Hyperactivité chez l`enfant : réflexions sur les mécanismes

Communication
Hyperactivité chez lenfant :
réflexions sur les mécanismes psychopathologiques sous-jacents
Hyperactivity in children:
Some thoughts on sub-jacent psychopathological mechanisms
R. Courtois
a,*,b
, M. Champion
c
, C. Lamy
d
, G. Bréchon
a,e
a
Département de Psychologie, EA 2114, Université François Rabelais, 3, rue des Tanneurs, BP 4103, 37041 Tours Cedex 01, France
b
CPTS, Psychiatrie A, CHRU de Tours, 37044 Tours Cedex 09, France
c
Cabinet libéral de Psychomotricité, 37000 Tours, France
d
Clinique Psychiatrique Universitaire, CHRU, 37044 Tours Cedex 09, France
e
CMPP (Centre Médico-Psycho-Pédagogique), 37100 Tours, France
Disponible sur internet le 28 juin 2007
Résumé
Les demandes de consultations en pédopsychiatrie pour motif dhyperactivité, avec ou sans troubles de lattention (TDAH), sont en très nette
augmentation ces dernières années. Lhyperactivité est actuellement le trouble psychopathologique le plus fréquent chez le jeune enfant. Cette
évolution peut être liée à la médiatisation dont il fait lobjet et labaissement du seuil de tolérance aux troubles de lagir et aux conduites
externalisées dans une société « hypercontrôlée ». On pourrait également remettre en cause le caractère subjectif de cette entité clinique mal
définie et qui ne fait pas lobjet dun strict consensus. Ainsi, le repérage précoce des troubles, qui permettrait de poser un diagnostic dhyperac-
tivité avant quatre ans, pose également la question des diagnostics comorbides (conduites dopposition ou dagressivité) et interroge surtout le
fonctionnement du système interactif dans lequel évolue le jeune enfant. Lapproche anglo-saxonne tend à considérer le trouble dhyperactivité
comme une entité syndromique à part entière (favorisée en cela par les critères diagnostiques essentiellement comportementaux du DSM-IV),
en privilégiant une approche lésionnelle (du fait de limportance de lhéritabilité génétique). Lapproche européenne, minoritaire, ne dissocie pas
le trouble de son contexte environnemental et fait une place plus grande aux troubles de laffectivité, à la structuration de la personnalité et aux
relations intrafamiliales. Cest cette seconde approche que les auteurs développeront, en privilégiant deux temps : dune part, les processus de
séparationindividuation, symbolisation et socialisation ; et, dautre part, dans la mise en place du processus de narcissisme secondaire, la place
des instances psychiques que sont lIdéal du Moi, le Moi idéal et le Surmoi. Ils mèneront également une réflexion sur lévolution sociétale et le
fonctionnement familial, en éclairant le rôle maternel et paternel dans la genèse des troubles de lhyperactivité. Les auteurs proposent, à lissue de
cette réflexion clinique, la distinction de deux types cliniques dhyperactivité quils vont discuter sur la base de leurs pratiques et des travaux
issus de la littérature : 1) « Hyperactivité avec troubles des conduites précoces, relevant surtout dune problématique de séparation » ;
2) « Troubles attentionnels avec hyperactivité, anxiété, difficultés scolaires, relevant surtout dune problématique narcissique ». Ces deux types
peuvent correspondre dune certaine manière aux formes catégorielle du TDAH (selon les critères du DSM-IV) : 1) Hyperactivité et Impulsivité ;
2) Troubles de lAttention. Ils rejoignent également la constatation de divers auteurs qui ont tenté de mettre en évidence des particularités chez les
hyperactifs anxieux par rapport aux hyperactifs non anxieux ou encore dune forme dhyperactivité de type « comportemental » ou de type
« cognitif ». Quelques principes de prises en charge thérapeutiques seront évoqués pour chacun des types cliniques.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Abstract
Requests for consultations in child psychiatry for cases of hyperactivity with or without attention deficit disorder (ADHD) have increased
markedly in the last few years. Hyperactivity is presently the most frequently occurring psychopathological disorder in young children. This
change could be linked to the mediatisation of this disorder and to a lowering of the threshold of tolerance to behavior disorders and externalized
http://france.elsevier.com/direct/AMEPSY/
Annales Médico Psychologiques 165 (2007) 420427
*
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (R. Courtois).
0003-4487/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.amp.2007.05.007
conduct in a hyper-controlledsociety. We could also question the subjective character of this poorly defined clinical entity about which there is
no strict consensus. Thus, early detection of troubles which would allow us to diagnose hyperactivity before the age of four also beg the question
of comorbid diagnoses (oppositional behavior or aggressiveness) and above all questions the interactive system in which the young child is
developing. The Anglo-Saxon approach tends to consider hyperactivity as a complete syndromic entity (this is encouraged by the diagnostic
criteria essentially behavioral of the DSM IV), favoring an organic approach (due to the importance of genetic inheritability). The European
approach, the minority approach, does not dissociate the problem from its environmental context and pays more attention to affective problems,
to the structuring of the personality and to inter-family relations. This second approach will be developed by the authors, giving preference to two
stages, on the one hand (1) that of the process of separation individuation, symbolization and socialization, and on the other hand, (2) that of
the establishment of the process of secondary narcissism, of the role of psychic instances which are the ego ideal, the ideal ego and the superego.
They will also consider (3) societal evolution and the functioning of the family, shedding light on the maternal or paternal role in the genesis of
problems of hyperactivity. These clinical considerations lead the authors to suggest a distinction between two types of clinical hyperactivity
which they will discuss based on their practices and on the literature: 1)Hyperactivity with early behavioral problems, due mainly to the pro-
blematics of separationand 2) Attention problems with hyperactivity, anxiety, difficulties at school, due mainly to narcissistic problems.
These two types can be said to correspond in some way to the categorical forms of ADD and ADHD (according to the criteria of the DSM
IV): 1) Attention-Deficit/Hyperactivity Disorder Predominantly Hyperactive-Impulsive Type and 2) Attention-Deficit/Hyperactivity Disorder
Predominantly Inattentive Type. They are also akin to the findings of various authors who have attempted to reveal the particularities of anxious
hyperactive subjects as compared to non-anxious hyperactive subjects, or of behavioral hyperactivity as compared to cognitive hyperactivity.
Several principles of therapeutic treatment will be referred to for each clinical type.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Comorbidité ; Hyperactivité avec troubles de lattention (TDAH) ; Idéal du Moi ; Narcissisme ; Pédopsychiatrie ; Psychopathologie
Keywords: Attention Deficit Hyperactivity Disorder (ADHD); Child Psychiatry; Comorbidity; Ego Ideal; Narcissism; Psychopathology
1. Concept dhyperactivité chez lenfant
Les demandes de consultations en pédopsychiatrie pour
motif dhyperactivité, avec ou sans troubles de lattention,
sont en nette augmentation ces dernières années. Lhyperacti-
vité est actuellement le trouble psychopathologique le plus fré-
quent (de 3 à 5 %) avant cinq ans [31]. Mais, il nexiste pas
encore de strict consensus concernant son tableau clinique, et
sa prévalence ne serait que de lordre de 1 à 2 % si lon consi-
dère des critères plus restreints. Ainsi, le repérage précoce des
troubles (patents, mais souvent non spécifiques) qui permettrait
de poser un diagnostic dhyperactivité
1
avant quatre ans pose la
question des diagnostics comorbides (conduites dopposition
ou dagressivité) [13,40], mais surtout du système interactif
(la dyade mèreenfant et plus globalement, lenvironnement
familial) dans lequel évolue le jeune enfant [21].
Le concept dinstabilité et dhyperactivité de lenfant et les
termes qui lui ont été consacrés témoignent de lévolution des
idées depuis un siècle : Débilité motrice ; Instabilité psychomo-
trice ; Hyperkinésie ; Hyperactivité ; Désordre rébral minime ;
Hyperactivité et troubles associés. Lappellation de Trouble
Déficitaire de lAttention avec Hyperactivité (TDAH)
2
se fait
sur des critères du DSM-IV [1] et reconnaît trois formes :
troubles de lAttention ;
Hyperactivité et Impulsivité ;
troubles mixtes.
Les hypothèses étiologiques vont déterminer la méthode
dinvestigation du clinicien et sa démarche thérapeutique.
Lapproche anglo-saxonne tend à considérer ce trouble
comme une entité syndromique à part entière (favorisée en
cela par les critères diagnostiques essentiellement comporte-
mentaux du DSM-IV), en privilégiant une approche lésion-
nelle, du fait de limportance de lhéritabilité génétique. Si
celle-ci est indéniable [23,24,37], elle ne peut cependant résu-
mer la psychopathologie des troubles hyperactifs de lenfant.
Lapproche européenne, minoritaire, ne dissocie pas le trouble
de son contexte environnemental et fait une place plus grande
aux troubles de laffectivité, à la structuration de la personna-
lité et aux relations intrafamiliales [14].Cest sur cette seconde
approche que nous allons nous pencher, à travers deux aspects
du développement de lenfant (séparationindividuation et pro-
cessus narcissique) en lien avec le fonctionnement familial et
son évolution. Nous aboutirons à la proposition de deux sous-
types cliniques de lhyperactivité de lenfant.
2. Réflexions sur les mécanismes psychopathologiques
en jeu
2.1. Séparationindividuation, symbolisation et socialisation
Le modèle théorique de processus de séparationindividua-
tion décrit par Mahler et al. [33] nous semble rester pertinent
pour interroger la nature des relations des enfants à leurs
parents et particulièrement à la mère. Le maintien de relations
de trop grande proximité, « excitantes », voire « fusionnelles »,
va freiner lautonomisation de lenfant et parfois son individua-
tion. En cas de relation dobjet défectueuse, lenfant ne pourra
intérioriser une imago maternelle suffisamment structurante et
rassurante pour pallier labsence de la mère et maintenir une
continuité subjective. Son niveau dinsécurité interne ou son
1
Description par certains auteurs dune proto-THADA (prototrouble hyper-
actif avec déficit de lattention).
2
Le terme anglo-saxon « Attention Deficit with Hyperactivity Disorders »
(ADHD) résulte dapproches successives qui privilégient le déficit :
« Minimal Brain Injury » « Minimal Brain Desease » « Minimal Brain
Dysfunction » « Attention Deficit Disorder ».
R. Courtois et al. / Annales Médico Psychologiques 165 (2007) 420427 421
absence de solidité narcissique se traduiront par des angoisses
de séparation massives [15]. La distorsion des liens et la diffi-
culté de lenfant à se penser en dehors de sa mère participent
dun défaut dinvestissement interne qui engage lui-même un
retard dans linvestissement de la fonction symbolique et,
notamment, du langage. La phase de socialisation, à lâge de
deux à trois ans, avec la maîtrise des sphincters, permet à
lenfant de sapproprier son corps et de prendre de la distance
par rapport aux figures parentales. Cette autonomie peut être
mal supportée par la mère si elle était en attente dêtre comblée
narcissiquement ; lenfant se trouvera alors en situation de
« dette familiale » [9].
La période de latence est celle de la sublimation qui sert le
narcissisme infantile dans la mesure où laccès à la connais-
sance quelle permet et la réussite scolaire comblent les attentes
parentales. Laccès à la phase finale et constitutive du Surmoi
(post-œdipien), le respect des règles communes et le renonce-
ment à la toute-puissance infantile vont faciliter louverture de
lenfant vers le monde extérieur. Cest la période de lentrée en
cours élémentaire où lacceptation de la discipline, du silence,
de limmobilité et lacquisition de rythmes scolaires vont par-
ticiper à une plus grande maîtrise corporelle, temporelle et
environnementale. Le recours aux mécanismes obsessionnels
(de la manipulation et répétition, jusquà la maîtrise et au per-
fectionnisme) va favoriser les apprentissages et participer au
développement cognitif. De la logique concrète (classification
et organisation du réel), lenfant aura accès à lintelligence for-
melle et aux raisonnements hypothéticodéductifs, qui participe-
ront à la prise en compte de la temporalité, de sa finitude et
surtout de celle de ses parents.
2.2. Idéal du Moi, Moi idéal et Surmoi
La formation de la personnalité est un lent processus inter-
actif qui croise lhéritage biologique et génétique et la socialisa-
tion. Le rôle de lentourage et des attentes parentales est capital
dans la construction du Moi de lenfant. LIdéal du Moi
3
est une
instance de la personnalité qui résulte de la convergence du nar-
cissisme primaire (dont il est lhéritier, avec un désir de perpé-
tuer lamour primitif de soi) et des identifications parentales et
des idéaux collectifs [2,8,27]. Il constitue un modèle auquel
lenfant cherche à se conformer. Lintériorisation de leurs atten-
tes réelles ou supposées (cest-à-dire de leur propre idéal du
moi) et des valeurs parentales et familiales va constituer une
référence idéale, dont la satisfaction (même partielle et à condi-
tion que les valeurs satisfassent au Surmoi) va permettre un
retour sur Soi de lamour de ses figures. Cette référence idéale
va contribuer à la construction dun Moi Idéal
4
, véritable idéal
de toute-puissance personnelle, daccomplissement héroïque et
dinvulnérabilité, tels les héros de dessins animés ou de contes
auxquels lenfant sidentifie, renforçant ainsi son propre senti-
ment de puissance et datteinte de la perfection. Ce système
« idéalisant », de toute-puissance narcissique (mégalomaniaque),
peut interagir avec le Surmoi dans le sens de se substituer à
lui si lenfant ou ladolescent estime que la fin justifie les
moyens (Fig. 1).
Le principe de réalité permet un aménagement de lIdéal du
Moi de lenfant et une acceptation des imperfections et des
insuffisances du Moi. Un Idéal du Moi mégalomaniaque
(resté primitif) risque de renforcer lexercice dune toute-
puissance infantile et de rendre difficile laccès à des possibi-
lités de correction ou dajustement. Toutes les erreurs, même
minimes, particulièrement dans le domaine des apprentissages,
peuvent être vécues comme une forme déchec, douloureux,
renvoyant à lenfant un sentiment dinfériorité et de faible
estime de soi ; le risque est le renforcement de mécanismes
obsessionnels et projectifsinterprétatifs.
3. Réflexions sur lévolution sociétale et le fonctionnement
familial
3.1. Dysfonctionnements familiaux classiquement mis en cause
Ces dysfonctionnements concernent surtout les mères, du
fait de leur rôle primordial dans la première enfance. Nous
relèverons :
des attitudes hyperprotectrices, voire « fusionnelles ». Elles
sont fréquentes et témoignent de limportance de la relation
entre la mère et lenfant et de linvestissement dont celui-ci
fait lobjet de la part de ces mères [30]. Cette relation peut
être accompagnée dune demande narcissique, ou demande
de « réparation » [9], voire de comblement maternel ;
une relation incestuelle, surtout si cest un garçon ;
des sentiments ambivalents, des fantasmes maternels agres-
sifs (désirs dabandon et de mort) à légard de lenfant, en
lien avec des difficultés de maternage [32]. Des situations
de rejet (assorti dune culpabilité importante) sont possibles.
Nous nen évoquerons que deux :
Fig. 1. Instances psychiques : Idéal du Moi, Moi Idéal et Surmoi.
3
Concept créé par Freud dans le cadre de sa seconde théorie de lappareil
psychique et utilisé la première fois en 1914 dans « Pour introduire le
narcissisme » [18].
4
Concernant la distinction entre lIdéal du Moi et le Moi Idéal, on notera
que Chasseguet-Smirgel [8] ne lavait pas jugé suffisamment pertinente (au
regard de la théorie freudienne) et sans nécessité théorique et clinique. Elle
préférait, à la complexification et la catégorisation plus ou moins artificielle
quelle apportait, défendre une fluidité et une dynamique des processus du
développement.
R. Courtois et al. / Annales Médico Psychologiques 165 (2007) 420427422
une blessure narcissique face à un enfant qui est trop
éloignédelenfant idéal que la mère avait fantasmé (situa-
tion de prématurité, affection physique, handicap);
un vécu dagression par un enfant qui devient plus auto-
nome lors de la phase de motricité dexploration, ou lors
des troubles dopposition et de « prestance ». Si cet
enfant était antérieurement très investi, les troubles des
comportements externalisés quil présentera risquent de
renvoyer à sa mère le regard extérieur réprobateur et de
contribuer ainsi à la faire passer du statut de « bonne
mère » à celui de « mauvaise mère » [34,32] ;
la dépression maternelle postnatale génératrice dun désaccor-
dage affectif et relationnel entre la mère et lenfant et sur
laquelle se centrent la plupart des hypothèses explicatives
de linstabilité [2022]. Si elle est suffisamment précoce et
sévère, elle aboutira à une forme de carence et induira une
défectuosité des processus psychiques, notamment des inter-
actions précoces [34,35]. Elle donnerait lieu à une faillite
durable du holding initial de lenfant et à la mise en place
denveloppes substitutives, au rang desquelles lenveloppe
dagitation motrice qui permet à lenfant de lutter contre
langoisse de morcellement (voir les travaux de Winnicott
repris par Berges [6],ainsiqueceuxdEsther Bick et de
Geneviève Haag). Les défauts détayage mettent en échec la
création et lintériorisation des fonctions de pare-excitation,
entraînant une insécurité dattachement ainsi que davantage
de perturbations émotionnelles et cognitives [16,39].La
société contemporaine pourrait favoriser les difficultés paren-
tales dordre thymique et narcissique et des défaillances de la
fonction pare-excitation maternelle [29,30] ;
enfin une disqualification du père par la mère (ou du
conjoint sil nest pas le père) ; père qui peut être par ail-
leurs instrumentalisé pour déclencher sa violence (équiva-
lent dun aveu dimpuissance), renforçant ainsi le sentiment
de sa non-compétence et du caractère non légitime et intru-
sif de ses interventions dans la dyade mèreenfant.
Ce dernier point nous permet de faire la transition avec le
rôle du père :
comme souligné précédemment, le père peut être défaillant
dans sa capacité à incarner la loi symbolique et à assurer la
fonction de castration à légard de la mère et de lenfant
(notion de « manque dinstance paternelle ») [32] ;
si le père est « maternant », cela aboutit à un double exer-
cice maternel. Cette figure de « pèremère » [34] pourrait
être un des moyens de contourner le barrage maternel à
lexercice de la fonction paternelle, mais disqualifie quand
même la figure d« autorité paternelle » ;
le père peut être « immature », avec des difficultés à légard
de son propre père, une agressivité vis-à-vis de son fils avec
lequel il peut être en rivalité œdipienne pour cette mère que
lun et lautre convoitent [15]. Cela peut aboutir à un rejet
de lenfant ou paradoxalement à des relations de surinves-
tissement (annulant ainsi les fantasmes agressifs). Mais,
limpossibilité délaborer le conflit œdipien chez lenfant
empêchera linvestissement scolaire (qui suppose son dépas-
sement et lintégration de la loi symbolique et sociale).
3.2. Évolution sociétale et familiale
Parmi les évolutions sociétales de ces toutes dernières
décennies, il faut évidemment insister sur la baisse de lautorité
parentale (structurante) et la tendance à la symétrie des rela-
tions parentsenfants avec recherche dun consensus
5
[30].La
question dautorité devrait plutôt être, comme lindique son
sens étymologique (auctoritas), celle de la responsabilité : res-
ponsabilité de tiers (ici les figures parentales) qui favorise
laction de lenfant ou lefficience de ses actes par linfluence
psychique quil exerce sur lui et par le cadre des régulations
sociales que cela permet. Mais, pour pouvoir exercer et tenir
une position claire et maturante (poser des limites, accepter les
conflits), il ne faut pas en attendre une confirmation par son
enfant ou être sans cesse en quête de son amour.
Lévolution de la famille nucléaire citadine va dans le sens
dune sacralisation des liens avec le jeune enfant, souvent idéa-
lisé par ses parents qui le mettent au centre de toutes leurs préoc-
cupations, véritable « Enfant Roi » qui légitime le consumérisme
familial qui sorganise autour de lui [29,36].Onpeutvoirdes
mères, qui travaillent, redoubler dattention à légard de leur
enfant lors des périodes où elles le prennent en charge, de
sorte quelles ne saccordent parfois aucun moment personnel
tant que ce dernier nest pas couché. Plus globalement, des
parents déplorent leur manque de disponibilité et les contraintes
auxquelles ils doivent faire face avec des conditions de vie
urbaine parfois difficiles (les rendant peu tolérants à la gestuali
de leur enfant si elle devient « débordante »). Parmi les facteurs
qui peuvent influencer le développement de la personnalité de
lenfant, nous pouvons également évoquer un recul des règles de
civilités et du respect des générations antérieures lié en partie à
la notion de famille nucléaire ; un rapport de société qui tend à
limmédiateté de la satisfaction associée à une plus grande diffi-
culté à supporter des frustrations (ce qui amène Lazartigue [29] à
proposer lhypothèse dune nouvelle personnalité appelée
« narcissicohédoniste ») ; une stimulation plus importante
6
asso-
ciée au phénomène de zapping télévisuel ; davantage daccès à
des formes de violence, notamment à la télévision, non médiati-
sées par un tiers, etc. Cette liste non exhaustive pourrait encore
intégrer la fragilité des parents souvent vite atteints sur un mode
narcissique, notamment pour ce qui concerne leur enfant auquel
ils sidentifient parfois massivement, et la difficulté des uns et
des autres à élaborer la problématique de séparation et de perte.
Ces diverses situations favorisent lémergence de tableaux
symptomatiques de pulsions peu élaborées, avec des pathologies
du comportement et des conduites (instabilité psychomotrice,
comportements agressifs et violents, conduites addictives),
5
Voir également le courant « consensuel » au sein de notre discipline médi-
cale qui soppose au courant « paternaliste ».
6
On peut par exemple déplorer larrivée en série des DVD pour passagers
arrière dans les véhicules alors que cétait encore un des seuls endroits où les
enfants pouvaient être confrontés à un « ennui structurant ».
R. Courtois et al. / Annales Médico Psychologiques 165 (2007) 420427 423
mais également des troubles anxiodépressifs et de la lignée nar-
cissique [28,30].
Il faut également souligner la médiatisation dont fait lobjet
lhyperactivité, et labaissement du seuil de tolérance aux trou-
bles de lagir et aux conduites externalisées dans notre société
dite « hypercontrôlée » [17].
4. Types cliniques
Après le rappel de ces éléments de construction de la per-
sonnalité de lenfant et des facteurs denvironnement, nous
proposons la distinction de deux types cliniques.
4.1. Type 1 Hyperactivité avec troubles des conduites
précoces relevant surtout dune problématique de séparation
4.1.1. Description clinique
Il sagirait essentiellement denfants présentant un registre
comportemental « bruyant », sur le mode de lhyperactivité
impulsivité, avec une agitation motrice excessive, désordonnée
et improductive. Les troubles sont souvent repérés précocement
(vers deux à trois ans) chez des enfants agités, qui courent par-
tout, parlent sans arrêt, font nimporte quoi et se mettent en dan-
ger. Ils envahissent lespace physique et sonore (domestique ou
scolaire) et testent sans cesse les limites. Les troubles dopposi-
tion (pleurs, colères, bouderie, provocations)sontassociés
aux comportements externalisés. Dautres semblent relever
davantage dune problématique de toute-puissance infantile,
avec intolérance à la frustration, tentatives de focaliser en per-
manence lattention des adultes et exercice de comportements
demprise vis-à-vis deux, particulièrement dans le cadre fami-
lial. Enfin, une dimension thymique peut être associée (hyper-
sensibilité, changements brusques dhumeur, faible consolabi-
lité). Le diagnostic dinstabilité avec hyperactivité (TDAH)
avec une dominante de la forme « Hyperactivité et Impulsi-
vité » est souvent évident, avec, comme diagnostic comorbide
très fréquent (plus de trois quarts des cas), des troubles opposi-
tionnels avec provocation et/ou des conduites dagressivité [13,
40]. Ces troubles pourraient représenter des facteurs pronosti-
ques importants de lévolution ultérieure. On peut également
rechercher lexistence dune tyrannie familiale exercée par
lenfant [12].
4.1.2. Mécanismes psychopathologiques
Cela nous paraît relever de troubles des processus dindivi-
duationséparation, avec une angoisse de séparation massive
quon va retrouver dans des troubles du sommeil précoces, par-
ticulièrement à lendormissement (agitation, pleurs, manifesta-
tions oppositionnelles, perturbation du sommeil avec des
cycles courts, nombreux réveils nocturnes qui témoignent
dune anxiété majeure ou encore dun vécu de climat dinsécu-
rité). Un état dhypervigilance, lexcitation et linstabilité
psychomotrice pourraient constituer une forme de défense
« maniaque » (au sens de Winnicott), une tentative de se sous-
traire à langoisse de séparation et un refus daccéder à la posi-
tion dépressive. Cette instabilité associée à un niveau dexcita-
tion interne élevé peut être investie comme une forme de
compensation narcissique face à langoisse, aux affects agres-
sifs ou pénibles, à la menace dabandon et au risque deffon-
drement, ce dautant quelle permet la captation de lattention
des adultes [22,40]. Face à léchec de la fonction maternelle à
atténuer cette détresse, les conduites dhyperactivité psychomo-
trice seraient des procédés « autocalmants » [41], le registre
perceptif et moteur jouant alors chez lenfant un rôle substitutif
àlactivité de liaison des représentations absentes de lappareil
psychique [5]. Claudon [10] propose quant à lui lhypothèse
dun « agir instable », comme une représentation motrice spé-
cifique ou une image corporelle inconsciente de soi, investie en
lieu et place des objets internes conflictuels. La propension à
agir résultant dune pérennisation de lacte du fait dune
circularité :
sensation proprioceptive! représentation! action! sensation:
Que ce soit pour faire face à la menace dabandon toujours
active ou pour se soustraire à langoisse de différenciation (au
huitième mois), en retournant la tyrannie sur lobjet maternel
comme lui-même la subie antérieurement [41],lenfant va ten-
ter, à travers la mise en place de mécanismes de maîtrise de
lobjet maternel, de figer ainsi leur relation. Il retardera son
accès à la triangulation œdipienne, et si cest un garçon (sex-
ratio de 4 à 9 pour 1), les processus didentification à son père.
La position défaillante de ce dernier (ou la non-reconnaissance
de sa fonction par la mère) va poser le problème du refus de la
loi paternelle, de lintégration des limites à lacceptation dune
loi « sociale ». On peut retrouver, associés à un désir de répara-
tion narcissique, une « toute-puissance maternelle » qui fait
écho à celle de son enfant, la recherche de relations fusionnel-
les ou de trop grande proximité entre la mère et lenfant, lanti-
cipation des désirs infantiles ne permettant pas la prise de cons-
cience dun manque ni une réponse adaptée, répétée et
structurante dans le temps. Linterdépendance de la mère et
lenfant et la position centrale de ce dernier risquent de renfor-
cer linstallation du Moi de lenfant dans un registre de Moi
Idéal mégalomaniaque.
Àlécole, lhyperactivité, linstabilité, la recherche perma-
nente dun adulte, le refus des limites, le refus de se soumettre
à la figure du maître détenteur du savoir, linvestissement psy-
chomoteur aux dépens du monde interne [19], le retard à
linvestissement symbolique (avec un faible intérêt pour le des-
sin et le langage), alors quil faut accepter le code arbitraire du
langage écrit (lecture et écriture), peuvent mettre en péril, au
moins pour un temps, les apprentissages. Ainsi, les troubles de
lapprentissage vont à la fois résulter des troubles attentionnels,
du déficit de symbolisation (lagir primant sur la mise en mot,
sur lélaboration représentative et lacte de penser) et des diffi-
cultés de la médiatisation de la relation à lautre [43]. Tout
échec risque de représenter une menace de perte dobjet
damour. La prise de conscience de lécart entre le niveau des
exigences extérieures (contraintes liées au statut délève
« apprenant ») et sa capacité de réalisation peut être extrême-
ment douloureuse pour lenfant qui peut alors préférer capitu-
ler. Certaines mères ont bien repéré (sans lanalyser) que
lorsque leur enfant sait répondre, il peut leur donner le senti-
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