1] et peuvent toucher tous les organes. Plus de 400 maladies différentes sont connues qui ont chez l’enfant une incidence globale entre 1:2000 [2] et 1:4000 [3]. Les premiers symptômes se manifestent le plus souvent dans l’enfance, mais peuvent aussi n’apparaître qu’à l’adolescence ou à l’âge adulte [4]. La prévalence de ces maladies chez l’adulte est inconnue en raison du manque de suivi systématique des patients à long terme ainsi que du manque de diagnostic établi, lors de tableaux cliniques atypiques des déficits enzymatiques partiels, fréquents chez l’adulte [5]. Des stratégies thérapeutiques spécifiques permettent de traiter certaines EIM [4, 5]: – Par diminution d’un composé toxique que ce soit par une diète spéciale (régime pauvre en phénylalanine dans la phénylcétonurie) ou par la prescription d’un médicament piégeant le composé toxique (benzoate de sodium dans l’hyperammoniémie; agent chélateur dans la maladie de Wilson). – Par substitution d’un composé déficient (serine, tyrosine, coenzyme Q10, neurotransmetteurs). – Par inhibition de la synthèse d’un composé toxique en amont de son accumulation (nitisinone dans la tyrosinémie de type 1, miglustat dans la maladie de Gaucher). – Par remplacement de l’enzyme déficiente soit par administration intraveineuse de la protéine enzymatique (maladies lysosomales) soit par transplantation d’organe (glycogénoses hépatiques, déficits du cycle de l’urée, leucinose) ou de cellules souches/ moelle osseuse (mucopolysaccharidoses, adrenoleucodystrophie). – Par stimulation d’une activité enzymatique résiduelle ou stabilisation d’une protéine enzymatique par un cofacteur ou une molécule chaperone (par ex. tetrahydrobiopterine dans la phénylcétonurie). Les erreurs innées du métabolisme (EIM): une spécialité pédiatrique? Les EIM sont considérées comme étant une spécialité pédiatrique car une partie de ces maladies se présente soit de façon aiguë chez le nouveau-né soit comme troubles de croissance ou retard de développement chez l’enfant. Le dépistage néonatal, récemment élargi à un plus grand nombre de maladies métaboliques (grâce aux nouvelles technologies analytiques telle la spectrométrie de masse en tandem), a stimulé le développement de centres pédiatriques spécialisés [6]. C’est dans ce contexte pédiatrique que s’est développée l’expérience des médecins, des nutritionnistes et des laboratoires spécialisés, nécessaire au suivi spécifique de ces patients. La médecine «métabolique» pédiatrique commence à être reconnue comme spécialité, avec l’établissement en Europe de centres universitaires spécifiques accrédités pour la formation de spécialistes. La formation des médecins de l’adulte dans ce domaine débute avec le développement de services spécialisés EIM pour les adultes. Division de Pédiatrie Moléculaire, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois, Lausanne b Pédiatre praticien, Lausanne c Laboratoire de Chimie Clinique, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois, Lausanne d Département Médico-Chirurgical de Pédiatrie, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois, Lausanne a Forum Med Suisse 2011;11(36):607–612 607 curriculum Pourquoi faut-il s’occuper des adultes présentant une EIM? L’augmentation du nombre des patients adultes présentant une EIM est un phénomène relativement récent, dû aux progrès thérapeutiques qui ont conduit à une nette diminution de la mortalité des enfants atteints, ainsi qu’à une amélioration générale du pronostic fonctionnel de ces patients [4]. L’élargissement des possibilités diagnostiques des EIM, particulièrement dans les programmes de dépistage néonatal, a conduit, dans plusieurs pays, à une nette augmentation du nombre de patients diagnostiqués en phase pré-symptomatique. Le tableau 1 p montre les EIM les plus fréquemment présentes chez les patients adultes. Actuellement, environ 1⁄3 des patients atteints d’EIM est un adulte ou un adolescent, et dans 5 à 10 ans, le nombre de patients adultes dépassera celui des patients pédiatriques. La plupart de ces patients adultes n’ont pas de handicap majeur. Ils nécessitent cependant un suivi médical et diététique spécialisé. Le défi actuel est donc, tout en assurant une prise en charge adaptée à l’adulte, de faire face à ces nombreux patients qui présentent fréquemment des déficits biochimiques divers, chacun avec ses spécificités [7]. Quelles sont les problématiques des patients atteints d’EIM? On peut distinguer trois groupes de patients: Patients présentant un risque vital majeur à l’arrêt de leur thérapie diététique Les patients de ce groupe (déficits du cycle de l’urée avec risque d’hyperammoniémie par ex.) ont besoin d’une prise en charge sur le long terme, habituellement en ambulatoire, pour le suivi de leur diète spéciale et de leur état nutritionnel et métabolique (contrôle de paramètres biochimiques spécifiques comme les acides aminés ou les acides organiques). Cependant, Dans 5 à 10 ans, le nombre de patients adultes dépassera ces patients sont toucelui des patients pédiatriques jours à risque d’épisodes de décompensation (catabolisme, acidose, insuffisance d’organe aiguë) pendant lesquels une prise en charge hospitalière en urgence sera nécessaire. Les épisodes de décompensation sont fréquents chez l’enfant, notamment lors d’infections intercurrentes. Chez l’adulte, les situations particulières durant lesquelles ces patients sont à haut risque de coma et de décès (en absence d’un traitement rapide et spécifique) sont par ex. le post-partum, le jeûne forcé et prolongé (opération chirurgicale, accident), les situations de stress physique important (infection, autre maladie d’organe, accident). Le cas de la vignette 1 est un exemple emblématique de ce groupe. La prise en charge ambulatoire ou hospitalisée de ces patients dépend d’un centre spécialisé, où, en plus de compétences médicales avérées, il faut pouvoir comp- ter à la fois sur les services d’un laboratoire spécialisé mesurant les paramètres spécifiques des EIM et sur ceux de diététiciennes formées à ces régimes très particuliers. Patients atteints de maladies d’évolution plutôt chronique Un deuxième groupe est celui des patients atteints de maladies d’évolution plutôt chronique, qui ont besoin d’un traitement (diététique ou non) personnalisé, dans le but soit de prévenir ou soigner des complications, soit d’être pris en charge dans des moments spécifiques de leur vie (transitions scolaires et professionnelles, grossesse, etc.) [7]. Un suivi multidisciplinaire est nécessaire pour ces patients, comme pour tout malade chronique. Les adultes phénylcétonuriques sont les plus nombreux de ce groupe: ces patients n’ont pas d’atteinte d’organe ni de handicap physique, mais doivent suivre un régime très contraignant pauvre en toute sorte de protéines naturelles. Leur état de santé est excellent grâce au traitement précoce, mais leur adaptation professionnelle et sociale est souvent problématique en raison des difficultés de compliance au régime et des symptômes neuropsychiatriques qui en découlent (déficit de concentration et de mémoire, dépression, agressivité, tremor). De plus, les femmes phénylcétonuriques doivent être prises en charge très strictement avant et pendant leurs grossesses, afin de prévenir les conséquences sévères d’une hyperphénylalaninémie maternelle sur le développement du fœtus (malformations cardiaques, retard mental sévère). Dans ce groupe de patients chroniques, plusieurs malades ont aujourd’hui une qualité de vie acceptable grâce aux nouvelles thérapies (par ex. les maladies lysosomales traitées par enzyme substitutive). Il y a quelques années, ces malades décédaient précocement ou étaient perdus de vue lors de leur suivi, avec différents degrés de polymorbidité. L’histoire naturelle de ces adultes est encore peu connue en raison du manque de suivi spécialisé jusqu’à présent et de l’évolution récente et rapide de ces thérapies. Patients qui ne deviennent symptomatiques qu’à l’âge de jeune adulte Un troisième groupe de patients est constitué par des individus atteints d’EIM, qui ne deviennent symptomatiques qu’à l’âge de jeune adulte et dont la prise en charge nécessite des spécialistes aptes à suspecter ces maladies, à en effectuer et interpréter un bilan diagnostic approprié, et qui soient formés pour en assurer le traitement et le suivi. Le tableau 2 p montre les groupes d’EIM pouvant se manifester à l’âge adulte et les exemples les plus emblématiques. Le diagnostic moléculaire des EIM a permis de mettre en évidence, pour presque toutes ces maladies, un spectre phénotypique large en lien avec des mutations de sévérité différente. Il existe donc toujours des formes frustes ou «late-onset» qui ont présenté peu ou pas de symptômes durant l’enfance. La prévalence de ces formes d’EIM n’est pas connue précisément, car elles sont probablement sous-diagnostiquées. Un exemple emblématique est celui de femmes présentant un déficit Forum Med Suisse 2011;11(36):607–612 608 curriculum Tableau 1. Les EIM les plus fréquemment présentes chez les patients adultes. EIM diagnostiqués dans l’enfance, avec survie significative à l’âge l’adulte Proportion estimée* des patients adultes (%) Phénylcétonurie 40 Maladies lysosomales (maladie de Gaucher) 10 Galactosémie 10 Déficit de la bêta-oxydation des acides gras 5 Glycogénoses 5 Homocystinurie 5 Déficits du cycle de l’urée 4 Aciduries organiques 4 Leucinose (MSUD) 2 Maladies mitochondriales 3 Maladies peroxysomales 2 Autres 10 * Estimation basée sur les données présentées au workshop sur les EIM adultes (Fulda 2002) ainsi que sur les statistiques lausannoises. Tableau 2. Les groupes d’EIM pouvant se manifester à l’âge adulte et les exemples les plus emblématiques. EIM pouvant se manifester à l’âge adulte Exemples Symptômes principaux Déficits du cycle de l’urée Déficit en OTC (ornithine transcarbamylase) chez la femme hétérozygote Troubles fluctuants de l’état de conscience, nausée, aversion pour les protéines Déficit de la bêta-oxydation des acides gras Déficit en MCAD (medium-chain acyl-CoA déshydrogénage) Intolérance au jeûne prolongé, malaises hypoglycémiques, possibles décompensations aiguës avec rhabdomyolyse et troubles du rythme Hyperhomocystéinémies Déficit en MTHFR (méthyltetrahydrofolate reductase), déficit en CBS (cobalaminebêta-synthase) B6 responsif Thromboses veineuses, accidents vasculaires cérébrales, possible épilepsie; morphotype marfanoïde Glycogénoses Glycogénoses musculaires et cardiaques Intolérance à l’effort, cardiomyopathie, faiblesse musculaire Maladies lysosomales Maladie de Fabry Insuffisance rénale, douleurs neuropathiques, cardiomyopathie, accidents vasculaires cérébraux, angiokératomes, etc. Maladies mitochondriales MELAS, Kearns-Sayre «Metabolic stroke» récurrents, ptose, faiblesse musculaire, démyelinisation Maladies peroxysomales Adrenoleucodystrophie X-linked Ralentissement psychomoteur, signes pyramidaux, épilepsie, cécité corticale, possible insuffisance surrénalienne Autres Porphyries aiguës, maladie Symptômes neurologiques de Wilson, déficit en GLUT1, et/ou hépatiques divers, selon l’affection etc. en ornithine transcarbamylase, une enzyme du cycle de l’urée codifiée par un gène sur le chromosome X (voir aussi le cas de la vignette 2). Typiquement, les femmes hétérozygotes peuvent rester asymptomatiques durant plusieurs années et ne devenir symptomatiques (coma hyperammoniémique) que lors d’un état catabolique important (comme lors d’un post-partum). Un deuxième exemple est celui de personnes atteintes de déficit en MCAD, le trouble le plus fréquent de la béta-oxydation des acides gras, et qui sont également souvent asymptomatiques pendant une longue période; une infection gastrointestinale, un jeûne prolongé (chirurgical par ex.) ou une intoxication éthylique aiguë peuvent déclencher une crise hypoglycémique sévère, avec acidose, hypocétose, rhabdomyolyse et troubles aigus du rythme cardiaque. Ces présentations aiguës lors de stress physiques majeurs mettent en jeu le pronostic vital de ces patients. Un diagnostic rapide et une prise en charge médicale adéquate peuvent changer radicalement le pronostic. Le diagnostic est facilité par un indice de suspicion clinique élevé pour les EIM chez les médecins de l’adulte et par la disponibilité de consultants spécialisés dans le domaine, fonctionnant en lien avec un laboratoire spécialisé. Vignette 1: Madame A., 25 ans, glycogénose de type 1a Premier enfant d’un couple consanguin, diagnostic de glycogénose dans les premiers mois de vie, suite à crises d’hypoglycémie et hépatomégalie progressive. Tolérance au jeûne de 3 à 4 heures, nutrition par sonde naso-gastrique la nuit, repas fréquents la journée. Retard de croissance staturo-pondéral, développement psychomoteur normal. Fréquentes hospitalisations lors de toute infection intercurrente (particulièrement gastroentérites) pour perfusion de glucose. Sœur cadette avec la même maladie, décédée lors d’une gastroentérite pour insuffisance hépatique aiguë sur syndrome de Budd-Chiari. Deuil familial très difficile, refus de soutien psychologique, conflit avec les soignants et l’hôpital, compliance difficile au régime. Evolution: hépatomégalie massive, avec apparition d’adénomes à l’adolescence. Fonction hépatique de synthèse normale, mais tolérance au jeûne très courte (4h) avec acidose lactique chronique. Intolérance digestive aux hydrates de carbone (diarrhée chronique, douleurs abdominales), en lien avec la surcharge en amidon de maïs cru ou dextrine-maltose (6 mg/kg/min sur la journée) pour le maintien de la glycémie. Anémie chronique combinée hyporégénérative (acidose) et ferriprive (défaut d’absorption du fer), fatigue chronique, ostéopénie. Syndrome d’hyperfiltration rénale avec protéinurie progressive. Transplantation hépatique à 20 ans: suites opératoires sans complications, normoglycémie, arrêt du régime. Résolution des symptômes digestifs, de l’anémie et de la fatigue chronique. Suivi post-greffe et néphrologique. A 24 ans, Madame A. a repris des études comme assistante pharmacienne, a un partenaire de vie et souhaite une famille et des enfants. Forum Med Suisse 2011;11(36):607–612 609 curriculum Vignette 2: Madame B., 38 ans, maladie du cycle de l’urée Depuis l’adolescence, «crises» de céphalée associée à paresthésies faciales, nausée, anorexie, confusion mentale, souvent en phase pré-menstruelle et durant plusieurs jours. Première grossesse harmonieuse à 22 ans, naissance d’une fille en bonne santé. A 25 ans, lors d’une «crise», investigations auprès d’un neurologue: ralentissement de l’activité cérébrale à l’EEG, ammonium élevé. Adressée en Pédiatrie Moléculaire au CHUV pour investigations sur suspicion de maladie métabolique avec hyperammoniémie. Diagnostic: déficit en orniLes attentes des patients thine transcarbamylase adultes sont difficiles à (OTC), mutation connue combler sans un service à l’état hétérozygote bien coordonné sur le gène OTC (chromosome X). Hospitalisée 2 fois pour crises hyperammoniémiques. Lors d’un épisode particulièrement sévère, la patiente est désorientée, lors d’une promenade avec sa fille. Ammonium: 400 mmol/l. Prise en charge psychiatrique pour état pseudo-psychotique. Traitement: régime hypoprotéiné, suppléments en acides aminés essentiels et en calories, benzoate de sodium (anti-hyperammoniémique) et citrulline (acide aminé manquant pour le fonctionnement du cycle de l’urée). Stabilisation clinique. Deuxième grossesse à 30 ans: fœtus male hémizygote pour la mutation maternelle: interruption de grossesse sur pronostic défavorable. Troisième grossesse à 35 ans: naissance d’une fille hétérozygote pour la mutation maternelle, asymptomatique. Traitement anticatabolique et anti-hyperammoniémique dans le péri- et post-partum, sans complications. Appendicite aiguë à 37 ans: opération chirurgicale compliquée par une infection post-opératoire (risque majeur de coma hyperammoniémique si maladie pas connue!); pas de décompensation métabolique grâce au traitement anti-catabolique de base. A 38 ans, Madame B. est une femme active et une mère engagée; commence une activité professionnelle à temps partiel, réussit son permis de conduire; n’a plus de crises d’hyperammoniémie depuis 4 ans. Son suivi spécialisé: métabolicien (pédiatre), diététicienne, gynécologue. Attentes des patients adultes et de leurs familles Les patients adultes atteints d’EIM ont des attentes claires [6]: – Une équipe médicale constituée de médecins de l’adulte et des diététiciennes spécialisés dans les EIM, ayant une vue d’ensemble de leurs problèmes et de leurs priorités, et non uniquement une liste de spécialistes de différents organes qui soignent des aspects sélectifs de leur maladie. – Une communication transparente avec les médecins concernant les résultats de leurs contrôles cliniques, avec possibilité de conseils téléphoniques réguliers entre leurs contrôles ambulatoires. – Un accès immédiat à l’hospitalisation lorsque leur état le rend nécessaire. – Des meilleures connaissances sur le pronostic à long terme, non seulement en ce qui concerne la santé, mais aussi sur des questions comme la formation professionnelle et l’emploi. – Des conseils judicieux pour les jeunes adultes en phase de rébellion contre leur traitement, auquel ils ne veulent plus se soumettre (mauvaise compliance, particulièrement pour la diète). – Des conseils pour les adolescents concernant la sexualité, la grossesse et la transmission génétique de leur maladie. – La possibilité de rencontrer d’autres patients et familles avec les mêmes maladies (associations de patients, groupes de soutien), en présence de leurs médecins. Ces attentes semblent raisonnables, mais difficiles à combler sans un service adulte pour EIM bien coordonné. Les pédiatres sont détenteurs de la plus large expérience clinique dans ce domaine, mais ne peuvent pas offrir un service adapté aux adultes: la médecine pédiatrique est centrée sur la famille et sur l’enfant dépendant, alors que la médecine adulte est centrée sur le patient autonome, indépendant; un des sujets principaux de préoccupation de la médecine pédiatrique est la croissance, alors que dans la médecine de l’adulte on se préoccupe plutôt de la reproduction. Si un régime thérapeutique strict est souvent nécessaire en âge pédiatrique pour atteindre la croissance et le développement psychomoteur le plus proche de la norme, à l’âge adulte la prise en charge doit tenir compte des contraintes sociales, professionnelles et relationnelles du malade EIM. Modèle de transition pour les EIM La transition de la clinique pédiatrique à celle de l’adulte est bien définie pour plusieurs maladies chroniques, comme la mucoviscidose, le diabète, les maladies rhumatologiques et oncologiques. Les programmes de transition pour les EIM sont encore peu En Suisse l’assurance développés en Suisse et invalidité ne couvre les coûts en Europe. L’objectif de de traitements spécifiques la transition devrait que jusqu’à l’âge de 20 ans être de fournir une prise en charge globale, coordonnée et continue, adaptée au développement du patient [6–9]. Les éléments clés de cette transition sont les suivants: – Création d’une consultation EIM pour les adultes, comprenant médecins, diététiciens, psychologues et assistants sociaux. Cette équipe doit avoir accès aux lits d’hospitalisation en médecine adulte. – Interaction directe de l’équipe EIM pour les adultes avec le médecin traitant et les spécialistes potentiellement impliqués dans la prise en charge. Forum Med Suisse 2011;11(36):607–612 610 curriculum – Accompagnement des adolescents et jeunes adultes pour qu’ils soient de plus en plus actifs dans leur prise en charge médicale et leurs choix thérapeutiques, les préparant ainsi à leur indépendance. – Développement d’une éducation thérapeutique avec matériel de support adapté aux patients et à leurs familles, mais également aux professionnels médicaux. La création d’un service pour les EIM adultes devrait idéalement conserver un lien strict avec l’équipe pédiatrique, afin de favoriser la communication et la discussion des problèmes. Les deux équipes, pédiatrique et adulte, ont besoin d’un même laboratoire spécialisé et d’un même service de nutrition clinique et devraient donc, idéalement, se trouver sur le même site hospitalier. Le passage du dossier médical de la consultation pédiatrique à celle de l’adulte devrait se faire avant le transfert du patient, afin que l’équipe adulte puisse prendre connaissance de tous les aspects du dossier (y compris administratifs) [9]. Aspects médico-économiques et éthiques Un des problèmes émergent dans le domaine des EIM est la disponibilité de traitements spécifiques très efficaces mais aussi extrêmement coûteux pour les systèmes de santé. La thérapie enzymatique substitutive pour plusieurs maladies lysosomales en est un exemple classique [10, 11]: le traitement d’un adulte de 70 kg peut coûter de 200 000 à 800 000 CHF par année. La réalité de la prise en charge de ces malades est encore plus préoccupante en Suisse que dans d’autres pays ayant un système de santé publique. En effet, dans notre pays, l’assurance invalidité ne couvre les coûts de ces traitements que jusqu’à l’âge de 20 ans, âge auquel les prestations pour les infirmités congénitales se terminent. La conséquence en est que les assurances maladies peuvent refuser le remboursement de ces traitements (souvent pas encore enregistrés dans la Liste des spécialités) aux adultes avec EIM. Ces patients risquent donc de devoir arrêter leur traitement et de perdre ainsi les bénéfices de leur prise en charge pédiatrique. D’autre part, il est vrai que si des traitements aussi couteux sont mis en place, il faut impérativement en confier la surveillance à des spécialistes. Si l’histoire naturelle des EIM chez l’adulte est mal connue, le bénéfice à long terme de ces traitements est lui aussi peu connu. Ceci rend difficile une argumentation fiable concernant les bénéfices potentiels de ces thérapies très onéreuses par rapport aux risques liés soit à l’utilisation de thérapies alternatives moins performantes, soit même à l’absence de traitement. Un problème éthique majeur se pose également lorsqu’il n’y a pas d’évidence, par manque d’études, en faveur d’un traitement potentiellement capable de modifier positivement le pronostic vital et fonctionnel du patient. Le premier pas pour aborder sérieusement ce problème est la mise en place d’un suivi régulier des patients adultes avec EIM (traitables ou non) afin de mieux connaître leur devenir à l’aide de registres de données cliniques du suivi et du traitement. D’où l’importance que les médecins de famille référent les patients connus pour un EIM à un centre de référence et encouragent un suivi spécialisé, tout un gardant un rôle central dans la prise en charge du patient. Les EIM: un modèle de médecine «personnalisée» Les progrès de la médecine génétique montrent de plus en plus que les décisions thérapeutiques devraient être prises sur la base du génotype du patient. Le fait de poser un diagnostic n’implique plus un traitement standard, mais un traitement modulé par les données génétiques uniques du patient. Ces principes sont appliqués au traitement des individus avec EIM depuis toujours: le diagnostic et la connaissance des voies métaboliques fournissent les concepts thérapeutiques de base, mais c’est la réponse individuelle au traitement (déterminée largement par les mutations et donc par l’activité enzymatique résiduelle), qui est utilisée pour l’ajustement fin de la thérapie. Les EIM représentent donc un modèle de prise en charge médicale «personnalisée», basée sur le génotype et sur son interaction avec la biochimie individuelle du patient. Centres de référence pour les erreurs innées du métabolisme en Suisse: Kinderspital Zürich Stoffwechselabteilung Steinwiesstrasse 75 8032 Zürich Tél. 044 266 73 10 Inselspital Bern Universitäts-Kinderklinik Abt. Für Klinische Chemie 3010 Bern Tél. 031 632 95 69 CHUV Division de Pédiatrie Moléculaire Av. P. Decker 2 1011 Lausanne Tél. 021 314 34 80 Liens utiles: ❏ Associations Parents d’Enfants Phénylcétonuriques (APEP): www.apep-pcu.ch/ ❏ Beratungsstelle der schweizerischen Interessengemeinschaft Phenylketonurie (CHIP): http://www.chip-pku.org/ ❏ Association des parents d’enfants et d’adultes atteints de maladies du metabolisme: http://www.phenylcetonurie.org/ ❏ Schweizerische Arbeitsgruppe für Lyosomale Speicherkrankheiten (SALS): http://sals.ch/ ❏ Lysosuisse: http://www.lysosuisse.ch/ ❏ Vaincre les Maladies Lysosomales (VML Suisse): http://www.vml-asso.org/lassociation/en-region-en-europe/ antenne-suisse.html ❏ Orphanet: http://www.orpha-net.ch/ ❏ Proraris Suisse: http://www.proraris.ch/ Forum Med Suisse 2011;11(36):607–612 611 curriculum Correspondance: Dr Luisa Bonafé, PD et MER Division de Pédiatrie Moléculaire Centre Hospitalier Universitaire Vaudois Clinique Infantile 02–35 Av. P. Decker 2 CH-1011 Lausanne [email protected] Références recommandées – Lee PJ, Lachmann RH. Acute presentation of inherited metabolic disease in adulthood. Clin Med. 2008;8(6):621–4. – Bonafé L, Ballhausen D. Le dépistage sélectif des maladies métaboliques au cabinet du pédiatre. Paediatrica. 2005;16(5):11–4. – Saudubray JM, Sedel F. Inborn errors of metabolism in adults. Ann Endocrinol (Paris). 2009;70(1):14–24. – Sedel F, Lyon-Caen O, Saudubray JM. Therapy insight: inborn errors of metabolism in adult neurology – a clinical approach focused on treatable diseases. Nat Clin Pract Neurol. 2007;3(5):279–90. – Enns GM, Packman W. The adolescent with an inborn error of metabolism: medical issues and transition to adulthood. Adolesc Med. 2002;13(2):315–29. CME www.smf-cme.ch 1. Un homme de 25 ans, en bonne santé habituelle, se présente aux urgences avec un état confusionnel. Depuis 48h, il présente des nausées et des vomissements, sans état fébrile, et se sent de plus en plus fatigué. Il urine très peu et ses urines sont de couleur rouge foncé. Au status, il présente une déshydratation modérée, une hépatomégalie à 4 cm du rebord costal, et un ralentissement psychomoteur. Au laboratoire, on observe une glycémie à 2,3 mmol/l, un ammonium à 250 μmol/l, un lactate sanguin à 5,7 μmol/l, ASAT 320 U/l, ALAT 230 U/l, CK à 2340 U/l. Le stix urinaire est négatif pour les corps cétoniques. Quel est le diagnostic le plus probable? A Déficit du cycle de l’urée. B Glycogénose. C Déficit de la gluconéogenèse. D Déficit de la bêta-oxydation des acides gras (MCAD). E Maladie de stockage lysosomale. 2. Une femme phénylcétonurique de 28 ans a été traitée dans l’enfance par un régime pauvre en protéines naturelles. Elle a actuellement abandonné le régime et ne connaît pas ses taux sanguins de phénylalanine. Elle est enceinte de 6 semaines. Quel est le risque pour le fœtus? A Elle a un haut risque de trisomie 21, en lien avec la toxicité de la phénylalanine. B Aucun risque, si le fœtus n’a pas hérédité la phénylcétonurie. C Un risque augmenté de malformations cardiaques et de retard mental, selon le taux sanguin maternel de phénylalanine. D Un risque augmenté de myeloméningocèle. E Un risque augmenté de macrosomie. Forum Med Suisse 2011;11(36):607–612 612