1
La maîtrise de l’eau et l’organisation
des sociétés humaines
92
Leau est indispensable. L’accès à une eau saine est vital pour les hommes.
Symbole de pureté, l’eau est l’objet de culte, mais peut aussi être dévastatrice.
A. Les hommes sorganisent selon les possibilités d’accès à l’eau
1.
La répartition des hommes est liée à la disponibilité en eau. Un accès facile à
l’eau douce permet un habitat dispersé ; quand l’eau est rare, les hommes se grou-
pent autour des points d’eau (doc. 1). Les densités* humaines sont souvent élevées
le long des fleuves comme le Nil, le Rhin ou le Gange... À l’inverse, les 2 millions
d’habitants de l’agglomération de Phoenix (États-Unis) consomment une eau pom-
pée à plus de 500 km, et l’Amazonie est vide d’hommes.
2.
Nos rythmes de vie sont marqués par l’eau. Dans les pays pauvres, la corvée
d’eau demande beaucoup de temps, en particulier aux femmes. Par la prière, par des
offrandes, les hommes ont longtemps cherché à influer sur la nature pour disposer
d’eau en quantité suffisante.
3.
La météorologie nous permet de prévoir les précipitations et les disponibilités
en eau. L’irrigation*, les réservoirs, la création de végétaux résistant à la sécheresse
permettent en partie de s’affranchir des contraintes du climat.
Ainsi, l’accès à l’eau joue un rôle majeurdans l’organisation des territoires* et des sociétés
humaines. Les paysages en portent partout les marques.
B. Leau est indispensable au développement*
1.
L’eau est utilisée pour toutes les productions. L’agriculture a besoin d’une eau
abondante et de qualité. Les industries consomment beaucoup d’eau : la production
d’une voiture exige au moins 120 000 litres d’eau. Les transports, la production
d’énergie, le tourisme, les services municipaux utilisent énormément d’eau (doc. 3).
2.
L’approvisionnement en eau est une clé du développement humain. Une eau
propre et saine est la première condition pour la santé. Avec la croissance des
besoins, le cycle captage-traitement-distribution-assainissement* se complique et
les coûts augmentent. Pourtant, le Forum international de l’eau (La Haye en 2000),
n’a pas voulu proclamer l’accès à l’eau comme un droit fondamental de l’homme.
Lorganisation de l’accès à l’eau est un enjeu majeurpour tous les acteurs d’un territoire*.
C. Leau est un enjeu de pouvoir et de puissance
1.
Contrôler l’eau, c’est disposer d’un pouvoir formidable. Le pharaon, les reli-
gieux, les sorciers… étaient les intermédiaires entre les hommes et les divinités de
l’eau ; ils en tiraient la légitimité de leur pouvoir. Aujourd’hui, au Brésil, les pro-
priétaires de retenues d’eau ont tous les pouvoirs sur les paysans pauvres. Les diri-
geants qui décident la construction de grands barrages modifient la vie des groupes
humains dans des régions entières.
2.
La maîtrise de l’eau est une clé de l’indépendance. À toutes les échelles*, les
hommes cherchent à garantir leur approvisionnement. Dans les cas de partage de la
ressource, des arbitrages doivent être rendus (doc. 2). Depuis plus de mille ans, le
Tribunal de l’eau de Valence (Espagne) juge les conflits entre particuliers. Dans les
bassins* fluviaux internationaux, des traités réglementent les prélèvements.
La maîtrise, la préservation et la répartition de l’eau sont des questions planétaires vitales.
De nombreux organismes demandent le contrôle démocratique des ressources en eau.
Cours
@dresses utiles
www.unep.org
www.wateryear2003.org
Eau douce
Eau non salée, par opposition
à l’eau de mer. Leau douce
nest pas forcément potable.
Leau pure, constituée
uniquement de molécules
d’eau, nexiste pas à l’état
naturel en raison
de la présence de sels
minéraux et de polluants
organiques ou minéraux.
Climat
Combinaison en un même
lieu des précipitations,
des températures, des vents
et de l’ensoleillement.
Le climat se définit sur
une longue durée ; le temps
météorologique correspond
aux mêmes critères mais
à un moment donné.
DÉFINITIONS
93
3
Leau,entre abondance et rareté
Un village près de Gao (Mali) organisé autour du point d’eau.
1
1. Ces valeurs sont des ordres de grandeur.
Les modes de fabrication sont plus ou moins
économes en fonction des producteurs.
Volume d’eau nécessaire
à quelques productions.
3
Production
pour un kilo
Volume d’eau nécessaire
en litres1
Blé 1 500
Riz 4 500
Coton brut 10 000
Bière 30
Laine 100
Sucre 80
Papier 300
Acier 80
Tozeur est une petite ville de Tunisie et l’une des oasis les plus célèbres du
monde. L’organisation agricole, centrée sur une utilisation raisonnable de
l’eau, permet une production vivrière importante.
Or, ce fragile équilibre économique et social est fortement remis en question
au début des années 1990, période durant laquelle le gouvernement donne la
priorité au tourisme international. Il finance la construction d’un aéroport
international à Tozeur. Une douzaine d’hôtels de grand standing apparaissent,
les visiteurs consomment l’eau sans retenue.
L’eau est devenue un bien comme les autres. Elle est désormais payante
pour l’arrosage de la palmeraie. Progressivement, les travailleurs de l’oasis
quittent le travail des champs pour se consacrer aux activités touristiques. Les
légumes arrivent tous les dimanches de l’extérieur. L’économie touristique est
la seule source de revenus monétaires. La référence devient le modèle occi-
dental. Seules 25 % des terres sont cultivées et de nombreux palmiers meurent
faute d’arrosage et d’entretien. Voilà comment une région jadis autosuffisante
au niveau alimentaire, fière de sa culture et de son identité, a laissé à une
minorité le soin d’organiser son présent et son avenir.
D’après Claude LLENA, « Tozeur, ravagée par le tourisme »,
Le Monde diplomatique, août 2004.
Les effets de nouvelles conditions d’accès à l’eau à Tozeur (Tunisie).
2
A. Une disponibilité inégale dans l’espace et dans le temps
1.
La répartition géographique des ressources en eau est inégale. Selon le climat*,
les précipitations et l’évaporation varient. Les zones tempérées et intertropicales
cumulent plus de 95 % des écoulements terrestres. Selon la nature des roches et les
reliefs, les eaux ruissellent, s’infiltrent, s’accumulent en surface ou dans le sous-sol.
Les qualités chimiques des eaux varient selon les terrains qu’elles traversent : elles
peuvent être calcaires, ferrugineuses, voire contaminées par l’arsenic (au Bangladesh).
2.
L’abondance de la ressource est inégale dans le temps. À l’échelle des temps
géologiques, des régions aujourd’hui arides comme le Sahara ont été humides. Des
nappes fossiles en sont l’héritage. Pendant l’année, les régions méditerranéennes et
subtropicales connaissent la pénurie durant leur saison sèche. D’une année à
l’autre, de fortes variations provoquent des difficultés pour des populations équi-
pées sur la base des disponibilités moyennes.
On passe parfois en peu de temps ou de distance de l’abondance à la pénurie en eau.
B. Un accès techniquement et socialement inégal
1.
Des possibilités techniques et des coûts différents. Les eaux superficielles –
1 % des eaux douces* – sont les plus faciles à capter. Leur stockage exige des
moyens importants et modifie l’environnement. Ainsi, le lac formé par le barrage
des Trois-Gorges submergera sur 600 km la vallée du Yangzyiang où vivent 1,5 mil-
lion de Chinois.
2.
Le pompage des eaux souterraines – 39 % des eaux douces – nécessite des
engins de pompage puissants. L’exploitation d’une source demande un puits de
quelques mètres, mais pomper une nappe exige des forages pouvant dépasser 1 000
mètres. Les nappes fossiles se vident ; ainsi, dans l’ouest des États-Unis et au
Proche-Orient, les nappes phréatiques* surexploitées ne se renouvellent plus assez
vite. Le dessalement de l’eau de mer est coûteux ; cette solution n’est possible que
dans des pays riches comme l’Arabie saoudite.
3.
La consommation d’eau est le reflet des inégalités de développement*. Les
prélèvements moyens par habitant des pays riches sont supérieurs à ceux des pays
pauvres : 50 m
3
en Côte d’Ivoire, et plus de 600 en France.
4.
L’accès des populations à l’eau témoigne des inégalités de richesse (doc. 1). En
moyenne, il faudrait 100 litres d’eau/jour/personne pour satisfaire les besoins
domestiques. Dans les PED, un milliard d’hommes disposent de moins de 50 litres,
1,5 milliard n’ont pas accès à une eau saine, et 4 milliards ne sont pas raccordés aux
égouts (doc. 2). Les maladies liées à l’eau tuent plus de 3 millions de personnes par
an. Dans les pays industriels aussi, les plus riches consomment davantage d’eau.
5.
Les usagers n’ont pas tous les mêmes conditions d’accès à l’eau. Les grands
consommateurs industriels ou agricoles bénéficient souvent de prix plus bas que les
particuliers. Les réseaux* desservent les populations solvables. L’eau utilisée par les
populations pauvres provient souvent de points non contrôlés, surtout dans les
campagnes.
À toutes les échelles,l’inégal accès à l’eau est plus un problème économique et social qu’un
problème technique,mais les besoins sont croissants (doc. 3).
Hydrosphère
Ensemble des eaux
présentes sur la Terre,
sous toutes les formes.
Nappe fossile
Nappe d’eau souterraine
ancienne qui nest plus ali-
mentée par le ruissellement
des eaux de pluie.
Pénurie
Manque d’eau par rapport
aux besoins.
Ne pas confondre avec
la sécheresse qui est
une déficience momentanée
pendant laquelle
les précipitations sont
inférieures à ce que
l’on attendait.
Dessalement
Technique qui consiste
à ôter le sel de l’eau de mer
ou des eaux de nappes
moins salées (eaux
saumâtres), de manière
à les rendre douces.
DÉFINITIONS
@dresses utiles
www.H20.net
www.planbleu.org
www.oieau.fr
2
Linégalité de répartition
et d’accès à la ressource en eau
94
La Terre est couverte à 71 % par l’eau. Cependant, l’hydrosphère nest composée
qu’à 2,7 % d’eau douce : les glaciers (surtout polaires), les nappes*, les lacs, les fleuves...
Cours
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% de la population disposant au moins
de 20 litres d’eau potable/jour, à moins de 1 km
PNUD 2004.
60 80 95 100
5 000 km
Échelle à l’équateur
95
3
Leau,entre abondance et rareté
100
En % de la
population
80
60
40
20
0
Urbain Rural
Accès à l’eau Assainissement
Urbain Rural
OMS et Unicef, 2000.
Mondial Pays en développement
L’inégal équipement pour l’eau potable
et l’assainissement* dans le monde.
2
1900
0
1000
2000
3000
4000
5000
6000
En km3 par an
1910 1920 1930 1940 1960 1970 1980 1990 20001950
Perte des lacs
de retenue
Eau potable
Industrie
Agriculture
Bethemont, Les Grands fleuves, A. Colin, 1999.
L’évolution de la consommation mondiale d’eau
au XXesiècle.
3
L’accès à l’eau potable* dans le monde.
1
A. Des aménagements* pour maîtriser l’eau
1.
Pour exploiter l’eau, il faut d’abord la capter ou bien la pomper. Au Proche-
Orient, des
chadoufs
prélèvent l’eau des fleuves depuis l’Antiquité ; dans le Sahara,
de puissantes pompes puisent dans les nappes fossiles*.
2.
Des aménagements* plus importants servent à stocker l’eau : le nombre des
barrages a été multiplié par 7 depuis 1950. L’Unesco dénombre 40 000 barrages de
plus de 15 mètres de haut dans le monde (doc. 1). Leurs usages sont multiples :
hydroélectricité, régularisation de débit* pour la navigation et pour l’irrigation*.
3.
Les usines de traitement, les châteaux d’eau permettent aux collectivités
territoriales* d’acheminer l’eau potable* jusqu’aux robinets des usagers (doc. 2).
Sur les réseaux* structurés, les compteurs permettent de facturer le traitement des
eaux et l’amortissement des équipements.
4.
Par mesure d’économie, des villes utilisent une eau peu traitée pour les
fontaines décoratives et pour le nettoyage des rues. De même, on commence à
recycler des eaux usées pour l’irrigation.
5.
Les stations d’épuration limitent les pollutions des égouts et permettent
l’utilisation de l’eau en aval. Mais 2,4 milliards d’hommes ne disposent d’aucun
système d’assainissement*. C’est pourtant un enjeu sanitaire majeur. Les quais, les
écluses permettent la navigation sur les fleuves canalisés. Des barrages, des digues
sont construits pour protéger les installations humaines des inondations.
La maîtrise de l’eau coûte cher aux collectivités humaines.
B. Maîtriser l’eau, c’est transformer l’espace
1.
Les aménagements hydrauliques transforment les paysages et remettent en
cause des équilibres écologiques. Depuis l’achèvement du barrage d’Assouan en 1970,
la crue du Nil n’atteint plus la Basse-Égypte. La préservation environnementale
représente un surcoût que les aménageurs n’acceptent pas toujours.
2.
Dans le monde, 16 % des terres agricoles sont irriguées (doc. 3). Les péri-
mètres irrigués permettent de développer une production agricole dans le désert,
comme en Arabie saoudite, en Libye ou aux États-Unis. Des flux nouveaux
d’hommes et de marchandises en résultent, ainsi que des concurrences avec les
régions traditionnelles de production ou de destination.
3.
La maîtrise de l’eau transforme l’environnement social et culturel. La
construction d’une digue, d’un barrage de retenue, rend parfois attractifs des lieux
autrefois inondables ou arides. Inversement, des retenues qui rendent l’eau
stagnante peuvent favoriser les maladies infectieuses comme la bilharziose et
l’onchocercose. Dans les pays en développement*, le creusement d’un puits
révolutionne la vie des populations, des femmes surtout.
4.
Un aménagement peut rendre inutiles des rites ancestraux liés aux pluies ;
ceux qui officiaient lors des cérémonies perdent alors leur statut social.
Maîtriser l’eau est un enjeu pour le développement économique et pour l’équilibre social.
Fleuve canalisé
Fleuve dont le lit est
aménagé pour le rendre
navigable : des barrages
équipés d’écluses
maintiennent un niveau
d’eau suffisant pour
la circulation des bateaux
(péniches, barges). Un canal
est un cours d’eau artificiel
creusé et aménagé par les
hommes pour la navigation.
Périmètre irrigué
Terres agricoles équipée
de moyens d’irrigation.
L’irrigation a permis
la création de terrains
agricoles dans le désert.
Flux
Écoulement,placement.
Volume de biens ou de per-
sonnes en déplacement d’un
lieu à un autre.
Eau stagnante
Étendue d’eau immobile.
Ces eaux, mal oxygénées,
perdent de leur quali
et peuvent favoriser
la prolifération d’organismes
végétaux (micro-algues),
ou animaux (moustiques)
dangereux pour la santé.
DÉFINITIONS
@dresses utiles
www.fao.org
www.eaufrance.cfgb.fr
3
La maîtrise de l’eau
et la transformation des espaces
96
Un paysan endigue son champ, un État* construit un barrage... À chaque échelle*,
la maîtrise de l’eau a des conséquences économiques, sociales et culturelles sur l’espace.
Cours
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