Les troubles socio-communicatifs dans l`autisme

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J
’ai changé un peu le titre de mon intervention. On va
bien parler de troubles autistiques et de troubles de la
communication. Mais pour donner encore plus de force
à mon message, j’ai choisi de vous parler de « communiquer
malgré l’autisme » parce que l’autisme est bien dans la communication empêchée mais il existe des moyens qui permettent
aux enfants, aux adolescents et aux adultes de s’exprimer, de
communiquer avec leur environnement et de développer des
outils de pensée.
Je travaille dans un centre de ressources autisme au sein du
centre hospitalier universitaire de Montpellier. Un centre de
ressources autisme est à la fois une unité de diagnostic et
d’évaluation fonctionnelle mais aussi une unité qui participe
dans le cadre de réseau de prise en charge, à la fois sanitaire,
médico-sociale et libérale, aux actions de prise en charge.
Tout d’abord, je vais répéter un certain nombre de concepts
qui ont été présentés ce matin et en début d’après-midi.
Communiquer, c’est produire des signes : pictogrammes,
signes gestuels, graphisme, symboles. Ces signes peuvent être
génétiquement programmés. Nous avons de nombreux exemples à la fois dans l’espèce animale et dans l’espèce humaine ;
par exemple le chant d’un oiseau qui s’appelle le passereau
swamp est tout à fait stéréotypé et est programmé génétiquement. De la même façon, chez un bébé les cris, les expressions
faciales et posturales sont activables dès la naissance et cela
dans un contexte d’interaction avec le premier environnement,
celui des parents. Néanmoins ces signes même s’ils sont génétiquement programmés et cela a son importance lorsqu’on
envisage la question de la prise en charge, peuvent aussi relever
d’un apprentissage. À titre d’exemple dans le règne animal, le
pinçon est capable d’apprendre des chants d’oiseau d’espèces
différentes proches de la sienne. Chez l’humain, on n’utilise
pas le regard de la même façon selon le contexte culturel selon
les différentes sociétés. Par exemple, dans notre société occidentale, les sujets féminins n’utilisent pas le regard de la même
manière que les sujets masculins dans un contexte interactif.
Communiquer, c’est utiliser un système de codage et de
décodage. C’est-à-dire qu’il s’agit d’échanger des informations.
On est bien dans un système qui relève d’une véritable intention
informative. Cette activité de codage renvoie à des notions
complexes de représentation, de théorie de l’esprit, de catégorisation. Néanmoins, communiquer n’est pas forcément parler.
Si le langage est un outil puissant pour faire des inférences sur
les intentions communicatives d’autres personnes, il n’en reste
pas moins que communiquer ne nécessite pas obligatoirement
de parler. On le voit au travers des premières formes de communication : le sourire du bébé en réponse au sourire de sa
mère qui a vraiment un caractère social, l’imitation qui probablement rend compte de capacités de communication sociale
très premières chez le bébé, les gestes déclaratifs et dès le neuvième mois, l’attention conjointe qui est une intention
sociale partagée entre les deux partenaires.
Communiquer, c’est aussi imiter. Je souligne ici l’intérêt des
travaux de Mme Jacqueline Nadel qui a formulé l’hypothèse
qui consiste à dire que l’imitation est une forme précoce de
communication qui joue certainement un rôle très important
dans le développement des compétences sociales plus complexes
chez l’enfant. Si cette hypothèse est vraie cela veut dire que
l’imitation ne se développe pas spontanément chez un enfant
comme c’est le cas dans l’autisme, il faut probablement au
travers d’apprentissages spécifiques, d’un travail qui rentre dans
le cadre d’une approche psycho-éducative globale, chercher à
développer ce comportement pivot chez les enfants qui sont
atteints d’un trouble de l’imitation comme c’est le cas chez les
enfants autistes.
Communiquer, c’est imiter mais c’est aussi pointer. Il existe
deux modalités de pointage. Le pointage proto-impératif qui
consiste à attirer l’attention d’autrui sur ce qui l’intéresse. Le
pointage proto-déclaratif consiste en la volonté de manipuler
l’intention de l’autre c’est-à-dire que c’est un pointage à distance alors que l’objet n’est pas immédiatement présent.
Communiquer, c’est chercher à faire partager l’intention
quels que soient les moyens qu’on utilise : le regard, la mimique, le pointage…
Ces comportements de communication non verbale dont nous
venons de parler relèvent bien d’une communication inférentielle. Ils sont probablement les premiers éléments de cette
communication là. Communiquer c’est donc bien partager,
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produire, interpréter des indices quels que soient leur nature.
Cela exige une activité de penser c’est-à-dire que cela exige la
capacité d’attribuer à l’autre un état mental, une croyance, un
désir, une intention. D’ailleurs dans l’ontogenèse, c’est-à-dire
dans le développement naturel, on voit que ces différentes
formes de communication non verbale sont étroitement associées au niveau de leur datation d’apparition. Le basil c’est-àdire le redoublement des syllabes « ba-ba-ba » commence
autour de sept mois, l’intention conjointe qu’est ce comportement absolument complexe de communication sociale
commence à s’installer autour de huit, neuf mois et très vite
après l’enfant commence à comprendre un mot puis à montrer
puis à donner puis à pointer puis il y a cette explosion progressivement jusqu’à l’âge de dix-huit mois, au niveau du vocabulaire, de la compréhension et de l’expression.
Pour résumer, la communication humaine relève d’une part
d’une intention informative qui est la maîtrise d’un code, et
d’autre part d’une intention communicative. Pour ce qui est
de l’intention informative et de la maîtrise du code, il est clair
que ce code se met en place dans un contexte d’apprentissage
mais qu’il est aussi lié à des contraintes développementales et
donc aux instruments cognitifs. Pour ce qui est de l’intention
communicative, cela met en jeu la manifestation et la reconnaissance d’intention et est aussi relié aux processus développementaux.
Il arrive parfois malheureusement qu’interviennent des troubles très précoces de la communication. La classification diagnostique américaine reconnaît sur l’un de ses axes l’existence
de ces troubles très précoces et les décrit sous l’angle de la
qualité comportementale de l’interaction, de la tonalité affective et de l’implication psychologique des bébés. Ces troubles
précoces de la communication peuvent être notamment des
troubles autistiques et dans la classification nord-américaine
qui est le DSM4 et dans la classification internationale des
maladies de l’Organisation Mondiale de la Santé, l’autisme se
définit uniquement comme un trouble de la communication
sociale. C’est-à-dire par la présence d’altérations à la fois quantitatives et qualitatives des interactions sociales, par l’altération
quantitative et qualitative de la communication et par la
présence d’intérêts restreints ou de schémas stéréotypés. Ces
troubles précoces de la communication ont un certain nombre
d’indicateurs et vous allez voir maintenant les liens que l’on
peut faire entre développement normal et développement
troublé. Lorsqu’on cherche des indicateurs précoces de risque
de développement autistique chez de très jeunes enfants autour
de dix-huit mois, que cherche-t-on ? On cherche des troubles
de l’attention conjointe, c’est-à-dire la difficulté pour un bébé
à s’orienter vers un stimulus social, par exemple un enfant qui
ne se retourne pas vers sa mère qui l’appelle mais qui est paradoxalement capable de se retourner lorsqu’il entend un bruit
d’objet, un froissement de feuille de papier. Ces troubles peuvent se repérer au travers de difficultés pour ce bébé à partager
l’intérêt d’autrui, à suivre le regard de ses parents, à pointer, à
attirer l’attention d’autrui sur un objet ou un événement qui
l’intéresse.
Le deuxième indicateur important est les troubles dans l’usage
de la symbolique et donc des difficultés dans l’utilisation de
gestes conventionnels, de gestes symboliques, de vocalisations
communicatives, des difficultés pour utiliser et comprendre la
valeur fonctionnelle des mots, des difficultés pour jouer de
façon fonctionnelle et des difficultés dans le jeu symbolique.
Ces comportements de communication lorsqu’ils sont absents
peuvent être identifiés à l’aide d’une échelle, la CHAT, qui sert
à rechercher un risque d’autisme. Il ne s’agit pas d’un instrument de diagnostic mais d’un instrument de dépistage des
enfants à risque. Il porte sur le repérage de l’absence, de déficit.
On cherche des signes négatifs : l’absence de pointer protodéclaratif, la difficulté à utiliser le contact visuel ou à jouer sur
un plan symbolique. Son problème est que si sa spécificité est
excellente, sa sensibilité, c’est-à-dire la capacité à détecter les
enfants qui ont un problème, est faible, elle est de l’ordre de
30 % et c’est probablement pour cette raison qu’elle n’a pas
pu être généralisée dans un dépistage au niveau santé publique
en population générale.
Le spectre autistique, je parle de spectre alors que ce n’est pas
une terminologie utilisée par les classifications internationales
pour vous renvoyer au fait qu’il existe un très grand polymorphisme clinique lorsqu’on parle des personnes qui ont un
autisme. Cela va de tableaux les plus sévères, à des tableaux
plus moyens qui sont appelés autismes atypiques ou troubles
envahissants du développement non spécifiques, à des tableaux
beaucoup plus « légers » tels que dans le syndrome d’Asperger
ou l’autisme dit de haut niveau. Il faut savoir qu’il existe à
l’heure actuelle une tendance à diagnostiquer davantage ces
formes d’autisme atypique. Ce qui est probablement en partie
à l’origine d’une augmentation de la prévalence du spectre
autistique qui n’est pas loin de 0,7 % pour l’ensemble des
troubles du spectre autistique.
Dans l’autisme, le développement linguistique est toujours
perturbé. Mais entendons-nous bien sur la nature de ces perturbations. Cela peut-être sur un plan quantitatif par exemple
un retard de langage, ou sur un plan qualitatif c’est-à-dire que
dans l’autisme on peut rencontrer des enfants, des adolescents,
des adultes qui ont un excellent niveau de langage sur le plan
formel mais qui ne savent pas l’utiliser pour communiquer
convenablement et qui ont donc des altérations importantes
au niveau pragmatique. La perturbation du langage est le
symptôme d’alerte le plus fréquent dans l’autisme. Parfois
cette perturbation suit une période de développement normal
de l’enfant et les problèmes de perte des mots acquis, de la
capacité à communiquer et de la capacité d’attention conjointe
viennent dans un deuxième temps vers dix-huit mois. Parmi
les signes d’alerte proposés par les groupes de travail qui ont
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œuvré au sein de la fédération française de psychiatrie, la
plupart concerne le développement du langage : l’absence de
babil et de gestes conventionnels, l’absence de mots à seize ou
dix-huit mois, l’absence de mots phrases autour de deux ans,
un enfant qui parlait, qui avait un stock de vocabulaires et qui
le perd, et enfin, parce qu’il faut écouter les parents, leur préoccupation pour le développement du langage et de la sociabilité de leur enfant.
Les composantes qui vont être altérées ou retardées au niveau
du langage des personnes autistes se retrouvent dans tous les
domaines du langage et de la communication, soit sur le plan
de l’expression soit sur le plan de la compréhension ou les
deux. Ce peut être la pragmatique c’est-à-dire les aspects de
méta-communication, les habiletés conversationnelles, les
aspects sémantiques, les aspects formels syntaxiques, lexicaux,
phonologiques et phonétiques.
Vous voyez que l’autisme est un trouble de la communication,
que l’on peut faire des liens entre les troubles précoces de la
communication et le développement normal pour aussi générer
un certain nombre d’hypothèses sur les prises en charge. Il faut
en permanence se rappeler que le développement normal se
fait sous l’effet de contraintes internes, développementales
certainement mais aussi sous l’effet de contraintes externes qui
sont liées à l’environnement et aux apprentissages. Donc dans
l’autisme, l’apprentissage d’un système de communication est
possible si on prend en compte le niveau de développement
cognitif. Je sais que les systèmes de communication augmentée
sont utilisés depuis de nombreuses années dans le cadre
d’autres handicaps mais dans le champ de l’autisme et en
particulier dans notre pays, l’utilisation de ces systèmes de
communication augmentée est récente et n’est pas suffisamment généralisée. La plupart de ces systèmes consiste à donner
des outils de codage et de décodage. D’autres systèmes existent :
le Pecs, un système de communication par échange d’images,
le Coghamo, les scénarios sociaux qui sont des stratégies psycho
éducatives destinées à enseigner des règles de conversation, les
habiletés sociales et conversationnelles à des personnes autistes
qui ont un bon niveau de langage sur le plan formel mais qui
ne savent pas utiliser ce langage pour communiquer correctement, des pictogrammes et des aides visuelles. Nous utilisons
un certain nombre d’aides visuelles au centre ressources auprès
d’enfants dans des contextes différents car la communication
n’est certainement pas l’affaire des seuls orthophonistes. Il faut
de l’orthophonie mais aussi une approche transversale, transdisciplinaire. Si l’on vise la généralisation de l’apprentissage de
stratégies de communication, il faut que la mise en place
d’aides visuelles par exemple soit faite dans les différents
contextes de vie de l’enfant.
le système visuel, le canal auditif, etc., pour potentialiser,
renforcer le message et on pense que cela va favoriser le langage et non l’empêcher.
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L’autisme est bien un trouble de la communication sociale.
Pendant de nombreuses années, ce handicap n’a pas été conçu
de cette manière là. Il relève bien entendu d’une prise en
charge globale. Je n’ai pas parlé de tous les ingrédients nécessaires à cette prise en charge globale mais seulement de certains. C’est une prise en charge globale dans laquelle il est
souvent nécessaire de mettre en place des outils de communication adaptés au niveau de développement de la personne et
à son profil particulier. Il y a un panel de stratégies qui existent
pour assurer cet objectif et qui permettent de dépasser cette
communication empêchée.
C’est un travail en réseau, entre professionnels, avec la personne et la famille qui sont nécessaires pour favoriser la généralisation des apprentissages et éviter qu’une communication
ne se développe que dans un contexte donné.
Je vous remercie de votre attention.
Je tiens à préciser que ces aides visuelles ou ces systèmes de
communication augmentée ou améliorée n’empêchent pas le
langage. Nous utilisons plusieurs canaux de communication,
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