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toujours facile d’observer et donc de qualifier. Quelles sont donc les modifications qui
peuvent être notées au cours de ce dernier demi-siècle, dans les relations
parents/adolescents que j’ai particulièrement étudiées, étant entendu que dans bien des
domaines le terme « adolescent » peut être remplacé par « enfant ».
Au niveau des idées d’abord, il y a, trois évolutions marquantes :
• Le progrès de la démocratie politique, ce qui ne veut pas dire le progrès de la perfection
politique, sinon on risquerait en parlant de démocratie, d’accréditer tel ou tel régime. Le
progrès de la démocratie politique est quelque chose d’important si on se réfère à
l’analyse d’Alexis de Tocqueville qui a bien montré le lien étroit qui existe dans les deux
sens entre le progrès de la démocratie politique et les progrès de la démocratie familiale.
Vous vous souvenez sans doute de l’idée de la participation qui s’est développée en
1968 en même temps qu’à cette époque on assistait à l’effondrement de tous les
systèmes d’autorité. Là est vraiment l’événement révolutionnaire : quand on parcourt
l’histoire, on s’aperçoit que l’autorité a pu ici ou là, à certaines périodes, être contestée,
mais jamais dans sa légitimité. A partir du moment où le rapport de force était détenu par
tel ou tel groupe, le changement pouvait s’opérer entre les dominés et les dominants.
• L’affirmation de ce que j’appellerai les mouvements féministes, ce qui est extrêmement
important pour l’évolution du statut de la femme mais également pour celui de l’enfant :
car l’histoire nous enseigne que là où le statut de la femme se trouve amélioré par
rapport au statut de l’homme, l’enfant en bénéficie à son tour. Donc, tout progrès dans le
statut de la femme équivaut très souvent à un progrès dans le statut de l’enfant.
• Le développement de l’idéologie psychanalytique, la dernière des grandes idéologies a-t-
on dit ; ce n’est pas la psychanalyse qui est ici en question mais ce qu’on fait notamment
dans les médias et ce que les familles en ont retenu. Ainsi toute une série de familles ont
été formées à cette idée qu’il ne fallait pas interdire sous prétexte que cela risquait
d’entraîner un traumatisme affectif chez l’enfant. Vous vous souvenez du slogan de
1968 : « il est interdit d’interdire », on a donc agité cette menace du traumatisme affectif
qui aurait pu résulter des interdictions faites à l’enfant, ce qui a provoqué excès et
débordements.
Au niveau socio-démographique deux évolutions sont à souligner :
• L’expansion des couches moyennes qui se sont révélées être une classe libérale sur le
plan des idées, soucieuse au surplus de propager un modèle culturel à l’ensemble de la
société. Ce constat est extrêmement intéressant et novateur, car on n’a jamais vu dans
l’histoire, à ma connaissance, un mouvement des idées partir du centre. En général, cela
vient d’en haut : au 19ème siècle, le changement vient des classes favorisées et donc de
la bourgeoisie et descend progressivement vers les autres catégories sociales. Ici le
mouvement est parti du centre et ses ramifications se sont étendues vers le haut et vers
le bas. Vers le haut c’est-à-dire remontant vers ce qu’on appelle de moins en moins la
bourgeoisie mais qui correspond encore à quelque chose de précis sur le plan culturel ;
vers le bas, c’est-à-dire descendant vers les catégories urbaines salariées donc les
familles ouvrières (ou ce qu’il en reste aujourd’hui) et vers les familles rurales avec dans
ce cas un certain décalage dans le temps.
• L’affirmation d’une nouvelle classe d’âge « l’adolescence », très bien décrite par Edgar
Morin dès 1963. C’est un phénomène qui me paraît capital à la fois parce que c’est une
classe d’âge qui devient quantitativement importante (les adolescents des années 60
sont les enfants du baby boom) et parce que c’est une classe en voie de scolarisation
massive. L’enseignement secondaire autrefois réservé à l’élite sociale du 19ème siècle,
donc aux enfants de la bourgeoisie, s’ouvre à toutes les catégories sociales, ou en tout
cas à de plus en plus de catégories sociales dans un mouvement qui n’a pas cessé de
s’affirmer depuis 30 ans. On passe de 100 000 élèves dans l’enseignement secondaire
en 1900, à 1 million en 1950 et à 2 millions en 1960 ; c’est-à-dire qu’en une décennie le