Troubles anxiodépressifs : facteurs prédictifs de réponse thérapeutique J.-M. VANELLE (1) INTRODUCTION Dans le cadre d’un symposium consacré aux intrications anxiété et dépression, le terme trouble anxio-dépressif, surtout écrit au pluriel, semble dépasser le simple registre de l’entité trouble anxio-dépressif (TAD), tel qu’il est défini dans le DSM IV R et l’ICD 10. Les deux classifications en font essentiellement un diagnostic subsyndromique eu égard aux définitions qu’ils en donnent respectivement sous le vocable de trouble mixte anxiété-dépression (voir définition en annexe) qui exclut dans les deux cas les critères d’état dépressif ou anxieux caractérisé. En effet, l’association de symptômes anxieux et dépressifs est un problème de pratique médicale quotidien que le clinicien doit tenter de clarifier en différenciant ce qui est du registre respectif d’une pathologie thymique ou d’un trouble anxieux, en sachant que ces pathologies ont des symptômes en commun et que la principale complication de tout trouble anxieux est la survenue d’un état dépressif caractérisé. En matière de stratégie thérapeutique, le degré d’anxiété est pris obligatoirement en considération, d’autant que parmi les critères de classification des antidépresseurs interviennent leurs propriétés anxiolytiques ou psychotoniques. RAPPEL CLINIQUE Des manifestations anxieuses sont très souvent observées au cours d’un épisode dépressif, qu’il s’agisse des symptômes inauguraux, de la phase d’état ou des symptômes résiduels. L’angoisse peut être un signalsymptôme de rechute comme de récidive. Les échelles évaluant la symptomatologie dépressive incluent au moins un item d’anxiété : la tension intérieure pour la MADRS et de nombreux autres dans l’HDRS, souvent accusée de contenir trop d’items de ce registre. Une forme de mélancolie, la mélancolie anxieuse, était classiquement individualisée sur l’intensité de la charge anxieuse et du piège diagnostique qu’elle pouvait constituer. Pourtant, l’anxiété ne figure plus, désormais, parmi les symptômes caractéristiques d’état dépressif caractérisé dans les deux classifications les plus utilisées : DSMIV TR et ICD 10. Enfin, le terrain ou les traits de personnalité – anxieux en l’occurrence- sont aussi susceptibles d’influencer la symptomatologie dépressive, sous forme d’une dimension anxieuse majorée à l’occasion de la survenue de l’accès dépressif. Ainsi est-il nécessaire chez tout sujet atteint de dépression de se livrer à une analyse sémiologique rigoureuse tant synchronique que diachronique des symptômes dépressifs et anxieux. CHOIX THÉRAPEUTIQUE La dimension anxieuse de la dépression à traiter doit être prise en considération. « L’anxiété fait partie de la dépression. Les antidépresseurs psychotoniques et médians peuvent entraîner des résurgences anxieuses, capables de favoriser le passage à l’acte suicidaire, qui nécessitent la coprescription de tranquillisant ou de neuroleptique sédatif » J.-P. Olié. Les travaux de Koukopoulos et de Chantal Henry soulignent aussi le danger de prescription d’antidépresseurs, en particulier psychotoniques, dans les dépressions agitées ou mixtes où le masque anxieux peut cacher une forme mineure de bipolarité à type d’état mixte. (1) Hôpital Saint-Jacques, 85, rue Saint-Jacques, 44093 Nantes cedex. S692 L’Encéphale, 2007 ; 33 : Septembre, cahier 3 L’Encéphale, 2007 ; 33 : 692-694, cahier 3 Le choix de l’antidépresseur peut aussi tenir compte de ses autres indications, notamment en termes de pathologie anxieuse. Ainsi bon nombre d’Inhibiteurs de la Recapture de la Sérotonine (IRS) sont non seulement indiqués dans les états dépressifs caractérisés mais aussi dans des troubles anxieux constitués comme le trouble panique ou l’anxiété généralisée. Cependant, les modalités d’instauration et la posologie d’un tel médicament peuvent varier en fonction de l’indication. Certaines études ne confirment pas forcément ces précautions d’usage ou les relativisent : – Fava et al ne notent pas de différence d’efficacité et surtout de tolérance entre divers IRS de profils cliniques différents (fluoxétine, sertraline et paroxétine) chez des déprimés ayant pourtant un EDM avec un score au facteur anxiété/somatisation supérieur à 7 (HDRS). – Versiani et al de même n’observent pas de différence chez des déprimés anxieux sous fluoxétine et amitriptyline. – Une étude comparant mirtazapine et venlafaxine est en faveur d’un rôle possible de la posologie du produit et de la durée du traitement sur le niveau d’angoisse durant les 5 à 15 premiers jours de traitement. Pour ce qui est du TAD (au sens du DSM IV) proprement dit, aucune étude recrutant spécifiquement ce type de patients n’est disponible à notre connaissance. FACTEURS PRÉDICTIFS DE RÉPONSE THÉRAPEUTIQUE Troubles anxio-dépressifs : facteurs prédictifs de réponse thérapeutique aux traitements, justifiant de les diversifier : antidépresseur + psychothérapie(s). Si l’état dépressif caractérisé s’accompagne d’anxiété importante, le risque suicidaire et le retentissement psychosocial s’en trouvent accrus. La mélancolie anxieuse est une indication privilégiée de l’électroconvulsivothérapie. Au total, l’association anxiété-dépression caractérisée doit inciter le clinicien à la vigilance et à la prudence car elle est un indice potentiel de sévérité et de difficulté de la prise en charge thérapeutique. Références 1. 2. 3. 4. 5. 6. Le caractère endogène de la dépression a longtemps été considéré comme un facteur de bonne réponse aux traitements biologiques, mais sa caractérisation clinique demeure bien subjective. De plus aucun indice biologique prédictif de la réponse au traitement n’a pu être individualisé dans les troubles thymiques jusqu’à ce jour. La comorbidité dépression/trouble anxieux, comme le trouble panique, est gage d’une moins bonne réponse CHASTANG F. Dépression et troubles anxieux, PRID. In : T.Lemperière, Dépressions et comorbidités psychiatriques. Acanthe, Paris : Masson, 2001 : 79-100. FAVA M, ROSENBAUM JF, HOOG SL et al. Fluoxetine versus sertraline and paroxetine in major depression : tolerability and efficacy in anxious depression. J Affect Disord 2000 ; 59 (2) : 119-26. GOURION D, PERRIN E, QUINTIN PH. Episode dépressif majeur : dix ans d’expérience thérapeutique avec la fluoxétine. Encéphale 2004 ; 30 : 392-9. HENRY C. Du concept d’état mixte à la dimension dysphorique des manies. Paris : Doin, 1999 : 74p. KOUKOPOULOS A, FAEDDA G, PROIETTI R et al. Un syndrome dépressif mixte. Encéphale 1992 ; 18 : 19-21. 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Vanelle L’Encéphale, 2007 ; 33 : 692-694, cahier 3 - ANNEXE Critères de recherche du Trouble mixte Anxiété-dépression (DSM-IV-TR – Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux – Texte révisé - Masson) Humeur dysphorique persistante ou récurrente persistant au moins un mois L’humeur dysphorique est associée à au moins quatre des symptômes suivants : – difficultés de concentration ou impression de tête vide – perturbation du sommeil (difficultés à s’endormir ou à rester endormi ou sommeil non reposant, non satisfaisant) – fatigue ou baisse d’énergie – irritabilité – soucis – facilité à pleurer – hypervigilance – anticipation du pire – perte d’espoir (pessimisme envahissant concernant le futur) – baisse de l’estime de soi ou dévalorisation Les symptômes induisent une souffrance clinique significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants. Les symptômes ne sont pas dus aux effets physiologiques directs d’une substance (p.ex. une substance donnant lieu à abus, un médicament) ou d’une affection médicale spéciale. Tous les critères suivants sont réunis : – n’a jamais rempli les critères d’un trouble dépressif majeur, d’un trouble panique ou d’une anxiété généralisée – ne répond pas actuellement aux critères d’un autre trouble anxieux ou dépressif (y compris un trouble anxieux ou dépressif en rémission partielle) – les symptômes ne sont pas mieux expliqués par un autre trouble mental. Trouble anxieux et dépressif mixte (CIM-10/ICD-10 – Classification Internationale des Troubles Mentaux et des Troubles du Comportement. Descriptions Cliniques et Directives pour le Diagnostic – Organisation Mondiale de la Santé - Masson) Cette catégorie doit être utilisée quand le sujet présente à la fois des symptômes anxieux et des symptômes dépressifs, sans que l’intensité des uns ou des autres soit suffisante pour justifier un diagnostic séparé. Quand une anxiété importante est associée à une dépression relativement légère, on doit faire un diagnostic de trouble anxieux ou de trouble phobique. Quand des symptômes anxieux et dépressifs sont présents simultanément avec une intensité suffisante pour justifier des diagnostics séparés, les deux diagnostics doivent être notés et on ne doit pas retenir cette catégorie. Si, pour des raisons pratiques, on ne peut faire qu’un seul diagnostic, on doit privilégier le diagnostic de dépression. Les symptômes anxieux et dépressifs doivent s’accompagner, au moins par intermittence, de plusieurs symptômes neurovégétatifs (p.ex. tremblements, palpitations, sécheresse de la bouche, gêne épigas-trique) ; on ne doit pas faire un diagnostic de trouble anxieux et dépressif mixte quand les manifestations anxieuses (p.ex. une inquiétude ou des préoccupations) ne sont pas associées à des symptômes neurovégétatifs. Lorsque les symptômes répondant aux critères du trouble anxieux et dépressif mixte sont étroitement reliés à un événement stressant ou à un changement particulièrement marquant dans la vie du sujet, c’est la catégorie F43.2 (troubles de l’adaptation) qui doit être utilisée. Les sujets présentant cette association de symptômes relativement mineurs sont fréquemment rencontrés dans le cadre des soins de santé primaire. Cependant un plus grand nombre, encore, d’entre eux existent dans la population générale qui ne consulte jamais, que cela soit en médecine générale ou en psychiatrie. Inclure : dépression anxieuse (légère ou non persistante) Exclure : dépression anxieuse persistante (voir dysthymie, F34.1). S694