MANUEL DE BIOÉTHIQUE Les fondements et l`éthique biomédicale

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MANUEL DE
BIOÉTHIQUE
Les fondements
et l’éthique biomédicale
Elio Sgreccia
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MANUEL DE
BIOÉTHIQUE
Les fondements
et l’éthique biomédicale
Traduit par Robert Hivon
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Données de catalogage avant publication (Canada)
Sgreccia, Elio
Manuel de bioéthique
Traduction de: Manuale di bioetica.
Comprend des réf. bibliogr.
ISBN 2-89127-456-3
1. Éthique médicale - Philosophie. 2. Éthique médicale - Italie.
3. Bioéthique - Philosophie. 4. Bioéthique - Italie. I. Hivon, Robert,
1983-33, II. Titre.
R724.S453141999174'.2C99-940437-7
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement
du Canada par l’entremise du Programme d’aide au
développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ)
pour nos activités d’édition.
Infographie: Typo Litho Composition Inc.
Conception de la page couverture: Martineau Design graphique
© Wilson & Lafleur ltée, Montréal, 1999
Une filiale de Communications Quebecor Inc.
Tous droits réservés
Dépôt légal
2e trimestre 1999
Bibliothèque nationale du Québec
Bibliothèque nationale du Canada
ISBN 2-89127-456-3
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Remerciements
Merci d’abord à Mgr Elio Sgreccia et à son équipe de nous avoir donné ce magnifique texte,
plein d’une anthropologie si riche, si équilibrée, si pleine, si vraie.
Merci ensuite aux artisans de cette version française sur le terrain. À ma demande, l’abbé Julio
Atienza, à Rome, a contacté l’abbé Jacques Suaudeau, du Conseil Pontifical pour la Famille.
L’abbé Suaudeau a alors trouvé deux traductrices très compétentes: Mme Marielle Guillier,
Française, et Mme Claire Van der Vliet, Belge.
Ici, à Montréal, Mgr André-Marie Cimichella, évêque émérite, m’a recommandé l’abbé André
Desroches, Canadien français, aumônier à l’hôpital Santa Cabrini. L’abbé Desroches, à son tour,
a contacté Mme Marina Javicoli, Italo-Canadienne et traductrice.
L’abbé Jacques Suaudeau, étant aussi médecin, a pu faire la révision des termes médicaux.
J’ai moi-même fait la révision de toute la traduction. S’il s’était glissé quelque défaut, je serais
reconnaissant d’en être informé afin que nous puissions en faire la correction dans une prochaine
impression.
Tout ce beau monde a travaillé à l’unisson, malgré les distances, les pannes d’ordinateur et les
aléas d’Internet.
Surtout, je remercie l’Esprit Saint d’avoir orchestré cette conspiration internationale.
Robert Hivon, ptre
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Nos excuses
Au moment de mettre sous presse, nous nous apercevons que personne n’a pensé à préparer un
index des noms et des thèmes.
Devant l’impossibilité de réparer cet oubli avant l’impression, nous nous en excusons et
demandons à nos lecteurs de bien vouloir nous pardonner ce manque d’expérience.
Nous regrettons que la consultation du Manuel de bioéthique soit rendue moins facile à cause
de cet oubli.
Robert Hivon, ptre
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pVII
Table des matières
Remerciements .....................................V
Présentation de la troisième édition ..........XVII
I.
Les origines et la définition de la bioéthique .....1
La naissance de la bioéthique comme nouvelle
réflexion et origine de l’expression ..............1
Les principaux centres de bioéthique dans le monde ....................................................4
De l’éthique médicale à la Bioéthique ...........12
Le problème de la définition ................20
Bioéthique, anthropologie et interdisciplinarité.....26
Bibliographie ........................................31
II.
Justification épistémologique, fondement du jugement éthique
recherche en bioéthique...........................................39
et méthodologie de la
La justification épistémologique de la bioéthique....................................................39
Le rapport entre la science médicale et la bioéthique......................................................43
Différents modèles éthiques et questions de métaéthique .......................................48
Les modèles de bioéthique ....................
48
Cognitivisme et non-cognitivisme: la loi de Hume ....................................................50
L’éthique descriptive et le modèle sociobiologiste ...................................................52
Le modèle subjectiviste ou libéral-radical .....54
Modèle pragmatico-utilitariste ..................56
Le modèle personnaliste .......................61
La méthode de recherche en bioéthique ...........64
Loi morale et loi civile ..............................66
Bioéthique laïque et bioéthique catholique .....69
Bibliographie ...................................71
III.
La vie: ses formes, son origine, son sens
...............................................81
La vie et ses formes ..........................81
L’origine de la vie ...........................83
Pour ou contre la théorie de l’évolutionnisme ...84
Contre le réductionnisme .........................92
Le problème philosophique sous-jacent au
problème biologique ..............................94
Éthique anthropocentrique et éthique
anti-anthropocentrique .............................97
Bibliographie .......................................102
IV.
La personne humaine et son corps ............107
L’humanisation de la médecine
..................107
La personne humaine et sa position centrale ....108
Le corps et ses valeurs ..........................114
La conception dualiste ou intellectualiste .......115
La conception moniste ..............................118
La conception personnaliste de l’homme et de la corporéité .........................................119
La transcendance de la personne ...................125
La personne, la santé, la maladie ..................128
Le corps humain et sa commercialisation .........130
Bibliographie ......................................134
V.
La bioéthique et ses principes .....................141
L’éthique, un mode de vie et une science .......141
La morale objective et la morale subjective .....147
Les normes, les valeurs et la loi naturelle .......154
L’éthique téléologique et l’éthique déontologique
..................................................160
Quelques principes de la bioéthique personnaliste
et leurs corollaires ..............................163
Le principe de la sauvegarde de la vie physique
...............................................163
Le principe de la liberté et de la responsabilité
...............................................167
Le principe de la totalité ou le principe thérapeutique ...................................................168
Le principe de socialité et de subsidiarité .......170
Les principes de la bioéthique nord-américaine...172
Les situations de conflit et les principes pour
les résoudre ...........................................179
Bibliographie .......................................183
VI.
Bioéthique et médecine .....................197
La complexité de la médecine et la convergence éthique ...............................................197
La médecine comme science et les instances éthiques
..........................................................198
La tentation technologique .........................202
L’impact sur la société ..............................204
La composante environnementale .................209
La relation médecin-patient .........................210
Nature de la relation médecin-patient .............211
La base de l’acte médical ...........................215
Les modèles de la relation médecin-patient
.....217
La signification du bien du patient
...............220
L’étendue et la qualité de l’information et du consentement .......................................223
La vertu dans la relation médecin-patient .........226
Bibliographie .......................................229
VII. Les Comités de Bioéthique ....................241
La raison d’être des Comités de Bioéthique.....241
Conditions préalables à l’établissement des Comités
de Bioéthique .......................................243
Vers une reconstitution de l’unité anthropologique
du savoir médical et de la pratique de la médecine
..................................................246
Le problème des critères et des valeurs de référence................................................249
Le dépassement de la politisation de la médecine:
les droits du malade et les droits du médecin ...251
Paramètres pour l’élaboration du jugement éthique
......................................................253
Fonctions et caractéristiques des Comités de Bioéthique ..........................................257
Les caractéristiques optimales des Comités de bioéthique ..........................................260
La situation internationale .........................262
États-Uni..........................................264
Australie ..........................................267
Japon ..............................................269
Europe ...........................................269
Les comités de bioéthique en Italie ..............280
Conclusion et perspectives ........................287
Bibliographie ................................291
VIII. Bioéthique, génétique et diagnostic prénatal
.....................................................299
Manipulation et génie génétique ...................299
Importance et délimitation du thème ........299
Certaines étapes importantes du développement
du génie génétique ................................306
Niveaux et finalités d’intervention
.............312
Niveaux d’intervention .........................313
Finalités ...........................................314
Orientations éthiques et critères de jugement éthique ......................................................316
Normes éthiques particulières .......................323
Les problèmes du diagnostic et des dépistages
génétiques postnataux ...............................327
L’examen génétique postnatal dans le but ....327
Le diagnostic prénuptial et préconceptionnel..328
Le «dépistage» génétique sur les travailleurs .329
Le «Projet Génome humain» et les problèmes éthiques correspondants
........................333
L’examen génétique sur le plan juridique....335
L’examen génétique à des fins d’assurance...337
La thérapie génique .................................338
Génie génétique altérant et amplificatif chez l’homme ..............................................340
Le clonage humain: aspects éthiques ..............344
La garantie par brevet des résultats des biotechnologies ....................................348
Le diagnostic prénatal ............................353
Histoire et indications médicales
.................356
Les méthodes et les procédés techniques .........359
Techniques non invasives ......................360
Techniques faiblement invasives ............363
Techniques invasives ..........................364
Les résultats et les issues postexamen génétique
...................................................369
Indications éthiques sur le diagnostic génétique prénatal ..........................................370
Tableau récapitulatif des interventions
possibles dans le domaine génétique .....379
Bibliographie ................................380
IX.
Bioéthique, sexualité et procréation humaine
...........................................399
Délimitation et actualité du thème .........399
Les développements de la morale catholique
en matière de sexualité ...........................409
Éléments anthropologiques en matière de sexualité
et de procréativité .................................412
Le sexe du corps et le sexe psychologique.....416
La liberté-responsabilité à l’égard du sexe ....418
Rapport conjugal et procréativité ........419
Significations du rapport conjugal et de l’acte conjugal ..............................................421
Éthique de la procréation responsable et de la contraception .......................................423
Le principe de responsabilité .................425
Le principe de la vérité de l’amour
...........428
Le principe de la sincérité......................440
Bibliographie ........................................443
X.
Bioéthique et avortement ...........................453
Le point de vue de la bioéthique ...............453
Le nouveau-conçu à la lumière de la génétique
et de la biologie humaine .......................456
Le caractère humain de l’embryon
461
La valeur ontologique et éthique du nouveau-conçu
.......................................................470
La loi comme prévention ......................
470
Le moment de l’animation..................
473
La conscience autoconsciente ...................475
Le comportement et la relation constitutifs...476
La reconnaissance de l’image humaine .......477
L’intention de procréer ou l’avortement
contraceptif ........................................479
Conclusion philosophique: le biologique
et l’humain ........................................480
Conclusion éthique................................483
L’avortement «thérapeutique» ......................485
Le conflit entre la vie de la mère et
la vie du nouveau-conçu ........................485
Les «indications» de l’avortement thérapeutique ......................................................487
L’appréciation éthique à propos de l’avortement thérapeutique
......................................488
Les cas dramatiques ...........................490
Conclusion........................................493
L’avortement eugénique .............................494
Loi sur l’avortement et objection de conscience
......................................................494
La conscience et ses exigences de liberté
et de vérité ...................................495
Normativité de la loi et lien de la conscience..497
L’objection de conscience et l’avortement
volontaire ......................................498
Les formes «cachées» d’avortement ...........505
La prévention de l’avortement spontané .......509
Bibliographie .....................................511
XI.
Bioéthique et technologies de fécondation humaine ..............................................523
Définition du problème éthique........523
Quelques distinctions ........................525
L’insémination artificielle (IA) ..........526
Aperçu historique et statistique ..........526
Indications médicales, techniques employées et résultats ..........................................529
Les indications médicales................
529
Les techniques employées
..................530
Les résultats ....................................531
Appréciation éthique de l’insémination
artificielle intracorporelle .......................532
Aspects moraux de l’insémination artificielle homologue .......................................534
Licéité des moyens et des méthodes de prélèvement
du liquide séminal ...................................538
Appréciation morale de l’insémination
artificielle hétérologue .............................539
Le transfert intratubaire de gamètes (GIFT) et autres
techniques de fécondation intracorporelle ......542
La fécondation in vitro avec transfert
d’embryon (FIVETE)...............................
545
Importance et actualité du thème ...........545
Aperçu historique sur la FIVETE ........547
Indications, méthodes et pourcentages de réussite
...............................................549
Les complications de la FIVETE ...........554
Le syndrome d’hyperstimulation ovarienne ..................................................554
Le risque d’augmentation de l’incidence
des malformations fœtales ..............555
Asynchronie du développement de l’endomètre et de l’embryon
...................................556
Les grossesses ectopiques
...................558
Les grossesses multiples ......................
558
Les problèmes éthiques relatifs à la FIVETE .560
La fécondation artificielle extracorporelle
homologue: perte des embryons et de l’unité conjugale.......................................562
La fécondation artificielle extracorporelle
hétérologue .....................................569
Les répercussions sur l’unité matrimoniale
et parentale ....................................571
L’identité de l’embryon .........................572
La poussée vers l’eugénisme...................574
Les «mères de substitution»
.....................576
Fécondation in vitro et expérimentation .........577
Le clonage ............................................580
Fécondation et gestation interspécifique .........582
La fécondation artificielle: de l’éthique au droit
...................................................582
Considérations conclusives .......................585
La sélection ou prédétermination du sexe .........586
Les motivations de la sélection/prédétermination du sexe
..................................................587
Méthodes envisagées ou en cours d’expérimentation
avant la conception .................................587
Méthodes appliquées après la conception .........588
Les méthodes naturelles et le choix du sexe......589
L’appréciation éthique ...........................590
Les finalités ou motivations .....................590
La licéité des méthodes et des techniques .........591
Bibliographie ......................................593
XII. Bioéthique et stérilisation ...............615
Aperçu historique et diverses formes de stérilisation
..................................................615
La stérilisation contraceptive dans le monde....617
La situation en Italie ..............................619
Les techniques ...................................621
L’appréciation morale............................624
L’inviolabilité de la personne et de son intégrité physique ..............................................627
Unitotalité de l’être humain ...................630
Les principes de l’option et de la globalité ......632
La demande de la stérilisation volontaire
comme symptôme ....................................633
Corollaires et cas concrets particulièrement graves
.....................................................635
Le «cas limite» ..............................635
La femme malade mentale et le cas de la violence
extraconjugale ou intraconjugale...............638
Loi et stérilisation ....................................643
Bibliographie ........................................646
XIII. Bioéthique et expérimentation sur l’homme
.......................................................653
L’expérimentation clinique des médicaments ....653
L’expérimentation est nécessaire .............653
La signification technique de l’expérimentation
pharmacologique ..................................655
Histoire, pratique et législations ...................660
Éthique de l’expérimentation sur l’homme ........670
Les valeurs éthiques de référence ...........670
Indications éthiques opérationnelles en matière
d’expérimentation humaine ...................674
Appréciation éthique et cas concrets .............680
L’expérimentation sur fœtus et sur embryons humains .............................................685
La nouveauté du thème ...........................685
Les interventions endo-utérines à caractère thérapeutique .....................................687
Les interventions de pure expérimentation scientifique ............................................689
Expérimentations sur les fœtus humains avortés
.....................................................691
Le prélèvement de tissus fœtaux pour la greffe
...............................................693
Bibliographie ..................................695
XIV. Bioéthique et transplantations d’organes....711
Les progrès scientifiques et techniques........711
Classification et aperçu historique ........713
Perspectives législatives et coopération internationale ...................................................716
La situation juridique en Italie..................718
Aspect éthique du problème: les principes généraux..................................................726
La défense de la vie du donneur et du receveur.......................................................726
La sauvegarde de l’identité personnelle
du receveur et de ses descendants.............728
Le consentement informé ...................730
Le problème de la constatation de la mort
en cas de prélèvement sur cadavre ..........732
Le cas de la xénotransplantation ............735
La greffe de tissus ............................737
Le nouveau-né anencéphale comme donneur d’organes .......................................742
Bibliographie ...................................745
XV. Bioéthique, euthanasie et dignité de la mort
..................................................755
Définition des termes et historique du problème .................................................755
Le contexte culturel d’aujourd’hui ............760
La sécularisation de la pensée et de la vie ......761
Le scientisme rationaliste et humanitariste......764
Le déséquilibre de la médecine entre
technologie et humanisation
..............766
L’enseignement du Magistère de l’Église .....767
Synthèse doctrinale de caractère moral en matière
d’euthanasie ..................................773
Le refus de l’euthanasie proprement dite .....773
Emploi proportionné des moyens thérapeutiques ......................................................777
L’administration des cures normales
et des soins palliatifs ..........................779
Le refus de l’acharnement thérapeutique
et de la dysthanasie ..............................781
L’emploi des analgésiques .....................783
La vérité due au patient en phase terminale....784
L’examen de quelques textes déontologiques et juridiques ...........................................786
Recommandation du Conseil de l’Europe .....786
Les Principes d’éthique médicale européenne...789
Proposition de Résolution du Parlement
Européen (Doc. IT/RR/108939) ............791
Initiatives de légalisation de l’euthanasie .....793
La proposition présentée le 2 juillet 1987
au Parlement Italien ........................796
Le Code Italien de Déontologie Médicale de 1995
.....................................................797
La situation législative actuelle dans le monde
......................................................798
Euthanasie et suicide ..............................799
Bibliographie ........................................801
XVI. Bioéthique et technologie ......................817
L’insatisfaction de l’histoire .......................817
Progrès technico-scientifique, anthropologique et éthique ................................................821
Informatique et anthropologie ....................824
Les conséquences rassurantes de l’informatique
sur le plan anthropologico-culturel .............824
Aspects problématiques de l’introduction
de l’informatique ...............................825
Les exigences éthiques face à la culture de l’informatique ...................................826
Quelques limites éthiques particulières
des applications technologiques
.............828
La manipulation génétique..............828
L’utilisation de l’énergie atomique........829
La pollution de l’environnement ........832
Bibliographie ...................................835
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pXVII
Présentation
de la troisième édition
Cette édition du volume I du Manuel de Bioéthique est définie comme une troisième édition
car c’est en effet pour la troisième fois (1988, 1994, 1999) que ce livre est publié dans sa forme
actuelle avec ses nouveaux titre et sous-titre.
En fait, nous avions déjà publié en 1986 l’ensemble des sujets qui forment le volume I sous le
titre Bioéthique: manuel destiné aux médecins et aux biologistes (Bioetica: manuale per i medici
e biologi); c’est pourquoi il devrait plutôt s’agir de la quatrième édition.
Mais voilà un aspect formel qui n’a pas beaucoup d’importance sinon pour souligner le fait
que le livre a bénéficié, en tenant compte aussi des nombreuses réimpressions des diverses
éditions, de la diffusion rapide de la bioéthique en Italie au cours des dix dernières années.
Pendant ce temps, le Manuel a été aussi publié à l’étranger, et l’on peut maintenant se le
procurer en espagnol (Ed. Diana, Mexique) et en portugais (Ed. Loyola, S. Paolo, Brésil).
Selon moi, tout cet intérêt provient de certaines caractéristiques du livre qui a été écrit
parallèlement à l’enseignement dans une faculté de médecine.
La première caractéristique est sans aucun doute le caractère exhaustif de la matière qui
aujourd’hui est plus intense en ce qui concerne les exigences de la préparation professionnelle des
médecins et des biologistes mais aussi des juristes, des philosophes, des pédagogues et même du
débat public. Le volume offre un vaste exposé des origines, de la justification et des fondements
théoriques de la bioéthique. En outre, dans une partie spéciale, il traite des thèmes les plus chauds
du débat actuel. Ce volume I doit bien sûr être considéré en union avec le second volume qui
recueille les thèmes particuliers de nature surtout médico-sociale.
À cet effet, nous devons mentionner certains changements qui ont été apportés parmi les
thèmes traités dans le premier et le second volumes dans le but d’améliorer la conformité des
sujets. C’est ainsi que le thème de la transsexualité apparaîtra dans la prochaine édition du
volume II dans le cadre du chapitre sur l’homosexualité, tandis que le sujet des comités d’éthique
a été inclus dans ce premier volume qui
==========================================
pXVIII
comprend aussi, au chapitre VI, un développement plus complet des questions du consentement
éclairé et du rapport médecin-patient.
Le professeur de bioéthique qui doit exposer les principaux thèmes, que ce soit dans la faculté
de médecine, de droit ou de philosophie, peut puiser dans ce volume autant la présentation et la
discussion des bases que l’exposé éthique des thèmes particuliers, du génie génétique à
l’euthanasie.
On pourrait toutefois objecter que ce manuel ne traite pas de la partie clinique ou pratique, car
tout traité complet doit contenir les généralités, les bases, les particularités et les applications
cliniques.
Mais en fait, mon élève le prof Antonio G. Spagnolo, chercheur confirmé et professeur à
l’Institut de Bioéthique, a pallié cette lacune en publiant récemment le livre La bioetica nella
ricerca e nella prassi medica (Turin, éd. Camilliane, 1997). Ce dernier recueille un large éventail
de cas et de situations, discutés et publiés dans la documentation spécialisée internationale au
cours des dix dernières années, et offre un commentaire de nature éthique. Idéalement, ce livre de
Spagnolo devrait être considéré, dans une vision d’ensemble, comme allant de pair avec le
présent traité.
Mais je crois que l’accueil favorable que le livre a reçu, de façon croissante au cours des dix
dernières années, peut aussi s’expliquer par le fait qu’il offre une clé de lecture précise et un
éclairage philosophique, celui du personnalisme fondé sur l’ontologie, cohérent depuis la
première édition, sans toutefois passer sous silence la comparaison avec les autres visions
philosophiques.
Cette position, qui présuppose la métaphysique rationnellement fondée dans l’anthropologie
soutenant l’éthique appliquée, est, à notre avis, la seule valable et soutenable, la seule capable de
résister aux critiques du relativisme, qu’il soit nihiliste, utilitariste ou contractualiste. Ces critiques ne se sont pas fait attendre, découvrant parfois des malentendus et des incompréhensions
voulues des contenus, et elles ont été présentées à l’occasion avec une violence incompatible avec
la sérénité nécessaire au dialogue sur des thèmes touchant la vie humaine.
Malgré ces rafales de critiques, surtout ces derniers temps où la soi- disant «bioéthique laïque»
s’est largement inspirée des courants utilitaristes anglo-américains, nous avons reçu la
confirmation de l’existence d’un vaste consensus autant de la part de ceux qui écrivent sur le sujet
que de ceux qui consultent, traduisent, adoptent et utilisent le Manuel.
Nous exprimons le souhait que ce travail décennal serve la cause de la vérité et de la vie dans
la clarté et la solidité de la meilleure présentation possible au plus vaste public possible.
Je ne saurais terminer cette présentation sans remercier mes nombreux collaborateurs qui ont
apporté leurs observations et révisé la bibliographie: le prof Antonio G. Spagnolo, la prof Maria
Luisa Di Pietro, le prof Gonzolo Miranda, le Dr Vincenza Mele, la Dre Beatrice
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pXIX
Fisso, le Dr Dario Sacchini, ainsi que les nouveaux docteurs, spécialistes et diplômés: la Dre Elena
Postigo, la Dre Gabriella Gambino, la Dre Roberta Minacori, la Dre Anna Rita Morgani et enfin la
Dre Maddalena Pennacchini.
Ces remerciements ne sont pas simplement formels, car la mise à jour des documents
pertinents et de la bibliographie nationale et internationale relative aux différents chapitres qui
font aussi le mérite de ce livre sont le fruit d’un labeur collectif.
Elio Sgreccia
==========================================
P1
CHAPITRE PREMIER
Les origines et la définition
de la bioéthique
La naissance de la bioéthique comme nouvelle réflexion
et origine de l’expression
À vingt-cinq ans environ de l’apparition dans la littérature du terme «bioéthique» dans l’œuvre
de l’oncologue Van Resselaer Potter1, il est utile de parcourir de nouveau le chemin du
mouvement des idées qui, sous ce vocable, ont connu un succès rapide et considérable. En effet,
il existe désormais des profils historiques ou historico-philosophiques de ce développement2.
Également, la présente édition de ce Manuel s’est enrichie de la documentation, des œuvres et
des publications relatives à la nouvelle discipline qui se sont multipliées et qui permettent mieux
d’en définir les parcours et les orientations.
Il me semble donc opportun de fournir, avant tout, un panorama historico-culturel de cette
réflexion, en soulignant certaines œuvres d’importance particulière et certains développements
institutionnels (centres, comités d’enseignement académique), qui font preuve de développements
plus significatifs et d’une reconnaissance suffisante des problèmes.
Tout le monde admet que la bioéthique, dans le sens propre du terme, est née aux États-Unis,
et pas seulement grâce aux travaux de Potter, qui en créa le nom et lui accorda une certaine
signification. En introduisant le mot, il souligna que la bioéthique devait constituer une «nouvelle
discipline qui devait combiner la connaissance biologique avec la connaissance du système des
valeurs humaines»3. J’ai choisi, écrit-il, la racine bio- pour représenter la connaissance
biologique, la science des systèmes des vivants; et ethics pour représenter la connaissance du
système
==========================================
p2
1
En 1970, il publie son article intitulé Bioethics: the science of survival, dans la revue Perspectives in Biology and
Medecine, 14 (1), pp. 127-153; l’année suivante (1971) cet article devient le premier chapitre de son volume Bioethics: bridge to the
future, Englewood Cliffs (NJ), Prentice Hall.
2
C. Viafora (sous la direction de), Vingt ans de bioéthique: idées des institutions protagonistes, Padoue 1990; D.
Garcia, Fondements de la bioéthique.
3
Potter, Bioethics: Bridge to the future, p. 1.
des valeurs humaines4. Potter avait discerné, de fait, le danger pour la survie de l’ensemble de
l’écosystème dans la rupture entre les deux domaines du savoir, le savoir scientifique et le savoir
humaniste. La nette distinction entre les valeurs éthiques (ethical values), qui entrent de nouveau
dans la culture humaniste au sens large, et les faits biologiques (bioethical facts) était, selon
Potter, à la base de ce processus scientifico-technologique sans discernement qui mettait en
danger l’humanité et la survie même de la vie sur la terre. C’est précisément pour cela qu’il
appelait la bioéthique la science de la survie (science of survival). L’«instinct» de survie n’étant
pas suffisant, une nouvelle science devenait nécessaire: la bioéthique, justement.
Potter pressentait l’urgence d’un nouveau savoir qui ne visait plus seulement à connaître les
phénomènes naturels et à leur donner une explication, mais qui tendait aussi à découvrir la façon
dont on pouvait utiliser sagement les connaissances techno-scientifiques de manière à favoriser la
survie de l’espèce humaine et à améliorer la qualité de la vie des générations futures. L’unique
voie possible de solution à l’imminente catastrophe était la constitution d’un «pont» entre les
deux cultures: la culture scientifique et la culture humanistico-morale; la bioéthique, en outre, ne
devait pas, selon Potter, se centrer uniquement sur l’homme, mais elle devait étendre son regard
sur la biosphère dans son ensemble, c’est-à-dire à toute intervention scientifique de l’homme sur
la vie en général5. En ce sens, le concept de bioéthique embrasse un champ plus vaste que
l’éthique médicale traditionnelle.
Potter conclut que la bioéthique prend origine d’une situation d’alarme et d’une préoccupation
critique face au progrès de la science et de la société; il exprimait ainsi théoriquement le doute sur
la capacité de survie de l’humanité, paradoxalement mise en cause par le progrès.
Les découvertes annoncées à cette époque et à celle qui l’a immédiatement suivie en matière
de génie génétique, avec la terrifiante possibilité de construire des armes biologiques et d’altérer
le statut même des formes de vie, des espèces et des individus, donnèrent à cette alarme une
grande audience et donnèrent naissance à un mouvement d’idées et de craintes de type
«catastrophique».
À côté de ce filon originel de la bioéthique, cependant, on doit considérer un autre héritage, un
héritage qui aujourd’hui, de fait, est devenu prévalent par rapport à celui de Potter, tant et si bien
que W.T. Reich6 parle d’une genèse «en équilibre» du terme bioéthique. En effet, durant ces
mêmes années, on doit reconnaître la forte impulsion donnée par un
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p3
célèbre obstétricien d’origine hollandaise, André Hellegers, engagé dans des recherches dans
le domaine démographique et fondateur du Kennedy Institute of Ethics. Il considère la bioéthique
comme une maïeutique, c’est-à-dire comme une science capable de cueillir les valeurs par le biais
du dialogue et de la confrontation entre la médecine, la philosophie et l’éthique. De plus, pour
Hellegers, ce nouveau champ d’étude a pour objet les aspects éthiques implicites dans la pratique
clinique. Hellegers est sûrement le premier à introduire le terme bioéthique dans le monde
universitaire – structurant académiquement cette discipline – et successivement à l’insérer dans le
champ des sciences biomédicales, de la politique, et des mass media. Ensuite, comme nous
4
Ibidem.
5
Il appellera ce concept global bioethic, qui sera également le titre d’un volume suivant: V.R. Potter, Global
Bioethics: Building on the Leopold Legacy, East Lansing, 1988.
6
W.T. Reich, The word «Bioethics»: The struggle Over Its Earliest Meanings, Kennedy Institute of Ethics Journal,
1995, 5(1), pp. 19-29.
l’avons dit, c’est sa propre conception de la bioéthique qui prévaudra: la bioéthique sera
considérée par la majorité des savants comme une discipline spécifique capable de synthétiser les
connaissances médicales et les connaissances éthiques. De plus, on doit reconnaître que Hellegers
a également eu le mérite d’avoir apporté à cette nouvelle discipline interdisciplinaire une
méthodologie spécifique, reconnaissant au clinico- biologiste un statut d’expert plus élevé que
celui du moraliste traditionnel. Dans cette perspective, le nouveau terme bioéthique devenait
mieux approprié que celui de «morale médicale», d’où l’établissement d’une distinction
sémantique.
Ainsi, la conception de la bioéthique de Potter a été obscurcie par la bioéthique davantage
connue de Hellengers, pour laquelle l’héritage de Potter a été modeste. Mais indubitablement,
celle-ci conserve son importance car la vision originelle d’une bioéthique globale comprend à la
fois la biosphère et l’homme, ainsi que leurs interrelations réciproques à brève et longue
échéance. De plus, cette même conception, avec le temps, a favorisé la naissance de la bioéthique
environnementale.
Par rigueur historique, cependant, nous devons relever que, déjà quelques années avant Potter
et Hellengers, précisément en 1969, comme nous le dirons plus loin, le philosophe Daniel
Callahan et le psychiatre Willard Gaylin avaient créé le Hastings Center. Ils cherchaient à étudier
et à formuler des normes surtout dans le champ de la recherche et de l’expérimentation en milieu
biomédical, avant même que le terme bioéthique soit utilisé. Aux États-Unis, de fait, la discussion
concernant les phénomènes éthiques de l’expérimentation s’était déjà envenimée, inspirée de
dénonciations et de procès en cours à propos de certains abus criants dans le domaine de
l’expérimentation sur l’homme, avant que les découvertes en matière génétique aient été
annoncées. En 1963, par exemple, au Jewish Chronic Disease Hospital de Brooklin on avait
injecté, au cours d’une expérimentation, des cellules tumorales sur des patients âgés, sans leur
consentement. Dans la période 1965-1971 au Willowbrook State Hospital de New York, on a
mené une série d’études sur l’immunisation contre l’hépatite virale, en inoculant le virus à
certains enfants handicapés, hospitalisés dans cette institution. Ces expériences ont ramené à la
surface le souvenir des
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p4
expérimentations sauvages pratiquées dans les camps de concentration au cours de la période
nazie7.
Les principaux centres de bioéthique dans le monde
Callahan et Gaylin avaient pris l’initiative de réunir des scientifiques, des chercheurs, des
philosophes pour discuter sur ces problèmes. Ces réflexions ont entraîné, comme on l’a dit, la
création d’une institution consacrée systématiquement à l’étude de la bioéthique, l’Institute of
Society, Ethics and Life Science, dont le siège social était à Hastings on Hudson (NY), bien vite
connu sous le nom de Hastings Center, et dont l’objectif spécifique était de considérer les aspects
éthiques, sociaux et légaux des sciences médico-sanitaires. L’intérêt à l’égard de ces études fut tel
qu’on ne s’est pas occupé, au début, des problèmes logistiques et économiques, tant et si bien
7
A.R. Jonsen, A.L. Jameton, A Lynch, Medical ethics, history of north America in the twentieth century, in Reich
W.T. (ed.), Encyclopedia of Bioethics, New York 1978, pp. 992-1001.
qu’au moment où il a surgi, le Centre était situé dans une pièce disponible, dans la maison des
Callahan, et maintenu en partie, grâce à l’argent reçu de la mère de Callahan8. En 1988, le Centre
avait atteint un budget annuel de 1,6 million de dollars (provenant, en partie, de fonds
gouvernementaux et, en partie, de fonds privés) et reposait sur 24 membres du conseil d’administration, trente membres du personnel et environ 130 titulaires de bourses. Son premier et actuel
directeur a été Daniel Callahan. Depuis 1987 le Centre Hastings s’est relogé au Briarcliff Manor
(NY), à environ 50 kilomètres de New York.
Le Centre se propose d’être un institut de recherche indépendant, laïc, sans but lucratif, ayant
une activité surtout éducative vis-à-vis du public, presque une mission sociale. Par leurs
interventions, ils poursuivent les buts spécifiques suivants: affronter et résoudre les problèmes
éthiques soulevés par le progrès des sciences biomédicales et par la profession médicale ellemême, éduquer le public en général sur l’importance éthique de plusieurs recherches
scientifiques; participer à l’élaboration de lignes directrices pour résoudre des problèmes moraux
difficiles posés à la société contemporaine, comme par exemple le syndrome immunodéficitaire
acquis (SIDA), la suspension de thérapies de maintien de la vie, la reproduction artificielle, le
diagnostic prénatal et la distribution de fonds en milieu de santé.
De fait, ce Centre a introduit de larges thèmes médicaux et socio- médicaux dans le débat
bioéthique, en élargissant les horizons par rapport aux prospectives mêmes de Potter et il a
contribué à élaborer des
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p5
projets didactiques et des lignes directrices concernant des problèmes de bioéthique particuliers9.
Les résultats de ces études sont publiés dans la revue Hastings Center Report, organe officiel
du centre, et dans de très nombreuses autres monographies.
Dans les mêmes années, au cours desquelles naissait l’Hastings Center, à l’Université
Georgetown de Washington (DC), s’ajoutait, comme nous l’avons dit, Hellegers, engagé dans des
recherches de physiologie fœtale. Il arrivait dans cette université avec l’intention précise
d’inaugurer un programme de recherche interdisciplinaire en bioéthique. Dans ce même but,
Hellegers invita, en 1968 et 1969, le théologien moraliste protestant Paul Ramsey afin de donner
des cours à la faculté de médecine de l’Université de Georgetown. À partir de ces cours de
morale deux volumes ont été publiés, The patient as person et Fabricated man, tous les deux en
1970, que l’on peut considérer comme les premières publications qui ont lancé la bioéthique en
Amérique.
C’est justement à cette période que la famille Kennedy a décidé de financer certaines
recherches sur la prévention des handicaps mentaux congénitaux. Les implications également
éthiques de cette recherche stimulèrent Hellengers à présenter la proposition de fonder un institut
qui étudierait à la fois la physiologie de la reproduction et la bioéthique. C’est ainsi que naquit le
Joseph and Rose Kennedy Institute for the Study of Human Reproduction and Bioethics, c’est-àdire le premier centre qui portait formellement le nom d’institut de bioéthique. Après la mort de
Hellegers, en 1979, l’institution prit le nom, qui est resté, de Kennedy Institute of Ethics, et a été
officiellement annexé à l’Université de Georgetown. Pendant plusieurs années, Edmund
8
P. Quattocchi, La bioetica, storia di un projetto, in C.G. Vella, P. Quattrocchi, A. Bompiani, Dalla bioetica ai
comitati etici, Milano 1988, pp. 57-97.
9
D. Callahan (ed.), The Hastings Center. A short and long 15 years, New York 1984.
Pellegrino en fut le directeur. À l’intérieur du Kennedy Institute, on trouve le Center for
Bioethics, avec son propre directeur. Des activités s’y déroulent conjointement avec d’autres
centres de l’Université de Georgetown: la Division of Health and Humanities, à l’intérieur du
Department of Community and Family Medecine; le Center for population research, déjà existant
à l’Université, depuis 1964; le Asian Bioethics Program, qui se propose d’évaluer les
implications éthiques causées par l’impact du développement technico-scientifique au plan
biomédical dans les pays d’Asie; le European Program in Professional Ethics, qui a développé
des programmes éducatifs, d’abord en Allemagne, et ensuite dans les autres pays européens.
Le Center for Bioethics et le Kennedy Institute10, ont leur siège social dans une université,
l’Université Geogetown (fondée par les Jésuites en 1789), laquelle, par constitution, est ouverte à
des étudiants
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p6
et à des chercheurs de toute confession religieuse; elle a comme but principal la recherche
selon une méthodologie interdisciplinaire, ses membres provenant des sciences humaines, que ce
soit des sciences sociales ou des sciences de la nature, avec une préférence pour les domaines de
la philosophie et de la théologie morale, et favorisant les échanges interreligieux et
œcuméniques.
On doit remarquer que l’Institut et le Centre ont préparé un nombre considérable de
publications sur des sujets de discussion variés, dont l’une d’entre elles, en particulier, mérite
d’être soulignée: l’Encyclopedia of Bioethics, rédigée en 1978 par W.T. Reich, qui est unique en
son genre. L’encyclopédie a été rééditée en 1995 en cinq volumes, totalisant 3000 pages,
contenant 464 articles présentés en ordre alphabétique et rédigés par 437 auteurs. Le Kennedy
Institute, en outre, publie bimestriellement les New Titles in Bioethics, une bibliographie mise à
jour par sujets faisant l’objet de nouvelles publications, et les Scope Note Series, des
monographies bibliographiques comprenant également des articles sur des revues. Sa revue
officielle est le Kennedy Institute of Ethics Journal.
Le Centre a également mis sur pied un service d’information bibliographique électronique,
Bioethicsline, appuyé par le National Library of Medecine de Bethesda dans le Maryland et
distribué par le biais du système MEDLARS aux USA et dans le monde. La bibliothèque de
l’Université Georgetown, The National Reference Center of bioethics Literature, recueille les
plus importantes publications de la zone anglo-américaine.
Dans cette zone culturelle, grâce aux travaux de T.L. Beauchamp et J.F. Childress, la doctrine
bioéthique américaine contenue dans le célèbre ouvrage Principles of ethics, prend forme. Celleci expose à grands traits la théorie du «principalisme», dont nous parlerons plus loin11. E.D.
Pellegrino est un autre penseur que nous pouvons compter parmi les pères de la bioéthique. Nous
avons dit précédemment qu’il avait été directeur du Center of Bioethics pendant plusieurs années.
Il est présentement le directeur du Center for the Advanced Studies in Ethics, toujours à
l’Université de Georgetown, et, avec D.C. Thomasna, il a imposé de nouveaux concepts à propos
du rapport médecin-patient.12
10
L. Walters, The Center for Bioethics at the Kennedy Institute, «Georgetown Medical Bulletin», 1984, 37(1), p. 6-8.
11
T.L. Beauchamp, J.F. Childress, Principles of biomedical ethics, Oxford University Press, New York 1994 (4 th ed.);
A. Mc Intyre, After Virtue. A study in moral theory, Notre Dame (Ind.), 1981.
12
Cf. surtout le volume de E.D. Pellegrino, D.C. Thomasna, For the patient’s good. The restoration of benefice in
health care, New York 1986 (traduit en italien sous le titre: Per il bene del paziente. Tradizione e innovazione nell’etica medica,
Ginisello Balsano 1992). Les mêmes auteurs avaient précédemment publié A philosophical basis of medical practice. Toward a
philosophy and ethic of the healing professions, New York 1981.
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p7
Après les deux premiers centres d’étude des États-Unis, plusieurs autres, rattachés à des
universités et à des hôpitaux, ont vu le jour13. Dans ce qui suit, nous n’en indiquerons que
quelques-uns, qui, parmi ceux-ci, présentent une certaine spécificité d’organisation. En Amérique, nous devons souligner la contribution du Pope John XXIII Center qui a publié de
nombreuses monographies. Celui-ci fonctionne selon une perspective institutionnelle de fidélité
au Magistère de l’Église catholique.
En Australie, on note le concours du Center for Human Bioethics de l’université Monash de
Melbourne, dirigé par P. Singer – dont on remarque la prise de position extrêmement «laïque» –
qui est aussi codirecteur de la revue Bioethics, organe officiel de l’International Association of
Bioethics14. Toujours en Australie, deux centres de bioéthique d’inspiration catholique sont en
opération: The Thomas Moore Center et le St. Vincent’s Bioethics Center.
En Europe, malgré le fait que, dans le vieux continent, on ait développé les systèmes
philosophico-moraux les plus significatifs, qui avaient inspiré la vie sociale pendant des siècles,
la bioéthique est apparue des années plus tard. On peut peut-être expliquer ce retard par la
structuration du système de santé et des universités, différente de celle des USA, par la forte
présence de la déontologie professionnelle enseignée par les médecins légistes ou par la difficulté
d’organiser un travail interdisciplinaire, à cause d’une spécialisation académique excessive.15
Durant l’année académique 1975-1976, en Espagne, on a créé, à la Faculté de Théologie, à San
Cugat del Valles (Barcelone) des séminaires d’étude dans plusieurs domaines de la Bioéthique.
De ces séminaires est né l’Instituto Borja de Bioética, dirigé par un disciple et collaborateur de A.
Hellegers, Francisco Abel, s.j., et qui a pris le statut d’une fondation privée en 1980. En plus de
ce centre qui faisait figure de pionnier, en Espagne, à cause de son intérêt pour la bioéthique et sa
recherche en ce domaine, on doit mentionner le Departamento de Medecina Preventiva, Salud
Publica e Historia de la Ciencia, dirigé par D. Gracia, à la Faculté
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p8
de Médecine de l’Université Complutense de Madrid. Son ouvrage, Fundamentos de bioética,
que nous évoquons dans la note en bas de page, nous fait suivre, par le biais d’un examen
historico-philosophique, l’évolution des concepts éthiques dans la sphère biomédicale, de l’école
d’Hippocrate jusqu’à nos jours, et elle expose ceux qui ont été, dans l’évolution de la pensée
philosophique, les fondements du jugement éthique dans le domaine biomédical. Son examen
historique est large; la justification des principes de bienfaisance, de non-malfaisance, d’auto13
Le nombre élevé des centres de bioéthique et d’éthique médicale qui ont surgi ces dernières années ne nous permet
pas de tous les mentionner. Pour une consultation plus détaillée, nous vous renvoyons, quant à la situation en Europe, à l’Annuaire
Européen de Bioéthique, Lavoisier Publishing, Paris, 1996. Pour ce qui concerne la situation mondiale, voyez la liste complète
préparée annuellement dans le World directory of academic research groups in science ethics, UNESCO, 1993.
14
Parmi les œuvres principales de P. Singer nous vous rappelons: Practical ethics, Cambridge 1979 (trad. it. Etica
pratica, Napoli 1989); id., Animal liberation: a new ethics for our treatment of animals, New York 1975 (trad. it. Liberazione
animale, Roma 1986); id., Rethinking life and death: the collapse of our traditional ethics, New York, St-Martin’s Press, 1994 (trad.
it. Ripensare la vita, Milano, 1996).
15
Aa. Vv. Medical ethics in Europe, «Theoretical Medicine», D.C. Thomasma, 1988, 3; Aa. Vv., L’Europe et la
bioéthique, Actes du premier symposium du Conseil de l’Europe sur la Bioéthique, Strasbourg, 5-7 déc. 1989.
nomie et de justice nous conduit à mieux saisir les étapes qu’a franchies la pensée éthique, de
l’Antiquité jusqu’à la pensée américaine actuelle.
Garcia, adhérant à la philosophie personnaliste et phénoménologique de ses compatriotes, L.
Delgado et X. Zubiri, avance la théorie de «l’éthique formelle du bien» comme fondement de
l’existence éthique universelle, niant, d’autre part, l’existence d’une possibilité de fondement
universelle des contenus du jugement éthique. Pour faire suite à ce volume, Garcia a promis d’en
rédiger un autre sur la bioéthique clinique. Sa contribution demeure l’une des plus remarquables à
l’échelle internationale16.
Toujours en Espagne, depuis 1993, il existe une société appelée Sociedad Anduleza de
Investigación Bioética, dont la contribution est attestée par la publication de la revue Bioética y
Ciencias de la Salud. On y souligne également l’apport considérable du Grupo de Investigación
Bioética de Galicia (GIB).
En 1983, on créa en Belgique, grâce à l’initiative de certains professeurs de l’Université
Catholique de Louvain, le Centre d’Études Bioéthiques: il s’agit d’une association sans but
lucratif affiliée à l’Université de Louvain17. D’autres centres qui s’intéressent à la bioéthique
existent en France: rappelons en particulier l’Institut National de la Santé et de la Recherche
Médicale (INSERM), dans lequel on a fondé le Centre de Documentation et d’information éthique
(CDIE).
Dans les Pays-Bas, le premier institut de bioéthique (Onstitut voor Gezondheidsethiek) est
fondé à Maastricht en 1985. En Angleterre, à partir de 1975, on commença à publier une revue
trimestrielle, le Journal of Medical Ethics sous la direction de l’Institute of Medical Ethics dont le
siège est à Édimbourg et qui se définit comme une «organisation indépendante, non à part».
Présentement, la publication est préparée en collaboration avec la British Medical Association,
qui est l’association des médecins britanniques.
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p9
À Londres, le Center for Bioethics and Public Policy publie la revue Ethics and Medecine,
d’orientation hippocratico-chrétienne. Toujours à Londres, on doit signaler la contribution du
Linacre Center for Health Care Ethics, fondé en 1977, pour le service de la communauté catholique de la Grande-Bretagne.
Dans le monde européen, nous signalons l’ouvrage d’un Allemand, résidant et œuvrant
cependant en Palestine et en Amérique du Nord, qui a contribué substantiellement au débat
bioéthique: il s’agit de Il principio di responsabilità de H. Jonas, qui compte parmi les contributions majeures qui ont été données à cette discipline. L’auteur évolue sur un terrain de départ
semblable à celui de Potter: il prend en considération la possibilité croissante de la technologie
dont il examine les menaces éventuelles pour la survie de l’humanité. L’humanité a l’obligation
de survivre – ceci est le commandement prioritaire, selon l’auteur – et pour cela, il importe de
fonder une nouvelle éthique, une éthique qu’il appelle du «futur», qui doit être fondée sur
l’examen des conséquences des interventions humaines sur la biosphère, susceptible d’être
16
Gracia, Fundamentos de bioética, pp. 369-382.
17
J.F. Malherbe, Pour une éthique de la médecine, Louvain 1990. À propos de problèmes de bioéthique traités par
sujet de démographie ou de biopolitique, à Louvain, nous signalons les œuvres de M. Schooyans, L’avortement, enjeux politiques,
Longueuil 1990 (trad. it. Aborto e politica, Città del Vaticano 1992); id., La dérive totalitaire du libéralisme, Paris 1991.
assumée par les générations futures. Son critère de référence pour les interventions
biotechnologiques devra être celui de l’exclusion de la catastrophe18.
Nous devons dire également quelques mots sur la situation italienne. Notre Centre de
Bioéthique a surgi parmi les premiers, en Italie, en 1985, à l’intérieur de l’Università Catholica
del Sacro Cuore (UCSC). Celui-ci a son siège à la Faculté de Médecine et de Chirurgie «A.
Gemelli», à Rome. Son organe directeur est constitué d’un comité composé du Recteur et du
Président de la Faculté de Médecine (membres de droit) et de 18 autres membres désignés par le
recteur parmi des experts en médecine, en biologie, en philosophie, en droit, en morale et en
théologie. Récemment, on a créé, près du Centre – par décision du Conseil de la Faculté et du
Sénat académique – l’Istituto di Bioetica, lequel concentre ses activités au plan académique, en
coordonnant des cours de doctorat et de perfectionnement postuniversitaire, en plus de
s’employer à donner des cours au niveau de la maîtrise en médecine et en chirurgie, ainsi qu’au
niveau des diplômes universitaires en milieu de santé. L’institut est dirigé par un professeur
titulaire de bioéthique. Il profite des activités des chercheurs et des boursiers.
Le Centre de Bioéthique est demeuré en opération pour la formation sur le territoire, et, dans
les dernières années, il a contribué à la création de plusieurs sièges associés dans certaines
régions de l’Italie, au moyen desquels il coordonne des activités d’éducation permanente, par des
cours locaux adressés au personnel de la santé et à d’autres personnes
====================================== p10
que nous avons intéressées directement ou indirectement aux problèmes de la bioéthique.
L’organe officiel du Centre est la revue Medecina e Morale qui publie bimestriellement des
articles, des notes, des commentaires et des recensions bibliographiques sur les divers aspects de
la Bioéthique, la déontologie et la morale médicale. L’activité principale du Centre et de l’institut
de bioéthique de l’Université catholique est attestée par la publication de ce manuel, et aussi, par
l’édition de deux collections qui totalisent des dizaines de volumes19.
La perspective philosophique qui qualifie le Centre et l’Institut est le «personnalisme
ontologiquement fondé», d’inspiration thomiste. On y développe, à partir de ce point de vue, une
continuelle harmonisation avec la pensée catholique sans entraver, ni exclure, le dialogue avec les
autres formulations.
En Italie, déjà en 1984, avait débuté le Centro di Bioetica di Genova, caractérisé par
l’exigence de ne pas limiter son attention à la seule vie humaine, mais d’inclure dans sa réflexion,
18
H. Jonas, Das prinzip Verantwortung, Frankfurt am Main 1979 (trad. it. Il principio di responsabilità, un’etica per la
civiltà tecnologica, Torino 1990). Du même auteur: Philosophical essays. From ancient creed to technological man, Chicago 1994
(trad. it. Dalla fede antica all’uomo technologico, Bologna 1991).
19
Nous rapportons ici une liste récente de volumes publiés sous la direction du Centre: A. Serra, G. Neri (sous la
direction de) Nuova genetica. Uomo e società, Milano 1986; E. Sgreccia (sous la direction de), Il dono della vita, Milano 1987;
S. Mancuso, E. Sgreccia (sous la direction de), Trattamento della sterilità coniugale, Milano, 1989; A. Bompiani, E. Sgreccia (sous la
direction de), trapianti d’organo, Milano, 1989; M.L. Di Pietro, E. Sgreccia (sous la direction de), La trasmissione della vita
nell’ensegnamento di Giovanni Paolo II, Milano, 1989; I. Antico, E. Sgreccia (sous la direction de), Anzianità creativa, Milano,
1989, M. Petrini, Accanto al morente, Prospettive etiche et pastorali, Milano, 1990; A. Serra, E. Sgreccia, M.L. Di Pietro, Nuova
genetica ed. embriopoisei umana, Milano, 1990; E. Sgreccia, S. Burgalassi, G. Fasanella (sous la direction de), Anzianità e valori,
Milano, 1991; E. Sgreccia, V. Mele (sous la direction de), Ingeneria genetica e biotecnologie nel futuro dell’uomo, Milano, 1992;
A.G. Spagnolo, E. Sgreccia (sous la direction de), Lineaminti di etica della sperimentazione clinica, Milano, 1994; E. Sgreccia, A.G.
Spagnolo (sous la direction de), Etica e allocazione delle risorse nella sanità, Milano, 1996; A. Lopez Trujillo, E. Sgreccia (sous la
direction de), Metodi naturali per la regulazione della fertilità: l’alternativa autentica, Milano, 1994; E. Sgreccia, V. Mele,
Rilevanza dei fattori etici e sociali nella prevenzione delle malattie professionali, Milano, 1994; M. Lombardi Ricci, Fabbricare
bambini? La questione tra nuova medicina e genetica, Milano, 1996.
tout ce qui est vivant, et d’examiner également, de façon approfondie, des questions de bioéthique
environnementale et animale20.
Il y a un autre pôle important de réflexion affilié à l’Istituto Scientifico Ospedale San Raffaele
di Milano où l’on a créé, en 1985, un Département de Médecine et de Sciences humaines, et où
l’on publie une revue scientifique de vulgarisation, la «KOS», et une deuxième, à caractère
éthico-sanitaire, la revue Sanare Infirmos21.
=================================== p11
En 1988 le Progetto Etica e Medecina de la Fondation «Lanza», de Padoue, prend son aval. Il
se propose de dresser un large éventail des problèmes éthiques posés à la science et à la société,
mais surtout, il envisage les filons d’éthique en économie et une reconnaissance des tendances en
Bioéthique22.
D’inspiration «laïque» c’est-à-dire de forte critique de la vision catholique de la bioéthique, le
centre Politeia de Milan, qui a aussi un siège à Rome et à Naples, est un centre pour la recherche
et la formation en politique et en éthique. Ce centre a aussi diverses sections d’éthique en
économie, en environnement et en bioéthique. On y trouve également plusieurs sections d’éthique
de l’économie, d’éthique de l’environnement et de bioéthique. La revue éditée sous la direction
du Centre porte le titre de Notizie di Politeia et recueille plusieurs contributions de diverses
provenances, reflétant cependant la position analyste et utilitariste et privilégiant l’individualisme
méthodologique qui est à la base de tout le travail de recherche du groupe23. Plus récemment, la
section de bioéthique a donné vie à une Consulta di Bioetica, qui édite la revue «Bioetica».
Un autre point de présence caractérisée est constitué par la chaire d’Anthropologie de
l’Université de Florence dans laquelle B. Chiarelli a donné vie à la revue Problemi di bioetica et
à une société, la Società Italiana di Bioetica. Son point de vue philosophique reflète le point de
vue biologiste-évolutionniste24.
D’autres initiatives ont surgi récemment afin d’animer l’horizon italien, comme le Centro di
Bioetica émané à l’intérieur de l’Instituto Internazionale per i Diritti dell’Uomo à Trieste ou le
Grupo di attenzione sulle biotecnologie (GAB) de Milan, créé en 1988, qui s’intéresse aux
technologies biologiques et aux aspects éthiques qui y sont compris. Nous devons également faire
mention du Centro Internazionale di Studi sulla Familia de Milan, d’orientation catholique, et
dont la grille d’analyse est centrée, précisément, sur la famille. On a ouvert, en Sicile, en 1991,
l’Istituto Siciliano di Bioetica à la faculté de théologie de Sicile. L’Institut s’est chargé
récemment de la publication d’un dictionnaire de Bioéthique. À Messina, en 1992, a surgi le
Laboratorio di Bioetica, affilié à l’Università Pontifica Salesiana.
L’enseignement académique de la Bioéthique, en Italie, s’est bien rapidement installé dans
plusieurs universités pontificales, dans une
==================================== p12
20
Voyez, par exemple, S. Castignone (sous la direction de), Etica ambientale, Atti della Giornata di etica
ambientalista, Napoli, 1992.
21
P. Cattorni, Profilo della scuola di medecina e scienze umane. Educare ad un’intenzione antropologica, «Sanare
Infirmos», 1988, 3, pp. 19-23.
22
Viafora (sous la direction de), Vent’anni di bioetica; id., Fondamenti di bioetica, Milano, 1989; id., (sous la direction
de), Centri di Bioetica in Italia: orientamenti a confronto, Padova, 1993.
23
On peut relever une telle orientation dans l’œuvre de M. Mori (sous la direction de), Questioni di Bioetica, Roma,
1988; id., La bioetica: questioni morali e politiche per il futuro dell’uomo, Milano, 1991; U. Scarpelli, La bioetica. Alla ricerca dei
principi, «Biblioteca della libertà», 1987, 99, pp. 7-32.
24
B. Chiarelli, Problemi di bioetica nella transizione fra il II e il III milennio, Firenze, 1990.
perspective surtout théologique25. Dans les universités de l’État, la bioéthique, en tant que
discipline, a pris sa place, depuis le début, comme une matière facultative demandée par certaines
facultés de médecine et de chirurgie (parmi lesquelles celle de l’Università Cattolica di Roma).
Successivement, elle a été insérée dans les regroupements des disciplines pour la participation
aux concours publics (pour les professeurs universitaires de premier et de second cycle et pour
des chercheurs universitaires), donc, dans les secteurs scientifico-disciplinaires des
enseignements universitaires. Actuellement, la bioéthique, en tant que discipline, est placée dans
les secteurs F02X (Histoire de la médecine), F22B (Médecine légale) et M07C (Philosophie
morale). À la faculté de médecine en particulier, la bioéthique a été intégrée aux enseignements
de la nouvelle Table XVIII qui a réorienté, depuis l’année académique 1988/1989, le cours de
maîtrise26.
Indubitablement, l’enseignement universitaire de la bioéthique a certainement contribué à
mieux définir cette discipline et l’on peut aussi dire la même chose de l’institution des comités de
bioéthique, appelés également «comités d’éthique», lesquels ont largement fait avancer la
réflexion bioéthique. Ce sujet sera analysé dans le chapitre qui lui est consacré dans ce manuel.
De l’éthique médicale à la Bioéthique
Pour se rendre compte pleinement des discussions actuelles et des positions différenciées de la
Bioéthique, il est nécessaire de rappeler l’itinéraire historique de la réflexion éthique en médecine
précédant la diffusion de ce terme et ses récentes victoires. Certaines étapes de son évolution, au
fil des siècles, ont servi de base à des critériologies et à des catégories philosophiques et souvent,
elles ont mis en chantier et préparé les mêmes discussions sur des thèmes spécifiques.
Certaines d’entre elles sont significatives sous cet aspect: l’éthique médicale hippocratique, la
morale médicale d’inspiration théologique, l’apport de la philosophie moderne, la réflexion sur
les droits de l’homme, en Europe, surtout durant la dernière guerre mondiale. Notre parcours ne
peut être étendu et approfondi, comme l’ont fait certains
===================================== p13
auteurs27, mais il se limitera à ce donné du passé qui est strictement nécessaire pour la
compréhension du présent moment culturel. L’apport des principes et des critères qui est le
propre des philosophies modernes sera traité dans un chapitre suivant consacré à la méthaéthique, aux modèles de bioéthique et au problème de la fondation de la pensée éthique.
À l’origine de l’éthique médicale dans les sociétés archaïques comme dans les plus évoluées
de l’antiquité, se trouvaient toujours trois éléments: les exigences de caractère éthique que le
médecin devait respecter, les sens moraux de l’aide aux malades et les décisions que l’État devait
prendre par rapport aux problèmes que ses citoyens devaient affronter en matière de santé
publique. Déjà, le Code d’Hammurabi de 1750 av. J.-C., influencé par les précédentes
25
La contribution de D. Tettamanzi offerte dans la sphère théologique est remarquable, dans son volume: Bioetica.
Nuove frontiere per l’uomo, Casale MONFERRATO, 1990 (avec une nouvelle édition en 1996) et dans de nombreuses collaborations
à l’intérieur des revues «Medecina e Morale» et «Anime e Corpi».
26
Nous avons décrit notre expérience d’enseignement de la bioéthique dans la faculté de médecine de l’Università
Cattolica del S. Cuore dans E. Sgreccia, A.G. Spagnolo, L’insegnamento di bioetica nel Corso di laurea in Medecina e Chirurgia.
L’esperienza nell’Università Cattolica del S. Cuore, Medecina e Morale, 1996, 4, pp. 630- 654. Pour les problèmes généraux de
l’enseignement de la bioéthique dans les facultés de médecine, veuillez vous reporter également à P. Cattorini, V. Ghetti (sous la
direction de), La bioéthique nelle facoltà di medecina, Angeli, Milano, 1997.
27
Je me réfère surtout à la reconstruction vaste et documentée de Gracia, dans Fundamentos de bioética.
prescriptions sumériennes, contient des normes qui règlent l’activité médicale et une première
réglementation des taxes pour l’aide à la santé28. On ne peut, en outre, dans la reconstruction de
la pensée éthique occidentale en milieu médical, faire abstraction d’Hippocrate (460-370 av. J.C.) et de son «Serment».
Nous savons qu’il existe des problèmes d’attribution, d’authenticité et de critique textuelle
relatifs à tout le Corpus Hippocraticum dont fait partie le Serment29. Le Corpus est certainement
le résultat de la pensée issue d’une tradition, et non de celle d’un seul penseur et maître. Néanmoins, face à la critique historique, la paternité hippocratique substantielle de la formulation du
serment demeure confirmée.
L’exposé qu’en a fait D. Gracia30 nous a semblé exhaustif et documenté du point de vue de
l’analyse du texte, de sa structure éthico- religieuse et de l’interprétation historico-philosophique.
Le serment représente, selon cette interprétation, l’expression propre de la culture de son temps,
de type préjuridique, propre à une catégorie de personnes, les médecins, qui doit être considérée,
en quelque sorte, au-dessus de la loi. La loi concernait ceux qui pratiquaient des métiers réservés
à de simples citoyens. La profession médicale, quant à elle, était considérée, au même titre que
celle du roi et du prêtre, comme une «profession forte», régie par une «morale forte», celle-là,
justement, qui est exprimée en termes religieux dans le Serment.
La structure du Serment comporte: a) une invocation de la divinité comme introduction qui en
donne le caractère; b) une partie centrale qui comporte, à son tour, deux volets: le premier, relatif
à l’engagement au respect du maître, pour la transmission gratuite de l’enseignement aux enfants
du maître, et pour l’enseignement en général à qui souscrit au
====================================== p14
Serment; l’autre volet est consacré, plus spécifiquement, à la thérapie qui oblige le médecin à
exclure certaines actions comme l’administration d’un poison, même à qui le demanderait,
l’avortement «sur demande», quelque abus sexuel que ce soit sur la personne des malades, des
parents, et au respect du secret médical; c) une conclusion qui invoque des sanctions de la part de
la divinité au sens positif (des bénédictions) pour qui l’observe et dans un sens punitif (des
malédictions) pour qui le transgresse. Il ne s’agirait pas, pour cela, selon cette analyse historique,
d’un code intemporel, comme l’expression écrite d’une loi naturelle, comme on le jugeait
jusqu’au XVIIIe siècle, mais plutôt d’une réflexion de la philosophie et de la culture du temps qui
considérait la profession médicale dans un climat de transcendance en la revêtant d’un caractère
sacré (sacerdoce physiologique et charismatique). Il résulte de cette interprétation que cette
pensée hippocratique aurait donné un fondement philosophico-théologique à ce que l’on appelle
aujourd’hui, avec une connotation négative, le «paternalisme médical».
Il est certain que le Serment fonde la moralité de l’acte médical sur le principe qu’on a défini,
aux siècles suivants, comme le «principe de bienfaisance ou de non-malfaisance», c’est-à-dire
celui du bien du patient. Comme le médecin agit toujours pour le bien du malade, car c’est son
ethos, alors ce qu’il prescrit n’aurait pas besoin d’autre confirmation, même pas de la part du
patient.
Il ne s’agirait donc pas d’une simple morale de défense de la «caste» médicale, ni d’une sorte
de moralité naturelle, mais plutôt d’une moralité fondée sur le principe sacré du bien du patient
28
Cf. D. Von Engelhardt, v. Storai dell’etica medica, dans S. Leone, S. Privitera (sous la direction de), Dizionario di
bioetica, Bologna, 1994, pp. 954-958.
29
S. Spisanti (sous la direction de), Documenti di deontologia e etica medica, Milano, 1985.
30
Gracia, Fundamentos de bioetica, pp. 45-84.
dont le médecin est le gardien sans appel, au-dessus de la loi et de tout soupçon. Cependant, on ne
peut ignorer dans la conception hippocratique, – justement en relation à l’évolution de la pensée
éthico-philosophique successive, celle de Socrate, de Platon et d’Aristote – l’effort visant à établir
des critères non subjectifs de moralité et, conséquemment, fondés sur la vérité objective, c’est-àdire la conscience du bien en soi, du respect de la personne au- delà et au-dessus de ses propres
désirs subjectifs31.
Tout le monde reconnaît que la pensée hippocratique est demeurée «canonique» pour toute la
culture classique et pour tout le Moyen Âge. Des formulations analogues répandues dans
plusieurs cultures, comme le «Serment de Aseph Berachyahu», en Syrie, au VIe siècle, «la prière
quotidienne du médecin» de Moïse Maimonide (1135-1204), en Égypte, les «Devoirs du
médecin» de Mohamed Hasin, en Perse, témoignent de cette influence presque universelle du
Serment d’Hippocrate.
L’apparition du principe d’autonomie, au moment où la pensée moderne a commencé à
s’imposer, du libéralisme de Hume, Smith, Short Mell, Gregory et ensuite, de la déclaration des
droits de l’homme et des droits du citoyen représentent certainement un «antipaterna====================================
p15
lisme médical», comme l’affirme encore D. Gracia; cependant, ces nouveaux principes ne
réussiront, en aucun cas, à annuler le principe de bienfaisance comme critère de validité et de
garantie, soit pour l’autonomie du patient, soit pour celle du médecin.
L’idée de justice répandue dans la pensée sociale contemporaine ne pourra pas non plus
annuler ce principe de bienfaisance, que nous retenons comme fondé non pas sur la présente
transcendance atemporelle de la médecine, mais plutôt sur l’idée de bien et de vérité, et nous le
retenons comme fondement pour la consistance même des autres principes d’autonomie et de
justice, comme nous le verrons mieux dans le chapitre traitant du fondement du jugement éthique.
La bioéthique actuelle, par conséquent, surtout celle qui se réfère aux fameux principes de
bienfaisance et de non-malfaisance, d’autonomie et de justice, rejoint une tradition historique qui
vient de loin et parcourt toute l’évolution de la pensée occidentale.
On ne peut passer sous silence, dans cette reconstruction rétrospective, la contribution du
christianisme, de la théologie chrétienne, de la praxis en milieu de santé et du Magistère de
l’Église, surtout de celle de l’Église catholique.
Le christianisme ne s’est pas limité à réserver un bon accueil à l’éthique hippocratique, mais
comme il a procédé avec la pensée de Platon jusqu’à Aristote, il a introduit de nouveaux concepts
et de nouvelles valeurs par le biais de son enseignement et de sa praxis de bienfaisance.
Ces contributions se retrouvent avant tout dans le fondement définitif du concept de «personne
humaine», dans la conception théologique et nouvelle de l’aide au malade et de la profession
médicale, dans le fait d’avoir défini et cherché le dialogue positif entre la raison scientifique et la
foi religieuse, spécialement dans la sphère catholique, après les divergences d’opinion qui se sont
manifestées à l’époque de Galilée.
La valeur de la personne humaine dans le christianisme – le personnalisme chrétien – émerge
du dépassement du dualisme classique, par lequel non seulement l’âme spirituelle, mais encore
31
G. Reale, D. Antiseri, Il pensiero occidentale dalle origini ad oggi, Brescia, 1983, I, pp. 76-78.
tout l’homme, dans son unité corps-esprit est considéré comme créature de Dieu, gardien
coresponsable de la terre et de la vie dans le monde devant son créateur.
De plus, en vertu du mystère de l’Incarnation et de la Rédemption, l’homme, chaque homme,
surtout le plus indigent, est considéré et évalué comme l’expression même de l’amour du
Rédempteur et fondement du jugement final et eschatologique, pour lequel ce qui est fait au
malade est jugé selon l’expression «c’est à moi que vous l’avez fait»32.
La nouvelle vision du monde et de l’humanité, dans le sens personnaliste créateur et
rédempteur, porte la communauté chrétienne à donner vie aux hôpitaux qui incarnent la parole du
Bon Samaritain33 dans le monde christianisé et, au moins pendant dix-sept siècles, l’Église
===================================
p16
catholique et la communauté chrétienne se chargeront de la santé publique et la considéreront
comme un devoir de fraternité et un moyen de vivre l’authenticité du message.
Même après la Révolution française, quand s’imposera le concept «d’hôpital civil» et de
«droit» du citoyen à l’assistance, les communautés chrétiennes sentiront le droit et le devoir de ne
pas abandonner l’aide au malade, non seulement dans le sens de «suppléance» à la société civile
dans les pays non encore développés, mais encore et surtout comme «témoignage» de la fraternité
voulue par le Christ envers ceux qui souffrent.
L’image du médecin, au sens chrétien, là où ce sens chrétien est bien cultivé, n’est pas celle
d’un personnage hiératique, au-dessus de la loi morale, mais, au contraire, elle est appelée à être
celle d’un serviteur (diaconos) de ceux qui souffrent, comme expression de la communauté de
ceux qui ont l’obligation de «prendre en charge» leurs frères; à un point tel que son image
théologique l’appelle, s’il est croyant, à jouer le rôle du Bon Samaritain, c’est-à-dire celle du
Christ lui-même, qui prend sur ses épaules l’humanité souffrante. De même que, dans l’évangile,
il est commandé de voir, dans le malade, le Christus patiens (le Christ souffrant), ainsi est-il
demandé au médecin qu’on reconnaisse en lui le Christus servus (le Christ serviteur).
C’est au nom de cette théologie que les Églises ont développé une morale théologique qui
proclamait le caractère sacré et l’inviolabilité de la vie de chaque créature humaine, qui
condamnait l’avortement, l’infanticide, l’euthanasie, les mutilations, et qu’elles ont développé
une «morale médicale» qui prenait toujours davantage corps, en se libérant petit à petit des traités
du Moyen Âge et de la Renaissance. Ceux-ci traitaient les thèmes d’éthique médicale dans des
dissertations sur la vertu de justice ou dans le commentaire sur le commandement de «ne pas
tuer», jusqu’aux ouvrages de morale médicale plus récents dans lesquels le fondement du
jugement moral sur le travail du médecin est déduit des données de la Révélation et non
seulement issu des préceptes d’Hippocrate, dont le Serment est toujours reconnu comme
l’expression de ce qui est éthique, que ce soit dans le monde chrétien ou dans le monde islamique.
L’enseignement constant du Magistère de l’Église catholique et aussi celui des autres
confessions chrétiennes sur les problèmes que la science médicale a posés, surtout à l’ère
contemporaine, se situe dans la continuation de cet intérêt séculaire. Les années du pontificat de
Pie XII constituent une période historique significative durant laquelle on a le mieux énoncé la
«morale médicale», dans la sphère catholique. Qui parcourt de nouveau les enseignements et les
32
33
Mt 25, 40.
Lc 10, 30-37.
messages radiophoniques de Pie XII adressés aux médecins – et le travail mérite d’être refait – se
rend compte qu’ils répondent à deux provocations: la présence des crimes nazis perpétrés dans
des camps de concentration et l’avancement d’un progrès technologique qui, dans son ambiguïté,
pouvait et peut encore être détourné vers l’oppression et la suppression de la vie humaine.
================================= p17
Et c’est précisément à ce carrefour historique que vient se situer la naissance de la
bioéthique34. Mais la réflexion de la morale catholique au plan médical a suscité un
enrichissement continuel après le pontificat de Pie XII, avec ses successeurs. Même au plan
international, les déclarations des Églises en général et celles de l’Église catholique en particulier
font l’objet d’une considération attentive, le médecin ne pouvant les ignorer, soit à cause de son
éventuelle appartenance religieuse personnelle, soit à cause de l’obéissance religieuse du patient,
ou soit à cause des raisons objectives sur lesquelles se fonde l’indication ou la norme morale.
Nous ne pouvons pas ne pas rappeler, en plus des discours et des messages radiophoniques de
Pie XII adressés aux médecins, les documents du concile Vatican II, en particulier, la
Constitution pastorale Gaudium et Spes, dans la partie qui se réfère à la conception de l’homme et
de la famille, l’encyclique Humanæ Vitæ de Paul VI du 25 juillet 1968, la Déclaration sur
l’avortement sur demande de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (organisme doctrinal de
l’Église catholique) du 18 novembre 1974, la Déclaration sur certaines questions de la morale
sexuelle du 29 décembre 1975, la Lettre aux évêques sur la stérilisation dans les hôpitaux
catholiques du 13 mars 1975. De Jean-Paul II, nous rappelons les multiples discours relatifs à la
morale conjugale et l’Exhortation apostolique Familiaris Consortio du 22 février 1981. Durant
son pontificat, la Déclaration de la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la foi sur
l’euthanasie, Jura et bona du 5 mai 1980, et le document plus engageant sur le terrain de la bioéthique, l’Instruction sur Le respect de la vie humaine naissante et la dignité de la procréation
(Donum Vitæ) du 22 février 1987. Parmi ses encycliques, les plus fondamentales sont Veritatis
Splendor (6 août 1993) et Evangelium Vitæ (25 mars 1995), dans laquelle, pour la première fois,
Jean-Paul II utilise explicitement le terme «bioéthique» et en examine les questions
fondamentales les plus actuelles35.
===================================
p18
Les autres Églises chrétiennes et les autres confessions religieuses ont également offert des
indications à leurs fidèles respectifs et formulé des propositions au monde médical et politique
dans leurs discours sur chacun des thèmes qui seront rappelés ici. Parmi celles-ci, nous rappelons,
pour le moment, du Conseil Œcuménique des Églises de Genève, les indications relatives à
l’avortement et au diagnostic prénatal, intitulée Manipulating life: ethical issues in genetic
engineering (Genève 1982).
34
Sgrecia, E., La bioetica, fondamenti e contenuti, «Medecina e Morale», 1984, 3, pp. 285-306, et du même auteur, La
bioetica tra natura e persona, «La famiglia», 1985, 108, pp. 30-42.
35
L’édition officielle des Documents du Magistères est confiée à la Libreria Editrice Vaticana. Les documents des
papes se trouvent dans les collections suivantes: Pio XII, Discorsi e Radiomessagi, voll. 1-20, Città del Vaticano 1959; Giovanni
XXIII, Discorsi, Messagi; colloqui del S. Padre Giovanni XXIII, voll. 1-5; Paolo VI, Insegnamenti di PzoloVI, voll. 1-16, Città del
Vaticano 1979; Giovanni Paolo II, Insegnamenti di Giovanni Paolo II, voll. 1-14, Città del Vaticano 1993. Les organes officiels, pour
chacun des documents, cependant sont les Acta Apostolicæ Sedis (AAS). L’organe officieux de l’Église catholique est également
«L’Osservatore Romano». Il existe, en Italie, un recueil reconnu et autorisé des documents du Saint-Siège dans la collection
Enchiridion Vaticanum, Dehoniane, Bologna. On trouve un recueil des discours de Pie XII aux médecins dans Angelin F. (sous la
direction de), Pio XII. Discorsi ai medici, Roma, 1959.
Du monde islamique nous retenons le Code Islamique d’éthique Médicale approuvé par la
Conférence Internationale sur la médecine islamique qui s’est tenue au Koweït en janvier 198136.
Pour compléter le panorama historique des contributions aux formulations des principes et aux
lignes de conduite dans la sphère bioéthique, il faut mentionner un apport provenant du monde
laïc, de nature juridique et déontologique de grande importance, qui s’est développé plus tard et a
suivi le procès de Nuremberg (1945-1946).
Durant ce procès célèbre contre les crimes nazis, on a porté à la connaissance du monde les
délits perpétrés par des médecins sur des prisonniers et des civils, sur l’ordre du régime nazi. Ces
délits sont aujourd’hui connus et relatés dans les actes du procès37. Ils restent pour nous comme
un témoignage négatif de tout ce qui peut être fait par le pouvoir absolu dénudé de toute morale
ou présumé détenteur de cette même morale, qui s’est assuré la collaboration de certains
médecins comme instruments du pouvoir politique, qui se sentaient justifiés de le faire parce
qu’ils y étaient «contraints».
À partir de ce moment tragique, qui, pour certains, pourrait coïncider avec la naissance de la
bioéthique ante litteram (avant la lettre), on développera deux lignes de réglementation: la
formulation des «droits de l’homme», et l’approbation de «Codes de déontologie médicale»,
progressivement mis à jour, émanant d’organismes internationaux, comme l’Association
Médicale Mondiale (AMM) et le Conseil des Organisations Internationales des Sciences
Médicales (CIOMS). Cette législation et ces réglementations ont nécessairement entraîné et
suscité une réflexion ayant un fondement théorique et justificatif qui, par la force des choses,
devait converger vers une discipline systématique: la bioéthique, justement.
Sur la première ligne, on a développé toute une codification, à commencer par la Déclaration
universelle des droits de l’homme,
================================= p19
publiée par les Nations Unies (ONU), le 10 décembre 1948, et la Convention de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales (traité de Rome du 4 novembre 1950), qui
contiennent des affirmations importantes concernant la défense de la vie et de l’intégrité
physique, la défense et la sauvegarde des autres libertés fondamentales civiles et politiques, et
une série de déclarations, de conventions, de recommandations et de chartes. Parmi les recommandations, je retiens, à titre d’exemples, celles du Conseil de l’Europe: celle qui porte le
numéro 29/1978 sur la transplantation de tissus et d’organes; la recommandation numéro 79/1976
relative aux droits des malades et des mourants; et finalement les recommandations 1046/1986 et
1100/1989 traitant de l’utilisation des embryons et des fœtus humains.
Dans le courant des problèmes individuels, nous citerons ceux-ci et d’autres documents pour
leur autorité culturelle et pour les valeurs éthiques auxquelles ils se réfèrent. On sait que, en ce
qui a trait à leur force juridique, les Déclarations, les Conventions et les Recommandations ont un
poids normatif différent. Les Recommandations, en particulier, ont une valeur juridique véritable
et propre au moment où elles sont reçues des États, mais dans tous les cas, elles ont une signification culturelle et éthique.
Parmi les Codes de déontologie, je mentionne le Code de Nuremberg de 1947, le Code
d’éthique médicale publié à Genève en 1948, contenant le Serment de Genève, par l’AMM, mis à
jour par l’Association de Londres elle-même, en 1949, de même que la célèbre et bien connue
36
Codice Islamico di Etica Mededica, (janvier 1981) dans Spinsanti, S. (sous la direction de), Documenti di
deontologia..., p. 166-186. Pour un approfondissement de la réflexion bioéthique du point de vue des diverses religions, voyez
Spinsanti, S. Bioetica e grandi religioni, Milano, 1987.
37
Voyez le volume Lifton, R.J., I medici nazisti, Milano, 1988.
Déclaration d’Helsinki portant sur l’expérimentation et les recherches biomédicales, également
publiée par l’AMM en 1962, modifiée à Helsinki en 1964 et mise à jour à Tokyo en 1975, à
Venise en 1983, et ensuite à Hong Kong en 1989, et à Somerset en 1996.
Pour ce qui est de la détermination du moment de la mort et des traitements donnés dans la
phase finale de la maladie, nous devons nous rappeler de la Déclaration de Sydney par l’AMM de
1968, révisée à Venise en 1983.
Provenant de la Conférence Internationale des Ordres des Médecins de la Communauté
Économique Européenne (CEE), un autre organisme significatif dans le domaine de la médecine,
on ne peut s’empêcher d’évoquer, par exemple, le document intitulé Principi di Etica Medica
Europea, publié à Paris, le 6 janvier 198738.
En Italie, sur la ligne dictée par le progrès biomédical, la Federazione Nazionale degli Ordini dei
Medici se charge de mettre à jour le
==================================== p20
Codice di Deontologia Medica, dont la dernière révision remonte à juin 199539.
Le problème de la définition
L’itinéraire historique rétrospectif et récent de la bioéthique, que nous avons brossé, nous fait
voir un large éventail des problèmes examinés quant aux contenus et aux critères évoqués: à
partir de la première mise en route théorique à dominante bio-écologique (Potter, Jonas) ayant des
connotations de «catastrophisme», qui met en crise le concept du dix-neuvième siècle de progrès
unidirectionnel et automatiquement bénéfique, la bioéthique s’enrichit de nouvelles réflexions de
caractère éthico-philosophique portant sur les anciens et nouveaux problèmes de la médecine, de
la démographie et de la recherche expérimentale sur l’homme et sur l’animal, grâce à la
production de plusieurs Centres américains et européens. Elle met l’accent sur le rapport entre vie
humaine et vie infrahumaine et, enfin, elle se mesure avec les apports de l’éthique médicale
classique des différentes doctrines religieuses et avec les droits de l’homme.
De ceci surgit avant tout le problème d’une définition de la bioéthique, problème qui, du moins
jusqu’à maintenant, ne semble pas avoir été résolu.
Il y en a qui se représentent la bioéthique comme un mouvement d’idées historiquement
mutantes. D’autres la considèrent comme une méthodologie de comparaisons interdisciplinaires
entre les sciences biomédicales et les sciences humaines. D’autres réduisent la réflexion
bioéthique à une articulation de la philosophie morale et pensent désormais que cette réflexion
peut être définie comme une discipline autonome, qui a un rôle qui lui est propre, distinct de la
déontologie, de la médecine légale, des droits de l’homme, même si ces disciplines peuvent avoir
entre elles des connexions et des points de comparaison, et même si elle ne peut pas être
considérée comme une branche de l’éthique médicale40, plus ancienne et plus connue.
=================================== p21
38
Un recueil significatif des textes de déontologie se trouve dans Spinsanti, S. Documenti di deontologia...
39
Les étapes historiques du Code italien de déontologie médicale sont brossées dans le volume de Introna, F., Tantalo,
M., Colafigli, A. Il Codice di deontologia medica Correlato a legi ed a documenti, Liviana Medica, Napoli, 1992, p. 198. Dans ces
volumes, nous apprenons qu’un code italien de déontologie est publié par l’Ordre des Médecins de Turin en 1912, un code national
n’existant pas. En 1954, par voie de référendum parmi les médecins italiens, ce code a été adopté pour servir de base en vue de la
publication du premier code italien. Il a été modifié plus tard, en 1978 et en 1989. On peut trouver une systématisation de la
déontologie professionnelle, de même que le dernier code de 1995 dans «Guida all’esercizio professionale per i medici-chirurghi e
gli odontoiari», ed. Medico scientifiche, Torino, 1984, parte IV (mise à jour de décembre 1995), p. 897.
40
Bompani, A., Bioetica in Italia. Lineamenti e tendenze, Bologna, 1992.
À partir de cet excursus mené jusqu’ici, soit dans un sens géographico-culturel pour la
bioéthique récente et proprement dite, soit pour les multiples apports antérieurs de l’éthique
médicale, de la morale religieuse, de la déontologie et des droits de l’homme, il résulte que nous
sommes en face d’un panorama certainement très vaste, mais, par ailleurs, assez particularisé.
À cause de cela, nous croyons désormais suffisamment acquis le fait que, sous le terme
bioéthique, on peut inclure également la morale médicale proprement dite: non pas cependant la
bioéthique comme partie récente et adjointe de la morale médicale, mais plutôt comme une
éthique qui concerne les intervenants sur la vie, comprise au sens extensif, comme intéressant
également les intervenants sur la vie et sur la santé de l’homme.
Par ailleurs, la médecine aujourd’hui, à mesure qu’elle progresse, se sert davantage de la
recherche de base dans le domaine biologique, et se branche également, dans le sens social, sur la
composante environnementale41.
Comme nous l’avons déjà rappelé dans notre introduction, Potter en 197142, en plus d’avoir
créé le terme, avait d’une certaine façon défini la nouvelle discipline43 comme la combinaison de
la connaissance biologique avec la connaissance du système des valeurs humaines. Il considérait,
pour ainsi dire, la bioéthique comme un nouveau type de sagesse qui aurait dû montrer comment
utiliser la connaissance scientifique pour assurer le bien social; la bioéthique, par conséquent,
devait être la science de la survie (science of survival).
Reich donne deux définitions de la bioéthique à l’occasion des deux éditions successives de
l’Encyclopedia of Bioethics. Dans celle de 1978, il définissait la bioéthique comme «l’étude
systématique du comportement humain, dans le domaine des sciences de la vie et de la santé,
examinés à la lumière des valeurs et des principes moraux»44.
L’univers de la science de la vie et de la santé comprenait, par conséquent, la considération de
la biosphère plus généralement envisagée, dépassant les limites de la médecine. Les interventions
peuvent être celles qui concernent les professions médicales, mais également celles qui portent
sur les populations, comme par exemple celles qui ont rapport aux problèmes démographiques et
environnementaux. Ce qui fait la spécificité de cette étude systématique c’est sa référence aux
valeurs et aux principes moraux, par conséquent aux critères, aux jugements et aux limites qui en
déterminent la légitimité ou l’illégitimité.
====================================== p22
Dans l’édition de 1995, Reich donne à la définition de la bioéthique une plus grande étendue.
Il la définit comme «l’étude systématique des dimensions morales – y incluant la vision morale,
les décisions, le comportement, les lignes directrices, etc. – des sciences de la vie et des soins de
santé, avec l’utilisation d’une variété de méthodologies éthiques dans une formulation
interdisciplinaire»45. On doit remarquer que, dans cette définition, il récupère, en partie, la
conception originelle de «bioéthique globale» proposée par Potter. Reich lui-même, de fait,
précise que «la vision large selon laquelle le néologisme a été proposé il y a vingt ans» demeure
confirmée. À la différence de ceux qui conçoivent la bioéthique dans un sens étroit – dans la
pratique, l’éthique médicale développée suffisamment pour inclure l’éthique de la recherche
41
pp. 88-103.
42
43
44
45
Iandolo, C., Etica clinica et bioetica, «Giornale Italiano di Formazione Permanente del Medico», 1987, XV, 2,
Potter, V.R., Bioethics...
Reich, W.R., The word «Bioethics»...
Reich, W.R. (sous la direction de), Encyclopedia of Bioethics, 1978, p. XIX.
Reich, W.R. (sous la direction de), Encyclopedia of Bioethics, 1995, p. XXI.
biomédicale –, nous avons étendu la bioéthique jusqu’à y inclure les problèmes sociaux,
environnementaux et globaux de la santé et des sciences de la vie. Le champ de la bioéthique, par
conséquent, va au-delà de celui de l’éthique biomédicale46.
Dans la définition de 1995, donc, l’objet matériel de la bioéthique s’étend à toutes les
dimensions morales, lesquelles incluent les comportements sociaux et les décisions politiques. En
ce sens, la définition semble plus complète. En outre, l’objet formel de la bioéthique est changé,
car celle-ci n’est plus «examinée à la lumière des valeurs et des principes moraux», mais plutôt
«par le biais d’une variété de méthodologies éthiques». Par cette affirmation, Reich veut éliminer
le malentendu, créé dans les années précédentes, portant sur les principes énoncés exclusivement
par Beauchamp et Childress, et, fondamentalement, désire ouvrir la porte au pluralisme éthique.
À notre avis, cette ouverture est sans doute très importante, même si elle cache en elle-même
le risque facile d’un relativisme éthique, au cas où elle empêcherait la bioéthique de jouer son
rôle normatif. En fait, devant un problème éthique, alors que, dans un premier temps, il est
opportun de partir de l’examen des différents points de vue, il est nécessaire ensuite, dans la prise
de décision – étant donné que la bioéthique a une finalité pratique – de vérifier la validité des
arguments et des critères fournis par chacune des positions. Donc, la validité du choix
s’argumente rationnellement et c’est seulement de cette manière que l’on peut éviter de tomber
dans le relativisme éthique qui, dans le fond, serait la dissolution de la bioéthique même.
Dans ce sens, par conséquent, la bioéthique ne peut être réduite à la déontologie médicale, à la
médecine légale ou encore à la simple considération philosophique.
Afin de préciser cette différence, un groupe d’étude a élaboré un document appelé justement
«Documento di Erice», à l’occasion d’un congrès international qui s’est tenu à Erice, en février
1991. Dans ce
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document, on traite de l’objet de la bioéthique et de son rapport avec la déontologie et la
médecine légale. Ensuite on y évoque les différentes polémiques qui ont cours au sujet du rôle de
la bioéthique parmi les partisans de la médecine légale. Dans ce document qui se réfère en grande
partie aux contenus de l’Encyclopedia of Bioethics de 1978, la compétence de la bioéthique est
reconnue dans les quatre domaines suivants:
a) les problèmes éthiques des professions de la santé;
b) les problèmes éthiques émergeant dans le champ des recherches sur l’homme, même si elles
ne sont pas thérapeutiques;
c) les problèmes sociaux connexes aux politiques de la santé (nationales et internationales), à
la médecine occupationnelle et aux politiques de planification familiale et de contrôle
démographique;
d) les problèmes concernant l’intervention sur la vie des autres êtres vivants (plantes, microorganismes et animaux) et en général, ce qui se réfère à l’équilibre de l’écosystème.
En ce qui concerne les rapports avec la médecine légale et la déontologie professionnelle, le
document s’exprime ainsi:
«1.La bioéthique est une aire de recherche qui, en profitant d’une méthodologie
interdisciplinaire, a pour objet “l’examen systématique du comportement humain dans le champ
des sciences de la vie et de la santé, en autant que cette conduite est examinée à la lumière des
valeurs et des principes moraux”, selon la définition acceptée de l’Encyclopedia of Bioethics de
46
Spinsanti, S., Incontro con W. Reich, Arco di Giano, 1995, 7, p. 219.
1978. Sa spécificité dérive du type de problèmes qu’elle étudiera, de la nature des instances
éthiques et de la méthodologie utilisée.
En tant qu’éthique appliquée au “règne du biologique” – lequel désigne un univers plus étendu
que celui de la médecine –, la bioéthique embrasse l’éthique médicale traditionnelle et la dépasse,
incluant: a. les problèmes éthiques de toutes les professions de la santé; b. les recherches sur les
comportements, indépendamment de leurs applications thérapeutiques; c. les problèmes sociaux
associés aux politiques de la santé, la médecine du travail, la santé internationale, les politiques
de contrôle démographique; les problèmes de la vie animale et végétale en relation avec la vie de
l’homme.
Le but principal de la bioéthique est de faire l’analyse rationnelle des problèmes moraux liés à
la biomédecine et de leurs liens avec les champs du droit et des sciences humaines. Cette analyse
servira ensuite à l’élaboration de lignes éthiques fondées sur les valeurs de la personne et sur les
droits de l’homme, dans le respect de toutes les confessions religieuses, sur une base rationnelle
et méthodologique scientifiquement adéquate. Ces lignes éthiques sont également destinées à
servir de points de repère pour guider les comportements des personnes, assurer le respect de
leurs droits et mettre en application les codes de déontologie professionnelle actuels et futurs.
Les instruments pour l’étude de la bioéthique découlent d’une méthodologie interdisciplinaire
spécifique qui se propose d’examiner,
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de façon approfondie et mise à jour, la nature du fait bioéthique (moment épistémologique),
d’en révéler les implications sur le plan anthropologique (moment anthropologique), et
d’identifier les “solutions” éthiques ainsi que les justifications d’ordre rationnel qui sous- tendent
ces solutions (moment applicatif)» [...].
«2.La déontologie médicale est une discipline dont l’objet est l’étude des normes de
comportement professionnel spécifiques aux professions de la santé. Cette discipline comporte
trois catégories de normes:
a. Les normes morales, objet de l’éthique médicale traditionnelle, et considérées aujourd’hui
comme faisant partie de la bioéthique à la “construction de laquelle l’éthique médicale a
préparé le terrain”;
b. Les normes déontologiques proprement dites, contenues dans les codes et dans toute la
tradition orale et écrite de la profession médicale;
c. Les normes juridiques de chaque pays.
Le but de la déontologie médicale est l’approfondissement essentiel et la mise à jour des
normes et des règles de conduite de la profession médicale.
Les instruments d’étude des trois sphères sont les suivantes:
a. L’étude des normes morales, et de leur relecture mise à jour, est développée en étroite
relation avec les conclusions qui proviennent de la bioéthique.
b. La mise à jour des normes déontologiques proprement dites comporte une constante
comparaison avec les codes déontologiques nationaux et internationaux.
c. Les normes juridiques à caractère déontologique sont étudiées selon le droit en vigueur et
appliqué dans chaque pays, tout en ayant pour but de chercher une correspondance avec les
valeurs déontologiques». [...]
«3.La médecine légale est, de par sa nature, une science interdisciplinaire. Elle étudie avec une
méthodologie qui lui est spécifique, les contenus biologiques et médicaux des normes juridiques
afin de leur donner la meilleure interprétation, la meilleure application et le meilleur
développement possible. Elle collabore avec la justice et les individus afin de solutionner des cas
qui requièrent des recherches et des évaluations d’ordre biologique et/ou médical». [...]
«L’enseignement de la médecine légale, par le biais de la déontologie médicale, se rattache
naturellement à la bioéthique, une discipline vraiment plus éminemment autonome et d’une
envergure plus vaste qui, avec sa méthodologie et les résultats auxquels elle parvient, contribue à
la mise à jour et à la justification épistémologique de la réglementation déontologique, à
l’orientation de la formulation des lois et à l’encadrement des interventions sur la vie humaine,
dans
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p25
l’univers plus large de la biosphère, dont elle discute les critères et les limites de la
légitimité»47.
Même dans cette définition, comme dans celle de l’Encyclopedia of Bioethics, on ne précise
pas quels devraient être les valeurs et les principes moraux, ayant devant soi une pluralité
d’affirmations philosophiques que la bioéthique se donne pour devoir de discuter et d’examiner.
Nous remettons au prochain chapitre la description de ces diverses orientations, qui, d’autre part,
se retrouvent dans les discussions des problèmes individuels spécifiques.
Comme dernière note descriptive, nous pouvons dire que l’enseignement de la bioéthique, au
cours de son développement, s’est désormais subdivisée en trois parties distinctes: la bioéthique
générale, la bioéthique spéciale et la bioéthique clinique.
a) La bioéthique générale, qui s’occupe des fondements éthiques, est le discours sur les valeurs
et les principes originaux de l’éthique médicale et sur les sources documentaires de la
bioéthique (droit international, déontologie, législation). En pratique, elle est une
philosophie morale véritable et particulière dans ce qui lui est fondamental et institutionnel.
b) La bioéthique spéciale, qui analyse les grands problèmes, toujours envisagés sous leur
aspect général, tant sur le plan médical qu’au niveau biologique: génie génétique,
avortement, euthanasie, expérimentation clinique, etc. Ce sont les grandes thématiques qui
constituent les colonnes qui supportent la bioéthique systématique et qui, évidemment,
doivent être résolues à la lumière des modèles et des fondements que le système éthique
reconnaît comme fondamentaux et justificatifs du jugement éthique. C’est pourquoi celle-ci
ne peut éviter de s’appuyer sur les conclusions de la bioéthique générale.
c) La bioéthique clinique ou décisionnelle examine, dans le concret de la praxis médicale et du
cas clinique quelles devraient être les valeurs en jeu ou par quelles voies correctes on
pourrait trouver une ligne de conduite sans modifier ces valeurs. Le choix d’au moins un
principe ou d’un critère d’évaluation conditionnera l’évaluation du cas. Or, on ne peut pas, à
notre avis, séparer la bioéthique clinique de la bioéthique générale, car nous reconnaissons
que les cas concrets présentent toujours ou presque toujours une pluralité d’aspects à
évaluer.
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p26
47
Società Italiana di Medecina legale e delle Assicurazioni, Il documento di Erice sui rapporti della Bioetica e della
Deontologia Medica con la Medecina legale, 53rd course «New trends in forensic haematology ans genetics. Bioetical problems»,
(Erice, 18-21 febbraio 1991), publié dans «Medecina e Morale», 1991, 4, pp. 561- 567.
Bioéthique, anthropologie et interdisciplinarité
À partir de ce que nous venons d’exposer, la nouvelle discipline ne peut pas être conçue
comme une simple confrontation entre les différentes opinions et les diverses positions éthiques
existantes. Elle doit plutôt suggérer des valeurs de référence et des lignes de choix opérationnels.
Elle devra s’engager à fournir des réponses objectives fondées sur des critères rationnellement
valides.
La recherche de réponses adéquates ne peut se faire sans une approche interdisciplinaire du
problème. Celle-ci est l’une des caractéristiques particulières de la bioéthique. Son rôle, dans les
sciences biomédicales et dans la science de l’environnement (l’écologie), est évident. Cependant
tous ne sont pas conscients que, dans ce champ d’étude, on ne peut faire abstraction d’une
anthropologie philosophique de référence dans laquelle la vie physique corporelle, l’amour
conjugal et la procréation, la souffrance, la maladie et la mort, en plus des rapports libertéresponsabilité, individu-société et individu-nature trouvent leur sens véritable, leur encadrement
et leur valorisation éthique. Dans cet entrecroisement complexe des sciences expérimentales et
des sciences humaines pour une recherche de la «sagesse de la science» – wisdom of science,
pour utiliser l’expression de Potter – il faudra mettre à contribution la philosophie de la nature,
afin de déterminer le rôle adéquat, le sens et la valeur de l’environnement, de l’écosystème dans
la bioéthique. Il faudra, en plus, utiliser la philosophie de la nature et le droit. Finalement, une
ouverture à la théologie sera nécessaire, comme «horizon de sens»48.
Cependant, tout en maintenant entre elles des rapports très étroits, chacune de ces disciplines
continue de posséder un statut épistémologique propre et indépendant des autres.
En ce qui concerne l’anthropologie, nous ferons référence à cette conception anthropologique
qui, à notre avis, rend le plus justice au sens réel et objectif de l’homme et contribue à sa
valorisation: le personnalisme ontologiquement fondé. Celui-ci se présente comme une vision intégrale de la personne humaine, non sujette à des réductions idéologiques ou biologiques. Afin de
pouvoir résoudre les problèmes posés par le progrès scientifique et par l’organisation sociale de la
médecine et du droit, nous pensons, de fait, que nous devons in primis (en premier lieu), répondre
à la question concernant la valeur de la personne humaine, ses droits et ses devoirs, de manière à
exclure toute possibilité de s’en servir comme instrument.
La valeur fondamentale de la vie, la transcendance de la personne, la conception intégrale de la
personne – laquelle résulte de la synthèse des valeurs physiques, psychologiques et spirituelles –
les rapports de prio======================================
p27
rité et de complémentarité entre la personne et la société, une conception personnaliste et
communautaire de l’amour conjugal, sont les points de référence de la bioéthique ainsi que de
toute l’éthique humaine et sociale. Ces valeurs devront éclairer ceux qui tentent de résoudre les
problèmes émergeant du développement de la science biomédicale, une science qui, de nos jours,
semble animée d’un enthousiasme optimiste pour le progrès, oubliant les grands défis lancés par
les maladies non vaincues, la prévention des maux typiques de la société technologique
engendrés par l’exploitation écologique. C’est justement pour cela que nous avons besoin d’une
48
D’Agostino, F., La teologia del diritto positivo: annuncio cristiano e verità del diritto, Atti del Simposio
internazionale Evangelium Vitæ e Diritto, Libreria ed. Vaticana, Roma, 1996.
anthropologie philosophique de référence qui tienne compte de la personne humaine dans son
intégrité et des rapports biunivoques qui lient la personne aux conditions existentielles: l’espace
qu’elle habite et le temps dans lequel elle vit et vivra. Dans cette perspective, on comprend alors
la grande importance de la catégorie responsabilité à laquelle Jonas se réfère dans son œuvre
évoquée précédemment.
L’anthropologie personnaliste ontologiquement fondée est très souvent critiquée en tant
qu’anthropologie soutenable – dit-on – seulement par ceux qui admettent une conscience
supérieure à la conscience rationnelle et la possibilité d’une théologie.
Pour ne pas tomber dans des équivoques, il nous semble nécessaire d’établir une distinction
entre la théologie rationnelle et la théologie révélée. La théologie rationnelle, appelée
traditionnellement théodicée ou philosophie de Dieu, est la science qui étudie, à la lumière de la
raison naturelle, ce que l’on peut arriver à connaître de l’être suprême, par la raison.
La théologie révélée, au contraire, a un objet matériel (ce qu’elle étudie) et un objet formel (le
point de vue qu’elle adopte), différents de ceux de la théologie rationnelle, ce qui en fait une
science différente, avec un statut épistémologique différent. La théologie révélée étudie le donné
révélé à la lumière de la raison éclairée par la foi. Son objet matériel coïncide donc, en partie,
avec celui de la théologie rationnelle, puisqu’elle étudie le même Dieu, mais elle le dépasse
considérablement, puisqu’elle s’étend à tout ce que Dieu lui-même nous a révélé de lui. En
conséquence, seul celui qui a reçu cette même foi pourra faire de la théologie. Il est juste
d’affirmer que la métaphysique et la philosophie rationnelle sur Dieu ont plusieurs point en
commun, car toutes les deux en arrivent à toucher le fondement ultime de la réalité: l’être. Ceci
étant clarifié, nous devons ajouter que l’anthropologie et l’éthique que nous proposons ne partent
pas de la raison éclairée par la foi, du fait que le discours qui en découlerait ne serait utile qu’à
ceux qui ont le même credo, mais plutôt qu’elles tiennent compte de toute une série de
connaissances philosophiques rationnelles, soit métaphysiques, soit anthropologiques ou éthiques.
À notre avis, celui qui confond l’ontologie et le personnalisme ontologiquement fondé avec la
théologie révélée affiche une méconnaissance du sens de la métaphysique même et de la
théologie. Celui qui se borne à une philosophie empirique, qui réduit l’homme à ses aspects
purement expérientiels, fait preuve
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p28
de préjugés intellectuels par rapport à une grande partie de la tradition philosophique,
développée de Platon jusqu’à nos jours, qui considère l’homme comme corps et esprit.
Toute science parvient à un certain achèvement à l’intérieur de ses propres limites. Ce qui
n’empêche pas les sciences d’être ouvertes aux autres et que leur enchevêtrement au contraire, à
condition que chacune maintienne son statut épistémologique inchangé, nous emmène vers un
enrichissement de la compréhension de l’objet d’étude, de la même manière que l’observation
d’un objet, non seulement de front, mais aussi de côté, de l’intérieur et d’en haut, peut contribuer
à une vision exhaustive de l’objet observé, selon une orientation épistémologique
«d’intégration»49.
La bioéthique se spécifie et se distingue également par rapport à la théologie morale,
communément appelée «morale médicale». Cette partie de la morale, destinée à la formation du
49
Lonergan, Method in Theology, Darton and Tod, London 1972 (traduction italienne, Il metodo in teologia,
Queriniana, Brescia, 1975.
personnel de la santé, considère leurs interventions du point de vue de la foi et, par conséquent à
la lumière de la révélation chrétienne, précisée par le Magistère: elle a sa raison d’être comme
réflexion sur le donné de la foi et sur l’application de la loi divine dans le comportement humain.
Elle a sa validité surtout dans la communauté des croyants, même si plusieurs de ses conclusions
viennent coïncider avec celle de la philosophie morale tout court.
Mais, à notre avis, il serait impropre et inutile pour la foi elle-même de nier la légitimité et la
nécessité d’une réflexion rationnelle et philosophique sur la vie humaine et par conséquent, sur le
droit du médecin et du biologiste d’intervenir sur l’homme. La vie humaine est d’abord une
valeur naturelle, rationnellement connue de tous ceux qui font usage de la raison. La valeur de la
personne humaine est imprégnée de la grâce et du don de l’Esprit saint, mais elle ne cesse pas
d’être pour tous, qu’ils soient croyants ou non, une valeur intangible. C’est contraire à la tradition
de l’Église de nier la valeur de la raison et la légitimité de l’éthique rationnelle, appelée aussi
naturelle.
En effet, même dans le dernier débat sur l’avortement, plusieurs ont osé penser qu’il s’agissait
d’un problème de foi ou de non-foi, alors que la vie humaine est la même pour tous, et que
l’obligation de la respecter est le devoir de l’homme en tant qu’homme et non seulement en tant
que croyant: le croyant aura des raisons de renforcement surnaturel, mais ces raisons ne peuvent
pas être invoquées pour dispenser tous les hommes de bonne volonté et d’intention droite de
réfléchir sur les faits humains, à la lumière de la raison50.
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p29
L’Église catholique elle-même, au cours des siècles, a condamné toutes les positions fidéistes
qui enlevaient à la raison et à l’intelligence leur poids et leur valeur, avec la même vigueur avec
laquelle elle a condamné les hérésies sur les vérités révélées. L’Église a défendu plutôt le principe
de l’harmonie entre la science et la foi, entre la raison et la Révélation: une harmonie pas toujours
facile et immédiate soit à cause de la faiblesse de l’esprit humain, soit à cause des pressions
idéologiques, soit à cause de la difficulté intrinsèque aux problèmes.
Ceci constitue un problème délicat et essentiel qui implique les rapports homme-Dieu, naturesurnature, philosophie-théologie. La raison et la Révélation ont le même auteur, qui est Dieu,
méritent, pour cela toutes deux un égal respect, et demandent un soutien réciproque51.
Cette rencontre est d’autant plus urgente et nécessaire que nous avançons davantage dans le
champ des sciences expérimentales, qui ont comme objet des réalités intramondaines et
corporelles et qui utilisent un procédé rationnel.
50
«Le respect de la vie humaine ne s’impose pas seulement aux chrétiens. Il suffit de s’appuyer sur l’analyse de ce
qu’est et devrait être une personne pour se convaincre de l’exiger», Déclaration sur l’avortement sur demande de la Congrégation
pour la Doctrine de la Foi (18.11.1974), no 8 dans Enchiridion Vaticanum, 5, Bologna, 1979, p. 427.
51
C’est pourquoi la recherche méthodique, dans tous les domaines du savoir, si elle est menée d’une manière vraiment
scientifique et si elle suit les normes de la morale, ne sera jamais réellement opposée à la foi: les réalités profanes et celles de la foi
trouvent leur origine dans le même Dieu. À ce propos qu’on nous permette de déplorer certaines attitudes qui ont existé parmi les
chrétiens eux-mêmes, insuffisemment avertis de la légitime autonomie de la science. Sources de tensions et de conflits, elles ont
conduit beaucoup d’esprits jusqu’à penser que science et foi s’opposaient. (Concile Vatican II, Constitution pastorale «Gaudium et
spes», n. 36, dans Enchiridium Vaticanum, 1, p. 835.) «Ce saint Synode, reprenant à son compte l’enseignement du premier Concile
du Vatican, déclare qu’il existe “deux ordres de savoir” distincts, celui de la foi et celui de la raison, et que l’Église ne s’oppose certes
pas à ce que les “arts et les disciplines humaines jouissent de leurs propres principes e et de leur propre méthode en leurs domaines
respectifs” ; c’est pourquoi, “reconnaissant cette juste liberté”, l’Église affirme l’autonomie légitime de la culture et particulièrement
des sciences.» (ibid. n. 59).
En outre, c’est une exigence de plus en plus vigoureusement exprimée de nos jours après la
longue période de «silence de la métaphysique», qui a abandonné la vérité humaine en proie au
relativisme et à la négation du connaître.
Le dialogue entre la science et la foi ne peut se produire que par l’intermédiaire de la raison
qui est leur référence commune. C’est à partir d’ici que naît et qu’est née l’exigence d’une
réflexion philosophico-morale autant au niveau médical que biologique.
À ce propos, nous devons nous demander s’il peut exister une éthique purement rationnelle,
«laïque», qui pourrait faire abstraction de l’affirmation de l’existence d’un Absolu, ou si,
précisément en vertu de l’éthique fondée sur les valeurs naturelles, rationnellement, on ne doit
pas découvrir au-dedans de ces dites valeurs, surtout comme garantie de la valeur-personne,
l’existence d’un Absolu. Nous partageons la pensée de celui qui affirme la légitimité d’une
éthique rationnelle «laïque» au plan phénoménologique, gnoséologique et ontologique immédiat,
tandis que, si le discours, comme il est nécessaire de le faire, est orienté vers le fondement
métaphysique ultime et médiat, la rationalité elle-même devra conclure à l’affirmation du Dieu
Absolu, ultime racine de la transcendance de la valeur-personne et des normes éthiques52.
Ce lien entre l’éthique rationnelle et la Révélation, qui se fonde sur la métaphysique et qui, à
partir de l’affirmation de la valeur-personne, débouche rationnellement sur l’affirmation de
l’existence de Dieu, et voit dans la Révélation chrétienne une connaissance suprarationnelle, non
irrationnelle, favorise le dialogue entre la raison et la Révélation, entre la science et la foi.
Nous comprenons donc la bioéthique comme une discipline qui a un statut épistémologique
rationnel, ouverte à la théologie comprise comme une science suprarationnelle, instance ultime et
«horizon de sens». La bioéthique, à partir de la description du donné scientifique, biologique et
médical, examine rationnellement la licéité de l’intervention de l’homme sur l’homme. Cette
réflexion éthique a son pôle immédiat de référence dans la personne humaine et dans sa valeur
transcendante, et sa référence ultime en Dieu, qui est la Valeur Absolue. Sur cette ligne,
l’affrontement avec la Révélation chrétienne est juste et spontané. L’affrontement avec les
concessions philosophiques courantes est également fructueux.
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P31
52
Cf. Valori, P., Può essistere una morale laica?, «La civiltà Cattolica», 1984, III, pp. 19-29. Sur l’affirmation
implicite de Dieu dans l’expérience éthique, voyez également la réflexion de E. Levinas, Etica ed infinito, Roma, 1984, et en général,
toute la réflexion de ce philosophe lituanien, réflexion qui se détache, cependant, sur des points importants, de la formulation de
l’éthique de type thomiste.
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p38
CHAPITRE DEUX
Justification épistémologique,
fondement du jugement éthique
et méthodologie de la recherche
en bioéthique
La justification épistémologique de la bioéthique
Du chapitre précédent émerge une situation de fait: la bioéthique existe comme tentative de
réflexion systématique sur toutes les interventions de l’homme sur les êtres vivants, une réflexion
qui se fixe comme objectif spécifique et strict: celui d’identifier les valeurs et les normes qui
guident l’agir humain, l’intervention de la science et de la technologie sur la vie elle-même et sur
la biosphère. La question que nous pouvons maintenant nous poser est décisive: Cette réflexion
a- t-elle sa place dans le panorama des sciences? Renferme-t-elle sa propre justification de sorte
qu’on ne puisse pas s’en passer? Possède- t-elle des critères propres sur lesquels fonder ses
jugements et a-t-elle sa propre méthode de recherche?
Ne serait-elle pas, par hasard, un mélange, une espèce de «cocktail» préparé avec des
ingrédients d’autres sciences, comme la biologie, la philosophie, la médecine, la déontologie,
etc., sans identité et sans nécessité précises?53
Comme nous le comprenons, la question est pertinente et elle se divise en trois questions
distinctes: d’abord la question du rôle et de la justification épistémologique; ensuite, le problème
du fondement du jugement éthique et troisièmement, le problème de la méthode.
Abordons d’abord la première, qui concerne la justification épistémologique de la bioéthique.
Jean Bernard, un hématologue français réputé, premier Président du Comité Consultatif
National d’Éthique, en France, a reconstitué l’histoire du progrès et des découvertes
biomédicales, de 1930 à nos jours, en parlant de deux grandes révolutions: la révolution
thérapeutique et la révolution biologique54.
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p40
La première révolution, après des millénaires d’impuissance, avec les découvertes des
sulfamides (1937) et de la pénicilline (1946), confère à l’humanité «le pouvoir de vaincre des
maladies pendant longtemps fatales, comme la tuberculose, la syphilis, les grandes septicémies,
les affections des glandes endocrines et les désordres biochimiques des humeurs»55.
La seconde révolution est récente: elle part de la découverte du code génétique et définit la
soi-disant «médecine génomique», en partant de la découverte des lois qui président à la
formation de la vie.
Ces découvertes, observe le savant, ont révolutionné la médecine. Elles ont également
provoqué une révolution dans les concepts de la vie et de l’homme et, conséquemment, sorti de
sa léthargie la réflexion sur la destinée même de l’humanité.
53
Des objections de ce genre ont été avancées dans des revues de haut niveau scientifique, comme la Rivista Italiana di
Médicina legale. Voyez, par exemple, G. Ganepa, Biologia e deontologia medica: aspetti problematici e conflittuali, Rivista Italiana
di Médicina legale, 1990, 1, pp. 3-6.
54
J. Bernard, De la biologie à l’éthique, Paris 1990.
55
Ibid., p. 22.
C’est encore Jean Bernard qui rappelle les grandes conquêtes de la médecine durant ces
années-là: la systématisation des méthodes d’expérimentation des nouveaux médicaments sur les
sujets volontaires sains et sur les malades, la transplantation d’organes et de tissus, l’utilisation de
techniques de réanimation, la lutte continue, et toujours à recommencer, contre le cancer par la
chimiothérapie, la chirurgie et les radiations, selon diverses méthodes, et l’emploi, sur une vaste
échelle, des vaccins pour combattre les grandes épidémies (typhoïde, variole, poliomyélite),
jusqu’à la nouvelle frontière ouverte par le SIDA.
Sous le choc de ces découvertes, l’éthique médicale se trouve stimulée et développée dans des
domaines nouveaux et importants. Plus la médecine devient puissante et efficace, plus les normes
de protection de l’individu doivent être rigoureuses et bien connues.
Les grandes associations médicales, comme l’Association Médicale Mondiale (AMM) et la
Fédération des Ordres des Médecins, lors de leurs congrès, comme nous l’avons dit dans le
chapitre précédent, s’en font les porte-parole. En témoignent également les Codes de déontologie,
comme celui de Nuremberg et d’Helsinki56 sur l’expérimentation, ce dernier étant
continuellement mis à jour, à Tokyo, à Sydney, à Hong Kong. En Europe et dans le monde entier,
on formule des codes et des lignes directrices pour la pratique médicale. Même dans le monde
musulman, durant cette même période, on se donne son propre Code d’éthique médicale.
Ce filon de la médecine thérapeutique a représenté et représente encore le filon classique et, je
dirais, le modèle hippocratique, renforcé par la méthode expérimentale et protégé, comme nous
l’avons dit, par les codes de déontologie et d’éthique médicale57.
==========================================
p41
Avec l’arrivée des découvertes scientifiques de la génétique et, par la suite, des applications
des nouvelles connaissances dans le champ embryologique et gynécologique, qui ont conduit à la
venue de la procréation artificielle, la science médicale entre dans une nouvelle phase dont les
développements ne sont pas du tout prévisibles et demeurent encore dépourvus d’une norme
éthique et déontologique homogène.
On a alors recouru à une nouvelle éthique pour éviter ce qui avait été désigné comme la
possible catastrophe de l’humanité, une éthique de l’entière biosphère, qui pouvait procurer une
norme à l’intérieur de l’évolution même de la biologie.
C’est à ce moment précis que surgit la bioéthique, comme nous l’avons rappelé, qui, pour la
première fois, est appelée ainsi dans l’œuvre de Potter58. Il s’agit d’une éthique qui prétend
considérer l’ensemble des interventions sur la biosphère, l’éthique de l’environnement et de la
responsabilité par rapport à l’avenir du monde. Cette même exigence est mise en évidence en
Allemagne, comme nous l’avons déjà souligné, dans l’ouvrage de Hans Jonas: Il principio responsabilità59 (Le principe de responsabilité).
56
57
58
59
Spisanti (sous la direction de), Documenti di deontologia..., pp. 37-43.
Ibid., pp. 166-168.
Potter, Bioethics: bridge...
Jonas, Das princip Verantwortung.
La crainte de la catastrophe et le besoin d’un moratoire et d’une réglementation universelle
parmi les scientifiques se retrouvent au sein même des sociétés de chercheurs, comme en
témoignent les conférences de Gordon et de Asilomar60, lesquels ont été à l’origine de l’institution des premiers comités éthico-scientifiques de surveillance, et de l’élaboration des premières
Guidelines (sic) concernant l’intervention sur l’ADN. Ces lignes directrices ont été reprises par
plusieurs organismes, dans le monde61.
==========================================
p42
Très tôt, cependant, on a commencé à examiner avec plus de réalisme et de discernement ces
possibilités et ces technologies.
En ce qui a trait au génie génétique proprement dit, on entrevoit très tôt la possibilité de
pratiquer la généthérapie, qui maintenant devient praticable au niveau des cellules somatiques
mais qui est prohibée sur les cellules de la ligne germinale, à cause des risques immanents qui
demeurent62.
Très tôt également, on réalise des applications de type industriel pour la fabrication de
nouveaux médicaments (insuline, interféron, etc.), pour le développement de la production, en
agriculture et en zootechnique. Les nouvelles connaissances dans le domaine génétique ont
permis d’étendre l’emploi, toujours plus délicat et plus chargé de problèmes éthiques, du
diagnostic prénatal et postnatal.
Et actuellement, on parle de «médecine génomique» et de «médecine prévisionnelle», surtout
après que le «projet de génome humain» a été annoncé, qui, s’il est mené à terme, nous permettra
d’accéder à la connaissance du code génétique de l’homme et de la structure héréditaire de
chaque individu. Ceci pourra nous permettre de mieux poursuivre le but thérapeutique, mais nous
ouvrira également la possibilité de connaître l’intime secret de la constitution héréditaire de
chaque personne et de chaque famille.
Dans le champ du génie génétique proprement dit, on a aussi mis en évidence les possibilités
d’applications positives, à côté de celles que l’on craint et que l’on juge catastrophiques. À cause
de cela, les chercheurs, les politiciens, les industriels se sont vus confrontés à un problème
éthique manifeste et de taille, afin de garantir ces applications du génie génétique par lequel le
patrimoine génétique pourra être guéri, mais non changé, et afin que l’écosystème, surtout, au
plan microbiologique, puisse maintenir l’équilibre compatible avec la santé de l’homme
d’aujourd’hui et de demain63. Les Parlements européens et les Comités de bioéthique nationaux
ont fait écho à cette préoccupation64.
Les craintes sont demeurées plus graves autour de l’autre grand chapitre, celui de la
procréation, où les frontières se déplacent toujours plus vers l’avant et où sont en jeu, non
seulement la vie des embryons artificiellement procréée, mais encore, le concept de parentalité,
de paternité et de maternité, ainsi que la finalité même de la sexualité humaine.
60
R. Dulbecco, Ingegneri della vita, Milano 1988; E. Sgreccia, Storia della bioetica e sua giustificazione
epistemologica, in Aa. Vv., La storia della medecina nella società e nella cultura contemporanea (Atti del Convegno Internazionale
di studio, Istituto di Studi politici S. Pio V, Frascati 21-30 giugno 1991), Roma: Apes 1992, pp. 69-84.
61
Sgreccia-Mele (sous la direction de), Ingegneria genetica e biotecnologie..., Milano 1991.
62
Sur ce sujet, voyez le chapitre consacré au génie génétique dans ce volume et, parmi les derniers documents, ceux du
Comité National pour la bioéthique, intitulé terapia genetica, suivi d’une vaste bibliographie portant sur ce thème.
63
Sgreccia, Mele (sous la direction de), Ingegneria genetica e biotecnologie..., pp. 131- 166.
64
Voyez, par exemple, USA, President’s Commission...; Parlamento europeo, Risoluzione (doc. A0327-28) sui
problemi etici e giuridici della manipolazione genetica, 16.3.1990. Pour une plus vaste bibliographie et une plus ample
documentation voyez Serra, Sgreccia, Di Pietro, Nuova genetica..., pp. 311-318.
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p43
La possibilité concrète de déboucher sur l’eugénisme sélectif, sur l’expérimentation sur les
embryons et la commercialisation même du corps humain et de la procréation est, désormais, un
fait reconnu et redouté par plusieurs.
À juste titre, on observe que, par cette voie, la science expérimentale risque d’assumer le statut
épistémologique de la politique. Elle deviendrait alors «l’art du possible», la recherche de faire
tout ce qui est possible et elle ne viserait plus simplement la connaissance de la réalité65.
Il devient ainsi indispensable de poser en préliminaire le problème du rapport entre la science
et l’éthique, et de définir le genre d’intervention de la bioéthique dans le champ des sciences
biomédicales.
Le rapport entre la science médicale et la bioéthique
L’affirmation de Robert Nozick, selon laquelle «les microscopes et les télescopes ne révèlent
aucune partie éthique»66 est certainement provocatrice, et Renato Dulbecco rappelle que
«pendant des siècles, les scientifiques se sont tenus loin des tragédies de l’histoire, en défendant
l’autonomie et la neutralité de leur rôle, dans la société. Avec orgueil, les disciples de Bacon et de
Descartes ont réfuté chaque prétention de contrôle et d’interférence, peu importe d’où celle-ci
venait: du gouvernement, des Églises, de l’autorité»67.
De nos jours, cette mentalité n’est cependant pas partagée par la majorité des chercheurs, qui
s’occupent des sciences biomédicales, y compris Dulbecco, lesquels sont les premiers à proposer
le problème bioéthique. Ce qui fait l’objet de leur discussion, c’est le motif et le lieu précis d’un
fondement épistémologique de la bioéthique.
À ce propos, on rappelle le fait que la biologie et la médecine sont des sciences
expérimentales, car elles suivent une méthode bien précise, la méthode expérimentale, proposée
par G. Galilei et R. Bacon, et petit à petit, perfectionnée par les savants, jusqu’à nos jours.
Une telle méthode, c’est reconnu, se base sur un itinéraire précis: l’observation des
phénomènes, l’hypothèse interprétative, la vérification expérimentale et la validation du résultat
de l’expérimentation. Cet itinéraire méthodologique a sa validité intrinsèque, qui débouche sur
l’accumulation organique et linéaire des connaissances. L’expérimentateur qui le suit peut
profiter des résultats obtenus par l’expérimentateur précédent, qu’ils soient positifs ou négatifs, et
ainsi, à son tour, fournir de nouvelles contributions, en se servant de la même méthode.
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p44
Il est vrai que, parfois, la science utilise des observations occasionnelles (par exemple
Flemming, pour la découverte de la pénicilline), ou la répétition des phénomènes naturels, mais
65
M. Serres dans la préface au volume de J. Testart, L’œuf transparent, Paris 1986 (traduction italienne, L’uovo
trasparente, Milano 1988).
66
R. Nozick, Spiegazioni filosofiche, Milano, 1987, p. 447.
67
Dulbecco, Ingegnerie della vita, pp. 13-14.
ce que la science moderne a surtout fait progresser, dans le domaine biomédical, c’est la méthode
basée sur le paradigme de l’expérimentation méthodologiquement définie.
Toutefois, la méthode expérimentale trouve sa limite intrinsèque dans le fait qu’elle est forcée
de s’appuyer sur des faits et des données d’ordre quantitatif, susceptibles d’être observés,
calculés, comparés, etc. En ce sens, la méthode expérimentale est réductionniste, par définition,
et c’est un fait dont nous devons tenir compte.
Ayant en tête cet élément, nous nous demandons: par quelle motivation et par quelle exigence
la question éthique se pose-t-elle, à l’intérieur des sciences biomédicales, qui sont
expérimentales? Plusieurs ont donné une réponse qui paraît la plus évidente: l’exigence de la
réflexion bioéthique se pose au moment de l’application; elle suppose, donc, que la recherche
expérimentale soit neutre, de par elle-même, alors que ses applications exigeraient un examen
bioéthique préalable de ses conséquences et de ses risques. Cette dernière affirmation est vraie,
car personne ne peut nier que, avant de procéder à l’application d’une découverte scientifique
dans le monde biomédical, par exemple de la technologie de l’ADN recombiné, il soit nécessaire
de se poser une série de questions bioéthiques au sujet de son but, de ses conséquences, des
risques, etc. Par ailleurs, reconnaître le rôle de la bioéthique et sa justification seulement au
moment de l’application serait insuffisant et limitatif, comme nous le verrons plus loin.
D’autres chercheurs admettent également, en général, une éthique intrinsèque à la recherche
scientifique, mais uniquement dans le sens de la fidélité aux canons de la recherche. Alors, une
telle éthique se concrétiserait dans le scrupule méthodologique, dans l’exactitude de la communication des résultats, dans la transparence des processus, dans la mesure où ceux-ci seraient
accessibles au contrôle du monde scientifique. Cette «éthique intrinsèque» à la recherche
représente une déontologie valide pour tout type de science et, également, pour la bioéthique qui
se réfère à la recherche biomédicale.68
Mais l’éthique propre de la recherche scientifique dans le champ des sciences expérimentales – et en
particulier la bioéthique dans le monde des sciences biomédicales – ne peut se limiter à ces codes
d’exactitude. Nous devons, de fait, apprendre à distinguer la catégorie de ce qui est
nécessairement requis par le caractère éthique d’une action, de ce qui est suffisant pour en arriver
à un jugement pleinement éthique.
========================================
p45
Par exemple, qu’un chirurgien sache bien pratiquer une intervention et puisse appliquer à la
perfection les techniques opératoires sont des conditions requises d’éthique professionnelle. Mais
ce n’est pas suffisant pour qu’il puisse dire que son intervention soit éthique, en tout et partout
(dans la validité des indications, dans l’obtention du consentement, dans le respect des biens
supérieurs de la personne, comme cela pourrait arriver, par exemple, dans une transplantation
d’organes pour l’exécution de laquelle les conditions éthiques sont multiples).
C’est pourquoi, en plus de ces liens qui indubitablement existent entre la recherche
scientifique et l’éthique (le lien sur le plan de l’application et celui qui concerne la déontologie du
chercheur dans le respect des processus méthodologiques de la recherche elle-même), il y en a
d’autres tout aussi importants. Entre autres, il y a ceux qui concernent l’intention du chercheur.
Le chercheur de même que les organisateurs et les bailleurs de fonds de la recherche sont des
68
E. Sgreccia, La risposta nella trascendencia, in J. Jacobelli (sous la direction de), Sciencia ed etica: quali limiti?,
Roma 1990, pp. 163-173.
personnes humaines et elles peuvent avoir de bonnes intentions, ou de mauvaises intentions, ou
encore, elles peuvent vouloir utiliser la recherche pour leurs fins personnelles. La poursuite de la
recherche, incluant la recherche bioéthique, est toujours un projet et elle révèle ou elle cache un
but stratégique qui pourrait être opposée à la thérapie d’une maladie ou à l’augmentation de la
production agricole, industrielle ou pharmaceutique. Elle pourrait poursuivre une finalité
manipulatrice ou altératrice des processus biologiques, comme dans le cas d’une tentative
expérimentale de procréation entre espèces ou de changement du patrimoine génétique du sujet.
Ce type d’éthique ou de non-éthique de projet, en plus d’avoir une importance en soi et pour
soi, comporte des implications considérables pour ceux qui y collaborent à un niveau
subordonné. Ceux-ci ont le droit de connaître le but du projet et ils ont le droit et le devoir de
poser des objections de conscience, s’il leur arrive de ne pas se sentir en conscience de collaborer
étroitement à un projet qu’ils jugeraient illégitime. Ni le secret scientifique ni le secret industriel
ne pourraient enlever ce droit à quiconque collabore étroitement à un projet qui serait, en luimême, mauvais ou intentionnellement aberrant. Dans le domaine de la bioéthique, on peut
supposer plusieurs situations de ce type, comme, par exemple, la recherche d’un médicament
abortif du même genre que la pilule RU 486.
Un autre lien entre la recherche et l’éthique fait référence aux processus expérimentaux: c’est
la bioéthique de l’expérimentation biomédicale, avec toutes les problématiques relatives à
l’expérimentation sur l’homme (le consentement, les risques, l’expérimentation sur les enfants,
les malades mentaux inaptes au consentement, les fœtus, etc.) et aux expériences sur les animaux.
De fait, il ne suffit pas qu’il y ait une éthique des buts. Il faut également que nous nous
mettions, de façon cohérente, à la recherche d’une éthique des moyens et des méthodes. Même
quand les intentions sont bonnes – par exemple, donner un enfant à un couple stérile – les
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p46
moyens choisis ne sont pas toujours légitimes. Ceux-ci pourraient porter atteinte à la vie et à
la dignité humaine (perte des embryons fécondés en trop). Le principe est bien connu: «non sunt
facienda mala ut veniant bona» (On ne doit pas faire le mal pour produire le bien).
Mais le lien le plus profond, à notre avis, et englobant tous les précédents, qui ont toujours à
faire avec l’aspect opérationnel (buts, façons de faire, méthodes, risques), consiste dans une
exigence à caractère intégratif.
Nous avons rappelé que la méthode expérimentale, de par sa nature, tend à réduire le réel, car
elle ne considère que l’aspect expérimental et quantitatif, pendant que l’aspect plus profond et
global, la nature ontologique et la valeur axiologique du réel, échappe aux procédés de la
méthode expérimentale. C’est au moment de choisir la méthode de l’expérimentation que se pose
la question éthique. Mais celle-ci nous appelle à dépasser et à interpréter de façon cohérente le
niveau expérimental pour embrasser la complexité et la profondeur du réel, ainsi que sa valeur69.
Si le scientifique, par exemple, poursuit une recherche sur l’embryon humain, il ne peut se
limiter à observer les résultats et les aspects éthiques de procédure sur l’exactitude
méthodologique ou poser la question de l’application des résultats, mais il doit se demander
qu’est-ce que l’embryon humain, si c’est un être humain et s’il a la valeur d’une personne
humaine, ou non.
69
J. Ladriere, I rischidella razionalità, Torino 1978; E. Agazzi, Il bene, il male e la scienza, Milano 1992; E. Sgreccia,
Il progresso scientifico...; Bompiani, Bioética in Italia, pp. 187-220.
Et c’est à partir de la réponse à cette question que nous clarifions toutes les réponses
bioéthiques. Quand on a valorisé toute l’épaisseur du réel, alors on comprend les exigences
éthiques sur les buts, les moyens, les risques, etc. Cet aspect a été lucidement mis en lumière par
K. Jaspers, savant et philosophe, au moment où il affirmait que la science expérimentale n’est pas
en mesure de connaître et de percevoir l’aspect qualitatif de la réalité, ni sa nature dans sa valeur
profonde, et elle ne peut seule, avec sa méthode, clarifier les buts mêmes de la science et de la
recherche scientifique, parce que tout cela requerrait et requiert de fixer les buts de l’activité
humaine et de la vie même de l’homme70.
Même les épistémologues les plus récents, comme Popper et Eccles, ont souligné cette limite
de la science expérimentale par rapport à ses procédés méthodologiques ainsi qu’en ce qui
concerne son observation globale du réel71. Ainsi, le lien entre la science et l’éthi========================================
p47
que, autrement dit entre la recherche scientifique et la recherche éthique, n’est pas une
question optionnelle ou une mode récente, mais il correspond à une exigence multiple et qui naît
à l’intérieur même du processus scientifique.
Naturellement, comme nous l’avons indiqué, si la question prend son origine à l’intérieur de la
recherche, la réponse exige une intégration de l’aspect expérimental avec la réalité intégrale,
c’est-à-dire dans l’optique ontologique et axiologique du vivant sur lequel on effectue la
recherche. Voilà pourquoi il devient impérieux d’élaborer des critères de jugement qui ne
s’épuisent pas uniquement dans la recherche scientifique elle-même, mais qui doivent être tirés
de la vision ultime et du sens global de la réalité en jeu.
Pour reprendre l’exemple de tantôt: si l’expérimentation porte sur l’embryon, pour une fin
thérapeutique ou non, on doit se demander d’abord quelle est la réalité globale de l’embryon
humain (ontologie) et quelle est sa valeur (axiologie). Une fois qu’on a conclu qu’il s’agit d’un
être humain, d’un individu humain, alors on doit s’interroger sur le sens de l’expérimentation sur
l’être humain individuel et l’on devra préciser le devoir du chercheur, de la même manière que
lorsqu’on la pratique sur un mineur.
Afin de pouvoir prendre une décision à partir de ces critères, il faudra, en conséquence,
répondre clairement aux trois questions suivantes: Qu’est-ce que l’homme? Quelle est sa valeur?
Quel est son destin? Et quand on parle de l’homme en tant qu’homme, de son origine et de son
destin, on va à la recherche de ce qui réunit tous les hommes, leur dignité et leur
transcendance72.
En conclusion, en appliquant ce que nous avons dit au sujet du rapport entre la science et
l’éthique et à propos du rapport entre la science biomédicale et la bioéthique, nous pouvons
affirmer que la justification bioéthique ne concerne pas seulement le moment de l’application,
mais encore le moment même de la recherche et la méthode de la recherche, et, en définitive, la
bioéthique se pose dans la confrontation entre la recherche biomédicale et la vision intégrative.
De plus, le facteur éthique prend encore plus d’importance et l’intégration entre le savoir
scientifique et la norme éthique de comportement devient plus qu’évidente si nous considérons la
médecine sous le profil de l’assistance et de l’organisation sanitaire. Les études publiées au cours
70
K. Jaspers, Der Artz im technischen Zeitalter, München 1986 (traduction italienne Il medico nell’età technologica,
Milano 1991); Reale, Antiseri, Il pensiero occidentale... III, p. 457-462.
71
Ibid., pp. 707-779.
72
S. Vanni Rovigni, Elementi di filosofia, III, Brescia 1963, p. 189-269.
de ces dernières années dans le domaine de l’anthropologie médicale73 ont mis en évidence la
totale insuffisance de la considération
======================================
p48
scientifique unilatérale dans l’approche du concept même de maladie, de santé, de prévention
et ainsi de suite. L’incidence du facteur «personnel», psychologique et spirituel, dans l’ensemble
des soins apportés représente l’élément décisif non seulement en ce qui concerne l’évaluation du
bien-être du malade, mais aussi l’évaluation de l’appareil sanitaire.
En ce qui concerne l’organisation sanitaire, on reconnaît désormais qu’elle présuppose la
formation sanitaire, la collaboration des citoyens et qu’elle exige le concept de justice comme
critère pour assumer son autorité au moment d’assigner les ressources et d’offrir les structures et
les services. L’éthique de l’économie et l’éthique sanitaire se rencontrent donc au niveau social
dans l’un des secteurs les plus importants des dépenses publiques des démocraties les plus
évoluées74.
Différents modèles éthiques et questions de métaéthique
Les modèles de bioéthique
Si la demande d’une éthique relative aux sciences de la vie est pratiquement universelle, la
formulation des modèles éthiques de référence et les théories sur le fondement du jugement
éthique sont par contre diversifiées, au point où certains penseurs tels que U. Scarpelli affirment
qu’en bioéthique, on ne devrait établir que des règles formelles fondées sur le principe de
tolérance de toute éthique, on pourrait même proposer de plus un principe d’«absence de
préjudice important»75.
En effet, tout observateur de l’ensemble de la bioéthique remarque rapidement qu’il existe une
pluralité, ou plutôt un pluralisme de critères difficilement conciliables entre eux. Le pluralisme se
rapporte autant à l’anthropologie qu’aux théories sur le fondement du jugement éthique.
Le pluralisme et la diversité des approches relatives au fondement de la bioéthique sont mis en
évidence plus particulièrement dans la documentation de langue anglaise. Le modèle principaliste
basé sur l’application des principes de bienfaisance, de non-nuisance et de justice a longtemps
prévalu; toutefois, au cours des dernières années, cette approche a été l’objet de fortes critiques
provenant de tous côtés. C’est ainsi que d’autres modèles voient progressivement le jour: l’éthique des vertus, l’éthique casistique, l’éthique narrative, la bioéthique
==========================================
p49
73
L. Delgado, Antropologia medica, Milan, 1991; Jaspers, Der Arzt...; J. Vedrinne, «Éthique et professions de santé»,
Médecine et Hygiène, 11, 1984, pp. 1171-1173; M. Vidal, «Etica de la actividad cientifico-técnica», Moralia, 4, 1983, pp. 419-443;
L. Villa, Medicina oggi. Aspetti di ordine scientifico, filosofico, etico-sociale, Padoue, 1980; E.D. Pellegrino, D.C. Thomasma, For
the patient’s good...
74
Gracia, Fundamentos de bioética, pp. 199-311.
75
U. Scarpelli, La bioetica...
interprétative ou herméneutique, et enfin, l’éthique des bons soins et la bioéthique féministe76.
Par conséquent, au-delà de l’analyse des problèmes particuliers «de» la bioéthique, la
discussion «sur» la bioéthique dans le but de clarifier les valeurs et les principes sur lesquels
fonder le jugement éthique et affirmer une distinction justifiant le «licite» et l’«illicite»77, est
devenu un élément primordial particulièrement au cours de ces dernières années.
Il faut ajouter que pour un discours relatif au fondement, il ne suffit pas d’élaborer des
paradigmes conceptuels qui peuvent s’adapter aux solutions des cas limites, et qui se basent
simplement sur une espèce de consensus pragmatique et par ailleurs flexible, selon les
circonstances.
On devra plutôt viser une véritable justification et, par conséquent, la démonstration de la
raison ultime pour laquelle un acte moral déterminé est considéré juste ou injuste, licite ou
illicite, approprié ou interdit.
On entend ici par le terme métaéthique justement ce type de justification des fondements et
l’on fait référence à la justification rationnelle des valeurs, des principes et des normes dans le
domaine de la bioéthique. C’est sur la métaéthique que l’on construit la «métabioéthique».
«La métabioéthique ne peut se limiter à imposer de façon arbitraire les prescriptions de
certains comportements, ni à élaborer un système conceptuel en fonction des exigences pratiques.
Elle doit plutôt offrir des indications et des orientations au sens «fort», en s’efforçant de tenir
compte du choix axiologico-prescriptif destiné aux soignants, aux scientifiques, mais aussi à
l’homme en général relativement aux interventions sur la vie physique»78.
On ne peut pas non plus accepter la proposition «d’indifférence» pour tout système de
référence sous le prétexte de la tolérance, surtout si on réfléchit à l’importance humaine et sociale
des problèmes de bioéthique. Quand il s’agit de décider si l’on doit éliminer ou défendre le fœtus
dans l’utérus d’une mère, ou autoriser par loi l’extermination, au-dessous d’une certaine période
de gestation, de tous les enfants à naître non désirés ou des nouveau-nés difformes, quand il s’agit
en fait de «problèmes de survie» de l’espèce humaine ou de sauvegarde de l’écosystème pour les
générations futures, on ne peut pas de façon responsable éviter le devoir moral, propre au
spécialiste des problèmes éthiques, d’observer des orientations valables et fondées rationnellement qui peuvent par conséquent être partagées et comparées sérieusement.
Le fait qu’il existe plusieurs systèmes de référence ne doit pas représenter un prétexte pour
éviter la recherche, mais plutôt un défi pour l’implication théorique et pédagogique.
Cognitivisme et non-cognitivisme: la loi de Hume
Dans l’édition précédente du présent Manuel, nous nous étions limités à présenter certains
«modèles» de bioéthique qui nous semblaient, et qui nous semblent toujours, représentatifs des
différentes visions et des différents courants de pensée qui existent actuellement dans le débat sur
la bioéthique. Nous parlions alors du modèle libéral- radical, du modèle utilitariste, du modèle
sociobiologique et du modèle personnaliste79. Nous avons formulé une brève évaluation critique
76
Mentionnons à ce sujet: M.A. Grodin (ed.), Meta Medical Ethics: The Philosophical Foundation of Bioethics,
Dordrecht, 1995; K.D. Clouser, B. Gert, «A Critique of Principialism», Journal of Medicine and Philosophy, 15, 1990, pp. 219-236;
E. Pellegrino, D. Thomasma, Virtues in Medical Practice, New York, Oxford University Press, 1993; A. Jonsen, «Casuistry as
Methodology and Clinical Ethics», Theoretical medicine, 12, 1991, pp. 295-307; A. Carse, «The Voice of Care: Implications for
Bioethical Education», Journal of Medicine and Philosophy, 16, 1991, pp. 5-28; S. Sherwin, No Longer Patient: Feminist Ethics in
Health care, Philadelphie, Temple University Press, 1992.
77
Gracia, Fundamentos de bioética, pp. 315-388; L. Palazzani, E. Sgreccia, «Il dibattito attuale sulla fondazione etica
in bioetica», Medicina e Morale, 5, 1992, pp. 847- 870.
78
Palazzani, Sgreccia, Il dibattito..., p. 849.
79
Sgreccia, Manuale di bioetica I..., pp. 42-48.
sur ces modèles afin de justifier et surtout de jeter les bases du modèle personnaliste pour lequel
le terme de personne ne s’entend pas simplement comme un terme subjectif, mais aussi et de
façon prioritaire comme une valeur ontologique et transcendante.
À la lumière des plus récentes discussions métabioéthiques, nous désirons reprendre ces
diverses propositions et en particulier la nôtre.
Mais tout d’abord il faut clarifier un point du débat qui représente aujourd’hui une espèce de
carrefour de toutes les discussions éthiques: il s’agit de la soi-disant «loi de Hume» et par
conséquent, de l’orientation préalable des spécialistes d’éthique et de bioéthique entre deux
tendances opposées, soi le «non-cognitivisme» et le «cognitivisme». C’est en fait la soi-disant
«loi de Hume» qui sépare les uns des autres.
Cette loi provient d’une observation contenue dans le livre de D. Hume, Treatise of Human
Nature80, et reprise par la philosophie analytique contemporaine depuis G. Moore qui l’a définie
comme une «imposture naturaliste».
Selon cette loi, il existe un «grand écart» entre le domaine des faits naturels et celui des
valeurs morales: on peut reconnaître les faits, les décrire avec un verbe à l’indicatif et l’on peut
les démontrer de façon scientifique, tandis qu’on suppose simplement les valeurs et les normes
morales qui donnent lieu à des jugements prescriptifs impossibles à démontrer. Le passage ou
l’inférence entre l’être (où l’être est défini comme étant des faits observables) et le devoir-être ne
serait par consé====================================
p51
quent ni possible ni légitime: on ne peut pas passer de «is» (est) à «ought» (doit) ou de «sein»
(être) à «sollen» (devoir).
Les partisans du non-cognitivisme considèrent que les valeurs ne peuvent pas faire l’objet de
connaissances ou d’affirmations que l’on peut qualifier de «vraies» ou «fausses».
Par contre, les cognitivistes cherchent une base rationnelle et «objective» aux valeurs et aux
normes morales.
Justifier l’éthique, et donc la bioéthique, revient à discuter surtout de la possibilité de dépasser
ce «grand écart» ou cette «imposture naturaliste»81.
Comme nous aurons l’occasion de mieux l’expliquer, tout le problème se situe dans le sens
que l’on confère au mot «être» qui indique «l’état de fait» connaissable. Si l’on entend par «être»
le simple état de fait empirique, la loi de Hume est sans aucun doute justifiée: par exemple, du
fait que de nombreux hommes volent, tuent ou jurent, on ne peut certainement pas conclure que
le vol, le meurtre ou les jurons sont moralement licites, et si l’on veut démontrer qu’ils sont
illicites, on doit recourir à un critère qui ne se limite pas à la simple enquête sur les faits.
Cependant, l’idée d’ «être» sous-jacente aux faits peut être interprétée de façon non seulement
empirique, mais aussi plus profonde et exhaustive, comme par exemple «l’essence» ou la
«nature», et ce au sens «métaphysique». C’est alors que le devoir-être peut trouver une base dans
l’être, dans cet être que chaque sujet conscient est appelé à réaliser.
Ainsi, on peut interpréter le terme «hommes» au sens empirique (dans ce cas, l’expression
représente les hommes qui volent et ceux qui ne volent pas, ceux qui tuent et ceux qui ne tuent
pas, et ainsi de suite), mais on peut aussi penser à «l’essence» de l’homme ou à la «nature»
80
Palazzani, Sgreccia, Il dibattito...
81
P. Zecchinato, Giustificare la morale, Trente, 1990. Au sujet du cognitivisme et de la loi de Hume, voir: G.
Carcaterra, Il problema della fallacia naturalista. La derivazione del dover essere dall’essere, Milan, 1969; U. Scarpelli, Etica senza
verità, Bologne, 1982; F.E. Oppenheim, «Non cognitivismo, razionalità e relativismo», Rivista diffilosofia, 78, 1987, pp. 17-29.
humaine propre de la personne rationnelle ou à la «dignité de l’homme» et l’on peut alors – on
doit même – trouver une base rationnelle de sorte que l’on puisse établir entre celui qui vole et
celui qui ne vole pas une différence sur le plan moral. Cette observation, que nous jugeons très
simple, fait appel cependant à la métaphysique, à la nécessité et la capacité de notre esprit d’aller
«au-delà» du fait empirique et de comprendre en profondeur la raison d’être des choses et la
«vérité» des comportements, leur conformité à la dignité de la personne.
Il importait de faire cette mise au point avant de passer à l’élaboration des divers modèles de
bioéthique, afin de mieux comprendre les différences et de souligner l’importance de la
possibilité de fondement rationnel
=======================================
p52
des valeurs. Discuter de bioéthique serait en fait inutile et voué à l’échec, si on n’avait même
pas l’espoir de lui donner des bases de rationalité et de solidité, c’est-à-dire de vérité. Quelle que
soit la difficulté du parcours pour atteindre un fondement de vérité de l’action morale et des
valeurs, sa poursuite est justifiée. On dit qu’une société sans valeurs ne peut pas survivre, mais si
ces valeurs s’avèrent être de simples opinions, quel lien social pourraient-elles réaliser?
«L’éthique sans vérité» représente un verre vide devant une personne qui meurt de soif.
Malgré cela, on ne peut pas nier qu’il est difficile de trouver dans les cas concrets, parfois
complexes, le respect de la norme du bien et du vrai face à un comportement: mais c’est là la
tâche du raisonnement pratique, la recta ratio agibilium82 (la juste raison des actions).
Maritain a justement mis en lumière le fait que la connaissance de la norme morale est un
type de connaissance «analogue»83 aux autres formes de connaissance comme celle des
mathématiques ou de l’histoire. Il s’agit toujours d’une connaissance tout aussi importante et
éclairante que celle qui se rapporte aux autres domaines du savoir.
L’éthique descriptive et le modèle sociobiologiste
L’orientation sociologico-historiciste représente une première tentative pour donner un
fondement à la norme éthique basé sur les faits (en nette opposition à la «loi de Hume») et ayant
pour but de relativiser les valeurs et les normes: il s’agit de la proposition d’une éthique purement
descriptive84. Dans cette perspective, au cours de son évolution la société produit et modifie les
valeurs et les normes qui sont fonctionnelles pour son développement, de la même manière que
les êtres vivants ont développé, au cours de leur évolution biologique, certains organes en raison
de leur fonction, et en définitive pour l’amélioration de leur propre existence. La théorie
évolutionniste de C. Darwin vient se mêler au sociologisme de M. Weber et au sociobiologisme
de H.J. Heinsenk et E.O. Wilson.
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82
J. Maritain, Neuf leçons sur les notions premières de la philosophie morale, Paris, 1951; Vanni Rovighi, Elementi di
filosofia, III; Thomas d’Aquin (saint), Summa Theologiæ, I-II, q. 55, a. 7 ad 3, Bologne, 1984; A. Da Re, L’etica tra felicità e dovere.
L’attuale dibattito sulla filosofia pratica, Bologne, 1986.
83
J. Maritain, Neuf leçons..., pp. 97-109.
84
Pour le sens du terme «éthique descriptive», on peut se reporter à cette entrée de S. Privitera dans S. Privitera, F.
Compagnoni, G. Piana (sous la direction de), Nuovo dizionario di teologia morale, Milan, 1990, pp. 354-358. Pour une description du
sociologisme et du bioécologisme en éthique, voir: E.O. Wilson, Sociobiology, the new synthesis, 1965; B. Voorzanger, «No norms
and no nature. The normal relevance of evolutionary biology», Biology and Philosophy, 2, 1987, pp. 569-570; B. Chiarelli, «Storia
naturale del concetto di etica e sue implicazioni per gli equilibri naturali attuali», Federazione Medica, XXXV, 6, 1984, pp. 542-546;
id., Problemi di bioetica...; F. Remotti, La tolleranza verso i costumi, in C.A. Viano (sous la direction de), Teorie etiche
contemporanee, Turin, 1990, pp. 165-185.
p53
Même les chercheurs en anthropologie culturelle et les écologistes adoptent souvent des
positions analogues. En termes plus simples, cela revient à dire que tout comme le cosmos et les
différentes formes de vie sur terre ont été soumis à l’évolution, même les sociétés évoluent et que
durant cette évolution biologique et sociologique, les valeurs morales doivent changer. La
poussée évolutive qui part de «l’égoïsme biologique», ou instinct de conservation de soi, trouve
toujours de nouvelles formes d’adaptation dont le droit et la morale sont l’expression culturelle.
Dans les conditions actuelles de l’évolution, où désormais apparaît une nouvelle situation de
l’homme dans le cosmos et dans le monde biologique, on devrait imaginer un nouveau système
de valeurs parce que le précédent n’est plus apte à représenter l’écosystème qui se dessine. Par
conséquent, la vie de l’homme ne différerait pas substantiellement des différentes formes de vie
et de l’univers dans lequel il vit en symbiose. Dans cette optique, l’éthique tient le rôle et a la
fonction de maintenir l’équilibre évolutif, l’équilibre de la mutation de l’adaptation et de
l’écosystème85.
Naturellement, la nature et la culture sont intimement liées et il est parfois difficile d’établir la
frontière, mais pour ces penseurs, la nature se résout en culture vice versa, la culture n’étant que
la transcription de l’évolution de la nature.
Accepter ce modèle signifie non seulement reconnaître l’évolutionnisme, mais aussi prendre
comme hypothèse le «réductionnisme», c’est-à-dire la réduction de l’homme à un moment
historiciste et naturaliste du cosmos. Cette vision entraîne comme conséquence le relativisme de
toute éthique et de toute valeur humaine, plongeant tout être vivant dans le grand fleuve d’une
évolution qui trouve bien son apogée dans l’homme, mais non compris comme un sommet
définissable et un point de référence stable, mais sujet lui aussi à des mutations au sens actif et
passif. Il s’agit, en fait, d’une idéologie héraclitienne où il est impossible de reconnaître aucune
unité stable et aucune universalité des valeurs, aucune norme valable pour l’homme de tous les
temps.
Si cette idéologie était véridique, parce qu’il s’agit d’idéologie, même les délits les plus
atroces reconnus par l’histoire, de ceux de Gengis Khan à ceux de Hitler, ne représenteraient des
délits que pour nous qui vivons dans cette époque, des délits posthumes et non des délits contre
l’homme. Il serait vain d’essayer de définir les «droits de l’homme», et de toute façon ce serait
une définition provisoire.
À la lumière de ce modèle, les mécanismes de «l’adaptation» et de la «sélection» sont jugés
nécessaires à l’évolution et au progrès de l’espèce humaine. L’adaptation à l’environnement, à
l’écosystème et la sélection des qualités les plus propices au progrès de l’espèce poussent à
justifier l’eugénisme autant négatif que positif. Maintenant que
=======================================
p54
l’humanité a atteint la capacité de dominer au niveau scientifique les mécanismes de
l’évolution et de la sélection biologique à travers le génie génétique, les tenants de cette théorie
peuvent justifier le génie génétique sélectif mélioratif et modificateur non seulement pour les
espèces animales mais aussi pour l’homme. Toutefois, on peut retrouver dans ce courant de
85
E. Sgreccia, Scienza, medicina, etica, in Serra, Neri (sous la direction de), Nuova genetica..., pp. 7-11.
pensée diverses composantes: certaines sont simplement portées à reconnaître et à justifier des
valeurs existantes dans les sociétés; d’autres, surtout les sociobiologistes, tendent aussi à justifier
des interventions innovatrices sur le patrimoine biologique de l’humanité. De toute façon, on
reconnaît dans ce courant de pensée une tendance inspirée par Vico le verum ipsum factum (le
fait vrai par lui- même), et donc le bonum ipsum factum (le fait bon par lui-même).
Il ne faut pas oublier que s’il est vrai que certaines composantes culturelles et traditionnelles
sont soumises à l’évolution, il est aussi vrai que l’homme reste homme, différent par nature, et
non seulement par sa complexité neurologique, de tout autre être vivant, et que le bien et le mal
ne sont pas interchangeables, que les lois de l’être, de la science et de la morale ne sont pas à la
fois vraies et fausses. La mort, la douleur, la soif de vérité, la solidarité et la liberté ne sont pas
des inventions culturelles mais des faits et des valeurs qui accompagnent l’homme dans toutes les
périodes de l’histoire.
Le modèle subjectiviste ou libéral-radical
De nombreux courants de pensée convergent aujourd’hui dans le subjectivisme moral: le néoilluminisme, le libéralisme éthique, l’existentialisme nihiliste, le scientisme néo-positiviste,
l’émotivisme, le décisionnisme86.
L’hypothèse principale de tous ces courants est que la morale ne peut pas se baser sur les faits,
ni sur les valeurs objectives ou transcendantes, mais seulement sur les «choix» autonomes du
sujet. En d’autres termes, on part du non-cognitivisme, c’est-à-dire de la non- reconnaissance des
valeurs.
Le principe d’autonomie assume ainsi son sens fort. Le choix autonome est le seul fondement
de l’agir moral et l’horizon éthico-social est représenté par l’engagement en vue de la
libéralisation de la société. La seule limite est celle de la liberté d’autrui (naturellement de ceux
qui sont aptes à se prévaloir de la liberté).
La liberté devient le point de référence suprême et ultime: est licite ce qu’on a voulu ou
accepté librement, ce qui ne lèse pas la liberté
=========================================
p55
d’autrui. C’est le message qui a jailli avec une force innovatrice de la Révolution française.
Cette vision comporte forcément une part de vérité, mais pas toute la vérité de l’homme ni toute
la vérité de la liberté. Nous avons tous saisi les aspirations de cette proposition: libéralisation de
l’avortement; libre choix du sexe de l’enfant à naître – et même pour l’adulte qui voudrait de
façon incoercible «changer de sexe» –; liberté de demander une fécondation extracorporelle
même pour la femme seule, qu’elle ne soit pas mariée ou qu’elle soit veuve; liberté de décider du
moment de la mort (living will); suicide comme expression ultime de liberté, etc.
Il s’agit en réalité d’une demi-liberté: c’est la liberté pour certains, habituellement ceux qui
peuvent l’exprimer et la faire valoir (qui défend les droits de l’enfant à naître?), c’est une «liberté
face» aux limites et aux contraintes et non pas une «liberté en vue» d’un projet de vie et de
société qui soit justifié au sens finaliste. En d’autres termes, il s’agit d’une liberté sans
responsabilité.
86
On peut relier à l’orientation subjectiviste-décisionniste la pensée de H. Kelsen et K. Popper, et en Italie cette
tendance est présente dans la pensée de Scarpelli. On peut relier à la même enseigne l’émotivisme de A.J. Ayer et C.L. Stevenson.
L’existentialisme nihiliste de J.-P. Sartre et le libéralisme de H. Marcuse finisent par converger dans ce courant de pensée. Cf. Reale,
Antiseri, Storia del pensiero occidentale..., III, pp. 508-779.
Dans les années 60, Marcuse avait demandé trois nouvelles libertés afin de porter à terme les
projets de la Révolution française et de la révolution russe qui, selon lui, n’avaient traité que de
liberté civile pour l’une et de liberté du besoin pour l’autre. D’après Marcuse donc, les nouvelles
frontières de la liberté seraient: la liberté face au travail parce qu’il réduit à l’esclavage l’activité
humaine; la liberté face à la famille parce qu’elle réduit à l’esclavage l’affectivité de l’homme et
la liberté face à l’éthique parce qu’elle fixerait des fins à l’esprit de l’homme et que ces fins pourraient contraindre sa propre liberté de choix. Marcuse parla d’amour libre et polymorphe dans son
livre Eros e civiltà87.
Mais on comprend rapidement que cette liberté n’est qu’un jeu tragique même si celui-ci
l’appelle «fête»; c’est en fait le «nihilisme» parce qu’il n’existe rien avant la liberté et dans la
liberté.
Tout acte libre suppose en réalité la vie – existante – de l’homme qui le pose; la vie vient avant
la liberté, parce qu’on ne peut être libre que si l’on est vivant; la liberté a un contenu, c’est
toujours un acte qui aspire à quelque chose ou touche quelqu’un; la liberté porte la responsabilité
de ce contenu.
En conclusion, la liberté suppose l’être et l’existence pour un projet de vie.
Quand la liberté se retourne contre la vie, elle se détruit elle-même et elle assèche ses racines;
quand elle nie la responsabilité du choix elle se réduit à une force aveugle, elle risque de jouer
avec elle-même et va vers le suicide.
Quand nous parlons de responsabilité, nous entendons sans aucun doute la responsabilité qui
naît à l’intérieur de la liberté, qui est soutenue par la raison, qui évalue les moyens et les fins pour
un projet poursuivi
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p56
librement; nous ne voulons pas parler, du moins dans ce cadre, de la responsabilité face à la
loi civile et à l’autorité externe, qui peut être invoquée avec raison dans le cas de certaines
valeurs de bien commun, mais qui ne représente ni la première ni la plus importante expression
de la responsabilité.
La responsabilité dont nous traitons est tout d’abord intérieure, par rapport à la raison et à son
reflet sur la conscience, sur l’évaluation éthique des valeurs en jeu; cette responsabilité demeure
quand la loi civile se tait et quand le juge ne sait plus et ne fait plus enquête; en fait, parfois cette
responsabilité intérieure peut être en contraste avec la loi civile quand cette dernière lèse les
valeurs fondamentales et inaliénables de la personne humaine.
Nous n’avons pas pour but ici de développer tout le discours théorique et historicophilosophique sur ces thèmes, parmi les plus imposants et les plus dramatiques de la vie humaine,
mais il était nécessaire de prendre note de ce «modèle» éthique qui influence la mentalité de notre
temps, la culture, la littérature, la presse et surtout nos mœurs.
Toutefois, les tenants du subjectivisme éthique et du décisionnisme sont en difficulté devant la
nécessité de proposer une norme sociale, particulièrement pour ceux qui, au nom du principe
d’autonomie, n’accepteraient pas d’autocontrainte. Afin de ne pas recourir à la fonction
«modératrice» du Leviatano de Hobbes, on propose le «principe de tolérance» ou simplement le
critère d’absence de «dommage important» à autrui88. Mais il s’agit là en fait de renoncer au
87
H. Marcuse, Eros e civiltà, Turin, 1968; V. Melchiorre, Amore e matrimonio nel pensiero filosofico e teologico
moderno, Milan, 1976.
88
Scarpelli, La bioetica...
fondement «rationnel» de la morale et du fait, et particulièrement en ce qui concerne ceux qui ne
jouissent pas d’autonomie morale (embryon, fœtus, mourant), le libéralisme éthique a fini par
glisser vers la légitimation de la violence et de la loi du plus fort89.
Modèle pragmatico-utilitariste
L’impasse du non-cognitivisme et la faiblesse intrinsèque du subjectivisme sur le plan social ont
mené à la récupération de l’intersubjectivité au niveau pragmatique. Dans le but de trouver un
point de rencontre qui ne nie pas le fondement individualiste de la norme morale, on en vient à
l’élaboration de diverses formules «d’éthique
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p57
publique», très répandue dans les pays anglo-saxons, qui est en fait une espèce de subjectivisme de
la majorité90.
Le dénominateur commun de ces différents courants de pensée est le refus de la métaphysique
avec, pour conséquence, le manque de confiance de pouvoir atteindre une vérité universelle et
donc, une norme valable pour tous sur le plan moral.
Le principe de base est représenté par le calcul des conséquences de l’action en fonction du
rapport coût/bénéfice. Disons tout de suite que ce rapport est valable quand il se rapporte à une
même valeur et à une même personne au sens homogène ou subordonné. Cela signifie qu’il est
valable lorsqu’on ne le considère pas comme un principe ultime mais comme un facteur de
jugement qui doit concerner la personne humaine et ses valeurs. Ainsi, ce principe est bien utilisé
lorsqu’il est appliqué par exemple par un chirurgien ou un médecin face à une décision sur un
choix thérapeutique qui est évalué sur la base des dommages (ou plutôt des «risques») par rapport
aux bénéfices prévisibles pour la vie et la santé du patient.
Cependant, ce principe ne peut pas être utilisé de façon péremptoire en mettant en équilibre
des biens qui ne sont pas homogènes, comme si on comparait les coûts en argent avec la valeur
d’une vie humaine. De nombreuses formules utilisées dans le domaine médical, et proposées
pour l’évaluation des décisions thérapeutiques ou pour l’utilisation des ressources financières
finissent par assumer un caractère utilitariste.
L’ancien utilitarisme, qui remonte à l’empirisme de Hume, réduisait le calcul des
coûts/bénéfices à l’évaluation agréable/désagréable du simple sujet. Le néo-utilitarisme s’inspire
de Bentham et Mill et se résume dans ces préceptes: maximiser le plaisir, minimiser la douleur et
accroître la sphère des libertés personnelles pour le plus grand nombre de personnes91.
89
On retrouve des critiques du décisionnisme subjectiviste et du «principe de tolérance» même dans la pensée laïque.
Voir par ex. M. Mori, «I limiti dell’etica senza verità», Biblioteca della Libertà, 99, 1987, pp. 67-76; S. Quinzio, «Perché la tolleranza non basta», ibid., pp. 77-81. Au sujet des résultats «anti-libéraux» du libéralisme éthique voir Schooyans, La dérive
totalitaire...; V. Possenti, Le società liberali al bivio, Turin, 1991.
90
Nous nous limitons à indiquer quelques références. M. Mori, Utilitarismo e morale razionale, Milan, 1986; id.,
«Bioetica: una riflessione in corso», L’informazione Bibliografica, XVI, 3, 1990, pp. 442-452; E. Lecaldano, «Il conributo di una
filosofia «laica», Biblioteca della Libertà, 99, 1987, pp. 57-66; id., Principi e basi razionali di un’etica non religiosa, in E. Berti
(sous la direction de), Problemi di etica: fondazione, norme e orientamenti, Padoue, 1990, pp. 23-68; id., Etica e significato: un bilancio, in Viano (sous la direction de), Teorie etiche contemporanee, pp. 58-86.
91
J. Bentham, An introduction to the principles of moral and legislations, (1779), Londres, 1970; J.J. Smart, B.
Williams (eds.), Utilitarianism for and against, Cambridge, 1973; J.S. Mill, Utilitarianism, (1781), New York, 1974; J.C. Harsanji,
«Rule utilitarianism and decision theory», Erkenntnis, 11, 1977, pp. 25-53; R.M. Hare, The language of morals, Londres, 1952; R.
Brandt, Ethical theory, Englewood Cliffs, 1959; Palazzani, Sgreccia, Il dibattito attuale...
Le concept de «qualité de vie» est élaboré avec ces paramètres et comparé par certains au
concept du caractère sacré de la vie. La qualité de la vie est en fait évaluée suivant la
minimisation de la douleur et souvent des coûts économiques.
======================================
p58
On a proposé différentes formules qui s’inspirent parfois de l’utilitarisme «dur», parfois de
l’utilitarisme «léger», dans le but d’évaluer l’efficacité et l’utilité des soins ou même de l’intérêt
d’utiliser des fonds pour soigner certaines maladies: l’ACB (analyse coûts/bénéfices); l’ACE
(analyse coûts/efficacité); les QALY (quality-adjusted life years); ce sont toutes des formules qui
finissent par inclure, particulièrement la dernière, parmi les facteurs décisionnels pour une
intervention thérapeutique et pour l’assignation des ressources dans le domaine de la santé, la
comparaison des coûts du traitement, des facteurs économiques ainsi que le recouvrement même
de la part du patient de sa productivité.
Ces formules, comme de nombreuses autres inventées pour des catégories particulières de
patients – nouveau-né difforme, malade atteint d’une tumeur – et qui comparent des facteurs qui
ne sont pas homogènes (santé et productivité; traitement et disponibilité des fonds), finissent par
décréter le refus du traitement ou de l’aide au nom de l’improductivité des dépenses ou du
concept de qualité de vie fondé simplement sur l’évaluation des facteurs biologiques ou
économiques.
On est ainsi tenté, afin de modérer l’utilitarisme de l’acte, d’introduire certaines règles de
bienfaisance plus vastes comme le concept d’équité ou du minimum de soins92, limitant
l’utilitarisme de l’acte à l’utilitarisme de la norme. Les règles «d’équité», «d’impartialité»,
«d’observation neutre», «d’ élargissement social de l’utilité», ou de «calcul opportuniste social»,
de «minimum éthique» ne parviennent pas à annuler une situation de relativisme ou d’absence
d’un fondement véridique de la norme. Il faut aussi souligner l’extrême difficulté de mettre en
œuvre une conciliation entre l’intérêt privé et l’intérêt social au niveau empirique et pragmatique
du bonheur.
Dans ce domaine de la recherche du bonheur et de la qualité de vie, on arrive avec certains
auteurs à réduire la catégorie de personne à celle d’être sensible, en ce qu’elle n’est capable de
sentir que le plaisir et la douleur. Les conséquences sont les suivantes: «a. manque de considération, dans le domaine de la protection des intérêts des individus “insensibles”, c’est-à-dire
non pourvus de facultés sensitives (comme les embryons, au moins jusqu’au stade de la
formation du système nerveux, les personnes dans un coma profond, etc.); b. la justification de
l’élimination des personnes sensibles pour lesquelles la souffrance dépasse (ou est prévue
dépasser) le plaisir, ou des personnes qui provoquent chez les autres quantitativement plus de
douleur que de joie (les handicapés, les fœtus difformes, les mourants, etc.); c. la justification
d’interventions, même de suppression, sur la vie humaine pourvu qu’on évite la souffrance
(consentement à l’avortement, même à un stade avancé de la gestation, pourvu que ce soit
indolore pour le
=======================================
p59
92
Gracia, Fundamentos de bioética, pp. 276-281; G. Herranz, «Scienze biomediche e qualità della vita», Vita e
pensiero, 6, 1986, pp. 415-424.
fœtus)»93. Ainsi, si d’un côté l’utilitarisme ne respecte pas certains êtres humains,
paradoxalement, il place au même niveau les animaux et les êtres humains en raison de leur
capacité de «ressentir», donc de percevoir le plaisir et la douleur.
On reste ainsi dans l’horizon utilitariste dans lequel on ne précise pas l’utilité «de qui» doit-on
chercher et en vertu «de quoi». On déduit plutôt que la vie humaine est évaluée en vertu de la
présence ou de l’absence de la souffrance et en vertu des critères économiques du rendement des
dépenses.
Un courant d’éthique publique, analogue pour certains aspects à l’utilitarisme (même s’il
présente des divergences), est représenté par le contractualisme, lui aussi fondé sur le critère de
l’accord intersubjectif formulé par la communauté éthique et donc par ceux qui ont la capacité et
la faculté de décider. La pensée de H.T. Engelhardt dans son livre The Foundations ofbioethics94, dont nous avons parlé au premier chapitre, est une expression de ce courant. Le
consensus social de la «communauté éthique» justifie, pour ce penseur, le fait de sous-évaluer
ceux qui ne font pas encore partie de la communauté (embryons, fœtus et enfants) dont les droits
dépendent par conséquent des adultes et qui, en définitive, ne sont pas considérés comme des
personnes. De la même manière, ceux qui ne sont plus intégrés à la société tels que les malades
privés de relation sociale ou les déments irrécupérables sont classés au niveau de «nonpersonnes». Finalement, la concession de personne humaine finit par être une concession
sociologique.
Dans ce tableau de l’éthique intersubjective, il ne faut pas oublier les courants de pensée qui se
rapportent à la phénoménologie et à l’éthique de la communication.
L’éthique phénoménologique offre, particulièrement avec M. Scheler et N. Hartmann, une
ouverture aux valeurs éthiques, une ouverture définie comme «intentionnelle» ou «intuitive»:
toutefois, les valeurs éthiques se situent au niveau émotif (le divin dans l’homme de Scheler) et
«religieux». On soutient donc la possibilité d’une base qui se veut concrète, néanmoins, sur un
terrain qui demeure relativisé par rapport à la subjectivité émotionnelle et donc incapable
d’assumer une validité universelle. L’horizon reste un horizon social, de surcroît difficile à
formuler.
Ainsi la théorie de «l’éthique formelle des biens», formulée par D. Gracia, fait partie de ce
panorama phénoménologique parce qu’elle souligne l’exigence formelle et universelle des
valeurs, puisque la connaissance même des réalités donne naissance au sens des réalités en tant
que valeurs dans la conscience. Cependant, cette exigence formelle se concrétise par des actes
d’évaluation ou de valorisation subjectifs et dictés par les circonstances. Par conséquent, la
morale, en tant qu’exigence,
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p60
est fondée sur le sens rationnel et universel, mais en tant que choix concret elle est à nouveau
dictée par l’évaluation subjective95.
Même la tentative de dépassement du subjectivisme des choix concrets au moyen de la
recherche d’un accord «de procédure» de type social à travers l’adoption de normes partagées,
comme «l’égalitarisme», ou l’introduction de concepts correctifs, comme «l’observateur idéal»,
93
94
95
Palazzani, Sgreccia, Il dibattito attuale..., p. 862.
Engelhardt T.H. jr., The Foundations of bioethics.
Gracia, Fundamentos de bioética, pp. 363-382.
«le minimum éthique» ou «le postulat d’équiprobabilité» sont des procédés à caractère artificiel
qui ne réussissent pas à dépasser l’horizon de la subjectivité et de la convention intersubjective96.
Selon la théorie, proposée dans le domaine culturel allemand par K.O. Appel et J. Habermas,
la communication qui permet d’une part de dépasser la «raison calculatrice» de l’utilitarisme et
d’autre part ouvre une possibilité d’entente sur les contenus et les destinataires des valeurs se
situe à la base du consensus social97. Il faut reconnaître que certaines valeurs sont sans aucun
doute implicites dans cette même communication, comme la véracité, le respect de l’opinion
d’autrui, le respect de la liberté d’opinion et d’expression, mais ce sont là des valeurs préalables
et préparatoires au fondement d’une norme. Le principe fondamental même (Groundnorm) de ce
courant de pensée selon lequel «les normes justifiables sont celles qui peuvent obtenir un consensus sur leurs conséquences prévisibles pour tous les intéressés» risque de subordonner la
validité de la norme à l’obtention d’un consensus et de ne pas pouvoir préciser qui sont les
intéressés.
La théorie du principalisme formulée par Beauchamp et Childress98 nous apparaît comme une
tendance de l’éthique publique dans laquelle on affirme la nécessité de certains principes moraux,
mais où l’on n’insiste pas sur leur justification.
Les principes bien connus (bienfaisance, non-nuisance, autonomie, justice) qui ont leur
importance lorsqu’ils sont considérés séparément et qui tous ensemble font partie de l’évaluation
de l’intervention dans le domaine d’assistance biomédicale, ont eux aussi besoin d’une base. En
fait, il reste à préciser ce que représentent le bien et le mal pour un patient (par ex., pour un
nouveau-né affligé de malformations multiples et graves: faut-il le traiter ou le laisser mourir?),
et, en outre, il est nécessaire d’établir une hiérarchie entre les principes, surtout entre le
======================================
p61
principe d’autonomie et le principe de bienfaisance: il faut que le premier soit subordonné au
second, sinon l’autonomie des sujets n’est pas garantie, particulièrement quand le malade est
inapte à exercer l’autodétermination et quand l’autonomie du médecin et celle du patient sont en
contraste l’une avec l’autre. Afin de concilier le principe d’autonomie avec le principe de
bienfaisance, il importe de trouver un point de rencontre réel dans la recherche du véritable bien
de la personne99. Nous reprendrons cette analyse (que nous avons ici limitée à un bref aperçu)
dans le chapitre consacré aux principes de la bioéthique.
Le discours de la soi-disant «déontologie prima facie»100 est tout aussi évasif. Selon cette
dernière, il n’existe pas de devoirs toujours valables, mais simplement des devoirs qui sont
valables (prima facie), c’est-à-dire par principe. Cependant, concrètement dans leur application,
ces principes permettent des exceptions et des conflits pour lesquels il n’y a pas de solution
homogène et sûre. Nous croyons que si nous ne voulons pas proclamer le relativisme des choix
concrets, sous le couvert d’une proclamation des principes qui n’ont qu’une valeur formelle, il
96
Pour la théorie de l’observateur idéal, voir: R.M. Veatch, Medical ethics, Boston, 1981; Hare, The language of
morals; id., Freedom and reason, Oxford, 1963. La théorie du «postulat d’équiprobabilité» est formulée par Harsanji, Rule utilitarianism... Pour la théorie de l’égalitarisme, voir: J. Rawls, A theory of justice, Cambridge (Mass.), 1971. Pour une documentation plus
complète, se reporter au travail de Palazzani, Sgreccia, Il dibattito attuale...
97
Nous nous limitons simplement à quelques indications: K.O. Appel, Comunità e comunicazione, Turin, 1977; J.
Habernas, Teoria e prassi nella società tecnologica, Bari, 1978; Gracia, Fundamentos de bioética, pp. 558-591.
98
Beauchamp, Childress, Principles of biomedical ethics.
99
Voir l’analyse éclairée du conflit entre ces principes dans le travail de I. Carrasco de Paula, L’etica dell’inetervento
medico: il primato dell’interesse del paziente, in E. Sgreccia, A.G. Spagnolo, M.L. Di Pietro (sous la direction de), L’assistenza al
morente (Actes du Congrès International: «L’assistenza al morente», 15-18/3/92), Milan, Vita e pensiero, 1994, pp. 333-342.
100
D. Ross, The right and the good, Oxford, 1930.
faudra admettre l’obligation et la nécessité de clarifier et de résoudre les conflits, en conciliant, de
façon à la fois harmonieuse et respectueuse de la hiérarchie, les valeurs en jeu et en éliminant les
conflits: la science éthique et la pratique de vertus éthiques tirent leur sens de cette hypothèse.
Le modèle personnaliste
Selon nous, le modèle personnaliste représente le modèle capable de résoudre les antinomies
des modèles précédents tout en donnant une base à l’objectivité des valeurs et des normes.
Il faut se rappeler que, historiquement, le personnalisme avait trois sens et trois points de vue:
le personnalisme relationnel, le personnalisme herméneutique, le personnalisme ontologique101.
Au sens relationnel-communicatif, on souligne surtout la valeur de la subjectivité et de la relation
intersubjective, comme nous l’avons vu aussi avec Appel et Habermas; au sens herméneutique,
on souligne le rôle de la conscience subjective dans l’interprétation – nous nous reportons à
Gadamer – de la réalité selon la propre «précompréhension»; au sens ontologique, sans nier
l’importance de la subjectivité relationnelle et de la conscience, on veut souligner que, à la base
de cette subjectivité
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p62
même, se situent une existence et une essence constituées dans l’unité corps-esprit.
La personne est comprise comme ens subsistens ratione praeditum (être subsistant doué de
raison) ou, comme la définit Boezio, rationalis naturae individua substantia (une substance
individuelle d’une nature raisonnable). Dans l’homme, la personnalité subsiste dans l’individualité formée d’un corps animé et structurée par un esprit102.
La tradition personnaliste prend ses racines dans la raison même de l’homme et au cœur de sa
liberté: l’homme est une personne parce qu’il est le seul être pour lequel la vie est capable de
«réflexion» sur elle-même, d’autodétermination; c’est le seul être vivant qui a la capacité de
comprendre et de découvrir le sens des choses et de donner un sens à ses expressions et à son
langage conscient. La raison, la liberté et la conscience représentent, pour utiliser l’expression de
Popper, une «création émergente»103 irréductible au flot des lois cosmiques et évolutionnistes.
Ceci grâce à l’existence d’une âme spirituelle qui informe et donne vie à sa réalité corporelle, et
qui limite et structure le corps. Le moi est irréductible en chiffres, en nombres, en atomes, en
cellules, en neurones. L’homme neuronal, dont parle Changeaux, ne représente pas l’homme au
complet; au contraire, il a besoin d’un esprit qui structure son cerveau, ainsi qu’une âme
spirituelle qui structure, guide et vivifie son corps. L’écart ontologique et axiologique qui
distingue la personne humaine de l’animal n’est pas comparable à l’écart qui différencie la plante
du reptile ou le caillou de la plante. En tout homme, en toute personne humaine, le monde entier
se résume et prend son sens; mais par la même occasion, le cosmos est outrepassé et transcendé.
Le sens de l’univers et la valeur de l’humanité sont compris en tout homme: la personne humaine
est une unité, un tout et non une partie d’un tout.
La société elle-même a comme point de référence la personne humaine: la personne représente
la fin et la source de la société. La Révélation chrétienne, avec la vérité de la Création – la
Création est aussi, dans certaines limites, une conclusion rationnelle –, de la Rédemption et de la
101
Voir Viafora (sous la direction de), Vent’anni di bioetica, pp. 45-48.
102
Pour des approfondissements sur cette vision, voir: Vanni Rovighi, Elementi di filosofia, III; J. Hervada,
Introduzione critica al diritto naturale, Milan, 1990; S. Cotta, Giustificazione e obbligatorietà delle norme, Milan, 1981; Maritain,
Neuf leçons...; A. Bausola, «La cultura dell’indifferenza nell’orizzonte contemporaneo», Synesis, 2/3, 1991, pp. 25-38.
103
K. Popper, J. Eccles, L’io e il suo cervello, 3 vol., Rome, 1982.
communion de l’homme avec Dieu, apporte à cette vison personnaliste un élargissement des
horizons et des valeurs qui touche le divin. L’homme (tout homme) est, pour le croyant, image de
Dieu, le fils de Dieu, le frère du Christ. Mais face à toute réflexion rationnelle, même laïque, la
personne humaine représente le point de référence, la fin et non le moyen, la réalité transcendante
pour l’écono=========================================
p63
mie, le droit et l’histoire elle-même. Il ne faut pas croire que ces prémisses d’ordre
philosophique sont tout à fait abstraites en ce qui concerne l’éthique médicale, ou bioéthique,
parce que autant l’éthique que la médecine ont comme sujet l’homme et que celui-ci doit être
considéré dans la totalité de ses valeurs.
À partir de sa conception jusqu’à sa mort, dans toute circonstance de souffrance ou de santé, la
personne humaine est le point de référence et de mesure pour faire la différence entre le licite et
l’illicite.
Il ne faut pas confondre le personnalisme auquel nous nous rapportons et l’individualisme
subjectiviste, concept pour lequel la capacité d’autodécision et de choix constitue presque
exclusivement la personne; c’est une optique très répandue dans le monde protestant et
existentialiste et elle a aussi des influences dans les courants de théologie américaine. Le
personnalisme classique de type réaliste et thomiste, sans nier cette composante existentielle ou
cette capacité de choix qui constitue le destin et le drame de la personne, tente d’affirmer aussi un
caractère objectif et existentiel (ontologique) primordial de la personne. Celle-ci est tout d’abord
un corps doté d’un esprit, un esprit incarné, qui a une valeur pour ce qu’elle est et non seulement
pour les choix qu’elle fait. En fait, dans tout choix, la personne implique ce qu’elle est, son
existence et son essence, son corps et son esprit; dans tout choix existent non seulement
l’exercice du choix, la faculté de choisir, mais aussi un contexte du choix: une fin, des moyens,
des valeurs.
Le personnalisme réaliste voit dans la personne une unité, comme on l’appelle fréquemment,
l’uni-totalité de corps et d’esprit qui représente sa valeur objective qui sous-tend sa subjectivité,
tant à l’égard de la personne propre qu’à l’égard de l’autre.
La personne humaine et ses valeurs ne peuvent pas se fondre et se liquéfier en une série de
choix, sans qu’il y ait une source d’où proviennent ces choix et sans qu’on tienne compte des
contenus de valeurs que ces choix expriment.
L’aspect objectif et l’aspect subjectif de la personne se retrouvent et s’engagent dans une
éthique personnaliste. La valeur éthique d’un acte devra être considérée sous l’angle subjectif de
son caractère intentionnel, mais aussi selon son contenu objectif et ses conséquences. La loi
morale naturelle qui pousse toute conscience à faire le bien et à éviter le mal se concrétise donc
dans le respect de la personne dans la plénitude de ses valeurs, de son essence et de sa dignité
ontologique. Ceci s’applique à tous les domaines du comportement éthique ainsi qu’à la
bioéthique.
Si un chirurgien commet une erreur d’inattention involontaire au cours d’une intervention
difficile et à risque, qui se conclut par la mort de la personne, cette erreur ne peut pas être
imputable subjectivement, cependant l’objectivité de la perte d’une vie humaine demeure un fait
qui doit déterminer le chirurgien à faire l’effort de ne plus la répéter.
=========================================
p64
Au moment du jugement intime de l’œuvre, l’évaluation de la subjectivité prévaut, mais au
moment normatif et déontologique c’est la valeur objective à laquelle il faut adapter toujours
mieux l’attitude subjective. La certitude devra toujours rechercher la vérité.
Dans la perspective personnaliste, nous croyons que nous pouvons insérer un courant commun
à certains penseurs anglo-saxons qui ont tendance à revaloriser «l’éthique des vertus» considérée
comme opposée ou du moins prioritaire par rapport à «l’éthique des principes»104. Nous
sommes convaincu que non seulement le moment d’application du jugement éthique exige des
capacités particulières acquises pour assumer les valeurs, mais aussi que la sensibilité elle-même
au sens et à la valeur de la personne naît d’une tournure de conscience inspirée par la vertu.
Toutefois, justement en tenant compte du modèle personnaliste, il importe d’intégrer le moment
de la clarification et du fondement des valeurs et des normes au moment de leur application
correcte et cohérente.
Nous aurons l’occasion de rappeler plus loin les vertus cardinales dans le procédé éthique.
Cependant, nous croyons que les deux moments ne peuvent être séparés au risque de priver de
fondement le concept de vertu ou de l’agir vertueux.
La méthode de recherche en bioéthique
D’après ce que nous avons exposé au sujet de la bioéthique personnaliste, on comprend
facilement que la méthode de recherche et même d’enseignement de la bioéthique ne peut pas se
réduire ni à une méthode inductive (où les normes proviennent des observations des faits
biologiques et sociologiques) ni à une méthode déductive (où la
=========================================
p65
norme de comportement est immédiatement déduite des principes)105. Il nous apparaît
nécessaire de proposer une méthode que nous qualifions de triangulaire, car elle comporte un
examen à trois sommets.
Tout d’abord, il convient d’exposer le fait biomédical dans toute son importance et avec une
exactitude scientifiquement éprouvée, par exemple la possibilité de recomposer l’ADN ou
d’effectuer la fécondation in vitro, ceci constitue le point A du triangle. Suite à l’examen de ce
point, on doit passer à l’approfondissement du sens anthropologique, c’est-à-dire analyser quelles
sont les valeurs mises en cause en relation avec la vie, l’intégrité et la dignité de la personne
humaine; ceci est le point B, le point de synthèse plus nettement philosophique. À partir de cette
104
L. Palazzani, «Bioetica dei principi e bioetica delle virtù. Il dibattito attuale negli Stati Uniti», Medicina e Morale, 1,
1992, pp. 59-86; E.D. Pellegrino, «A philosophical source of medical morality», Journal of Medicine and Philosophy , 4, 1, 1979,
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Pellegrino, Thomasma, For the patient’s good... Des mêmes auteurs, voir aussi: A philosophical basis of medical practice. Toward a
philosophy and ethic of the healing professions, New York, 1981.
105
Au sujet du problème de la méthode, qui reflète naturellement la vision anthropologique adoptée, voir l’important
chapitre de Gracia, Fundamentos de bioética, pp. 395-503, où il expose les différentes solutions historico-philosophiques, ainsi que le
chapitre suivant (pp. 527-575) dans lequel il décrit le problème du «minimum éthique» ou de «l’éthique minimale».
étude, on pourra déterminer quelles sont les valeurs qui doivent être protégées et quelles normes
doivent être fournies à l’action et aux agents sur le plan individuel et social: les principes et les
normes de conduite devront être reportés sur ce sommet qui est formé de la valeur-personne et
des valeurs qui sont harmonisées hiérarchiquement dans la personne (la vie, la santé, la
responsabilité personnelle, etc.)106.
On devra chercher la solution à ces problèmes par rapport aux concepts et aux valeurs de fond
de la personne humaine: c’est ici que l’on fait appel à la philosophie de l’homme dans son
ensemble. Ceci constitue le point C de notre méthode triangulaire107.
La comparaison avec les solutions proposées par les autres courants de pensée devra
accompagner, autant que possible, la justification des solutions mises de l’avant.
Par conséquent, la confrontation avec l’anthropologie de référence s’impose de manière
dynamique et constante: les découvertes scientifiques et les applications technologiques ouvrent
continuellement de nouvelles possibilités et de nouvelles frontières, et cette évolution se
répercute continuellement sur l’évolution sociale et sur l’adaptation juridique de la société.
L’anthropologie apporte un critère discriminatoire entre ce qui est techniquement et
scientifiquement possible et ce qui est éthiquement permis; elle offre aussi un critère de jugement
entre ce qui est permis par la loi de la majorité politique et ce qui est licite et profitable pour le
bien de l’homme.
=========================================
p66
Il est évident que l’anthropologie même se trouve stimulée et enrichie par ce dialogue
«triangulaire» (biologie-anthropologie-éthique), mais il est essentiel qu’elle énonce des critères et
des valeurs qui ne peuvent pas êtres outrepassés et écrasés parce qu’ils représentent la raison
d’être même de la téléologie du progrès scientifique et de la société.
Les valeurs fondamentales de la personne doivent être protégées non seulement moralement,
mais aussi légalement: ce sont les soi-disant valeurs de l’homme sur lesquelles les tribunaux
internationaux et les constitutions nationales doivent se prononcer. À ce point-ci, se pose le
problème du rapport entre éthique et droit, entre loi morale et loi civile108.
Loi morale et loi civile
Le débat philosophique séculaire sur le rapport entre loi civile et loi morale représente
aujourd’hui un défi pour les démocraties occidentales.
Saint Thomas avait déjà relevé que le droit ne peut pas couvrir toute la sphère de la morale;
par ailleurs, la loi ne peut pas être à la base de la morale, mais plutôt en reconnaître les instances.
On ne doit donc pas souhaiter l’existence d’un état éthique constitutif du bien et du mal.
Toutefois, la loi doit protéger certaines valeurs fondamentales, nécessaires et indispensables pour
garantir le bien commun, et lorsque la loi ne protège pas un bien essentiel à la société et au bien
106
A. Pessina, «Personalismo e ricerca in bioetica», Medicina e Morale, 3, 1997, pp. 443-459.
107
Pour une étude plus complète des devoirs de la philosophie morale en général, voir Vanni Rovighi, Elementi di
filosofia, III, pp. 189-269.
108
Aa. Vv., Ordine morale e ordine giuridico. Rapporto e distinzione tra diritto e morale, Bologne, 1985; P. Domati, Il
contesto sociale della bioetica: il rapporto tra norme morali e norme di diritto positivo, in Aa. Vv., Bioetica: un’opzione per l’uomo,
Milan, 1988. Au sujet du rapport entre la bioéthique et le droit, voir F. D’Agostino, Il problema bioetica in una società pluralistica,
in Atti dell’88o Congresso della Società Italiana di Medicina Interna, Rome, 1987; id., «Bioetica e diritto», Medicina e Morale, 4,
1993, pp. 675-691.
commun (comme c’est le cas des lois sur l’avortement), la loi n’est plus une loi, elle doit être
changée et elle peut faire l’objet d’une «objection de conscience».
Le bien fondamental de l’individu, né et à naître, la famille, les soins médicaux indispensables
constituent des exigences éthiques fondamentales pour assurer la protection du bien commun;
non pas le «minimum éthique» parce qu’il ne s’agit pas de minimum, mais le «bien commun» à
préserver à l’avantage de tous.
Dans notre société pluraliste contemporaine, surtout depuis l’affirmation de la réflexion
bioéthique et des problèmes que celle-ci a soulevés dans le domaine des lois, il devient nécessaire
de manière de plus en plus évidente de remettre en lumière les fondements axiologiques du droit
afin de garantir et d’expliciter les valeurs inviolables de l’homme qui, sanctionnées par la loi,
doivent pouvoir guider le comportement humain dans les choix moraux relatifs aux sciences de la
vie et de la santé.
========================================
p67
Dans la culture dominante, la scission du binôme vérité-liberté rend toujours plus difficile,
pour le système statutaire, le fait de défendre la vie humaine et paradoxalement, on assiste à la
naissance de subtiles formes de tyrannie où quelques hommes décident du sort de beaucoup
d’autres.
En effet, déjà depuis longtemps, les lois sur l’avortement volontaire en vigueur dans de
nombreux pays occidentaux ont transformé de façon paradoxale le concept de «délit» en «droit»,
en légitimant l’abus des plus forts sur la vie des faibles et des innocents109.
Cette situation juridique confuse, où la valeur de la vie humaine monte et descend les échelons
tout comme un intérêt subjectif quelconque, résulte en fait du relativisme éthique et du
positivisme juridique qui ont transformé la théorie de la distinction entre le droit et la morale en
théorie de séparation radicale des deux termes110.
C’est ainsi que dans le débat juridique, on entend souvent parler d’amoralité du droit111,
position qui mène finalement à un droit faisant abstraction de tout critère de justice112 et de bien
commun.
De nombreux auteurs proposent en effet les théories du minimum éthique qui gardent une
place à la morale dans les limites où celle-ci reconnaît la primauté absolue du droit et se fonde sur
des principes juridiques acceptés et sanctionnés universellement par les déclarations
internationales des droits de l’homme. Là où ce n’est pas le cas, la morale est abandonnée à
l’imaginaire des simples individus et délégitimée au niveau collectif113.
En fait, une partie de la doctrine tente d’affirmer que le droit ne dépend pas en aucune manière
de la vérité, mais bien d’un acte de volonté normative de celui qui gouverne (positivisme
juridique)114.
109
Evangelium Vitæ, n. 11.
110
L’expression est de D. Ross, The right and the good, Oxford, 1930; id., The foundations of ethics, Oxford, 1939.
111
L’expression est utilisée par A. Levi, Intorno ad un corollario del principio di sociabilità del diritto, in Scritti di
filosofia del diritto, I, Padoue, 1957, p. 3, dans une critique de l’auteur sur le naturalisme juridique.
112
H. Kelsen, La dottrina pura del diritto, Turin, 1966. Il écrit: «La justice est une exigence de la morale et le rapport
entre la morale et le droit comprend le rapport entre la justice et le droit». Cependant, l’auteur parvient, à partir d’une simple
distinction entre droit et morale, à une totale exclusion de la moralité du droit que l’on arrive difficilement à justifier aujourd’hui dans
la doctrine. En effet, on doit se souvenir qu’à partir de Hobbes, pour arriver par la suite à la doctrine du positivisme juridique, on
considère le droit comme un produit de la volonté de celui qui gouverne, tandis qu’on représente la justice comme un idéal éthique ou
comme le simple produit de la loi positive.
113
F. D’Agostino, L’approccio morale al diritto, in Scritti in onore di Angelo Falzea, Milan, 1991, vol. I, p. 230.
114
Dans le sillage du fameux postulat de Hobbes: «auctoritas non veritas, facit legem».
Les effets de cette vision ont de graves répercussions dans le domaine du système juridique et dans
le domaine du système politique. En fait,
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p68
d’une part le droit est vidé de son contenu éthique, et plutôt que de servir de guide dans la recherche
de la vérité pour la réalisation du bien commun, il est réduit à un simple mécanisme de procédure
de recherche du consensus. D’autre part, le système démocratique, plutôt que de servir
«d’instrument» pour la défense des droits de tout individu, dans toutes les périodes et les
conditions de son existence, devient la «fin» à préserver dans le but de sauvegarder les intérêts de
la majorité.
En réalité, comme l’ont énoncé d’éminents tenants de la doctrine115, le concept moderne de
démocratie se distingue non seulement par ses mécanismes formels, comme c’était le cas pour le
modèle du XIXe siècle, mais plutôt par l’accent mis sur le respect des droits individuels et sur la
protection de la dignité de la personne humaine. C’est ce qu’on définit comme un État de droit,
où le pouvoir même du gouvernement est limité par des lois qui protègent l’individu, lois
sanctionnées dans les dispositions de principe de la constitution et dont même la majorité au
pouvoir ne peut pas disposer.
En fait, la démocratie authentique est substantielle116 et sa valeur «résiste ou tombe selon les
valeurs qu’elle incarne et promeut: la dignité de toute personne humaine, le respect de ses droits
intangibles et inaliénables, et même l’assomption du bien commun comme fin et critère
régulateur de la vie politique représentent sans aucun doute des valeurs fondamentales et
essentielles. [...] Il est donc urgent, pour l’avenir de la société et le développement d’une saine
démocratie, de redécouvrir l’existence des valeurs humaines et morales essentielles et originales
qui découlent de la vérité même de l’être humain et expriment et protègent la dignité de la
personne: des valeurs donc, qu’aucun individu, aucune majorité, aucun État ne pourra créer,
modifier ou détruire, mais qui devront être reconnues, respectées et promues»117.
On perçoit déjà, depuis un certain temps en fait dans le monde juridique, l’exigence de
remettre en lumière l’instance éthico-axiologique du droit, dans une recherche non seulement de
ses origines mais plutôt de ses fondements grâce à la récupération de ces valeurs objectives et
universelles qui soutiennent ses normes et qui se basent sur la structure ontologique de l’homme
en tant que personne118.
Les constitutions ont donc le devoir de protéger les valeurs fondamentales indispensables pour
garantir une société civile ordonnée et pour la survie même de la vie sociale. C’est là ce que nous
appelons le
======================================
p69
115
N. Blasquez, Bioética fundamental, Madrid, 1996; Aa. Vv., Ordine morale e ordine giuridico. Rapporto e
distinzione tra diritto e morale (Atti del Congresso Nazionale Teologi e moralisti, Rome, 24-27 avril 1984), Bologne, 1984; A.
Caprioli, L. Vaccaro (sous la direction de), Diritto morale e consenso sociale, Brescia, 1989.
116
F. D’Agostino, «Per un’ermeneutica della “Evangelium Vitæ”: legge morale e legge civile», in Bioetica, 3, 1995,
p. 406.
117
Evangelium Vitæ, n. 70 et 71.
118
«Démontrer la conformité d’une loi à une valeur constitue la voie la plus directe pour en démontrer la nécessité»,
Cotta S., Il diritto dell’esistenza, Milan, 1991, p. 194.
minimum constitutionnel car cela devrait être défini dans la constitution de tout État, et parce
que c’est la base de l’existence même d’une société.
On ne demande pas au législateur par conséquent de créer, mais plutôt d’interpréter les
exigences de l’homme dans la société, à la recherche non pas d’un consensus mais de la loi
morale objective qui, «inscrite dans le cœur de tout homme, est le point de référence normatif de
la loi civile elle-même»119. Seulement s’il tient compte de ces prémisses, le droit pourra
retrouver sa fonction intrinsèque, à l’abri du relativisme éthique qui trop souvent dans l’histoire a
permis de justifier des choix abusifs du pouvoir politique et a fait concorder justice et liberté avec
autoritarisme et arbitraire, surtout à l’égard des plus faibles. C’est pourquoi le Magistère de
l’Église catholique demande expressément aux législateurs, dans l’encyclique Evangelium Vitæ,
de respecter la «vérité du droit», en les invitant à exprimer un «non» courageux devant toute
violence et tout abus contre la vie humaine.
Bioéthique laïque et bioéthique catholique
Certains centres et certains chercheurs ont engagé une polémique, en grande partie artificielle,
opposant la bioéthique laïque à la bioéthique catholique120. On veut en fait comparer une vision
«ouverte» et «respectueuse» des choix de tous – la vision laïque – à la vision catholique définie
comme «fermée» et «intolérante», inacceptable dans une société pluraliste et hétérogène comme
la nôtre. Substantiellement, la bioéthique laïque serait fondée sur la raison et sur les valeurs de la
conscience tandis que la bioéthique catholique se baserait sur des dogmes et sur la foi, et l’on
prétend que les deux visions seraient inconciliables121.
En réalité, la question nous semble mal posée et superficielle. D’après ce que nous avons
exposé jusqu’à maintenant, on devrait conclure que la vision personnaliste fondée sur l’ontologie
à laquelle se réfèrent aussi les catholiques, est très éloignée des attitudes fidéistes, mais
=======================================
p70
plutôt qu’elle ne fait pas abstraction de la justification rationnelle des valeurs et des normes;
la foi religieuse, comme nous l’avons déjà mentionné, ne réprime pas les instances rationnelles,
au contraire elle les aiguise et les renforce tout en s’en tenant à la donnée scientifique interprétée
correctement. En fait, les catholiques, justement par respect de cette réalité créée par Dieu, notent
les faits scientifiques et en tirent des éléments pour les confronter aux principes de la foi, et non
l’inverse122.
Par ailleurs, on veut proposer un concept de laïcité appauvri et déformé, comme si cette
dernière correspondait au relativisme éthique et non à l’affirmation de valeurs communes à tous
les hommes, nés avec la même dignité et dotés de la raison, dans un même élan éthique qui a
119
Evangelium Vitæ, n. 70. À ce sujet, la contribution de J. Finnis, Legge naturale e diritti natural, Turin, 1996, pp. 304
et s., est intéressante; ainsi que celle de J. Höffner, La dottrina sociale cristiana, Rome, 1979, p. 57. «Le contenu de la majorité des
lois positives n’est pas établi en vertu du droit naturel, mais obéit uniquement à une exigence universelle de droit naturel, c’est-à-dire
servir le bien commun. C’est ainsi que sont formulées la majorité des lois du droit civil, pénal...»
120
Voir le développement du débat dans L. Palazzanai, «Dall’etica «laica» alla bioetica «laica»: linee per un
approfondimento filosofico-critico del dibattito italiano attuale», Humanitas, 4, 1991, pp. 413-446; A. Fiori, «Bioetica laica e bioetica
cattolica» (éditorial), Medicina e Morale, 2, 1996, pp. 203-207.
121
Le «Manifesto di bioetica laïca», signé par C. Flamingni, A. Massarenti, M. Mori et A. Petroni, est un exemple
récent de cette interprétation. Voir le développement du vaste débat qui a suivi dans le numéro monographique de Notizie di Politeia,
41/41, 1996.
122
A. Fiori, Bioetica laica e bioetica cattolica, p. 203.
donné naissance à l’élaboration de la doctrine des droits de l’homme. L’opposition de la
«bioéthique catholique» et de la «bioéthique laïque» est donc fictive et trompeuse. On doit plutôt
comparer l’anthropologie de référence ainsi que le problème du fondement du jugement éthique
sans dresser d’abord des barrières «dogmatiques» à la recherche impartiale de la vérité.
Nous désirons favoriser la comparaison sur la base des raisons qui soutiennent la proposition
éthique personnaliste. Si nous mettons de l’avant, comme nous avons l’intention de le faire, les
confirmations des textes du Magistère, c’est parce que nous y trouvons une correspondance et
parfois une intuition prophétique.
Si enfin, nous en venons à affirmer qu’au fond de la personne, comme explication ultime de
son existence et référence ultime de sa dignité, se trouve le Créateur et la création, nous le faisons
pour des exigences rationnelles sûrement pas contraires à la raison. La grande confiance qui
animait Thomas d’Aquin, sur la possibilité de concilier les instances de la raison et celles de la
foi, est à la base de notre confiance de pouvoir dialoguer avec les laïques sans nous sentir
contraints à remettre en question ou à diminuer notre foi que nous n’imposons à personne mais
que nous pouvons proposer à chacun avec de bonnes raisons.
D’ailleurs, les œuvres traitant des problèmes bioéthiques en utilisant la révélation et par
conséquent une perspective théologique ne manquent pas. Nous sommes convaincu qu’à partir de
la conception religieuse, surtout en ce qui concerne les Églises chrétiennes et l’Église Catholique
même d’un point de vue historique, comme nous l’avons mentionné au chapitre précédent, de
grandes contributions ont été apportées autant dans le domaine de la recherche biomédicale que
dans la vision de l’humanisation des soins médicaux123.
========================================
p71
123
L. Walters, Religion and the renaissance of medical ethics in USA, 1965-1975, dans E.E. Shelp (ed.), Theology and
bioethics, Dordrecht, 1985; D. Callahan, «Religion and the secularization of bioethics», Hastings Center Report, 6-7 (suppl.), 1990,
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p80 p81
CHAPITRE III
La vie: ses formes, son origine, son sens
La vie et ses formes
Afin de mieux comprendre les arguments que nous abordons dans ce manuel, il faudrait tout
d’abord faire un exposé philosophique pour savoir ce qu’est la vie en général et la vie humaine en
particulier. En partant de la perception et de la compréhension de la réalité cosmique, nous
devrions concentrer progressivement notre attention sur la vie, et à partir de la diversité des
formes de vie dans le monde, nous pourrions en venir à considérer la vie de l’homme. L’être, la
vie, l’homme représentent les sphères de la réalité dans laquelle se déroule le discours. Par la
suite, nous devrons analyser le poids spécifique et le sens de ces autres notions: l’éthique ou la
science des valeurs, l’éthique appliquée à la science et à la pratique biomédicale.
Nous ne pouvons traiter ces sujets en profondeur124; nous devrons nous contenter, pour
satisfaire aux exigences de ce manuel, de simplement rappeler les concepts ou les notions
fondamentales.
La première distinction qui divise la réalité cosmique, au sens qualitatif et substantiel, est celle
que l’on fait entre les êtres vivants et non vivants. D’un point de vue philosophique, le vivant se
caractérise par le fait qu’il est capable d’une activité qui part du sujet vivant et qui tend à
améliorer le sujet lui-même: la vie est la capacité d’action immanente. Nous laissons de côté
l’étude des caractéristiques physiques, chimiques
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p82
et biochimiques de l’être vivant pour analyser le problème d’un point de vue philosophique.
Ce qui constitue donc la différence qualitative et irréductible du phénomène «vie» est la capacité
réelle pour un être vivant d’être la cause et la fin de sa propre action: c’est le sens en fait
«d’action immanente». Au premier échelon de la vie, c’est-à-dire la vie végétative, cette action
immanente est représentée par la triple capacité de nutrition, de croissance et de reproduction. Au
second échelon, c’est-à-dire celui de la vie sensitive, aux capacités de la vie végétative s’ajoute
l’activité sensorielle et, à travers elle, la capacité d’autogérer sa propre activité. Au troisième
niveau, celui de la vie spirituelle qui caractérise l’homme, apparaît la capacité de la conscience
intellectuelle et de la liberté.
124
Au sujet du problème philosophique de l’homme, voir: J. Gevaert, Il problema dell’uomo, Turin, 1984; S. Vanni
Rovighi, L’antropologia di S. Tommaso d’Aquino, Milan, 1965; Aa. Vv., La filosofia dell’uomo, Atti del Congresso della
Federazione Universitaria Cattolica Italiana, Rome, 1961; J. Maritain, Quatre essais sur l’esprit dans sa condition charnelle, Paris,
1965; G. Marcel, L’homme problématique, Paris, 1965; E. Mounier, Le personnalisme, Paris, 1950; R. Lucas Lucas, L’uomo spirito
incarnato. Compendio di filosofia dell’uomo, Éditions Paulines, Milan, 1993; X. Zubiri, Il problema dell’uomo. Antropologia
filosofica, Edizioni Augustinus, Palerme, 1985; B. Mondin, L’uomo chi è? Elementi di antropologia filosofica, Editrice Massimo,
Milan, 1989; Cavadi A., Galantino N., Guarnieri E., Alla ricerca dell’uomo, Edizioni Augustinus, Palerme 1988; Galantino N., Dire
«uomo» oggi. Nuove vie dell’antropologia filosofica, Éditions Paulines, Milan, 1993.
Contrairement à la théorie mécaniste qui ne voit entre le vivant et le non-vivant qu’une
différence de niveau et de complexité, le vitalisme quant à lui reconnaît dans le vivant une
différence qualitative et substantielle. Nous ne voulons pas nier qu’il existe dans le vivant des
processus et des échanges physico-chimiques, nous ne voulons pas non plus prétendre qu’à côté
de ces processus, il existe un niveau supérieur et parallèle, une entité supérieure appelée «âme»
(végétative, sensitive, intellectuelle).
Le vitalisme, dans sa version de l’hylémorphisme, affirme que, dans le vivant, les échanges et
les processus biochimiques sont submergés, informés et guidés par un nouveau principe
unificateur, c’est pourquoi l’ensemble gère et détermine les parties et leurs fonctions. Le vivant
possède donc son unité substantielle et spécifique. On peut considérer l’organisme vivant comme
un énorme laboratoire chimique en miniature où se produisent de nombreuses et complexes
réactions qui tendent toutes à la même fin: la subsistance de l’individu125. Ce principe
unificateur c’est en fait l’âme du vivant.
Mentionnons simplement ce que l’on appelle les trois règnes de la vie: la vie végétative,
sensitive, intellectuelle. D’un point de vue philosophique, la distinction se fait sur la base de deux
critères: l’autonomie du vivant et la supériorité du vivant sur le monde non vivant. Le niveau
d’autonomie et le niveau de supériorité marquent les trois règnes.
Pour le vivant végétal, autant la fin de l’action immanente que sa forme sont déterminées et ne
sont pas optionnelles.
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p83
Le vivant animal, à travers la vie cognitive-sensorielle, choisit la forme de sa propre action
grâce à sa capacité cognitive (pour un lièvre, se nourrir d’herbe ou fuir l’homme); l’homme quant
à lui choisit non seulement l’exécution et la forme de l’activité, mais aussi sa finalité; il choisit
cette dernière à travers la vie intellectuelle et libre. Ce choix, du moment où il est fait librement,
implique l’éthique. La vie végétative, la vie sensitive et la vie intellectuelle révèlent par
conséquent des niveaux différents de supériorité et non seulement de catégorie.
L’origine de la vie
Dans le cadre de ce manuel, nous n’avons pas pour but de reproduire intégralement le discours
anthropologique sur l’origine de la vie humaine et sur l’histoire des différentes formes de culture
humaine, mais simplement de rappeler les points essentiels du problème anthropologique qui sont
connexes ou, du moins, sont pris en compte dans la détermination de la valeur de la vie humaine.
Dans cette optique, il faut mentionner que le problème de définir comment est apparue la vie
humaine et comment elle s’est organisée en ses us et coutumes ne se rapporte pas à la valeur de
celle-ci ni à la question du pourquoi, c’est-à-dire à sa finalité. La biologie et l’ethnologie ne nous
offrent qu’une description du comment, la philosophie pose la question du pourquoi, c’est-à-dire
de la finalité et de la valeur.
125
Nous vous reportons aux œuvres suivantes pour un approfondissement de la problématique de ce chapitre: V.
Marcozzi, La vita e l’uomo, Milan, 1946; id., L’uomo nello spazio e nel tempo, Milan 1953; Le origini dell’uomo. L’evoluzione oggi,
Mialn, 1972; P.P. Grasse, L’evoluzione del vivente, Milan, 1979; G. Pastori, Le leggi della ereditarietà biologica, Brescia, 1958;
Qu’est-ce-que la vie? Semaine des Intellectuels Catholiques, Paris, 1958. Pour une dimension philosophique des problèmes, cf.
Vanni Rovighi, Elementi di filosofia, III, pp. 73-104; Gevaert, Il problema dell’uomo, pp. 91-114; L. Lombardi Vallauri, Le culture
riduzionistiche nei confronti della vita, in Aa. Vv., Il valore della vita, Milan, 1985, pp. 41-74; F. Facchini, Il cammino
dell’evoluzione umana, Milan, 1985; Lucas Lucas, L’uomo spirito incarnato; Artigas M., Le frontiere dell’evoluzionismo, Rome,
Ares, 1993.
Dans le domaine de l’éthique, plus précisément de l’éthique normative, il importe
particulièrement d’établir si l’élément biologique de la vie humaine, dans son origine et sa
composition, constitue tout l’homme, ou bien, justement parce que cet élément est inclus et fait
partie de la nature de quelque chose de supérieur – son esprit, sa finalité –, s’il acquiert une
nouvelle dimension, et qu’il ne doive pas être évalué seulement en soi et dans les nouvelles
limites matérielles, mais plutôt être compris, interprété et transcendé dans sa signification
globale.
Cette interprétation de la réalité humaine a, bien sûr, une importance fondamentale et décisive
pour tous les problèmes de bioéthique: le chirurgien, qui pratique une opération sur un organe ou
une partie de l’organisme, devra bien connaître l’anatomie, la physiologie, la pathologie de cet
organe, mais il devra aussi être conscient, qu’à proprement parler, il opère une personne humaine,
laquelle devra être évaluée comme telle, qu’il devra obtenir de cette personne déterminée le
consentement pour l’intervention, et qu’il sera responsable envers elle.
La procréation humaine, qui est à l’origine d’un nouvel individu, doit être décrite comme un
processus biologique, dans lequel l’anatomie et la physiologie de l’organisme sexuel expriment
toute leur finalité, parce que tout l’organisme des deux sexes y participe avec la
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p84
richesse vitale qui réunit les ressources biochimiques, neurologiques, endocriniennes, etc.
Mais on doit aussi évaluer la procréation comme un acte interpersonnel, dans lequel interviennent
l’affection, la liberté, la responsabilité, la communion des personnes. Les exemples peuvent se
multiplier pour tout le domaine et toutes les applications de la bioéthique.
La bioéthique ne devra pas se limiter à la description des comportements, du comment, ni se
présenter comme la déduction de préceptes des principes abstraits; elle devra plutôt s’imposer
comme une «lecture» significative d’évaluation de la globalité des faits vitaux et des
interventions sur la vie de l’homme, à la lumière de la totalité de ses valeurs.
Nous ne pourrions pas apprécier une œuvre d’art à sa juste valeur, par exemple un tableau de
Raphaël, si nous nous limitions à dire quel type de toile il a employé, quelle est la composition
chimique des couleurs, quand il a exécuté la peinture et combien il s’est fait payer; il faudrait
plutôt se demander ce qu’il a voulu exprimer avec tout ça et comment il a réussi à le faire de
façon à obtenir une œuvre d’art créative et non simplement graphique.
Il importait de donner ces exemples avant d’aborder la question de l’origine de la vie en
général et de la vie humaine en particulier parce que nombreux sont ceux qui, au nom de la
supposée «génération spontanée» ou «fortuite» de la vie (problème du «comment»), ont nié sa
spécificité, sa valeur de supériorité par rapport à la vie inorganique; nombreux sont ceux qui, en
vertu de l’hypothèse du transformisme et de l’évolutionnisme des espèces vivantes, ont tenté de
réduire les différences ontologiques et qualitatives entre les différentes espèces. La description
des éléments constitutifs matériels de la vie ne représente pas toute la réponse au problème du
pourquoi, de la cause, de la finalité et de la valeur de toute forme de vie. L’élimination ou
l’éradication de l’aspect métaphysique et éthique du discours biologique et ontologique
entraînerait en définitive l’incapacité de comprendre même la biologie et surtout la réduction
artificielle de la compréhension de la richesse de la réalité de la vie. Toutefois, nous croyons qu’il
est nécessaire de récapituler et de rappeler les termes de la problématique sur l’origine de la vie,
avant d’aborder le discours sur sa valeur.
Pour ou contre la théorie de l’évolutionnisme
Ce problème est encore loin d’être résolu en soi et il demeure un problème scientifique si on
considère les termes dans lesquels il est posé habituellement, c’est-à-dire le sens de la recherche
de la causalité immédiate et de la genèse physique et matérielle de la vie. Mais cette incertitude
ne touche pas le problème philosophique et métaphysique qui se rapporte à la valeur de la vie.
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p85
F. Redi (XVIIe siècle) et L. Spallanzani (XVIIIe siècle) ont démontré que la génération
spontanée ne s’appliquait pas aux vers, aux insectes et aux infusoires; Pasteur (au XIXe siècle) a
prouvé que même les bactéries ne se reproduisaient pas spontanément. Si les ultravirus existent et
si ce sont des êtres vivants, on ne peut pas établir actuellement s’ils sont générés spontanément.
Mais même si l’on prouvait l’existence de la génération spontanée, cela ne toucherait en rien la
position de ceux qui croient, par un raisonnement philosophique et métaphysique, que la vie
représente une «nouveauté» qualitative de l’être et de la réalité cosmique. En d’autres termes, le
vitalisme ne serait pas contredit par la théorie de la génération spontanée: il faudra expliquer de
toute façon pourquoi à un moment donné, à partir de la matière inorganique, par un contact
complexe et une multitude de raisons, la vie est apparue, phénomène typique et caractérisé. On
entend par pourquoi autant la cause efficiente première et lointaine que la cause finale et ultime
de la vie humaine en particulier.
La même observation s’applique à la théorie du transformisme et de l’évolutionnisme des
espèces.
Comme on le sait, le transformisme, ou la théorie de l’évolution selon laquelle les espèces
descendent l’une de l’autre, les plus complexes des moins complexes par transformation ou
évolution naturelle, représente aujourd’hui l’hypothèse qui prévaut. Cette théorie s’oppose à celle
plus ancienne du fixisme selon laquelle les espèces qui existent actuellement sont les mêmes que
celles qui existaient à l’origine du monde; on attribue à Linneo la phrase: Tot numeramus species
quot primum creavit Infinitum Ens (nous comptons autant d’espèces que l’Être Infini en a créées
au début)126.
Au cours des siècles, diverses théories transformistes évolutionnistes se sont développées. J.B.
Lamark a formulé la première dans son livre Philosophie Zoologique en 1809 en fondant sa
théorie sur deux principes: les transformations des espèces sont provoquées par l’adaptation à
l’environnement à cause de l’utilisation ou non de certains organes; les transformations des
individus sont transmises par génération lorsqu’elles sont communes aux deux sexes.
En 1859, dans son œuvre L’origine des espèces, Darwin fondait sa théorie de l’évolution sur le
principe de la lutte pour la vie et de la sélection naturelle: la lutte se ferait à l’intérieur de l’espèce
entre les différents individus et les mutations seraient par conséquent dues à la causalité, en vertu
du fait que l’individu le plus adapté s’affirme et se multiplie tandis que le moins adapté disparaît
avec ses caractéristiques.
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p86
126
Vanni Rovighi, Elementi di filosofia, III, p. 94; Mayer E., Storia del pensiero biologico, Turin, Bollati Boringhieri,
1990; La Vergata A., L’evoluzione biologica: da Linneo a Darwin, Turin, Lescher, 1979; Sella G., Cervella P., L’evoluzione biologica e la formazione delle specie, Turin, SEI, 1987.
Le néodarwinisme127 se détache des théories de Lamark et de Darwin et porte son
observation sur la variété que l’on retrouve dans les divers individus de la même espèce, niant
l’influence de l’environnement sur la modification des caractères héréditaires. On devrait
chercher les causes des variations dans le germoplasme.
A. Wiesemann (1817-1914) fut le premier à élaborer des arguments, il fit la fameuse
expérience de couper la queue des souris pendant plusieurs générations sans jamais obtenir de
souris sans queue ou avec la queue plus courte. Il soutint sa théorie dans son œuvre Essai sur
l’hérédité et sur les questions connexes (1892). Les caractères héréditaires devaient donc être
retrouvés dans la reproduction des individus et dans leur germoplasme.
De même U. De Vrues (1848-1935) est un néodarwiniste; il étudia la plante ornementale
Oenothera Lamarkiana et il observa la variété normale et l’apparition d’individus d’une variété
géante de cette plante. Il conclut qu’au cours de la transmission des caractères héréditaires, un
certain pourcentage (1-2%) d’individus non normaux pouvait apparaître. Il formula la théorie de
l’évolution par étapes ou «mutations» de la façon suivante: toute espèce subit à un moment
donné, dans des circonstances déterminées non encore identifiées, des mutations brusques ce qui
donne naissance à des individus pourvus de caractéristiques nouvelles. Cette théorie est encore
accréditée dans l’horizon scientifique actuel128.
Cependant, on ne connaissait pas encore les raisons provoquant ces brusques variations et ce
sera une nouvelle science qui essaiera de percer le mystère: la génétique.
Comme nous le savons, la génétique fit son apparition avec G. Mendel qui, en 1865, a
découvert les lois de la génétique, avec ses expériences sur les plants de pois; en croisant des pois
de grosseurs diverses, il formula la loi de la ségrégation; en croisant des plantes dont plusieurs
caractéristiques étaient différentes, il formula la loi de l’indépendance. L’expérience le portait à
conclure qu’au moment de la fertilisation, des caractères dominants et des caractères récessifs se
révélaient et que, en outre, il devait exister des éléments qui après s’être dédoublés, se
recombinaient selon les diverses possibilités du calcul combinatoire. À cette époque, ses
découvertes n’eurent pas l’attention qu’elles méritaient. Ce fut l’allemand W. Flamming qui, en
utilisant la chromatine comme substance colorante, découvrit ou redécouvrit les chromosomes
qui se trouvaient dans les cellules des différentes espèces en nombre fixe, unis en paires; et il fit
aussi la découverte que dans les cellules germinales ou gamètes, ce patri======================================
p87
moine chromosomique était divisé pour moitié dans chacune des cellules. Il publia ses
résultats en 1882.
Le belge E. Van Benden (1846-1910) poursuivant les recherches sur la mouche du vinaigre, la
Drosophile qui possède 8 chromosomes, découvrit que, dans les cellules sexuelles, ce patrimoine
était divisé pour moitié dans chacune des gamètes. Ce fut le cytologiste américain W.S. Sutton
(1876-1916) qui, en 1902, confirma les lois de Mendel, et lui rendit justice, à la lumière de la
découverte des chromosomes. Dans chaque paire de chromosomes d’un nouvel organisme, un
chromosome provient du père par le spermatozoïde et l’autre provient de la mère par l’ovule.
Suite à la rencontre et au mélange des chromosomes, chaque génération tend à mettre à jour des
127
Reale, Antiseri, Il pensiero occidentale..., III, p. 717; R. Morchio, La biologia nel XX secolo, in Agazzi E. (sous la
direction de), Storia delle scienze, II, Rome, 1984, p. 367.
128
Azzone G.F., Il senso della vita, Bari, Laterza, 1994.
caractères récessifs cachés par des caractères dominants. Les combinaisons toujours renouvelées
produisent donc ces variations qui seront ensuite utilisées par la sélection naturelle.
La génétique fit un autre pas en avant avec la découverte des gènes par le zoologue américain
T.H. Morgan (1866-1945): ce dernier découvrit que dans les chromosomes – dans le noyau de la
cellule – se trouvent des particules ordonnées, de la grosseur d’une molécule de protéine, qui
constituent le patrimoine héréditaire de l’individu. Ces gènes sont capables de se reproduire en
conservant leur propre individualité et leur propre indépendance des autres gènes; ils sont responsables des caractères spécifiques de l’individu et ils peuvent se recombiner de toutes les façons
possibles. Il mena ses expériences sur la Drosophile mélanogastère qui possède 4 paires de
chromosomes et se reproduit en 12 jours.
En 1927, J. Muller fit une découverte sensationnelle: en bombardant les gamètes des animaux
et des plantes avec des rayons X, on obtenait des mutations. Les mutations peuvent être géniques,
chromosomiques et génomiques selon les éléments impliqués dans la mutation. Les variations
génomiques ont une limite, les variations du nombre lui-même des chromosomes.
À ce moment-là, la théorie de l’évolution se consolida en se focalisant sur deux points: la
possibilité de la génération spontanée et celle de l’évolution des formes et des espèces de vie.
Les expériences menées par S. Miller (1953-1957) sur la formation des composés organiques
complexes comme les acides aminés, qui sont les molécules fondamentales des protéines,
lesquelles à leur tour constituent les éléments fondamentaux du protoplasme, apportèrent un vent
d’espoir pour les tenants de la théorie de l’origine spontanée de la vie. Cependant, ces
expériences ne sont pas considérées suffisantes pour prouver la possibilité de la génération
spontanée et par conséquent la question reste ouverte.
Entre-temps, une nouvelle lumière vint éclairer le mécanisme de transmission des caractères
héréditaires avec la découverte de l’acide désoxyribonucléique (ADN), élément constitutif des
gènes.
======================================
p88
Les macromolécules d’ADN sont des polymères formés de résidus d’acide phosphorique, d’un
sucre (désoxyribose) et de bases azotées d’adénine, guanine, cytosine et thymine. O.T. Avery en
fit la découverte à New York en 1944. Dans les années 50, L. Pauling précisa la structure des
macromolécules d’ADN et les décrivit comme une double hélice. Les études furent poursuivies à
Cambridge par F. Crick et J. Watson.
On fit ensuite la découverte d’un autre type d’acide nucléique, l’acide ribonucléique (ARN)
qui diffère de l’ADN par sa composition chimique; sa structure semble se présenter sous forme
de simples filaments et sa fonction est d’activer le mécanisme de transmission génétique.
Par la suite, la biologie moléculaire étudiera les mécanismes de formation des enzymes et de la
séquence des acides aminés dans les protéines selon la combinaison des bases de l’ADN. En
1955, S. Ochoa réussit à synthétiser in vitro l’ARN tandis qu’en 1956, A. Koruberg faisait de
même avec l’ADN. En 1961, F. Jacob et J. Monod démontrèrent l’existence de l’ARN messager
synthétisé sur le modèle de l’ADN, sous la forme d’un ruban contenant la séquence protéique
écrite en code de triplets. Les contributions de M.W. Nuremberg et de J.N. Matthei permirent de
déterminer dans les années 60 les différents types d’ARN (ARN ribosomique, ARN messager,
ARN de transfert) et d’apporter des éclaircissements sur la séquence
ADN ARN protéine
(Transcription traduction)
Toutes ces découvertes sur le code génétique portèrent les scientifiques à donner une
interprétation mécaniste aux phénomènes de l’origine de la vie avec une seule explication valable
pour les formes infimes de vie comme les bactéries et les virus jusqu’aux organismes supérieurs
et jusqu’à l’homme.
La théorie réductionniste recevait ainsi un grand encouragement; en outre, un appui important
était aussi apporté à l’évolutionnisme par la découverte des mutations que nous avons
mentionnées129.
De même, la découverte récente du «second code génétique», faite par deux chercheurs du
Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Boston, P. Schimmel et Ya-Ming Hou, et
publiée dans la revue anglaise Nature en mai 1988, pourrait être interprétée dans ce sens. Comme
on le sait, ce second code génétique fait la lumière sur une phase importante du processus de
synthèse des protéines à l’intérieur de la cellule, permettant de déchiffrer les modalités de
transmission des instructions pour l’ARN de transfert, instructions qui spécifient
======================================
p89
quel acide aminé doit être combiné et donc transporté au site de synthèse. Ce système logique
est utilisé par toutes les formes de vie et, de l’avis des chercheurs eux-mêmes, plus on fera de
progrès pour déchiffrer ce code, plus on réussira à connaître les mécanismes de l’évolution des
espèces130.
Il faut remarquer, à ce point-ci, la progressive réduction à une simple mesure de la
signification intrinsèque des différentes formes de vie. On développe une explication de façon
toujours plus élémentaire en ce qui concerne les mécanismes et l’on met entre parenthèses la
finalité qui fait la richesse toujours plus grande de ces mêmes formes de vie. C’est ainsi
qu’apparaît une sorte d’écart épistémologique qui touche la biologie et l’anthropologie: au fur et
à mesure que les explications mécanistes tendent vers le bas, la perspective philosophique et
finaliste est de plus en plus nécessaire pour comprendre l’entière réalité de la vie.
Ces théories évolutionnistes issues du domaine scientifique ont été appuyées en ce sens par
des conceptions philosophiques plus générales qui trouvèrent leur souffle dans les courants de
pensée de l’idéalisme et du matérialisme dialectique, fondés sur le concept de dialectique de la
réalité, ainsi que dans certains courants de la philosophie spiritualiste comme celle de Bergson.
Nous devons rappeler plus récemment les interprétations de P. Teilhard de Chardin (18811955) et de K.R. Popper (1902-1994). Le premier offre une vision créationniste et
christocentrique de l’évolution selon laquelle, à partir de la création, le plan évolutif du cosmos
tend vers l’apparition de l’homme (hominisation), mais que l’histoire évolutive de l’humanité est
insérée dans le dessein divin de la rédemption parce qu’elle est centrée de manière finaliste sur le
Christ et projetée vers lui, point oméga de l’humanité. Le père Teilhard s’appuyait aussi sur des
arguments paléontologiques en ce qui concerne les phases de l’hominisation.
K.R. Popper formule quant à lui l’hypothèse de l’évolution émergente ou créative. Popper
explique sa théorie de la façon suivante: il part de l’hypothèse que «la matière est énergie à haute
concentration, transformable en d’autres formes d’énergie, et par conséquent quelque chose
129
Cf. Pie XII, Encyclique «Humani generis», Cité du Vatican, Libreria editrice Vaticana, 1950; Cf. Jean-Paul II,
«Messaggio ai partecipanti all’assemblea plenaria della Pontificia Accademia delle Scienze», Orizzonte Medico, 5, 1996, pp. 4-5.
130
Pour avoir un survol des différents auteurs qui ont actuellement abordé le problème de l’évolutionnisme même sous
un angle philosophique, cf. H. Rolston (ed.), Biology, Ethics and Origins of Life, Boston, Jones and Bartlett Publishers, 1995; le texte
rapporte les présentations des différents auteurs, tous d’éminents scientifiques et philosophes de la science, faites lors de la
conférence «Biology, Ethics and Origins of Life» tenue à l’Université du Colorado en 1991.
faisant partie d’un processus du moment où elle peut être convertie en autre chose comme la
lumière, et bien sûr, en mouvement et en chaleur». Il parvient ainsi à affirmer qu’«il semble que
dans l’évolution de l’univers, au moins les étapes suivantes se sont produites, certaines
produisant des choses avec des propriétés tout à fait
========================================
p90
imprévisibles et émergeantes: la production des éléments plus lourds (y compris les isotopes)
et l’apparition des cristaux. L’apparition de la vie. L’apparition de la sensibilité. L’apparition
(avec le langage) de la conscience de soi et de la mort (ou même du cortex cérébral humain).
L’apparition du langage humain et des théories sur le moi et sur la mort. L’apparition des
produits de l’esprit humain comme les mythes, les théories scientifiques ou les œuvres d’art»131.
Popper accepte dans une certaine mesure les idées d’un autre évolutionniste récent, J. Monod,
prix Nobel de biologie (1910-1976), lequel dans son œuvre Le hasard et la nécessité affirme le
caractère imprévisible de l’apparition sur la terre de la vie, des différentes espèces et surtout de
l’espèce humaine: «nous étions imprévisibles avant notre apparition»132.
Mis à part l’aspect philosophique, les théories évolutionnistes s’appuient sur des arguments de
types différents:
a) la paléontologie constate que: les différentes espèces ne sont pas apparues en même temps;
d’abord sont apparus les êtres vivants moins complexes, puis les plus complexes, et enfin,
dernier parmi les mammifères, est apparu l’homme; les espèces actuelles révèlent des
différences par rapport aux espèces disparues même si elles appartiennent au même ordre;
les différences entre les espèces disparues à une certaine période et d’autres disparues dans
des périodes successives sont minimes et laissent croire que les transformations sont lentes;
on a retrouvé des fossiles d’espèces intermédiaires (Archopurix) et des individus qui
semblent avoir tenu le rôle «d’anneau de conjonction» entre une espèce et l’autre;
b) la comparaison entre les divers environnements géographiques où les différentes espèces se
sont développées de façons diverses; cette comparaison a été faite avec environ cent espèces
de la faune marine du Pacifique et de l’Atlantique, à l’est et à l’ouest de l’isthme de
Panama, isthme qui n’existait pas avant la période appelée miocène: ces espèces révèlent
des variétés semblables, ce qui laisse croire, qu’avant le miocène, il n’existait qu’une seule
espèce qui a subi une évolution différente dans des environnements différents;
c) la morphologie des différentes espèces démontre qu’il existe, au niveau anatomique et
physiologique, un modèle unique d’organisation vitale qui est modulée progressivement: on
donne comme exemple macroscopique l’analogie des organes (la main de l’homme possède
une structure fondamentalement analogue à la patte antérieure du singe, et ainsi de suite);
d) des arguments sont aussi tirés de l’embryologie. Tandis que certaines différences entre les
organes des individus des diverses
========================================
p91
131
132
Popper, Eccles, L’io e il suo cervello, I, p. 28.
J. Monod, Le hasard et la nécessité, Paris, 1970, p. 34.
espèces semblent grandes et irréductibles si l’on compare des individus adultes, ces
différences deviennent minimes si l’on compare les embryons des espèces respectives: dans
l’embryon du mammifère on retrouve l’ébauche des branchies du poisson.
Ce fait a entraîné la formulation de l’hypothèse de la biogénétique: l’ontogenèse reproduit la
phylogenèse, c’est-à-dire que la formation de l’individu à son stade embryonnaire reproduirait la
formation de l’espèce133. Dans le domaine de la génétique, comme nous l’avons vu, on peut
trouver des arguments en faveur de l’évolutionnisme surtout grâce à la découverte des
«mutations» qui peuvent se produire suite à des radiations particulières et grâce aux vastes
possibilités combinatoires offertes à l’intérieur des lois de transmission génétique.
Nous devons signaler tout d’abord que ces arguments ont été soumis à de nombreuses
critiques pertinentes sur le plan scientifique et d’un poids aussi considérable que celui des
preuves conjecturales alléguées. Nous ne pouvons pas ici les reporter et en faire l’analyse de
façon exhaustive.
Des paléontologues sérieux ont prouvé dans des études récentes que des ordres, des classes et
des variétés de la même espèce ont existé au cours de la même période et que certaines formes
primitives n’ont existé parfois que dans l’esprit des auteurs des théories134. Les arguments tirés
de la distribution géographique semblent valables dans un environnement où les variations sont
restreintes.
Les arguments provenant de la morphologie et de la physiologie des organes sont contredits
par une observation plus précise et plus complète et quand cette observation ne se limite pas à
l’observation extérieure des simples parties ou traits des organes. L’unité organisationnelle de la
vie pourrait prouver l’existence d’une continuité hiérarchique de la nature vivante plutôt que la
dérivation d’une espèce à une autre135. Mais ce sont en fait les généticiens qui ont apporté les
principales objections en ce qui concerne l’évolutionnisme, au nom de la détermination du code
génétique ou du nombre de chromosomes, fixe pour chaque espèce136.
========================================
p92
L’hypothèse de la «mutation génétique» soudaine devrait être appuyée par l’identification des
conditions précises, physiques ou environnementales, qui peuvent la provoquer.
Toutefois, à titre d’hypothèse scientifique, l’évolution reste une question ouverte à la
discussion et à la recherche scientifique, mais cela ne permet pas de présenter la théorie au niveau
philosophique en excluant le problème de la cause première, de la valeur et de la fin ultime;
l’évolution pourrait souligner de façon plus marquée le problème philosophique du «pourquoi»
relatif à ce processus et à la valeur de son point culminant soit l’apparition de l’homme dans
l’univers.
Contre le réductionnisme
133
E. Haeckel, «Zellseelen und Seelenzellen», Deutsche Rundschau, XVI, 1978, pp. 40-59.
134
Cf. G. Pastori, «Il centenario dell’opera di C. Darwin: «L’origine della specie per selezione naturale», Pedagogia e
vita, XXI, 1959-60, pp. 24-40 et 99-110.
135
Vanni Rovighi, Elementi di filosofia, III, p. 98; Lucas Lucas, L’uomo spirito incarnato, pp. 57-64; Muratore S.,
L’evoluzione cosmologica e il problema di Dio, Rome, AVE, 1983, pp. 8-11; Artigas, Le frontiere dell’evoluzionismo, pp. 159-205.
136
Pour la critique de l’évolutionnisme voir: G. Sermonti, R. Fondi, Dopo Darwin. Critica all’ evoluzionismo, Milan,
1980; V. Marcozzi, «Sorella scimmia» e controversie evoluzionistiche», La Civiltà Cattolica, I, 1985, pp. 134-145; id., Però l’uomo è
diverso, Milan, 1981.
Au cours de la discussion pour ou contre l’évolutionnisme, il faut éviter de faire une forme
dédoublée de réductionnisme de type philosophico-épistémologique: le réductionnisme de ceux
qui opposent la théorie évolutionniste non pas au «fixisme» – opposition qui peut être proposée
de façon légitime sur le plan scientifique – mais au «créationnisme», en transformant la théorie
scientifique sur l’origine des êtres vivants en une philosophie du devenir au sens matérialiste et
déterministe, où la cause première et la différence ontologique entre les différentes formes de vie,
y compris la vie humaine, sont reniées.
L’autre opération réductionniste, reliée à la précédente, consiste à expliquer ce qui est
complexe par ce qui est plus élémentaire, réduisant ainsi l’anthropologie, la sociologie et la
psychologie à la biologie, la biologie à la chimie, la chimie à la physique et ainsi de suite jusqu’à
ce qu’on atteigne «l’inconnu» formé de particules sous-élémentaires, annulant et détruisant de la
sorte les valeurs propres de chaque niveau.
À ce propos, il est opportun de reproduire ici les observations inattendues de K.R. Popper qui
classe les stades de l’évolution cosmique selon le modèle suivant:
Monde 3 (les produits de l’esprit humain)
Monde 6. Œuvres d’art et de science (y compris la technologie).
Monde 5. Langage humain. Théories du moi et de la mort.
Monde 2 (le monde des expériences subjectives)
Monde 4. Conscience du soi et de la mort.
Monde 3. Sensibilité (conscience animale).
Monde 1 (le monde des objets physiques)
Monde 2. Organismes vivants.
Monde 1. Éléments plus lourds; plantes ligneuses et cristaux.
Monde 0. Hydrogène et hélium.
========================================
p93
Le réductionnisme tente d’expliquer ce qui survient aux niveaux supérieurs par ce qui advient
aux niveaux inférieurs; ce qui survient dans un tout est expliqué par ce qui se produit dans ses
parties suivant le principe de «causalité vers le haut». Popper affirme que: «Cette idée
réductionniste est intéressante, et chaque fois que nous pouvons expliquer des entités et des
événements d’un niveau supérieur au moyen de ceux des niveaux inférieurs, nous pouvons parler
d’un grand succès scientifique et dire que nous avons largement élargi la connaissance du niveau
supérieur. Le réductionnisme est important non seulement comme programme de recherche, mais
en ce qu’il fait partie du programme de la science elle-même dont le but est d’expliquer et de
comprendre»137.
Cependant, ce même auteur déclarait qu’il existe aussi une «causalité vers le bas» comme il
l’appelle, selon laquelle le tout, en tant que structure, exerce aussi une influence sur les simples
parties, et il donne des exemples: l’exemple des étoiles dont la masse exerce une force de gravité
137
Popper, Eccles, L’io e il suo cervello, p. 30.
terrible sur les particules élémentaires de la zone centrale entraînant la fusion de certains noyaux
atomiques pour former des noyaux d’éléments plus lourds, et aussi: «un animal peut survivre à la
mort d’un grand nombre de ses cellules ainsi qu’à l’ablation d’un organe comme une patte
(entraînant la mort des cellules qui constituent l’organe), mais la mort de l’animal provoque très
rapidement la mort des parties constituantes y compris les cellules». Popper conclut en disant:
«Je crois que ces exemples rendent évidente l’existence de la causalité vers le bas et ils
impliquent du moins que le succès complet de tout programme réductionniste est
problématique»138.
Par conséquent, la réduction de l’anthropologie à la biologie, de la biologie à la chimie, de la
chimie à la physique, peut représenter un programme utile de recherche sectorielle, mais elle ne
peut pas offrir un modèle d’interprétation globale de la réalité.
Cette réduction vers le bas, souvent présente dans les théories évolutionnistes, dont se réclame
l’interprétation mécaniste de la vie, est encore moins valable lorsqu’elle touche le niveau de vie
supérieur, l’humain. À ce sujet, le même Popper, qui se définit comme agnostique, confesse en
ces termes l’insuffisance des sciences de la nature pour interpréter la réalité humaine dans son
ensemble: «Dans la conclusion de la Critique de la raison pratique, Kant affirme que deux seules
choses remplissent son âme d’admiration et de vénération toujours renouvelées et croissantes: le
ciel étoilé au-dessus de lui et la loi morale en lui. La première symbolise à ses yeux le problème
de la connaissance de l’univers physique et de la place que nous y occupons. La seconde se réfère
au moi invisible, à la personnalité humaine. La première annule l’importance de l’homme, en le
considérant comme une
======================================
p94
partie de l’univers physique; la seconde rehausse de façon incommensurable sa valeur en tant
qu’être intelligent et responsable.
Je crois que Kant a fondamentalement raison. Comme l’a dit un jour J.P. Lynkens, chaque fois
qu’un homme meurt c’est un univers entier qui est détruit. Les êtres humains sont irremplaçables,
et à ce titre, sont évidemment très différents des machines. Ils ont la capacité de savourer les
plaisirs de la vie, mais aussi de souffrir, et ils savent affronter la mort en pleine conscience.
Comme le dit Kant, ce sont des «moi», des fins en eux-mêmes»139.
Le problème philosophique sous-jacent au problème biologique
L’horizon des causalités biologiques à l’intérieur duquel les différentes formes de vie se sont
réalisées, exige une explication «métaphysique», soit que l’on accepte le fixisme, que l’on soit
porté vers l’évolutionnisme, que l’on considère la «causalité vers le bas» ou même la «causalité
vers le haut»; le «réductionnisme biologique» même s’il était jugé utile aux fins des programmes
de recherche scientifique, ne pourrait pas de toute façon représenter une explication globale de
l’origine de la vie et, en particulier, une explication de l’origine de l’homme.
À l’intérieur et au-delà de la causalité mécaniste et du hasard combinatoire, on devra supposer
deux passages métaphysiques incontournables pour la logique elle-même et pour l’explication de
la réalité, de la réalité vivante et de l’homme en particulier.
138
139
Ibid., p. 33.
Ibid., p. 13.
Le premier passage métaphysique est constitué par le principe de la création, le second par le
principe de la spiritualité de l’homme.
La causalité, qui explique son activité dans la réalité terrestre contingente, requiert une cause
intelligente pour expliquer le passage du non-être à l’être, de la non-existence à l’existence de
toute la réalité temporelle, qui se présente en fait comme contingente, c’est-à-dire incapable en
soi d’épuiser la plénitude de l’être ou de l’existence.
La cause première et réelle devra contenir en soi l’explication et la plénitude de l’être; elle
devra être capable d’offrir une existence distincte de la sienne (cette existence contingente que
l’on ne peut pas comparer à l’existence subsistante); elle devra aussi pouvoir être définie comme
capable d’intelligence finaliste et ordinatrice.
Le principe de causalité ou de raison suffisante, fondé sur la réalité et non simplement dans
l’esprit humain, se base en définitive sur les principes premiers d’identité et de non-contradiction:
l’être ne peut pas avoir son origine dans le non-être, on ne peut pas expliquer le plus grand par le
plus petit. Cette philosophie première, déjà présente dans la pensée classique, a subi une
impulsion et reçu un éclaircissement de la
========================================
p95
Révélation chrétienne, mais elle demeure une vérité de raison et de raison métaphysique140
comme on l’affirme avec le concept de création.
Que la vie, à cause de combinaisons complexes d’éléments chimiques ou par génération
spontanée, soit née de la réalité cosmique, que les différentes formes de vie se soient développées
par évolution, cela ne supprime pas la Causalité première, créatrice et providentielle, intelligente
et ordinatrice: l’hypothèse évolutionniste devrait plutôt exalter encore plus – si elle était prouvée
– la profondeur de l’Intelligence créatrice. Que l’on appelle «hasard» le caractère imprévisible
des nombreuses combinaisons possibles de l’ADN et «nécessité» l’établissement du code
génétique de chaque espèce, cela démontre notre incapacité de prévoir et de déterminer les
combinaisons électives, mais ne supprime pas le fait que ces possibilités risquent concrètement
de se réaliser dans une réalité de substrat qui exige une explication causale, à moins qu’on ne
veuille expliquer l’existence par le néant, ce qui signifierait n’offrir aucune explication141.
Nous devrons ajouter le fait que les différentes formes de vie (végétative, animale, humaine),
même si elles révélaient des liens non seulement de relation mais de dépendance, ne perdraient
pas pour autant, ni ne perdent, leur spécificité dans les divers niveaux d’autonomie. Quelle que
soit la façon dont soient expliqués les mécanismes à l’origine de la plante, de l’animal, de
l’homme, leur niveau de vie demeure particulier et distinct et révèle même une hiérarchie
ordinatrice tournée vers une plénitude de vie toujours plus vaste et plus riche. Le fait qu’il existe,
dans les divers niveaux de vie, un substrat matériel commun et des mécanismes élémentaires
reconnaissables ne doit pas nous empêcher de saisir la spécificité des «formes» substantielles.
Nous n’avons pas pour but de guider obligatoirement le biologiste ou le médecin vers une
vision religieuse particulière par une réflexion qui exigerait plus d’espace et qui a occupé et
tourmenté tant d’intelligences de scientifiques, de philosophes et d’artistes; mais nous désirons
du moins maintenir la distinction qui existe entre le discours scientifique expérimental qui étudie
140
Vanni, Rovighi, Elementi di filosofia, II, avec une bibliographie pertinente.
141
Voir les observations faites par G. Goglia sur les théories scientifiques de J. Monod, «Jacques Monod», Osservatore
Romano, 28/8/1976; cf. Aussi: G. Blandino, «L’argomentazione casualistica di Jacques Monod», La Civiltà Cattolica, II, 1978,
pp. 557-565; id., «Caso e finalità», ibid., II, 1977, pp. 366-368.
comment la vie apparaît et se répand, et le discours philosophique – tout aussi valable aux fins de
la connaissance de la vérité – qui cherche le pourquoi de la fin et de la valeur de la vie elle-même.
L’autre passage métaphysique est celui qui concerne la valeur de la vie humaine, la personne
humaine, sa spiritualité ne provenant pas de la matière, l’unité dans l’homme du corps et de
l’esprit142. Le chapitre
=======================================
p96
suivant traitera de ce sujet car il mérite d’être approfondi et non seulement effleuré.
Il était nécessaire enfin de préciser cette distinction entre le point de vue des sciences
expérimentales et celui de la philosophie. Les sciences expérimentales cherchent à donner une
explication de l’origine de la vie, mais, par «explication», elles entendent, et ne peuvent
qu’entendre, seulement la description du «comment» les données et les faits se connectent
expérimentalement; la philosophie, dans les faits et dans la somme des faits, recherche leur
«sens», c’est-à-dire le pourquoi causal, la Cause première et le pourquoi final, donc la Fin ultime.
Pour une lecture du sens et de la valeur, le point de vue philosophique est essentiel. Pour un
discours éthique, il est indispensable d’affronter d’abord ces points essentiels et de poser ces
distinctions.
Après avoir fait ces précisions, il nous semble utile de citer les observations de
l’embryologiste G. Goglia sur la théorie réductionniste et déterministe, se reportant en particulier
à J. Monod: «Sur la base de ces acquisitions, nous sommes aujourd’hui en mesure d’expliquer
avec une certaine approximation la dynamique chimique qui permet l’identification d’activités
cellulaires spécifiques. Les mécanismes qui conduisent à la spécialisation des diverses familles
cellulaires dans un organisme constitué de plusieurs cellules sont aussi assez clairs. Il existe
toutefois des problèmes auxquels ces notions ne réussissent pas à donner une réponse. Il s’agit
des problèmes relatifs au développement général de l’embryon et à la définition de l’organisation
morphologique et fonctionnelle en organes prodigieusement complexes comme l’œil et le
cerveau. Dans ces cas, les connaissances en biologie moléculaire des gènes, auxquelles se
rapporte Monod pour l’élaboration de sa théorie, nous apportent une aide tout à fait marginale.
On peut sans aucun doute convenir que l’architecture générale du corps est codifiée dans les
gènes et l’on peut certainement admettre que le développement des formes embryonnaires
représente l’expression directe ou indirecte d’une série coordonnée d’informations codifiées dans
le génome. Mais justement pour cette raison, l’idée que la mutation fortuite d’un gène puisse
promouvoir un phénomène d’évolution (transformation de la nageoire en patte ou de la patte en
aile) est inacceptable.
En fait, le passage de la nageoire à la patte ou de la patte à l’aile ne relève pas d’une
transformation chimique d’une ou plusieurs protéines (les protéines de la nageoire sont en effet
plus ou moins semblables à celles de la patte et de l’aile; et les muscles, la peau et les os de la
nageoire, de la patte et de l’aile ont une structure identique) mais il relève d’un phénomène de
reprogrammation morphologique et morphogénétique dans le cadre duquel les mutations des
simples gènes ne sont pas strictement nécessaires ou assument une importance marginale.
En effet, la détermination génétique des structures cellulaires doit rester plus ou moins
inchangée et, au plus, elle pourra impliquer une variation marginale concernant en particulier les
protéines de la mem======================================
142
Artigas, Le frontiere dell’evoluzionismo,
p97
brane cellulaire afin de caractériser sur le plan immunologique la nouvelle espèce.
La patte, la nageoire et l’aile requièrent, en d’autres termes, un bagage génique
substantiellement semblable, différent seulement là où c’est nécessaire pour donner aux cellules
une spécificité de l’espèce. Dans les trois cas, ce qui doit changer profondément c’est «l’entéléchie» (la tendance vers le but) et l’organisation qui en règle l’application dans le temps.
Pour passer de la frénésie du jazz à la majesté de «l’Hymne à la joie», il n’est pas nécessaire
de transformer les notes de musique: il suffit d’organiser leur succession143 de façon différente.
Éthique anthropocentrique et éthique anti-anthropocentrique
Pour terminer notre exposé, nous croyons opportun d’énoncer d’autres considérations sur le
rôle de l’homme à l’intérieur du monde naturel. Nous avons soutenu la thèse voulant que l’on
confère à l’homme un rôle central à l’intérieur de la nature parce qu’il est différent du point de
vue ontologique du reste des réalités naturelles. Cette position a été récupérée récemment dans le
cadre des études de physique où la formulation du principe anthropique, pour donner une explication scientifique du cosmos, a marqué un net virage par rapport à l’image de l’Univers laissée
par la science empirique depuis Copernic, où l’être humain avait perdu sa position centrale et
privilégiée.
En 1974, B. Carter144 a formulé ce que l’on a appelé le principe anthropique lequel,
particulièrement dans sa forme forte c’est-à-dire une conception selon laquelle la totalité du
cosmos est caractérisée par une étroite corrélation avec la vie, considérait de nouveau l’homme
non seulement comme une partie de la nature, mais aussi comme l’unique être capable de saisir
l’intelligibilité de l’Univers; en fait, selon les termes de S. Muratore: «seule une anthropologie
qui mette en évidence la profondeur ontologique, le relief métaphysique de l’esprit, réussit à
justifier l’orientation de l’évolution cosmique vers la vie intelligente. En tant que réalité
essentiellement ontologique, c’est-à-dire capable de manière constitutive de logos, l’esprit révèle
à un certain moment la fermeture et l’inachèvement d’un cosmos caractérisé par une intelligence
constitutive qui n’ayant pas toutefois l’éclat de l’esprit ne réussit pas à s’exprimer par le langage
de l’être par rapport à l’être. L’évolution cosmique se déroule donc toute au niveau «ontique»
(des réalités) jusqu’à ce qu’apparaisse «l’esprit» qui seul peut capter et mettre en évidence
l’intelligibilité intrinsèque des processus naturels, parce qu’il porte de manière constitutive
l’intentionnalité omni- inclusive, l’ouverture sur l’absolu, le savoir appréhendé de l’être»145.
=========================================
p98
Il est évident que dans une construction de ce type, l’homme a à assumer une position
particulière, en ce qu’il se place dans un rôle central et prééminent par rapport à tous les autres
143
Goglia, Jacques Monod.
144
B. Carter, Large number Coincidence and the Anthropic Principle in Cosmology, dans M.S. Longair (éd.),
Confrontations of Cosmological theories with Observational Datas, Dordrecht, Reidel, 1974. Au sujet de la formulation du principe
anthropique tant dans sa forme forte que dans sa forme faible voir S. Muratore, L’evoluzione cosmologica e il problema di Dio,
Rome, AVE, 1993.
145
Muratore, L’evoluzione cosmologica..., p. 204.
composants du monde naturel animé ou inanimé146; toutefois, cette position n’est pas partagée
universellement; en fait dans le domaine de la réflexion philosophique, et plus particulièrement
dans le monde anglo-saxon, on a assisté à la diffusion de nombreuses théories antianthropocentriques qui ont été développées surtout dans le but de résoudre les graves questions
liées à la pollution de l’environnement147. Cette approche part justement de la négation du
principe du caractère central de l’homme et elle propose, pour résoudre ces problèmes, de
repenser l’éthique en général non seulement à l’égard de l’être humain mais par rapport à la
nature. Dans cette optique, on souligne le lien étroit de dépendance qui relie l’Homme à
l’environnement qui l’entoure et par conséquent on ne peut pas éviter de considérer que ses
intérêts sont étroitement liés à ceux du monde physique. On confère donc à ces derniers une
considération morale qui traditionnellement ne s’étendait pas à ces domaines. Par conséquent, on
nie le fait que l’homme possède une spiritualité propre n’originant pas de la matière et qu’il
existe en lui une profonde unité de la res extensa (la chose étendue) et de la res cogitans (la
chose pensante). L’homme est ainsi réduit à un simple composant du monde naturel avec la
même importance morale que les autres composants.
Un tel changement a été provoqué par les prétendues éthiques écologiques, de l’holisme, de
l’éco-féminisme, de l’éthique des droits des animaux, du biocentrisme. Souvenons-nous en
particulier de la fameuse théorie appelée «éthique de la terre» de A. Leopold148. Cette dernière
constitue une conception radicalement éco-centrique et holiste
=====================================
p99
de la morale dans laquelle la soi-disant «communauté biotique», dans son sens global, assume
la valeur en soi.
Il faut noter que bien qu’il importe d’admettre l’importance morale des composants naturels,
indépendamment de leur capacité à offrir des avantages à l’homme, le dépassement de cette
conception ne doit pas toutefois tomber dans l’excès contraire, soit de conférer des droits à toutes
les entités naturelles. «La substitution de l’anthropocentrisme par un modèle plus organique de la
relation homme-environnement est sans aucun doute soutenue dans l’intention louable de
protéger l’environnement et de préserver la diversité biologique; cependant elle ne doit pas mener
à un extrémisme stérile. L’abandon proposé de l’anthropocentrisme voudrait garantir la valeur
intrinsèque de tous les êtres de la biosphère. Malheureusement, ce désir tend à empêcher
totalement l’homme d’utiliser les êtres qui lui sont inférieurs, bien qu’il fasse partie de l’ordre
naturel des choses que chaque espèce de la biosphère vive des autres espèces»149. Le véritable
problème consiste à établir quelle valeur on doit attribuer aux objets naturels et si l’on doit considérer cette valeur comme intrinsèque ou simplement accessoire.
146
Cf. Zatti M., Biologia antropica, dans B. Giacomini (sous la direction de), Il principio antropico. Condizioni per
l’esistenza dell’uomo nell’universo, Ferrara, 1991; C. Porro «I cieli narrano la gloria di Dio». Note su cosmologia e teologia», La
rivista del clero italiano, 6, 1996, pp. 453-463.
147
Cf. M.B. Fisso, E. Sgreccia, «Etica dell’ambiente. I», Medicina e Morale, 6, 1996, pp. 1057-1082; id., «Etica
dell’ambiente. II», Medicina e Morale, 1, 1997, pp. 57- 74.
148
Cf. A. Leopold, A sand country almanac and sketches here and there, New York, Oxford University Press, 1949. En
ce qui concerne toutes les théories anti-anthropocentriques en général cf. P.C. List, Radical Environmentalism. Philosophy and
Tactics, Belmont (É.-U.), Wadsworth, 1993, pp. 15-133; S. Bartolomei, Etica e ambiente, Milan, Guerini, 1989, pp. 35-136; id., Etica
e natura, Bari, Laterza, 1995.
149
B. Przewozny, O. Todisco, F. Targonski, Etica ambientale, Rome, Edizioni Miscellanea Francescana, p. 130.
La majeure partie des philosophes de pensée anti-anthropocentrique, comme J. Baird Callicot
et Tom Regan150, admettent que le problème le plus grave de l’éthique environnementale est la
construction d’une théorie capable d’expliquer de façon adéquate que les entités non humaines
portent elles aussi une valeur intrinsèque et que, par conséquent, elles doivent être respectées en
soi, indépendamment de toute reconnaissance humaine éventuelle.
L’attribution d’une valeur intrinsèque aux entités non humaines a mené à l’élargissement des
frontières de la communauté morale au- delà de l’unique catégorie des êtres humains: on peut
considérer cette expansion substantiellement correcte, pourvu qu’on l’interprète comme une
nécessité de prévoir pour l’homme des devoirs moraux non seulement envers les autres êtres
humains mais aussi envers les entités naturelles. Réciproquement survient une problématique, en
fait une fin de non-recevoir philosophique et scientifique, lorsqu’on en vient à affirmer que toutes
les entités naturelles possèdent la même valeur morale151. Il est évident que si l’on emprunte
cette voix, on atteint des résultats absurdes puisqu’on en vient à définir la valeur de telle sorte que
non seulement l’agent moral, c’est-à-dire l’être humain, est neutralisé mais il est en fait éliminé.
=========================================
p100
Il est très difficile de présumer qu’un autre quelconque pourrait protéger la nature si l’homme
perdait son importance à l’intérieur du monde naturel.
Nous ne pouvons pas nous empêcher donc, suite à cette brève analyse, de faire une critique de
l’hypothèse de base de la conception anti- anthropocentrique. Pour bien situer la relation hommenature, il est inutile et nuisible de vouloir fonder une nouvelle éthique différente de l’éthique
traditionnelle; il est au contraire beaucoup plus approprié d’élargir le champ de l’éthique
traditionnelle à la lumière des nouvelles acquisitions scientifiques et culturelles sans renier le rôle
humain. Dans le monde, l’Homme joue un rôle prééminent fondé sur sa diversité ontologique
profonde par rapport au reste de la création, sa spiritualité est indissociable de la matière et elle le
place au plus haut niveau; cependant, cette suprématie ne l’exempte pas, mais plutôt l’oblige à
respecter la nature.
On n’obtient pas le retour de l’équilibre avec la nature en équivalant l’homme aux autres êtres,
mais en changeant tout d’abord sa façon de penser et d’agir à l’égard de toutes les entités non
humaines. Pour cette raison, nous devons repousser les extrémismes de certaines écophilosophies et admettre que nous ne pouvons pas éliminer une pensée de type anthropocentrique
créationniste. Nous entendons par là une conception essentiellement philosophique dans laquelle
l’homme joue un rôle central et déterminant par rapport au reste de la nature. À ce sujet, la
réflexion personnaliste considère que «dans le moment culturel actuel, la pensée philosophique
sur la personne est appelée à saisir, dans la perspective du futur, la requête écologicoenvironnementale, donc la responsabilité à l’égard des animaux et de l’écosystème tant au sens
synchronique que diachronique. Il s’agirait d’élaborer une espèce de «personnalisme de la
biosphère» qui accroîtrait et améliorerait la responsabilité au sens «absolu», en incluant tous les
êtres vivants (animaux, plantes, terre) dans la reconnaissance du devoir de respect.
En résumé donc, un personnalisme qui, sans atténuer son fondement réalistico-ontologique,
s’ouvre aux nouvelles provocations soulevées par le progrès scientifique et technologique. La
personne humaine est l’artisan de la société et la gardienne de la biosphère; c’est l’artisan de
150
Cf. T. Regan, «The nature and possibility of an environmental ethics», Environmental ethics, III, 1, 1981, pp. 19-34;
id., The case for animal rights, Berkeley, University of California Press, 1983.
151
Cf. C.V. French, «Against biosferical egalitarianism», Environmental Ethics, XVII, i, 1995, pp. 41-57.
l’environnement écologique et social par lequel elle est à son tour conditionnée et stimulée. C’est
pourquoi il est nécessaire de créer une «éthique de la responsabilité», en la concevant non
seulement comme une responsabilité individuelle, mais comme une responsabilité envers les
générations futures152.
Enfin, nous considérons que l’approche anthropocentrique est préférable, nous entendons un
anthropocentrisme modéré qui réserve à l’homme un rôle de gardien, lui donnant une grosse
responsabilité.
=======================================
p101
C’est là aussi la position de l’éthique environnementale catholique qui se pose à l’intérieur
des théories anthropocentriques, mais avec des particularités et des modalités profondément
différentes de toutes les autres.
Nous ne pouvons certainement pas oublier que la véritable cause de tout problème écologique
provient d’une mauvaise perception de la relation homme-nature, à cause du désir du premier de
se substituer au Dieu créateur en perdant le sens de la limite. Il est donc encore plus opportun de
répéter la conception chrétienne à ce sujet: l’homme est le seul parmi les créatures qui puisse
participer au domaine du Créateur; cependant, bien que la reconnaissance de sa supériorité par
rapport au reste du monde soit ferme, il doit demeurer et par conséquent être considéré seulement
comme l’administrateur de la création. En conclusion, nous rappelons ce qui a été dit à ce sujet
par l’actuel Pontife dans l’Encyclique «Evangelium Vitæ»: «[...] l’homme a une responsabilité
propre à l’égard du milieu de vie, c’est-à-dire de la création que Dieu a placée au service de la
dignité personnelle de l’homme, de sa vie; et cela non seulement pour le présent, mais aussi pour
les générations futures. En réalité, «la domination accordée par le Créateur à l’homme n’est pas
un pouvoir absolu, et l’on ne peut parler de liberté d’user et d’abuser, ou de disposer des choses
comme on l’entend. La limitation imposée par le Créateur lui-même dès le commencement, et
exprimée symboliquement par l’interdiction de manger le fruit de l’arbre (cf. Gn 2, 16-17),
montre avec suffisamment de clarté que, dans le cadre de la nature visible, nous sommes soumis
à des lois non seulement biologiques mais aussi morales, que l’on ne peut pas transgresser
impunément»153.
Cette position peut être partagée autant par ceux qui se situent à l’intérieur d’une construction
philosophique ouverte à la transcendance, comme c’est le cas pour les chrétiens, que par ceux qui
refusent cette ouverture, pourvu qu’ils acceptent d’assumer leur propre responsabilité154.
=========================================
p102
152
153
154
E. Sgreccia, La persona umana, dans C. Romano, G. Grassani, Bioetica, Turin, UTET, 1995, pp. 194-195.
Jean-Paul II, Encyclique «Evangelium Vitæ», (23/3/1995), Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 1995, n. 42.
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p107
CHAPITRE QUATRE
La personne humaine et son corps
L’humanisation de la médecine
Le phénomène de la vie se développe dans le monde en une variété de formes et atteint son
apogée dans la vie de l’homme: l’homme représente, même aux yeux du biologiste et du
naturaliste, la forme la plus riche, la plus autonome, la plus active de vie, au-dessus du règne de
tous les êtres vivants, soit le point culminant de l’histoire naturelle de l’univers.
La biologie s’intéresse à la vie de l’homme ainsi qu’aux autres formes de vie sous-humaines,
cependant elle ne peut pas ne pas tenir compte, et ce particulièrement dans son application, son
diagnostic et sa thérapie, de la particularité de la vie humaine: l’homme ne se distingue pas des
animaux et des autres primates seulement par le nombre de ses chromosomes ou par sa
morphologie.
Par ailleurs, le but principal de la médecine est d’être au service de l’homme et de sa santé, et
bien que le médecin ait un contact immédiat avec le corps humain, il est impossible pour tout
médecin de faire abstraction de la liberté et de la responsabilité de l’individu, de la totalité de la
personne du patient ainsi que de l’ensemble de la communauté des hommes et de
l’environnement social.
On parle aujourd’hui de «l’humanisation de la médecine», mais ce terme comprend des
concepts différents ou si l’on veut complémentaires entre eux: certains interprètent ce terme en
mettant l’accent sur le rapport intersubjectif qui se tisse entre le patient et le personnel de la santé
face à l’invasion de la technologie et au caractère impersonnel des hôpitaux; certains interprètent
ce terme comme étant l’introduction d’études humanistes, particulièrement de la psychologie, à
l’intérieur des programmes des facultés de médecine; mais le sens le plus profond de ce concept,
qui en fait résulte de ce qui précède, est la reconnaissance de la dignité de la personne dans
chaque sujet humain, à partir, comme nous le verrons plus loin, de sa conception jusqu’au
moment de sa mort, tout en étant conscient de sa spiritualité et de son immortalité.
Ces trois nuances de sens ne sont pas acceptées couramment dans la pratique médicale comme
pourrait le laisser croire l’énoncé de principe
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p108
et malgré le «virage anthropologique» tant annoncé comme caractéristique de la culture
moderne.
Mais même en théorie, le concept de personne n’a pas toujours un sens homogène, surtout si
l’on se rapporte à la notion de corporéité et si l’on approfondit le lien entre celle-ci et la personne.
Pour cette raison, notre réflexion devra porter particulièrement sur cette réalité essentielle pour le
cosmos, la vie, la société et notamment la médecine, ce dont nous allons traiter.
La personne humaine et sa position centrale
Le fait que l’homme représente l’apogée de la vie de l’univers et du règne constitué par les
diverses formes de vie n’est nié par personne, que ce soient les scientifiques ou les philosophes,
de pensée évolutionniste ou fixiste, de courant philosophique matérialiste ou spiritualiste.
Les sciences de la nature (paléontologie, biologie...), les sciences humaines (psychologie,
sociologie...), la philosophie ainsi que les religions de diverses inspirations et confessions
concourent à l’appui de cette position centrale. Dans l’organisme même de l’homme, la réalité
cosmique est résumée et représentée; dans sa conscience, l’homme peut reformuler les réalités de
l’univers et sa capacité de maîtriser les réalités qui l’entourent apparaît dans ses œuvres.
Le point crucial consiste tout d’abord à définir la personne dans sa réalité constitutionnelle, audelà de la conscience même que chaque homme en particulier peut en avoir, et au-delà des
capacités d’expression de chaque personnalité dans le processus de sa maturation.
Précisons tout de suite que, dans ce discours préliminaire, nous ne partageons pas le point de
vue de la psychologie. En effet, en psychologie, le terme «personnalité», «personne», équivaut
souvent au concept de tempérament, caractère; et pratiquement chaque école et chaque auteur
interprète différemment son contenu, sa classification et son dynamisme.
Déjà en 1937, G.W. Allport avait recensé 50 descriptions différentes de «personnalités» qui
résumaient les sens ethnologiques, théologiques, juridiques, sociologiques, bio-sociologiques et
psychologiques du terme155.
Nous ne voulons pas insinuer par là que ces différentes approches de la personnalité ne sont
pas pertinentes: la psychologie en particulier relève les aspects relationnels, manifestes ou
155
G.W. Allport, Personality: a psychological interpretation, New York, 1937; P.G. Grasso, v. Personalità, in
Dizionario Enciclopedico Pedagogico, III, Turin, 1959, pp. 680-682.
profonds, de la personnalité, dont la connaissance est utile pour une pratique congruente de la
médecine, surtout par rapport aux diverses catégories et situations des
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p109
patients. Mais à cette étape de notre exposé, nous désirons traiter de l’aspect métaphysique, de
la valeur objective de la dignité de la personne, de sa structure ontologique.
À partir de ce point de vue, le premier aspect que nous devons mettre en évidence est le
caractère spirituel, intellectuel ou moral de la personne: la personne est unité de corps et d’esprit.
Cependant, il faut préciser ce que l’on entend par spiritualité, âme spirituelle ou esprit, et par
la suite clarifier comment cette vie spirituelle s’unit à la corporéité. En médecine, le fait de
remonter à ces profondeurs de la personne ne doit pas sembler oiseux. En effet, nous sommes de
plus en plus nombreux aujourd’hui à noter que, au fur et à mesure que le nombre des disciplines
qui s’intéressent à l’homme ainsi que le nombre des spécialités à l’intérieur des sciences
humaines augmentent, la crise de perte d’identité de l’homme s’aggrave. Rappelons ce
qu’écrivait à ce sujet M. Scheler: «Dans les dix mille ans de l’histoire, nous vivons la première
époque dans laquelle l’homme est devenu pour lui-même universellement et radicalement
problématique: l’homme ne sait plus qui il est et il se rend aussi compte qu’il ne le sait pas»156.
«Dans ce contexte de perte d’identité, d’incertitude et d’égarement par rapport à l’image de
l’homme, la réflexion philosophique, critique et systématique sur l’être et sur le sens de l’homme
devient un des devoirs les plus urgents de notre époque. Par conséquent, les tentatives pour
élaborer une nouvelle anthropologie philosophique sont caractéristiques de nombreux
penseurs»157.
La première étape de cette réflexion, du moins en ce qui concerne la médecine et la biologie
humaine, est représentée par le dépassement du matérialisme, du monisme biologique en
anthropologie; et cela peut se faire à travers la redécouverte et la réaffirmation de la spiritualité
de l’âme humaine. C’est ainsi que le principal problème est celui de «l’essence» de l’homme. Il
est vrai que le courant existentialiste, de même que l’actualisme et le spiritualisme, a marqué
l’aspect existentiel en fondant sur ce dernier l’intensification de la créativité, de la liberté, du
risque de l’homme. Pour l’école existentialiste, l’aspect plus humain de l’homme réside dans son
ex-sistere (se poser au-dehors), dans sa capacité de se détacher du déterminisme du monde et
d’être unique à travers la conscience et la liberté. Aussi la morale existentialiste devient de la
sorte influencée par le caractère «optionnel» et «dramatique» du choix, autant dans les courants
qui aboutissent au spiritualisme comme chez G. Marcel, que dans ceux qui retombent dans le
nihilisme à la manière de Sartre et de Camus, et que dans le
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p110
courant plus accroché à l’ontologisme comme chez Heidegger et Jaspers158. Délimiter
l’existence signifierait sortir du schématisme des «essences» et de la morale essentialiste.
En réalité, il n’y a d’existence que de quelque chose de défini et de réel; et la réalité se
présente comme une existence incarnée, réalisation simultanée de l’existence et de l’essence.
Mais, si dans l’ordre de la «réalisation», l’existence marque le passage du règne de la pure possi156
M. Scheler, Philosophische Weltanschauung, Bonn 1929, p. 62; G. Marcel, L’homme problématique, pp. 73-74.
157
Gevaert, Il problema dell’uomo, p. 8: J.Y. Jolif, Comprendre l’homme: introduction à une anthropologie
philosophique, Paris 1967, pp. 19-20.
158
Cf. Reale, Antiseri, Il pensiero occidentale..., vol. III, p. 1.
bilité à celui du réel et, par conséquent, a une fonction de priorité, dans l’ordre de «l’évaluation»
successive et de la définition d’un existant (face à la question: qu’est-ce que c’est, qu’est-ce que
ça vaut?) le philosophe doit d’abord sonder «l’essence».
L’existence humaine, prise dans l’homme existant concrètement et réalisé, se présente-t-elle
comme corps et esprit ou simplement comme corps? Voilà la première question à laquelle doit
répondre le philosophe, particulièrement le philosophe de la biologie et de la médecine. Il s’agit
en fait de la magna quaestio (la grande question) telle que la définissait saint Augustin159. Cette
question devient cruciale face à la réalité de la mort dont l’expérience touche chaque être humain,
mais elle s’impose à l’attention quotidienne du médecin et de la médecine, de sorte que le
médecin même continue à lutter. L’irruption, dans la société, de la violence et des tendances
favorables au suicide et à l’euthanasie pose le sérieux problème de ce que représente vraiment la
mort pour l’homme. Représente-t-elle seulement la fin des douleurs ou y a-t-il encore une
espérance de vie? Souvenons-nous du célèbre texte de A. Camus: «Il existe un seul véritable
problème sérieux: le suicide. Juger si la vie vaut la peine d’être vécue ou non, c’est répondre à la
question fondamentale de la philosophie»160.
Même dans les philosophies qui ont marqué l’aspect social de l’homme, «l’être en dialogue
avec les autres» comme dans le cas de l’existentialisme chrétien ou le néo-socratisme de G.
Marcel ou comme dans la vision socialiste de l’humanité, où l’individu est simplement une entité
sociale, le problème de «l’essence» ou de la «spiritualité» continue de prédominer radicalement.
En fait, la question persiste non seulement de savoir ce que nous devenons après la mort, mais
aussi de clarifier qui nous sommes, chacun d’entre nous face aux autres, et qui est l’autre pour
moi. Dire simplement: moi – toi – nous, cela ne suffit pas à rassurer l’esprit humain. Même un
personnalisme qui serait uniquement relationnel et qui se limiterait à définir le «moi» et le «toi»
par rapport à la relation interpersonnelle, sans le présupposé métaphysique d’une définition de
l’essence par rapport à l’exis=======================================
p111
tence et de l’existence par rapport à l’essence concrète et réelle, rendrait toute définition de la
personne évanescente161.
Définir l’essence de la personne et la définir comme corps et esprit unis n’a pas pour but
d’enlever à la personne sa caractéristique de «sujet» ou de la rendre «objet»: cela signifie
simplement définir ou explorer les profondeurs réelles qui se cachent dans les profondeurs du
«moi» et du «toi» dans la relation sociale.
Reprenons simplement l’argumentation relative à la preuve de la spiritualité du moi: depuis les
arguments classiques repris et corroborés par la philosophie néothomiste et personnaliste, à ceux
plus récents et qui sont complémentaires162.
159
Saint Augustin, Les confessions, Rome 1981, chap. IV: «factus eram ipse mihi magna quaestio».
160
A. Camus, Le mythe de Sisyphe, in Essais, Paris 1965, cité par Gevaert, Il problema dell’uomo, p. 11.
161
Voir la contribution de la pensée dialogico-personnaliste de M. Buber, Werke, Munich 1962; A. Babolin, Essere e
alterità in M. Buber, Padoue 1965.
162
Nous ne pouvons pas offrir ici une justification philosophique exhaustive de l’union substantielle de l’âme et du
corps et de la spiritualité de l’âme intellectuelle. À cette fin, qui découle de la finalité de ce manuel, nous vous reportons à la
volumineuse bibliographie et entre autres à: Thomas d’Aquin, Summa theologiæ, I, q. 75 et 76, Questiones Disputatæ: De
spiritualibus creaturis, art. 2 et 9, Rome 1946; id., De Anima, art. 2 et 3, Casale Monferrato 1953; voir le développement de
l’argumentation dans Vanni Rovighi, Elementi di filosofia, III, pp. 157-183; F. Locatelli, «Alcune note sulla dimostrazione
dell’immortalità dell’anima di S. Tommaso», Rivista di filosofia neoscolastica, XXXIII, 1941, pp. 413-418; A. Coccio, «Il problema
dell’immortalità dell’anima nella Summa Theologica di S. Tommaso d’Aquino», Rivista di Filosofia neoscolastica, XXXVIII, 1946,
pp. 298-306; J. Maritain, L’immortalità dell’anima, in Ragione e ragioni, Milan 1982.
La preuve classique de la spiritualité de l’âme, et donc du moi, se fonde sur le principe de la
proportionnalité entre la cause et l’effet, c’est-à-dire entre les activités de l’homme et le principe
dont elles découlent. En l’homme, on distingue des activités d’ordre biologique et corporel qui
s’expliquent, comme chez l’animal, par la vitalité végétative-sensorielle; mais le même sujet, le
même «moi», a aussi des activités d’ordre immatériel telles que, même si elles sont provoquées
par la sensibilité, elles s’expliquent à un niveau supérieur, immatériel: ce sont l’intellectualisation
des idées universelles, la capacité de réflexion, la liberté (et par conséquent l’amour au sens
spirituel et altruiste). Ces activités ne s’expliquent qu’à travers un principe, une source d’énergie
d’ordre supérieur, non identifiée à la matière, une source immatérielle et par conséquent
spirituelle.
Par ailleurs, cette source d’énergie supérieure se révèle émaner du même sujet qui a des
activités sensorielles: ces mêmes activités sensorielles sont identifiables et capables d’entrer dans
l’auto-conscience de l’homme. En plus de l’intellect, il existe et coexiste dans l’esprit une
conscience unificatrice reflétant la corporéité: Idem ipse homo est qui percipit se intelligere et
sentire; sentire autem non est sine corpore163
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p112
(C’est le même homme qui perçoit qu’il pense et qu’il sent; or il est impossible de sentir sans
le corps).
«Nous devons dire que l’essence ou la substance de l’homme est une essence ou une substance
unique mais complexe, dont les composantes sont en même temps le corps et l’intelligence
spirituelle – ou mieux encore la matière dont est fait le corps et le principe spirituel dont
l’intelligence est une faculté. La matière s’unit substantiellement au principe spirituel de
l’intelligence, elle est ontologiquement modelée, informée à partir de l’intérieur et dans les
profondeurs les plus intimes de l’être, afin de constituer ce en quoi consiste notre corps,
instrument vivant de l’intelligence. Dans ce sens, saint Thomas, après Aristote, affirme que
l’intelligence est la forme, la forme substantielle du corps humain.
Il s’agit là de la notion scolastique de l’âme humaine. L’âme humaine, qui est le principe
radical de la puissance intellectuelle, est le premier principe de vie du corps humain; c’est la
forme substantielle, l’entelecheia de ce corps. Cependant, l’âme humaine n’est pas seulement une
forme substantielle et une entelecheia comme le sont les âmes des plantes et des animaux, selon
la philosophie biologique d’Aristote: l’âme humaine est aussi un esprit, une substance spirituelle
capable d’exister séparée de la matière, puisque l’âme humaine est le principe radical d’une
puissance spirituelle dont l’acte est intrinsèquement indépendant de la matière. L’âme humaine
est à la fois une âme et un esprit, et sa substance propre et son existence sont communiquées à
toute la substance humaine pour en faire ce qu’elle est, pour la faire subsistante et existante.»164
Nous reviendrons bientôt sur le thème corps-esprit afin de reprendre les paroles de J. Maritain.
Nous désirons ajouter à ce point-ci que la démonstration de la spiritualité de l’âme a été, plus
récemment, soulignée et fondée de façon plus marquée et existentialiste sur la «dialectique» du
moi: c’est la capacité de se rapporter à l’autre, d’un moi vers un toi, qui bâtit plus radicalement le
rapport.
163
164
Thomas d’Aquin (saint), Summa Theologiæ, I, q. 76, a. 1.
J. Maritain, L’immortalità dello’anima, in Ragione e ragioni, Milano 1982, p. 90.
«Les anthropologies d’inspiration existentielle et surtout celles d’inspiration personnaliste
cherchent à caractériser de façon différente l’être de l’homme, en utilisant une formule plus
complète et substantiellement ouverte au mystère religieux. On y voit l’homme comme un ego
qui existe avec les autres dans le monde pour se réaliser»165. C’est ainsi que Heidegger, Marcel,
Buber et d’autres ont ainsi fortement connoté la personnalité et la spiritualité de l’homme: «être
avec les autres», «être dans le monde», «être par les autres», la «dialectique moi-toi» sont des
formules qui ont pour but d’exprimer l’aspect existentiel et actif de la personnalité spirituelle
dans un sens moderne.
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p113
Comme nous l’avons mentionné plus haut, cette perspective suppose et ne substitue pas le
discours «substantialiste» sur l’essence spirituelle de l’esprit, source de la faculté intellectuelle et
volitive.
Il convient de faire ici une autre remarque sur les termes «âme», «psyché» et «esprit» afin
d’éviter les possibilités de confusion. Au sens philosophique, on entend l’âme comme un principe
d’opérations vitales et l’on peut utiliser le terme pour indiquer les fonctions vitales végétatives,
sensorielles et rationnelles; et pour cette raison, l’on parle d’âme végétative, sensitive et
rationnelle même si, plus communément, le terme «âme» se rapporte à l’âme rationnelle et
spirituelle. Cependant, Maritain utilise de façon plus appropriée le terme d’esprit pour marquer
l’âme rationnelle.
En psychologie expérimentale et humaine, on désigne aussi par le terme «psyché» des
expressions vitales qui indiquent plus communément l’aspect sensoriel et émotionnel de la vie
animale et humaine (on discute et l’on doute du fait que les plantes aient une sensibilité); parfois
au contraire, le terme psyché ou psychisme désigne l’aspect spirituel et supérieur de l’esprit mais
d’un point de vue fonctionnel. On parle alors de psychisme supérieur, de «raison», de
«psychologie» de l’intelligence et ainsi de suite. Il faut éviter de penser que l’homme est
constitué de trois principes: le soma, la psyché et l’esprit, parce que la psyché exprime la vitalité
autant du soma que de l’esprit d’un point de vue fonctionnel. Particulièrement de nos jours, la
psychologie se concentre dans l’étude de la dimension émotionnelle-sensitive qui prend ses
racines autant dans le soma que dans le moi.
Les principes constitutionnels de l’homme ne sont que deux, et leur origine et leur nature sont
profondément différentes: le soma et l’esprit ou l’âme spirituelle.
La spiritualité de l’âme, une fois reconnue, comporte deux autres conséquences: si l’âme est
spirituelle, elle ne peut pas par conséquent dériver du corps; et, par ailleurs, elle est immortelle.
Toujours partant du principe de l’impossibilité métaphysique de faire dériver le spirituel du
matériel, on devra conclure que chez l’homme, être composé d’une âme spirituelle et d’un corps,
l’âme doit avoir un principe d’origine différent et spirituel. C’est de là que vient la thèse de la
création directe de l’âme individuelle de la part de Dieu: le Créateur même qui a fait exister la vie
dans son expression générale, riche de variétés et de niveaux hiérarchiques, est aussi l’Auteur des
âmes spirituelles particulières de chaque homme. Comme l’affirme saint Thomas d’Aquin166
creando infunditur et infundendo creatur (en les créant, il les infuse; et en les infusant, il les
crée). Nous préciserons plus loin la façon et le moment de cette union de l’âme et du corps dans
l’unité de la personne.
165
Gevaert, Il problema dell’uomo, p. 7; J.F. Malherbe, «Médecine, anthropologie et éthique», Médecine de l’homme,
156/157, 1985, pp. 5-12.
166
Thomas d’Aquin (saint), Summa Theologiæ, I, q. 90, art. 2.
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p113
L’immortalité de l’âme dérive de son immatérialité. Pour certains, cette déduction n’est pas
assez solide; et ils ajoutent que l’immortalité tient plus de la foi religieuse que de la
démonstration rationnelle. Il est vrai que l’immortalité de l’âme, comme d’ailleurs son origine,
rappelle et postule le concept de création ainsi que l’existence du Créateur; mais cette conclusion
n’appartient pas seulement au domaine de la foi mais aussi de la raison, même si la foi chrétienne
l’illumine et la corrobore. Une fois démontrées la spiritualité de l’âme et sa création par Dieu, on
ne peut que conclure en faveur de l’immortalité puisque, ne se corrompant pas d’elle-même (étant
immatérielle), l’âme spirituelle pourrait perdre son existence propre uniquement par la volonté du
Créateur, lequel «non subtrahit rebus id quod est proprium naturis earum»167 (le Créateur
n’enlève pas aux choses ce qui est le propre de leur nature). On ne veut pas nier par là
l’importance des certitudes de la foi et l’élargissement de l’horizon qui en dérive pour toute
l’anthropologie: la foi chrétienne recourant à la Révélation propose une conception de l’homme
comme sujet créé «à l’image de Dieu», dépositaire de la même vie divine surnaturelle par la
Rédemption faite par le Christ, appelé à la vie éternelle comprise comme participation à la vie
divine. Mais nous ne devons pas pour autant sous-estimer la pertinence des arguments tirés de la
raison, de l’éthique et du désir naturel et universel de l’humanité pour l’éternel168.
Ce que l’on doit éviter c’est le transfert imaginaire et conceptuel des notions d’espace-temps à
la vie hors du temps: la raison peut simplement affirmer le fait de l’immortalité, mais cette
immortalité ne doit pas par la suite être imaginée comme un prolongement chronologique de la
vie temporelle169.
Le corps et ses valeurs
Il est impossible de tracer des lignes éthiques dans le domaine biomédical, faire de la
bioéthique, sans avoir d’abord clarifié la valeur inhérente à la corporéité humaine et par
conséquent, le rapport corps et esprit dans l’unité de la personne.
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p115
Déjà au Ve siècle av. J.-C., l’école de Cos rappelait dans l’œuvre I luoghi nell’uomo que: «la
nature du corps est le principe du discours en médecine». En effet, tout médecin sait de façon
intuitive qu’en s’approchant du corps d’un malade, il s’approche en fait de sa personne et que le
corps du malade n’est pas à proprement parlé «l’objet» de l’intervention médicale ou
chirurgicale, mais bien «le sujet». Mais l’on doit approfondir ce rapport corps-personne
particulièrement en relation aux problèmes du début de la vie embryonnaire et aussi en relation
aux thèmes de la santé, de la maladie et de la mort.
167
Thomas d’Aquin (saint), Summa Contra Gentiles, Turin 1975, chap. 55.
168
Cf. P. Schoonenberg, «Je crois à la vie éternelle», Concilium, 5, 1969, p. 91; M. Blondel, «Le problème de
l’immortalité de l’âme», Supplément de la vie spirituelle, 61, 1939, pp. 1-15; J. Maritain, De Bergson à St-Thomas d’Aquin,
Neuchâtel-Paris 1947, pp. 149-185: Gevaert, Il problema dell’uomo, pp. 270-282. Parmi les plus récents, Maritain et Blondel
s’expriment en faveur de la possibilité de démontrer l’immortalité de l’âme tandis que Jaspers et Scheler renvoient cette certitude à la
foi religieuse.
169
J.T. Ramsey, Freedom and immortality, Londres 1971, pp. 91-148; Gevaert, Il problema dell’uomo, p. 273.
Notre discours devra avoir un caractère philosophique et éthique: nous ferons appel, même si
ce n’est que brièvement, à la pensée idéologique contemporaine sur la «culture ou la contreculture» du corps, et nous ne ferons que des références à ce qu’est la pensée biblique et
théologique sur la corporéité.
En effet, en restant dans le domaine philosophique, nous nous trouvons en présence de trois
conceptions différentes de la corporéité qui comportent chacune une éthique différente et une
anthropologie corrélative différente: la conception dualiste, la conception moniste et la
conception personnaliste.
La conception dualiste ou intellectualiste
Cette conception fonde ses origines lointaines dans la pensée grecque, laquelle est
cosmocentrique: la réalité a son centre dans le cosmos, le monde ordonné dont la matière,
élément fluctuant, aveugle et indéterminé, siège de l’irrationnel et du fait, est dominée dans une
certaine mesure et organisée par les idées divines de nature supérieure et opposée. La réalité est
dualiste et tragique en soi, et l’homme représente un «cas» de cette tension entre le monde
matériel et le monde idéal et divin.
Le dualisme anthropologique se concrétise dans l’affirmation du conflit entre l’âme et le
corps. Platon (427-347 av. J.-C.), principal représentant de cette conception dualiste, soutenait
l’union accidentelle de l’âme et du corps; l’âme étant un élément éternel et divin, le corps se
révèle comme étant l’obstacle principal à la connaissance des idées, et l’idéal de l’homme
consiste à se soustraire du corporel et à s’aliéner du monde. Cette attitude pèse dans la conception
platonicienne non seulement en relation à la théorie de la connaissance mais aussi dans la vision
générale de la vie: Platon, d’après la morale inhérente au concept organiciste de l’État absolu, a
réussi à justifier l’euthanasie d’adultes gravement malades, avec l’aide des médecins
(Repubblica, 460 b). Avec Aristote (384-322 av. J.-C.), cette conception dualiste s’atténue, mais
ne disparaît pas complètement.
En fait, Aristote conçoit l’union de l’âme spirituelle et du corps à travers le rapport
«substantiel» de «forme» et de «matière», «acte»
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p116
et «puissance»: pour Aristote, l’âme est la forme substantielle du corps, ce qui signifie que le
corps est humain dans toutes ses parties en ce qu’il est «informé» par l’âme; l’âme actualise le
corps et le transforme en corps humain. Toutefois il ressort une forte incidence du dualisme par le
fait que, même pour Aristote, le corps est une matière étrangère par origine, et opposée à l’esprit;
les deux principes communs de l’homme ne présupposent pas une origine unique, puisque la
matière est éternelle et opposée à Dieu: l’âme unifie le corps, elle en est l’entelecheia, elle lui
confère la vitalité, mais, en tant que principe d’unification des fonctions vitales, celle-ci ne
s’identifie pas au corps et en tant que principe actif d’intelligence du vrai (nous poieticos) elle lui
reste étrangère et s’identifie à la divinité.
Par ailleurs, les autres œuvres d’Aristote, avant l’interprétation thomiste, ne permettent pas
d’affirmer clairement l’immortalité et la survie de l’âme de chaque homme: c’est l’intellect divin
qui est éternel et éternellement actif à l’intérieur de l’âme personnelle. La vision aristotélicienne
du corps est organiciste et l’organisme humain attire l’intérêt scientifique du philosophe.
Dans cette tentative d’unification, c’est l’âme personnelle qui perd de la consistance; et c’est le
corps qui ressort, avec sa forme et son unité. C’est ce qui fait qu’Aristote aura un grand intérêt
pour la médecine sous l’angle organiciste170.
L’instance unitaire et les conceptions qui la justifient (acte et puissance, matière et forme)
seront utilisées à nouveau dans la conception thomiste et personnaliste, avec une meilleure
sauvegarde de la consistance spirituelle et substantielle de l’âme personnelle.
Il reste dans l’aristotélisme une incapacité de concevoir la morale comme morale totale de
l’homme. Souvenons-nous que même Aristote, dans cette optique organiciste de l’homme,
justifie l’élimination des nouveau-nés difformes (Politica, VII, 1335b), en raison de leur manque
de perfection physique.
Les écoles postaristotéliciennes, autant la néoplatoninicienne que la stoïque présentent encore
une involution anthropologique: dans la surestimation moniste de la raison universelle (stoïques)
de l’Un, d’où tout provient par dégradation jusqu’à la matière (néoplatonisme), le corps reste un
obstacle substantiellement étranger au divin et accidentellement uni à l’esprit.
L’exaltation du suicide comme acte de rationalité et de liberté, fréquemment pratiqué par les
philosophes de ces écoles, ne doit pas nous surprendre. Les voix qui réaffirment la valeur
intangible de la vie humaine face au médecin (Hippocrate et Galien) ou sa valeur face aux
devoirs civiques (Cicéron) témoignent toutefois de la permanence
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p117
d’une éthique de respect de l’homme et de refus de la considération purement instrumentale
de la corporéité.
La conception dualiste influence certains secteurs de la littérature chrétienne antique et
particulièrement les penseurs de l’école platonicienne, surtout en ce qui concerne l’explication du
péché présent et à l’œuvre dans la vie temporelle de l’homme. Cette influence n’arrive pas au
point de faire oublier que la création fait de l’homme un être totalement «créé» par Dieu et par
conséquent, unitaire dans son origine et sa fin.
Pour retrouver une autre phase du dualisme anthropologique fortement marqué, il faut arriver
à Descartes, Malebranche et Leibniz, à l’époque du triomphe du rationalisme. Pour Descartes, le
corps est uni concrètement et physiquement à l’âme à travers l’épiphyse, mais les deux réalités
diffèrent par leur essence et leur valeur: le corps est une machine et son étude appartient aux
sciences de la mécanique et de la nature; l’esprit est la conscience et c’est ce qui donne de la
valeur à l’homme. Le corps assume un sens instrumental marqué et Descartes ne voit pas de
conflit dans l’homme au point de vue opérationnel de la même façon qu’il n’y en a pas entre
l’ouvrier et sa machine.
Le devoir de la raison est de connaître les lois de la nature; et la science, sur les bases de la
méthode de Galilée selon les critères d’observation et d’expérimentation, tend à connaître pour
dominer. Le matérialisme mécaniste, comme interprétation de la réalité physique et corporelle,
portera la médecine à adopter la méthode d’observation expérimentale et à accomplir des progrès
dans la connaissance structurelle et fonctionnelle du corps humain. Selon la pensée de Descartes,
le corps humain n’a pas besoin, pour être expliqué, de l’âme, au sens de principe vital: le corps
est physique, mécanique. On n’a pas besoin de faire appel à l’esprit humain pour expliquer le
fonctionnement du corps, mais plutôt pour la conscience de soi, pour la raison et l’interprétation
rationnelle du monde.
170
A. Roselli, La medicina e le scienze della vita, in Agazzi (sous la direction de), Storia delle scienze, I, pp. 105-107.
Malebranche accentue ce dualisme, en affirmant que l’esprit ne domine pas directement le
corps tel un instrument ou une machine; la séparation est telle que Malebranche fait appel à Dieu
afin d’harmoniser la vie corporelle à la vie spirituelle dans les processus cognitifs et dans
l’activité pratique (occasionnalisme). Leibniz recourt au concept de l’harmonie préétablie chez
l’homme entre l’ordre spirituel et l’ordre physique, afin d’éliminer l’idée d’intervention continue
de Dieu, mais tout en soulignant le même dualisme structurel.
Ce sera en fait ce dualisme exaspéré, appartenant désormais au passé, qui stimulera le
monisme matérialiste qui a reconnu, dans les phénomènes définis comme psychiques ou
spirituels, le reflet de l’organisation corporelle.171
========================================
p118
La conception moniste
L’interprétation matérialiste et moniste, mis à part les conceptions antiques de l’épicurisme,
offre depuis Marx, et en particulier avec le néo- marxisme de Sartre et de Marcuse, une vision du
corps réductionniste et politique. Le marxisme classique a soumis le corps à l’espèce et à la
société; le néomarxisme s’oriente vers une seconde révolution plus individualiste. Le corps
épuise la totalité de l’homme (J’existe mon corps, affirme Sartre) et de ses expériences: autant ce
que l’homme possède à l’intérieur de soi, que ce qu’il puise de l’expérience avec les autres, tout
cela exprime la corporéité et l’expérience corporelle. Quant à Marcuse, qui n’offre pas toujours
une pensée systématique, il reste établi aux fins d’orientation que le corps est le lieu de la
libération, en plus d’en être le moyen; se réapproprier le corps veut dire libérer la personne
humaine de la société bourgeoise et industrielle, de la morale extrinsèque, de l’institutionnalisation du mariage; faire devenir le corps le lieu du plaisir, du jeu et de l’expression de
tout ce qui peut être. Ces idées sont plus explicites dans l’œuvre Eros e civiltà (1955). Le corps
doit être libéré de l’argent, du logos, de la loi et de la contrainte sociale; une fois libéré, le corps
sera le point de départ d’une nouvelle société172. Sur cette ligne politico-révolutionnaire se
greffe le premier mouvement féministe qui se rattache à Simone de Beauvoir et à son œuvre
fameuse, Le deuxième sexe, qui a eu et a toujours une grande influence dans le domaine des
revendications de la liberté sexuelle, dans les campagnes en faveur de la contraception, de
l’avortement, de la stérilisation volontaire, etc.173
Certains courants psychologiques modernes comme le behaviorisme, la psychanalyse, même
s’ils ont contribué à dépasser la conception organiste et mécaniste du corps, n’ont pas franchi
l’horizon matérialiste- moniste de la conception de l’homme; mais ils se proposent de sonder le
mystère de la psyché humaine et du «corps vécu» à travers l’étude du comportement ou à travers
l’analyse des dynamiques de l’inconscient et des pressions sociales. Ces écoles ont sans aucun
doute apporté dans ces domaines des contributions importantes ainsi que des clés d’interprétation
de la réalité de l’homme dans sa subjectivité et sa pathologie; cependant elles ne sortent pas,
171
Gevaert, Il problema dell’uomo, pp. 53-64.
172
R. Nebuloni, Crisi dell’eros e crisi della civiltà del pensiero di H. Marcuse, in V. Melchiorre (sous la direction de),
Amore e matrimonio nel pensiero filosofico e teologico moderno, Milan 1976, pp. 319-344; S. Spinsanti, Il corpo nella cultura
contemporanea, Brescia 1983, avec une abondante bibliographie.
173
S. Cremaschi, Il concetto di eros in «Le deuxième sexe» di Simone de Beauvoir, in Aa. Vv., Amore e matrimonio...,
pp. 296-313.
sinon à travers une correction et une intégration métapsychologique, de la vision moniste et
temporaliste de l’homme.
Il est bien certain que ces quelques notes ne représentent qu’une ébauche des mouvements
culturels complexes dans lesquels nous trouvons d’autres noms et des modulations diversifiées de
l’instance fonda=======================================
p119
mentale: nous n’avons noté que ce qui était strictement nécessaire pour comprendre
l’importance des thèmes discutés à l’intérieur de la science éthique, de la médecine et de la
gestion sociale des problèmes de la santé.
Encore plus récemment, nous trouvons dans la pensée scientifique biologique le courant de
réductionnisme moniste affirmé par Jacques Monod dont nous avons cité l’œuvre Le hasard et la
nécessité (1970); pour cet auteur, non seulement l’humain se réduit à l’aspect biologique, mais
même la biologie n’est autre que de la physique.
Dans cette même voie, se situe la pensée de François Jacob avec l’œuvre La logique du vivant
(1970) et de J.P. Changeux auteur de l’œuvre L’homme neuronal (1983) dans laquelle il affirme
l’identification de la raison avec le cerveau. Nous parlerons dans un chapitre ultérieur de ce
réductionnisme dans le domaine biologique.
La conception personnaliste de l’homme et de la corporéité
Cette conception qui est d’une importance fondamentale pour toute l’éthique de la corporéité,
pour les problèmes éthiques de la sexualité et de la médecine, a reçu diverses contributions à
différents moments dans l’histoire de la pensée théologique et philosophique.
Tout d’abord, le christianisme a introduit dans l’histoire de la pensée occidentale, pour une
reconnaissance universelle, la notion de «personne» entendue comme un être subsistant,
conscient, libre et responsable. Les vérités de la Révélation relative à la Création, à la conception
de Dieu comme Être Personnel et Transcendant par rapport à la réalité du monde; la conception
de l’homme «créé à l’image de Dieu», c’est-à-dire apte à dialoguer avec Dieu et appelé à
gouverner l’univers au nom et pour l’autorité de Dieu; la conception du péché et de la
Rédemption; la vérité relative au don de la vie divine concédé à la personne humaine qui est ainsi
associée à la Vie même de Dieu; le mystère de la Passion et de la Résurrection du Christ qui
assure la résurrection corporelle de l’humanité, toutes ces vérités représentent une vision qui a
conduit à établir au sein de la théologie catholique le principe: caro cardo salutis (la chair, pivot
du salut). Cette dichotomie interne de l’homme corps-âme devient fortement soudée de façon
unitaire, tellement que dans le langage biblique on désigne par les termes basar (chair), ou en
grec sarx, et le respectif ruhac, en grec pneuma, non pas les composantes ontologiques de
l’homme, mais plutôt les deux attitudes opposées de son orientation: l’orientation idolâtrique ou
mondaine et l’orientation d’obéissance filiale à Dieu174.
=========================================
p120
174
Squarise, Corpo, in Dizionario enciclopedico..., pp. 159-164; W. Mork, Linee di antropologia biblica, Fossano
1971; Aa. Vv., Antropologia biblica e morale, Naples 1972; F. Baumgartel, R. Meyer, E. Schweiser, v. Sarx, in Grande Lessico del
Nuovo Testamento, Brescia 1976, XI, pp. 1265-1398; H. Kleinknecht, v. Pneuma, ibid., pp. 767-849.
En laissant de côté les contributions des différentes écoles (d’inspiration platonicienne ou
aristotélicienne) des Pères de l’Église, nous devons souligner comment saint Thomas d’Aquin a
systématisé le problème relatif au rapport âme-corps, systématisation dont ne pourra se dissocier
toute l’école personnaliste, de même que le néothomisme et la néoscolastique.
Saint Thomas utilise, en plus de l’inspiration chrétienne préalable, les clés d’interprétation de
la métaphysique aristotélicienne: matière et forme, essence et existence.
Il affirme avant tout que l’âme est unie au corps substantiellement et non accidentellement en
ce qu’elle est coprincipe de la personne, l’âme étant la forme substantielle du corps. Ceci
implique que le corps est humain, parce qu’il est animé d’une âme spirituelle; il est ce qu’il est
parce qu’il reçoit du principe spirituel la référence ontologique d’humanité; le même principe par
lequel nous avons la connaissance et sommes libres, ce principe donc – l’âme spirituelle – est la
forme substantielle du corps, créée en vue de cette double capacité naturelle d’être elle-même et
d’animer son propre corps. Pour saint Thomas, il n’y a que cette explication qui puisse rendre
compte de façon positive de l’unité de l’activité humaine, qui est toujours physico-spirituelle, et
qui exclut les perplexités du dualisme. L’âme est donc la forme substantielle du corps et de tout
l’individu, de l’homme. Le principe de l’operari sequitur esse (l’activité est proportionnelle à
l’être) rend compte de cet argument: l’homme, même lorsqu’il agit avec son corps, agit dans une
forme humaine et spirituelle. Ce par quoi un corps exerce son activité, c’est sa forme
substantielle. En fait, pour œuvrer il faut être; et pour œuvrer d’une manière déterminée, il faut
être d’une manière déterminée, il faut avoir une nature déterminée; et le principe par lequel un
corps a une nature déterminée – donc aussi une activité déterminée – c’est sa forme
substantielle175. Si le corps était à côté de l’âme et cette dernière était à côté du corps, l’unité de
l’activité, l’unité de la source – dirait-on aujourd’hui – énergétique et informationnelle dans
chaque homme ne s’expliquerait pas.
Dire que l’âme spirituelle est la forme substantielle du corps signifie aussi qu’elle est l’unique
forme substantielle; parce qu’une pluralité de formes entraînerait une pluralité d’entités et de
sources d’activité; c’est pourquoi l’âme spirituelle active et «informe» de son énergie et de sa
force unificatrice même les facultés – il s’agit de facultés différentes – propres à la vie végétative
et à la vie sensitive. Ce fait a une grande importance éthique en ce qui concerne l’unité de vie de
=======================================
p121
l’homme: l’homme reste homme même lorsque, pour des raisons accidentelles, il n’exerce pas
encore, ou qu’il ne réussit plus à exercer, ses facultés mentales.
Comme nous le verrons mieux au chapitre consacré à l’avortement, l’embryon humain n’est
certainement pas en mesure d’exercer les activités typiquement humaines, et ni le fœtus ni le
nouveau-né ne peuvent s’exprimer avec les facultés mentales; toutefois on ne peut pas nier que, à
partir du moment de la fécondation, la capacité réelle d’activer ces activités supérieures est
constituée. Il n’est pas non plus nécessaire d’attendre la formation du sillon primitif et du premier
noyau du système nerveux, pour que l’embryon possède dans sa réalité la capacité active de
réaliser autant l’organe, le cerveau, que sa fonction. Cette capacité réelle prend ses racines dans
l’essence même de l’individualité humaine, d’où le corps est informé et structuré par l’esprit qui
le vivifie. C’est pour cette raison qu’on ne peut pas affirmer la distinction ontologique et donc
175
Squarise, Corpo, in Dizionario enciclopedico..., pp. 159-164; W. Mork, Linee di antropologia biblica, Fossano
1971; Aa. Vv., Antropologia biblica e morale, Naples 1972; F. Baumgartel, R. Meyer, E. Schweiser, v. Sarx, in Grande Lessico del
Nuovo Testamento, Brescia 1976, XI, pp. 1265-1398; H. Kleinknecht, v. Pneuma, ibid., pp. 767-849.
réelle, entre l’individu humain, quelle que soit l’étape de développement suivant la fécondation,
et la personne humaine, quel que soit l’état de son développement intellectuel.
Le deuxième pivot de la pensée fondée sur la philosophie thomiste, même si cela n’est pas
complètement explicité, est celui qui se base sur deux principes de tout être réel soit: l’essence et
l’existence (essentia et esse en termes thomistes). L’essence composite de l’homme (âme et
corps) passe du stade potentiel et hypothétique au stade réel – comme il advient pour toute réalité
– à la suite d’un acte existentiel qui réalise concrètement cette potentialité. Or, l’acte existentiel
même qui réalise le corps humain est constitué par le même acte existentiel qui réalise l’âme: il
s’agit d’un seul et unique acte existentiel et non pas de deux actes constitutifs; ce concept est
implicite dans l’unité de la forme. C’est l’acte existentiel propre de la forme qui actualise la
matière, et donc dans notre cas, le corps. Puisque l’acte existentiel de l’âme procède – et ne peut
pas ne pas procéder – du Créateur, le même acte vivifie et actualise le corps; et cela survient, et
ne peut que survenir, dans la simultanéité des causes secondes, c’est-à-dire au moment de la procréation.
Saint Thomas, à cause de ses connaissances imparfaites en ce qui concerne l’embryologie
humaine, malgré ces principes, fut porté à admettre deux phases dans la formation de l’homme
dans l’utérus: une précédant et l’autre suivant l’infusion de l’âme, en raison d’une discontinuité
réceptive supposée de la «forme humaine»; cela n’enlève rien à la validité de ses principes, qui
portent aujourd’hui les personnalistes à conclure d’une manière différente suite aux découvertes
en embryologie, et ne permet pas non plus d’interpréter saint Thomas comme étant favorable à
l’avortement avant l’animation corporelle176.
=========================================
p122
La conclusion de ce que nous avons dit peut se résumer dans les paroles de G. Marcel: «ce qui
est propre à mon corps est de ne pas exister seul, de ne pas pouvoir exister seul»177; on peut dire
que «je suis mon corps» pourvu qu’on ne l’entende pas au sens exhaustif dans le but d’affirmer
que nous ne sommes qu’un corps; on peut dire, «j’ai un corps» pourvu qu’on ne l’entende pas au
sens que ce dernier soit simplement un objet.
J. Maritain affirme à ce sujet: «Chaque élément du corps humain est humain et existe en tant
que tel, en vertu de l’existence immatérielle de l’âme humaine. Notre corps, nos mains, nos yeux
existent en vertu de l’existence de notre âme.»178
L’œuvre de J. Seifert dans son volume Essere e persona179 nous apparaît d’une grande
importance car elle se présente comme une tentative d’exposer l’immense valeur du lien qui
existe entre le sujet, la personne, et la métaphysique classique. À travers ce lien apparaît la
métaphysique de la personne autant finie qu’absolue et la capacité d’une phénoménologie
repensée de contribuer à une métaphysique personnaliste.
La conception phénoménologique du corps a apporté une importante contribution à la
compréhension globale et complète de celui-ci; cependant, à notre avis, elle peut être l’objet de
nombreuses critiques si elle n’est pas appuyée et intégrée à une vision ontologique du corps.
L’existence ne peut pas être saisie sinon à l’intérieur d’une essence et l’essence de l’homme
176
V. Fagone, Il problema della vita del soggetto umano, in Aa. Vv., Aborto. Riflessione di studiosi cattolici, Milan
1975, pp. 149-179.
177
G. Marcel, Du refus à l’invocation, Paris 1940, p. 30; id., être et avoir, Paris 1935, pp. 119-120; id., Journal
métaphysique, Paris 1927, p. 252.
178
Maritain, Metafisica e morale, in Ragione e ragioni, p. 91.
179
J. Seifert, Essere e persona. Verso una fondazione fenomenologica di una metafisica classica e personalistica, Milan
1989.
provient de l’union substantielle d’une âme spirituelle avec le corps qui emprunte sa forme
existentielle à l’âme spirituelle même. En fait, ces contributions plus récentes à la conception de
l’homme laissent en suspens le discours sur le plan ontologique et le situent sur le plan
relationnel: elles considèrent la valeur du corps dans sa médiation avec le monde, la société,
l’historicité.
La conception phénoménologique du corps180, née comme une tentative de dépassement
autant de la vision intellectualiste que matérialiste, a subi une évolution dans sa considération de
ce corps. E. Husserl181 introduit la distinction première entre Korper, compris comme le corps
organique, objet d’étude, et Leib, le corps vécu ou la conscience du propre corps. Il affirme la
conscience constante de son propre corps, une certaine «présence concomitante» du corps dans
n’importe quelle autre perception, une expérience intérieure de son propre corps différente de la
perception des autres corps ou Korper.
========================================
p123
Merleau-Ponty, en analogie avec ce qu’affirme même Heidegger, en élaborant une synthèse
entre les progrès accomplis par les recherches en psychologie et le point de vue husserlien,
dépasse la subjectivité de la corporéité et l’oriente vers la considération d’un être concret intégré
dans le monde. De ce point de vue, la perception corporelle devient une description du rapport
conscience-monde et de ses manifestations ou expressions. Le corps pose non seulement la
relation au monde, mais il lui confère toujours des sens nouveaux, transcendant continuellement
ses propres expériences et les sens précédents: «Le corps est vraiment dans le monde comme le
cœur dans l’organisme: il maintient continuellement en vie le spectacle visible, il l’anime ou
l’alimente entièrement, il forme avec lui un système... le corps est notre moyen général d’avoir un
monde»182. Selon Merleau-Ponty, le monde de l’expérience est le règne construit dans le corps
et par le corps. Cela suppose que la transcendance du sens et de la signification a une explication,
selon nous, au-delà du corps lui-même, dans l’esprit. «L’être au monde» propre de l’existence
humaine comme existence spatio-temporelle marque, selon Heidegger, le propre de l’homme et
appartient à son incarnation en un corps183.
G. Marcel souligne la fonction du corps dans sa médiation sociale: si l’existence humaine est
telle en tant qu’elle est un «être avec» les autres, un être ouvert aux autres, cela est possible à
travers le corps et son langage: le corps est «présence» face aux autres, c’est la synthèse de la
mémoire du passé, du présent et du futur face à la société; ceci implique chez les hommes la
reconnaissance réciproque comme personne et la possibilité de la communion184.
La valeur du corps comme «expression» et donc comme culture, civilisation, capacité de
transformation technologique du monde et de la matière a été soulignée par Scheler, principal
représentant de l’école phénoménologique, lequel reconnaît dans la médiation culturelle du corps
la capacité même de réalisation de la personne185. Le corps possède entre autres la capacité du
langage, justement parce qu’il est expressivité, manifestation, phénoménologie du moi; ceci
180
Pour une analyse globale de cette perspective voir V. Melchiorre, Il corpo, Brescia 1984, pp. 187-230.
181
Cf. E. Husserl, Idee per una fenomenologia pura, II, I, 3.
182
M. Merleau-Ponty, La struttura del comportamento, Milan 1963; id., Fenomenologia della percezione, Milan 1965;
Reale-Antiseri, Il pensiero occidentale..., III, pp. 467-469; C. Bruaire, Filosofia del corpo, Cinisello Balsamo 1975; V. Melchiorre, Il
corpo, Brescia 1984.
183
Reale, Antiseri, Il pensiero occidentale..., III, pp. 445-453.
184
G. Marcel, Homo viator, Paris 1944.
185
M. Scheler, Nature et formes de sympathie, Paris 1950, p. 187.
advient non seulement dans le langage parlé, écrit ou artistique, mais dans toute sa gestuelle186,
du sourire aux pleurs, du regard à l’attitude du visage. Enfin le corps est signe de différenciation
individuelle: homme,
=======================================
p123
femme, cet individu, l’autre individu sont ce qu’ils sont à cause de leur corps.
Aujourd’hui, le débat sur la relation corps-esprit s’est centré, comme nous l’avons mentionné,
sur le rapport cerveau-raison et encore ici apparaît une conception unitaire, d’interdépendance et
en même temps de transcendance de la raison par rapport à l’organisme cérébral187.
Les deux philosophes, K. Popper et J. Eccles, restent modérément dualistes dans leur théorie
«d’interaction» entre le corps et la raison et ils considèrent que l’existence de la pensée est une
énigme pour les sciences biologiques et cosmologiques.
En synthèse, nous pouvons résumer les sens personnalistes et humains du corps par ces
expressions: incarnation spatio-temporelle, différenciation individuelle, expression et culture,
relation avec le monde et avec la société, instrument et principe de la technologie. Nous devons
nous souvenir que la technique n’est autre que le développement du corps musculaire (la
machine), du sensoriel (technologie des images et des sons) et du cerveau (informatique).
Mais le corps est aussi une limite, signe de la limite spatio- temporelle, et cette limite, mise en
évidence en particulier par l’existentialisme et le personnalisme, comprend les concepts de
douleur, de maladie et de mort.
Cette réflexion, sur les valeurs relationnelles, phénoménologiques et historiques du corps tire
toute sa consistance et sa richesse du fait ontologique de la relation du corps avec l’esprit et, par
conséquent, avec la personne qui est activité existentielle riche de pensée, de liberté,
d’autodétermination. Tout acte médical et toute intervention sur le corps devront tenir compte de
cette richesse et de ce lien: c’est l’acte d’une personne posé sur une autre personne par la
médiation corporelle.
Une ultime réflexion doit accompagner cette conclusion sur les valeurs de la corporéité: les
valeurs corporelles sont entre elles en harmonie et en ordre hiérarchique; ceci est le corollaire de
l’unité du corps qui, bien que composite, en fait un organisme vivant et animé par l’esprit.
L’unité de plusieurs parties vivantes exige et bâtit la hiérarchie des parties ainsi que leur
intercommunicabilité, soit l’harmonie. C’est seulement en vertu de ce pacte que l’on peut parler
d’organisme vivant. C’est cela que les moralistes appellent l’unitotalité.
D’importantes conséquences sur le plan éthique et éthico-médical découlent de ce fait. Le
premier bien qui apparaît essentiel à l’organisme vivant, c’est la vie; ce qui enlève la vie détruit
l’organisme en tant que tel et cela représente la plus grande privation qui puisse être infligée à la
personne. Seul le bien spirituel et transcendant de la personne, le bien moral, peut légitimer le
risque d’une privation volontaire
=======================================
p125
de la vie. La vie physique d’une personne peut être mise en danger, et indirectement sacrifiée
(l’action meurtrière directe est dans ces cas-là l’œuvre d’autrui) seulement pour des motifs de
biens moraux qui concernent la totalité de la personne ou pour sauver d’autres personnes; mais
186
187
J. Mouroux, Sens chrétien de l’homme, Paris 1945, pp. 43-74; Gevaert, Il problema dell’uomo, pp. 70-80.
Voir le grand dialogue entre Popper et Eccles, in L’io e il suo cervello.
même dans ces circonstances, la responsabilité pèse toujours sur la personne qui détermine cette
perte ou cette situation. C’est le cas du martyr, ou de la défense de nos proches ou de nos
semblables devant un agresseur injuste.
En plus de la vie, il y a son intégrité qui peut être retirée seulement si cela est nécessaire pour
la sauvegarde de la vie physique dans son ensemble ou pour un bien moral supérieur.
Les biens de la vie relationnelle, les biens affectifs ou sociaux, doivent être subordonnés aux
deux biens précédents: la vie et son intégrité. Dans le cas d’une intervention chirurgicale,
l’hospitalisation et le détachement de la vie affective familiale sont justifiés. Par contre, il
n’existe aucune raison sociale qui justifie une automutilation ou une stérilisation, et encore moins
la suppression de la vie.
Il ne faut pas non plus oublier que les valeurs de la personne sont harmonisées entre elles, de
sorte que si l’une d’elles est réprimée, les autres en souffrent: la privation de la relation sociale
devient difficile à supporter pour la totalité de la personne. C’est pour cette raison que toute
répression, même temporaire, d’une valeur doit être justifiée objectivement par un bien
supérieur188.
La transcendance de la personne
«À tous ceux qui veulent encore parler de l’homme, de son règne, de sa libération, à tous ceux
qui posent encore des questions sur ce que l’homme est dans son essence, à tous ceux qui veulent
partir de lui pour avoir accès à la vérité... à toutes ces formes de réflexions gauches et gauchistes,
on ne peut opposer qu’un sourire philosophique»189. Cette citation nous rappelle que la
réduction de l’homme au néant, dont on peut désespérément et philosophiquement rire, n’a pas
marqué seulement la cruauté de certains régimes totalitaires, comme les camps de concentration
et les goulags, et la société du profit et de l’hédonisme, mais elle s’est aussi propagée dans la
pensée contemporaine qui se révèle, dans d’immenses secteurs, nihiliste et fermée à la transcendance.
Face à cette crise, le personnalisme revendique la transcendance de la personne humaine,
comme valeur intangible, résumé ontologique de toutes les valeurs du cosmos, centre de la
société et de l’histoire.
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p126
Nous utilisons ici le terme «transcendant» non pas au sens absolu, comme on peut l’utiliser
pour le Créateur qui reste infiniment distinct et différent du monde, mais le désigne comme étant
causalement distinct de lui et ontologiquement dépendant de son acte créateur. Sous cet aspect,
Dieu transcende infiniment même la personne humaine, bien que celle-ci ait été créée, comme le
confirme la Révélation chrétienne, à Son image et ressemblance.
La transcendance de la personne humaine doit être considérée en rapport à la réalité
infrahumaine et aux intérêts sociaux et politiques.
Par rapport à la réalité infrahumaine, la personne est transcendante du point de vue
ontologique et axiologique: la personne, ayant la capacité d’autoconscience et
d’autodétermination, dépasse le monde matériel par la nouveauté, le niveau ontologique et la
188
E. Sgreccia, Valori morali per la salute dell’uomo, «Rassegna di teologia», 1979, 5, pp. 390-396; Aa. Vv., Uomo e
salute, Vicenza 1979.
189
M. Foucault, Le parole e le cose, Milan 1967, p. 368.
valeur; le monde tire sa signification de la personne humaine qui représente le but de l’univers.
«Quand nous disons que l’homme est une personne, nous entendons qu’il n’est pas seulement un
morceau de matière, un élément individuel de la nature comme le sont par exemple l’atome, l’épi
de blé, la mouche ou l’éléphant. L’homme est à la fois un animal et un individu, mais pas comme
les autres. L’homme est un individu qui agit par lui-même grâce à l’intelligence et à la volonté; il
existe, non seulement physiquement, mais il y a en lui un être plus riche et plus élevé, une super
existence spirituelle qui s’exprime dans la connaissance et dans l’amour. Ainsi, il est en quelque
sorte un tout et non seulement une partie, un univers en soi, un microcosme, dans lequel le grand
univers, en entier, peut être contenu au moyen de la connaissance; grâce à l’amour, il peut se
donner librement à d’autres êtres qui sont pour lui comme d’autres lui-même, formant une
relation dont il est impossible de trouver l’équivalent dans tout l’univers physique. En termes
philosophiques, cela signifie que dans la chair et dans les os humains existe une âme qui est un
esprit et qui vaut plus que l’univers au complet. La personne humaine, bien qu’elle soit
dépendante de petits accidents de la matière, existe en vertu de l’existence même de son âme qui
domine le temps et la mort. L’esprit est à la base de la personne.
La notion de personnalité implique ainsi celle de totalité et d’indépendance; quelque pauvre et
opprimée qu’elle soit, la personne forme un tout et elle subsiste de façon indépendante en tant
que personne.»190 La définition de Severino Boezio, rationalis naturæ individua substantia (une
substance individuelle d’une nature raisonnable) est apparue, à la lumière de la sensibilité
existentielle contemporaine, trop essentialiste et statique; cependant il est à noter que le concept
de substance doit être interprété au sens dynamique: c’est le centre de l’activité du mouvement et
de la tension, particulièrement chez l’être vivant et chez l’être vivant doté de raison. Quand, au
Moyen Âge, on parlait de substance, on désignait «non pas un substrat statique et
====================================
p127
inerte, mais bien la base même de l’activité d’une chose qui, bien qu’elle reste la même par
rapport à son être substantiel, ne cesse d’agir et de changer à travers ses accidents qui sont une
expansion de la substance même dans une autre dimension, non substantielle, de l’être»191.
Cette grandeur ontologique de la valeur d’une personne se révèle aussi quand on la rapporte à
la société. Par rapport à la société, la personne ne doit pas être considérée comme une partie; de
même la société ne doit pas être considérée comme un «organisme vivant» (conception
organiste): la société naît du cœur, du centre de la personne (qui, avec tout son être, s’ouvre vers
ses semblables); mais la personne, tout en étant à l’origine par rapport à la société, ne s’investit
pas toute dans le domaine social-temporel, ni dans le politique. La dissolution de la personne
dans le milieu social et collectif a représenté et représente encore la plus grande catastrophe de
l’humanité.
Nous ne pouvons pas expliquer ici comment l’immanentisme, autant dans sa forme idéaliste
que dans sa version matérialiste, après avoir dissous la personne dans son devenir historique, a
justifié les absolutismes les plus atroces et a posé les bases théoriques pour la suppression
physique et légalisée de ceux qui ne s’identifiaient pas à cet état ou à ce parti ou à cette partie de
la société qui prédominait à ce moment-là. Au fond, nous ne devrions pas être surpris de la
suppression de tant de personnes par d’autres, quand, dans l’histoire de la pensée moderne et à
l’école, on a rayé de la conscience des individus le «concept de personne». Comme nous l’avons
190
191
J. Maritain, I diritti del’uomo e la legge naturale, Milan 1977, pp. 4-5.
J. Maritain, Metafisica e morale, in Ragione e ragioni, p. 60.
déjà mentionné au début de ce chapitre, l’exercice de la médecine ne met pas en scène des corps
et des machines, mais des personnes dans toute leur majesté et leur grandeur morale;
l’organisation des services de santé ne peut pas permettre que les services soient assurés à
certaines personnes, même gratuitement, tandis qu’à d’autres on offre la mort, même «assistée»
(avortement, euthanasie, famine, etc.).
Toute personne récapitule l’ensemble du monde et le sens du cosmos, et en elle se justifie
l’organisation sociale et l’ordre juridique lui- même.
La notion de «bien commun» n’est pas entendue comme la moyenne statistique des biens
pertinents ou appartenant à des individus, dans une conception quantitative du social; mais on
définit le bien commun comme étant le bien qui se réalise dans toutes les composantes
individuelles de la société, de manière suffisante et juste. «Le bien commun de la civitas ne se
résume pas dans la simple collection des biens privés, ni le bien propre d’un tout qui (comme
l’espèce, par exemple, par rapport aux individus et comme la ruche pour les abeilles) fructifie
seulement pour lui-même et sacrifie pour soi les parties; c’est la bonne vie humaine d’une
multitude de personnes, soit de totalités charnelles et spirituelles mais principalement spirituelles,
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p127
même s’il leur arrive plus souvent de vivre dans leur chair que dans leur esprit»192.
Nous avions déjà mentionné au début de ce chapitre comment cette primauté de la personne
dans l’univers et dans la société pouvait assumer une nouvelle dimension encore plus riche
jusqu’à atteindre le divin à l’intérieur de l’anthropologie théologique en vertu du don de la vie
divine et surnaturelle offert gratuitement à l’homme à la suite de l’Incarnation et de la
Rédemption du Christ et en vertu de «l’Espérance» chrétienne en la Résurrection.
Un traité de bioéthique doit tout d’abord insister sur ce qui est valable rationnellement pour
tout homme, croyant ou non croyant, mais nous ne pouvons pas ne pas mentionner cette vision,
propre en de nombreux points aux croyants, mais que l’on peut proposer à tout homme. À cette
fin, nous reportons avec plaisir un extrait du Concile Vatican II tiré de la Constitution pastorale
Gaudium et Spes où l’on traite de la dignité de l’homme: «Croyants et incroyants sont
généralement d’accord sur ce point: tout sur terre doit être ordonné à l’homme comme à son
centre et à son sommet»193.
La personne, la santé, la maladie
L’importance de tout ce que nous avons exposé jusqu’à maintenant se révèle face aux
concepts de santé et de maladie: la santé, ainsi que la maladie, ne touchent pas simplement
l’organisme physique, et ne peuvent pas être définis au pur niveau des organes.
Nous connaissons tous la définition de la santé proposée par l’Organisation Mondiale de la
Santé: «la santé est un état de bien-être physique, mental et social complet, et elle ne consiste pas
seulement en une absence de maladie ou d’infirmité». Cette définition dépasse les limites de la
conception organiste de la santé parce qu’elle comprend l’état mental et social. Toutefois, cette
définition digne de réflexion pourrait être améliorée. Tout d’abord, il est très difficile de
concevoir la santé comme un fait statique ou une mesure parfaite. En fait, la santé serait plus un
effet global comme un équilibre dynamique à l’intérieur du soma, entre les divers organes et les
192
193
J. Maritain, I diritti dell’uomo..., p. 9.
Concile œcuménique Vatican II, Constitution pastorale «Gaudium et Spes», n. 12.
diverses fonctions de l’unité de l’organisme, entre le soma et la psyché, entre l’individu et
l’environnement. La conception de l’environnement est un autre point à intégrer à cette
définition. On doit l’entendre non seulement comme environnement social mais aussi écologique,
à cause de cette unité d’échange qui existe entre l’organisme humain et l’environnement
biophysique qui l’entoure.
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p129
Cependant, le point principal à incorporer à la définition concerne justement le niveau éthique,
parce qu’il existe aussi une dimension éthique de la santé, enracinée dans l’esprit de l’homme et
dans sa liberté: de nombreuses maladies proviennent de mauvais choix éthiques (drogue,
alcoolisme, SIDA, violence, manque des biens nécessaires à la santé); entre autres, la santé est
gérée dans son équilibre de façon responsable par la personne comme un bien appartenant à la
personne elle-même. Même quand la maladie a une origine indépendante de l’éthos de la
personne et de ses responsabilités, la prévention, la thérapie, la réhabilitation font appel à la
volonté et à la liberté du sujet, ainsi qu’à la responsabilité de la communauté, et, lorsqu’on parle
de responsabilité, on évoque la dimension éthique.
Par ailleurs, la «manière» dont le malade affronte la maladie ou la façon dont le citoyen gère la
santé sont influencées par les valeurs éthico-religieuses de la personne. Pour cette raison, le
devoir du médecin auprès de son malade ne s’arrête pas après le traitement physique; celui-ci doit
aussi offrir au malade – et cela est consigné dans les codes de déontologie – une assistance
humaine d’ordre moral.
Dans cette perspective, la présence dans les hôpitaux d’un «assistant religieux» n’est pas
justifiée seulement au nom de la liberté religieuse; il s’agit en fait d’un intervenant dans la santé
parce que sa présence, dans le respect de la liberté individuelle, a une influence sur l’état moral
du malade.
Enfin, l’éducation médicale qui a pour but de conserver la santé en tant qu’équilibre et à
prévenir les maladies s’appuie sur des prémisses éthiques de la responsabilité: de la communauté
qui assure l’éducation, et du citoyen qui s’engage à utiliser tous les moyens pour conserver le
bien de la santé pour soi et pour les autres194.
Il y a donc quatre dimensions de la santé qui se recoupent: la dimension organique, la
dimension psychique et mentale, la dimension écologico-sociale, la dimension éthique. Et il
existe autant de dimensions correspondantes qui provoquent la maladie ou la représentent.
Chacune d’entre elles aurait besoin d’être illustrée et chacune a son histoire: les causes des
maladies organiques ont été étudiées dès leur origine, les maladies psychiques et mentales (la
psychiatrie et la psychopathologie) ont retenu l’attention ultérieurement; plus récemment l’intérêt
s’est porté sur la composante socio-environnementale, mais
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p130
194
De la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé; B. Häring, Liberi e fedeli in Cristo, III, Rome 1980; G.
Burani, Il passaggio dell’assistenza sanitaria alla tutela della salute, Brezzo di Bedero 1985; E. Sgreccia, Uomo e salute, «Anime e
Corpi», 1980, 91, pp. 419-444; id., Salute e salvezza cristiana nel contesto della educazione sanitaria, «Medicina e Morale», 1982, 3,
pp. 284-302; S. Spinsanti, L’etica cristiana della malattia, Rome 1981; B. Häring, Proclamare la salvezza e guarire i malati,
Acquaviva delle Fonti 1984; M.D. Grmek, Le malattie all’alba della civiltà occidentale, Bologne 1985.
elle semble toujours plus digne de considération au point où, aujourd’hui, l’on dénonce la
dégradation de l’écologie comme un facteur de menace pour la santé en ce qui concerne un
groupe important de maladies et aussi les conditions essentielles de vie. L’humanisme contemporain développera probablement toujours plus cette dimension de responsabilité de l’homme
par rapport à l’équilibre du cosmos en proportion de l’augmentation des capacités de domination
technologique que l’homme exerce sur l’environnement.
Ce que nous avons énoncé ne signifie pas que «l’origine» de la simple maladie soit toujours
attribuable à la concomitance des diverses composantes, mais plutôt que l’équilibre général et
exhaustif de la santé fait appel à toutes ces composantes et que, de toute façon, la prévention, le
traitement et la réhabilitation, la sauvegarde de l’environnement et l’éducation médicale, la
capacité de réaction et de collaboration au moment de la maladie, impliquent tous une dimension
éthique de grand engagement tant au niveau personnel qu’au niveau social; nous voulons surtout
affirmer que les concepts mêmes de santé et de maladie se rapportent à toute la personne. Nous
aimerions conclure ce chapitre avec une observation de R. Guardini: «L’existence humaine est
construite vers le haut et vers le bas par échelons, à travers différents niveaux. Cependant, le
développement d’un échelon dépend du fait que l’échelon à chaque fois supérieur, indépendant
par rapport aux autres, hors de leur portée, vienne à leur rencontre de sa propre initiative.
Ainsi, la santé physique n’est certainement pas identique au comportement juste; toutefois,
l’ultime garantie de la santé corporelle se retrouve dans le fait que le monde moral, lequel se
trouve au-dessus du domaine organique, soit bien ordonné. Mais cela, si on le considère à partir
du degré inférieur, c’est une grâce»195.
Le corps humain et sa commercialisation196
Situer la problématique relative au trafic du corps humain sur le plan philosophique requiert
tout d’abord une clarification préliminaire d’ordre anthropologique et éthique. On peut répondre à
la question de savoir si le corps humain peut servir de marchandise d’échange seulement après
avoir établi, comme nous l’avons fait, ce qu’est le corps et quelle valeur on lui attribue.
En fait, parler de «marché» en ce qui concerne le corps humain, suppose l’application de la
catégorie de «chose», «objet», «propriété». Le marché, ou l’achat et la vente, se rapporte aux
biens et aux
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p131
objets de propriété. Si le corps n’est pas la propriété de «l’homme», mais plutôt l’être et
l’incarnation de la personne humaine, on ne peut pas le considérer comme une marchandise
d’échange. Si le corps n’est pas un objet, mais plutôt un «sujet», il assume une dignité infiniment
supérieure à celle de la «chose». Il existe entre le corps humain et la chose un fossé ontologique
et qualitatif incommensurable.
La considération négative du «trafic» du corps se base sur ces réflexions philosophiques. Le
corps, étant doté d’une valeur intrinsèque, n’a pas de prix. Sur cette assertion, on base d’un côté
le caractère illicite de la considération du corps, de la part du sujet, comme objet de contrat, et de
l’autre l’impossibilité, de la part des tiers, de l’utiliser comme objet de négociation.
195
196
R. Guardini, Fede, religione, esperienza, Brescia 1984, p. 163.
Cf. notre Corpo e persona, in S. Rodotà, Questioni di Bioetica, Rome-Bari 1993, pp. 113-122.
L’instinctive réaction émotive de répugnance à l’idée de considérer le corps humain comme
simple objet d’échange est un symptôme au niveau de l’expérience qui révèle la richesse
ontologique et morale que le sens commun attribue au corps. Attribuer au corps un sens ontologique et qualitatif exclut la possibilité d’appliquer un critère mercantile et monétaire.
Par conséquent, si le corps humain comme valeur n’a pas de «prix», et donc n’est pas
commercialisable, l’unique possibilité d’échange devient le «don» qui s’inscrit dans l’horizon de
la gratuité, de la solidarité, de l’altruisme. Cela est donc possible, quand il s’agit d’un corps
vivant, dans des conditions déterminées telles que le consentement et la protection de l’intégrité
substantielle du donateur, comme le prescrit l’éthique des transplantations.
Le principe fondamental qui émerge est donc le suivant: le respect de la dignité du corps, d’où
vient l’impossibilité de sa commercialisation.
Ceci s’applique surtout au corps humain vivant (au corps dans sa totalité ou dans ses
différents éléments, que ce soit les organes, les tissus ou les cellules en tant que parties d’un
tout), mais aussi au corps non vivant, en tant que «mémoire» du vécu de la valeur du corps.
Évidemment, la gravité est différente et graduelle selon qu’il s’agit d’un individu (comme dans
le cas du commerce des enfants ou des embryons vivants) ou d’organes et de tissus. Mais il nous
apparaît que la dignité humaine interdit même ces formes de commerce.
On a fait l’étude historique des diverses formes de marché du corps:197 l’esclavage, la
prostitution, l’exploitation du travail des mineurs et des femmes. Mais, aujourd’hui, de nouvelles
formes se profilent, comme celles reliées à la procréation assistée (utérus en location, banque de
sperme), et celles reliées au trafic d’enfants pour la prostitution, et d’organes pour les
transplantations. En fait, on a observé que le marché exerce une incitation particulièrement forte
en médecine.
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p132
Quand on parle d’individus achetés ou vendus, la mémoire remonte à l’esclavage; mais il faut
faire attention à des phénomènes qui peuvent être reliés ou assimilés à ce type de marché. Ce
qu’était l’esclave, considéré par plusieurs comme privé de la valeur de personne et de la reconnaissance de la dignité de personne, l’est devenu aujourd’hui l’embryon congelé et utilisé
expérimentalement. C’est que, selon l’anthropologie personnaliste, le fœtus et l’embryon
possèdent la valeur de personne.
Si l’on se réfère aux organes et à leur possible marché, dont s’occupe surtout aujourd’hui
toute la littérature qui traite de la commercialisation du corps198 et auxquels s’intéressent les
comités éthiques comme celui de la France, le caractère illicite est aussi évident, même si de
moindre gravité à première vue, et ceci, non seulement à cause des abus qui pourraient avoir lieu
mais aussi à cause de la relation que l’organe a avec la personne; c’est pour cela que seul le don
dans certaines conditions paraît justifiable.
Les abus de la commercialisation des organes peuvent porter à de véritables et propres délits
sur la personne, comme en faisait tristement état la presse récemment au sujet d’enlèvements
d’enfants et leur mutilation, ou de transplantations d’organes provenant de patients affligés de
maladies incurables.
197
G. Berlinguer, Il corpo comme merce e comme valore, Bari 1993.
198
P. Manga, A commercial market for organs? Why not, Bioethics 1987; 1(4): 321- 338; L.R. Kass, Organs for sale?
Propiety, property and the price of progress, The Public Interest, 1992; 107: 65-86; S. Nespor, R. Santosuosso, R. Satolli, Vita, morte
e miracoli, Milan, 1992, pp. 149-165.
Nous ne ferons pas non plus de différence substantielle entre les organes et les tissus prélevés
sur des êtres vivants. Même les parties du cadavre – même si le cadavre n’est pas une personne –
conservent leur dignité symbolique comme «res sacra» et mémoire du vivant.
Reste certainement incompréhensible ce qui survenait en Angleterre au temps de l’Anatomy
Act, lorsque dans les années 1809-1813, des milliers de cadavres étaient profanés et vendus par
les body smashers pour offrir les morceaux aux laboratoires, au même moment où certaines
formes d’esclavage étaient encore en vigueur dans les colonies.
Néanmoins, le refus de la commercialisation ne doit pas être fondé seulement sur les craintes
des conséquences négatives qui pourraient en dériver. Nous nous reportons à la position adoptée
par certains auteurs de langue anglaise comme Manga199 et Kass200.
La déclaration du Comité Consultatif National d’Éthique pour les Sciences de la Vie et de la
Santé dans l’Avis sur la non-commercialisation du corps humain201 semble plus congruente.
Dans ce document
======================================
p133
(qui fait partie d’une recherche sur le thème général du rapport entre la bioéthique et
l’argent), le comité national français déclare le caractère illicite de la commercialisation du
corps humain, faisant appel à son caractère subjectif, donc non objectivable («le corps n’est pas
une chose» répète souvent le texte). Sur de telles bases, on déclare que «ni le corps humain, ni
une partie du corps humain, ne peut être vendu ou acheté». On interdit donc «le commerce fait
par les individus des fœtus, des embryons, des gamètes, des tissus, des cellules».
Le comité national français fait cependant la distinction entre la «cueillette» des organes, des
tissus, etc. et la «transformation». En effet, si l’application d’un critère mercantile par rapport à
l’achat et à la vente du corps humain ou de parties de celui-ci est illicite, par contre la
rétribution monétaire des intervenants de la santé qui exécutent le prélèvement, l’analyse ou la
«transformation» (la chirurgie des transplantations) est justifiable202.
La compensation se rapporte au travail et non pas à l’achat d’organes. Sur ce thème, on
retrouve d’autres sujets de réflexion éthique dans l’Avis sur la transfusion sanguine au regard de
la non-commercialisation du corps humain», du 2 décembre 1991, toujours du comité national
français, lequel propose d’appliquer les critères éthiques utilisés en rapport avec la transfusion de
sang au thème général de la commercialisation du corps humain et des parties du corps humain.
Les critères proposés sont les suivants: 1) la gratuité; 2) le caractère non lucratif des opérations
successives; 3) le respect du donateur; 4) l’intérêt du malade. On retrouve ces critères également
dans la recommandation relative aux transfusions sanguines (n. R90/9 du 29 mars 1990): «pour
des motifs autant éthiques que cliniques, le don de sang doit être volontaire et non rémunéré».
L’interdiction de la commercialisation du corps humain et de ses parties a été exprimée
récemment dans la plus récente législation française sur la bioéthique et dans la «Convention
européenne sur les droits de la personne et la bio-médecine»203.
199
Manga, A commercial market...
200
L.R. Kass, Organs for sale? Propiety, property...
201
Comité Consultatif National d’Éthique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, Avis sur la non-commercialisation
du corps humain, 13 décembre 1990.
202
«Ce qui constitue l’objet du prix n’est pas une partie du corps humain, mais le travail et la substance du résultat»,
ibidem.
203
Conseil européen, Convention pour la protection des droits de la personne et de la dignité de l’être humain en ce qui
concerne les applications de la biologie et de la médecine: Convention européenne sur les droits de la personne et la bio-médecine, le document final a été approuvé par les ministres du Conseil européen le 19 novembre 1996.
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p141
HAPITRE CINQ
La bioéthique et ses principes
L’éthique, un mode de vie et une science
Tout d’abord, nous devons distinguer à l’intérieur de l’anthropologie les notions de vie
éthique, d’ethos et d’éthique204. L’expression vie éthique désigne la tendance propre à l’homme
de réaliser le bien ou les valeurs; l’ethos s’applique par contre au comportement effectif, que
l’on peut noter du point de vue sociologique dans la culture que l’homme a réalisé ou tenté de
réaliser en se référant à des valeurs déterminées; l’éthique ou philosophie morale est la science
qui étudie ce que l’homme doit faire, les valeurs qu’il doit réaliser205.
Nous pouvons donc déduire les définitions suivantes. L’éthique est la science qui étudie le
comportement humain en relation avec les valeurs, les principes et les normes morales.
L’éthique descriptive (ethos) est l’examen des coutumes et des comportements relatifs aux
valeurs, aux principes et aux normes morales d’une population déterminée ou de plusieurs
populations en général, ou de ceux relatifs à un fait spécifique (mariage, avortement, vol, etc.).
L’éthique normative est la discipline qui étudie les valeurs, les principes et les normes du
comportement en relation avec ce qui est permis et ce qui n’est pas permis (bien/mal) et qui
cherche les bases et les justifications de ces comportements. Dans le domaine de l’éthique
normative, on distingue l’éthique générale qui traite des bases, des valeurs, des principes et des
204
De nos jours, on parle aussi d’éthologie pour désigner la science qui étudie le comportement des espèces animales et
le compare à celui de l’homme, souvent dans le but de mettre en évidence les ressemblances.
205
La définition thomiste de l’objet de l’éthique est la suivante: subjectum moralis philosophiæ est operatio humana
ordinata in finem, vel etiam, homo prout est voluntarie agens propter finem. Cf. Thomas d’Aquin (saint), Sententia libri Ethicorum
Aristotelis, Casale Monferrato, lib. I, lectio 1, 3, 1949; Vanni Rovighi, Elementi di filosofia, III, pp. 189-191.
normes et l’éthique spécifique qui s’intéresse à l’application des principes, des normes et des
valeurs dans les domaines spécifiques comme par exemple le secteur économique (éthique
économique), politique (éthique politique), professionnel (éthique professionnelle);
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p142
comme nous l’avons vu au premier chapitre, le domaine des sciences de la vie et de la santé
est traité par la Bioéthique. Celle-ci appartient à l’éthique spécifique, mais elle a développé une
partie qui s’intéresse aux bases, se rapprochant ainsi de l’éthique générale, que nous avons
appelée métabioéthique parce qu’elle étudie en profondeur les bases ultimes et métaphysiques de
la bioéthique elle-même.
Dans le cadre restreint du thème que nous abordons, nous ne pouvons pas traiter de la
sociologie de l’ethos humain dans les diverses populations, dans différentes époques de la
civilisation ou par rapport à des faits ou des valeurs particuliers, comme par exemple le suicide,
l’euthanasie, le mariage; nous y ferons référence relativement à des problématiques précises dans
la mesure où cela est indispensable à la compréhension du jugement de valeur et à l’intérieur de
la science éthique.
Nous devons dire quelques mots sur la vie éthique entendue comme la source primaire d’une
disposition de la personne humaine vers le bien et vers les valeurs qui l’incarnent: nous nous
raccrochons ainsi au thème de la vie et nous considérons l’éthique non pas comme une qualification externe des actions humaines, mais comme une exigence impossible à supprimer de la
vie humaine, présente dans toutes les actions de l’homme en tant que tel. Apporter des
considérations sur la vie éthique signifie, par ailleurs, traiter l’éthique en tant que science.
Il existe chez l’homme une impulsion irrépressible que l’on pourrait définir comme
«l’insatisfaction» de l’être humain en ce qui concerne la réalisation d’un «surcroît d’être». Cette
tendance à la réalisation du propre être s’appelle la volonté et comporte diverses nuances: le
désir, l’aspiration, la joie, l’effort, l’action et le devoir, la pulsion vers la plénitude et la rencontre
avec les autres, la conquête des choses et la projecture206.
La volonté est la faculté de l’esprit humain naturellement actif qui exprime cette tension de
l’acte; tout comme l’intellect qui s’ouvre sur le réel et sur ses semblables avec une impulsion
nécessaire et incessante de connaissance, la volonté s’ouvre quant à elle sur le bien présent dans
la réalité des choses et dans les personnes. Un homme, de même qu’il est porté à la connaissance
intellectuelle, dès que son développement psychologique le lui permet, et qu’il aspire à relier les
concepts et les connaissances afin de donner une interprétation à la réalité, un homme, donc, de la
même façon, tend à s’exprimer dans l’action par la volonté, en lui donnant des buts et des
itinéraires. C’est ainsi qu’il peut manifester son être propre et se rassasier de cette expérience
dont le sommet se trouve dans le mot Bien, sens qui peut être accepté, déçu ou démenti, mais qui
est toujours présent.
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p143
Ce qui a fasciné la méditation de tant de penseurs, mystiques, hommes d’action et
personnalités de réalisations, c’est aussi l’expérience quotidienne et immédiate de tout être
206
Dans G. Capograssi, Introduzione alla vita etica, Rome, 1976, on trouve une description méditée, menée de façon
philosophique avec un langage passionné et presque poétique, de la vie éthique.
humain, de toute personne: le Bien recherché dans les réalités contingentes et insuffisantes, avec
des actions qui réalisent le bien seulement en partie et qui laissent un écart inassouvissable.
Il convient de rappeler certaines connotations – nous nous limiterons à les rappeler – sur la
volonté humaine comme source de la vie éthique.
Tout d’abord, nous devons noter la disproportion constante qui existe entre la vie et la volonté,
l’action et la fin ultime, le Bien tout court: toute action humaine n’exprime que partiellement,
même quand le vouloir est intense et actif, sa source; de la même manière que la volonté
n’exprime pas tout l’être personnel de l’homme, mais seulement son impulsion opératrice, les
simples actions n’épuisent pas le vouloir humain et n’atteignent pas non plus la fin totale. Il s’agit
de la transcendance de la volonté sur l’action, c’est une disproportion entre les simples actions et
la fin ultime de la vie qui transcende les fins particulières.
Ce fait, que nous ne pouvons pas développer en profondeur207, signifie simplement et de
façon conclusive que l’être ou la vie surgit avant le vouloir et avant le faire; il signifie aussi que
l’être personnel de l’homme est ouvert définitivement vers un bien que les simples objectifs ne
réussissent jamais à réaliser.
La vie est une source plus riche que le fleuve de ses actions; et l’objectif, la fin ultime,
transcende toujours chaque pas accompli parce que les fins particulières ne réalisent pas la fin
ultime qui est le Bien tout court, la plénitude du bonheur. En d’autres termes, si une personne
peut se priver d’un bien particulier, elle ne peut être privée, ni se priver du Bien ultime, ni de la
propension vers son propre bien.
Un autre point que nous devons rappeler est que la volonté, bien que déterminée, ouverte et
portée vers le Bien, reste libre par rapport aux biens particuliers. C’est justement en vertu de cette
insatiable ouverture de l’être humain que la volonté ne peut pas ne pas s’ouvrir au vouloir: même
en état de repos de l’action, même quand elle désire recevoir (même le recevoir est activité),
même quand elle contient avec force sa tension, la volonté aspire à un bien et reste ouverte à
l’action. Même le suicide est une action, bien que négative. En même temps, justement parce
qu’elle est ouverte au Bien sans délimitations, et que
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p144
dans toute fin particulière elle ne touche jamais le fond et ne ressent jamais pleinement le tout,
la volonté reste libre de tout objectif particulier et autodéterminante de toute façon.
La liberté est une expérience profonde de chaque être humain, comme une faculté de
possession réfléchie dans l’acte propre: puisque en aucun acte la volonté ne s’investit totalement
et qu’elle sait qu’elle peut le vouloir ou ne pas le vouloir. Même dans le cas d’une contrainte
physique externe ou d’une pulsion interne impétueuse, l’homme conscient sait que l’acte est posé
de l’intérieur et appartient toujours à son auteur: comme la vie est un principe qui procède de
l’intérieur, de la même manière, la liberté est autodétermination, et la pensée tout comme la
liberté représentent les expressions les plus hautes et le sommet de la dignité de l’homme. Mais la
pensée et la liberté qui caractérisent l’esprit humain supposent la vie qu’elles expriment et d’où
elles tirent leur force et leur source. La vie s’exprime dans la liberté, mais elle est présupposée
par cette même liberté. Nous verrons que ce fait est d’une grande importance en bioéthique.
207
Afin d’approfondir ce chapitre, voir les œuvres qui s’approchent de notre pensée: Vanni Rovighi, Elementi di
filosofia, III, pp. 189-243; Maritain, Neuf leçons...; Gevaert, Il problemaa dell’uomo, pp. 147-190; J. De Finance, L’ontologia della
persona e della libertà in Maritain, in Aa. Vv., Jacques Maritain oggi, Milan, 1983; A. Bausola, Natura e progetto dell’uomo, Milan,
1977; P. Ricœur, Philosophie de la volonté, I: Le volontaire et l’involontaire, Paris, 1949, pp. 37-81.
Une autre observation s’avère nécessaire et est implicite à ce que nous avons déjà dit. La
volonté provient de la profondeur de la vie humaine, de l’être humain, d’une façon distincte de
l’intellect; ce dernier vit pour connaître, la volonté exprime sa vitalité dans l’agir; l’intellect
recueille des vérités partielles, mais il aspire à la Vérité tout entière, la volonté s’exprime avec
des actions particulières pour atteindre des biens particuliers, mais elle aspire au Bien total.
Malgré cette distinction, qui pourrait faire penser à un parallélisme de pensée-action, il existe
toutefois une relation réciproque très vive dans l’unité du même sujet entre la pensée et l’action.
Le bien, en tant qu’objectif de l’activité, est en effet découvert et proposé par l’intelligence, ou
dans sa phase intuitive ou dans sa phase de raisonnement. C’est pour cela que le vrai bien ne peut
jamais être dissocié de la vérité. La première synthèse qui qualifie une action comme morale
provient de cette coïncidence entre le bien et la vérité: c’est seulement de cette façon qu’une
action est moralement valable et constructive pour l’être humain, quand la volonté réalise grâce à
l’action ce qui est vraiment bien.
Cette intervention de l’intelligence sur la volonté ou sur la façon d’agir est une forme de
connaissance d’évaluation en référence au bien, niveau distinct de connaissance par rapport à la
contemplation théorique ou spéculative208. La lumière que l’intellect projette sur les fins de
l’action, sur les moyens, et sur la congruence entre les uns et les autres est un savoir «sapiential»
qui réside dans l’intelligence d’évaluation et de prudence, c’est-à-dire dans cette capacité qui se
forme grâce à l’effort et à la rigueur mentale, à l’honnêteté intellectuelle, que
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p145
saint Thomas a appelé, d’après Aristote, la vertu de la prudence, la qualifiant de auriga
virtutum209 (conductrice des vertus).
Par ailleurs, la volonté reste libre même par rapport à cette indication d’évaluation
impérative fournie sous la lumière intellectuelle, justement parce que toute fin particulière ne
réalise pas complètement ex toto et ex omni parte (totalement et de toute manière) le Bien total,
et que l’intelligence d’évaluation peut perdre la perception précise du lien hic et nunc (ici et
maintenant) entre une fin particulière et la fin complète, et le Bien suprême. L’intellect peut
d’autant plus perdre la vérité de l’acte et sa «rectitude» par rapport au Bien à accomplir, que la
personne est influencée par le corps avec ses sollicitations, et par la société et ses influences
culturelles. Maintenir la vision claire et droite du bien dans chaque action requiert une unité
profonde de la personne humaine, une harmonie intérieure, une liberté face aux contraintes
égoïstes et intéressées et aux idéologies courantes, des dons qui sont «éthiques» et qui sont le
propre des personnalités éclairées intérieurement, mûres et conscientes par rapport à
l’environnement. D’autres vertus, donc, qui devront accompagner cette activité d’évaluation et
l’éthique de l’action ont été invoquées par saint Thomas: la force pour réaliser le bien difficile et
contrecarré; la justice pour considérer les biens qui doivent être évalués équitablement par rapport
aux personnes qui entrent en jeu dans notre champ d’action; la tempérance qui domine le
caractère instinctif des sentiments, des intérêts individuels et des influences sociales et
environnementales.
Le christianisme, avec ses vérités relatives au péché originel qui porte l’individu à l’égoïsme
sournoisement et instinctivement, et avec le don de la Grâce rédemptrice qui rétablit l’harmonie
208
C’est ce que Maritain souligne dans la réflexion sur les «niveaux du savoir». Le savoir moral se situe de façon
distincte mais non séparée du savoir théorique ou scientifique.
209
Vanni Rovighi, Elementi di filosofia, III, pp. 223-230; A. Bausola, Libertà e responsabilità, Milan, 1980.
intérieure de la personne, illumine et soutient la «difficulté d’être» et d’être droit qui est le propre
de toute personne humaine.
En vérité, il faut ajouter que dans ce rapport complexe entre la volonté et l’intelligence dans
l’incarnation corporelle et historique de l’homme, on peut retrouver une influence du retour de la
volonté sur l’intelligence, surtout de l’homme sur l’intelligence: l’influence de retour peut être
positive en rendant plus attirante et contraignante la vérité qui a été, même avec difficulté,
incarnée dans la bonne action; par contre, l’influence peut devenir aggravante quand le poids de
l’expérience négative réussit à cacher la vérité ou à la dénaturer.
Le mal devient alors, dirions-nous, totalisant dans la personne, quand non seulement on agit
contre la vérité mentale éclairée, mais qu’on en arrive à appeler vrai ce qui ne l’est pas; quand, en
fait, au mal, on ajoute le mensonge.
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p146
Nous croyons qu’il importe, à ce point-ci de l’exposé, de s’arrêter pour souligner le concept de
responsabilité et mettre particulièrement en évidence la valeur de la responsabilité du scientifique
et du médecin.
Tout acte libre comporte une responsabilité et nous parlons ici d’une responsabilité morale,
parce que parfois se dessine aussi la responsabilité juridique. Le terme de responsabilité
comprend le concept «d’évaluation» (rem ponderare) (peser la chose) des biens en question face
au libre choix, ainsi que l’exigence de «devoir répondre» (respondere) face à la conscience.
La conscience représente la connaissance de la valeur éthique d’une action déterminée: c’est le
lieu et le moment dans lesquels ressort la conformité ou non-conformité de l’acte avec le cadre de
référence morale propre au sujet et présent dans le sujet. Il ne s’agit ni de sentiments ni
d’émotions, même si de telles réactions intrasubjectives peuvent être concomitantes: il s’agit d’un
jugement de la raison relativement à l’idée du bien et du mal, jugement reporté au fait concret
accompli par le sujet chargé de juger, ou par d’autres.
Nous pouvons définir la conscience comme étant l’attitude et l’acte de connaissance et de
discernement ayant pour but l’évaluation des actions morales. C’est pourquoi l’action humaine
est l’objet du jugement de conscience; cette action est évaluée relativement aux valeurs, aux
principes et aux normes morales.
La conscience représente le tribunal intérieur et proche de l’acte moral; et plus le jugement
sera vrai et complet dans l’évaluation, plus le jugement moral sera objectif et valable; plus ce
jugement sera obnubilé ou bouleversé ou même privé des renseignements nécessaires, plus le
jugement moral sera fallacieux ou erroné.
Dans cette optique de correspondance objective entre le jugement éthique subjectif et la
conformité objective de l’acte à la fin bonne, nous parlons de conscience vraie ou erronée.
Quand il s’agit du niveau de certitude avec lequel la conscience perçoit la valeur morale de
l’acte, nous parlons de conscience sûre ou incertaine ou perplexe. L’homme peut errer de bonne
foi, avec une conscience erronée, mais sûre; dans ce cas, il faut faire tout ce qui est possible en
proportion des réalités en question et relativement aux propres possibilités pour que la conscience
sûre soit aussi vraie, c’est-à- dire que le jugement subjectif corresponde aux données objectives;
et c’est pourquoi subsiste une obligation d’une formation morale d’autant plus contraignante que
les biens en cause sont grands.
Il existe aussi une distinction entre la conscience droite et fausse ou mauvaise par rapport à la
cohérence entre les jugements de la conscience et le comportement conscient (informé): nous
disons que nous agissons en mauvaise conscience lorsqu’en accomplissant une action déterminée,
nous sommes conscients de nous comporter de manière injuste et que, malgré cela, nous
accomplissons tout de même cette action et que nous allons jusqu’à la défendre.
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p147
En conclusion, l’obligation morale ne consiste pas seulement dans le fait d’agir selon sa
conscience, mais aussi dans le fait de se former une conscience vraie, juste et sûre.
Nous avons mentionné qu’il est impossible de séparer l’acte humain libre et conscient, du
jugement éthique, et, par conséquent, de la responsabilité, parce que tout acte libre possède un
contenu: c’est un agir pour quelque chose et sur quelque chose ou en direction de quelqu’un, et
cet agir peut être conforme ou non – mais jamais indifférent ou neutre objectivement – à l’égard
de la personne qui le pose et des êtres qui en sont les destinataires. Conscients ou non, nous
sommes responsables de ce que nous faisons. Le fait d’être ou non conscients de ce que nous
faisons peut rendre les actions plus ou moins imputables, moralement ou juridiquement, au sujet
qui les accomplit; mais le poids et la responsabilité objective demeurent. On peut tuer une personne par inadvertance et par conséquent, de manière non consciente et non imputable, mais en
réalité la personne est morte objectivement, et le vide que cette mort provoque demeure
objectivement mesurable et grave. En fait, comme nous le verrons plus loin, la responsabilité
subjective majeure ou mineure par rapport à l’action n’annule pas la moralité objective de l’acte
en soi, qui reste de toute façon un acte négatif, indépendamment de la conscience ou de
l’intention du sujet. Tant et si bien que nous avons tous l’obligation de porter une grande
attention afin d’accomplir le bien et d’éviter le mal et de réduire la marge d’erreur au maximum,
en proportion du bien qui est en question. Concevoir la liberté sans responsabilité est un jeu, le
ludus existentiel; cela détruit et déshonore la raison et la liberté en même temps.
La morale objective et la morale subjective
L’amateur d’éthique, et encore plus l’éducateur, devra toujours tenir compte de deux
exigences d’ordre méthodologique: il devra distinguer la valeur objective d’une action du
moment subjectif où cette action a été conçue et décidée à l’intérieur du sujet; il devra par ailleurs
souligner l’obligation morale d’adapter le jugement subjectif, ou l’orientation intérieure, à la
valeur objective de l’action elle-même. C’est en vertu de cette obligation d’adapter l’aspect
subjectif à l’aspect objectif qu’est garantie l’unicité de la moralité de l’acte.
L’élaboration du jugement sur la valeur objective d’une action déterminée est le fruit d’un
processus de connaissance qui peut avoir différents niveaux de certitude ou différentes modalités
de compréhension: tout d’abord elle peut se manifester comme une réaction mentale immédiate et
préconçue, presque par «connaturalité» comme l’explique J. Maritain210; par la suite elle peut se
transformer
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p148
en connaissance consciente et réfléchie; parfois elle pourra rester marquée par le doute. À
l’élaboration de ce jugement sur la valeur objective de l’action contribuent diverses composantes
plus ou moins présentes dans le processus de connaissance graduelle qui conduit le sujet à
élaborer un tel jugement. En fait, ce jugement suppose d’abord une confrontation avec la norme
210
J. Maritain, Nove lezioni sulla legge naturale, Milan, 1985.
ou la loi qui explicite l’objectivité des valeurs et leur hiérarchie; cette loi serait la loi morale
naturelle inhérente à la conscience de l’homme, identifiable de façon innée au premier niveau de
sa conscience, et par la suite explicable par la raison, ce qui fait que l’on peut la définir comme
étant une norme rationnelle. Par conséquent, on définit la loi morale naturelle comme un
ensemble de principes moraux généraux que la raison naturelle de l’homme trouve spontanément
à partir de sa propre façon d’être, de sa propre nature. C’est une loi universelle et immuable, tout
comme la nature humaine elle-même.
Dans la philosophie personnaliste d’inspiration chrétienne, la loi naturelle est perçue comme le
reflet de la loi éternelle, qui est l’ordre même de la réalité telle qu’elle existe dans l’esprit du
Créateur qui, en créant et en ordonnant la réalité, lui a donné sa valeur et en a ordonné les
qualités.
Le sujet peut être conscient ou non de l’existence du Créateur (dont l’existence est accessible
théoriquement à la raison, mais qui peut en fait être ignorée), mais de toute façon il peut arriver,
en suivant les niveaux progressifs dont nous avons parlé, à être conscient de la norme naturelle ou
rationnelle et à formuler son jugement sur l’action concrète qui lui est proposée.
Ainsi, un médecin peut, d’une manière immédiate, avoir conscience qu’il ne peut pas accéder
à la demande d’euthanasie faite par un malade souffrant et désespéré, soit à cause d’une réaction
immédiate de sa propre conscience, soit de façon plus consciente, par référence à la norme
d’ordre rationnel qui sanctionne l’intangibilité de la vie humaine.
Et ce fait peut être reconnu – comme il l’est en réalité – comme le reflet de la loi du Créateur
qui a créé l’homme et ne lui a pas concédé de disposer arbitrairement de la vie et de la mort pour
lui-même et pour les autres. Cependant, le médecin en question pourrait rester perplexe et il sera
obligé de soupeser les facteurs rationnels et culturels en ce qui concerne le traitement qu’il
administrera au malade pour la douleur qu’il supporte et les conditions de sa maladie.
Un élément qui peut contribuer de façon significative à élaborer et à illuminer ce jugement est
la foi religieuse, c’est-à-dire la loi révélée qui est le propre des religions révélées, comme le
judaïsme, l’islam ou le christianisme. La foi religieuse se propose comme une lumière qui permet
à la raison d’observer l’acte humain dans un horizon plus large et ainsi aider la conscience à
formuler le jugement sur la valeur objective d’une action déterminée.
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p149
Cette foi religieuse peut être partagée par le patient qui, par conséquent, est tenu de l’observer,
ou bien elle peut être propre au médecin qui lui aussi est tenu de l’observer s’il veut être cohérent
avec lui- même. La foi peut aussi être commune au patient et au médecin, et dans ce cas l’aide est
immédiate et facilitée.
De toute façon, pour rester dans le domaine des rapports médecin- patient, le médecin ne peut
pas ignorer la croyance religieuse éventuelle du patient, comme il ne peut pas légitimement
contredire sa propre conscience religieuse.
Même si théoriquement, la norme religieuse ne peut pas être en opposition avec la loi naturelle
ni avec l’éthique rationnelle, des conflits peuvent toutefois survenir (c’est le cas du refus de
traitement de la part de certaines catégories de malades sur la base de leur croyance religieuse)
qui devront être résolus à travers une réflexion approfondie et en tenant compte des principes
d’éthique que nous expliquerons à la fin de ce chapitre. On peut donc concevoir une morale
«laïque» et rationnelle qui aurait ses bases et ses critères de jugement. Mais dans le cas où une
personne – que ce soit le médecin, le patient ou les deux – aurait une foi religieuse, cette dernière
ne peut pas être ignorée si l’on veut respecter de façon rationnelle la conscience d’autrui.
Un autre point dont nous pourrions tenir compte pour l’élaboration du jugement objectif est la
loi positive donnée par l’autorité constituée et proposée au bien commun. Cette autorité peut être
l’État ou des organismes internationaux comme dans le cas par exemple des «droits de
l’homme»211, ou même l’autorité religieuse: l’autorité de l’État ou l’autorité supranationale a
pour tâche d’interpréter les exigences du bien commun, au sens du bien de la communauté
poursuivi à travers le bien des individus; par contre, l’autorité religieuse, s’appuyant sur son
propre cadre de valeurs de la foi, tire de la norme révélée et de la foi des dispositions
d’interprétations, comme nous le verrons en parlant particulièrement des dispositions de l’Église
Catholique. Et si par son magistère l’Église s’adresse directement à ses fidèles, elle peut aussi
proposer des valeurs, des indications ou des orientations morales à tous les hommes disposés à
les prendre en considération.
Cette source d’information peut faciliter et expliciter le jugement éthique, mais, encore une
fois, il peut se révéler un conflit entre la norme civile et la norme religieuse ou même entre la
norme positive de l’État et la conscience individuelle de la personne qui se rapporte
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p150
intérieurement au cadre des valeurs naturelles ou rationnelles212. Afin de surmonter ces
conflits éventuels, il faudra se rapporter aux valeurs et aux principes d’ordre général, cela exigera
souvent une étude complexe et approfondie.
L’itinéraire qui mène à l’élaboration du jugement objectif, même s’il peut se présenter souvent
comme immédiat, exige toujours, comme nous l’avons mentionné, engagement, rigueur et
développement rationnel, et il peut susciter des doutes et parfois même des incertitudes dramatiques. En fait, au long de cet itinéraire, l’ignorance peut interférer et donc l’erreur peut
s’infiltrer. Autant l’ignorance que l’erreur peuvent concerner l’interprétation de la norme et,
conséquemment, la hiérarchie des valeurs en question, ou même toucher la configuration
historique et concrète de l’action. On peut commettre une erreur, par exemple, en jugeant
comment il faut se comporter quand la sauvegarde d’une valeur comme la vie du nouveau-né
s’oppose à la défense de la vie de la mère lors d’un accouchement difficile – nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet – ou bien, on peut se tromper sur l’existence d’une circonstance
importante, comme par exemple l’existence d’une grave maladie cardiaque de la mère, laquelle
pourrait par conséquent ne pas avoir été assistée adéquatement au cours de l’accouchement, avec
comme conséquence sa mort. On doit, en effet, tenir compte de cette possibilité pour évaluer la
responsabilité du sujet agissant, autant à l’égard du jugement éthique qu’à l’égard de la
responsabilité pénale. Toutefois, il faut se souvenir que le sujet responsable, proportionnellement
au type de responsabilité qu’il exerce, devra s’engager pleinement afin d’éviter l’erreur.
D’un point de vue éthique, l’erreur et l’ignorance qui la génèrent peuvent être non coupables
et invincibles si le sujet n’a rien négligé de ce qui était requis en fait de réflexion et de
connaissance et s’il se trouve donc dans l’impossibilité de juger d’une manière différente; dans le
cas contraire, l’erreur peut être coupable «dans la cause», lorsque l’engagement a été
211
Comme nous l’avons vu au premier chapitre, les Déclarations, les Conventions et même les Recommandations des
divers organismes internationaux (ONU, OMS, CEE, Conseil européen) ainsi que les Codes déontologiques des associations médicales sont d’une grande aide, même s’ils sont toujours distincts de l’éthique et s’ils peuvent être améliorés en vertu des valeurs
éthiques, dans le but de connaître les valeurs de référence.
212
Sur ce thème du rapport entre l’éthique, la norme et la conscience voir les traités de morale: F. Böckle, Morale
fondamentale, Brescia, 1979; J. De Finance, Etica generale, Cassano Murge, 1982; T. Goffi, G. Piana (sous la direction de), Corso di
morale, I, Vita nuova in Cristo (Morale fondamentale e generale), Brescia, 1983; A. Günthor, Chiamata e risposta, 3 vol., Rome,
1982; Häring, Liberi e fedeli...; M. Vidal, L’atteggiamento morale, I-II, Assise, 1976.
malheureusement moindre par maladresse, imprudence ou négligence. Que l’on pense à la
responsabilité que peut comporter le manque d’étude ou le fait de ne pas se tenir à jour pour un
architecte ou un juge, ou dans le domaine de la bioéthique, pour un médecin.
Nous devons maintenant parler de l’autre partie de l’évaluation de l’acte moral, soit celle du
moment subjectif où l’action est conçue et décidée à l’intérieur du sujet.
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p151
La conscience subjective ne fonctionne pas comme un ordinateur, c’est plutôt un acte vital et
vécu de connaissance, liberté et responsabilité qui touche au mystère même de la personne.
La liberté qui est réalisatrice de «l’être» quand elle décide librement selon la vérité, peut
choisir le contraire de son bien ou de celui d’autrui, appauvrissant la personne même de valeurs et
d’expériences positives et déterminant des inclinaisons négatives. Face au bien ardu et à la privation du bien – qui équivaut au mal – plus facile et plus attrayant pour l’égoïsme humain, la liberté
peut se perdre et céder au mal. L’expérience de tous les hommes confirme la réelle influence de
cette «inclination» au mal que le christianisme a défini comme le fruit du «péché originel» et
pour laquelle il propose le remède et le rachat de la Grâce, l’aide de Dieu offerte par le Christ:
aide qui permet la restauration progressive et engagée de la capacité du bien, grâce à la
communion avec Dieu.
Si la foi et l’accès conscient à la rédemption sont un don et une espérance pour le croyant,
l’expérience de la fragilité et de la difficulté de la liberté appartient à tous les hommes.
En fait, la liberté n’est pas complète si elle est conçue simplement comme une liberté face aux
contraintes extérieures, politiques et économiques ou autres. Cependant, elle le devient quand elle
se transforme en liberté «libérée» des conditionnements intérieurs, ceux qui au plus profond de
l’homme partagé, opposent le moi à soi-même, le corps à l’esprit. Par ailleurs, il n’est pas logique
ni prévisible que celui qui ne s’est pas «libéré» soi-même de l’égoïsme soit un authentique
bâtisseur de liberté213.
Dans l’évaluation de la responsabilité subjective de l’homme face à l’action, on doit tenir
compte de cette «fragilité de l’être» et de cette possibilité négative de la liberté. Le bien et le mal
sont possibles même s’ils ne sont jamais équivalents ni d’égale valeur, en raison de ce mystère de
la liberté et de cette possibilité de choix «fait non pas selon la vérité».
Mais cela ne suffit pas: des conditionnements qui peuvent réduire la capacité
d’autodétermination et de choix peuvent peser sur la liberté déjà fragile; ces conditionnements
peuvent diminuer et parfois annuler la responsabilité. Nous avons déjà parlé de l’un de ces
conditionnements, l’ignorance, qui peut provoquer une erreur d’évaluation. Il s’agit d’un
conditionnement indirect en ce qui concerne la responsabilité parce qu’il agit principalement sur
l’évaluation de la raison, mais de toute façon, il réduit l’horizon de la liberté.
Les auteurs de traités parlent de «circonstances» dont doivent tenir compte les moralistes, les
éducateurs, les pasteurs spirituels et même les juges (dans une certaine mesure) afin d’évaluer de
façon
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p152
213
Au sujet du concept de liberté et de péché originel on peut se reporter à: J. Mouroux, Sens chrétien...; P. Valori, Il
libero arbitrio. Dio, l’uomo, la libertà, Milan, 1987; G. Piana, Libertà, in Dizionario enciclopedico..., Rome, 1981, pp. 562-574; M.
Flick, Z. Alszeghy, Il peccato originale, Bresscia, 1972.
plus adéquate la responsabilité du sujet. L’homicide commis dans le dessein d’extorquer des
fonds est un tout autre délit que l’homicide commis par un fou, ou par un automobiliste à cause
d’un problème de freins à sa voiture.
Nous faisons à peine référence à une longue liste de circonstances ou catégories de
conditionnements au sujet desquels les moralistes, les psychologues et les juristes ont beaucoup
écrit et qui, dans l’ensemble et dans certains cas, peuvent rendre extrêmement problématique le
jugement éthique sur la responsabilité subjective, et parfois même enlever toute responsabilité.
Les médecins et les spécialistes de la santé en général doivent être conscients de ces limites et
de ces circonstances parce que leur profession les oblige à avoir un «rapport» décisionnel avec le
patient, dont le consentement peut être «libre et informé» ou lourdement conditionné.
Certains conditionnements de la liberté peuvent dépendre de la personnalité et de la
psychologie du patient par rapport à l’âge, au niveau de culture, à la psychologie et à la santé
psychique et mentale: c’est la circonstance que les auteurs de traités de morale définissaient par le
pronom interrogatif quis? (qui?).
Certaines circonstances dépendent de la nature même de l’action commise sur laquelle on
exprime un jugement: la difficulté, la peur qui inspire le sujet, la nouveauté (quid?) (quoi?): il est
différent pour une mère d’accepter une maternité qui semble normale, et de l’accepter quand le
fœtus semble taré ou que la gestation comporte un risque pour la vie même de la mère; dans ce
cas, accepter l’enfant devient un devoir ardu et parfois héroïque, même s’il reste une obligation.
Aussi les circonstances qui touchent le lieu ou l’environnement culturel ont un certain poids,
comme le meurtre pour sauver l’honneur dans certains pays (ubi?) (où?).
On accorde une grande importance à l’intention (cur?) (pourquoi?) ou la motivation qui
représente l’âme de l’action: il arrive souvent que des actions conçues pour faire le bien
entraînent un dommage réel, et par conséquent un mal objectif. L’euthanasie par exemple, est
souvent définie de nos jours comme un «acte de compassion». Certains auteurs ont voulu
comprimer la moralité entière dans l’intention – l’intentionnalisme –, mais évidemment l’action
reste ce qu’elle est, même si l’intention avec laquelle elle a été accomplie dispense en partie ou
en totalité l’acteur de la responsabilité subjective, comme par exemple dans le cas du parent qui
procure à son enfant toxicomane une dose d’héroïne pour calmer sa crise d’abstinence, dose qui
entraînerait son décès. Si seule l’intention – qui est bien sûr importante du point de vue de
l’évaluation de la responsabilité subjective – suffisait à constituer le bien, le monde serait
entièrement bon. D’autres circonstances sont aussi prises en compte grâce à l’expérience et aux
auteurs de traités, comme les circonstances qui se rapportent à la modalité (quomodo?) (de quelle
manière?) et au moment (quando?) (quand?). Nous ne nous attarderons
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p153
pas à expliquer des situations facilement prévisibles dont la liste pourrait s’allonger mais ne
peut pas être déterminée a priori.
De toute façon, ce que nous devons confirmer clairement, c’est que la moralité des
responsabilités subjectives n’annule pas la moralité objective du fait et, par conséquent,
l’obligation morale persiste de faire en sorte que ce soit à la subjectivité de s’adapter à l’objectivité et non l’inverse, quand il s’agit d’établir la valeur de l’action en soi et d’indiquer la norme de
comportement. Plus simplement, nous pouvons dire que le fait qu’une personne meure à cause
d’un accident de la route peut survenir sans responsabilité subjective du conducteur – même si ce
n’est pas le cas constamment – mais, objectivement, la perte d’une vie reste un mal réel très
grave; c’est pourquoi le conducteur a l’obligation d’éviter ce dommage physique, moral et social,
en prenant toutes les précautions nécessaires. Nous pouvons en dire autant d’une intervention
chirurgicale non réussie, si la mort du patient pouvait être évitée.
C’est la vérité qui établit la base du bien: verum et bonum sunt idem (le vrai et le bien sont
convertibles). Ceci signifie que le premier acte de bien que l’on peut et que l’on doit accomplir
est celui de la recherche de la vérité objective et du fondement objectif du bien.
Les modèles éthiques qui font abstraction de la vérité objective de la personne et qui tentent de
fonder l’éthique uniquement sur la liberté ou sur l’utilité ou sur le progrès de l’espèce ou de la
science, finissent en définitive par se retrouver au niveau du dénominateur commun du
relativisme, l’annulation de la vérité et du bien objectif, qui sont des références pour tous au-delà
des intérêts subjectifs communs. Sont tout autant relativistes les critères basés sur la «morale de
la situation» ou ceux fondés sur la philosophie analytique, et ils finissent par détacher l’éthique
de la vérité objective214.
Sur ces prémisses, il importe à nouveau de souligner les responsabilités qui pèsent sur le
scientifique ou le médecin: dans un sens positif, du point de vue du mérite, tout le bien qui peut
être fait en prévenant les maladies, les désastres, les épidémies; ou bien dans un sens négatif, tout
le mal que peut causer la perte de vies humaines, la permanence de handicaps ou de déficit au
niveau de la santé, etc.
Le médecin sera appelé plusieurs fois à faire la synthèse entre la vérité et la vie, entre la vie de
l’individu et le bien de la communauté:
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p154
mais la capacité de réaliser une telle synthèse devra se fonder sur une grande stature éthique et
sur une réflexion rigoureuse.
Par conséquent, la responsabilité du médecin, puisqu’il s’agit d’une personne qui agit sur
d’autres personnes, sur la vie d’autrui, est l’une des plus marquées et des plus reconnues. Pour
cette raison, la profession médicale s’est distinguée au cours des siècles pour son autorité, la
vigueur et la délicatesse de sa conscience.
L’acte médical a donc, quel que soit le moment où il se situe, une dimension éthique en plus
de la dimension technico-scientifique. En fait, de même qu’il est impossible de dissocier le
concept de la faculté qui l’énonce, ainsi il sera toujours impossible de séparer la responsabilité
médicale de l’acte médical qui l’entraîne. Il est vrai pour toutes les professions que «l’homme s’y
définit avant tout par la responsabilité qu’il assume envers ses frères et devant l’histoire»215,
mais cette assertion est particulièrement vraie en ce qui concerne le médecin, lequel devra
apprendre à rendre responsables même les autres acteurs: le patient, la communauté et la culture
elle-même, sans renoncer à ses propres responsabilités.
Les normes, les valeurs et la loi naturelle
La philosophie contemporaine conçoit à nouveau la vie éthique non plus comme un ensemble
de normes, de lois et de fins, mais comme un appel à réaliser des valeurs qui mènent à
214
Les racines du vaste mouvement de réflexion qui est sous-entendu dans la formule «éthique de la situation» sont
multiples, et certaines d’entre elles font référence aux questions sur la validité d’une loi morale soulevées par la «théologie dialectique». Pour des approfondissements sur ce chapitre de la théologie du XXe siècle voir: H. Brouillard, K. Barth, Genèse et évolution
de la théologie dialectique, Paris 1957; J. Moltmann (sous la direction de), Le origini della teologia dialecttica, Brescia, 1976.
215
Concile Vatican II, Constitution pastorale «Gaudium et spes», n. 55; Villa, Medicina oggi...; Vedrinne, Éthique et
professions..., pp. 1171-1177.
l’accomplissement de la personne humaine. Pendant quelques siècles, la morale a été perçue sous
un angle surtout normatif et formel sans tenir assez compte du contenu et de la finalité de la vie
morale vécue avec droiture. Ceci a entraîné finalement un refus de la norme et de la morale tout
court. Nous assistons actuellement à la récupération du sens intégral de la morale qui ne s’adresse
pas tant à l’aspect normatif et coercitif qu’à celui de la réalisation de la fin de la personne:
l’eudaimonia (l’enthousiasme) ou le bonheur216.
Il importe de préciser le sens des valeurs éthiques, de la norme et de la loi morale, et surtout de
préciser quelles en sont les bases, car les limites de ces concepts sont souvent incertaines217.
Toutefois, nous devons reconnaître que ce langage prévaut désormais et que, s’il est bien
compris, il peut exprimer de façon plus personnaliste, dynamique
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p155
et suggestive l’orientation de l’activité libre et responsable. Nous pouvons entendre par valeur
éthique «tout ce qui permet de donner un sens à la vie humaine»218. Naturellement, ce qui donne
un sens à la vie humaine dépend du concept de vie humaine que l’on a. Nous apercevons tout de
suite le rapport étroit qui existe entre anthropologie et éthique; les valeurs, les normes et l’éthique
en général seront différentes selon le concept de l’homme que l’on se représente. Nous n’avons
pas l’intention de présenter un traité d’anthropologie pour en tirer l’éthique adéquate au concept
d’homme en question, mais nous voulons plutôt présenter les coordonnées fondamentales qui
entourent la personne humaine et qui permettent de comprendre le sens des termes de valeur et de
norme morale.
Historiquement, le concept de valeur s’est formé dans le langage philosophique à travers une
transposition du langage économico- financier au cours de la réaction au positivisme. Ce dernier
ne reconnaissait que les faits; la pensée phénoménologique (Husserl, Scheler) affirme
l’importance dans la vie de l’homme de ce qui se présente comme une tension, une aspiration et
un devoir par rapport à ce qui existe simplement dans les faits. De ce point de vue, la valeur au
sens philosophique est tout ce qui suscite l’estime, l’admiration, le sens de la perfection, et
comme le dira Ricœur, «la valeur semble à la croisée de notre désir infini d’être et des conditions
finies de sa réalisation». C’est pourquoi dans l’histoire des hommes, il n’y a pas seulement les
faits, mais aussi les valeurs; et il n’existe pas seulement les valeurs économiques basées sur
l’utilité et la convention, mais aussi les valeurs culturelles, spirituelles, religieuses et morales.
En particulier, la valeur morale s’applique spécifiquement aux activités de l’homme et à
l’expérience morale, et elle dénote la qualité ou la perfection d’une action ou d’une conduite en
ce qu’elle est conforme au bien ou à la dignité de la personne humaine. L’amour du prochain, le
respect de la vie, la générosité, l’esprit de sacrifice, etc., sont des valeurs morales. Les valeurs
existent comme un appel inhérent à la réalité même de la personne humaine, comme un idéal qui
attire continuellement le sujet personnel, comme le «devoir être» vers lequel orienter son propre
216
Ce problème et le retour à une philosophie morale vue sous l’angle de la réalisation de la personne ont été traités de
façon exhaustive par S. Pinckaers, Le fonti della moraale cristiana, Milan, Ares, 1992.
217
Pour approfondir les concepts d’éthique fondamentale consulter: J. Maritain, Nove lezioni sulla legge naturale,
Milan, Jaca book, 1985; D. Von Hildebrand, Etica, Madrid, Rialp, 1993; A. Rodriguez Luno, Etica, Florence, Le Monnier, 1992.
218
Gevaert, Il problema dell’uomo, p. 149; A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, 1968,
pp. 1182-1186; P. Valori, v. Valore morale, in Compagnoni-Piana Privitera (sous la direction de), Nuovo dizionario..., pp. 14161427; id., L’esperienza morale, Brescia, 1984; P. Ricœur, Le conflit des interprétations, Paris, 1969.
être. C’est ainsi que les valeurs constituent les prémisses ou la condition fondamentale
d’existence du discours moral, tant comme fait personnel que comme réflexion scientifique219.
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p156
Mais pour être réalisées, les valeurs doivent d’abord être connues, et pour les connaître il faut
se mettre dans un état de profonde contemplation de ce règne idéal des valeurs qui est au-devant
et au-dessus de l’homme, qui existe avant l’homme. En fait, les valeurs ne sont pas créées ou
inventées, elles sont simplement découvertes, connues, reconnues, acceptées ou refusées.
Les valeurs ne sont pas modifiées dans le temps car leur essence est supratemporelle et audessus de l’histoire. Ce qui pourrait se modifier, c’est la connaissance que l’homme a de la
valeur, son rapport avec elle et sa façon de constituer sa propre hiérarchie.
La valeur morale a donc une spécificité propre et c’est pourquoi on ne la confond pas avec
l’ingéniosité, la culture du sujet, etc., et qu’on ne la confond pas non plus avec la valeur
religieuse (foi en Dieu, esprit de prière). Toutefois, puisqu’une conception déterminée de Dieu
comporte, en conséquence, une vision cohérente de l’homme et du monde, les valeurs religieuses
se reflètent sur les valeurs morales, mais pas nécessairement de façon adéquate et cohérente. On
peut rencontrer des personnalités pleines de sensibilité religieuse mais incapables d’exprimer ces
valeurs dans une conduite morale cohérente.
Mais la clarification la plus importante dans le domaine des valeurs est représentée par le
problème de leur fondement: à savoir si elles ont une origine et une justification purement
subjectives, comme simple transcendance du sujet sur la réalité matérielle, du «vécu» au-delà de
la vie organique, ou bien si elles ont une correspondance avec la réalité et une base ontologique
objective. Même dans ce domaine, le subjectivisme s’oppose à l’ontologisme, et le personnalisme
subjectiviste au personnalisme ontologiquement fondé. Une éthique subjective a comme résultat
des normes et des valeurs qui changent avec le sujet et avec le temps. Par contre, une éthique
objective, fondée sur la signification et la réalité objective de la personne humaine, a comme
résultat des valeurs et des normes objectives indépendamment du sujet et du temps.
Si à l’intérieur de la valeur et à sa base, il n’existait pas une structure de la réalité, ou essence,
la valeur cesserait donc d’exister comme telle et ne serait qu’une illusion. Si la solidarité entre les
hommes ne correspondait pas à une définition de l’homme, et par conséquent à une exigence
structurelle ou naturelle de la personne, elle n’aurait aucune raison d’être. En définitive, la valeur
suppose des réalités, elle a une base objective: les choses sont des valeurs, les personnes sont des
valeurs, Dieu est la valeur suprême. La valeur sera d’autant plus éminente que la réalité à laquelle
elle se réfère sera riche et perfectionnée ontologiquement.
Les valeurs réclament aussi une valence subjective, une résonance du sujet: le sujet y reconnaît
une bonté, un coefficient pour la construction et le sens à donner à la vie. Saint Thomas parlait de
ens (être) et de bonum (bon); les contemporains parlent de réalité (chose, personne,
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p157
institutions, formes expressives comme l’art, la technique, la religion) et des valeurs. La
philosophie contemporaine met en lumière l’élément personnaliste: les valeurs ont un sens pour
l’homme et n’existent pas sans lui. Cela apparaît encore dans l’évolution du terme désignant la
219
S. Privitera, les entrées: Casistica, Deontologia/teleologia, Etica normativa, Valori, in S. Leone, S. Privitera (sous la
direction de), Dizionario di Bioetica, Bologne, Dehoniane, 1994.
fin ultime de l’homme: l’Antiquité parlait de eudaimonia (transport en Dieu), le Moyen Âge de
vision béatifiée, le langage contemporain utilise l’auto réalisation. Mais les perspectives
évoquées jusqu’à maintenant ne sont pas incompatibles entre elles, et rien n’empêche d’adopter
le nouveau langage de la sensibilité culturelle modifiée. Le point délicat est celui du fondement
des valeurs.
Le modèle éthique personnaliste admet et considère l’existence des valeurs, mais il les
représente basées sur la réalité métaphysique: une valeur ne peut être telle sans un contenu réel et
sans une capacité perceptive d’évaluation inhérente à la personne: face à la personne qui perçoit
et évalue, la réalité se dessine comme une valeur quand elle assume le caractère de «bonté», de
correspondance à l’être et à la vie des personnes.
En outre, il faut préciser qu’il est différent d’affirmer, d’une part, que les valeurs se présentent
comme telles intuitivement, et par conséquent exercent sur la personne une attraction et un appel
moral, et d’affirmer, d’autre part, que l’expérience morale est une donnée ultime finalement
indémontrable. C’est une chose que, méthodologiquement, on procède à partir de la pertinence
des actions morales riches de valeurs ou de la constatation de l’existence de valeurs morales de
portée universelle, presque inhérentes au vécu humain; c’en est une autre que d’affirmer que ces
valeurs ne sont pas susceptibles de fondation réfléchie et de justification critique. On ne peut
donc exclure, en fait il faut inclure, dans la fondation des valeurs éthiques l’œuvre de l’intelligence et la réflexion de la raison plus ou moins développées systématiquement, plus ou moins
présentes intuitivement.
Que les valeurs puissent se charger de répercussions affectives et de valeurs émotives
spontanées, c’est un fait constatable, mais ceci n’est pas en conflit avec l’exigence d’une
vérification sur le plan réel et rationnel. En fait, la vie sociale et l’influence de l’environnement
social peuvent déformer les valeurs, mettre l’accent sur certaines et en cacher d’autres, même au
détriment de la vérité objective.
Il convient de faire une autre précision sur ce que nous avons dit au sujet de la loi naturelle,
concept sur lequel le débat est toujours empreint de problématique et de discussions théoriques et
que nous ne pouvons pas reproduire ici en détail.
Nous devons nous entendre sur ce concept qui au cours des ans a été utilisé avec des
acceptions différentes: parfois pour légitimer le bon plaisir des riches, parfois pour proclamer
l’infériorité et la relativisation de tout pouvoir politique comme conscience d’une justice supérieure et d’une idée universelle de l’homme. La loi naturelle a été considérée comme le reflet de
la loi éternelle de Dieu, et à l’opposé,
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p158
comme une théorie laïque de la raison qui sert comme institutio (légitimisation) ou du prince
ou du savant, tous dépositaires de la déesse raison; la loi naturelle a été identifiée à la loi
biologique et on l’a considérée comme dépourvue de toute consistance au-delà du droit positif, on
l’a utilisée pour consolider le trône des puissants et pour armer les revendications des droits
humains. Nous nous limiterons donc à dire ici que d’un point de vue personnaliste, nous ne
considérons pas la loi naturelle simplement comme une loi physique, biologique ou de
spontanéité individuelle, même si la donnée biologique pourra et devra faire partie de
l’évaluation des faits humains; il ne s’agit pas non plus d’un ensemble de préceptes juridicomoraux qui pourraient peut-être s’avérer des spécifications de la loi naturelle.
Les termes loi naturelle ou loi morale naturelle désignent plutôt un fait qu’une théorie: le fait
que l’homme est par nature un être moral, et que la raison humaine est en soi une raison pratique
et morale. La loi morale provient de la nature humaine et elle trouve en elle la structure qui la
soutient, sans laquelle elle serait une instance externe, extrinsèque, répressive et insupportable,
mais aussi non intelligible. Par conséquent, la loi naturelle est «la lumière de notre intelligence en
vertu de laquelle les réalités morales deviennent accessibles à l’homme»220. C’est la lumière
naturelle de l’intelligence. Il ne pourrait en être autrement s’il s’agit d’une règle morale, car
aucune exigence morale ne peut régir la volonté sans passer par la raison.
La lumière naturelle de la raison pratique peut rejoindre avec une évidence immédiate
certaines connaissances: les premiers principes (fac bonum, vita malum) (fais le bien, évite le
mal) et les vertus considérées dans leur contenu plus général. En outre, la lumière naturelle arrive
à connaître, de manière discursive à travers la réflexion sur l’expérience morale, d’autres vérités
qui ont une relation nécessaire avec les premiers principes ou les vertus.
La loi naturelle en tant que participation de l’homme à la loi éternelle ne s’explique que dans
une perspective créationniste. Par conséquent, le croyant cherche avec sa raison illuminée par la
lumière supranaturelle de la Révélation les modalités aptes à réaliser la plénitude de l’être humain
dans ses actions.
Sur le plan religieux, tout cela pourra être vérifié par rapport à la parole de Dieu, créatrice et
révélatrice de l’homme à lui-même, et formulée avec le précepte de l’amour de Dieu Bien
Suprême et de son prochain créé à son image: c’est pourquoi au Moyen Âge et jusqu’à
l’Illuminisme, on n’hésitait pas à identifier la loi naturelle au précepte du double amour.
Il est vrai aussi que les premières déductions de la loi naturelle peuvent se traduire de façon
intuitive à partir de cette exigence de fond, et certains chercheurs les identifient, avec l’aide de la
sociolo========================================
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gie et de l’ethnologie, au respect de son semblable comme personne, à l’interdiction du
meurtre, de l’inceste, et ainsi de suite. Cependant, la raison devra toujours réfléchir – parfois avec
difficulté et imperfection, parfois non sans hésitation – et savoir trouver la spécification de la loi
naturelle dans les situations individuelles, et elle devra s’engager à purifier les comportements
sociaux des fausses justifications «naturelles». Nous avons souligné la médiation nécessaire de la
raison, parce que encore une fois, il n’y a pas d’éthique sans raisons objectives à l’appui, et sans
purifications rationnelles des propres comportements.
L’expérience chrétienne, et le Magistère de l’Église Catholique avec un sentiment de réalisme
dans la considération de l’homme – sujet à l’égoïsme et au péché – font appel à la lumière de la
Révélation, non seulement parce qu’elle est utile, mais aussi parce qu’elle est nécessaire de fait à
la compréhension du bien humain dans son ensemble, même là où les contenus de cette loi
morale sont en soi raisonnables et accessibles à la raison.
En d’autres termes, la loi naturelle se présente comme l’exigence profonde de tout l’être
humain de réaliser entièrement sa propre vie en harmonie avec la vie des autres, de réaliser
pleinement les valeurs, même quand celles-ci sont ardues et chargées de douleurs221.
220
Cf. A. Rodriguez Luno, Etica, op. cit., p. 213.
221
Thomas d’Aquin (saint), Summa theologiæ, 1a-2ae, q. 18-19; 2a-2ae, q. 10 a.3; 1a- 2ae, q. 772; Maritain, I diritti
dell’uomo...; id., Neuf leçons...; V. Possenti, La vita preconscia dello spirito nella filosofia della persona di J. Maritain, in Aa.Vv.,
Jacques Maritain oggi, Milan, 1983, pp. 228-242; S. Mosso, Il ruolo della connaturalità affettiva nella conoscenza morale secondo
Que la loi naturelle fasse partie d’une intuition «préconçue», et qu’elle soit en partie connue
tout naturellement et ensuite expliquée grâce à la réflexion, ne dispense pas de la tâche de devoir
en vérifier et expliquer les applications. Récemment au niveau international, ainsi que dans des
documents du Magistère de l’Église Catholique, on a formulé certaines instances évidentes et
dont il faut tenir compte au sujet de la loi naturelle par rapport aux «droits de l’homme» et plus
particulièrement après la fondation de l’Organisation des Nations Unies. Mais bien que ce fait
représente un pas d’une énorme importance éthique, les déterminations d’interprétation (voir le
cas des droits du nouveau- né) ne sont ni faciles, ni reconnues universellement222.
======================================
p160
L’éthique téléologique et l’éthique déontologique
L’exposé du paragraphe précédent sur les valeurs morales et sur la loi morale naturelle
constitue une base pour expliquer et comprendre certaines attitudes qui dominent l’éthique
moderne, caractérisée par une morale rationnelle du devoir, détachée de son contexte de sens:
décrochée donc d’une fin pour la vie, d’une vérité sur l’homme, d’une communauté qui la rend
évidente et persuasive223.
Il reste donc à éclaircir le présumé caractère inconciliable qui existe entre la morale
téléologique qui repose sur le concept de valeur et de la réalisation de la fin, et la morale
déontologique fondée principalement sur la réalisation de la norme en tant que telle. Selon nous,
l’une n’exclut ni ne substitue l’autre; les deux devraient plutôt s’intégrer de façon
complémentaire dans une vision de la valeur et de la norme. En d’autres termes, la norme trouve
sa finalité dans la réalisation d’une valeur humaine et, réciproquement, la valeur humaine a
besoin de la norme pour concrétiser l’agir individuel et social. En résumé, on devra conclure que
l’éthique déontologique et l’éthique téléologique doivent être intégrées et ne peuvent pas être
considérées comme deux façons univoques de réaliser la vie morale.
Mais arrêtons-nous brièvement sur ces deux façons de concevoir la morale224.
Par éthique téléologique, on entend une éthique dont l’orientation est de considérer la
réalisation des valeurs, le projet de soi, comme le devoir suprême de l’homme. Cette éthique
s’exprime comme une «tension vers» un «pas encore» qui attend d’être accompli. Cette tension
n’est certainement pas étrangère à la vie que l’on doit toujours comprendre comme un devoir vers
un accomplissement et un accomplissement d’humanité, mais on ne voit pas comment elle
pourrait faire abstraction d’une définition de l’homme, de la personne humaine et des valeurs
cohérentes avec cette vision, en d’autres termes, sans une définition de la nature et de la vérité de
l’homme. On ne voit pas non plus comment la réalisation d’un projet, à moins qu’on ne veuille le
J. Maritain, ibid., pp. 525-546; F. Viola, La conoscenza della legge naturale nel pensiero di J. Maritain, ibid., pp. 560-582;
Malherbe, Médecine, anthropologie et éthique.
222
Pour le Magistère ecclésial sur les droits de l’homme, voir Jean XXIII, Encyclique «Pacem in Terris», (11.4.1963),
in Tutte le encicliche dei Sommi Pontefici, Milan 1986, pp. 1645-1678; et le Concile Vatican II dans la Constitution pastorale
«Gaudium et Spes». Le Conseil européen est en train de recueillir les indications sur les énoncés internationaux des droits de
l’homme applicables au domaine médical dans le Manuel sur les droits de la personne et le médecin.
223
Melina L., Morale: tra crisi e rinnovamento, Milan, Ares, 1993, pp. 26 ss.
224
R. Spaeman a écrit un essai intéressant sur l’éthique déontologique et l’éthique théologique: La responsabilità
personale e il suo fondamento, in Aa. Vv., Etica teologica o etica deontologica? Un dibattito al centro della teologia morale odierna,
CRIS Documenti 49/50, Rome 1983.
réduire à un caractère prométhéen innovateur et dominateur, ne devrait pas se mesurer par rapport
au respect de cette vérité ontologique de l’homme même. Enfin, toute réalisation du projet devra
se traduire en actions concrètes et en comportements objectifs, représentés par les normes et la
déontologie.
Les théories éthiques classiques, comme celle d’Aristote et de St Thomas ont été largement
traitées dans l’historiographie philosophique comme des éthiques téléologiques parce qu’elles se
sont occupées
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p161
principalement du bien suprême ou du bonheur de l’homme. L’action humaine vue de
l’intérieur du sujet agent, et par conséquent de son dynamisme intentionnel intrinsèque, est
l’optique qui fait naître le sentiment du bonheur. En fait, on dit qu’il s’agit d’éthiques élaborées à
partir de la perspective de la première personne, et que, par la force des choses, elles portent
beaucoup d’attention au désir du bien humain complet. L’éthique de la première personne
suppose que la vérité de ce qui est bien pour l’homme existe et que l’on puisse l’atteindre225. Par
conséquent, ce type d’éthique est incompatible avec le relativisme et le scepticisme
gnoséologique et éthique. Le conséquentialisme et le proportionnalisme qui émergent dans le
contexte de l’éthique contemporaine, mais avec des racines classiques, ont été considérés de
façon erronée et impropre comme des éthiques téléologiques au même niveau que les théories
classiques, alors qu’en réalité, ils sont aux antipodes de l’éthique téléologique classique226.
À la base, la téléologie du conséquentialisme et du proportionnalisme soutient que le bien
suprême ou le bonheur agissent comme critères pour établir quelles sont les actions justes et
lesquelles sont erronées: tout d’abord on doit déterminer ce qu’est le bien ou la fin, le juste
n’étant rien d’autre que la maximisation du bien (éthique utilitariste de Stuart Mill). Du point de
vue concret du jugement moral, le conséquentialisme raisonne ainsi: les actes et les règles sont
toujours et fondamentalement évalués sur la base des conséquences, pour optimiser la réalité; de
cette manière, une nouvelle éthique se dessine, organisée comme une science normative pour la
production d’un bon état de choses. Cette façon de déterminer l’éthique n’a rien à voir avec
l’éthique téléologique pratique227.
On entend par éthique déontologique toute conception éthique comportant certains devoirs
catégoriques et certaines interdictions qui ont préséance totale sur toutes les autres
préoccupations morales et sur les considérations d’ordre finaliste et fonctionnaliste. Dans ce sens,
outre Kant, les libéraux actuels qui soutiennent la primauté du juste sur le bien, comme
Rawls228, sont des déontologues.
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p162
225
A. Rodriguez Luno, «Veritatis Splendor» un anno dopo. Appunti per un bilancio II, «Acta Philosophica», 1996, I, 5:
66. Dans cet article on présente une analyse exhaustive et approfondie des théories éthiques théologiques et déontologiques à
l’intérieur de «Veritatis Splendor».
226
Pour d’autres approfondissements au sujet de ce problème, nous renvoyons le lecteur à l’article cité ci-dessus: A.
Rodriguez Luno, «Veritatis Splendor»... L’auteur fait la distinction entre la théologie pratique (st Thomas, Maritain, Von Hildebrand)
et les théologies normatives (Stuart Mill) ou conséquentialisme et proportionnalisme.
227
Il y aurait beaucoup d’autres observations à faire à ce sujet, nous vous reportons à l’article de A. Rodriguez Luno,
ibid., pp. 61-69.
228
J. Rawls, Una teoria della giustizia, Milan, Feltrinelli, 1993.
L’éthique moderne et contemporaine abandonne le problème du bien ultime de l’homme et
centre son attention sur la détermination de l’action correcte ou erronée et sur la définition et
l’établissement des normes. C’est pourquoi elle est perçue comme une éthique élaborée à la
troisième personne, perdant ainsi de vue le dynamisme intentionnel propre de l’action morale en
tant que tel. La démarche est la suivante: Un Tel a réalisé l’action «x», cette action est permise ou
non, obligatoire ou moralement interdite? De la sorte, l’éthique devient une éthique des actes et
des normes plutôt que du bien et de la fin de l’homme.
La déontologie est une forme de justification par laquelle les premiers principes sont établis de
façon à ne présupposer aucun but ou fin ultime de l’homme, et aucune conception déterminée de
la fin ultime de l’homme: «le juste arrive avant le bien, non seulement parce que ses exigences
ont préséance, mais aussi parce que ses principes ont une origine indépendante»229; dans ce
sens, l’éthique de Kant représente le modèle classique d’éthique déontologique.
Toutes ces considérations nous permettent de conclure que dans l’éthique téléologique, telle
que la morale chrétienne, la fondation de ce qui est juste ou erroné n’est pas indépendante du bien
ultime, de même que la conception du bien n’est pas indépendante de ce qui est juste. Le fait que
la morale téléologique attribue une valeur absolue à certaines exigences éthiques ne signifie pas
qu’elle soit déontologique. Dans la perspective téléologique, la fin ultime est le centre de la vie
morale; la fin n’est pas un bien qui puisse être «maximisé» par les actions justes, il n’est pas non
plus possible de déduire quelles sont les actions justes à partir de l’idée de la fin. Les vertus
éthiques sont les principes de la raison pratique et le fondement des normes éthiques. Dans ce
sens, l’éthique téléologique est aussi déontologique, mais avec une base anthropologique et
ontologique qui fait naître la norme de ce qu’est le bien et la fin ultime de l’homme.
En conclusion, dans le cadre d’un discours éthique complet et équilibré, ces deux formes de
raisonnement ne doivent pas s’exclure l’une l’autre, mais au contraire, elles devraient se
compléter conformément à une vision globale de l’action humaine, toujours orientée vers la réalisation d’une fin. Et ce, à travers des moyens destinés à se réaliser en actes concrets, à leur tour
représentés par des valeurs et des normes déontologiques.
Il conviendrait donc de réaliser une «utilisation concertée»230 du jugement déontologique et
du jugement téléologique afin d’éviter, particulièrement en bioéthique, les risques reliés, d’une
part, au rigorisme moraliste – qui, en rendant la norme absolue, finit par se transformer en
pharisaïsme – et d’autre part, reliés à l’opportunisme, cherchant à
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p163
tirer le plus grand bien possible des conséquences des actions, sans pouvoir justifier de
manière adéquate la conception morale du «bien» au nom duquel on agit.
Quelques principes de la bioéthique personnaliste et leurs corollaires
Suite à cette introduction relative aux significations et aux contenus de l’éthique personnaliste,
nous pouvons maintenant énoncer et expliquer certains principes et certaines orientations de la
bioéthique concernant l’intervention de l’homme sur la vie humaine dans le domaine biomédical.
Nous verrons la portée de ces principes dans les études de cas que nous examinerons dans la
229
230
M. Sandel, Il liberalismo e i limiti della giustizia, Milan, Feltrinelli, 1994, pp. 12- 13.
C. Viafora, Fondamenti di bioetica, Milan, 1989.
partie du volume à ce propos, mais il semble opportun de donner dès maintenant une présentation
et une justification de principe.
La justification de ces principes provient de ce que nous avons exposé dans les chapitres
précédents; et il suffira donc de rappeler les raisons énoncées et les motivations adoptées, car les
applications aux différents cas de la biomédecine ou aux principaux moments éthiques reliés à la
pratique médicale seront mieux mis en évidence dans les chapitres suivants.
Le principe de la sauvegarde de la vie physique
Nous avons déjà vu comment la vie corporelle, physique de l’homme ne représente pas
quelque chose d’extrinsèque à la personne, mais bien la valeur fondamentale de la personne
même. Nous disons valeur «fondamentale» parce que nous devons comprendre que la vie
corporelle n’épuise pas toute la richesse de la personne, qui est aussi et avant tout esprit, et par
conséquent, comme tel, transcende le corps même et la temporalité. Toutefois, le corps et la
personne sont essentiels l’un à l’autre; le corps en est l’incarnation première, le fondement unique
dans lequel et par lequel la personne se réalise et entre dans le temps et dans l’espace, s’exprime
et se manifeste, construit et énonce les autres valeurs, y compris la liberté, le caractère social et
son propre projet futur.
Au-dessus de cette valeur «fondamentale», seul existe le bien total et spirituel de la personne,
qui pourrait demander le sacrifice de la vie corporelle, seulement quand ce bien spirituel et moral
ne pourrait plus être atteint qu’à travers le sacrifice de la vie, et, dans ce cas, puisqu’il s’agit de
bien spirituel et moral, il ne pourrait jamais être imposé par d’autres hommes, mais devrait être
un libre choix. Le martyr donne sa vie de façon légitime seulement quand il n’a pas d’autres
voies pour réaliser le bien moral de la personne et de la société; et dans ce cas par contre, celui
qui est responsable de cette situation est aussi responsable de la perte de cette vie. Enfin, dans le
cas du martyr,
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p164
ce n’est pas à proprement parler lui qui réalise la suppression de la vie, mais ce sont les
autres; il est seulement porté par sa fidélité au bien supérieur à s’exposer à un risque motivé.
Nous avons fait allusion à ce cas qui, à première vue, semble contredire le précepte moral de
l’inviolabilité de la vie humaine.
L’importance de ce principe ressort donc en vue de l’évaluation des divers types de
suppression de la vie humaine: l’homicide, le suicide, l’avortement, l’euthanasie, le génocide, la
guerre de conquête et ainsi de suite. Dans les chapitres suivants, nous examinerons certains de ces
cas qui sont du domaine de la biomédecine ainsi que leurs implications, mais il nous semblait
nécessaire de souligner dès maintenant à quel point le respect de la vie, tout comme sa
sauvegarde et sa promotion, représentent le principal impératif éthique de l’homme envers luimême et envers les autres. Il importe peut-être de souligner qu’il ne s’agit pas seulement du
respect, mais aussi de la sauvegarde active et de la promotion. Les chartes des droits
internationaux qui traitent des droits de la personne mettent au premier plan la vie et son
inviolabilité231.
231
La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme approuvée et proclamée par l’Assemblée des Nations Unies le 10
décembre 1948 affirme à l’art. 3: «Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne». La Convention de
Il faudrait peut-être rappeler qu’il n’est pas possible de penser à la suppression directe et
délibérée de la vie de quelqu’un (c’est un cas différent de celui cité plus haut où il s’agissait de
l’offre volontaire de soi au risque de perdre la vie pour le bien moral total de la personne même
ou de la communauté!) dans le but de favoriser la vie des autres, ou de meilleures conditions
politico-sociales des autres, parce que la personne est une totalité de valeurs et non une partie de
la société.
Sur la valeur et le caractère fondamentaux de la vie de l’homme, l’Église a exprimé dans des
documents officiels232 et a recueilli tout au long de sa tradition une doctrine riche et enrichie par
la vérité révélée que nous ne pouvons pas rappeler ici de manière adéquate et qui constitue
l’anthropologie théologique; cependant, il importe de souligner encore que l’obligation éthique
de respect, sauvegarde et promotion de la vie possède sa validité rationnelle et universelle.
Nous pourrions mentionner, à ce point-ci de la discussion, la valeur de la vie aux niveaux
inférieurs, la vie dans le règne végétal, la vie dans le règne animal, un thème sur lequel les
mouvements écologistes
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p165
sont très sensibles aujourd’hui. Nous devons reconnaître que même cette vie a sa valeur et que
l’équilibre des différentes formes de vie dans l’univers est relié à la santé et à la survie de
l’homme; par conséquent, nous avons le devoir de maintenir cet équilibre; il ne faut pas oublier
néanmoins que l’homme représente un niveau ontologiquement supérieur et transcendant le règne
de la vie des êtres inférieurs; et par conséquent, les plantes et les animaux peuvent et doivent, à
cause du lien biologique conforme à la nature, être utilisés par l’homme. Cependant, l’utilisation
ne signifie pas le pillage, la violence pour la violence, la dévastation et la mise en danger de
l’équilibre cosmique. On ne devra pas mettre l’accent sur la sauvegarde de la vie des plantes et
des animaux, comme il arrive parfois, jusqu’au point de demander une position supérieure à celle
que la société concède à la vie humaine, ou jusqu’au point d’empêcher l’emploi de la vie animale
pour l’expérimentation chimique et le progrès de la science.
Dans le cadre de la promotion de la vie humaine, apparaît le thème de la sauvegarde de la
santé de l’homme. Nous avons déjà développé les concepts relatifs à la définition de la santé. Ce
que nous devons ajouter maintenant à cette présentation des principes généraux peut se résumer
en deux affirmations cohérentes avec ce que nous avons dit un peu plus haut: le droit à la vie
précède le «droit à la santé»; par ailleurs, nous avons l’obligation morale de sauvegarder et de
promouvoir la santé de tous les êtres humains proportionnellement à leurs besoins.
La première affirmation semble évidente: on peut parler de santé seulement pour une personne
vivante et la santé est une qualité de la personne qui vit; mais le problème, comme nous le
savons, provient de certaines interprétations différentes et aujourd’hui troubles, quand, au nom de
la santé de quelqu’un, on risque et on supprime la vie d’autrui; un exemple de ce cas est la
légalisation de l’avortement thérapeutique, sur ordonnance médicale ou médico-sociale, où le
rapport santé-vie est bouleversé par ceux qui soutiennent que la vie peut être acceptée seulement
s’il y a une «qualité de vie» suffisante. Nous ne devons pas oublier que, dans le monde occidental
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales proclamée à Rome le 4 novembre 1950 par la Région Europe affirme
à l’art. 2: «le droit de chaque personne à la vie est protégé par la loi».
232
La Déclaration de la Ste-Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur L’avortement provoqué s’exprime de la
manière suivante au no 11: «Le premier droit d’une personne humaine est sa vie. Celle-ci a d’autres biens et certains sont plus
précieux, mais celui-là est fondamental, une condition de tous les autres. Ce n’est pas la reconnaissance de la part des autres qui
constitue ce droit; ce dernier exige d’être reconnu et il est strictement injuste de lui refuser».
aujourd’hui, on met l’accent sur la santé au sens hédoniste, de sorte que dans le bien-être
temporel, la santé est considérée comme le bien suprême, à un tel point que les sociétés se
retrouvent surchargées de dépenses toujours plus importantes reliées à la santé.
Dans cette conception, des risques apparaissent: tout d’abord le risque que le bien-être
économique produise par ses excès de nouvelles menaces à la santé (maladies du bien-être
comme la drogue, l’alcoolisme, l’abus de médicaments, les désordres de la vie sexuelle et de
l’alimentation); un autre risque est que cet excès de dépenses, pour le maintien de la santé
menacée, absorbe des forces économiques qui devraient servir à la prévention et au traitement de
maladies graves de nature organique: la défense à outrance de la santé de certains porte à
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p166
négliger la santé de millions de personnes dans les pays sous- développés et à marginaliser en
fait ceux qui sont le plus sans défense comme les handicapés, les personnes âgées, les malades
incurables, le fœtus que l’on refuse par peur qu’il soit une menace au bien-être des «bien
portants».
Voici donc l’autre exigence: que la santé, valeur subordonnée et conséquente de la vie, soit
promue pour tous de manière proportionnée à la nécessité de chacun. Il ne s’agit pas d’un «droit à
la santé» qu’aucun service de santé ne peut garantir mais d’un «droit aux moyens et aux
traitements indispensables» pour la sauvegarde et la promotion de la santé. L’Organisation
Mondiale de la Santé abonde dans le même sens: «Tout individu a droit à un train de vie suffisant
pour lui garantir la santé ainsi que son bien-être propre et celui de sa famille, particulièrement en
ce qui concerne l’alimentation, l’habillement, le logement, les traitements médicaux et les
services sociaux nécessaires; il a droit à l’assistance en cas de chômage, de maladie, d’invalidité,
de veuvage, de vieillesse et dans tous les cas de perte de moyens de subsistance à cause de
circonstances indépendantes de sa volonté»233. La même constitution de l’Organisation
Mondiale de la Santé souligne le critère d’égalité entre les divers peuples pour la sauvegarde de
la santé du simple citoyen: «Que chacun possède le meilleur état de santé possible constitue un
des droits fondamentaux de tous les hommes quelles que soient leur religion, leur race, leur
opinion politique – la santé de tous les peuples est la condition fondamentale pour la paix dans le
monde».
Ce que les documents internationaux ne disent pas, bien qu’il s’agisse d’un problème éthique
et existentiel de première importance, c’est que tout en assurant le droit à la promotion de la
santé, il faut aussi éduquer les individus pour qu’ils soient prêts à accepter la douleur inévitable et
la mort, à l’intérieur d’une vision personnaliste et transcendante de l’homme. Nous savons
aujourd’hui grâce à de nombreuses études, pas nécessairement de caractère théologique, que le
fait de ne pas accepter la douleur, le sacrifice et la mort, qui se présentent à l’horizon malgré tout
à cause des limites inhérentes à la vie humaine, provoque à son tour des problèmes à toute la
personnalité234 et dans le monde culturel même, particulièrement dans les pays les plus
développés économiquement. Nous reviendrons plus loin sur ce thème; il était seulement
important de mentionner ces implications relatives au principe de sauvegarde de la vie.
233
Constitution de l’Organisation Mondiale de la Santé, art. 25 (décembre 1948). On se souvient aussi de la Déclaration
de Alma Alta ou du document sur le développement sanitaire de la région africaine publié à Maputo le 24/9/1979.
234
E. Becker, Il rifiuto della morte, Rome, 1982.
La sauvegarde et la promotion de la vie ont comme limite la mort qui fait partie de la vie; et la
promotion de la santé a comme limite la maladie qui doit être traitée et guérie et de toute façon
abordée avec une attitude positive même si elle est incurable.
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p167
Le principe de la liberté et de la responsabilité
Nous avons déjà considéré la liberté-responsabilité comme source de l’acte éthique; nous
devons maintenant considérer certaines de ses répercussions dans le domaine de la bioéthique.
Sur le plan de la bioéthique, la première application que l’on peut faire est la suivante: le droit
à la sauvegarde de la vie se place au premier rang devant le droit à la liberté; en d’autres termes,
la liberté doit tout d’abord se tenir responsable de sa propre vie et de celle d’autrui. Cette
affirmation est justifiée par le fait que pour être libre, il faut être vivant; et par conséquent la vie
est la condition indispensable pour tous à l’exercice de la liberté.
Bien qu’évidente, cette affirmation présente aujourd’hui de nombreuses problématiques dans
le domaine de l’éthique médicale, au sujet par exemple du «droit à l’euthanasie»: on n’a pas le
droit de disposer, au nom de la liberté de choix, de la suppression de la vie; les traitements
obligatoires des maladies mentales ou le refus de traitement pour des motifs religieux, en sont
d’autres applications.
De façon plus générale, ce principe sanctionne l’obligation morale du patient de collaborer aux
traitements réguliers et nécessaires à la sauvegarde de la vie et de la santé propres et de celles
d’autrui (ce que l’on nomme «alliance thérapeutique» entre le médecin et le patient). Dans
certains cas, comme dans celui relatif aux patients qui refusent les traitements indispensables à la
vie et à la survie, quand le médecin en conscience juge qu’il est nécessaire de les imposer, le droit
devra régir la procédure pour les traitements obligatoires. Un cas typique est celui des parents qui
refusent d’alimenter un nouveau-né difforme, pratiquant ainsi l’euthanasie néonatale: l’abus de la
liberté de la part des parents par rapport à la vie du nouveau-né est évident.
Par ailleurs, le même principe de liberté-responsabilité du patient, s’il est délimité par le
principe de soutien de la vie qui est une valeur préalable et supérieure à la liberté et qui fait appel
à la liberté primordiale, ce principe de liberté-responsabilité, donc, limite à son tour la liberté et la
responsabilité du médecin, lequel ne peut pas transformer le traitement en contrainte dans tous les
autres cas où la vie n’est pas en question. C’est le problème du consentement du patient. Du
moment où un patient consulte un médecin ou une structure hospitalière pour que le médecin
fasse tout le nécessaire pour le traitement et le recouvrement de sa santé, le consentement est
implicite. Toutefois, ceci ne dispense pas le médecin du devoir d’informer le patient sur le
déroulement du traitement et de demander un autre consentement explicite chaque fois que
pourraient apparaître des imprévus: une cure qui comporte un risque ou un danger d’infirmité, un
traitement qui est expérimental par rapport à d’autres possibilités qui se sont avérées inefficaces,
l’essai d’un médicament. Il faut bien se souvenir que la vie et la santé sont confiées
prioritairement à la responsabilité du patient et
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que le médecin n’a pas sur le patient d’autres droits, supérieurs à ceux que le patient lui-même
a à son égard. Si le médecin considérait les demandes ou la volonté du patient inacceptables du
point de vue éthique, il peut, et doit même, distinguer les responsabilités de chacun, et inviter le
patient à réfléchir et à s’adresser à d’autres hôpitaux et à d’autres médecins. La conscience du
patient ne peut pas être violée par le médecin, mais celle du médecin ne peut pas non plus être
forcée par le patient: ils sont tous deux responsables de la vie et de la santé autant comme un bien
personnel que comme un bien social. De nombreuses ramifications de ce principe seront
éclaircies lors des études de cas235.
Le principe de la totalité ou le principe thérapeutique
Il s’agit d’un des principes de base caractéristique de l’éthique médicale. Il est fondé sur le fait
que le corps humain est un tout unitaire formé de parties distinctes et unies de manière organique
et hiérarchique par l’existence unique et personnelle.
Le principe de l’inviolabilité de la vie, que nous avons illustré comme étant le premier
principe fondamental, n’est pas démenti mais appliqué quand on doit, pour sauver le tout et la vie
même du sujet, agir de façon mutilante sur une partie de l’organisme. Au fond, ce principe régit
tout le caractère obligatoire et licite du traitement médical et chirurgical. Le chirurgien qui enlève
un appendice est justifié moralement, et même obligé, dans la mesure où cette intervention est
nécessaire pour la sauvegarde de l’organisme. C’est la raison pour laquelle ce principe s’appelle
aussi principe thérapeutique.
Ce même principe peut avoir des applications plus pertinentes lorsqu’il s’agit d’enlever une
tumeur, de pratiquer des interventions à risque et qui peuvent comporter des infirmités
importantes comme dans le cas de la stérilisation thérapeutique, suite par exemple à l’ablation
d’une tumeur à l’utérus. Dans ces cas, le dommage concomitant à une intervention directe
effectuée dans un autre but, permis ou obligatoire, est acceptable du point de vue éthique selon le
critère du «volontaire indirect».
Ce principe, qui semble simple dans sa formulation, présente parfois des questions morales
délicates que nous comprendrons mieux en examinant des problématiques particulières.
Tout d’abord, pour pouvoir être appliqué, ce principe exige certaines conditions: 1) qu’il
s’agisse d’une intervention sur la partie malade ou qui cause directement le mal, pour sauver
l’organisme sain; 2) qu’il
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n’y ait pas d’autres moyens ou méthodes pour remédier à la maladie; 3) que la possibilité de
réussite soit bonne et proportionnellement élevée; 4) que le patient ou l’ayant droit soit
consentant. Il est entendu que dans ces cas, ce qui est en question ce n’est pas tant la vie que
l’intégrité physique; mais même l’intégrité physique est un bien très important, inhérent au corps;
c’est donc une valeur personnelle qui peut être mise en danger ou mutilée seulement dans le but
d’atteindre un bien supérieur auquel il est lui-même lié236.
235
R. Limat, C. Josserand, B. Nicod, M. Ogier, Du soin à la contrainte. Quelques interrogations éthiques vécues par
l’infirmier(e) dans la pratique des soins, «Médecine et Hygiène», 1984, 42, pp. 1177-1182; G. Bonjean, J. Bouchard, P. Forestier,
N. Perrin, G. Piot, N. Léry, Le refus de soins. La dimension éthique du problème, ibid., pp. 1184-1190.
236
Häring, Liberi e fedeli..., III, p. 131; M. Zalba, v. Totalità (principio di), in Dizionario enciclopedico..., pp. 11411149; id., La portata del principio di totalità nella dottrina di Pio XI e Pio XII e la sua applicazione nei casi di violazioni sessuali,
«Rassegna di teologia», 1968, 9, pp. 225-237.
Le principe thérapeutique a des applications particulières non seulement dans les cas généraux
d’interventions chirurgicales, mais aussi dans les cas plus spécifiques comme la stérilisation
thérapeutique, la transplantation d’organes, la thérapie génétique.
Certains, même des théologiens, ont voulu étendre le concept de «totalité» au-delà de
l’organisme physique et du corps, englobant ainsi dans l’horizon du traitement la dimension
psychologique et le bien-être subjectif psychosocial de la personne ou, en fait, englobant dans le
concept de totalité l’ensemble des résultats finaux, sans égard aux moyens et aux modes
d’intervention: ce sont là des points encore brûlants dans les discussions d’éthique médicale.
À ce propos, nous pouvons rappeler le problème de la stérilisation contraceptive et de la
fécondation in vitro, ainsi que l’avortement thérapeutique. Dans ces cas, on ne peut pas appliquer
de façon licite le concept de totalité entendu au sens organique et au sens propre.
Nous verrons les différents arguments dans la partie de notre ouvrage qui s’y rapporte.
Comme nous l’avons mentionné, certains interprètent ce principe dans un sens organiste: on
peut léser une partie de l’organisme seulement si cela apporte un bienfait au même organisme au
sens physique. D’autres donnent une interprétation étendue, comprenant par totalité le bien-être
psychologique ou psychosocial, en faisant abstraction de l’organisme physique et de son
harmonie avec le bien spirituel. D’autres enfin, et nous croyons que leur interprétation doit être
considérée la meilleure, définissent la totalité en englobant la totalité physique, spirituelle et
morale de la personne, une totalité personnaliste donc, dans laquelle par contre le bien de
l’organisme physique est respecté.
Par conséquent, le corps ne doit pas être compris au sens exclusif (sans considération du reste),
mais au sens affirmatif et unitaire, considérant le bien corporel dans l’ensemble du bien spirituel
et moral de la personne. Ces précisions reviendront dans la discussion sur les problèmes de la
contraception et particulièrement de la stérilisation.
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p170
Il faut dire dès maintenant que le fait d’accepter les concepts de motivation psychologique et
psychosociale sans tenir compte aussi du bien de l’organisme physique pour justifier des
mutilations physiques, sans faire référence au bien total, moral et spirituel de la personne,
signifierait sortir des critères objectifs de référence et arriver à la manipulation arbitraire du
corps. On peut parvenir à justifier, par un raisonnement de type psychosocial, même les actions
violentes sur la personne comme la stérilisation forcée, l’euthanasie et l’avortement lui-même.
Enfin, à ce principe de la totalité ou principe thérapeutique, se rattache une dernière norme
d’application que l’on peut définir comme norme de la «proportionnalité du traitement».
En effet, cette norme implique qu’un traitement mis en œuvre soit évalué à l’intérieur de la
totalité de la personne et donc, qu’on exige une certaine proportion entre les risques et les
dommages qu’il comporte par rapport aux bénéfices qu’il procure. Le fait d’administrer des
traitements disproportionnés ou de tromper le patient en donnant l’impression d’être efficace, ou
de complaire à la demande du patient ou de la famille de «faire tout ce qui est possible» sans
résultats prévisibles, ou d’expérimenter subrepticement des traitements sans bénéfice pour le
patient ou sans qu’il le sache, peut représenter une démonstration d’agressivité ou d’acharnement
thérapeutique, comme nous aurons l’occasion de le préciser, par exemple, à propos de
l’assistance aux mourants ou aux malades incurables.
À ce principe de la totalité ou principe thérapeutique est relié le critère justificatif du
«volontaire indirect» qui se vérifie dans le cas de «l’action à double effet»: une positive et l’autre
négative du point de vue éthique. Nous parlerons de cette situation dans les pages suivantes.
Le principe de socialité et de subsidiarité
De même ce principe a d’abord été développé à l’interne de la théologie morale (comme du
reste le principe de la totalité que nous venons de voir), mais aujourd’hui, il est largement partagé
dans les directives internationales et au moment où l’on formule les programmes d’aide sanitaire.
En effet, on parle de plus en plus de socialisation de la médecine.
Il faut avant tout distinguer entre ce que représente le principe éthique de la socialité et ce
qu’est la formule organisationnelle et politique de la socialisation.
Le principe de la socialité entraîne chaque individu à se réaliser soi- même à travers sa propre
participation à la réalisation du bien de ses semblables. Dans le cas de la promotion de la vie et de
la santé, cela comporte que chaque citoyen s’engage à considérer sa propre vie et celle d’autrui
comme un bien non seulement personnel, mais aussi social, et engage la communauté à
promouvoir la vie et la santé de chacun, à promouvoir le bien commun en faisant la promotion du
bien individuel.
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p171
La personne est essentiellement ouverte à la société et la socialisation est une caractéristique
intrinsèque de la personnalité; et dans le cas de la vie et de la santé, biens primaires de la
personne, l’état de fait lui-même prouve que la vie et la santé de chacun dépendent aussi de l’aide
des autres. Il suffit de penser à la situation de la santé en termes de pollution et d’épidémies
contagieuses; il suffit d’observer l’ensemble des services que constitue l’aide sanitaire dans
laquelle le recouvrement de la santé est possible en autant qu’il existe une collaboration
multidisciplinaire des professionnels, des compétences et des interventions législatives, pour se
rendre compte de l’importance de ce principe éthique.
Le principe de socialité peut aller même jusqu’à justifier, comme nous le verrons, le don
d’organes et de tissus, qui comporte une certaine mutilation chez le donneur, peut stimuler la
volonté d’aide ainsi que faire apparaître des organismes d’aide (hôpitaux, maison de santé,
léproserie), comme il est survenu dans presque tout le monde, seulement en vertu du sentiment de
fraternité des bien portants envers les malades.
Mais en termes de justice sociale, le principe oblige la communauté à garantir à tous les
moyens pour avoir accès au traitement nécessaire, même au prix de sacrifices de la part des bien
portants.
Par contre, c’est à ce niveau que le principe de socialité s’unit à celui de subsidiarité237, par
lequel la communauté doit, d’une part, apporter davantage son aide là où la nécessité est plus
grande (soigner plus ceux qui ont le plus besoin de traitement et dépenser plus pour ceux qui
237
Le principe ou la doctrine de subsidiarité a été proposé par l’Encyclique «Quadragesimo anno» (15/5/1931) de Pie
XI, in Tutte le Encicliche..., pp. 912-955, repris par le Concile Vatican II, dans la Constitution pastorale «Gaudium et Spes», n. 31,
63, 65, pp. 825-827, 899-901, 903-905, et surtout, dans l’Encyclique de Jean XXIII, Mater et Magistra (15.5.1961), 40-44, in Tutte le
Encicliche..., pp. 1576- 1622, et Pacem in Terris, n. 74, pp. 1645-1678. Voir aussi Häring, Liberi e fedeli..., III, p. 351.
sont plus malades), et d’autre part, elle ne doit pas supplanter ou substituer les libres initiatives
des individus ou des groupes, mais bien en assurer le fonctionnement.
Ces principes sont tellement évidents qu’il semble tout à fait superflu de vouloir les rappeler
dans un cours de bioéthique; mais il faut aussi remarquer que la situation mondiale de la santé ne
nous permet pas de poser un jugement satisfaisant, si l’on pense au peu de moyens de traitement
et au manque de structures sanitaires dans les pays en voie de développement où les besoins sont
encore énormes. En outre, on reçoit de temps en temps des échos de pays développés selon lesquels l’État ne pouvant plus faire face à la masse des dépenses dans le domaine de la santé, il
faudrait dépenser en adoptant un principe économiste des coûts et des revenus, et, par
conséquent, on serait tenté de
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p172
destiner le plus gros des dépenses de la santé, non pas aux malades les plus graves, même
s’ils sont récupérables, mais aux citoyens qui ont encore une capacité productive. Face à
l’augmentation constante des dépenses dans le domaine de la santé, on devra peut-être demander
de plus grands sacrifices à ceux qui peuvent mieux les supporter, mais au nom du principe de
subsidiarité, on ne devra jamais nier le traitement pour aider le malade le plus grave ou le plus
souffrant.
C’est en fait sur cette voie que se faufile l’idée «d’euthanasie sociale», motivée par le choix
dramatique et funeste de la société au désavantage des malades incurables, des handicapés
graves et des malades mentaux238. À ce moment-là, la socialité deviendrait un contresens et sa
signification serait pervertie.
Par ailleurs, la socialisation de la médecine comme programme de politique de la santé est un
modèle d’organisation sanitaire différent de la médecine libérale et de la médecine collectiviste,
qui a comme objectif idéal d’offrir à tous, dans une mesure égale, les moyens gratuits de traitement et d’assistance sanitaire tout en promouvant le respect de la liberté des citoyens et leur
participation à la vie active. Il s’agit d’une modalité d’application du principe de socialité qui
met à la charge de l’État démocratique le coût de l’organisation des services de la santé, tout en
laissant le citoyen libre de choisir le médecin et la structure du traitement. C’est une intention
sûrement valable même si elle n’est pas exempte de risques de centralisme bureaucratique,
d’excès de dépense, de nivellement des normes d’assistance, sinon de politisation des organes de
direction de l’organisation sanitaire. Cependant, en ce qui concerne la situation de ce modèle
comme science, comme assistance et comme organisation sanitaire, on devra faire de plus vastes
considérations.
Les principes de la bioéthique nord-américaine
Dans la documentation relative au thème de la bioéthique, surtout celle de langue anglaise, on
trouve facilement des références à d’autres principes qui devraient guider le médecin dans son
rapport avec le patient et en général pour toute action ou choix dans le domaine biomédical.
Nous avons déjà mentionné dans le chapitre relatif au fondement éthique de la bioéthique que
dans le cadre du débat outre-Atlantique, un certain «principisme» s’est développé d’après la
238
A. Franchini, Le grandi scoperte della medicina, in Agazzi E. (sous la direction de), Storia delle scienze, II, Rome,
1984, p. 388; P. Rentchnick, Euthanasie: évolution du concept «d’euthanasie» au cours de ces cinquante dernières années,
«Médecine et Hygiène», 1984, 29 février, pp. 653-666.
théorie de T.L. Beauchamp et de J.F. Childress dans leur fameux volume Principles of
biomedical ethics, arrivé à la quatrième édition en 1994. Les
========================================
p173
auteurs y ont élaboré une sorte de «paradigme» éthique destiné à ceux qui travaillent dans le
domaine de la santé afin de fournir une référence pratique et conceptuelle qui puisse les orienter
dans des cas concrets, un abécédaire moral avec lequel ils pourraient justifier leurs propres
actions. Ce paradigme, auquel s’est rapportée la majeure partie de la documentation de langue
anglaise pendant plus de vingt ans, comporte la formulation des principes d’autonomie, de
bénéfice et de non- nuisance et de justice qui auraient dû être indépendants de toute théorie
éthique de fonds, à titre de langage commun pour la bioéthique pluraliste internationale; alors
qu’en fait ces principes étaient interprétés à la lumière de deux théories, l’utilitarisme et la
déontologie prima facie.
Si nous examinons de plus près le contexte à l’intérieur duquel le concept «principiste» s’est
développé, nous nous apercevons qu’il avait d’abord été proposé de façon limitée pour
l’expérimentation sur l’homme239. En effet, de 1974 à 1978, la National Commission for the
Protection of Human Subjects of Biomedical and Behavioural Research reçoit le mandat
spécifique du Congrès américain d’identifier certains principes éthiques généraux qui seront
ensuite diffusés à travers le document final The Belmont Report240. Le motif de ces principes
était clairement exprimé dans le document: surmonter les conflits éthiques que les normes
particulières posaient aux chercheurs au moment de l’application.
C’est ainsi que les principes suivants ont été proposés:
1) Le principe du respect des personnes engagées dans l’expérience, qui implique de les traiter
comme des sujets autonomes – où l’on entend par autonomie la capacité d’agir en toute
connaissance de cause et sans contraintes – et de les protéger quand leur autonomie est réduite,
voire même inexistante. Le corollaire immédiat de ce principe est l’obligation du consentement
informé du sujet ou de son représentant légal.
2) Le principe de bienfaisance dans les interventions expérimentales, c’est-à-dire de ne pas
causer de dommages, de minimiser les risques et de maximiser les avantages, en évaluant à
l’avance le rapport risques-bénéfice de toute expérience.
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p174
3) Le principe de justice dans la répartition des frais et des risques de l’expérience.
La Commission Belmont propose ces principes sans aucune prétention de les fonder sur une
théorie éthique, même si en réalité ils étaient ouvertement dérivés de normes déontologiques.
C’est en fait Beauchamp et Childress qui tentèrent de donner un fondement à ces principes
dans le volume déjà cité et publié la première fois en 1979. Les auteurs avaient deux objectifs:
239
Pour la reconstruction et les considérations qui suivent voir: A.G. Spagnolo, entrée: Bioetica (Fondamenti),
Dizionario di Teologia Pastorale Sanitaria, Ed. Camillianum, 1997; id., Principios de la bioética norteamericana y critica del
principlismo, Bioética y Ciencias de la Salud (Publication de la Sociedad Andaluza de Investigacio Bioética), en impression.
240
The National Commission for the protection of human subjects of biomedical and behavioural research, The Belmont
Report: Ethical Principles and Guidelines for the protection of Human Subjects of Research (April 18, 1979), US Government
Printing Office. On trouve dans Viafora, I principi della bioetica, Bioetica e Cultura, 1993, pp. 9-37, certaines considérations sur le
rapport Belmont et sur la signification des principes.
d’une part, élargir le modèle basé sur les principes du domaine de l’expérimentation à celui plus
vaste de toute l’aire biomédicale; d’autre part, proposer l’utilisation des principes à l’intérieur des
diverses théories éthiques, même celles opposées entre elles.
On peut résumer de la façon suivante les principaux points du «principisme»: 1) il n’y aurait
pas de normes intrinsèques à la pratique médicale qui puissent guider les décisions; 2) il y a
quatre principes fondamentaux (bienfaisance, non-malfaisance, autonomie et justice); 3) ces
principes doivent être appliqués aux situations concrètes pour la formulation des jugements
moraux particuliers.
Substantiellement, le jugement pratique ultime sur un cas particulier, pour prendre une
décision en ce qui concerne une action à accomplir, dérive de l’application de certaines règles
pratiques qui sont des généralisations sur ce qui doit ou ne doit pas être fait dans un contexte
particulier et pour une fin spécifique. Ces règles, à leur tour, proviennent des principes généraux
justifiés en ultime analyse par des théories éthiques qui servent à orienter les choix, surtout dans
le cas d’un conflit entre deux ou plusieurs principes. Ceci signifie que des théories radicalement
opposées sur le plan méthodologique ou théorique peuvent se rencontrer et arriver à un consensus
commun (overlapping consensus) sur des principes et des règles identiques et par conséquent, sur
les actions à recommander.
Cette simplicité méthodologique est l’une des principales raisons du succès du paradigme
«principiste» parce qu’elle donne la possibilité à tous, même à ceux qui ne sont pas experts,
d’avoir un schéma de base auquel confronter les divers problèmes éthiques rencontrés dans la
pratique médicale.
En outre, ces quatre principes réussissent à couvrir plusieurs domaines de la biomédecine. Le
principe du respect de l’autonomie a une importance de base par rapport à tous les autres
principes; il sert à fonder les considérations sur le consentement éclairé, sur la vérité au patient,
sur le refus de traitement, et il englobe un vaste champ sémantique (autodécision, droit à la
liberté, réserve, choix individuel), à un tel point qu’on a parlé d’une véritable théorie de
l’autonomie241. Ce principe, par contre, ne constitue qu’un principe prima facie, qui peut
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p175
se buter à une limite face aux principes de bienfaisance et de justice: si, en fait, le choix
autonome de l’individu menaçait la santé publique ou entraînait un coût économique élevé qu’il
ne pourrait pas soutenir, l’imputant à l’État, il serait alors justifié de limiter son autonomie. Il en
est de même pour les principes de bénéfice et de justice: le premier pouvant être limité, quand
éviter le mal et faire le bien sont reliés avec des obligations sociales de justice distributive; le
second qui est relié aux formules classiques suum cuique tribuere (rendre à chacun son dû) et
alterum non laedere (ne pas faire de tort à autrui), est en fait considéré par certains auteurs
comme dépourvu d’identité propre parce qu’il dérive parfois du principe de bienfaisance et
parfois du principe d’autonomie242.
Voyons maintenant comment les auteurs posent la question du conflit entre les principes et, en
amont, les théories – souvent opposées – qui les justifient.
Beauchamp et Childress proposent d’insérer les principes à l’intérieur d’une théorie éthique
composite qui permette à chaque principe de base d’avoir un certain poids, sans avoir par contre
priorité (on exclut donc toute hiérarchie objective des principes). Quel principe prédominera dans
241
242
Childress J.F., The place of autonomy in bioethics, Hastings Center Report, 1990, 20(1), pp. 12-17.
Engelhardt jr. H.T., The foundations of Bioethics, Oxford University Press, New York, 1986.
le cas d’un conflit? Cela dépendra du contexte particulier qui a toujours des caractéristiques
uniques.
Il est évident que le risque de tomber dans une éthique de la situation est très élevé, outre le
fait qu’il y ait une référence explicite à l’intuition présente dans l’équilibrage des valeurs, selon la
métaphore de W.D. Ross243. En effet, selon cet auteur, le poids des principes dans une situation
de conflit «monte et descend comme sur une échelle». Dans cette perspective, Ross distingue des
devoirs prima facie, c’est-à- dire des devoirs qui sont contraignants dans toutes les circonstances,
à moins qu’ils ne soient en conflit avec des devoirs semblables ou qui ont plus de force dans le
cas concret; et des devoirs actuels, c’est-à- dire des devoirs à assumer dans le cas concret et qui
sont déterminés par l’équilibrage des poids différents qu’ont, dans ce cas particulier, les devoirs
prima facie impliqués.
Beauchamp et Childress tirent donc de Ross cette distinction entre les principes qui se réfère
en fait à une théorie déontologique, anti- utilitariste: en effet, pour Ross le choix d’une action doit
dépendre du fait qu’elle réponde à un devoir qui, dans le cas concret, est jugé meilleur que les
autres (intuition) et qui devient donc obligatoire.
En outre, dans le cas d’un conflit entre les principes, Beauchamp et Childress parlent, en se
rapportant à l’équilibre, de l’évaluation des conséquences reliées aux décisions qui découlent
parfois de l’un, parfois d’un autre des principes (utilitarisme de la règle). Toute référence à des
critères objectifs pour évaluer les décisions possibles est exclue, et l’on propose par conséquent
un critère subjectif quand une seule personne est en cause, ou un consensus collectif quand
plusieurs personnes sont impliquées.
Ainsi, avec «la référence simultanée à une théorie à caractère déontologique (les devoirs prima
facie) et à une théorie à caractère téléologique (utilitarisme de la règle), Beauchamp et Childress
étaient convaincus d’avoir mis en œuvre une méthode adaptée à la solution de multiples
problèmes éthiques dans le domaine biomédical»244.
Il faut cependant remarquer que dans la dernière édition de leur volume (1994), les deux
auteurs reconnaissent qu’aujourd’hui, outre les deux théories énoncées, ont pris un relief
particulier diverses autres théories, comme celles fondées sur le caractère et sur la vertu, sur
l’expérience, sur la solidarité, marquant ainsi ce qui a été défini comme «le début de la fin du
principisme» même dans la bioéthique nord- américaine245.
De plus, bien que ce paradigme ait joui d’une diffusion importante surtout dans la région
anglo-américaine (mais même en Italie il a de nombreux adeptes), les observations critiques n’ont
pas manqué dans les publications.
Sans aucun doute, ces trois principes contiennent des éléments de validité et, en y regardant de
près, il pourrait y avoir une correspondance avec les principes que nous avons indiqués dans la
bioéthique personnaliste (respectivement le principe thérapeutique, le principe de libertéresponsabilité, le principe de subsidiarité). Mais, alors que ceux-ci nous semblent reliés entre eux
de façon cohérente par une anthropologie personnaliste fondatrice, qui fait référence en fait à un
bien intégral de la personne, tout comme il ressort de l’analyse de ses caractéristiques rendues
conformes à son essence, il en est autrement de ceux-là qui faillissent à la tâche de fournir un
éclaircissement sur ce que l’on doit entendre, par exemple, par bien de la personne ou par
autonomie de l’individu. En effet, le fait de ne pas se reporter à un cadre théorique unitaire fait en
243
244
245
Ross W.D., The foundations of Ethics, Clarendon Press, Oxford, 1939.
Viafora, I principi della bioetica, Bioetica e Cultura, 1993, 3, pp. 9-37.
Emanuel, The beginning of the end of principialism, Hastings Center Report, 1995, 25(4), pp. 37-38.
sorte que, suivant l’accent mis sur l’un ou sur l’autre principe, on arrive à des conclusions
différentes (relativisme).
Le rapport, entre le médecin et le patient, et entre le médecin et la société, ne peut pas avoir
une seule dimension horizontale et exhaustive: la référence ultime pour tous (médecin, patient,
société) doit se faire indépendamment d’eux; elle doit les transcender. Et, ainsi, seule la référence
à un bien objectif intégral peut éviter le risque d’aboutir au relativisme le plus absolu. Par
conséquent, ces principes sont trompeurs tant du point de vue théorique que pratique; étant
détachés d’une théorie éthi=======================================
p177
que unifiée, ils manquent d’une corrélation systématique et ils sont souvent en conflit entre
eux. En conséquence, leur supposée universalité246 n’est pas justifiée, du moment qu’ils
permettent seulement d’identifier une anthologie de cas concrets, ou plutôt une casuistique de
l’éthique qui limite par elle-même la connotation universelle des décisions.
De nombreux auteurs ont par la suite considéré l’excessive simplification de la méthode
comme une sorte de «formule magique»247. Quant aux principes particuliers, regardons par
exemple l’autonomie, elle présente le paradoxe d’être nulle si elle n’est pas réciproque. Il existe
en fait une réciprocité radicale de l’être humain pour qui l’autonomie entendue correctement est
liée à l’hétéronomie qui est son contraire dialectique et qui consiste dans l’exercice responsable
de la liberté. Ainsi, même pour le principe de bienfaisance, il n’y a aucune référence à ce que
signifie le «bien» de l’homme et, pour le principe de la justice, en quoi consiste le dû, à qui on le
doit et pourquoi.
De même au sujet de la subjectivité, pour résoudre le conflit entre les principes dans la
situation concrète, il convient de ne pas négliger l’élément objectif à côté du subjectif, du
moment où, à des fins d’autonomie morale, l’unité du sujet et de l’objet doit s’accomplir. En
outre, nous avons déjà vu combien la reconnaissance de l’objectivité morale est la condition
essentielle au fait que les principes moraux puissent avoir une universalité et une pleine
justification.
À travers les publications relatives au «principisme», il ressort d’autres points critiques que
nous énonçons brièvement.
Certains auteurs relèvent que les principes ne suffisent pas à expliquer l’expérience morale. La
richesse infinie de la vie morale ne peut pas être emprisonnée de façon rigide et schématique dans
des principes. Le paradigme «principiste» en mettant l’attention sur l’application des principes à
la pratique risque d’oublier l’expérience morale.
En outre, l’élaboration des principes tend à développer une attitude passive d’obéissance plutôt
qu’un comportement actif d’engagement moral. Il ne suffit pas d’appliquer quelques principes
dans une situation particulière, il faut que l’agent comprenne le sens moral intrinsèque de l’acte
qu’il accomplit.
En conclusion, formuler des principes sans fondement ontologique ou anthropologique rend
ces derniers stériles et confus. Il est nécessaire de mettre en œuvre une systématisation et une
246
Pour mettre en évidence les limites du modèle basé sur les principes, on a donné différents exemples
particulièrement significatifs; voir Gillon R., Philosophical medical ethics, John Wiley & Sons, Chichester, 1986.
247
Il y a déjà quelques années, une revue importante, le Journal of Medicine and Philosophy, avait développé à
l’intérieur d’une monographie certains arguments critiques intéressants sur le «principisme».
hiérarchisation afin d’harmoniser et d’unifier le signifié. Ceci peut survenir seulement si l’on
élabore les principes à nouveau et si on les définit à l’intérieur
=======================================
p178
d’une théorie éthique unifiée pour laquelle la personne humaine représente le critère ultime et
d’où découlent certains corollaires: le respect de la vie physique et de l’intégrité substantielle, le
respect de la liberté reliée à la responsabilité de la personne, la justification thérapeutique de
l’intervention médicale, l’interprétation du bien commun non comme le bien de la majorité mais
comme la somme du bien des individus. Un conflit éventuel entre les principes est en fait
seulement apparent et l’on peut le résoudre par leur harmonisation à l’intérieur de la théorie
éthique qui l’inspire. La référence à la personne dans sa globalité aide, en fait, à identifier une
hiérarchie entre les principes et donc à les harmoniser entre eux quand ils semblent en conflit.
Si nous relisions donc ces principes sous un angle hiérarchique (fondé sur l’ontologie), leur
validité, en plus de leur sens, referait surface. Du principe de bienfaisance, nous passerions au
principe d’autonomie et puis à celui de justice (dans le cas de l’apparition d’un conflit dans
l’application du principe précédent).
Le principe de bienfaisance serait placé au sommet, comme référence ultime, et répondrait
principalement à la fin primaire de la médecine, dans une vision naturaliste, qui est de faire la
promotion du bien, par rapport au patient ou à la société, et d’éviter le mal. C’est sans aucun
doute quelque chose de plus que le «primum non nocere» (d’abord ne pas faire de mal)
d’Hippocrate qui est aussi appelé «principe de non-malfaisance», car il ne comporte pas
seulement le fait de ne pas nuire, mais il implique surtout l’impératif de faire activement le bien
et de prévenir le mal. Le terme de bienfaisance est plus adéquat que celui de simple bienveillance
dans le sens où il souligne la demande de faire effectivement le bien et non simplement de
vouloir ou désirer le faire.
Le principe d’autonomie se rapporte au respect dû aux droits fondamentaux de l’homme y
compris celui d’autodétermination. Ce principe s’inspire de la maxime «ne fait pas aux autres ce
que tu ne voudrais pas que l’on te fasse» et il est donc à la base d’une moralité inspirée par le
respect mutuel. Sur ce principe, se basent surtout l’accord thérapeutique entre le médecin et le
patient et le consentement aux traitements diagnostiques et thérapeutiques; ce principe fait partie
intégrante de la bienfaisance et il est à son service. Naturellement, ce principe peut ne pas être
applicable pour les patients psychiatriques, par exemple dans le cas de démence ou de psychose
aiguë, ou dans les cas où un consentement ne peut pas être exprimé (patient dans le coma,
mineur, etc.). Dans ce cas, la référence serait alors le principe de bienfaisance ou même un
troisième principe, celui de la justice.
Le principe de justice se rapporte à l’obligation d’égalité de traitement et, en ce qui concerne
l’État, de distribution équitable des fonds pour la santé, la recherche, etc. Bien que cela ne
signifie pas de traiter tout le monde de la même façon, parce qu’il existe diverses situations
sociales et cliniques, le principe devrait comporter tout de même
========================================
p179
l’adhésion à certaines données objectives comme, par exemple, la valeur de la vie, et le
respect d’une proportionnalité des interventions.
Si, donc, nous reprenons le paradigme «principiste» dans le contexte de la priorité de la valeur
fondamentale du bien de la personne humaine, nous pouvons porter attention autant aux données
morales expérimentales qu’à l’intention de l’agent (l’action n’est pas une simple application
extrinsèque des principes, mais le comportement orienté vers la réalisation du bien propre et de
celui d’autrui). Les principes fournissent des indications générales de comportement, mais la
valeur éthique du bien de la personne comme fin ultime à atteindre est ce qui confère le sens
ultime de l’action248.
Les situations de conflit et les principes pour les résoudre
L’expérience éthique n’a rien à voir avec des données mathématiques. L’expérience morale se
rapporte à des situations historiques et subjectives: même dans les consciences les plus limpides
surgissent des conflits de jugement et des perplexités face à l’action.
On discute à savoir si cette possibilité de conflit est due à la conflictualité des valeurs ou plutôt
à des difficultés d’évaluation. La théologie catholique nie le fait que des conflits réels et
invincibles existent au niveau du principe parce que ce serait comme admettre une contradiction
en Dieu lui-même qui est à la fois auteur de la réalité et de la loi morale. Le conflit est donc dû
aux limites, aux imperfections et aux conditionnements de la conscience qui fait l’évaluation. La
théologie protestante voit, dans certains cas de conflits invincibles, un symptôme de l’état de
péché dans lequel se trouve l’humanité. Mais la discussion est théorique parce que dans la réalité,
des conflits de conscience et des perplexités graves surgissent même dans le cadre des décisions
médicales249.
La tradition théologique, en fait la problématique morale, a élaboré et discuté certains
principes secondaires avec lesquels ces situations de conflits peuvent être éclairées, et il y en a
deux: le principe du moindre mal et le principe du volontaire indirect. Nous aimerions rappeler
brièvement le sens approprié de ces principes.
a) Le moindre mal
La situation de conflit à cause de laquelle on se trouve devoir choisir entre deux maux – où,
par mal, on entend aussi l’omission – ne peut pas être généralisée, parce que nous n’avons pas
l’obligation d’accomplir
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p180
simultanément tous les devoirs, si bien que pour ne pas en omettre un, nous devons
absolument en omettre un autre irrécupérable. Heureusement, les situations de conflit sont rares,
mais elles existent. Il importe donc de trouver un principe de priorité ou de hiérarchie pour
clarifier les situations.
Avant tout se présente à nous une première distinction qui permet une ligne de préséance ou
de hiérarchie: c’est la distinction entre le mal physique et le mal moral.
Puisque le mal moral compromet le bien supérieur, spirituel et, en définitive, plus ou moins
consciemment, le rapport avec Dieu, s’il existe un conflit de choix dramatique entre un dommage
physique ou matériel et le dommage moral, c’est sans aucun doute le ou les biens matériels qui
doivent être sacrifiés. Les biens matériels ne sont pas seulement économiques mais aussi de type
social (harmonie avec les autres, le poste de travail). Perdre la vie physique même, face à l’impo248
Pour une critique du «principalisme» voir en plus de l’article cité de Clouser et Gert: Pellegrino, Thomasma, For the
patient’s good...; Palazzani, Bioetica dei principi...
249
Gunthor, Chiamata..., I, p. 437.
sition de commettre le mal moral, doit être considéré objectivement comme un sacrifice justifié
(martyr). Ceci ne correspond pas à un suicide parce que la faute retombe sur celui qui a créé ce
conflit250.
Quand il s’agit de deux maux moraux, on a l’obligation de les refuser tous les deux, parce que
le mal ne peut être un objet de choix et ce, même quand, en refusant celui qui se présente comme
moindre mal, on provoquerait un mal majeur. On donne comme exemple l’ordre donné à
quelqu’un de commettre un vol ou de falsifier des documents avec la menace, qu’autrement, des
violences sexuelles ou la mort d’autres personnes pourraient survenir. Avec toutes les
circonstances atténuantes que l’on peut considérer sur le plan subjectif, d’un point de vue objectif, le vol ne doit pas être commis parce qu’il est mauvais; et quand bien même, de ce refus,
découlerait une vengeance quelconque avec un mal moral plus grave, cela ne serait pas imputable
à qui a décidé de s’abstenir de commettre le mal.
L’exemple le plus accessible et le plus fréquent est représenté par le médecin de famille ou le
gynécologue qui se voit devant le dilemme posé par la patiente qui demande des contraceptifs
car, autrement, elle envisage l’avortement (mal majeur par rapport aux contraceptifs).
L’éventualité d’un avortement ne serait pas imputable au médecin, particulièrement quand celuici a informé la patiente que l’un ou l’autre choix est mauvais et qu’il existe des solutions pour
éviter les deux situations.
Il y a aussi l’éventualité de devoir choisir entre deux maux physiques, un moindre et l’autre
majeur (et par conséquent le subir). Il est évident que l’on peut et que l’on doit normalement
préférer un moindre mal physique autant pour les autres que pour soi-même. Mais il peut survenir
qu’un sujet choisisse librement un mal majeur en raison d’un motif raisonnable et proportionné
d’ordre supérieur. Par exemple,
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p181
un malade atteint d’une tumeur peut refuser les analgésiques et subir une douleur physique
majeure afin de conserver sa lucidité mentale et de converser avec ses parents ou afin d’avoir la
possibilité de donner un sens religieux à la souffrance. Cela n’enlève rien à la validité en général
des analgésiques251.
b) L’action à effet double (volontaire indirect)
De la même façon qu’une thérapie pharmacologique comporte des effets secondaires en plus
de l’effet thérapeutique recherché, il arrive souvent aussi, dans l’expérience morale, qu’une
action bonne et parfois même nécessaire soit reliée à des conséquences négatives prévisibles.
Le travail quotidien lui-même que chacun de nous fait avec fidélité et assiduité, par devoir,
peut comporter parfois des effets négatifs pour la santé. Il faudrait sortir du monde ou se
condamner à l’inertie pour éviter toute conséquence négative possible. Depuis longtemps, dans
les traités, les moralistes ont mis à jour certains principes pour dépasser le doute face à la
situation de l’action à double effet, l’un positif et l’autre négatif, pour éviter d’une part la
perplexité paralysante et d’autre part la machiavélique252 absence de scrupules.
250
Thomas d’Aquin (saint), Summa theologiæ, I, q. 48, a. 6.
251
Günthor, Chiamata..., I, pp. 435-440; E. Quarello, Male fisico e male morale nei conflitti di coscienza,
«Salesianum», 1972, 34, pp. 295-318.
252
Id., pp. 530-534; R. Frattallone, v. Persona e atto morale, in Compagnoni-Piana- Privitera, Nuovo dizionario...,
pp. 936-951; S. Privitera, v. Principi morali tradizionali, ibid., pp. 987-996.
Voici en résumé les orientations propres à cette situation. Accomplir une action (ou l’omettre
délibérément) est licite même quand ce choix comporte un effet négatif, dans les conditions
suivantes:
1) si l’intention de l’agent est informée par la finalité positive;
2) si l’effet direct de l’intervention est positif;
3) si l’effet positif est proportionnellement supérieur ou au moins équivalent à l’effet négatif;
4) si cette intervention complexe n’a pas d’autres remèdes exempts d’effets négatifs253.
Comme nous pouvons le constater, ces orientations découlent du principe que le mal ne peut
jamais être un objet de choix direct et que l’on ne peut jamais atteindre une fin bonne à travers
des mauvaises actions. Nous nous trouvons donc à l’intérieur de la morale qui se justifie tout
d’abord par l’objet direct de l’acte. Par conséquent, elle ne se situe ni dans la théorie de
l’intentionalisme ni dans celle du succès à tout prix.
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p182
Enfin, il faut souligner que lorsque nous parlons d’un effet négatif, il s’agit d’une conséquence
provoquée effectivement par d’autres facteurs non prévisibles ou, en tout cas, non reliés.
Par exemple, il s’agit d’une action à double effet lorsqu’un médecin opère un patient pour une
tumeur aux organes reliés à la procréation et provoque indirectement la stérilité (stérilisation
thérapeutique). Par contre, le fait qu’un médecin, qui entre dans la maison d’un patient par
nécessité ou pour une urgence, soit accusé sans motif de vol ou de relations immorales par des
personnes de mauvaise foi ou sans conscience ne fait pas partie du volontaire indirect ou de
l’action à effet double.
Un autre exemple pourrait être la sédation de la douleur aiguë chez un malade atteint d’une
tumeur osseuse, par l’administration de morphine qui peut entraîner l’effet négatif
d’accoutumance (demande de doses toujours plus élevées pour calmer la douleur) et la possibilité
d’abréger la vie et la résistance physique du sujet.
Évidemment, et cela ne requiert pas d’explications, lorsqu’une action négative peut être évitée
sans entraîner des dommages graves à la personne, et, par conséquent, lorsqu’on peut surmonter
ce lien avec l’effet négatif, il faut le faire sans hésitations.
Dans cet exposé, nous avons évité certaines notions des traités de théologie morale, destinées
surtout aux chercheurs et aux professionnels des sciences biomédicales, comme le concept
d’epicheia ou celui d’option fondamentale254.
======================================
p183
253
Pour une analyse des conditions qui rendent licite le fait de poser une action avec un effet double voir: Günthor,
Chiamata..., I, pp. 530-534, tiré du chapitre sur la «Bioéthique et l’avortement».
254
L’epicheia est un concept surtout juridique fondé sur l’hypothèse que face à un cas concret non prévu par la loi, si ce cas
avait été considéré par le législateur, il aurait été résolu dans une certaine direction. Cette hypothèse se base sur la ligne interrogative de la loi.
«L’option fondamentale» est un concept de la théologie morale plus récent selon lequel ce qu’il importe de relever et d’évaluer dans la vie
morale c’est la solidité de l’orientation de fond du fidèle envers Dieu. Seulement si cette orientation n’existait pas ou si elle était refusée,
serions-nous en état de réel «péché». Par contre, cette orientation peut coexister avec des actions pas toujours cohérentes avec cette opinion, si
elles ont été accomplies par fragilité ou du moins dans l’incertitude sans que cela détermine le refus de Dieu. En ce qui concerne l’option
fondamentale, la conscience, selon cette vision, devrait jouir d’une certaine liberté herméneutique face à des situations concrètes et ne pas se
laisser séduire par des normes rigides. Le risque de cette vision est de tomber dans l’autonomie entre les valeurs et les normes, entre la
théologie et la déontologie: l’action concrète, en réalité, est le fruit de la confirmation de l’option fondamentale et la norme ne devrait pas être
la gardienne et la garantie. Cependant, on ne doit pas nier l’efficacité pédagogique de l’option fondamentale comme orientation de la
personnalité et horizon global de la vie (K. Demmer, v. Opzione fondamentale, in Compagnoni-Piana-Privitera (sous la direction de), Nuovo
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p197
CHAPITRE SIX
Bioéthique et médecine
La complexité de la médecine et la convergence éthique
On utilise aujourd’hui en sciences expérimentales, y compris la physique, le terme
«complexité» pour indiquer les faits ou les interdépendances auxquels la donnée particulière, ou
plutôt comme on dit maintenant, l’événement particulier255 est mêlé.
La médecine, dans le contexte historique actuel, comprend divers domaines d’intérêt: la
recherche scientifique, à laquelle est relié le parcours de formation du futur médecin, le
développement technologique de soutien, l’organisation des services sociaux, l’assistance
proprement dite, personnifiée par le médecin et ses collaborateurs (infirmières et techniciens).
Si nous étudions maintenant le parcours historique de tout cet ensemble d’un point de vue
diachronique – étude qui appartient au domaine de l’histoire de la médecine – le discours s’élargit
et devient passionnant parce qu’il situe les étapes de l’évolution et du progrès à l’intérieur des
conceptions culturelles et des développements sociaux qui ont caractérisé l’histoire de l’Occident.
Cependant, ce que l’on appelle aujourd’hui la «médecine alternative»256 serait complètement
privée d’intérêt puisqu’elle a été ignorée et qu’elle est restée à l’extérieur de ce développement
historique.
Toutefois, dans le cadre de la bioéthique, il est possible et nécessaire de retrouver un lien, le
point d’intérêt commun entre ces différents domaines là où la problématique éthique converge,
même lorsqu’il apparaît sur l’un ou l’autre des versants que nous avons mentionnés: la
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p198
255
P. Quattrocchi, Etica, scienza, complessità, Milan, 1984.
256
Pour un tableau des différentes périodes historiques de la médecine, surtout dans l’angle de la science, voir les
chapitres qui touchent la médecine dans Agazzi (sous la direction de), Storia delle scienze. Voir aussi P. Lain Entralgo, Historia
Universal de la Medicina, 8 vol., Barcelone, 1970; G. Montalenti, Storia della biologia e della medicina, in N. Abbagnano (sous la
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science, le développement technologique, l’organisation des services, le rapport thérapeutique
d’assistance entre le médecin et le patient.
Nous croyons que ce point de convergence des diverses problématiques éthiques doit être
reconnu dans le moment professionnel d’assistance, c’est-à-dire dans le rapport entre le médecin
et le patient: en effet, autant la science que l’organisation technologique et sanitaire et que la
formation didactique ont eu, et ont toujours, comme but final et objectif ultime d’offrir au
malade, à travers le médecin et ses collaborateurs, un soutien en prévenant ou en traitant la
maladie ou en réhabilitant le patient ou en l’accompagnant dans le mourir.
Il est également utile, cependant, de souligner les diverses perspectives de la médecine et les
origines complexes des problématiques éthiques justement parce que le médecin, dans l’exercice
de sa profession, réassume l’itinéraire scientifique pédagogique et se situe dans les conditions
psychologiques et d’organisation sociale de l’assistance257.
Il faut dire tout d’abord que dans cette «complexité», nous considérons qu’il est plus
important, dans le cadre de ce manuel, de relever les lignes fondamentales de développement et
d’orientation de la médecine, sans nous arrêter aux moments particuliers qui ont mené à la
naissance des spécialités; c’est pourquoi nous ne ferons pas la reconstruction des événements
historiques, bien qu’ils soient révélateurs, pour nous concentrer sur la situation actuelle.
La médecine comme science et les instances éthiques
Le développement de la science de la médecine, particulièrement ces derniers temps, a marqué
une augmentation progressive et accélérée des domaines de recherche avec leurs méthodologies
cognitives respectives, au point où aujourd’hui, on devrait parler de sciences médicales au pluriel
plutôt que de médecine tout court.
Le progrès de la spécialisation a été très rapide particulièrement au cours des cinquante
dernières années, autant en ce qui concerne le nombre de nouveaux domaines qu’en ce qui
concerne les succès et les acquisitions.
Il faut ajouter que certaines nouvelles spécialités comme la génétique, la psychiatrie, la
radiologie, l’immunologie, etc., comportent des visions et des paramètres de lecture qui ne se
rapportent pas toujours facilement aux disciplines traditionnelles, c’est-à-dire l’anatomie,
l’anatomie pathologique, la physiologie, la pathologie médicale.
Ce fait bien connu de la subdivision progressive et de la superspécialisation du savoir médical
comporte des problèmes d’ordre épistémologico-didactique et même d’ordre éthique.
======================================
p199
Ce qui s’estompe surtout, c’est la vision globale, la conception holistique du patient et de son
histoire personnelle.
Par ailleurs, il est impossible de pratiquer la médecine de façon humaine sinon dans un sens
personnalisé. L’observation par laquelle on met plus l’accent sur la définition du «cas» que sur la
connaissance du sujet, même dans le langage médical («la cholécystite du lit no 9»), est le
symptôme d’une fragmentation du malade et du savoir médical.
257
P. Cattorini, «Terapia e parole. Il rapporto medico-paziente come nucleo essenziale della prassi medica», Medicina e
Morale, 4, 1985, pp. 781-799.
Dans l’enseignement de la discipline, il faudrait faire l’effort de repenser la didactique: la
thématisation des arguments considérés sous les différents angles scientifiques pourrait peut-être
aider à reconstituer l’unité.
On peut étudier le cœur du point de vue anatomique, physiologique, pathologique, etc., en
recueillant autour du thème les acquisitions des différentes spécialités. Mais tout cela ne suffirait
pas si les professeurs de chaque spécialité et les étudiants, qui du savoir partiel devront remonter
à la compréhension d’ensemble, ne tiennent pas compte des relations avec tout l’organisme et la
personne du patient, où les divers systèmes se touchent et forment une unité. Plus la spécialité et
la connaissance des détails est importante, plus difficile est le chemin qui mène à l’unité. En fait,
les instruments didactiques de synthèse sont aussi importants que ceux d’enquête et d’analyse
particulière.
Un fait pathologique comme l’infarctus peut être expliqué et doit l’être de façon mécanique,
tout comme on expliquerait les dommages causés à une pompe, mais il devra aussi être relié aux
conditions psycho-nerveuses et au stress éventuel auxquels le sujet est soumis dans
l’environnement: les données relatives au taux de triglycérides, de cholestérol, etc., sont
importantes, mais on ne pourra pas non plus négliger le régime alimentaire et les conditions du
sujet, ni la constitution de l’individu ou ses habitudes. La vision d’ensemble est essentielle pour
que la médecine ait un sens personnaliste et acceptable du point de vue éthique.
La superspécialisation entraîne aussi une autre difficulté: celle de pouvoir offrir un médecin
pour chaque malade qui puisse avoir un dialogue diagnostico-thérapeutique et assumer les
responsabilités conséquentes.
Pour chaque malade, il existe une série de spécialistes, à commencer par les analystes jusqu’au
médecin qui prescrit le traitement ou qui pratique l’intervention.
Dans ce cas, qui par ailleurs comporte de nombreux avantages, il est par contre difficile de
faire sentir au sujet qu’il est un sujet et non l’objet du diagnostic et du traitement. Le patient a de
la difficulté à se sentir comme l’acteur principal responsable et conscient de sa propre condition
(le sens de nombreuses investigations restera obscur), de sorte qu’il est porté à demander l’aide
d’un professionnel pour lui confier sa propre vie et sa propre santé.
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p200
Au cours du long parcours d’analyses chimiques et radiologiques, de consultations avec des
spécialistes, comme cela se passe dans les hôpitaux généraux, le patient peut facilement abdiquer
devant ses propres responsabilités. Dans ce cas, l’œuvre du médecin responsable, du médecin
généraliste ou du médecin de famille qui aide à lire les rapports, à faire la synthèse, et à travers le
dialogue – qui par conséquent devient plus engageant –, à redonner au patient la conscience de sa
propre condition et la capacité de prendre les décisions qui sont inévitables, est encore plus
nécessaire pour remédier à l’effritement de l’intériorité du patient.
En définitive, la super spécialisation a l’avantage d’augmenter le nombre des données, mais
elle demande une plus grande application pour faire la synthèse de l’objet de recherche (la
maladie), pour soutenir l’unité de conscience du patient et la dualité du rapport médecin- patient.
Il s’agit de facteurs qui ont une importance non seulement du point de vue épistémologique, mais
aussi éthique, du moment où l’éthique suppose une vérité du sens accompli – la situation est
celle- ci! – et qu’elle réclame la concordance entre le médecin et l’usager258.
258
Villa, Medicina oggi...
Mais la médecine, en tant que science, révèle aujourd’hui une autre situation plus grave,
offrant elle aussi des avantages, mais en même temps des risques, et qui découle en fait de ce que
nous avons exposé jusqu’à maintenant.
Il s’agit du «réductionnisme scientifique». Nous devons reprendre ce thème que nous avions
déjà abordé dans les chapitres précédents.
On peut considérer le réductionnisme comme une méthode scientifique et comme une
idéologie259. En tant que méthode scientifique, c’est le processus par lequel les faits et les
phénomènes complexes sont expliqués grâce à des éléments plus simples, si possible
élémentaires. Le modèle idéal de cette méthode est appliqué en physique où l’ensemble des
phénomènes de la nature sont expliqués en faisant appel aux entités ultimes (atomes, électrons,
noyaux, particules élémentaires...) régies par des lois et des relations mathématiques rigoureuses.
En ce qui concerne la biologie, la même méthode tend à expliquer avec des mécanismes
purement chimico-physiques, c’est-à-dire moléculaires, tout phénomène qui touche les sciences
de la vie. L’application du réductionnisme à la biologie a fait marquer des progrès énormes et
éclatants, particulièrement après la découverte de la structure de l’ADN (acide
désoxyribonucléique). Cette découverte, qui a éclairé le code génétique, a permis de réaliser une
réduction radicale:
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p201
le passage du patrimoine génétique, caractérisé par la structure de l’ADN, à l’explication de
tous les types de cellules des êtres vivants.
Ce parcours des trente dernières années comporte trois principaux centres d’intérêt: la
génétique moléculaire, l’explication de l’évolutionnisme selon la théorie moléculaire, et
finalement, l’explication du système nerveux des animaux et de l’homme. On trouve pour ces
étapes des noms et des œuvres qui ont marqué ces centres d’intérêt: Jacques Monod avec Le
hasard et la nécessité, François Jacob avec La logique du vivant et Jean-Pierre Changeux avec
l’œuvre L’Homme neuronal260. Ce dernier est un disciple de Monod lequel avait écrit dans le
dernier chapitre de son livre: «Rien ne s’oppose plus désormais sur le plan théorique, à ce que
les conduites de l’homme soient décrites en termes d’activité neuronale. Il est grand temps que
l’Homme Neuronal entre en scène» et il ajoutait «à quoi bon parler d’esprit?... l’homme n’a dès
lors plus rien à faire de «l’Esprit», il lui suffit d’être un Homme Neuronal»261. L’explication du
code génétique, l’explication de l’origine de la vie et de son évolution, l’explication de la pensée
représentent des grands pas du réductionnisme biologique actuel.
L’homme est ainsi «expliqué» telle une «combinaison» de type mécanique: c’est l’homme
machine. Nous ne devons pas nous étonner si, avec cette image de l’homme, la science actuelle
soit en train de travailler pour produire en laboratoire la vie, la conception et peut-être même la
grossesse, comme on produit une machine dans un atelier.
Mais cette réduction de la vie à des mécanismes biophysiques offre-t-elle une véritable
explication? Où se trouve la marge entre la «description» et «l’explication»? Si l’homme n’est
autre qu’une machine neuronale, quel concept «humain» peut-on tirer de la médecine, de la
259
B. Lamotte, «Le réductionnisme: méthode ou idéologie?», Lumière et Vie, 172, Lyon, 1985, pp. 5-19; H. Jonas,
«Technique, morale et génie génétique», Communio, IX?, Paris, 1984, pp. 45-65; L. Ruiz de la Pea, «Anthropologie et tentation
biologiste», pp. 66-80; E. Sgreccia, «Il riduzionismo biologico in Medicina», Medicina e Morale, 1, 1985, pp. 3-9.
260
Monod, Le hasard et la nécessité, Paris, 1970; F. Jacob, La logique du vivant. Une histoire de l’hérédité, Paris, 1970;
J.-P. Changeux, L’Homme neuronal, Paris, 1983.
261
Extrait de Lamotte, Le réductionnisme..., p. 9.
souffrance humaine et de la mort? Quelle frontière éthique peut-il exister entre l’homme et
l’homme, entre le médecin et le patient? Il n’est pas surprenant que Monod et Jacob soient les
deux premiers signataires du Manifeste sur l’euthanasie de 1974.
Nous savons que K. Popper a exprimé la principale critique de ces positions; il a résumé sa
pensée autour du «caractère incomplet de tout savoir scientifique» selon les principes de
vraisemblance et d’altérabilité (possibilité de réfutation) dans ces affirmations: les scientifiques
doivent être réductionnistes; ils doivent l’être seulement en ce qui concerne la méthode, mais il
n’existe pas d’arguments en faveur du réductionnisme philosophique262.
Comme nous le savons, Popper se base sur le fait que chaque théorie scientifique laisse des
marges non résolues, des résidus non intégrés dans le système explicatif, ceux-là mêmes qui
permettent de reformuler les théories, de les substituer par d’autres et d’entraîner le progrès
scientifique dans l’explication de l’univers qui est considérée comme un problème ouvert étant
donné le caractère incomplet propre à toute science263.
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p202
Il faut toutefois ajouter que, indépendamment de ce caractère incomplet que le scientifique ne
peut pas ne pas remarquer, la «description» des mécanismes élémentaires à l’origine des réalités
complexes n’est pas exhaustive, en fait elle requiert une «explication» en termes de sens, c’est-àdire de raison suffisante, de cause efficace d’abord et de cause finale enfin. Sans vouloir banaliser
ce thème très critique, il faut rester ferme sur un point: on ne peut pas «expliquer» une maison
construite en décrivant seulement les briques et le modèle selon lequel elles sont assemblées. Le
problème n’est plus simplement scientifico-descriptif, il devient par conséquent philosophique.
Cette distinction est valable aussi, et même plus, en ce qui concerne l’identification présumée de
cerveau-pensée où l’on ne peut pas expliquer les capacités opérationnelles de la pensée, comme
nous l’avons dit dans les chapitres précédents, par le fonctionnement neuronal; on doit plutôt
faire le rapport avec le caractère «immatériel» et «spirituel» de la source, soit l’esprit.
Il était nécessaire de faire cet «excursus» (digression) sur le réductionnisme afin de
comprendre et observer que la tentation réductionniste existe à l’interne de la médecine, non
seulement dans le moment scientifique et de recherche de base, mais aussi dans le moment de
l’application et de l’assistance portée au malade à chaque fois où le rapport médecin- patient
devient réductionniste en éliminant «l’esprit», la parole, le dialogue et la lecture
pluridimensionnelle et non simplement biologiste de la maladie, de la douleur, de la mort, du
traitement. Sans aucun doute, chacun de nous projette par ses actions l’image qu’il s’est faite de
son propre être et de l’être humain en général. Concevoir la vie et l’homme comme une machine
signifie faire en sorte que l’homme soit traité comme une machine.
La tentation technologique
Il est inutile d’expliquer combien les progrès de la médecine, particulièrement de Galilée à nos
jours, doivent à la technologie autant dans le domaine diagnostique qu’expérimental,
thérapeutique, médical et chirurgical. Certaines spécialités n’existeraient pas sans le support de
262
Les œuvres de K. Popper à ce sujet sont: La logica della scoperta scientifica, Turin, 1983; Conoscenza oggettiva. Un
punto du vista evoluzionistico, Rome, 1983; L’universo aperto. Un argomento per l’indeterminismo, II, Milan, 1984.
263
J. Ladrière, L’articulation du sens, Paris, 1970.
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p203
la technologie: qu’on pense à la microbiologie, la génétique, la radiologie, la médecine nucléaire, la
biochimie. Et maintenant s’annonce une nouvelle ère technologique – comme nous le verrons
plus loin – du moment où le moyen technique n’est plus conçu uniquement pour augmenter la
force physique, autant manuelle que sensorielle, mais pour développer l’esprit à travers les
applications informatiques. Il faut s’attendre à une aide révolutionnaire autant dans le domaine de
la recherche scientifique que dans celui de la gestion des soins au patient.
Cependant, même cette ressource comporte des risques et, par conséquent, elle requiert des
ajustements afin de la corriger et de l’intégrer.
Certains croient que l’utilisation de la technologie, en réduisant les délais pour le diagnostic et
en le rendant plus perspicace et sûr, permettrait au médecin d’avoir plus de temps à consacrer à la
relation avec le patient. L’expérience ne porte pas à l’optimisme à ce sujet, et on en a souligné le
motif de base264. Il ne faut pas non plus tomber dans un luddisme de refus émotif, ni oublier tout
ce que l’on doit à l’usage de la technologie pour les progrès de la médecine, mais on doit se
souvenir de ce qui est survenu dans l’évolution culturelle des peuples: l’invention d’un
instrument n’a pas modifié seulement les conditions d’exécution du travail, mais elle a fini par
«induire» une culture en réaction; elle a provoqué une mentalité et une culture différentes.
Il suffit de penser à ce qui est arrivé dans l’histoire de la civilisation après la découverte des
moyens pour travailler la terre et le sous-sol ou après l’invention de la machine: ce que nous
appelons aujourd’hui la civilisation agricole et la civilisation industrielle urbanisée ont connu
avec ces découvertes le début du changement de leurs valeurs et de leurs modes de vie. En
définitive, le moyen technique exprime un rapport, le rapport homme-nature, et en changeant le
moyen, les conditions pour changer le rapport apparaissent. La technologie crée un mouvement
circulaire: c’est l’homme qui produit le moyen technique, mais le moyen technique change
l’homme. Pour en revenir au domaine de la médecine, il est certain, par exemple, que l’utilisation
des moyens diagnostiques qui comportent des caractéristiques de reproduction, de normalisation,
d’établissement d’un taux définitoire, de mémorisation des données, implique une double
opération épistémologique: la sectorisation en fragments du diagnostic et la dépersonnalisation de
la maladie. La maladie possède une histoire, un environnement d’où elle surgit, un sujet dans
lequel elle vit, et elle s’exprime par des symboles autres que des «données». La conception du
diagnostic au sens holistique relationnel, en d’autres termes au sens personnel, peut en être
compromise.
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p204
En outre, se glisse dans le médecin une variation optique, objectiviste et froide au cours de
l’examen du patient qui le porte à croire qu’il sait tout avant même d’avoir parlé au patient ou de
l’avoir écouté.
On dit au malade «envoyez-moi les résultats d’analyse». C’est ainsi que l’utilisation des
moyens techniques, plutôt que d’augmenter le temps à la disposition du médecin pour dialoguer
264
S.J. Reiser, Medicine and reign of technology, Londres, 1978. Voir aussi le compte rendu signé par P. Cattorini dans
Medicina e Morale, 1, 1985, pp. 235-237; M. Timio, La storia tecnologica del guarire, Rome, 1990.
et écouter le patient, le réduit. En d’autres termes, la technologie peut devenir une mentalité et
une culture, et ainsi une sorte de «réductionnisme» sui generis en médecine.
On dénonce d’autres risques de caractère éthique dans ce secteur. Le premier est représenté
par la tentation accrue en ce qui concerne le pouvoir et le faire: le moyen permet «l’acharnement
thérapeutique», une tentative technique de manipuler le corps humain (voir la proposition de
substituer, par des transplantations, des organes expressifs de l’identité comme la tête, les
gonades...).
Enfin, il ne faut pas non plus se cacher le lien avec le problème économique du traitement et
ses évaluations: d’un côté, les entreprises de fabrication tendent à produire un équipement
toujours plus nouveau et parfait et à rendre les produits précédents obsolètes pour des fins de
profit; les dépenses publiques pour la santé augmentent de façon démesurée; là où les services de
santé sont socialisés, la lourdeur des dépenses incite à l’abandon pur et simple de certaines
catégories de patients devenus trop coûteux pour être assistés et soignés. Nous reviendrons sous
peu sur cet aspect de l’impact entre la médecine et le pouvoir économique.
Nous devons partager la conclusion que S.J. Reiser donne sur ce thème: «(le médecin) doit
considérer toutes les technologies avec un certain détachement, comme s’il s’agissait de simples
outils que l’on peut choisir quand on en a besoin pour un but spécifique»265. Nous aimerions
ajouter que plus l’emploi de ces moyens augmente et, parallèlement, s’affirme la mentalité qui en
accompagne l’usage, plus le rapport interpersonnel entre le médecin et le patient devrait s’intensifier et prendre plus d’importance, et ce, non seulement parce que, parfois, même les outils
peuvent se tromper, mais aussi parce que ceux-ci ne révèlent pas le fond de la maladie et encore
moins la profondeur humaine du malade.
L’impact sur la société
Ce thème n’a pas encore été traité clairement dans la documentation; seules les réactions des
journalistes et les tensions ressenties surtout dans les sociétés innovatrices dans le domaine de la
gestion des services de la santé ont été exprimées de façon plus explicite. Le pro=======================================
p205
blème concerne les idéologies présentes dans la société et qui se reflètent dans les lois, le
modèle de gestion offert dans les divers États relativement à la liberté du médecin et du citoyen,
les dynamiques économiques instaurées à l’intérieur des dépenses pour la santé et le calcul coûtbénéfice. Tous ces aspects se rencontrent dans la ligne de conduite éthique et déontologique du
médecin, charnière entre la société et le malade, entre les raisons d’État et les raisons du malade.
Nous pouvons dire, de prime abord, que le médecin est tiraillé entre deux appartenances:
l’appartenance au malade auquel il offre ses services et avec lequel il est lié par un contrat de
valeur morale et de pertinence juridique; et l’appartenance à la société organisée, qu’on appelle
aussi société de services, qui lui donne les responsabilités, confirmées par la loi qui le tient
responsable, qui établit les honoraires dans plusieurs pays et donc le considère comme un
fonctionnaire ou comme son représentant. Dans la mesure où les divergences entre la conscience
individuelle et la société organisée s’accroissent, le conflit relatif à la représentation augmente
tout comme le risque de la perte d’identité du rôle.
265
Reiser, La medicina..., p. 316.
Nous ne croyons pas qu’il existe dans notre pays une étude sociologique qui analyse, au
niveau de la conscience professionnelle des médecins, comment ce conflit est ressenti et quelles
sont les réactions que les changements ont provoquées dans la catégorie.
Nous nous limitons donc à relever les données et les problèmes de la manière qui nous semble
la plus fidèle et la plus évidente, tout en étant assez significative.
L’idéologisation de la médecine et des lois est le principal élément perturbateur du rôle de
médecin.
L’idéologie se représente comme un projet-programme qui, indépendamment de l’évaluation
du bien objectif et global de la personne, a pour but d’atteindre des résultats déterminés de
pouvoir. L’éthique et l’idéologie sont des termes antithétiques. L’idéologie se réfère à la volonté
de pouvoir et à l’efficacité du projet; l’éthique se rapporte à la personne avec son bien global et sa
vérité objective. Il suffit de citer Engels pour définir l’idéologie: «l’idéologie est un processus
que le soi-disant penseur acquiert certainement avec la conscience, mais avec une conscience
faussée»266. Selon cette conception, les composantes de l’idéologie prennent racine dans
l’intelligence qui agit «ou avec une conscience inefficace ou avec une conscience faussée, parce
que mal motivée, ou bien en altérant les vraies raisons de la motivation, ou enfin faussée parce
qu’elle est dominée par la pensée pure au détriment de l’être humain et social»267. Selon
Nietzsche, l’idéologie se base sur
=========================================
p206
le fait que «le critère de la vérité se trouve dans l’augmentation de la volonté de pouvoir»268.
Il existe aussi d’autres définitions de l’idéologie, mais les deux facteurs qui sont
caractéristiques de toutes les définitions sont: la volonté de réalisation d’un projet, et le projet qui
fait abstraction de la vérité ou prévaut sur elle par rapport à la demande. Dans la société, les
idéologies, qu’elles soient marxistes, bourgeoises ou nihilistes, survivent à l’intérieur des débats
culturels et politiques, et des partis. Ces derniers en sont aussi souvent les porteurs et les
médiateurs par rapport à la loi positive de l’État, où peuvent s’immiscer des prévarications
idéologiques.
Selon la définition thomiste, la loi positive est ordinato rationis ad bonum comune
promulgata269 (une ordonnance de la raison promulguée en vue du bien commun). La loi
présuppose donc la primauté de la raison, et par conséquent de la vérité, et elle a comme objectif
le bien commun. Mais nous avons eu l’expérience de lois idéologiques dans la période nazie, et il
en existe même dans les régions ayant des démocraties parlementaires. La législation sur
l’avortement est idéologique parce qu’elle définit avec mauvaise foi la vérité de l’humanité de
l’enfant à naître et qu’elle n’a pas pour objectif la défense de la vie de celui-ci. On a parlé aussi
de «médecine idéologique» par contraste avec celle d’Hippocrate, justement en ce qui concerne
l’instrumentalisation de la profession médicale conformément aux finalités idéologiques
légalisées ou non, mais présentes dans la société270.
Face à la prévarication de l’idéologie constatée dans la loi et par conséquent dans la
profession médicale, le médecin est obligé de mettre en œuvre la défense et l’objection de
conscience. Il s’agit là d’un juste devoir du médecin pour rester fidèle à son rapport avec le
service de l’homme en tant que tel, et à la vie humaine considérée comme une valeur en soi,
266
267
268
269
270
La définition est reportée dans l’œuvre de I. Mancini, Teologia, ideologia, utopia, Brescia, 1974, pp. 286-287.
Ibid., p. 286.
F. Nietzsche, La volontà du potere, Milan, 1927, Aforisma 534, p. 349.
Vanni Rovighi, Elementi du filosofia, III, pp. 235-246.
A. Fiori, «Medicina ippocratica, medicina ideologica, obiezione du coscienza», Medicina e Morale.1-2, 1977, p. 167.
supérieure même à la libre volonté du patient. Mais le fait que le médecin ait à recourir à cette
forme d’autodéfense indique l’existence d’un conflit entre la personne et la société légale, et
soumet le médecin à une pression qui souvent n’est pas seulement de caractère psychologique.
Pour cette raison, les codes de déontologies ont été formulés. Ils représentent un ensemble de
normes de comportement qui garantissent au citoyen que le médecin maintient une conscience
impartiale et inaltérable face aux pressions d’intérêts particuliers ou d’idéologies politiques.
Toutefois, les codes de déontologie, agissant à l’intérieur d’une société pluraliste et étant
formulés à leur tour par des personnes – les médecins – non exemptes d’influences idéologiques
et de courants culturels variés, comportent des clauses ou des formulations qui ne garan=========================================
p207
tissent pas toujours le respect irréprochable du bien commun et la défense de la vie humaine.
C’est pourquoi il persiste toujours une coupure, une dialectique ouverte entre les codes de
déontologie écrits et les valeurs éthiques. Les codes de déontologie médicale restent certainement, et représentent les limites de l’autonomie de la profession médicale face aux pressions
idéologiques et sociales, et ils expriment le droit de la catégorie médicale de rester au service
prioritaire du patient. Néanmoins, l’éthique, tout en étant présente dans ces formulations
normatives, reste une vision plus large, plus libre d’interférences législatives et elle conserve en
même temps une fonction de motivation justificative et de jugement critique, justement parce
qu’elle fait référence directe aux valeurs humaines271.
La rencontre entre la profession médicale et la société se fait aussi à un autre niveau, celui de
l’organisation des services. Il existe dans le monde trois modèles d’organisation sanitaire: le
modèle libéral, le modèle collectiviste, le modèle de la médecine sociale.
Le modèle libéral se base sur la libre entreprise du privé pour l’organisation des services
(hôpitaux, cliniques, etc.), sur le libre choix du médecin par la famille et le patient, sur la libre
négociation des tarifs, sur la surveillance de l’État en ce qui concerne les garanties de légalité et
d’autoévaluation. C’est le modèle suisse et de nombreux pays d’Amérique.
En ce qui concerne le modèle collectiviste, des pays de l’Est ou des régimes communistes, la
santé, tout comme l’éducation, est gérée par l’État qui organise et gère les services, nomme les
médecins selon les exigences du territoire. Le citoyen reçoit les services gratuitement, mais il ne
peut pas choisir le médecin ou l’hôpital; le médecin, quant à lui, est un fonctionnaire de l’État.
Le modèle «social», en vigueur par exemple en Angleterre et en Italie, est basé sur les
principes de gestion publique des services, de soins gratuits et égaux pour tous, de l’organisation
territoriale programmée des services, du respect de l’initiative privée – conventionnée ou
reconnue – et du libre choix du médecin.
Nous n’avons pas pour but d’analyser la loi créant le service sanitaire national en Italie (loi
o
n 833 du 23 décembre 1978)272, nous n’avons pas non plus l’intention de vérifier sa mise en
œuvre et ses ratés. Il faut cependant souligner que cette loi demeure une tentative importante
pour concilier les principes et les valeurs de la liberté individuelle et par ailleurs la socialisation
des services.
=====================================
p208
271
Voir le Codice italiano du Deontologia Medica de la Federazione Nazionale degli Ordini dei Medici Chirurghi e
degli Odontoiatri, Rome, 1955, qui commence par le serment des médecins.
272
Ziglioli R. (sous la direction de), Riforma sanitaria e comunità cristiana, Brezzo du Bedero, 1979.
Les réflexions suivantes représentent ce qui est pertinent à la réflexion générale que nous
sommes en train de faire et qui pose des problèmes éthiques.
Dans le modèle collectiviste, la liberté du médecin et la liberté du citoyen sont niées: dans le
problème de la santé, on considère donc seulement l’aspect du corps et de l’efficacité; ce n’est
pas le citoyen qui gère sa propre santé ou sa propre maladie avec l’aide du médecin, mais l’État
qui, au moyen du médecin fonctionnaire, gère les corps pour qu’ils soient efficaces.
Dans le modèle libéral, le caractère social et le principe d’égalité des services ne sont pas
toujours garantis: la personne qui a le plus besoin de soins pourrait aussi avoir le moins de
moyens pour se les procurer; l’hôpital et les organisations de services en général pourraient
devenir des entreprises de distribution de soins coûteux. Le médecin pourrait être pris au jeu du
profit privé, et s’il manquait de valeur ou d’éthique, il pourrait devenir l’instrument de ce qui
paie le plus, même à des fins non admissibles du point de vue éthique (stérilisation, avortement,
euthanasie sur demande).
Même à l’intérieur du modèle social, on peut rencontrer des déficiences avec des
répercussions d’ordre éthique: le médecin devient fondamentalement dépendant de la structure
publique (même si le libre exercice ne lui est pas interdit dans certaines conditions) et ainsi
l’expression de la bureaucratie de l’État; les services peuvent eux aussi être bureaucratisés et
parfois politisés.
Le risque de politiser les services – la gestion étant politique – et, par conséquent,
l’assujettissement des services aux partis politiques sont des obstacles auxquels fait face la
gestion sanitaire en Italie actuellement, obstacles que seule une forte conscience éthique, avec la
participation des médecins et des citoyens, ou la révision de la loi elle- même, pourraient
corriger ou éviter.
Mais la société influence la pratique de la médecine et conditionne la profession aussi sous un
autre aspect, celui du financement.
L’opposition entre l’éthique et l’économie est de plus en plus marquée. Tandis que l’idéologie
du bien-être considère la santé du citoyen comme le sommet du bien-être même, les dépenses
reliées à la santé augmentent toujours plus et les États, qui gèrent économiquement la santé,
supportent avec des difficultés croissantes l’augmentation de la dépense publique. On accuse le
secteur de la santé de provoquer des crises financières dans les États et l’on prépare donc des
remèdes. Parmi ceux-ci, certains proposent, au nom du principe de coût-bénéfice, d’éliminer les
dépenses qui ne sont pas productives dans le domaine de la santé; ces dépenses pourraient être
celles destinées à soigner les malades plus gravement atteints ou incurables. «L’acquisition de
moyens thérapeutiques complexes et capables d’empêcher l’homme de mourir à cause de
maladies considérées jusqu’à dernièrement mortelles ou même incurables, comporte un coût qui
en limite la propagation, de sorte que
=========================================
p209
la guérison et la vie ont atteint un prix tellement élevé que la société ne peut plus se permettre
de les supporter, et c’est pour cette raison que l’on pourrait dire avec amertume que, plus la
médecine progresse, plus il est difficile de soigner les malades. L’inévitable conflit entre société
et individu porte au moment tragique de devoir décider quels patients on doit laisser mourir; c’est
alors que se dessine le grave problème de la responsabilité sociale et individuelle du médecin. Je
suis convaincu que le concept de responsabilité individuelle ne peut pas être remplacé par celui
plus idéologique de responsabilité sociale; ainsi étant médecin, il sera à la fois médecin de
l’homme et médecin de la société»273. L’euthanasie «sociale», motivée par le manque de
moyens économiques, a trouvé des justifications. À ce sujet, la société devrait être soignée tout
autant que le malade afin d’adopter une politique marquée par le devoir d’aider qui a le plus
besoin de soins, après avoir modifié le critère économique de coût-bénéfice et l’avoir remplacé
par celui de la «proportionnalité des soins». Voilà un autre thème que nous devrons aborder de
façon spécifique.
En conclusion, nous voyons comment le problème de la double appartenance du médecin, au
malade et à la société, doit être résolu, en tenant compte du fait que la société elle-même doit être
au service de la personne et de la personne la plus dans le besoin; et par conséquent, le médecin,
qui représente l’expression du service de la société à la personne humaine, pourra devenir aussi
l’éducateur de la société, du moment où il conservera sa fidélité à la personne du patient.
La composante environnementale
Dans la définition des domaines de la Bioéthique que nous avons faite dans le premier chapitre
de ce volume, nous avons inclus les thèmes de l’environnement relativement à la vie et à la santé
de l’homme. En effet, personne ne peut nier que la médecine entretient des rapports étroits avec
l’étude des conditions sociales et environnementales du monde physique, comme les conditions
climatiques, la pollution de l’atmosphère, la présence de facteurs biologiques ou chimiques
pathogènes, l’équilibre des espèces animales et leur santé, les virus et les agents microbiologiques
provoqués par certaines conditions de vie.
Nous savons que les politiques et les choix en matière d’environnement ont paradoxalement
porté certains à penser qu’il fallait, pour éviter la pollution de l’atmosphère, arrêter la croissance
démographique car les hommes, ou plutôt les enfants, étaient les agents pollueurs.
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p210
C’est ainsi que ce qui avait toujours été considéré comme un problème d’éthique familiale est
devenu un problème de politique environnementale.
Tout cela est proposé à titre d’exemple de répercussions entre la bioéthique et l’éthique de
l’environnement.
Puisque l’environnement est constamment influencé par l’homme, par ses activités tecnicoindustrielles et par ses choix économiques, une éthique de l’environnement relative à l’équilibre
de la biosphère et de l’écosystème s’impose.
En outre, les premiers bioéthiciens comme Potter ou Jonas étaient très conscients274 de la
composante environnementale de la Bioéthique.
Selon nous, dans ce domaine, l’éthique se divise en deux niveaux: le premier, à caractère
philosophique général, consiste à définir l’anthropologie de référence; le second consiste à
identifier les problèmes bioéthiques particuliers qui sont la responsabilité de la société et de la
médecine dans le domaine écologico-environnemental.
273
Franchini, Le grandi scoperte della medicina, in Agazzi (sous la direction de), Storia delle scienze, p. 388. Dans le
deuxième volume de ce livre, nous consacrons un chapitre sur le thème du rapport entre économie, société et gestion. Sgreccia,
Manuale du Bioetica, II (2e éd. de 1996), pp. 491-523.
274
Dans le deuxième volume de ce livre, nous avons consacré un chapitre à la Bioéthique dans le domaine du travail,
une section sûrement pertinente à la Bioéthique de l’environnement. Voir Sgreccia, Manuale du Bioetica, II (2e éd. de 1996), pp. 297322.
L’éthique environnementale de premier niveau qui se fonde sur l’anthropologie est en train
d’élaborer une réflexion sur l’anthropocentrisme ou le biocentrisme.
En effet, il faut tout d’abord établir si l’équilibre de la biosphère doit se faire en ayant comme
pôle de référence l’homme et la promotion et la défense de ses conditions de vie et de santé
(anthropocentrisme) ou plutôt si l’on doit considérer l’homme comme un animal- homme, une
des espèces, et avoir comme pôle de référence le vitalisme global de la biosphère.
Ceux qui adoptent cette dernière position affirment en définitive que l’éthique de
l’environnement doit être une éthique en soi et non représenter simplement une partie ou un
chapitre de la Bioéthique.
Par souci de cohérence, nous nous prononçons en faveur de l’anthropocentrisme et de la
primauté de l’homme, ce qui ne signifie pas que l’homme doive se révéler un patron despotique
de la biosphère, mais bien un administrateur responsable de la création et de la vie pour le bien de
l’homme et des générations futures, avec le plus grand respect de la biosphère compatible avec le
bien de l’homme.
La relation médecin-patient
Le pivot de la problématique éthique en médecine ressort toujours plus clairement: la relation
médecin-patient entendue comme l’expression de la fidélité subordonnée du médecin aux valeurs
absolues de la
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p211
personne humaine et comme la valorisation et la réévaluation constante de cette relation.
C’est ce qui donne un point de vue personnaliste à la médecine.
Sur ce thème, nous devons maintenant approfondir quelques réflexions afin de préciser la
nature du rapport éthique, les exigences et les moments culminants où il s’exprime, et afin de
définir les caractéristiques fondamentales de l’acte médical et du consentement du patient à celuici. Il importe de nous reporter à ce que nous avons exposé au paragraphe précédent afin de définir
l’entité et la qualité du rapport moral entre le médecin et le patient.
Nature de la relation médecin-patient
La vie et, par conséquent, la santé sont des biens confiés à la personne: chacun de nous a le
droit et le devoir de conserver ces biens de manière responsable; en d’autres termes, le patient est
responsable de sa vie et de sa santé, mais il n’en a pas la faculté morale arbitraire de gestion; il a
au contraire le devoir de préserver sa propre vie et de promouvoir sa propre santé.
Le médecin est le professionnel appelé, choisi délibérément et accepté par le patient (ou, du
moins, convoqué par la famille ou offert par la société) pour l’aider à prévenir la maladie ou la
soigner, ou réhabiliter ses forces ou ses capacités; le médecin agit comme une personne qui offre
des services spécialisés (main-d’œuvre spécialisée).
Par conséquent, le patient est toujours l’agent principal (en cas d’empêchement, la fonction
active passe aux membres de la famille ou aux représentants légaux) pour la gestion de sa santé.
L’acte médical et le contrôle médical deviennent ainsi un rapport de synergie.
Le malade (ou son mandaté) qui a pris conscience de son état de santé et de ses limites, qui
reconnaît ne pas être compétent dans le domaine de la maladie qui le menace ou qui diminue son
autonomie, prend l’initiative, dans le but de récupérer ou de prévenir les dommages à son
autonomie, de se tourner vers quelqu’un d’autre, un médecin qui, par sa préparation et par son
expérience de la profession médicale, est capable de l’aider. Le malade reste l’acteur principal
dans la gestion de la santé275. Le médecin qui accepte de l’aider est lui aussi un acteur, non pas
dans le sens d’accomplir une action sur un sujet, mais au sens de collaborer avec le sujet principal
dans un but déterminé. Le fait que de nombreux malades soient passifs et que de nombreux
médecins agissent comme s’ils étaient les uniques acteurs ne traduit pas la nature exacte de la
relation.
Ceci ne signifie pas que le malade peut demander n’importe quelle action au médecin ni qu’il
puisse usurper les propres compétences du
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p212
médecin lui-même. La conscience et la compétence du médecin restent intègres, et les deux
parties conservent l’obligation d’agir de façon éthique. Si le patient, acteur et principal
responsable, mais non patron de sa propre vie ni de la conscience du médecin, demande des soins
illicites (par exemple l’euthanasie), le médecin peut et doit refuser de l’aider, de la même façon
qu’il devrait refuser si en toute conscience il ne se sentait pas prêt à intervenir avec des
traitements qui, selon sa compétence, n’étaient pas appropriés ou sans risques. Il s’agit en fait
d’un pacte entre deux personnes dont l’une est la principale responsable de l’initiative et l’autre a
plus de compétence pour résoudre le problème; c’est un pacte ou un contrat qui peut être révoqué
si l’une des parties considérait que l’autre n’était plus en état de poursuivre l’action
thérapeutique.
La «Carta degli Operatori Sanitari» (la Charte des travailleurs de la santé) précise la nature
particulière de la relation interpersonnelle dans les activités reliées à la santé: il s’agit «d’une
rencontre entre une confiance et une conscience. La confiance d’un homme marqué par la
souffrance et la maladie, et par conséquent dans le besoin, qui se confie à la conscience d’un
autre homme qui peut se charger de son besoin et qui va à sa rencontre pour l’aider, le soigner, le
guérir»276.
J.F. Malherbe a appliqué à l’acte médical les catégories de l’action formulées par Aristote, les
quatre causes propres de toute action de changement: la cause matérielle, la cause formelle, la
cause efficiente, la cause finale277.
Dans le cas de l’acte médical, la cause matérielle est représentée par le patient qui s’offre au
médecin; par conséquent, la cause matérielle est hétéronome par rapport au médecin. La cause
formelle est le paramètre de normalité auquel l’acte médical se reporte, et même ce paramètre,
bien qu’il soit difficile à déterminer, est hétéronome par rapport au médecin. Au niveau de la
cause efficiente, l’autonomie du médecin s’exerce davantage, même si elle n’est jamais absolue
et solitaire ni en ce qui concerne le patient qui est appelé à collaborer, ni en ce qui concerne les
autres opérateurs des services de santé (pharmacien, chercheur, spécialiste, infirmière, etc.). La
cause finale représente la guérison ou la prévention de la maladie; et cet objectif est une obligation autant pour le patient que pour le médecin.
Donc, une fois l’acte médical analysé, avec ses composantes dynamiques et son réseau de
collaboration, il reste toutefois la responsabilité prioritaire et générale du patient et celle
275
276
2, 1995.
277
Malherbe, Médecine, anthropologie et éthique..., p. 11.
Pontificio Consiglio della Pastorale per gli Operatori Sanitari, Carta degli Operatori Sanitari, Città del Vaticano, no
Malherbe, Médecine, anthropologie et éthique..., pp. 10-11.
sectorielle et spécialisée du médecin, qui est subsidiaire même si elle revêt sa propre responsabilité autonome.
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p213
Il faut cependant ajouter une dernière réflexion au discours éthique sur l’acte médical, elle
concerne surtout l’ampleur des valeurs que l’attention du médecin devra considérer dans son
rapport avec le patient. En nous reportant à ce qu’a précisé de façon très opportune
P. Cattorini278, nous devons dire que la rencontre thérapeutique a un caractère de progression
vers des niveaux toujours plus élevés et toujours plus riches. Le premier niveau est
principalement objectif et corporel: le médecin observe l’organe malade ou le dérèglement
physiologique qui empêche la vie organique d’être normale; à ce premier niveau, le médecin
«restreint» son objectif et «réduit» son regard à l’objet particulier. À partir de ce premier niveau,
l’attention se porte sur l’intégralité somatique dans laquelle s’inscrit le siège particulier de la
maladie: c’est l’attention holistique qui permet de «comprendre» l’élément particulier dans la
synthèse organique. Vient ensuite le regard diachronique et historique de l’anamnèse du sujet: le
fait particulier de la maladie, ainsi que l’organisme au complet ont une histoire et c’est dans cette
histoire que se situe la genèse, l’étiopathogénèse de la maladie. À l’étape suivante, le médecin se
tourne vers la science proprement dite pour recueillir les éléments de son savoir et évaluer, grâce
à eux, les symptômes et les données objectives. Ces données sont élaborées dans l’esprit du
médecin afin de formuler un jugement. Celui-ci, si le temps le permet, devra être communiqué au
patient, justement parce qu’il n’est pas un objet mais bien un sujet, le sujet prioritaire du soutien à
la vie et à la santé. C’est à cette étape que le regard s’élève et s’amplifie afin d’englober la
psychologie du malade: la maladie est une chose, mais la façon dont elle est vécue selon les états
émotifs, psychologiques et spirituels, parfois inconscients et parfois verbalisés, en est une autre.
C’est ainsi que se forme la relation interpersonnelle qui fait communiquer deux existences libres,
et qu’émerge l’importance du dialogue entre le patient et le médecin: le dialogue qui a une valeur
informative, thérapeutique et décisionnelle. Un dialogue qui met deux consciences en présence
d’un bien qui les transcende: la vie et la personne avec ses valeurs. Pour la foi chrétienne, c’est
aussi un lieu de rencontre avec le Christ, Dieu fait homme: «dans la mesure où vous l’avez fait à
l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait» (Mt 25, 40) et dans
ce sens, le dialogue devient plus large et passe du domaine de la «santé» à celui du «salut», sans
rien perdre de l’objectivité scientifique et de la prégnance humaine de l’acte thérapeutique.
En ce qui concerne les objectifs du dialogue entre le médecin et le patient, nous nous limitons
à rappeler, sans vouloir entrer dans un exposé de principes et de détails méthodologiques279,
qu’il devra poursuivre les
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p214
objectifs suivants afin d’être complet d’un point de vue éthique: l’objectif informatif,
l’objectif thérapeutique, l’objectif décisionnel. Le discours pourrait être approfondi pour chacun
de ces objectifs du dialogue, mais nous y reviendrons au moment où la question se posera dans
les cas particuliers.
278
279
Cattorini, Terapia e parola...
C. Iandolo, L’approccio umano al malato, Rome, 1979; id., Parlare col malato, Rome, 1983.
Il suffit de se rappeler que le dialogue informatif doit être entendu dans un sens interpersonnel
et dans les deux sens; qu’il comporte l’obligation du secret et aussi la difficile tâche d’informer le
patient quant aux véritables conditions de sa santé, son aggravation ou le caractère irrémédiable
de la maladie. Ce sont tous des aspects importants d’un point de vue éthique et qui font que le
dialogue devient un moment chargé de valeurs et de responsabilité. Il ne faut pas négliger la
préparation, autant technique que psychologique, dont a besoin le médecin pour ce dialogue: les
techniques du dialogue sont des guides utiles pour sa validité; la maturité éthique du médecin est
nécessaire pour que ce dernier, devant la réalité de la maladie, de la mort, de l’éventuel échec, ne
soit pas aux prises avec des dynamiques psychologiques qui pourraient provoquer des
mécanismes de défense, comme la fuite ou l’agressivité, qui blessent et marquent souvent autant
le malade que le médecin. La préparation psychologique est donc pour le médecin une nécessité
inhérente à l’exercice de sa profession; sans que cela remplace l’intervention d’un psychologue
pour un malade qui a besoin de psychothérapie.
Le dialogue est thérapeutique dans son ensemble quand il s’inscrit dans un processus de
traitement, mais nous voulons souligner par là l’efficacité thérapeutique qu’offre le dialogue
lorsqu’il est à la fois écoute et parole, face à la composante psychologique présente dans toute
maladie et particulièrement dans certaines formes de troubles d’origine nerveuse280.
Le dialogue se fait plus dense et plus riche de signification éthique lorsqu’il entre dans sa phase
décisionnelle, laquelle doit toujours être consciente du droit primordial du patient sur sa propre
santé. C’est dans ce cadre que se pose le problème du consentement informé, implicite ou
présumé, selon les situations que nous verrons dans les chapitres de bioéthique particulière face
aux nouveaux traitements (transplantations, expérimentation,...). L’exigence de consentement que
nous traiterons bientôt, ainsi que le respect de ce que nous définissons comme les «droits du
malade» sont des exigences dont nous devons tenir compte tout au long du traitement.
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p215
La base de l’acte médical
La relation entre le médecin et le patient a toujours été de nature extrêmement complexe car
autant le diagnostic que le traitement dépendent beaucoup de facteurs subjectifs. Toutefois,
depuis les origines de la médecine jusqu’au début de notre siècle, ce rapport n’a soulevé
qu’exceptionnellement de réels problèmes, et ce, seulement lorsque le médecin s’en tenait moins
aux règles du jeu ou quand le malade, pour une raison ou pour une autre, perdait l’estime ou la
confiance en qui le soignait.
Par contre, au début du siècle, la situation s’est renversée et le caractère conflictuel de la
relation médecin-patient représentait la norme à tel point que l’on parlait de la relation
«tourmentée» entre le médecin et le patient281.
Il serait intéressant d’approfondir la relation médecin-patient du point de vue historique, mais
nous vous renvoyons à d’autres auteurs282 car notre but est de le considérer sous l’angle éthique,
c’est-à-dire du point de vue des valeurs et des principes éthiques qui justifient la conduite de deux
280
V. Frankl, Ärztliche Seelsorge. Grundlagen der Logotherapie und der Existenzanalyse, Vienne, 1979; Häring, Liberi
e fedeli..., III, pp. 77-86.
281
Shorter E., La tormentata storia del rapporto medico-paziente, Milan, Feltrinelli, 1986.
282
En plus du volume indiqué à la note précédente, voir Entralgo P.L., Il medico e il paziente, Milan, Il Saggiatore,
1969.
sujets moraux, le médecin et le patient. Nous ne pouvons pas néanmoins ne pas rappeler le fait
que dans l’éthique médicale d’Hippocrate, la relation médecin-patient est basée sur le modèle de
la bienfaisance283: le médecin avait l’obligation fondamentale de soulager le patient de la
maladie, de la souffrance et de l’injustice, en se proposant de réaliser le bien du patient. Au nom
de ce bien, le médecin poursuivait souvent son objectif avec autorité, et il avait comme responsabilité principale de prendre toutes les décisions dans le meilleur intérêt du patient; mais on
pouvait facilement tomber dans ce qui a été appelé, avec une connotation négative, le
paternalisme médical. Dans ce modèle, par exemple, le médecin pouvait moduler l’information
au patient afin de le convaincre, et éventuellement le contraindre à «faire son propre bien» même
au prix de sacrifices que le malade n’était pas prêt à affronter sur le moment. Dans le meilleur
intérêt du patient, on pouvait en outre justifier dans certains cas de ne pas divulguer des
informations, de manipuler la vérité, d’intervenir sans le plein consentement.
Comme le rappelle justement Gracia284, dans l’Antiquité, la figure du médecin et ses
décisions ont un caractère sacré et sans appel. Le Serment d’Hippocrate ne parle pas de
consentement même si, dans le
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p216
Corpus, on trouve des passages qui recommandent au médecin de donner ses dispositions au
patient avec calme, précision et détails, certainement pas pour être autorisé à prescrire mais plutôt
pour faire accepter ces mêmes dispositions.
Cette doctrine est restée inchangée dans la médecine médiévale et dans la médecine moderne
jusqu’au milieu du vingtième siècle, et une grande partie des codes de déontologie s’en inspirent.
L’époque moderne se définit au contraire par l’affirmation du principe d’autonomie que les
codes de déontologie incorporent graduellement. En effet, dès la moitié du vingtième siècle,
l’éthique médicale et les politiques en matière de santé ont été marquées par une profonde
transformation. Certains événements d’ordre médico-légal et juridique, ainsi qu’une tendance à
affirmer certains droits civils (droit à la santé et à l’information, droit de ne pas être soumis à des
expériences sans le consentement, etc.) revendiqués par des mouvements sociaux et des groupes
d’opinion, firent que l’éthique médicale prit un nouveau virage, et le terme «bioéthique» fit son
apparition, terme qui élargissait les domaines de réflexion en les étendant à tout le règne du
«bios» (vivant). La suprématie historique de l’obligation à la bienfaisance commença alors à être
confrontée avec une éthique centrée sur le patient, mettant l’accent sur son autonomie. Pour le
modèle de l’autonomie, un acte médical devient positif pas vraiment parce qu’il réalise le bien du
patient mais plutôt parce qu’il dérive de son libre choix. Le seul sens de l’information ici est de
permettre au patient de faire son choix, même si celui-ci pouvait ne pas être raisonnable par
rapport à sa propre condition clinique.
Il faut souligner que, déjà dans l’œuvre fondamentale de Sir Thomas Percival Medical Ethics
(1803), on commençait à parler de l’obligation d’informer les amis du patient du pronostic, et le
patient seulement «si c’est strictement nécessaire».
Par la suite, les principes de l’American Medical Association (Principles of Ethics, 1912)
conseillaient au médecin de faciliter la compréhension chez le patient des bénéfices qui pouvaient
dériver de leur capacité professionnelle.
283
Beauchamp T.L., «The promise of the beneficience model for medical ethics», J. Contemporary Health Law Policy,
1990, 6:145-155.
284
Gracia, Fundamentos di Bioetica, op. cit.
Cette orientation fut ensuite élargie par le Conseil de la même association (1969) afin
d’obliger le médecin à obtenir le consentement du patient chaque fois qu’un nouveau médicament
était utilisé.
Entre-temps, le code de Nuremberg et celui d’Helsinki étaient publiés. Ils recommandaient le
consentement éclairé dans le domaine de l’expérimentation, tandis que déjà aux É.-U., une loi de
1957 prescrivait le consentement éclairé.
L’acte médical s’appuie alors sur une autre base: le consentement du patient. Le médecin peut
intervenir avec le consentement éclairé du patient, mais jamais à l’encontre.
Mais peut-on dire que le consentement éclairé constitue, du point de vue éthique, la seule base
qui justifie l’acte médical? En fait, s’il est vrai qu’ordinairement l’acte médical doive avoir le
consentement du
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p217
patient, il est aussi vrai que ce consentement a des limites, soit parce que le patient n’a pas la
capacité de consentement, soit parce qu’il a des obligations envers sa propre vie et sa propre
santé, et soit parce que la société a le devoir de protéger la vie et la santé des citoyens, ce qui est
aussi une obligation du médecin.
Au sujet de la société, il faut ajouter que le troisième élément de base de l’acte médical, même
s’il est extrinsèque, est l’aspect juridique. La profession médicale est reconnue et qualifiée
juridiquement et elle ne peut pas être exercée de façon valable sans cette reconnaissance même si
l’acte tendait intentionnellement au bien du patient et s’il avait son consentement.
Par ailleurs, la société, et pour elle l’autorité compétente, estime que la vie et la santé sont un
bien social, et elle considère sa défense comme un devoir sanctionné en outre dans la
Constitution et dans les lois.
Par conséquent, d’un point de vue éthique, on doit considérer les composantes ou motivations
suivantes à la base de l’acte médical: a) le bien du patient, comme élément objectif et final; b) le
consentement du patient et du médecin lui-même, comme élément subjectif; c) la reconnaissance
juridique comme composante sociale et garantie de légitimité, éthiquement exigée.
Le discours sur les bases juridiques et les diverses théories qui l’accompagnent, est différent
mais complémentaire et nous vous reportons, à ce sujet, à des publications spécifiques285.
Les modèles de la relation médecin-patient
Les deux modèles opposés de relation médecin-patient, soulignés par la réflexion éthique des
vingt dernières années, ont blâmé et probablement trop simplifié ce moment d’interaction
spéciale que représente la rencontre de deux subjectivités, celle du médecin et celle du patient,
tous deux ayant des droits à faire valoir et des devoirs à respecter. Plus récemment, certains
auteurs286 ont jugé que l’opposition rigide des deux modèles pouvait mieux s’articuler en quatre
modèles en tenant compte de certaines caractéristiques: des différents objectifs attribués à la
relation médecin-patient, des obligations du médecin à l’égard du patient, du rôle que jouent les
valeurs du patient, et enfin, du sens que l’on donne au concept d’autonomie du patient.
285
Voir à ce propos: G. Iadecola, Consenso del paziente e trattamento medico- chirurgico, Padoue, 1989.
286
Emanuel E.J., Emanuel L.L., «Four models of the physician-patient relationship», Journal of American Medical
Association, 267(16), 1992, pp. 2221-2226.
Le premier modèle qu’ils décrivent est le modèle paternaliste, aussi appelé parental ou
sacerdotal. C’est l’instauration de la relation avec le médecin qui assure au patient de recevoir
toutes les interventions qui
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p218
préservent le mieux sa santé et son bien-être. Il est du ressort du médecin d’identifier toutes
les interventions diagnostiques et thérapeutiques qui peuvent mieux le servir pour atteindre le but
et, au moment opportun, de présenter les informations sélectionnées au patient afin d’obtenir son
consentement. Dans des circonstances extrêmes, le médecin informe le patient, de façon
autoritaire, du début des interventions. Ce modèle suppose l’existence de moyens objectifs pour
déterminer ce qui est mieux pour le patient, avec la conséquence que le médecin peut décider
avec une participation minime de sa part. En pratique, le médecin représente le tuteur du patient
et ses choix prévalent sur l’autonomie même de ce dernier.
Il est évident qu’un tel modèle ne peut valoir que dans des situations d’urgence: ceci ne
pourrait absolument être considéré comme le modèle idéal dans toutes les autres situations
normales de l’activité diagnostique et thérapeutique.
Le deuxième modèle décrit par ces auteurs est l’informatif, aussi appelé scientifique ou de
l’usager: l’interaction avec le patient sert au médecin à lui fournir toutes les informations
relatives au diagnostic, au traitement et aux risques de chacun d’eux; par la suite, avec le consentement fondamental du patient, le médecin pratiquera les interventions sélectionnées qui auront
été requises. Dans ce modèle, on suppose que les faits sont strictement distincts des valeurs en ce
qui concerne le traitement diagnostico-thérapeutique; par conséquent, en supposant que les
valeurs du patient sont bien définies, il ne lui manque que de connaître les faits et le médecin a
donc l’obligation de lui fournir toutes les informations nécessaires pour qu’il puisse choisir un
traitement plutôt qu’un autre. Les valeurs du médecin ainsi que ce qu’il pense des valeurs du
patient ne comptent pas. En tant qu’expert technique, le médecin a l’obligation de fournir les
renseignements les plus complets, de se tenir à jour, de consulter d’autres experts lorsque cela est
nécessaire. L’autonomie du patient exerce donc un contrôle étroit du processus décisionnel du
médecin.
De plus, avec les dimensions actuelles hautement technologiques de la pratique
professionnelle, le patient est toujours plus porté à privilégier les aspects de la qualité technique
de l’intervention, et pour cette raison, l’aspect contractuel du rapport du patient avec le médecin
fournisseur de travail spécialisé, s’accentue. Très souvent, cela se fait au détriment des conditions
qui favorisaient par le passé le rapport thérapeutique basé sur la confiance. Dans ce modèle, l’acte
médical se conclut par la simple exécution – adéquate sur le plan technico-scientifique – des
demandes exprimées par le patient, avec, comme seule limite, l’acte qui va à l’encontre de la
conscience de chaque professionnel de la santé. Face au médecin, personne dont il faut se méfier
en ce qui concerne le respect du contrat, le malade peut exiger ou recevoir des informations, non
pas pour décider de son propre comportement devant la maladie, mais pour stipuler des contrats
d’assurance sûrs, de même que le médecin peut donner
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p219
de l’information superflue afin de se mettre à l’abri des conséquences juridiques possibles de
ses interventions.
Aussi ce modèle comporte des limites évidentes. Tout d’abord, le fait que le médecin se limite
à accroître la compétence du patient pour prendre une décision l’exclut non seulement de la
possibilité d’essayer de comprendre à fond les valeurs qui poussent le patient à demander une
certaine intervention, mais surtout de la recherche du comment la maladie est confrontée à ces
valeurs. En outre, la peur d’imposer ses propres convictions empêche le médecin de fournir au
patient des conseils, chose que ce dernier demande souvent. Par ailleurs, l’obligation de rester
rigoureusement dans son propre domaine de spécialisation et compétence rend le rapport avec le
médecin impersonnel et déshumanisant. Enfin, dans ce modèle informatif, c’est le concept même
d’autonomie qui ne tient pas du point de vue philosophique. En effet, ce concept présuppose qu’il
existe dans l’individu des connaissances et des valeurs immuables, alors que l’on sait que la
réflexion permet à l’homme de réviser ses propres désirs et ses propres préférences; et cette
réflexion se base sur un processus décisionnel où l’intervention d’autres personnes peut s’avérer
une aide précieuse.
Le troisième modèle décrit est l’interprétatif. La relation médecin- patient a pour rôle d’aider à
réfléchir sur les valeurs et à donner un sens à ses propres choix. En plus de donner des
informations sur les risques et sur les avantages, le médecin aide le patient à raisonner sur ses
valeurs et à choisir les interventions qui réalisent le mieux des valeurs spécifiques. Le patient n’a
donc pas de valeurs prédéterminées et fixes; et le sens de son autonomie est représenté par
l’autocompréhension toujours plus claire grâce à l’aide du médecin-conseiller. Ce modèle est très
intéressant en soi, mais encore ici, on ne peut pas ne pas noter certaines limites, la première de
toutes étant le fait que la mince préparation du médecin en tant que conseiller l’empêche de
remplir pleinement ce rôle. Par ailleurs, selon certains, si l’intervention du médecin est trop
directive, elle risque d’influencer le patient, presque de le persuader, limitant ainsi sa capacité de
jugement.
Enfin dans le quatrième modèle, le délibératif, le médecin doit agir comme un maître ou un
grand frère par rapport au patient, en l’informant des aspects cliniques et des valeurs qui sont en
jeu pour chaque intervention. C’est un véritable parcours moral que le médecin et le patient
doivent entreprendre pour arriver à la décision, parcours au long duquel le médecin joue un rôle
très actif pour indiquer au patient ce qu’il devrait faire, quelle méthodologie utiliser pour arriver à
la décision. L’autonomie du patient est représentée par la possibilité de pouvoir procéder dans
cette autoréalisation morale à laquelle on arrive après avoir examiné les différentes valeurs en
conflit ainsi que leur impact dans le traitement qui doit être effectué. La principale critique faite à
ce modèle concerne le fait que le médecin ne possède pas une connaissance privilégiée des
priorités des différentes valeurs. En outre,
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p220
dans une société pluraliste où émergent des valeurs incommensurables, on ne pourrait pas
accepter que le médecin propose au patient une méthodologie pour résoudre un conflit entre les
valeurs, en utilisant sa propre échelle de priorités. Sans compter, de plus, que le patient va chez le
médecin pour recevoir de l’aide pour sa maladie, et non pas pour entrer dans un débat moral ou
pour réviser ses propres valeurs. En définitive, même ce modèle, tout comme l’interprétatif, peut
cacher sans le vouloir des dangers de paternalisme.
Malgré les limites de ce dernier modèle, les auteurs qui l’ont défini considèrent – et nous
partageons cette position – qu’il devrait être privilégié, en fournissant quelques justifications.
Tout d’abord, le concept d’une réflexion guidée méthodologiquement sur les décisions à prendre
représente l’expression idéale de l’autonomie du patient, une autonomie ne pouvant pas se
targuer d’être complète et correcte seulement parce qu’elle peut choisir de façon arbitraire, ou
qu’elle est en état de conditionner la décision du médecin. Vient ensuite l’image idéale que notre
société se fait du médecin, qui ne se limite pas à donner des informations techniques mais qui
peut conseiller, aider à prendre une décision en raisonnant sur les diverses valeurs en cause.
Quant au risque de paternalisme, il semble effectivement assez éloigné, car une tentative correcte
de persuasion de la part du médecin ne signifie pas une imposition: c’est ici que prend place
l’autonomie du patient à qui revient l’ultime décision. Cette distinction était déjà claire chez
Platon (dans les Lois), lequel distingue l’attitude trompeuse du médecin esclave qui arrache le
consentement aux patients, et celle du médecin libre qui ne prescrit aucun médicament jusqu’à ce
que le patient ne soit persuadé de l’efficacité et de la valeur morale du traitement. Il faut encore
ajouter que les valeurs personnelles du médecin sont importantes pour le patient, et elles
représentent souvent la raison pour laquelle le patient choisit le médecin. Le fait que le médecin
propose par la suite certaines valeurs peut s’avérer utile pour le traitement de la maladie, comme
dans le cas de maladies qui sont liées à des choix précis du patient comme le SIDA ou
l’alcoolisme, etc. Enfin, la crainte de la possibilité d’une préparation inadéquate de la part du
médecin pour assumer ce rôle à l’intérieur du modèle décisionnel peut être surmontée en
organisant de façon opportune les programmes universitaires qui sont encore dominés par le
modèle informatif qui privilégie une formation sectorielle sans vision unitaire du patient.
La signification du bien du patient
Comme nous avons pu le voir, plusieurs des modèles mentionnés ci-dessus renferment un
conflit profond qui, dans la bioéthique contemporaine, semble se résoudre souvent en faveur de
l’autodétermination du patient et de son autonomie. En réalité, les chercheurs ne sont
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p221
pas tous d’accord pour résoudre le conflit en privilégiant l’autonomie comme valeur absolue
ou du moins prioritaire. Un choix apparemment autonome du patient, qui semblerait au médecin
en contraste avec le meilleur intérêt du patient lui-même, ne peut pas représenter un «principe
d’abstention» mais il doit porter le médecin à considérer l’opportunité d’intervenir, en autant
qu’il soit possible de rétablir le bien du patient tout en lui consentant de récupérer sa pleine
autonomie. La personne, donc, devrait constituer la véritable base du devoir de promouvoir le
bien d’autrui tout en respectant son autonomie. Pellegrino et Thomasma287 ont par conséquent
élargi le concept de bienfaisance en le fondant sur la confiance entre le médecin et le patient
(beneficience- in-trust); l’objectif commun de ces derniers est donc d’agir l’un dans le meilleur
intérêt de l’autre. Dans ce sens, le meilleur intérêt du patient s’obtient aussi en faisant en sorte de
rétablir en lui la capacité de reconquérir sa propre autonomie menacée par la maladie. Le dialogue, la communication entre le médecin et le patient, devient ainsi l’élément indispensable pour
que se crée entre eux la confiance. Il est donc nécessaire que le patient puisse exprimer ses
attentes par rapport à la maladie, et, pour les maladies irréversibles, à la dignité de son mourir.
Dans cette relation, le patient peut demander au médecin d’agir pour son bien et de l’informer
seulement pour des interventions importantes et risquées. Par ailleurs, lorsque le patient craint
que sa relation avec le médecin traitant n’ait pas ou n’ait plus cet élément de confiance qui devait
la caractériser, il peut expliquer dans un document quelle valeur il attribue à l’intervention
287
Pellegrino E.D., Thomasma D.C., For the patient’s good, NewYork, 1988.
médicale dans sa pathologie. Cette valeur, en fait, n’est pas égale pour tous les malades et l’on
affirme à bon droit que «on ne peut pas [...] imposer à personne l’obligation de recourir à un type
de traitement qui, bien qu’il soit déjà en usage, n’est pas encore exempt de risques ou est trop
coûteux. Le refus d’un tel traitement n’équivaut pas au suicide: il signifie plutôt ou la simple
acceptation de la condition humaine, ou le désir d’éviter la mise en œuvre d’un dispositif médical
disproportionné par rapport aux résultats que l’on pourrait espérer, ou bien la volonté de ne pas
imposer des coûts trop élevés à la famille ou à la collectivité»288.
Par conséquent, la participation du patient à la gestion de sa propre maladie, la
personnalisation (là où c’est possible) des types de traitement et des protocoles d’assistance,
représentent tous des objectifs que l’on devrait poursuivre suivant une éthique qui s’intéresse à la
dignité de la personne, qui exalte l’humanisation de la médecine, qui souhaite changer le modèle
paternaliste pour le modèle de bienfaisance fondé sur la confiance.
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p222
Cependant, il reste un point crucial dans la prise de décision sur l’intervention diagnosticothérapeutique, soit l’interprétation différente que l’on fait du bien du patient, de son meilleur
intérêt. Comme nous l’avons rappelé, agir pour le bien du patient est le principe le plus ancien,
reconnu universellement dans l’éthique médicale; mais les différentes théories éthiques et les
diverses personnes impliquées dans la décision (le patient lui-même, sa famille, l’État) peuvent
interpréter de façons différentes cette promesse de bien.
Selon l’analyse faite pas Pellegrino et Thomasma289, il existe certainement un bien
biomédical qu’il faut considérer et qui renferme tous les effets des interventions cliniques
pendant le cours normal de la maladie. C’est un bien directement relié à la compétence technique
du médecin, lequel s’engage moralement à le fournir, ce bien fonctionnel étant requis par le
patient. Cependant, si l’on équivaut tout le bien du patient avec le seul bien biomédical, on peut
commettre deux erreurs éthiques. La première est de faire du patient une victime des impératifs
médicaux: si un procédé entraîne un avantage physiologique ou thérapeutique, il doit alors être
adopté. De cette façon, on ne tient pas compte de toutes les valeurs du patient et de tous les
problèmes éthiques qui pourraient dériver de l’intervention, réduisant ainsi le caractère éthique de
l’intervention à la simple exactitude technique. La seconde erreur se rapporte au fait que
l’intervention pourrait se faire sur la base du jugement du médecin sur la tolérabilité de la qualité
de la vie. Il est alors évident que, dans le concept de bien du patient, on doit aussi inclure le bien
que le patient perçoit, l’idée qu’il se fait de son propre bien.
Pour être juste dans le sens le plus complet du terme, la décision doit aussi se conformer à ce
que le patient considère valable par rapport aux circonstances et aux choix offerts pour sa
maladie. Quand le patient a la possibilité de s’exprimer, personne mieux que lui ne peut établir ce
qui représente son meilleur intérêt; quand il ne peut pas le faire, ceux qui décident à sa place
doivent s’en tenir le plus fidèlement possible à ce que le patient lui-même aurait choisi pour son
bien s’il avait été capable de le faire. Il y a encore une autre composante du bien, et c’est celle qui
permet au patient d’exercer sa capacité de jugement pour effectuer ses choix. Le médecin agit
pour le bien du patient quand il fait en sorte que le patient soit libéré de tous les obstacles qui
l’empêchent de faire des choix libres. Ces trois aspects du bien particulier du patient se rapportent
évidemment à l’idée d’un bien suprême qui constitue la norme sur laquelle il règle ses choix. Ce
type de bien est de nature ontologique et, par conséquent, il renferme d’une certaine manière un
288
289
Congrégation pour la doctrine de la Foi, Déclaration sur l’euthanasie, (5/5/1980), p. IV.
Pellegrino, Thomasma, For the patient’s good, op. cit.
contenu objectif. Lors de la prise de décisions cliniques dans des situations de conflit, c’est cette
idée définitive du bien qui devient l’élément essentiel du choix; c’est la moins négociable et souvent la moins explicite.
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p223
En opposition déclarée à une idée de bien basé sur la métaphysique, on trouve la pensée de
Engelhardt. Celui-ci considère que lorsqu’on décide de faire le bien, on devrait établir ensemble
en quoi il consiste290. Selon lui, un bien ne représente pas du tout un principe de contenu
puisqu’il n’existe pas de vérité métaphysique profonde. La science n’est qu’un jeu que l’on peut
jouer ensemble après en avoir accepté les règles. Le respect pour le bien du patient signifie
simplement respecter l’accord, non la personne, pour quelque considération de contenu que ce
soit. Il s’agit d’un respect sans contenu qui entraîne simplement l’affirmation qu’on ne peut
décider de rien à moins que les autres ne soient d’accord. La principale vertu de la décision serait
donc la tolérance, la sympathie envers l’autre, à l’exclusion de tout contenu prédéterminé. On
voit clairement comment ces deux visions opposées du meilleur intérêt du patient, en ce qui
concerne la prise de décision, comportent un écart qu’on ne peut pas combler, la première restant
dans le cadre d’un objectivisme rationaliste, l’autre s’ouvrant à un subjectivisme relativiste
évident et dangereux.
Un problème se pose aujourd’hui en ce qui concerne la rédaction des documents qui
renferment les vœux du patient relativement à sa propre maladie et en particulier à sa phase
terminale. Comme nous le verrons dans le chapitre à ce sujet, ce qui soulève des perplexités ce
n’est pas de savoir si le patient peut ou non intervenir dans le processus de prise de décision
relativement à sa propre maladie, mais plutôt sur quel aspect il peut justement exprimer sa
volonté et quelles sont les modalités optimales pour le faire.
L’étendue et la qualité de l’information et du consentement
Il serait bon ici de parler des différents types de consentement: implicite ou tacite, explicite,
personnel, du mandataire, ex silenzio (par le silence).
Nous nous limiterons à dire que, du moment où s’instaure une relation médecin-patient, le
patient accorde de façon implicite son consentement au médecin afin que ce dernier agisse au
meilleur de sa compétence pour son bien. C’est ainsi que cela se produit lors d’une
hospitalisation: les examens diagnostiques et les traitements qui en découlent sont requis et
autorisés de manière implicite. Toutefois, cela n’est pas toujours suffisant ni du point de vue
éthique, ni du point de vue déontologique.
L’étendue de l’information, qui doit accompagner et précéder la demande du consentement
éclairé, représente un élément important qu’il faut considérer à cette fin. On s’entend pour dire
que cette information
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p224
doit être complète en ce qui concerne le traitement, les effets, les autres possibilités, les
risques connexes et même les complications possibles. En ce qui a trait au diagnostic, la norme
290
16, 1991.
Engelhardt H.T. Jr., «La bioetica nell’epoca post-moderna» (entrevue faite par C. Botti), Notizie di Politeia, 7(24): 9-
veut que l’information soit complète; cependant, lorsqu’il faut donner des renseignements sur une
situation extrêmement grave, il faut faire preuve de prudence à cause des conséquences
psychologiques que la nouvelle pourrait provoquer chez le patient. La prudence doit être exercée
surtout dans la façon de transmettre l’information, et encore plus lorsqu’il s’agit de communiquer
un pronostic funeste.
Dans son document, le Comité national pour la Bioéthique suggère d’importantes lignes de
conduite qui tendent à concilier les deux principes: celui de l’autodétermination du patient et
celui de la sauvegarde de l’autonomie diagnostique thérapeutique du médecin lui-même291. Les
directives du CNB se concrétisent en particulier dans les 8 points suivants:
a. Dans le cas de maladies graves ou complexes, la relation ne devra pas être brève ou
momentanée.
b. Le médecin devra avoir une préparation psychologique afin de pouvoir comprendre la
personnalité du patient.
c. Les informations qui sont d’une telle importance qu’elles pourraient comporter des
préoccupations ou des prévisions néfastes doivent être données avec prudence.
d. Les informations en ce qui concerne le traitement devront permettre une compréhension
substantielle et objective de la situation sans comporter, toutefois, des nouvelles ou des
données spécialisées qui pourraient porter à confusion sur le plan de la compréhension
essentielle.
e. Le médecin ne doit pas se sentir contraint par les recommandations des parents qui désirent
cacher la vérité. Bien qu’avec prudence, celle-ci devra être donnée au patient de façon à ce
qu’il puisse prendre des décisions importantes pour lui ou pour les autres. Les parents ou les
mandataires, en général, ne remplacent pas le patient.
f. La responsabilité d’informer incombe au médecin chef de la structure publique, en tout cas
à celui qui coordonne le diagnostic et le traitement.
g. Lorsqu’un genre de consentement est d’une importance particulière, il devra normalement
être fait par écrit.
h. La forme écrite est d’autant plus importante lorsqu’il s’agit d’un consentement donné par un
mandataire pour quelqu’un incapable de donner un consentement (mineur ou inapte).
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p225
Le consentement, qu’il soit verbal ou écrit, ne libère pas complètement le médecin de ses
responsabilités professionnelles, qui vont au- delà ou qui précèdent la demande de consentement.
Nous conclurons en considérant certains cas limites. Les indications précédentes s’appliquent
à tous les problèmes qui se présentent normalement dans la relation médecin-patient, que le
patient soit apte ou inapte mais représenté. Mais il existe aussi des situations particulières, soit
des cas d’urgence ou de danger imminent pour la vie du patient qui ne peut pas exprimer son
consentement à ce moment- là, et où le refus conscient de traitement pourrait entraîner des conséquences graves pour la vie du patient lui-même.
Dans le cas où il existerait un danger imminent et grave pour la vie d’un patient, le médecin
est autorisé à intervenir, même sans le consentement, mais seulement lorsqu’il s’agit d’un
mineur, d’un malade mental incapable de comprendre et de vouloir, ou d’un patient inconscient.
291
Rome, 1992.
Comitato Nazionale per la Bioetica, Informazione e consenso all’atto medico, Presidenza del Consiglio dei Ministri,
Si le temps le permet, le médecin a toutefois l’obligation de demander le consentement au
représentant dans le cas d’un mineur, et si ce dernier le refuse, de porter recours devant les
autorités juridiques (citons, à titre d’exemple, le cas des témoins de Jéhovah qui refusent les
transfusions pour leurs enfants en grave danger de mort)292.
Dans le cas du patient capable de comprendre et de vouloir – non mineur – et qui refuse le
traitement, le médecin:
a) ne peut pas consentir à des actes d’euthanasie (suspension de traitements efficaces et
proportionnés ou mise en œuvre d’une euthanasie active), parce qu’il ne peut pas agir contre
la vie et le bien du patient;
b) peut demander une consultation et chercher à faire prendre conscience au patient et de le
sensibiliser à l’obligation qu’il a de se faire soigner et des conséquences de son refus; si le
patient persiste, il ne peut pas le contraindre, mais le médecin doit demander un certificat le
libérant de ses responsabilités et avertir les autorités sanitaires et, si la loi le prévoit, le juge,
parce que l’autorité a le devoir de protéger la vie des citoyens.
Un cas à part est le traitement sanitaire obligatoire (TSO) pour le malade mental. Cette situation
comporte un aspect juridique bien précis et la procédure est régie par la loi. En principe toutefois,
l’orientation éthique est de toujours rechercher l’assentiment du malade mental, excluant, de la
part du médecin, tout type de traitement physiquement
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p226
coercitif, même dans le cas d’un TSO (art. 43 du Code de déontologie médicale)293.
La vertu dans la relation médecin-patient
Face à un conflit qui pourrait survenir entre ce que le médecin en toute conscience croit devoir
faire pour son propre patient et ce que ce dernier, au nom de son autonomie, pourrait demander,
la relation entre le médecin et le patient, inspirée par un système éthique fondé simplement sur les
droits et les devoirs, pourrait s’avérer problématique. Le caractère concret que ce système semble
promettre devient en réalité une illusion quand on essaie de trouver un accord sur ce qui est juste
et bon de faire dans une circonstance déterminée. C’est alors que le concept de vertu, bien qu’usé,
reste la réalité dont il faut tenir compte à l’intérieur des transactions morales et donc à l’intérieur
du rapport médecin-patient.
Faire appel à la vertu et aux qualités morales et spirituelles du médecin – et en général des
soignants – constitue l’objet du débat que nous avons évoqué dans la discussion philosophique
sur les modèles et les principes de la bioéthique. Le débat s’est développé surtout aux É.U.294 et
il a entraîné une réévaluation des vertus éthiques du médecin, faisant appel à la philosophie
d’origine de la médecine qui porte le médecin (et en général tous les soignants) à agir de manière
292
Cf. G. Perico, «Testimoni di Geova e trasfusioni di sangue», Aggiornamenti Sociali, 5, 1986, pp. 323-336; S. Finfer
et al., «Managing patients who refuse blood transfusions: an ethical dilemma», British Medical Journal, 308, 1994, pp. 1423-1426.
293
À ce sujet voir G. Iadecola, I trattamenti sanitari obbligatori, in id., Consenso del paziente e trattamento medicochirurgico, op. cit. pp. 71-75; L. Eusebi, Sul mancato consenso al trattamento terapeutico: profili giuridico-penali, in A. Bompiani
(sous la direction de), Bioetica in medicina, Rome, 1996, pp. 221-228.
294
Palazzani L., «Bioetica dei principi e bioetica delle virtù: il dibattito negli Stati Uniti», Medicina e Morale, 1992,
11:59-85.
vertueuse, soit de façon à atteindre les valeurs qui sont intrinsèques à l’action, en réalisant leur fin
spécifique.
Ainsi, à l’intérieur des vertus cardinales propres à tout homme responsable, que nous avons
mentionnées plus haut, nous pouvons résumer brièvement le profil éthique du médecin en faisant
la synthèse de tout ce que nous avons exposé dans ce chapitre. Nous tirons ce concept de ce que
le Concile Vatican II propose dans la Constitution Pastorale Gaudium et Spes à tous les laïques
engagés dans des réalités temporelles et des responsabilités civiles; ces instances sont donc aussi
valables pour la profession médicale295. On peut donc facilement les énoncer ainsi: la
compétence scientifico-professionnelle, la conscience des valeurs, la cohérence du
comportement, la collaboration.
=========================================
p227
Ces exigences sont évidentes du point de vue théorique et ne nécessitent pas de nombreuses
explications.
La compétence représente l’exigence éthique prioritaire et recouvre le domaine spécifique de
la profession, domaine qui comprend la complexité et l’unité du savoir médical dont nous avons
traité au début du chapitre. Au fur et à mesure que cette compétence deviendra plus spécialisée et
sectorielle, le médecin devra faire un effort de synthèse, de mise à jour et de formation
permanente, mais il devra aussi savoir profiter des compétences spécialisées des autres.
La conscience des valeurs se rapporte à l’anthropologie de base que le médecin a assimilée et
qui est toujours attirée, comme nous l’avons vu, par le réductionnisme. Cependant, personne
n’ignore que les valeurs qui sont touchées par cette profession sont celles de la personne
humaine, et à travers elle, les valeurs de la vie et de la santé, selon l’acception large et
harmonieuse que nous avons rappelée. Il est évident que, plus la conscience des valeurs est riche,
celles-ci pouvant aussi se définir dans l’optique de la foi, plus la conscience du professionnel sera
attentive et sensible.
Mais l’éthique n’est pas une science purement spéculative et, comme la bioéthique, lorsqu’elle
est appliquée à la médecine, elle devient opérationnelle: c’est dans le moment opérationnel que
l’éthique s’applique et que les valeurs se réalisent. Il importe de noter que ce caractère
opérationnel, lorsqu’il advient en respectant la cohérence entre la compétence spécifique et la
conscience des valeurs, rend tout d’abord l’action en soi éthique, mais en même temps, elle
constitue un enrichissement de l’être personnel du professionnel et du malade, ainsi que de la
communauté. S’il est vrai qu’une société se définit par ses valeurs, et qu’une profession comme
la médecine est riche de responsabilités à cause des valeurs qu’elle touche, il est aussi vrai que
l’on doit traiter de valeurs réalisées et incarnées et non seulement énoncées.
La collaboration que nous avons soulignée en ce qui concerne la relation médecin-patient doit
s’étendre à l’ensemble des personnes qui entrent dans le processus thérapeutique: le personnel
infirmier, les parents, les différents spécialistes. C’est seulement en observant cette collaboration
que l’on peut empêcher la fragmentation de l’acte médical qui perdrait ainsi son efficacité et sa
signification humaine.
Il est inutile d’ajouter que l’affinement éthique, de même que l’enrichissement personnel,
obtient dans la pratique professionnelle sa confirmation et sa vérification. Nous le disons en
295
Concile Vatican II, Constitution Pastorale «Gaudium et Spes», nos 41-43. Voir aussi E. Sgreccia, «Per l’esercizio
cristiano della medicina», Medicina e Morale, 2, 1979, pp. 161-190.
empruntant les paroles de K. Jaspers qui ne peut pas être accusé de préjugés excessifs: «Il existe
probablement une certaine analogie entre l’activité du directeur de conscience et celle du
médecin. Dans les deux professions, la pratique l’emporte sur le savoir, qui n’est qu’un moyen.
Le futur du médecin ne se décide pas dans les lieux de recherche médicale, et le futur de la foi
biblique ne se retrouve pas non plus dans la théologie académique...
=========================================
p228
On accorde aujourd’hui peu d’attention au lieu où se décide l’être médecin et la religion
biblique, tandis que le bruit qui vient de la recherche médicale et de la construction théologique
est ressenti par un vaste public. Il s’agit probablement d’une illusion acoustique par rapport à ce
qui survient réellement»296.
=========================================
P229
296
K. Jaspers-R. Bultmann, Die Frage der Entmythologisierung, Munich, 1981, pp. 32-33; F.F. Casson, «Dignità della
professione medica», Federazione Medica, XXXVII, 10, 1984, pp. 936-941.
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p240 p241
CHAPITRE SEPT
Les Comités de Bioéthique
La raison d’être des Comités de Bioéthique
Tout traité sur le thème des Comités de Bioéthique (CdB), même à caractère synthétique,
comme se veut celui-ci, ne peut pas ignorer certaines particularités relatives aux motivations, aux
contenus et aux caractéristiques propres aux CdB. En particulier, nous devrons rappeler les
hypothèses qui permettent et réclament l’institution des CdB et donc les motifs graves qui
pourraient en exiger la création. Nous essaierons, en outre, d’étudier quels sont les paramètres
pour l’élaboration du jugement éthique, une fois ces comités mis sur pied, ainsi que les thèmes ou
les domaines sur lesquels peut porter le jugement de valeur à propos des situations et des
problèmes de recherche et d’assistance sanitaire. Nous déterminerons enfin les caractéristiques
que doivent avoir les CdB afin d’assurer un fonctionnement correct.
Tout au long de cet exposé, nous nous reporterons à la volumineuse bibliographie désormais
disponible sur le sujet1, aux réflexions faites lors de rencontres au niveau national et international
et enfin, à certaines
========================================
p242
indications contenues dans les normes déjà approuvées au niveau européen, national et
régional et même par les publications des CdB eux- mêmes.
Nous avons préféré utiliser le terme «Comité de Bioéthique» plutôt que «Comité éthique» ou
même «Comité d’Éthique» car au cours des dernières années, la médecine a donné une grande
importance à son fondement biologique, ce qui a par ailleurs imposé l’élargissement de la
réflexion de l’éthique médicale traditionnelle à celle de la bioéthique. Nous pensons donc que ces
comités ne peuvent pas ne pas tenir compte des exigences engendrées par la nouveauté des
problèmes biologiques et médicaux, et par conséquent de l’élargissement des fondements des
sciences biologiques et médicales, ainsi que de la méthodologie interdisciplinaire que comporte la
bioéthique elle-même, interdisciplinarité qui ne doit pas faire oublier l’existence d’une unité de
référence aux valeurs éthiques de la personne.
Même les publications internationales sur le thème des CdB s’orientent dans ce sens, et l’on
trouve de plus en plus de comités appelés Bioethics Committee2, justement en raison de
l’exigence d’une part de garder une certaine uniformité dans la façon de nommer ces organismes
qui, institués pour accomplir des tâches particulières, avaient reçu les noms les plus diversifiés; et
de l’exigence d’autre part, de mettre l’accent dès le début de la discussion sur la nécessité que les
«moteurs» de ces comités soient représentés par les divers centres de réflexion sur la bioéthique,
lieux privilégiés où l’on pourrait même assumer la formation des membres de ces comités3.
========================================
p243
Il est difficile de donner une seule définition des CdB qui fasse la synthèse de toutes les
fonctions possibles que cet organisme peut avoir. En général, les CdB doivent être considérés
comme des lieux où l’on peut rencontrer, dans un contexte pluraliste et avec une méthodologie
interdisciplinaire, les différents représentants des divers secteurs des activités relatives à la vie et
à la santé de l’homme, que ces lieux soient des centres hospitaliers, des instituts cliniques de
recherche ou des laboratoires d’expérimentation pure4. Là, les membres, préparés de façon
adéquate, sont appelés à discuter des différents problèmes éthiques qui font surface peu à peu,
cherchant à trouver une solution opérationnelle qui soit le plus possible cohérente par rapport aux
valeurs et aux principes de base que le comité lui-même aura énoncés et définis dans son propre
statut, comme nous le verrons plus loin.
Conditions préalables à l’établissement des Comités de Bioéthique
Par conditions préalables, nous entendons les situations de fait, les événements historicoculturels, dans lesquels la médecine se pratique aujourd’hui et d’où émerge la nécessité de
trouver un moment de réflexion pluridisciplinaire et à la fois un jugement unitaire en ce qui
concerne le simple fait concret ou la situation particulière à discuter dans le but de définir la ligne
de conduite opérationnelle en faveur du patient.
Il advient en médecine ce qui survient lors de situations fâcheuses, politiques ou militaires:
afin d’établir quelle doit être la décision à prendre face à une pluralité de facteurs en jeu dans une
situation concrète, on convoque un conseil de tous ceux qui pourraient contribuer, grâce à leur
compétence, à la prise de décision. On constate par la suite que, le plus souvent, cette mise en
commun de compétences pour éclaircir une situation apporte un soutien valable même dans des
cas limites ou d’urgence relatifs à des stratégies innovatrices et à des programmes expérimentaux.
Au début, les CdB ont fait leur apparition pour résoudre des situations à la limite du paradoxe
et du drame (le cas de Karen Ann Quinlan ou des cas semblables); aujourd’hui, ces comités sont
perçus comme des organes de soutien pour les prises de décision en ce qui concerne les
protocoles d’expérimentation, ou les cas qui présentent un caractère
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p244
innovateur ou une valence éthique incertaine: nous assistons au passage de la fonction
d’organe d’urgence à celle de soutien et de point de référence constant.
Bien que l’on fasse habituellement référence à une sentence rendue par la Cour suprême de
l’État du New Jersey (É.-U.) en 1976 comme date historique de la première instauration formelle
d’un CdB, nous devons reconnaître5 que dès 1971, les évêques catholiques canadiens proposaient
dans un Guide Médico-Moral l’institution, dans tous les hôpitaux catholiques, de Commissions
médico-morales ayant certaines tâches fondamentales, y compris celles de formation et
d’éducation, et surtout celle d’appliquer de façon uniforme les Ethical and Religious Directives
for Catholic Health Care Facilities qui avaient été énoncées la même année lors de la conférence
nationale des évêques catholiques des États-Unis6.
Certaines statistiques significatives viennent à l’appui de cette impulsion et de cette diffusion
initiale des CdB dans les hôpitaux catholiques: en 1973, un rapport de la commission
présidentielle américaine indiquait que seulement 1% des hôpitaux publics possédaient un CdB;
au cours de la même année, une enquête de la Catholic Health Association révélait la présence
des CdB dans 36% de tous les hôpitaux catholiques7.
C’est sans aucun doute la sentence de la Cour Suprême du New Jersey du 31 mars 1976 qui
marque l’instauration formelle d’un des premiers CdB, et c’est à partir de ce moment que
commencent à se définir de nombreux problèmes relatifs à la fonction que ces comités doivent
avoir8.
Rappelons brièvement comment est née la décision des juges américains d’instaurer un CdB à
l’égard du cas de Karen Ann Quinlan. Cette jeune femme était dans le coma depuis un an suite à
un grave traumatisme neurologique et elle avait été refusée par de nombreux hôpitaux et de
nombreuses cliniques privées parce que son état était irréversible. Elle fut enfin admise dans une
clinique, la Morris View
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p245
Nursing Home, et maintenue en vie, dans un état de totale inconscience, grâce à des appareils
sophistiqués. Dans cette lointaine époque de 1976, l’opinion publique se demandait s’il fallait
maintenir en vie à tout prix une personne dans cet état, ou s’il valait mieux laisser la nature suivre
son cours.
La Cour Suprême, en instaurant le comité, demandait à ses membres d’évaluer les possibilités
réelles que Karen Ann Quinlan avait de sortir de son coma, dans le but précis d’approuver ou de
désapprouver la décision de débrancher définitivement les appareils qui maintenaient la jeune
femme en vie. On se rendit tout de suite compte qu’on n’avait pas demandé au comité
d’approuver ou de désapprouver la décision de suspendre le traitement, mais bien d’émettre un
véritable jugement clinique. Le comité requis par les juges fut donc mis sur pied dans la clinique
où la jeune femme était hospitalisée. Il était composé de deux prêtres, du directeur des services
professionnels, d’un travailleur social, d’un médecin et d’un conseiller juridique. Dès le départ, la
«compétence» de ce comité fut remise en question: en effet, si son but était essentiellement
d’émettre un pronostic, pourquoi n’y avait-il parmi les membres qu’un seul médecin, qui n’était
pas un neurologue et ne s’occupait pas non plus directement du cas de la jeune femme?
Dès leur naissance aux États-Unis, les CdB suscitèrent des questions relativement à leur
composition et à leur rôle.
Après cet événement fortuit et dramatique qui a porté à l’instauration d’un CdB, on a voulu
par la suite proposer de tels comités, comme nous l’avons déjà rappelé, pour des situations
ordinaires relatives par exemple aux protocoles d’expérimentation sur des malades, ou aux
situations particulières qui peuvent se présenter dans le cadre de l’assistance sanitaire et de tout le
progrès biomédical. Organisme d’urgence au début, le CdB prend donc par la suite des fonctions
de soutien et de point de référence constante dans la pratique quotidienne.
Comme nous l’avons dit, également dans la perspective d’une éthique catholique, on reconnaît
l’exigence de ne pas laisser les soignants seuls, avec des responsabilités insupportables, face à
des cas cliniques toujours plus complexes et problématiques. C’est pour cette raison que même la
Carta degli Operatori Sanitari énoncée récemment par le «Pontificio Consiglio della Pastorale
per gli Operatori Sanitari», rappelle que les CdB ont pour rôle de faciliter les choix des soignants
et de veiller sur eux9.
Ce passage d’organisme d’urgence à instrument quotidien de consultation survient suite à
toute une série de conditions qui continuent à pousser vers une diffusion progressive dans tous les
pays, y compris
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p246
l’Italie, conditions qui sont les mêmes que celles qui ont porté, comme nous l’avons
mentionné, à la réflexion bioéthique et à son institution comme discipline.
Si l’on observe l’histoire du phénomène relatif à l’apparition des CdB et si on essaie de
trouver les motivations de base, on reconnaît quatre motifs sous-jacents à leur naissance et à leur
diffusion.
Avant tout, on sent la nécessité de rechercher une unité anthropologique perdue, ou du moins
estompée, dans la pratique de la médecine; en second lieu, survient le besoin d’apporter des
éclaircissements face à l’apparition de divers modèles éthiques de référence; vient ensuite
l’exigence de défendre l’autonomie d’action déontologique du médecin face au risque de
bureaucratisation ou de politisation de la médecine; enfin, les malades demandent une protection
arbitrale de leurs droits, pendant la maladie, qui rende l’assistance civile facile et rapide, sans
qu’il soit nécessaire de recourir aux autorités judiciaires et au code pénal.
La première raison est de caractère épistémologique, la seconde est éthico-philosophique, la
troisième politique et la quatrième est de caractère civil et juridique.
Vers une reconstitution de l’unité anthropologique du savoir médical
et de la pratique de la médecine
On sait que la médecine d’aujourd’hui n’est plus une science mais un ensemble de sciences: la
médecine est donc une science complexe. Elle appartient aux sciences «expérimentales» et en
même temps aux sciences «humaines», si l’on veut utiliser une ancienne distinction qui n’est plus
valable pour la médecine. L’exigence de la spécialisation a introduit une centaine de disciplines
dans le programme de formation de l’étudiant, et de nombreuses spécialités jouissent d’une
autonomie opérationnelle dans les grands hôpitaux. Le programme d’études médicales tend à
dissocier les différents aspects (morphologie, physiologie, pathologie, etc.) de l’unique réalité
humaine qui est très difficile à reconstituer, ce que ressentent particulièrement les étudiants.
Par ailleurs, plus les grands maîtres de la médecine approfondissent une spécialité, plus ils
ressentent le besoin, justement à l’intérieur de cette branche, de faire appel à la globalité et à
l’unité, un genre d’unité qui dépasse les horizons naturalistes mêmes.
Nous aimerions confirmer cette exigence d’une connaissance unitaire de l’homme par les
paroles d’un pathologiste bien connu, Franz Buchner, reproduites dans son volume de pathologie
générale (I éd. Allemande de 1950): «Plus que toute autre question qui touche la médecine, trois
aspects devraient tenir en éveil l’esprit inquiet et impatient qui caractérise et ennoblit le médecin:
la question de l’essence du vivant, la question de l’essence de la maladie, la question de l’essence
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de l’homme. La première le relie à toutes les créatures, la deuxième révèle en lui la
conscience de protéger la vie en danger, et la troisième le met devant l’énigme de l’être vivant le
plus mystérieux, l’homme lui-même [...] Nous commencerons notre livre de pathologie générale
par une discussion sur ces trois questions [...]. La pathologie humaine ne peut pas sans plus être
incluse dans les limites de la biologie, si nous définissons le bios humain comme étant
fondamentalement unité de corps et d’esprit et si nous sommes bien conscients que dans la réalité
concrète du corps humain, la psyché de l’homme est constamment et immédiatement en jeu,
autant en état de maladie qu’en état de santé [...]. La médecine naturaliste a donc besoin dans la
pathologie humaine d’une modération grâce à une médecine anthropologique. C’est ainsi que
nous nous trouvons face à la question de l’essence de l’homme»10.
La conviction que les spécialités médicales, tout comme la pathologie, ont besoin de retrouver
l’unité anthropologique justement à cause de leur angle particulier, constitue le point de départ
d’un effort de dépassement de la fragmentation du savoir médical, toujours moins significatif s’il
est divisé de la «signification» globale, ainsi qu’un fragment d’une épigraphe n’est pas
significatif si on ne réussit pas à reconstruire l’intégrité du texte, l’événement historique qui est
inscrit dans la pierre et sa signification dans le cours de l’histoire.
Le dépassement de la complexité, qui ne signifie pas pour autant l’annulation des spécialités
mais plutôt leur lecture dans l’unité anthropologique, requiert autant une révision du dualisme
corps- esprit ou de la division en trois parties de l’individualité en soma, psyché et Moi comme
s’il s’agissait de trois étages superposés d’une construction, qu’une critique du réductionnisme de
toute la réalité humaine dans le monde biologique. La forte empreinte unitaire que le Moi humain
imprime à tout l’ensemble de ses énergies physiques, psychiques et spirituelles, le lien étroit de
l’homme avec l’environnement écologico-social, tout cela devra être revu dans l’optique de
l’humain qui sauve à la fois la transcendance de la personne, son unité phénoménologique et
existentielle et son insertion dans la réalité cosmique et terrestre.
Ce discours sur la reconstitution d’une anthropologie unitaire menacée par le dualisme
cartésien, le réductionnisme biologique et la complexité qui est le fruit de la spécialisation, ne
doit pas sembler une exigence abstraite et étrangère à la pratique concrète et quotidienne de la
médecine ni au thème spécifique des CdB.
Si nous nous arrêtions, par exemple, pour penser à la façon d’affronter l’urgence du SIDA ou
de régler le problème de prélèvement ou de transplantation des organes ou si nous voulions
affronter les problématiques relatives à la procréation artificielle, nous ferions face à
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p248
une pluralité d’aspects cliniques et nous devrions prendre en considération des facteurs
juridiques, moraux, médico-légaux, etc., qui exigent la consultation d’experts dans divers
domaines. Dans le cas de la procréation artificielle, par exemple, nous nous trouvons en face de la
coïncidence des thématiques les plus globales qui touchent la personne humaine dans sa réalité
biologique, psychologique et spirituelle, ainsi que dans ses responsabilités par rapport à la propre
vie et à la vie d’autrui, la conception de la vie matrimoniale et conjugale et même la
responsabilité de procréation.
Il n’est plus possible dans des interventions qui ne sont pas déjà habituelles ou normalisées –
mais, si l’on voulait approfondir les problèmes, même ces interventions pourraient être repensées
à la lumière d’une anthropologie médicale plus complète – de ne pas se poser des questions sur
les problèmes globaux relativement à l’homme et à sa vie, chaque fois qu’on intervient sur son
corps, sur sa santé et sur sa maladie. Santé et maladie sont elles aussi des notions qui constituent
des horizons pour lesquels la définition de la science expérimentale est nécessaire, mais non
suffisante.
Dans la mise en œuvre de cette recherche anthropologique qui vise à dépasser les risques
d’une médecine dualiste ou réductionniste et fragmentée en plusieurs spécialités, il faut aussi
définir une méthodologie valable; celle-ci doit être prise en considération dans toute la réflexion
bioéthique et par conséquent même à l’intérieur des éventuels CdB.
Nous avons qualifié cette méthodologie de «triangulaire»11(fig. 1) parce qu’elle prévoit tout
d’abord la considération du fait scientifique expérimental (A) dans son objectivité dont
l’exploration peut nécessiFigure 1 - Bioéthique: élaboration du
jugement
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p249
ter diverses compétences médicales. Les données de cette étude, dans le but d’assumer leur
sens unitaire et global, devront être confrontées à l’anthropologie (B), c’est-à-dire à la vision de
la personne humaine dans sa richesse et sa particularité: par exemple, les expériences sur les
animaux prennent un sens différent de celles sur l’homme, et dans ce dernier cas, qui est celui qui
nous intéresse, les expériences sur le malade conscient et sur le volontaire en santé n’ont pas le
même sens, tandis que celles sur les enfants, sur les embryons ou sur le malade mental ont un
sens encore plus distinct. De ce point culminant, anthropologique, il faut penser à un troisième
point (C), celui des indications opérationnelles, surtout éthiques.
Le problème des critères et des valeurs de référence
Au début de notre manuel, nous avons fait état de l’existence aujourd’hui d’un pluralisme
d’éthiques et de critères d’orientation en Bioéthique: la position libérale-radicale de type
individualiste, l’utilitarisme éthique de type social et scientiste, le socio-biologisme, la morale
laïque et la morale (ou les morales) d’orientation religieuse12. Nous croyons que nous devons
adopter le modèle éthique personnaliste, en conformité avec les Conventions et les Déclarations
des droits de la personne telles qu’elles se sont développées au cours des cinquante dernières
années depuis la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. L’Europe unifiée, avec
ses organes politiques et juridiques du Conseil de l’Europe, la Cour des droits de la personne du
Luxembourg et le Parlement européen, s’appuie sur les droits de l’homme exprimés dans la
Convention de Sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950 (pacte de
Rome).
C’est ce modèle personnaliste qui reconnaît dans ses expressions les plus valables et les mieux
fondées le devoir du respect de la personne à partir de sa conception. Ce modèle, qui considère la
vie physique et corporelle comme une valeur «fondamentale» sur laquelle les autres valeurs de la
personne peuvent s’appuyer et s’exprimer, exige la participation du patient à la gestion des
décisions éthiques, en tant que personne et personnage principal. Nous croyons donc que ce
modèle est le seul intégralement humain et capable de soutenir et d’inspirer une médecine
anthropologique.
En principe, ce modèle peut être utilisé non seulement dans les hôpitaux religieux, mais aussi
dans les hôpitaux publics. Toutefois, il faut reconnaître que certaines lois, comme la loi 194/1978
en Italie, permettent des applications très éloignées de cette vision éthique
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p250
dans les hôpitaux publics. En fait, la référence personnaliste – qui considère le corps comme
une composante constituant la personne elle-même, une incarnation, le langage de l’épiphanie du
moi tout entier – comporte la défense de la «vie physique» de l’homme comme une «valeur
fondamentale», à partir du moment de la conception jusqu’à la mort naturelle. Cette même vision
de la réalité humaine confère à la médecine son statut tiré du «principe thérapeutique», en vertu
duquel les interventions qui ont une efficacité thérapeutique bienfaisante pour le sujet qui les
subit, sont justifiées. Le principe de liberté-responsabilité s’insère toujours dans cette même
optique personnaliste; c’est pourquoi le patient ne sera jamais un «objet», mais il devra être
considéré comme un «sujet» prenant part aux décisions et en étant responsable.
Le principe de socialité et de subsidiarité devra assurer que l’organisation des services de santé
sente le devoir d’apporter un plus grand soutien à celui qui est le plus malade et un soutien
moindre à celui qui peut compter sur ses propres forces et ressources.
Le personnalisme comporte un ensemble de lignes directrices pour le comportement médical
qui permet de constituer une garantie face à toute possibilité d’utilitarisme politique ou
d’instrumentalisation pratique du malade et de la médecine.
Par ailleurs, dans les cas où le modèle éthique personnaliste ne pourrait pas être utilisé
intégralement dans un CdB et dans son document de constitution, se pose le problème de trouver
un point de rencontre des diverses visions éthiques qui s’affrontent dans le comité lui-même.
Nous devrons revenir plus loin sur ce problème de confrontation des divers points de vue
éthiques et entre la position éthique d’une part et les normes déontologiques et juridiques d’autre
part.
Il importe de noter dès maintenant que cette philosophie sous- jacente donne lieu à deux types
possibles de CdB: l’un dont les critères éthiques sont partagés par les participants et en vertu
desquels le comité effectue une évaluation pluridisciplinaire des faits et établit les devoirs relatifs;
l’autre type de comité, celui «pluraliste», devra au contraire s’engager sur deux fronts et sur deux
niveaux non homogènes, le premier dans l’évaluation des faits à partir des divers points de vue, le
second dans la recherche d’un point de référence commun auquel reporter les jugements de
valeur, recherche éthique sur le fait particulier et recherche éthique du critère général comme
point de comparaison et point de départ. La solution à ces deux problèmes n’est pas simple, et
tout le travail d’un CdB qui voudrait rester pluraliste du point de vue idéologico-culturel pourrait
en être affecté.
Nous verrons par la suite une proposition de solution qui ne se veut pas simplement un
compromis. Il est évident que cette recherche de critères et de paramètres communs est un des
motifs (et des problèmes) de l’existence des CdB.
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p251
Le dépassement de la politisation de la médecine: les droits du malade et les droits du médecin
Une troisième circonstance en faveur de la formation des CdB est la nécessité, désormais
toujours plus évidente, de garantir l’autonomie décisionnelle et la responsabilité éthicodéontologique de la relation médecin-patient face au risque de politisation et de bureaucratisation
de la médecine.
On assiste, en fait, à une espèce de mouvement de synergie négatif: d’une part, l’État est de
plus en plus gestionnaire de la santé, et donc indirectement, de la santé du citoyen; d’autre part,
les catégories médicales risquent de se laisser enlever leur autonomie éthico-déontologique en
acceptant la correspondance entre éthique et légalité. Ce serait certainement mauvais pour la
société si la magistrature perdait son indépendance, et l’on accuserait un grave recul si le juge
devait obéir au pouvoir exécutif ou même au parti; de même, on doit craindre la perte
d’autonomie de conscience à l’intérieur du couple patient- médecin en faveur d’une pratique
médicale dirigée de l’extérieur de façon bureaucratique et hétéroclite au détriment de la
responsabilité des véritables protagonistes de la santé et de la maladie.
La société qui organise les services, assure les moyens et contrôle la qualité du travail, et a par
conséquent une certaine responsabilité définie dans la loi, ne peut pas remplacer les décisions des
personnes qui sont autonomes dans le cadre des valeurs constitutionnelles sanctionnées et
reconnues.
Le citoyen est le premier responsable de sa propre vie et de sa propre santé: aucune décision
au sujet de sa vie ne peut être prise sans son consentement (implicite ou explicite) ou celui de son
représentant légitime. Le citoyen n’est pas l’arbitre de sa propre vie, mais il est responsable de ce
bien objectif et transcendant qu’il a reçu et qui constitue le bien fondamental de la personne et de
la société. Le médecin est un «ouvrier qualifié» et, en tant que tel, il rend des comptes au citoyen
– malade ou en santé – dans le cadre de sa propre compétence professionnelle, tant que perdure
dans sa conscience ce contrat-alliance relativement au devoir transcendant de protéger la vie et la
personne du patient.
Nous avons représenté cette situation éthique du rapport fondamental de la pratique de la
médecine dans un triangle à la figure 2.
Ce modèle idéal de recherche a comme conséquence que le CdB se transforme en instrument
subsidiaire, c’est-à-dire de soutien, pour la pratique de la responsabilité médicale face au patient.
L’étude des données complexes de la science expérimentale du point de vue interdisciplinaire
par rapport aux autres sciences humaines fournit des précisions sur une série de valeurs en
question sur lesquelles le médecin, mis en face du patient, pourra assumer ses propres décisions
et responsabilités.
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Si on néglige cette attitude qui se base sur la diversité des rôles et sur l’autonomie éthicodéontologique des divers représentants intéressés par l’acte médical (soignant, patient, société), le
CdB pourrait facilement s’abaisser au niveau d’un organisme bureaucratique de compromis,
autant à l’interne entre les différentes positions contingentes que par rapport au climat culturel
changeant qui prédomine dans la société. En d’autres termes, le CdB deviendrait une espèce
d’observatoire de la tolérance sociale pour des comportements déterminés dans le domaine
biomédical
Figure 2 - Le «triangle» de la
responsabilité éthique
Donc, dans la situation que nous avons proposée, qui comprend autant la protection des droits
du patient que des droits du médecin tout en établissant les devoirs éthico-déontologiques de
chacun, le CdB devrait être défini comme un organisme de protection des autonomies et des
responsabilités respectives: le CdB devra donc protéger les «droits du malade» contre les abus
possibles du médecin, défendre les droits du médecin contre les pressions possibles de la
situation, et il devra aider à définir les devoirs de chacun.
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Dans cette optique, le CdB peut devenir un coefficient d’humanisation et de responsabilisation
dans le domaine de l’assistance médicale et contribuer ainsi à améliorer la qualité des soins euxmêmes et à protéger les biens de la personne et ceux de la société dans le secteur de la recherche.
Les lois proposées par le Parlement italien prévoient en effet la création d’un CdB tant pour le
contrôle des expérimentations que pour la protection des droits du malade: dans le premier cas, la
prévarication pourrait survenir suite à des pressions économiques, à la poursuite du profit de la
part des sociétés pharmaceutiques ou à la recherche utilitariste du succès à tout prix de la part des
chercheurs. Dans le second cas, la cause d’une éventuelle atteinte aux droits du patient peut être
reliée aux raisons les plus variées de perte de responsabilité, imputable parfois aux
administrations, parfois aux médecins, parfois aux patients eux-mêmes ou à leurs parents, perte
provoquée aussi parfois par la carence endémique de structures ou d’organisation sanitaires.
Toujours dans cette optique, nous devons nous attendre à un autre danger, issu de l’économie
des services de santé, pour les «structures de la santé», particulièrement dans les régimes de
socialisation de la médecine où l’État programme et finance la santé13. Ceux qui assurent le
financement ont intérêt à éviter les traitements coûteux, même s’ils sont nécessaires pour le
malade et font partie de son droit au traitement. Nous ne faisons pas simplement allusion au
danger d’euthanasie sociale en refusant des traitements à des catégories de patients incurables
dont les soins sont devenus coûteux, mais aussi aux mesures administratives, pas remarquables
en soi, qui font que l’un ou l’autre médicament ou type de traitement intensif ne soit pas
disponible. Le CdB, dans le cadre de la protection des droits du patient, pourrait constituer le lien
entre les exigences du malade et les exigences de la société de façon à éviter que les programmes
et les financements n’obéissent qu’aux lois d’équilibre de budget, mais observent aussi le
principe en vertu duquel le malade le plus grave est celui qui doit recevoir le plus de soins
(principe de subsidiarité).
Paramètres pour l’élaboration du jugement éthique
Il faut prévoir à l’intérieur d’un CdB une procédure pour l’élaboration du jugement sur la
situation et il convient de prendre connaissance de tous les paramètres qui contribuent à la
définition de la responsabilité du médecin et du chercheur envers le malade ou le citoyen en santé
(voir fig. 3).
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Figure 3 - Protection du «bien intégral»
de la personne
Bien
intégral
de la
personne
Lois
nationales
Lois
nationales
Lois
nationales
Déontologie nationale
Déontologie internationale
du médecin
du malade
Morales religieuses
du médecin
Éthique
Droits dede la personne
l’homme
Après avoir recueilli les données scientifiques élaborées et étudiées dans leur «complexité», on
doit tout d’abord prendre en considération les lois civiles et pénales de l’État, lois que tant le
médecin que le citoyen doivent observer et respecter. Il s’agit d’un préliminaire justement parce
que les CdB ont compétence dans les domaines non régis par la loi, ou bien là où la loi doit être
interprétée.
Cette obligation n’est pas en contradiction avec le cas d’objection de conscience parce qu’il
est prévu par la loi. Dans le cas d’une loi objectivement inique, la nécessité de «désobéissance
civile» aux fins d’obtenir une modification de la loi peut survenir; mais de toute façon, la loi crée
des obligations morales. En plus de la loi, on doit tenir compte du paramètre de la déontologie
médicale codifiée autant au
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niveau national qu’international: ce paramètre, même s’il ne comprend pas tous les aspects
éthiques du problème sanitaire, du moment où il considère la question principalement du point de
vue du soignant, contient néanmoins une inspiration éthique fondamentale et il fournit des
indications qui font que la conscience des professionnels est liée.
Certaines organisations internationales de médecins, comme la Fédération Internationale des
Ordres des Médecins et l’Association Médicale Mondiale publient régulièrement des mises à jour
de leur code d’éthique. Certaines associations d’infirmières en font autant.
Au-delà, dans un cadre universel, il faut considérer l’ensemble de ce que l’on définit comme
droits de la personne énoncés et expliqués dans les chartes et les conventions internationales, à
partir, comme nous l’avons mentionné, de la Charte de l’ONU du 10 décembre 1948 et de la
Convention pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (pacte de
Rome) du 4 novembre 195014, jusqu’à toutes les conventions, déclarations, chartes et
recommandations (avec leur poids juridique diversifié) qui fournissent aux États de plus en plus
fréquemment des indications sur des problèmes éthiques dans le domaine biomédical: il suffit de
citer les Recommandations n. 1046 et 1100 du Conseil de l’Europe ainsi que les Résolutions du
Parlement européen de mars 1989.
À un niveau supérieur, on retrouve les indications des «morales religieuses» émises par les
organismes officiels et compétents des diverses religions (musulmane, juive, chrétienne). Il est
évident que pour un hôpital «religieux», les indications de sa propre autorité religieuse (par
exemple, les indications du Magistère de l’Église Catholique pour un hôpital catholique)
représentent le dernier mot pour l’orientation à suivre, et cette liberté opérationnelle de
l’organisme est reconnue et sauvegardée à l’intérieur des États démocratiques au nom du principe
de «liberté religieuse».
Ces indications sont toujours précieuses et nécessaires même pour un hôpital public parce
qu’on doit en tenir compte pour les malades et les médecins qui adhèrent à une morale religieuse
particulière (l’organisme public doit pouvoir être choisi par tous les citoyens, tandis que le
religieux l’est par qui cherche et partage ce type de réalisation médicale et d’assistance); mais
elles sont aussi importantes parce que dans ces doctrines morales, on trouve des indications de
morale rationnelle, de valeur éternelle. Le fait d’ignorer aujourd’hui ce que Pie XII ou Jean-Paul
II, dans des documents plus récents, ont dit sur les problèmes éthiques de la médecine représente
pour tous une lacune pas seulement culturelle.
En ce qui concerne la comparaison des divers paramètres (loi, déontologie, droits de la
personne, morales religieuses) nous pouvons nous reporter à une expérience qui pourrait servir de
modèle, c’est-à-dire la
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composition du manuel du point de vue européen intitulé Le médecin face aux droits de
l’homme. Dans ce livre15 publié récemment, des documents relatifs à la pratique de la médecine
(lois internationales, déontologies, droits de l’homme, morales religieuses) ont été recueillis, et
ces indications sont confrontées par l’étude des cas particuliers à la lumière de leurs propres
paramètres.
Nous croyons que sur cette voie apparaîtront certaines difficultés en raison du pluralisme
éthique dans lequel nous nous trouvons.
Ce dont il faut tenir compte d’un point de vue éthique et ce qui nous semble par ailleurs
obligatoire, est que chaque CdB hospitalier déclare dans ses statuts sa propre identité éthique,
c’est-à-dire à quels paramètres éthiques il se conformera. Ceci peut faciliter le travail du comité
et constituer un acte d’honnêteté par rapport aux citoyens qui s’adresseront à l’hôpital. Les doutes
des citoyens de nos jours peuvent porter à une espèce de «philosophie du soupçon» en ce qui
concerne le traitement des malades en phase terminale, les greffes, ou les soins gynécologiques.
La clarté et la «transparence» se révèlent être des critères éthiques essentiels pas seulement en
politique ou dans l’administration financière.
Comme nous l’avons déjà mentionné, dans le cas de l’hôpital religieux, la conclusion est
prononcée à la lumière de la morale religieuse dont s’inspire l’hôpital: ce qui ne signifie pas que
le jugement est simple et hâtif parce que la complexité provient souvent de la situation concrète
et de la pluralité des valeurs en question, sinon de la nécessité de toujours accomplir une
médiation correcte entre les principes théologico-moraux et la réalité concrète.
Toutefois, l’aide apportée par exemple par un document officiel du Magistère de l’Église
Catholique, comme celui sur la procréation artificielle, est importante pour ceux qui désirent
savoir quelle est la position de la morale catholique à l’égard du problème précis.
Dans le cas de pluralisme éthique et d’un hôpital public, on devra chercher au contraire avec
plus de diligence, en confrontant tous les paramètres, la défense et la promotion de la personne
humaine en tant que telle.
Cependant, la recherche comparative n’est pas faite dans le but de trouver, à la lumière des
paramètres exposés ci-dessus, le critère «minimum» partagé sociologiquement, mais plutôt le
«maximum» de respect envers la personne humaine, que ce soit le malade, le citoyen en santé, le
médecin et sa conscience. Si on l’appelle le «minimum éthique», on devra l’entendre au sens fort
et anthropologique:
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c’est-à-dire qu’il devra comprendre la défense de chaque personne et de la famille qui sont les
composantes de la société16.
Dans cette recherche, tous les paramètres peuvent contenir des éléments d’évaluation, mais
nous croyons que les codes de déontologie et les droits de l’homme devraient comprendre des
points valables pour tous, quelle que soit notre philosophie, dans le but de définir en pratique une
anthropologie médicale et une éthique médicale d’inspiration juste et universelle. Même dans
cette vérité universelle de l’homme, la morale religieuse pourra apporter son aide précieuse.
Nous voulons enfin mentionner un problème qui devient peu à peu un objet de réflexion pour
les CdB et les juristes. Il s’agit de leur éventuelle responsabilité juridique (du CdB au complet?
des membres individuels?) par rapport au jugement éthique qu’ils émettent et qui pourraient
causer des dommages à des personnes ou des choses. Étant donné que l’avis d’un CdB n’est pas
une contrainte, l’opinion juridique – nationale et internationale – serait actuellement portée à
exclure toute responsabilité, et il serait donc inutile d’introduire, dans les statuts des CdB, une
clause de non-responsabilité juridique à l’égard de l’avis émis, comme on l’avait suggéré17.
Fonctions et caractéristiques des Comités de Bioéthique
Si l’on examine les lignes de conduite des CdB et les pratiques mises en œuvre dans certains
hôpitaux et instituts de recherche scientifique, particulièrement dans les pays de langue anglaise,
on reconnaît divers types de CdB ou divers objectifs définis dans leurs statuts.
Tout d’abord, on retrouve dans tous les CdB un but éducatif par rapport aux problèmes de
l’humanisation de la médecine, aux droits des patients et aux nouveaux problèmes d’éthique
médicale. Sur cet aspect, les CdB présentent certaines caractéristiques communes aux «tribunaux
des droits du malade». En Italie, un ancien projet de loi qui se proposait de définir dans la loi les
droits du malade, prévoyait une espèce de commission éthique comme organisme éducatif et de
défense de ces droits, dont il existe désormais des listes plus ou moins identiques.
C’est certainement cet objectif de formation qui permet une œuvre éducative dans chaque
hôpital, public ou privé, qui est le plus urgent dans la situation actuelle de désorganisation et de
déshumanisation des hospitalisations.
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Il importe de définir les modalités pratiques prévisibles pour dénoncer au CdB les carences
éventuelles de l’hôpital, ainsi que les modalités pour mettre en vigueur les avis formulés. Ces
derniers devront, selon nous, être par la suite proposés à la direction des services de santé qui est
l’organisme juridique destiné à faire respecter les lois (par exemple la modification de l’horaire
des repas).
Le devoir éducatif du CdB hospitalier pourra être centré sur la promotion des débats, des
conférences et des cours sur des thèmes d’éthique: ces initiatives favoriseraient la croissance
d’une conscience éthique.
L’étude des protocoles de recherche et d’expérimentation clinique est une autre tâche qui
pourrait être assumée par les CdB hospitaliers. On peut prévoir des CdB qui se limitent à cette
tâche comme il en existe en fait dans les instituts universitaires et de recherche scientifique. En
effet, il s’agit là selon nous du type de CdB le plus urgent et le plus en demande à cause du grand
nombre des intérêts manifestes ou occultes qui circulent dans le domaine de la recherche clinique,
à cause de la complexité des compétences requises, à cause des nouvelles frontières que
franchissent jour après jour les expérimentations pharmaceutique, médicale et chirurgicale. Il
suffit de penser à l’expérimentation des vaccins contre le SIDA, à la possibilité d’utilisation de
techniques expérimentales sur les embryons et les fœtus, sur les enfants, sur les malades mentaux
ou sur les malades en phase terminale. Les expériences sont nécessaires et elles doivent trouver
des appuis et des garanties dans la société, mais elles doivent être destinées au bien de la
personne et de la société simultanément, évitant ainsi que l’individu soit considéré comme un
objet au service de la société18.
Enfin, le troisième devoir du CdB hospitalier est celui d’agir comme un organisme de
consultation pour l’étude des cas particuliers d’assistance. De tels cas peuvent inciter le médecin
à demander l’avis du CdB. Parfois, la loi elle-même pourra prévoir le recours à cette opinion.
Nous utilisons délibérément les termes «avis» ou «opinion» parce que nous croyons que le
CdB ne peut pas «décider» à la place de ceux qui ont la pleine responsabilité (le médecin ou le
citoyen), même quand la loi requiert cet avis comme préliminaire à la décision.
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p259
Le CdB ne pourra jamais constituer un alibi pour la conscience de quelqu’un, mais il
représentera une aide en plus pour ceux qui doivent prendre des décisions motivées et informées.
Un seul CdB pourra cumuler les trois objectifs, ou bien certains CdB pourront se limiter à des
buts spécifiques, par exemple seulement au contrôle des protocoles de recherche.
Les caractéristiques idéales des CdB sont désormais bien connues: la compétence,
l’indépendance, l’impartialité, la subsidiarité (c’est-à- dire le caractère consultatif). Il importe
donc que dans le choix des personnes ou dans le fonctionnement opérationnel prévu par le
règlement et les statuts, ces caractéristiques deviennent réalité.
En ce qui concerne la composition, rappelons simplement que dans les «normes de bonne
pratique clinique» de la CEE que nous avons citées plus haut, on dit sans plus spécifier que des
«médecins et des non-médecins» doivent faire partie des CdB. Dans le cadre des diverses lignes
de conduite émises, l’aspect de la composition a été largement étudié et il existe désormais
certains points essentiels dont tous les CdB devraient tenir compte. Le caractère pluridisciplinaire
est indispensable et doit constituer un prérequis minimum parce que le professionnel a de la
difficulté à sortir de son domaine et à évaluer l’ensemble des problèmes posés par une situation
déterminée. En outre, un comité pluridisciplinaire aura plus de crédibilité aux yeux du public qui
se sentira ainsi mieux représenté. Outre les médecins experts en recherche clinique, les CdB
devraient avoir comme membres: a) des juristes (avocats, juges ou professeurs de droit), b) des
représentants des sciences humaines, c) des philosophes et des experts d’éthique, d) des
enseignants qui porteraient les aspirations des nouvelles générations et qui leur transmettraient
des messages en retour, e) des journalistes, interprètes de l’opinion publique.
Dans le cas de questions spéciales, il est bon de convoquer ad hoc des experts du secteur. Des
catégories souvent critiquées et critiquables sont: les représentants de l’administration de l’hôpital
ou de l’institut de recherche (risque de perdre l’indépendance ou l’impartialité) et les représentants des malades (qui mieux qu’un malade peut les représenter?)19.
Tout le travail des CdB suppose qu’il existe des points de référence et de recherche éthique
comme les centres de bioéthique et les centres de médecine et de sciences humaines qui
recueillent les données, fournissent des indications, recherchent des solutions et préparent
culturellement les membres du CdB.
Sans ces organismes de référence, les comités seraient privés d’un soutien important en
recherche et en documentation.
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p260
Les caractéristiques optimales des Comités de bioéthique
La réflexion sur les différents points considérés nous porte à noter les caractéristiques
optimales qui doivent être poursuivies, et, par ailleurs, nous signale l’apparition de
«dégénérescences» des CdB qui doivent être évitées à tout prix si nous voulons que ces
organismes continuent à œuvrer selon l’esprit original qui a mené à leur création.
Tout d’abord, il nous semble qu’une prérogative fondamentale de ces comités, le plus souvent
reconnue, soit celle d’avoir une fin de consultation et non de décision, agissant de façon
subsidiaire au moment décisionnel. En fait, il s’agit de fournir la compétence du CdB pour
favoriser l’aspect éthique de la prise de décision sans se substituer au médecin, au chercheur, ou
au simple patient. Cette caractéristique implique que l’opinion formulée par le comité, même si
elle est prévue par la loi comme une obligation, ne doit pas être coercitive, justement parce que la
responsabilité ultime revient à celui qui a demandé l’opinion.
Une autre caractéristique importante est de rester cohérent avec les paramètres éthiques
énoncés dans les propres statuts et les propres règlements. Il nous apparaît en effet obligatoire et
essentiel d’un point de vue éthique, que chaque CdB énonce sa propre identité éthique, c’est-àdire à quels paramètres éthiques il s’identifie. Cette mesure peut faciliter le travail du comité luimême et constitue un acte d’honnêteté par rapport à ceux qui s’adressent à lui pour avoir une
opinion.
Nous croyons qu’il faut garantir aussi l’indépendance de réflexion et de délibération ainsi que
l’impartialité. Pour cette raison, il est nécessaire que les CdB n’entretiennent pas de liens
déterminés avec l’administration de la structure au sein de laquelle ils œuvrent, ni avec les
sociétés pharmaceutiques qui effectuent l’expérimentation des médicaments. En outre, les
membres du CdB ne doivent pas avoir de rapport, direct ou indirect, avec les chercheurs, par
exemple, qui soumettent leur protocole d’expérimentation au comité pour obtenir une opinion.
Par ailleurs, les CdB cachent plusieurs dangers qui contribuent, en fait, à freiner la volonté
politique d’inciter leur création par loi20. Selon nous, ces dangers sont représentés en réalité par
une certaine «dégéné
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p261
rescence» des tâches et du fonctionnement et ne proviendraient pas de la connotation et des
instances originales des CdB. Par exemple, il peut arriver que ces comités entraînent la
révocation de la responsabilité morale et civile des individus à qui revient la décision, tendance
particulièrement évidente aux États-Unis. De plus, ceux-ci peuvent se placer de façon à s’arroger
des tâches, en conflit avec les Ordres professionnels qui s’occupent de faire respecter leur code
de déontologie au moyen de commissions prévues à cet effet. La politisation des CdB – soit par
des références à des factions politiques soit par sectarisme des chercheurs – pourrait mener,
comme nous l’avons déjà mentionné, à la création d’un nouvel organisme syndical et à une
nouvelle centrale de répartition des pouvoirs.
En outre, il faut éviter la course à l’institution de nombreux comités périphériques, as usum (à
la disposition) des institutions21; à ce propos, le D.M. du 27/4/92 prévoit que «les comités
éthiques, constitués en Italie, doivent être conformes aux indications des normes de bonne
pratique clinique...; leur siège doit être auprès de structures sanitaires ou scientifiques fiables».
Nous aimerions enfin souligner comment on peut instituer un CdB, le faire fonctionner et le
gérer le mieux possible en se conformant aux Procédés opérationnels normalisés (Standard
Operative Procedures ou SOP). Cette nécessité apparaît surtout là où la réglementation n’est pas
homogène, comme c’est le cas en Italie, comme nous le verrons
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p262
bientôt22. C’est pour cette raison que les fonctions, les responsabilités et les procédés
opérationnels des CdB, surtout en ce qui concerne leur fonction consultative sur les protocoles
d’expérimentation clinique, tendent à une homogénéité en accord avec les lignes de conduite
énoncées dans la version de 1996, harmonisée et tripartite (Europe, Japon, Amérique du Nord)
des Normes de bonne pratique clinique (voir la note 18).
Il nous semble donc, si l’on reprend ce que nous avions mentionné au début, que toutes les
fonctions et toutes les activités que l’on veut attribuer aux CdB ne peuvent être effectuées s’il
n’existe pas de lien, direct ou indirect, avec certains centres de réflexion où les problèmes d’ordre
éthico-philosophique sont traités de façon privilégiée. Cette réflexion doit par la suite se
concrétiser par l’enseignement de l’éthique médicale dans le programme de médecine. En fait, il
importe de faire connaître les critères de base et les anthropologies de référence à ceux qui se
préparent à pratiquer dans le domaine biomédical. Comme nous l’avons déjà exprimé, cet aspect
nous semble représenter un devoir de la bioéthique en tant que discipline et cette dernière devra
constituer un mouvement intellectuel avec un ensemble de spécialistes, un collège invisible, qui
démontrera l’application des principes pour certains problèmes actuels et pertinents parmi les
plus connus et les plus discutés dans la pratique de la médecine. Sans cette réflexion de base, les
CdB deviendraient des instruments sans contenu, simplement liés par une pratique contingente, et
qui apporteraient des solutions hétérogènes et improvisées reflétant les valeurs de référence des
membres particuliers.
La situation internationale
Depuis l’institution officielle des premiers CdB – comme celui établi par la Cour suprême du
New Jersey en mars 1976 – de nombreux CdB ont continué et continuent à être créés dans les
différents pays tant au niveau national que régional ou local.
D’après la documentation qui parvient à notre Centre de Bioéthique et d’après les publications
disponibles, nous pouvons essayer de dresser ici le tableau de la situation actuelle de ces
organismes, dans les pays qui ont déjà eu de l’expérience dans ce domaine, en ce qui concerne
leur distribution aux différents niveaux, leur composition et leurs réflexions sur certains
problèmes particuliers de bioéthique, indica=======================================
p263
tions qui constituent sans aucun doute un important point de référence surtout si elles
proviennent de CdB de premier niveau (comités nationaux), comme nous le verrons plus loin.
Nous aborderons plus en détail la situation italienne relativement aux aspects juridiques et
opérationnels auxquels ces comités doivent se soumettre.
Nous préciserons aussi comment, dans le vaste sujet des CdB, on doit considérer les
différentes «commissions» ad hoc formées pour affronter un problème particulier23. Tandis que
les CdB sont généralement conçus comme des organismes permanents qui affrontent
régulièrement des problèmes éthiques soulevés par la pratique clinique, ou les protocoles
d’expérimentation, ou en général par les applications de la technologie biomédicale à l’homme,
les commissions sont pour leur part formées d’un groupe d’experts, désignés par une autorité
déterminée, pour une période de temps définie – mais il existe de nombreuses exceptions
importantes de commissions permanentes, comme celle de la commission présidentielle
américaine – qui ont pour fonction d’évaluer un certain problème et d’exprimer une opinion
éthique motivée. Sur ce modèle, nous pouvons trouver, dans la documentation dont nous disposons, différentes commissions instituées bien avant 1976, mais qui doivent évidemment être
considérées comme de véritables CdB ante litteram (avant la lettre). Par ailleurs, nous pourrons
voir, dans la description qui suit, que plusieurs commissions éthiques continuent encore
aujourd’hui à être instituées ad hoc dans de nombreux pays24. Mais tout d’abord, nous aimerions
donner quelques indications sur les différents niveaux institutionnels qui pourraient instituer des
CdB et qui en fait l’ont fait dans divers pays.
Le premier est le niveau central, national (fédéral), ou même supranational. À ce niveau,
revient la tâche d’affronter des problèmes de longue haleine qui touchent la population en général
(par exemple, les thèmes de la manipulation génétique, de la procréation artificielle, de la
protection de l’embryon, des choix de l’économie des services de santé nationale, et ainsi de
suite). Il pourrait s’agir d’une référence technique pour les actes du gouvernement en vue de
l’élaboration des lois-cadres. C’est à ce niveau que l’on retrouve par exemple le Comité
Consultatif National d’Éthique qui a été institué en France et le «Comitato nazionale per la
Bioetica» italien.
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p264
En outre, les CdB de ce niveau devraient avoir pour tâche d’énoncer des recommandations et
des lignes de conduite afin de raffermir éventuellement l’orientation éthico-déontologique des
niveaux périphériques.
Enfin, on pourrait prévoir un rôle d’accréditation ou de révision des procédures des CdB de 2e
et de 3e niveaux.
Le deuxième niveau est institutionnel, ou académique, ou régional, ou concernant les ordres
professionnels. Il existe à l’intérieur des institutions de recherche, financées ou non par le
gouvernement central, ou à l’intérieur des universités, ou au sein des ordres des médecins et des
infirmières, ou dans les structures administratives régionales.
La tâche spécifique de ces comités se rapporte principalement à la recherche et à
l’expérimentation clinique, aux problèmes d’ordre strictement déontologique ou professionnel, à
la promulgation d’indications pour la sauvegarde des droits des malades dans les hôpitaux.
Le troisième niveau enfin est le niveau local, hospitalier ou des cliniques communautaires qui
possède des fonctions plus spécifiques reliées à l’étude de cas cliniques, à l’animation et à la
formation des opérateurs.
Examinons maintenant, de façon sommaire, la situation internationale des CdB en tenant
compte du fait que, désormais, pratiquement tous les pays se sont dotés de ces comités et qu’il est
donc impossible d’en faire une liste complète. Les exemples suivants de CdB représentent les
premiers qui ont été constitués, ceux qui travaillent régulièrement et qui publient des rapports sur
les différents sujets.
États-Unis
Comme nous l’avons déjà mentionné, les États-Unis représentent le berceau des CdB et le
point de départ de leur diffusion à travers le monde. L’étude de la situation américaine est par
conséquent particulièrement significative.
En nous reportant aux subdivisions en trois niveaux décrites plus haut, nous commencerons
par étudier les CdB «centraux» ou de premier niveau. Le plus important est sans aucun doute la
President’s Commission for the Study of Ethical Problems in Medicine and Biomedical and
Behavioral Research25.
Étant donné que de nombreux problèmes éthiques apparaissaient dans le domaine de la
biomédecine, le Congrès américain a autorisé en novembre 1978 la création d’une commission
présidentielle permanente qui avait pour tâche d’étudier et de donner des opinions sur des
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p265
problèmes. En juin 1979, le président Carter nomma les onze membres de la Commission:
trois membres choisis parmi les scientifiques renommés dans le milieu de la recherche
expérimentale; trois membres choisis parmi les cliniciens éminents; cinq membres choisis parmi
les personnes qui s’étaient le plus distinguées dans les domaines éthique, théologique, juridique,
des sciences naturelles, des sciences humaines, de l’administration des services de santé, du
gouvernement, de l’administration publique.
En janvier 1980, la Commission commença officiellement ses travaux et les tâches suivantes
prirent forme: 1) aider à clarifier les problèmes, particulièrement pertinents sur le plan
décisionnel, en apportant des indications spécifiques; 2) suggérer à divers niveaux et avec
différents moyens des directives pour la politique publique qui ne se traduiront pas
nécessairement par une législation; 3) servir de guide à ceux qui sont appelés personnellement à
prendre les décisions, sans toutefois dicter des choix particuliers en vertu des diverses échelles de
moralité.
Depuis le début de ses travaux, la Commission a déjà publié plusieurs rapports traitant de
nombreux problèmes (la détermination de la mort cérébrale, l’attitude face aux patients en état
végétatif persistant, le génie génétique et ses applications sur l’homme, les rapports entre
l’économie et la santé, etc.).
Du point de vue économique, la Commission a pu compter sur un budget de 5 millions de
dollars par an. Un programme de formation et d’éducation s’est formé dans son sillage, offert et
géré par l’Institute of Society, Ethics and Life Sciences, plus connu sous le nom d’Hastings
Center, un des premiers centres de bioéthique au monde, fondé dès 1969.
On trouve, toujours aux États-Unis, aux deuxième et troisième niveaux deux types différents
de CdB: a) les Hospital Ethics Committees, formés à l’intérieur des hôpitaux particuliers, et b) les
Institutional Review Boards (IRBs) qui existent dans les instituts de recherche et qui s’occupent
principalement d’évaluer les protocoles d’expérimentation sur l’homme et d’énoncer une opinion
éthique.
Quant aux comités éthiques des hôpitaux, leurs tâches sont les suivantes: évaluer les décisions
relatives au traitement des malades en phase terminale ou des patients inaptes; évaluer toutes les
décisions médicales qui présentent des aspects éthiques; conseiller les patients, la famille, les
médecins et tout autre membre du personnel de l’hôpital relativement à des problèmes délicats et
particuliers qui concernent le diagnostic, le traitement ou la réhabilitation; énoncer des lignes de
conduite en ce qui concerne des techniques diagnostiques, des traitements particuliers ou des
problèmes d’ordre économique ou administratif de répartition des fonds; mener des programmes
de formation et d’éducation pour tous les membres de l’hôpital, que ce soient les médecins, les
infirmières ou les administrateurs. En ce qui concerne la
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p266
composition de ces CdB, une enquête menée en 1983 par la President’s Commission a révélé
que les médecins représentent la catégorie la plus présente à l’intérieur des comités, soit environ
60% du total des membres. Certains de ces comités sont composés exclusivement de médecins
(le comité des pairs), cependant dans la majorité des cas, on retrouve au moins un membre
religieux et deux ou trois membres d’autres professions. Le personnel administratif et infirmier
est souvent représenté. Vous trouverez au tableau 1 les différentes catégories de personnes avec
le pourcentage de leur représentation tel qu’il ressort de l’enquête de la President’s Commission.
Tableau 1 - Composition des CdB américains
Catégories
n. moyen de membres % de comités dans
par comité
lesquels il y en a au
moins un
Médecins
5,25
100
Religieux
1,05
082
Administrateurs 0,58
053
Infirmiers
0,44
047
Avocats
0,35
041
Assistants
0,21
029
sociaux
0,15
024
Non experts
0,14
024
Autres
En janvier 1994, le Président Clinton a institué l’Advisory Committee on Human Radiation
Experiments suite aux témoignages selon lesquels des organismes fédéraux, ou nommés par le
gouvernement, auraient eu une conduite peu éthique en ce qui concerne l’exposition des êtres
humains aux radiations durant la guerre froide. En 1995, le comité consultatif a déposé un rapport
final volumineux26.
En particulier en ce qui concerne la présence de l’aumônier hospitalier à l’intérieur des CdB,
la Protestant American Health Care Association a récemment élaboré des lignes de conduite qui
définissent le rôle de ce professionnel. En fait, l’aumônier, même s’il peut avoir une formation
éthique, joue un rôle qui n’est pas celui du moraliste. Il iden======================================
p267
tifie et met au point les perspectives spirituelles qui sont des composantes essentielles du
processus de réflexion bioéthique27.
Par ailleurs, le rôle des IRB est plus défini et leur composition, leur procédure opérationnelle
ainsi que leur responsabilité sont réglementées, déjà depuis les années 70, par la FDA (organisme
central qui s’occupe de tout ce qui est introduit à l’intérieur de l’homme: additifs alimentaires,
médicaments, produits biologiques, etc.). Depuis juillet 1981, la réglementation est devenue une
loi fédérale qui décrit de façon détaillée les caractéristiques que doivent avoir les membres, leurs
responsabilités dans l’examen des protocoles d’expérimentation et enfin les critères à suivre pour
approuver une recherche28.
Australie
Dans les années 70, le gouvernement de l’Australie a entrepris l’étude des problèmes éthiques
que présentaient la médecine et les sciences biologiques29. La Australian Law Reform
Commission fut le premier organisme gouvernemental chargé de l’étude de ces thèmes. Cette
commission a produit en 1977 un rapport portant sur les transplantations de tissus humains,
rapport qui comportait de nombreuses indications éthiques, bien que son intention fût uniquement
de nature juridique (tous les membres étaient des juristes). Par la suite, de nombreux comités ont
vu le jour, autant au niveau des États qu’au niveau fédéral, à tel point que, en ce qui concerne les
techniques de reproduction, on peut affirmer aujourd’hui que l’Australie possède le plus grand
nombre de commissions, par rapport à sa population, que tout autre pays. Ceci s’explique en
partie par le fait que le système de gouvernement fédéral de l’Australie confère une autonomie
importante aux États pour ce qui touche la recherche biomédicale. Cependant, une grande partie
de la recherche est menée à travers le National Health and Medical Research Council
(NH&MRC) et c’est justement au sein de cet organisme que le Medical Research Ethics
Committee a été créé en 1983 dans le but de constituer un organe de consultation stable, semblable à la President’s Commission des États-Unis. Ce comité a donc
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p268
comme tâches: d’évaluer les problèmes particuliers qui surgissent dans les expérimentations
sur l’homme, en énonçant de temps en temps, sous forme de «Recommandations», des principes
qui devraient être observés en recherche dans des domaines spécifiques; de faciliter le travail des
CdB locaux en donnant des lignes de conduite et éventuellement en révisant leurs décisions (la
relation avec le CdB local est très importante car en Australie, comme dans d’autres pays, les
fonds publics pour la recherche sont accordés aux différents établissements uniquement si le CdB
local, ou, dans certains domaines de recherche, le comité national, exprime une opinion positive);
répondre aux questions spécifiques du gouvernement ou du ministère de la Santé.
Par la suite, en 1988, les ministères de la Santé et des Services sociaux des différents États et
du gouvernement fédéral ont fondé leur propre organe consultatif, le National Bioethics
Consultative Committee (NBCC) qui ne vécut pas très longtemps, disparaissant après à peine
trois ans. Afin de remplacer les deux comités mentionnés ci-dessus, en 1991, un nouveau
Australian Health Ethics Committee (AHEC) s’est formé et sa tâche est non seulement de donner
une orientation aux politiques sociales et d’éducation mais aussi d’assurer la coordination des différents CdB locaux.
Enfin, les différents États ont constitué leur propre commission sur des sujets particuliers:
nous pouvons rappeler les travaux de certains CdB importants qui ont fourni des indications sur
le thème de la fécondation in vitro (FIVET) et sur toutes les techniques de reproduction en
général: 1) The Waller Committee institué par l’État de Victoria en 1982, composé de huit
membres (un professeur de droit, Louis Waller, dans la fonction de président, deux théologiens –
un catholique et un protestant –, un enseignant, deux professeurs de médecine – un gynécologueobstétricien et un généraliste –, un avocat spécialisé dans le droit de la famille et un travailleur
social) qui a élaboré un Interim Report en 1982 dans lequel le «cas simple» (c’est-à-dire la
FIVET entre conjoints) était considéré acceptable d’un point de vue éthique30, et par la suite le
Report on the Disposition of Embryo produced by In Vitro Fertilization en 1984 qui traitait du
thème de la congélation des embryons; dans ce second rapport, il y eut de grandes divergences
entre les membres du comité en ce qui concerne l’obligation de respecter la valeur intrinsèque de
l’embryon; 2) The Queensland Bioethics Advisory Committee, de l’État de Queensland, qui a
fourni des indications sur l’utilisation des embryons dans l’expérimentation non thérapeutique; 3)
The New South Wales Law Reform Commission qui a émis de nombreux rapports sur la FIVET et
sur les mères porteuses en 1988.
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p269
Japon
Principalement en raison de la tradition éthique du confucianisme, le paternalisme médical n’a
jamais été remis en question au Japon, sauf au cours des dernières années. Pendant des
millénaires, toute la pratique médicale a été considérée comme «l’art du Yin» (l’amour et la
bienveillance dans l’enseignement de Confucius) et elle était le reflet de l’action bienveillante du
médecin dont dépendait entièrement le patient31.
Naturellement, cette situation a changé peu à peu suivant l’affirmation des nouvelles valeurs
socioculturelles mises de l’avant par les nouvelles générations. C’est ainsi que les références à la
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et à la Déclaration d’Helsinki ont commencé à
s’infiltrer dans le secteur de la santé et de la recherche scientifique. Le premier CdB fut formé en
1982 au sein de la faculté de médecine de l’Université de Tokushima relativement aux problèmes
soulevés par les premières expériences de fécondation in vitro. En juillet 1987, on comptait 41
CdB dans les 42 universités de l’État et 2 au sein des 29 universités privées.
La présence des CdB, avec la possibilité de discuter, d’évaluer, d’approuver ou de
désapprouver les protocoles d’expérimentation a créé dans l’opinion publique une image très
positive des scientifiques et des médecins. Il faut cependant noter que l’absence d’une norme
commune aux différents comités donne naissance à de nombreuses contradictions en matière de
jugements. Enfin, il est intéressant de souligner certaines particularités des comités japonais,
telles qu’elles ressortent d’un récent sondage: les membres de ces comités sont tous des
professionnels, ce sont uniquement des hommes, ils observent un mécanisme rigide qui défend le
pouvoir du chercheur de mener sa propre recherche, perpétuant ainsi le paternalisme médical qui
a toujours existé dans la profession mais qui semblait devoir disparaître.
Le gouvernement japonais a aussi formé un Committee on Brain Death and Organ
Transplantation ad hoc à titre d’organisme de consultation du Premier Ministre. En 1992, ce
comité a émis son rapport qui ne faisait pas l’unanimité parmi les membres et qui n’a jamais été
publié32.
Europe
Depuis l’émergence des problèmes de bioéthique dans les années 70, le Conseil de l’Europe a
émis, à travers les organismes de l’Assemblée Parlementaire et du Comité des Ministres, de
nombreuses
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p270
«recommandations» sur des thèmes spécifiques (voir tab. 2)33 assumant ainsi les fonctions
d’un véritable CdB34.
La Recommandation 934 (1982) de l’Assemblée Parlementaire représente une étape
importante dans la réflexion sur la bioéthique; elle contenait quatre recommandations
fondamentales qui chargeaient les États membres et le Comité des Ministres, selon leur
compétence: 1) d’assurer la protection des droits de la personne dans le domaine de la génétique
et en particulier le droit de conserver un patrimoine génétique indemne de toute manipulation, et
le droit à la protection du secret sur les informations génétiques contenues dans les banques de
données sur les individus; 2) de rédiger une liste des maladies graves susceptibles d’être traitées,
avec le consentement du mandataire; 3) de préparer une Convention européenne qui définisse les
applications acceptables du génie génétique sur les êtres humains envisageant même la création
d’un registre européen des recherches génétiques en cours; enfin 4) d’étudier la possibilité
d’accorder un brevet pour les micro-organismes modifiés génétiquement. Suite à cette
Recommandation, Le Comité ad hoc d’experts sur les problèmes éthiques et juridiques de la
génétique humaine (CAHGE) fut créé en 1983 avec un mandat du Comité des Ministres: «dans le
but d’étudier, particulièrement à la lumière de la Recommandation 934 (1982) du Conseil de
l’Europe, les problèmes soulevés par les techniques de manipulation génétique en vue de déterminer une politique commune aux États membres et élaborer éventuellement des instruments
juridiques appropriés». Des représentants de tous les États membres faisaient partie de ce comité,
ils venaient de quatre groupes de spécialistes: des biologistes, des médecins, des juristes et des
experts d’Éthique. Les représentants d’autres pays extracommunautaires dont l’Australie, le
Canada, les États-Unis, le Japon et le Saint-Siège en font partie à titre d’observateurs.
Le CAHGE a étudié des problèmes relatifs à la protection des données sur les patients, au
diagnostic prénatal, aux applications thérapeutiques, mais aussi à l’expérimentation menée sur
des embryons et des fœtus ainsi qu’aux techniques de fécondation artificielle.
Suite au développement des thèmes traités et aux résultats de la Conférence des Ministres de
l’Europe qui eut lieu en mars 1985 à Vienne et qui énonçait dans la Résolution no 3 l’obligation
de fournir des informations claires au public – jusque-là tenues secrètes – et de favoriser une
action internationale dans le domaine de la biomédecine, le CAHGE aboutit à la création vers la
fin de 1985 d’un nouveau
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p271
comité, le CAHBI (Comité ad hoc d’experts sur les progrès des sciences biomédicales) qui
avait pour tâche de coordonner les activités du Conseil de l’Europe dans ce domaine. Plus
particulièrement, cet organisme multidisciplinaire avait comme objectif d’aider à combler certains vides politiques et juridiques qui étaient apparus à cause du développement rapide de la
science biomédicale (expérimentation sur l’homme et sur les embryons, diagnostic prénatal,
utilisation de la biotechnologie, etc.). Le CAHBI était conscient de la difficulté pour les États
membres d’arriver à un consensus sur ces aspects extrêmement délicats et par conséquent, il
consacra ses activités à explorer toutes les avenues possibles pour promouvoir le dialogue
constructif entre les États membres et éviter des points morts d’incommunicabilité.
Avec le bagage du CAHGE, le CAHBI s’est fait le promoteur des importants projets de
recommandations qui ont ensuite abouti à la Recommandation nos 1046 de 1986 et 1100 de 1989
de l’Assemblée Parlementaire, toutes deux relatives à l’utilisation des embryons et des fœtus
humains. Il s’agit de deux documents importants dans lesquels le Conseil de l’Europe a voulu
affirmer les principes fondamentaux et les valeurs qui devraient inspirer toute réglementation en
bioéthique, et indiquer les limites qui devraient être respectées à tout prix35.
Mais le simple fait d’émettre des recommandations ne s’est pas avéré suffisant pour atteindre
l’objectif établi; c’est pourquoi, dans une seconde phase du parcours bioéthique européen, on a
choisi d’élaborer une Convention à laquelle les pays membres devraient souscrire. Ainsi, au cours
de la 17e Conférence des Ministres européens de la Justice, tenue à Istanbul en 1990, on
recommanda au Comité des Ministres (Résolution no 3) de donner des directives au CAHBI pour
qu’il: a) identifie les questions de bioéthique prioritaires; b) analyse la possibilité de préparer une
convention cadre, ouverte aussi aux États qui ne sont pas membres, qui établirait certaines
normes pour la protection de la personne humaine dans le contexte du développement des
sciences biomédicales.
Au cours de la 43e session ordinaire de juin 1991, l’Assemblée Parlementaire invitait, par le
biais de la Recommandation 1160 (1991) sur la préparation d’une Convention sur la bioéthique,
le Comité de Ministres à exposer concrètement cette convention cadre qui aurait dû être formée
d’un texte principal contenant certains principes généraux et de quelques protocoles
supplémentaires sur des aspects spécifiques. En outre,
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p272
on précisait que la Convention devrait posséder une structure flexible, même si cela ne devait
pas représenter le plus petit dénominateur commun. La Convention devrait faire référence aux
droits des personnes humaines et tenir compte des précédents travaux sur ce sujet du Conseil de
l’Europe. On recommandait donc d’autoriser et d’encourager le CAHBI à poursuivre la
préparation de ce projet de Convention, en étant à l’écoute des représentants des pays en voie de
développement, des organisations scientifiques – en particulier celles de la Communauté
européenne – ainsi que des organismes gouvernementaux et non gouvernementaux spécialisés
dans ce domaine. Enfin, la recommandation demandait au Comité des Ministres de soumettre le
projet final de Convention à l’Assemblée Parlementaire afin d’obtenir un avis formel avant
l’approbation définitive36.
En 1992, le CAHBI a été transformé en CDBI (Comité Directeur de Bioéthique)37 auquel on a
confié la tâche spécifique d’élaborer le projet de Convention qui a été publié pour discussion
avant d’obtenir l’avis de l’Assemblée Parlementaire. En effet, la Direction des Affaires
Juridiques de l’Assemblée du Conseil de l’Europe, avec l’autorisation du Comité des Ministres, a
rendu public en juillet 1994 ce projet de Convention élaboré par le CDBI38, afin de permettre au
CDBI lui-même ainsi qu’aux différents gouvernements nationaux de mener des consultations et
de tenir compte, dans la préparation de la version finale, des avis exprimés39. Finalement, après
cinq ans de travaux, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a approuvé le 19 novembre
1996 la «Convention pour la protection de la personne et de la dignité de l’être humain à l’égard
des applications de la biologie et de la médecine: Convention sur les droits de la personne et la
biomédecine40.
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p273
Toujours au niveau européen, il faut mentionner le European Forum for Good Clinical
Practice (EFGCP), un organisme sans but lucratif constitué en vertu des lois de la Belgique et
qui en juin 1995, a rendu public un document intitulé «Directives et recommandations pour les
comités éthiques européens»41. Ce document avait pour objectif «d’établir un meilleur niveau
d’efficacité scientifique et de responsabilité de procédures pour les activités des comités de
bioéthique (CdB) en Europe et il représente donc une base sur laquelle les CdB peuvent élaborer
et mettre par écrit leurs procédures spécifiques relatives à leurs fonctions à l’intérieur de la
recherche biomédicale»42.
En conclusion, nous rappellerons qu’au niveau européen, il existe aussi un European Ethical
Review Committee43. Il s’agit toutefois d’un organisme privé formé en 1977 dans le but
spécifique de réviser les protocoles d’expérimentation pharmacologiques présentés par les
grandes multinationales pharmaceutiques dont le comité se dit indépendant. Il est composé de 31
membres originaires de 9 pays européens (Belgique, France, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie,
Hollande, Norvège, Suède, Suisse). Ses principes de référence éthico- déontologique sont ceux
contenus dans la Déclaration d’Helsinki, tandis que la composition et la méthodologie de
procédure sont conformes aux normes gouvernementales américaines en ce qui concerne
l’expérimentation sur des sujets humains44.
Il existe dans les divers pays membres de l’Europe différentes réalités de CdB nationaux et
locaux sur lesquels nous nous arrêterons à titre d’exemple, y compris, en conclusion, la situation
italienne.
Belgique. La diversité d’expériences, de mentalité et de tradition philosophique qui différencie la
région francophone de la région flamande constitue la caractéristique des CdB de la Belgique45.
Le Fonds de la recherche scientifique médicale, qui est un des plus importants organismes de
subvention de la recherche du pays, a créé en 1976 une Commission d’éthique médicale qui s’est
donné comme but d’une part de donner son opinion sur des problèmes particuliers de bioéthique
(manipulation génétique, expérimentation humaine, transplantation d’organes), d’autre part
d’encourager et d’organiser la création de
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p274
commissions éthiques à l’intérieur des facultés de médecine et des hôpitaux universitaires. Deux
de ces CdB locaux ont vu le jour dans les deux universités catholiques de Louvain, l’un à
l’université flamande et l’autre à l’université francophone. La commission d’éthique de la faculté
de Médecine de l’Université catholique flamande a comme principale fonction d’exprimer des
opinions, sur des problèmes éthiques de portée générale, mais qui se traduisent de façon concrète
sur les activités scientifiques qui sont effectivement menées, et qui jouent aussi un rôle
pédagogique, car ses opinions sont communiquées aux diverses cliniques et au secrétariat de la
faculté, devenant ainsi des directives autant pour la pratique clinique que pour l’enseignement.
Cette commission a en outre la tâche de réviser les protocoles d’expérimentation, d’analyser des
cas concrets qui se posent de façon urgente dans la pratique clinique, et enfin de fournir des mises
à jour sur la bioéthique aux institutions qui en font la demande.
Par ailleurs, la commission de la faculté de Médecine de l’Université catholique francophone a
démontré des orientations opposées relativement aux fonctions à assumer. Dans un premier
temps, on a voulu que la commission, avant la réalisation des projets de recherche, fournisse une
évaluation éthique afin d’aider les médecins et assurer leur protection face à l’opinion publique,
tout en garantissant la protection des droits des malades. Par la suite, on a cherché à élaborer des
règles générales comme base nécessaire à l’évaluation des projets de recherche.
On retrouve aussi des commissions et des comités d’éthique dans les hôpitaux laïques du pays,
universitaires ou non. Ces comités sont composés de la façon la plus pluraliste et
interdisciplinaire qui soit et ils se rapportent à la Commission d’éthique médicale du Fonds de la
recherche scientifique médicale que nous avons mentionnée, et qui, à son tour, intègre les règles
déontologiques énoncées par le Conseil national de l’Ordre des médecins.
Danemark. Depuis 1979, le Danemark a créé un système constitué par un comité central, le
Central Research Ethics Committee (CREC) – au- dessus de tout le système des CdB
institutionnels qui évaluent les différents protocoles d’expérimentation sur l’homme – et sept
comités locaux de révision des expérimentations. Ce système a été institué conformément à la
Déclaration d’Helsinki en ce qui concerne l’expérimentation sur l’homme46. Le CREC a d’abord
été formé sur une base volontaire, même si c’était dans un cadre gouvernemental, par un groupe
de professionnels, tandis que, depuis 1992, il possède un statut et une autorité bien définis. Ce
comité coordonne donc les CdB locaux et il intervient là où la prise de décision est difficile47.
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p275
Dans la loi 353 du 3 juin 1987, le Parlement danois a émis des dispositions pour la constitution
d’un autre CdB national, le Danish Council of Ethics, relativement aux services de santé et aux
recherches biomédicales menées sur des sujets humains. Ce comité, qui a commencé ses activités
en janvier 1988, a comme tâche de collaborer avec les autorités de la santé et avec les différents
comités éthiques des institutions.
Il est intéressant de noter que le gouvernement danois a voulu insérer même les principes
éthiques de référence dans l’acte de constitution de ce comité. C’est ainsi que l’article 1 affirme
que les expériences devront être menées selon les principes de la Déclaration d’Helsinki et que
tout le travail et toutes les recommandations du Council «partiront de l’hypothèse que la vie
humaine commence au moment de la conception».
Le Council est formé de 17 membres nommés par le ministère de l’Intérieur, en s’assurant
qu’il y ait seulement un membre de sexe opposé en plus. En particulier, les articles 4 à 7
demandent au Council d’étudier les questions et de fournir des recommandations relativement à
un statut et une protection de l’embryon humain, aux possibilités du traitement génétique, à
l’utilisation des techniques de diagnostic prénatal, à la congélation des embryons.
En outre, de concert avec les CdB locaux, le Council doit donner des indications sur les
problèmes posés par l’expérimentation sur l’homme et sur les questions éthiques de plus grande
importance en ce qui concerne les services de la santé face à l’utilisation de nouvelles méthodes
diagnostiques et thérapeutiques.
Enfin, les articles 11 et 12 contiennent respectivement une liste des expériences interdites,
dont devra naturellement tenir compte le Council, et des peines prescrites pour la violation de ces
normes.
Ce comité publie tous les ans un volume composé d’une partie traitant des activités menées au
cours de l’année, et d’une autre renfermant les recommandations et les études approfondies sur
des thèmes particuliers. Au cours des années, des rapports ont été publiés sur: la protection des
gamètes humains, les ovocytes fécondés, les embryons et les fœtus (1989), l’éthique et le
diagnostic fœtal (1990), l’éthique et la cartographie du génome humain (1992)48.
France. Le Comité Consultatif National d’Éthique pour les Sciences de la Vie et de la Santé
(CCNE) existe depuis de nombreuses années en France. Il a été institué par décret du Président de
la République F. Mitterand le 23 février 1983.
Le décret, composé de 15 articles, assigne à ce comité la tâche de donner son opinion sur des
problèmes d’ordre moral soulevés par la recherche dans le domaine de la biologie, de la
médecine et des professions de
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p276
la santé, problèmes qui touchent tant les individus que les groupes sociaux ou la société en
général.
En plus du président qui est nommé directement par le Président de la République, tout
comme quatre membres représentant les principales lignes de pensée philosophique et spirituelle,
le comité est formé de 32 membres.
Quatorze membres sont choisis parmi les personnalités les plus renommées ayant des
compétences et des intérêts dans le domaine éthique et dans les secteurs de l’éducation, de la
recherche, de l’industrie, du travail, de la santé, de la justice, de la famille et des communications.
Quatorze autres membres sont des représentants du domaine de la recherche et proviennent
des principaux instituts nationaux de recherche et des principales universités.
Le Comité National français a publié jusqu’à maintenant près de cinquante rapports sur des
sujets de grande importance, ceux-ci sont regroupés par thèmes: comités éthiques, épidémiologie
et prévention, fin de la vie, génétique, sciences neurologiques, transplantations, procréation
artificielle et embryon, expérimentation sur l’homme, SIDA, sport, toxicomanie49. Le premier
président fut Jean Bernard et actuellement la fonction est remplie par Jean-Pierre Changeux.
Grande-Bretagne. C’est la British Medical Association (équivalente de la FNOMCeO italienne)
qui a eu l’initiative de la création d’un CdB national dans ce pays.
Déjà depuis 1849, cette association bénéficiait de façon autonome d’un Comité d’Éthique
Médicale qui devint par la suite le National Ethical Research Committee. Ce comité, dans ses
délibérations du 4 janvier 1984 et du 8 janvier 1986, a émis des normes relatives à la constitution
des comités locaux et du comité national lui-même.
Une des fonctions prioritaires assignée à ce CdB touche la recherche clinique biomédicale
(une note au document d’approbation précise que cette recherche se rapporte à tous les projets
impliquant l’utilisation de techniques ou de traitements cliniques et l’utilisation de renseignements personnels sur les patients).
Par conséquent, le comité représente dans ce domaine un point de référence autant en ce qui
concerne une évaluation de qualité et de conduite qu’une opinion préventive.
Les membres sont les suivants: un président nommé par le General Medical Council; deux
membres non médecins nommés par le Secretary of State for Health and Social Services; deux
membres choisis par la Conference of Medical Royal College et les facultés connexes; un
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p277
membre choisi par le Royal College of Nursing; un membre nommé par le Council for
Professions Supplementary to Medicine; un membre représentant l’industrie pharmaceutique.
Afin de maintenir une indépendance absolue, il est recommandé que le gouvernement soit
entièrement responsable du financement du Comité National.
Nous rappelons en outre le Warnock Committee mis en œuvre par le gouvernement
britannique et relatif aux problèmes de la fertilisation in vitro50. Nous vous reportons au début de
ce manuel où nous avons traité de ce comité51.
Portugal. Il existe dans ce pays un Conseil national d’éthique et de déontologie médicale
indépendant de la fédération des Ordres des médecins, composé d’un président et de 6 membres
(2 pour chacune des plus importantes universités portugaises).
Le Conseil national est étroitement lié au Centre de bioéthique portugais: le Conseil et le
Centre sont reconnus par le gouvernement et ils possèdent des statuts approuvés comme des actes
publics.
Suite à une initiative du Parlement, le gouvernement national a créé en 1990 le Conselho
Nacional de Ética para as Ciências da Vida (CNECV). Le président est nommé par le Premier
ministre tandis que les vingt autres membres, dont le mandat dure cinq ans, sont choisis par les
autres ministères intéressés et par les organismes scientifiques et professionnels52.
Il existe aussi des CdB dans différents hôpitaux centraux et cliniques universitaires. Par
exemple, à l’hôpital universitaire de Coimbra, on a constitué un CdB local appelé Commission
d’éthique médicale. Celle-ci a comme tâche de «veiller au respect, à l’intérieur de l’hôpital, des
règles éthiques et de déontologie» qui guident la pratique médicale. En particulier, les principes
sont ceux contenus dans les Déclarations de l’Assemblée médicale mondiale et dans le code de
déontologie de l’Ordre des Médecins. Les membres de droit sont le directeur clinique de
l’hôpital, un médecin-chef avec expérience en recherche clinique, un médecin avec expérience en
recherche clinique, le professeur titulaire de la chaire de pharmacologie de la faculté de
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p278
médecine, le titulaire de la chaire de déontologie médicale de la faculté de médecine.
De temps en temps, on requiert, à titre consultatif, la collaboration d’un juriste, d’un moraliste,
ou de toute autre personne jugée compétente pour des problèmes particuliers.
La commission, qui se réunit périodiquement, élabore dans les 30 jours suivants un rapport sur
toutes les expériences qui comportent des procédés diagnostiques ou thérapeutiques qui ne sont
pas encore en usage. En outre, la commission répond par un rapport chaque fois que la Direction
des services de santé de l’hôpital pose une question précise.
Espagne. L’Espagne ne possède pas de CdB national institué par le gouvernement; cependant, il
y a eu des commissions consultatives ad hoc formées pour discuter de problèmes particuliers et
dissoutes par la suite. Une de ces commissions est celle prévue par la loi 35/1988 qui régit les
techniques de fécondation artificielle et qui déclare à l’article 21 qu’une commission nationale
serait instituée suite à une Ordonnance Royale. Jusqu’en 1993, cette commission n’avait pas
encore été créée. Cependant, en Catalogne où il existe un gouvernement autonome, une
Commission consultative sur les techniques de reproduction assistée a été instituée en 1992 par
une Ordonnance53. Par ailleurs, au niveau central on retrouve un Comité central de déontologie
qui est un organe consultatif qui dépend du Conseil général de l’Association médicale espagnole.
Ce comité ne possède aucun pouvoir exécutif, et toutes les décisions ou recommandations qu’il
émet ne sont appliquées qu’après avoir reçu l’approbation du Conseil exécutif ou de l’Assemblée
générale.
Le comité central est composé de 8 membres élus par l’Assemblée générale du Conseil
général. Il a pour tâche spécifique d’élaborer, de mettre à jour et d’interpréter le Code de
déontologie médicale espagnole. Une autre de ses fonctions est d’organiser le congrès national
des comités de déontologie formés au sein de chaque association médicale provinciale.
Au contraire, l’évaluation éthique des cas de mauvaise conduite professionnelle et la
publication de recommandations ou de directives qui touchent le comportement déontologique
sont du ressort du Conseil général54.
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p279
En ce qui concerne les comités de 2e ou de 3e niveau, les règles juridiques prévoient que les
hôpitaux, publics ou privés, soient dotés de deux types de CdB: ceux pour l’expérimentation
clinique des médicaments, et ceux pour l’évaluation des exigences légales pour avorter.
On retrouve à l’article 64 de la loi 25/11/1990 et par la suite dans le Décret royal 561/1993, les
modalités pour la formation de ces comités, leur composition, leurs fonctions.
Le Comité de Etica del Hospital San Juan de Dios de Barcelone est un exemple de CdB
hospitalier. Il est formé de quatre groupes de personnes: a) les membres de droit (le Supérieur de
la communauté, un expert en éthique, un représentant de la pastorale, le directeur médical,
principal représentant médical dans l’hôpital); b) les membres ordinaires (deux médecins, une
infirmière professionnelle, un représentant du secteur non thérapeutique); c) les membres adjoints
(convoqués de temps en temps selon les besoins du cas ou du protocole à l’examen); d) un
secrétaire qui ne doit appartenir à aucun des groupes cités.
Le comité a trois fonctions spécifiques: décider pour des questions strictement éthiques,
conseiller dans les cas où des problèmes éthiques pourraient surgir, promouvoir des initiatives de
formation et d’information sur des problèmes et des questions éthiques. Les décisions sont prises
à l’unanimité ou avec la majorité relative de ses membres; mais lorsqu’il s’agit d’une décision, le
vote de l’expert en éthique aura plus de poids55.
Suisse. En Suisse, il existe depuis 1979 une Commission Centrale d’Éthique Médicale instituée
au sein de l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) et elle se fonde sur les Directives
pour la recherche expérimentale sur l’homme émises par l’ASSM (1970, mises à jour en 1981) et
sur la Déclaration d’Helsinki II (1975) de l’Association Médicale Mondiale. Il n’y a pas de lois
fédérales qui réglementent l’expérimentation sur l’homme, c’est pourquoi les directives données
par l’ASSM jouissent d’une grande considération, même devant les tribunaux, dans des cas de
dommages causés par l’expérimentation. Les directives de l’ASSM représentent donc beaucoup
plus que de simples recommandations, ayant un statut «paralégal».
La Commission Centrale s’occupe de tâches variées et organisées: répondre aux demandes
d’éthique médicale faites par la confédération, les cantons, les organismes internationaux, la
Fédération des médecins de Suisse ou même par les simples chercheurs et les citoyens privés, et
toujours donner une opinion par écrit; maintenir des contacts étroits
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p280
avec les commissions éthiques des instituts universitaires et des hôpitaux, en exerçant la
coordination, en favorisant des échanges d’informations et en tenant constamment à jour la liste
des CdB locaux; agir comme commission éthique pour les hôpitaux et les instituts de recherche
qui ne possèdent pas de commission propre; émettre des recommandations et des lignes de
conduite après approbation du Sénat de l’ASSM56.
Les comités de bioéthique en Italie
Bien que nous accusions un retard de nombreuses années sur les autres pays (et en particulier
sur les États-Unis), les CdB régionaux et locaux ont commencé à se répandre en Italie, avec
difficulté et de manière spontanée, et ce n’est que plus tard qu’un Comité national pour la
bioéthique (CNB) a été institué par décret du Président du Conseil des Ministres.
En suivant la chronologie, nous pouvons mentionner que déjà en 1975, certaines régions
italiennes avaient institué, dans le cadre de l’autonomie prévue par la constitution pour la gestion
des services de santé, des «commissions de consultation ou de conciliation», surtout à l’égard des
droits des malades mais aussi de l’expérimentation des médicaments57. Au début, comme nous
l’avons mentionné, les CdB ont éprouvé une certaine difficulté à «décoller», difficulté causée surtout par la peur que le fonctionnement de ces comités dégénère, plutôt que par les caractéristiques
de base des CdB. Pour cette raison, il est
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p281
important de reconnaître et d’éviter ces dégénérescences, comme nous l’avons indiqué
précédemment, afin de redonner au CdB sa véritable identité et de favoriser sa mise sur pied et
son fonctionnement en nombre toujours plus grand en Italie. Par ailleurs, le DM 27/4/92, déjà
cité, reflet de la directive de la CEE sur les «Normes de bonne pratique clinique» qui soumet
l’expérimentation à l’approbation d’un CdB, contribue au rayonnement des CdB en Italie.
Le CNB, quant à lui, a été institué par Décret du Président du Conseil des Ministres le 28 mars
1990, avec les objectifs suivants (art. 1 du décret d’institution):
«[...]
– élaborer, en profitant de la faculté d’avoir accès aux informations nécessaires auprès des
centres opérationnels existant au niveau national, et en relation avec les comités analogues
institués auprès des autres pays et même les organismes internationaux œuvrant dans le secteur,
un cadre résumant les programmes, les objectifs et les résultats de la recherche et de
l’expérimentation dans le domaine des sciences de la vie et de la santé de l’homme;
– formuler des opinions et proposer des solutions, même aux fins de prédispositions de
législations, afin d’aborder les problèmes de nature éthique et juridique qui peuvent surgir avec
les progrès de la recherche et l’apparition de nouvelles applications possibles d’intérêt clinique en
tenant compte de la protection des droits fondamentaux et de la dignité de l’homme et des autres
valeurs, comme cela est indiqué dans l’Acte constitutionnel et dans les autres instruments
internationaux auxquels adhère l’Italie;
– exposer des solutions pour les fonctions de contrôle autant à l’égard de la protection de la
sécurité de l’homme et de l’environnement dans la production de matériel biologique qu’à l’égard
de la protection contre des risques éventuels pour les patients traités avec des produits du génie
génétique ou soumis à des traitements génétiques;
– promouvoir la rédaction de codes de comportements pour le personnel des divers secteurs
intéressés et favoriser une information correcte de l’opinion publique».
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p282
Au cours des dernières années, le CNB a publié différents documents sur des thèmes de
bioéthique dont le premier traitait du traitement génétique, et, par la suite, de la biotechnologie,
de la formation en bioéthique, des transplantations d’organes, de la définition de la mort, du
consentement éclairé, et d’autres encore58.
Avant l’avènement du CNB, des commissions ministérielles avaient été instituées à des fins de
consultation pour étudier de vastes problèmes comme ceux du génie génétique et des techniques
de fécondation artificielle. Nous rappelons à cet égard la Commission Santosuosso qui a travaillé
du 31 octobre 1984 au 22 novembre 1985 et qui a publié un rapport ainsi qu’une ébauche d’un
règlement normatif sur la fécondation artificielle, et la Commission Polli qui a travaillé du 13
septembre 1985 au 9 février 1987 rédigeant un rapport sur les problèmes du génie et du
diagnostic génétique prénatal.
On dit qu’en Italie il n’existe pas de loi qui régisse l’institution des CdB locaux. Cependant,
pour combler ce vide législatif national, certains projets de lois qui ne se sont jamais concrétisés,
ont été proposés au cours des législatures successives. Nous en mentionnons seulement deux
parce qu’ils sont reliés plus directement à l’institution des «Comités d’«éthique» à l’intérieur des
hôpitaux, ce sont: 1) le d.d.l. no 236, présenté le 21 juillet 1987 par Bompiani et al., Tutela dei
diritti del malato con particolare riguardo alla condizione di degenza (protection des droits du
malade avec une attention particulière aux conditions d’hospitalisation); 2) la proposition de
Aniasi et al., Legge quadro sui diritti del cittadino malato (loi-cadre sur les droits des citoyens
malades), (acte no 4181 de la Camera dei Deputati, présenté le 14 novembre 1986). Dans le
premier d.d.l., on prévoyait à l’article 14 l’institution de «comités ético-déontologiques». Ils
devaient avoir une fonction de consultation pour le directeur sanitaire de l’établissement de santé
qui avait la tâche de mettre la loi en application, une fois approuvée. Il est intéressant de noter ici
comment la fonction de consultation et l’objet de l’intervention de tout CdB touche «tout ce qui
déborde des normes des lois qui réglementent l’aspect administratif, civil et pénal des services de
santé». En fait, la compétence des CdB devait être relative à quelque chose de «nouveau» qui
n’avait pas été codifié dans des lois ou des règlements: il s’agit là d’une précision très opportune
pour éviter de «dégénérer» comme nous en parlions plus haut. En particulier, l’opinion que l’on
demande à ces comités touche surtout l’expérimentation biomédicale.
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p283
Mais on leur demandait aussi de promouvoir des séminaires et des cours de mise à jour
relativement à la déontologie et à l’éthique médicale pour le personnel des établissements de
santé.
Par ailleurs, la loi proposée par Aniasi et al. traitait à l’article 11 de l’institution de
«commissions conciliatoires» qui seraient intervenues dans les décisions transmises par le
protecteur du citoyen, lequel reçoit et instruit les plaintes relatives à la violation des droits du
malade. Le Movimento Federativo Democratico est en réalité le véritable promoteur de ce projet
de loi; déjà en 1978, le mouvement s’était battu pour la création d’un tribunal pour les droits des
malades. C’est justement sur l’expérience pluriennale de ces tribunaux que se fondait ce projet de
loi-cadre. En définitive, ce projet développait surtout le côté juridique, identifiant des «pouvoirs»
nouveaux et différents des fonctions traditionnelles, même en ce qui concerne l’aspect
disciplinaire, et il était par conséquent très éloigné de l’organisation et des motivations de base
des CdB.
En l’absence de normes nationales, qui pour plusieurs ne sont pas opportunes car elles
contraindraient les CdB, il existe au contraire depuis longtemps des comités de 2e et de 3e niveau
qui sont en œuvre avec des fonctions particulières et différentes de celles du comité national.
Dans le cadre de l’autonomie prévue par la Constitution pour la gestion des services de santé,
il existe au niveau des régions en Italie des lois qui instituent des «commissions consultatives»
qui travaillent autant dans le domaine de l’emploi de nouveaux médicaments dans
l’environnement hospitalier, pratiquement le domaine de l’expérimentation clinique, que dans
celui de la protection des droits du malade, en général des usagers des services de santé59.
De façon plus ou moins autonome et indépendante des prescriptions des lois régionales, et
avec des modalités de fonctionnement qui se rapprochent des caractéristiques de base des CdB,
on retrouve les comités des universités, des instituts de recherche, des hôpitaux, des USL (unité
locale des services de santé), des associations scientifiques et professionnelles. L’enquête du
CENSIS60, mentionnée plus haut, a dressé un portrait assez fidèle de l’univers des CdB italiens,
en en recensant 114 tout en sachant, comme il est indiqué dans l’étude, qu’il ne s’agit pas d’un
nombre précis ou définitif. En fait, l’étude traite seulement des comités qui ont répondu au
questionnaire qui leur avait été envoyé, mais cela représente un point de départ pour élaborer des
propositions et pour découvrir de nouveaux moyens pour mettre en œuvre et coordonner les CdB
locaux. On retrouve dans les tableaux qui suivent (tab. 3 à 6) certaines caractéristiques, tirées de
l’enquête, des comités recensés.
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La situation nationale a évolué au cours des dernières années61 en l’absence de dispositions
législatives et de coordination entre les CdB62. Certaines initiatives pour combler les carences
relatives au manque de normes pour les procédés de révision éthique des protocoles
d’expérimentation, y compris la constitution et le fonctionnement des CdB, ont vu le jour. Depuis
1986, de nombreux congrès et séminaires se sont succédé avec pour thème les CdB, mais ils
avaient tous un caractère théorique et aucun n’a donné de définition d’une procédure
opérationnelle commune.
En juin 1989, la Società Italiana di Bioetica e dei Comitati Etici (SIBCE) a été créée et l’on
retrouve parmi les objectifs de ses statuts celui de «promouvoir la diffusion de la sensibilité aux
problèmes de l’éthique dans les activités de recherche scientifique biomédicale». Dans le but de
favoriser la propagation de procédés opérationnels communs, la société a organisé deux congrès:
le premier en 1993, avec comme objectif de favoriser le développement et les débats à l’intérieur
de CdB en général; le second en 1997, avec comme objectif la formation des membres des CdB,
en proposant certaines normes opérationnelles concrètes parmi lesquelles celles que nous avons
mentionnées auparavant de l’European Forum for Good Clinical Practice (EFGCP).
Parmi les premiers en Italie, le CdB de l’Associazione Nazionale per la Farmacovigilanza a
publié en 1993 ses propres procédés opérationnels normalisés (SOP)63. Ces derniers représentent,
selon les exigences de la GCP, une obligation formelle pour un CdB. En effet, leur adhésion
garantit l’uniformité des critères et l’impartialité de l’évaluation et ils se posent comme référence
opérationnelle autant pour les membres du CdB que pour les personnes et les organismes qui
demandent des opinions. En outre, les SOP peuvent être modifiés de façon dynamique avec le
temps en ce qui concerne la composition et la compétence des membres du CdB ainsi que des
procédés d’évaluation particuliers des protocoles examinés.
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La Fondation Lanza de Padoue organise depuis 1994 des cours de formation pour les membres
des CdB qui sont cependant destinés aux comités qui s’intéressent à la pratique biomédicale et
non particulièrement à la révision éthique des protocoles d’expérimentation clinique.
En juin 1995, la Società Italiana di Farmacologia a organisé un congrès auprès de l’Istituto
Superiore di Sanità au cours duquel on a élaboré pour le Ministère de la Santé une proposition de
réglementation sur la constitution et le fonctionnement des CdB se rapportant à la révision des
essais cliniques. Dans ce document, envoyé par la suite au Ministre de la Santé, il est indiqué
clairement que les procédures opérationnelles se reportent aux directives du EFGCP. Cependant,
le ministère n’a toujours pas pris aucune mesure à cet égard.
Entre-temps, s’est créée une collaboration spontanée entre de nombreux comités éthiques. Ce
«réseau» a pris forme par la suite et s’est appelé la Federazione Nazionale dei Comitati di Etica
(FNaCE)64.
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p286
En outre, l’Agenzia per i Servizi Sanitari Regionali65 a élaboré en 1996 des directives dans le
but principalement d’assurer un niveau élevé d’efficacité scientifique et de conformité des
procédés des activités des CdB en Italie. Au cours de la même année, une commission du
CENSIS sur les CdB et l’expérimentation des médicaments a produit un document ad hoc dans
lequel on souligne entre autres la fonction du CNB à titre d’instrument de formation et
d’orientation pour les CdB locaux.
Pour sa part, le CNB a ressenti la nécessité, face à une situation en pleine mutation, de revenir
sur le sujet des CdB suite au document publié en 1992 (voir la note 19). Dans cette récente prise
de position, le CNB fait le point sur les problématiques qui surgissent sur le sujet et il a exprimé
une opinion66.
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Conclusion et perspectives
Les CdB, ces nouvelles institutions publiques, méritent une attention particulière dans leur
ensemble: leur existence même tend à indiquer l’importance qu’a prise la bioéthique, avec ses
problématiques, autant dans le domaine de la recherche que dans celui des soins, et même dans la
vie et la culture des populations. Les CdB représenteront de plus en plus une espèce de charnière
entre le monde de la recherche scientifique et la société politique et civile. En fait, dans les
sociétés démocratiques, toute grande décision devra être le fruit d’une synergie et d’une
confrontation entre les scientifiques, les législateurs et le consentement de la population. Ce
dialogue ne se fera pas facilement, et les législateurs seront souvent tentés de contenter l’opinion
publique, parfois même contre son propre bien, afin de recueillir l’approbation et la faveur du
public: c’est surtout dans de tels cas que les CdB pourront représenter une voix critique et une
conscience tournée vers le progrès, pourvu qu’ils ne soient pas eux-mêmes politisés ou objets
d’intérêts particuliers et qu’ils maintiennent intact leur attachement à des principes de sauvegarde
des valeurs de la personne humaine.
=======================================
p288
Tableau 2 - Principaux documents du Conseil de l’Europe
en matière de bioéthique
A. Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe
Résolution 613 (1976) Sur les droits du malade et du
mourant
Recommandation 779 Sur les droits du malade et du
(1976)
mourant
Recommandation 818 Sur la situation du malade mental
(1977)
Recommandation 934 Sur le génie génétique
(1982)
Recommandation
Sur l’utilisation d’embryons et de
1046 (1986)
fœtus humains
à des fins diagnostiques,
thérapeutiques, scientifiques
et commerciales
Recommandation
Sur l’utilisation des embryons et des
1100 (1989)
fœtus humains en recherche
scientifique
Recommandation
Sur l’harmonisation des règles pour
1159 (1991)
l’autopsie
Recommandation
Sur la préparation d’une convention
1160 (1991)
sur la bioéthique
Recommandation
Sur les développements de la
1213 (1993)
biotechnologie et de ses
conséquences pour l’agriculture
B. Comité des Ministres du Conseil de l’Europe
Résolution (78) 29
Sur l’harmonisation de la législation
des États
membres relativement au
prélèvement, à la greffe
et à la transplantation de substances
humaines
Recommandation
Relative aux échanges internationaux
R(79) 5
et au transport de substances
humaines
Recommandation
Relative à la protection juridique des
R(83) 2
personnes
souffrant de maladie mentale,
institutionnalisées
leur volonté
Tableau 3 - Dates decontre
naissance
des comités/commissions
Recommandation
Relative à la déclarationtotal
des travaux
R(84) 16
qui concernent la reconstruction de
l’ADN
Avant 1986
012,0
Recommandation
Relative à la recherche médicale
Entre 1986 et 1988
009,4 sur
R(90)
3
les
êtres
humains
Entre 1988 et 1991
045,3
Recommandation
Sur le dépistage génétique prénatal, le
R(90) 13
diagnostic
génétique prénatal et les conseils
afférents
Recommandation
Sur l’utilisation des analyses d’ADN
Après 1991
Total
033,3
100,0
Source: recherche CENSIS, 1993.
Tableau 4 - Organismes qui ont constitué les comités/commissions
total
Université
Commission régionale
Administration extraordinaire USL
Conseil d’administration
Comité de gestion
Direction sanitaire
Direction scientifique
Autre (*)
Total
009,3
007,9
035,5
015,8
015,8
002,6
002,6
010,5
100,0
(*) Congrégations religieuses; organismes institutionnels; comité exécutif; bureau de direction.
Source: recherche CENSIS, 1993.
Tableau 5 - Compétence et professions représentées dans
les comités/commissions
aucun 1 ou 2 ou plus total
Expert en droit
Expert en éthique
Théologien ou religieux
Psychologue
Fonctionnaire public
Politicien
Spécialiste médical
Pharmacologue clinique
Pharmacien
39,2
55,7
63,3
78,5
67,1
89,9
5,1
55,7
53,2
59,5
40,5
35,4
21,5
31,6
10,1
38,0
43,0
43,0
1,3
3,8
1,3
–
1,3
–
56,9
1,3
3,8
100,0
100,0
100,0
100,0
100,0
100,0
100,0
100,0
100,0
Source: recherche CENSIS, 1993.
=======================================
p290
Tableau 6 – Activités du comité/de la commission
total
Expérimentation en pharmacie
Expérimentation en chirurgie
Expérimentation en diagnostics
Sélection de transplants
Reproduction assistée
Pilule avortive
Autre (*)
091,0
032,1
038,5
011,5
009,0
005,1
024,4
(*) Neuropsychiatrie; exposition aux agent physico-chimiques; éthique de la réhabilitation;
recherche biologique; rapports médecin-patient; expérimentation animale; précis de pharmacie;
expérimentation de cosmétiques.
Le total est différent de 100 parce plus de réponses étaient possibles.
Source: recherche CENSIS, 1993.
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P291
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Problems in evaluation», HEC Forum, 4(1), 1992, pp. 5-18; B. Hosford, Bioethics committees,
Rockville, Aspen System Corporation, 1986; F.A. Isambert, «De la bioéthique aux comités
d’éthique», Études, 358, 1983, pp. 671-683; Judicial Council, A.M.A., Chicago, «Guidelines
for ethics committees in health care institutions», J.A.M.A., 253, 1985, pp. 2698-2699; M.J.
Kelly, D.G. Mc Carthy (eds.), Ethics committees: a challenge for catholic health care,
St. Louis (MO), Pope John XXIII Center, 1984; L.W. Osborne, «Research on human subjects:
Australian ethics committees take tentative steps», J. Med. Ethics, 9, 1983, pp. 66-68; Royal
College of physicians, Guidelines on the practice of ethics committees in medical research
involving human subjects, Londres, R.C.P., 1990; F. Rosner, «Hospital medical ethics
committees: a review of their development», J.A.M.A., 253, 1985, pp. 2693-2697; E. Sgreccia,
«Etica, ma su quale fondamento?», Orizzonte Medico, 1, 1987, pp. 1-2; E. Sgreccia, «Il
comitato etico tra assistenza e ricerca», Orizzonte Medico, 4, 1987, pp. 2-3; E. Sgreccia,
«L’etica: presupposto di affidabilità dell’ospedale», Sanare Infirmos, 1, 1987, pp. 12-16; A.G.
Spagnolo, «I comitati etici negli ospedali: sintesi e considerazioni a margine di un recente
simposio», Medicina e Morale, 3, 1986, pp. 566-583; A.G. Spagnolo, E. Sgreccia, «Comitati e
Commissioni di bioetica in Italia e nel mondo», Vita e Pensiero, 12, 1989, pp. 802-818; id., «I
comitati di bioetica. Sviluppo storico, presupposti e tipologie», Vita e Pensiero, 78, 1989,
pp. 500-514; R.M. Veatch, «Hospital ethics committees: is there a role?», Hasting Center
Report, 7, 1977, pp. 22-25; Walters L., «Bioethics Commissions: international perspectives»,
J. Med. Phil., 14/4, 1989, pp. 363-462; R.J. Levine, Research Ethics Committees, in W.T.
Reich (ed.), Encyclopedia of Bioethics (4th volume), New York, 1995, pp. 2266-2270.
2. On trouve les publications suivantes, par ex.: Hosford, Bioethics Committees; B.J. Edwards,
A.M. Haddad, «Establishing a nursing bioethics committee», J. Nurs. Adm., XVIII, 3, 1988,
pp. 30-33; S. Théorêt, «The role of the bioethics committee dealing with HIV infection», Can.
Nurse, LXXXIV, 7, 1988, pp. 41-47.
3. Dans cette optique, on trouve même les contributions mentionnées dans le livre de Aa. Vv,
Dalla bioetica ai Comitati Etici,. Milan, 1988. Dans les publications, on retrouve diverses
appellations: Biomedical Ethics Committee, Medical Ethics Committee, Ethics Committee ou
Ethics Advisory Committee, Hospital Ethics Committee, Institutional Ethics Committee ou
Institutional Review Boards (IRBs), Ethics Forum ou Bioethics Study Group, Patient Care
Review Committee, Prognosis Committee, Critical Care Committee, Terminal Care
Committee, Cerebral Death Committee, Child protective Committee, Infant Care Review
Committee ou Infant Care Advisory Committee, Optimum Care Committee, Nursing
Bioethics Committee, Nursing Home Bioethics Committee, Unit for Human Values in Medicine, Human Rights Committee, Institutional Animal Care and Use Committee, etc.
4. C’est ainsi que s’exprime P. Cattorini, «I Comitati d’etica negli ospedali», Aggiornamenti
sociali, 6, 1986, pp. 415-429. Limitées à la fonction spécifique de révision des protocoles
d’expérimentation clinique, les «Normes de bonne pratique clinique» de la Communauté
européenne définissent le Comité éthique ainsi: «une structure indépendante, constituée de
médecins et d’autres membres, dont la tâche est de s’assurer que soient sauvegardés la
sécurité, l’intégrité et les droits humains des sujets qui participent à une étude, fournissant de
cette façon une garantie publique» (cf. Glossario, dans l’Annexe du D.M. 27/4/1992, n. 86,
qui contient la Directive 91/507/CEE).
5. Rosner, Hospital medical ethics committee...
6. Ces directives ont été révisées par la suite en 1975, et plus récemment en 1994 (cf. National
Conference of Catholic Bishops, «Ethical and Religious Directives for Catholic Health Care
Services», Origins, 24/27, 1994, pp. 449-462. En ce qui concerne le CdB, la directive 37
prévoit «qu’un comité éthique ou une autre forme de consultation éthique doit être disponible
afin d’offrir de l’aide en exprimant une opinion à l’égard de situations éthiques particulières,
de fournir une possibilité de formation, de réviser et de recommander des lignes de conduite.
À cette fin, chaque diocèse doit avoir des normes appropriées de consultation médico-éthique
qui respectent la responsabilité pastorale de l’évêque diocésain tout en aidant les membres du
comité éthique à se familiariser avec la médecine catholique et, en particulier, avec ces
directives»).
7. Kelly, Mc Carthy (eds.), Ethics committees...
8. Veatch, Hospital ethics committees...
9. «[Dans les comités éthiques] la compétence et l’évaluation médicale s’affrontent et s’intègrent
à celles des autres personnes présentes autour du malade, afin de protéger leur dignité et la
responsabilité médicale elle-même» (Pontificio Consiglio della Pastorale per gli Operatori
Sanitari, Carta degli Operatori Sanitari, Cité du Vatican, 1995, n. 8).
10.
Tiré de E. Mascitelli, Per una lettura antropologica della medicina, in Aa. Vv., Saggi di
medicina e scienze umane, Milan, 1984, pp. 20-22.
11.
Voir le chapitre II de ce volume; E. Sgreccia, «Problemi dell’insegnamento della
bioetica», G. Ital. Form. Perm. Med., xv, 2, 1987, pp. 104-117.
12.
Voir dans ce même volume le chapitre II.
13.
Sgreccia, Economia e salute..., pp. 31-46; Lucioni, Economia e salute; Bompiani, Medico,
servizio sanitario..., pp. 691-716; Fost-Cranford, Hospital ethics committees...; Sgreccia,
Manuale di Bioetica II. Aspetti medico-sociali, pp. 491-524.
14.
À ce propos, voir: Torrelli, Le médecin et les droits...
15.
Institut International d’Études des Droits de l’Homme – Conseil de l’Europe, Le médecin
face aux droits de l’homme, Padoue, 1990. Plus récemment, le Réseau européen «Médecine et
droits de l’homme» a produit un volume collectif intitulé: La santé face aux droits de
l’homme, à l’éthique et aux morales, où l’on retrouve 120 cas pratiques examinés à la lumière
des droits de l’homme, de l’éthique et des morales religieuses (Éditions du Conseil de
l’Europe, Strasbourg 1997).
16.
Voir à ce sujet l’Instruction Donum Vitæ, de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi,
du 22 février 1987, dans la partie III (Cité du Vatican, 1987).
17.
Sur ce thème voir M. Zanchetti, La responsabilità giuridica del Comitato di etica
ospedaliero, in P. Cattorini (sous la direction de), Una verità in dialogo, Milan, 1994, pp. 7894.
18.
Comme nous l’avons déjà mentionné, il existe de nombreuses lignes de conduite relatives
à cette fonction du CdB. En Italie, elles sont contenues dans le D.M. 27/4/ 92 cité
précédemment. En mai 1996, le Steering Committee de la International Conference on
Harmonization (ICH) a publié une nouvelle version des «normes de bonne pratique clinique»,
version définie tripartite parce qu’elle a été produite par des experts des trois principales
régions géographiques intéressées par l’expérimentation clinique contrôlée: l’Amérique du
Nord, le Japon et l’Europe. En fait, ces nouvelles lignes de conduite constituent actuellement
une référence pour les trois régions géographiques en question. (Voir le texte intégral publié
dans le GCR Journal, 3(4), S1-S27, 1996.)
19.
Pour plus de détails sur l’institution et les procédures opérationnelles des CdB voir:
Spagnolo A.G., La protezione dei soggetti di sperimentazione: ruolo e procedure operative
dei Comitati di Etica, in A.G. Spagnolo, E. Sgreccia (sous la direction de), Lineamenti di etica
della sperimentazione clinica, Milan, 1994, pp. 113-140.
20.
En Italie, le Comité national pour la bioéthique (CNB) – dont nous parlerons plus loin – a
considéré dans l’une de ses publications traitant de la constitution des CdB locaux, la question
controversée de la mise en œuvre en vertu d’une loi d’un «réseau» complexe de CdB. Selon le
CNB, l’idée que la rationalité du système pourrait augmenter et que l’opinion publique
pourrait accorder plus d’autorité aux opinions émises sont deux éléments en faveur d’une
intervention législative qui mènerait à la constitution obligatoire des CdB. L’objectif d’éviter
ainsi une disparité dans le traitement des usagers des services de la santé, disparité qui
proviendrait du fait que la structure possède ou non un CdB, représente un élément encore plus
persuasif.
Cependant, les objections suivantes semblent plus sérieuses et plus motivées: avec l’institution
prévue par la loi des CdB «on donnerait lieu à la constitution par simple respect d’une
prescription légale et non en raison d’une sensibilité effective aux problèmes de la bioéthique;
les instances «institutionnelles» se multiplieraient sur le plan formel sans garantie d’un
engagement substantiel; le danger de dégénération et de compromis de parti deviendrait plus
concret».
Même en encourageant et en favorisant l’organisation spontanée des CdB qui mette en valeur
l’autonomie et l’indépendance, une loi hypothétique – poursuit le CNB – n’aurait de raison
d’être que pour indiquer les paramètres auxquels les statuts du comité doivent se conformer,
une fois que l’activité de consultation dans le but de l’émission d’une opinion obligatoire a été
enclenchée. Par ailleurs, la prévision d’opinions obligatoires ne se traduit pas en soi par la
nécessité de fixer par la loi l’institution des comités et c’est pourquoi le D.M. mentionné n’en
dit pas plus sur les caractéristiques des CdB (cf. Comité national pour la bioéthique, Comitati
etici, Presidenza del Consiglio dei Ministri, Dipartimento per l’Informazione e l’editoria,
Rome 27 février 1992). Plus récemment (avril 1997), cette formule a été proposée à nouveau
avec quelques modifications qui tiennent compte du développement de la situation des CdB en
Italie.
21.
En France, devant l’apparition spontanée et non coordonnée de CdB locaux – créés
souvent en fonction des besoins et des intérêts des personnes impliquées – le Comité national
a élaboré un rapport spécifique dont les conclusions renfermaient certaines recommandations
pour faciliter et coordonner la mise sur pied des comités locaux (cf. Comité Consultatif
National d’éthique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, Rapport et recommandations sur
les Comités d’éthique locaux, le 7 novembre 1988).
22.
Leigh & Barron Consulting Ltd and Christie Associates for NHSTD pour le Department
of Health (R.-U.), Standard for Local Research Ethics Committees. A framework for Ethical
Review, Londres, 1994; Bendall, Standard Operating Procedures for Local Research Ethics
Committees. Comments and Examples, Londres, 1994; Food and Drugs Administration,
Information Sheets for Institutional Review Board and Clinical Investigators, Rockville (É.U.), 1995.
23.
Voir l’intéressante monographie «Bioethics Commissions: International perspectives»
(sous la direction de L. Walters) dans la revue J. Med. Phil., 14(4), 1989. On trouve une mise
au point sur les commissions de bioéthique à l’extérieur des É.-U. faite par D. Wikler dans
«Bioethics Commission abroad», HEC Forum, 6/4, 1994, pp. 290-304.
24.
Cette analyse ne peut évidemment par être exhaustive et contenir toute la réalité
internationale sur les CdB, cependant elle nous semble assez représentative pour en tirer les
problématiques connexes.
25.
USA President’s Commission, Final Report on studies of the ethical and legal problems
in medicine and biomedicine and behavioral research (Summing Up), U.S. Government
Printing Office, Washington (DC), 1983; B.A. Brody, «The President’s Commission: the need
to be more philosophical», J. Med. Phil., 14/4, 1989, pp. 369-383.
26.
Advisory Committee on Human Radiation Experiments (USA), Final Report,
Washington, 1995. Le rapport divisé en quatre parties traite de l’éthique de la recherche sur
des sujets humains: la perspective historique, les études de cas, les projets actuels, les
recommandations finales. Le Comité dispose aussi d’un site Internet:
http:/www..seas.gwu.edu/
27.
Pour un approfondissement sur ces lignes de conduite voir: Tripaldi E., Il cappellano
ospedaliero nei Comitati di Bioetica, Centro Studi «S. Giovanni di Dio», Rome, 1995; W.T.
Reich (ed.), Encyclopedia of Bioethics, New York, McMillan, 1995.
28.
M. Sherman, J.D. Van Vleet, «The history of Institutional Review Boards», Regulatory
Affairs, 3, 1991, pp. 615-628. On peut trouver une récente enquête sur les caractéristiques, les
politiques et les procédures des IRB des universités américaines de catégorie I dans: G.J.
Hayes, T. Dykstra, «A survey of university Institutional Review Boards: caracteristics,
policies, and procedures», IRB, 17/3, 1995, pp. 1-6.
29.
P. Kasimba, P. Singer, «Australian Commissions and Committees on issues in bioethics»,
J. Med. Phil., 14/4, 1989, pp. 403-424; Wilker, Bioethics Commissions abroad.
30.
Incidemment, nous rappelons que même cette situation a été jugée inacceptable par la
Congrégation de la Doctrine de la Foi, cf. Instruction «Donum Vitæ», partie II, no 5.
31.
R. Kimura, «Ethics Committees for “high tech” innovation in Japan», J. Med. Phil., 14(4),
1989, pp. 457-464.
32.
Wikler, Bioethics abroad... Comme on le sait, la transplantation d’organes et surtout
d’organes comme le cœur est un sujet tabou au Japon.
33.
Tiré de A.G. Spagnolo, «Il progetto di «Convenzione» Europea sulla bioetica», Vita e
Pensiero, 4, 1995, pp. 249-268.
34.
Pour connaître le développement de la bioéthique au niveau européen, voir: P. Riis,
«Medical ethics in the European Community», Journal of Medical Ethics, 19, 1993, pp. 7-12;
A. Rogers, D. Durand de Bousingen, Bioethics in Europe, Strasbourg, Council of Europe
Press, 1995.
41.
Le texte officiel anglais des directives se trouve dans Medicina e Morale, 5, 1995,
pp. 1064-1085.
42.
Ibidem, p. 1067.
43.
Faccini-Bennet-Reid, European Ethical Review Committee...Ce comité se réunit
habituellement une fois par mois; les rencontres ont souvent lieu à Londres, mais de temps en
temps elles se tiennent aussi dans d’autres villes continentales. Il est à noter que bien qu’il se
qualifie de comité éthique, cet organisme n’a pas jugé bon d’avoir parmi ses membres un
expert de philosophie ou d’éthique!
44.
Federal Register, 1981, 46, p. 8366.
45.
M.L. Delfosse, I Comitati di Etica in Belgio, un S. Spinsanti (sous la direction de), I
Comitati di etica in ospedale, Éd. Paulines, Cinisello Balsamo, 1988, pp. 101-110.
46.
U.H. Petersen, The Danish Committee-system, in Gerin G. (sous la direction de), Funzione
e funzionamento dei comitati etici, Padoue, AM, 1991, pp. 131-141.
47.
Wilker, Bioethics Commissions abroad.
48.
On peut demander directement au comité éthique danois des exemplaires des volumes
annuels: Det Etiske Räd, Ravnsborggade 2-4, DK-2200 Copenhagen N (téléc.:
45 35 37 57 55).
49.
La liste complète de tous les documents mis à jour en juillet 1995 est publiée dans Les
cahiers du Comité Consultatif National d’Éthique pour les sciences de la Vie et de la Santé,
l’organe officiel du comité dont le siège est au: 71, rue St-Dominique, 75007 Paris.
50.
M. Warnock, «A national ethics committee», Br. Med. J., 297, 1988, pp. 1626- 1627.
51.
Voir dans ce volume le chapitre intitulé «Bioéthique et avortement»; pour avoir une
vision d’ensemble de la situation des CdB au Royaume-Uni cf. A.V. Campbell, «Committees
and Commissions in the United Kingdom», J. Med. Phil., 14/4, 1989, pp. 385-401; J. Metters,
Regulations on bioethics in the United Kingdom, in Gerin (sous la direction de), Funzione e
funzionamento dei comitati etici..., pp.107- 116.
52.
Wilker, Bioethics Commissions abroad; R. Bandeira, «Hospital Ethics Committees in
Portugal», HEC Forum, 3/6, 1991, pp. 347-348; J. Biscaia, W. Osswald, Bioethics in
Portugal: 1991-1993, in B.A. Lusting (ed.), Regional Developments in Bioethics: 1991-1993
(Bioethics Yearbook, vol. 4), Dordrecht, 1995, pp. 285-289.
53.
F. Abel et al., Bioethics in Spain: 1991-1993, in Lusting (ed.), Regional Developments in
Bioethics..., pp. 269-283.
54.
G. Herranz, Il Comitato Centrale di deontologia spagnolo, in Spinsanti (sous la direction
de), I Comitati di etica in ospedale..., pp. 141-148. Au sujet de la situation des comités
éthiques en Espagne voir: J. Egozcue, The Ethical Committees in Spain, in Gerin (sous la
direction de), Funzione e funzionamento dei comitati etici, pp. 145-151.
55.
Le règlement interne du Comité de Ética del Hospital San Juan de Dios est publié dans
Labor Hospitalaria, 209/3, 1988, pp. 216-217. Nous rappelons deux importants documents de
ce comité: un relatif aux soins apportés aux enfants atteints de myéloméningocèle (Labor
Hospitalaria, 210/4, 1988, pp. 301-303) et l’autre sur les critères de mort cérébrale chez
l’enfant (Labor Hospitalaria, 212/2, 1989, pp. 148-151).
56.
Pour un approfondissement de la situation des CdB en Suisse voir: J.-M. Thévoz,
«Research and Hospital Ethics Committees in Switzerland», HEC Forum, 4/1, 1992, pp. 4147.
57.
Dans une recherche effectuée par l’Association des médecins catholiques italiens (AMCI)
financée par le CNR, à laquelle même notre Centre de bioéthique a participé, on a étudié le
rôle des CdB dans le système national de la santé, en faisant aussi une analyse comparative
avec l’extérieur; le volume renfermant les résultats de cette recherche a été publié sous le titre
I Comitati di Bioetica. Storia, analisi, proposte, Rome, 1990. Plus récemment, une enquête
menée par le CENSIS a révélé de façon plus systématique le nombre et la distribution des CdB
en Italie, les résultats se trouvent dans le volume CENSIS-Forum pour la recherche
biomédicale, La ricerca biomedica in Italia. Industria farmaceutica ed università verso
l’integrazione europea, II, Milan, 1993. On retrouve une synthèse de ces résultats dans C.
Vaccaro, I Comitati di Etica in Italia, in Cattorini P. (sous la direction de), Una verità in
Dialogo. Storia, metodologia e pareri di un comitato di etica, Milan, 1994, pp. 100- 111. En
résumé, l’enquête de la CENSIS révélait que 33% des CdB italiens étaient nés rapidement
autour de la période de la publication du DM 27/4/92 déjà cité (voir note 18). Elle mettait
aussi en évidence l’extrême variété qui caractérisait ces comités dans la conception, la
composition, les tâches, les fonctions et les procédures opérationnelles, caractéristique
attribuable surtout au manque de coordination et à l’improvisation qui ont marqué la création
d’une grande partie de ces organismes. En outre, dans de nombreux cas, ces CdB pour
l’expérimentation ont été créés plutôt comme des instruments administratifs de contrôle que
comme de véritables CdB, et ils étaient formés surtout de techniciens sans ces lay members
qui assurent l’interdisciplinarité caractéristique d’un CdB. Toujours selon l’enquête du
CENSIS, en fait seulement dans 45% des cas un expert en éthique était présent dans 21% des
cas, un psychologue, et dans 35% des cas, un théologien ou un religieux. Ceci dépendait
surtout du fait, comme nous l’avons déjà dit, que l’activité de ces comités était dans 91% des
cas, une activité de contrôle administratif sur l’expérimentation pharmacologique et donc, la
présence d’un philosophe, d’un expert en éthique ou en droit n’était pas nécessaire. Un autre
point négatif tiré de l’enquête du CENSIS était l’absence totale de contacts bien que les CdB
soient situés à quelques kilomètres de distance: il n’y avait aucune forme de collaboration, de
discussion, de tentative d’uniformiser les procédures opérationnelles, les critères de jugement,
etc.
58.
La synthèse de toutes les opinions émises au cours de ses deux premières années
d’activité se retrouve dans Comitato Nazionale per la Bioetica (CNB), Rapporto al Presidente
del Consiglio sui primi due anni di attività del Comitato nazionale per la Bioetica, Presidenza
del Consiglio dei Ministri, Dipartimento per l’Informazione e l’Editoria, Rome, 18 juillet
1992. On peut demander les documents du CNB, une trentaine environ aujourd’hui,
directement auprès du siège du CNB (Via Veneto, 56 – 00187 Roma), on peut aussi lire la
documentation dans la revue Medicina e Morale qui la publie entièrement.
64.
Selon ce qui est prévu dans ses statuts, la FnaCE se propose en particulier de contribuer à
la définition des tâches et des normes d’organisation et de procédure minimales des CdB; de
promouvoir et de coordonner les activités des CdB regroupés afin de cautionner le débat
bioéthique; de favoriser les échanges d’informations et d’instruments opérationnels entre les
CdB regroupés.
La FNaCE prévoit dans ses statuts que les CdB pour la recherche sur les animaux de
laboratoire qui protègent la qualité de la vie et de la mort des animaux comme des entités
prises dans le triangle Sponsor/Expérimentateur et Sujet passif, peuvent aussi faire partie de la
fédération. En outre, même les commissions technico-scientifiques qui sont superposables par
les fonctions, les objectifs et la composition, sont aussi considérées comme des CdB.
Parmi les autres tâches, la Fédération se propose aussi de trouver et de mettre à jour les
critères de contrôle du fonctionnement des CdB regroupés et de s’assurer de leur décorum tout
en assurant leur indépendance. La Fédération se propose d’être un point de référence pour les
CdB et de garantir la dignité et le sérieux des CdB regroupés, auprès des institutions et de
l’opinion publique.
Le règlement de la FNaCE prévoit que les CdB regroupés doivent représenter des structures
sanitaires ou scientifiques dont la fiabilité a été prouvée conformément aux orientations de la
Fédération et qu’ils soient éventuellement accrédités selon des normes spécifiques. Les CdB
ne peuvent pas par conséquent être constitués comme des sociétés privées ayant comme
unique but de fournir des opinions en matière d’éthique biomédicale.
En outre, la Fédération considère que le développement des différents niveaux de compétence
territoriale des CdB représente un problème délicat pour l’organisation et le fonctionnement
des CdB, c’est pourquoi elle se réserve le droit de suggérer aux organismes compétents, au
moyen d’un document précis, une méthode pour l’accréditation des CdB locaux ainsi qu’une
définition du rôle des commissions régionales. La FNaCE souligne en outre que tous les CdB
doivent travailler en suivant des procédés opérationnels clairs et libres d’accès comme il est
prévu par les normes de bonne pratique clinique et indiqué de manière explicite dans les
Guidelines and Recommandations for European Ethics Committees publiées par le EFGCP.
Un autre aspect considéré par la FNaCE concerne la vérification des CdB. En effet, les CdB
appartenant à la Fédération s’engagent à accepter des visites sur place faites par des délégués
de la FNaCE afin de vérifier la cohérence des activités du CdB avec les SOP et avec l’esprit de
la fédération (au sujet de la vérification voir aussi: Gobel P., «Audits of Institutional Review
Boards», Applied Clinical Trials, octobre 1995, pp. 54-59). En conclusion, la FNaCE a
organisé, en avril 1997, un congrès pour présenter l’institution. Son siège se trouve auprès du
Comitato di Etica della Facoltà di Medicina e Chirurgia «G. D’Annunzio» de Chieti (Via di
Vestini, 66013 Chieti, tél. 0871/355266, téléc. 0871/355267) et elle dispose d’un site Internet:
http:\www.phobos.unich.it:80/fnace/ et d’une adresse électronique: [email protected].
65.
Cette agence constituée par décret législatif no 266 du 3/6/1993 a pour but de garantir,
dans les directives mentionnées ci-dessus qui sont le fruit du travail d’un groupe ad hoc
composé d’experts dans les diverses disciplines afférentes à la matière, un niveau élevé
d’efficacité scientifique et de conformité des procédés des activités des comités d’éthique en
Italie. Le document représente la base sur laquelle les comités peuvent élaborer leurs propres
procédés spécifiques pour l’accomplissement de leurs fonctions respectives. Grâce à cet
instrument, on espère promouvoir l’adoption de procédés valables pour le territoire national au
complet qui assurent de façon uniforme la qualité, la transparence et l’efficacité des activités
menées par les CdB. Ces directives s’adressent non seulement aux CdB qui accomplissent des
fonctions de révision éthique de la recherche biomédicale mais aussi à ceux qui font la
révision éthique des services de santé, même si les recommandations respectives se trouvent
dans des parties différentes du document. Dans les deux cas, les directives de l’ASSR
soulignent que la nature éthique des activités propres des CdB implique que ces derniers
tiennent compte des indications médico-scientifiques se basant sur l’hypothèse selon laquelle
en l’absence d’une orientation scientifique correcte, l’éthique même de la recherche et de la
pratique biomédicale fait défaut. On attend maintenant que le Ministère de la Santé prenne ce
document en considération et qu’il l’incorpore à une disposition réglementaire (circulaire,
décret) afin de conférer un caractère obligatoire à ces directives pour les CdB déjà constitués
et pour ceux à venir, au moins en ce qui concerne certains procédés opérationnels minimaux.
En effet, on ne peut pas réglementer ou structurer l’éthique, cependant nous croyons qu’un
caractère officiel minimum pourrait décourager la prolifération de regroupements
approximatifs, apportant grâce au respect de certaines exigences une connotation
d’authenticité et de sérieux aux CdB.
66.
Voir: Comitato Nazionale per la Bioetica, I Comitati etici in Italia: problematiche recenti,
Rome, 1997. Dans ce document, on souligne encore une fois qu’en plus de la fonction de
formation, l’attention à la recherche scientifique est du ressort des CdB afin de garantir qu’elle
soit effectuée suivant les règles de compétence reconnues, ainsi que l’attention aux problèmes
de services de santé afin de garantir l’humanisation des soins et la protection de la dignité des
citoyens.
De plus en plus, ces fonctions se dessinent à l’intérieur d’un même CdB. Enfin, on souligne
que: 1. L’opinion des CdB ne doit pas être une contrainte même si elle est obligatoire; 2. Le
CdB doit être indépendant même à l’égard des éventuels promoteurs; 3. Il ne doit pas y avoir
de rapports hiérarchiques entre les différents CdB.
35.
Les trois Recommandations du Conseil de l’Europe citées (no 934 de 1982, no 1046 de
1986 et no 1100 de 1989 – qui traitent respectivement des problèmes de manipulation
génétique, de l’utilisation des embryons et des tissus embryonnaires, de l’expérimentation sur
l’embryon dans l’utérus et hors de l’utérus) ont été publiées dans la revue Medicina e Morale:
la première dans le no 1/1984, pp. 93-96; la deuxième dans le no 4/1986, pp. 902-906 (trad.
italienne); la troisième dans le no 2/1989 pp. 397-403 (en anglais) et pp. 404-412 (en français).
36.
L’avis formel auquel on se rapporte est celui qui a été approuvé le 2 février 1995 au cours
de la 6e séance de l’Assemblée (Avis no 184).
37.
En anglais, seconde langue officielle du Conseil de l’Europe, ce comité est appelé
Steering Committee on Bioethics (SCB).
38.
Doc. DIR/JUR (94)2. Ce document se composait d’un projet de convention (formé de 32
articles) et d’un projet de rapport expliquant le projet même de convention.
39.
Voir Spagnolo, Il progetto di «Convenzione» Europea sulla bioetica..., au sujet de
l’importance du projet.
40.
Doc. DIR/JUR 96 (14). Avant cette approbation du Conseil des Ministres, le texte avait
déjà été approuvé par le CDBI en juin 1996, et avec quelques amendements, par l’Assemblée
Parlementaire du Conseil de l’Europe en septembre (avec deux avis, le no 180 et le no 198).
Cependant, même après l’approbation par le Comité des Ministres, l’Assemblée peut se
réserver le droit d’apporter d’autres amendements au texte. On trouvera une analyse du
document, que l’on peut partager pour certains aspects et critiquer pour d’autres, voir: A.
Bompiana, «Una valutazione della «Convenzione sui diritti dell’uomo e la biomedicina» del
Consiglio d’Europa» et E. Sgreccia, «La Convenzione sui diritti dell’uomo e la biomedicina»,
tous deux publiés dans Medicina e Morale, 1, 1997, respectivement aux pages 9-13 et 37-55.
Le texte de la Convention est publié dans le même numéro de la revue à la page 128.
59.
Voir le volume de l’AMCI déjà cité et nos travaux dans la revue Vita e Pensiero:
Spagnolo-Sgreccia, «I comitati di bioetica», pp. 500-514; id., «Comitati e Commissioni di
bioetica in Italia e nel mondo».
60.
CENSIS-Forum pour la recherche bio-médicale, La ricerca biomedica in Italia...
61.
En plus de l’activité des CdB civils en Italie, dont on reparlera, on note aussi l’institution
par décret du Ministre de la Défense du 13/3/1996, d’un CdB auprès de la Direzione generale
della Sanità Militare (DIFESAN) ayant pour but de réviser les protocoles d’expérimentation
biomédicale menés dans le cadre des services de santé militaire et même des protocoles
diagnostico-thérapeutiques. Ce CdB a déjà publié une opinion sur l’éthique des procédés
sanitaires à caractère obligatoire pour le personnel militaire italien, on le trouve dans:
Medicina e Morale, 2, 1997, pp. 363-373 (cf. aussi Spagnolo A.G., «Necessità, opportunità,
utilità della istituzione di un Comitato Etico presso la Direzione Generale della sanità
militare», Giornale di Medicina Militare, 146(3), 1996, pp. 300-305).
62.
A.G. Spagnolo, «The current status of ethical review procedures for clinical trials in
Italy», International Journal of Pharmaceutical Medicine, 1997, sous presse.
63.
V. Berté, A.A. Bignamini (sous la direction de), Comitati di Etica e Farmacovigilanza,
Bologne, Health, 1994.
=======================================
P298
CHAPITRE HUIT
Bioéthique, génétique et diagnostic
prénatal
MANIPULATION ET GÉNIE GÉNÉTIQUE
Importance et délimitation du thème
La Bioéthique, comme on a pu le constater dans l’exposé sur son origine historique, s’est vue
directement provoquée par les avances du génie génétique. Pour l’opinion publique et dans les
publications destinées à la divulgation, les expressions «manipulation génétique» et «génie
génétique» sont perçues dans un contexte d’incertitude et, à tout le moins, suscitent la plus
grande vigilance. L’incertitude et l’alarme augmentent là où la signification des termes et les
possibilités effectives d’application ne sont pas bien connues.
Une première imprécision terminologique, que l’on retrouve aussi dans diverses publications,
vient du fait que dans son acception générique le terme «manipulation génétique» s’applique
aussi à d’autres interventions sur la vie, et notamment sur la vie naissante. C’est le cas, par
exemple, pour la procréation artificielle qui n’implique pas directement et proprement
d’interventions sur le code génétique, mais peut intervenir au besoin sur les gamètes et sur les
embryons dans le but d’assurer la procréation ou d’effectuer des expérimentations.
Il est vrai que l’on peut profiter de la procréation artificielle, surtout de la procréation in vitro,
pour réaliser aussi des interventions sur le code génétique de l’embryon ou sur les gamètes, mais
en elles-mêmes, les deux grandes thématiques du génie génétique et de la procréation artificielle
doivent, selon nous, rester séparées. L’expression de «manipulation génétique» est très générale
et, par ailleurs, imprécise puisqu’elle peut signifier toute intervention (manipuler = manier,
transformer avec les mains) sur le patrimoine génétique. Tandis que sous le terme de génie
génétique on comprend plus exactement l’ensemble des techniques destinées à transférer dans la
structure de la cellule d’un être vivant certaines informations génétiques qu’elle n’aurait pas
eues autrement297.
=======================================
p300
Il faut aussi noter la diversité d’attitudes parmi les chercheurs. Il y a ceux qui sont optimistes
par rapport aux grandes espérances qui se profilent dans le domaine de la «thérapeutique
génétique» ou «thérapie génique» ou «génothérapie: cette attitude est plus commune chez les
spécialistes en biologie moléculaire ou en génétique, dont certains parfois, au vu de ces
espérances, n’acceptent aucune contrainte légale et ne regardent pas aux moyens à employer,
297
E. Sgreccia, V. Mele, Gli aspetti etici dell’ingegneria genetica, in Sgreccia, Mele (sous la direction de), Ingegneria
genetica e biotecnologie..., pp. 131-166.
comme dans le cas de l’expérimentation sur les embryons, expérimentation considérée par
certains comme nécessaire pour parvenir au résultat.
Il y a ceux qui sont plus préoccupés par les déviations possibles liées à l’ingénierie et à la
manipulation, qui, une fois mises en route, pourraient changer le statut génétique de l’humanité,
révolution qui, de par son importance, dépasserait le risque de n’importe quelle autre révolution
qu’elle soit politique ou militaire. Il s’agit là d’une attitude beaucoup plus fréquente chez les
juristes et les moralistes.
Il est évident que c’est surtout à partir de ce courant d’opinion que l’on fait pression et
urgence pour une réglementation précise, obligatoire pour les chercheurs – sur l’activité
desquels on a peu d’informations – et rassurante pour l’opinion publique.
Nous nous trouvons donc, sans aucun doute, face à un moment crucial de l’histoire de la
science et de l’histoire de l’humanité.
Le moment historique actuel marque, en effet, un tournant dans l’histoire de la civilisation
humaine, à cause de l’exceptionnelle possibilité de changement à laquelle il donne accès et qu’il
peut mettre en jeu; il se présente aussi, à une réflexion plus approfondie, comme un moment
«paradoxal»298.
D’un côté, on parle d’«autopoiesi» de l’homme; l’homme est devenu capable de faire éclore la
vie humaine en laboratoire et il est aussi devenu capable de changer le statut génétique de sa
propre espèce. On a parlé d’une nouvelle étape du Darwinisme: la phylogenèse, l’évolution de
l’espèce à partir de laquelle se développent les diverses formes de la vie dans le cosmos, ne se
réaliserait plus par les mutations produites dans le code génétique sous l’influence de l’environnement, mais parce que l’homme, qui se trouve au sommet de cette évolution, ou plus
exactement le scientifique, prenant en main le mystérieux code génétique et lui enlevant son
mystère, provoquerait – peut provoquer – la mutation dans le sens voulu et dans la direction
choisie.
Par ailleurs, cette phase même de notre histoire présente une autre possibilité, opposée ou
contraire: la possibilité de la part de l’humanité de s’autodétruire. En 1982, l’Académie
Pontificale des Sciences a élaboré et présenté aux chefs d’État une «Déclaration sur la prévention
de la guerre nucléaire», dans laquelle il est écrit, entre autres, que dans le monde, environ 50
mille engins nucléaires sont accumulés dans les
======================================
p301
arsenaux, dont certains d’entre eux sont des milliers de fois plus destructifs que ceux qui ont
été lancés sur Hiroshima, et qu’en outre leur potentiel explosif équivaut à 3 tonnes de T.N.T. par
habitant du globe, ce qui est largement suffisant pour détruire l’humanité. On a dit qu’à la fin du
premier millénaire, l’Europe faisait des rêves agités parce que l’on pensait que Dieu aurait mis fin
au monde; à la fin du deuxième millénaire l’on craint que ce ne soit les hommes qui détruisent le
monde299.
J’ai pris comme terme de comparaison le potentiel atomique pour des raisons d’analogie: tout
comme l’énergie atomique peut aussi être utilisée à des fins pacifiques, de la même manière le
génie génétique peut être orienté à des fins thérapeutiques, pour guérir des maladies jusqu’ici
298
L. Lombardi Vallauri, Manipolazioni genetiche e diritto, «Rivista di Diritto Civile», 1985, gennaio-febbraio, pp. 123.
299
Pontifical Academy of Sciences, Declaration on prevention of nuclear war (September 1982), Pontificia Academia
Scientiarium, Città del Vaticano 1982.
incurables et réfractaires à la science médicale. Entre l’orientation pacifique et constructive et
l’orientation manipulatrice et destructrice, le dilemme porte, en somme, sur les choix éthiques qui
seront faits.
Jamais l’éthique n’a été aussi importante en médecine, en biologie et dans la société: ces
découvertes scientifiques ont fait que la morale, qui s’occupe de la vie, est devenue de l’intérêt de
tous, en prenant une importance prioritaire dans la société et au niveau mondial.
Cette importance apparaît encore plus évidente, et mieux documentée, si l’on rappelle le
progrès rapide des sciences biologiques, les possibilités qu’elles renferment pour l’avenir de
l’homme et les problèmes éthiques qu’elles posent à la responsabilité des scientifiques et de la
société civile.
Mais c’est surtout l’importance et l’ampleur que revêt une telle question qui nous incitent à la
traiter dans un chapitre à part, à l’intérieur du cadre plus général, de la procréation et du
traitement de la stérilité.
Nous devons ajouter que ce thème retient l’attention non seulement des moralistes mais aussi
des organismes nationaux et internationaux, qui ont élaboré un certain nombre de directives.
La première formulation faite à partir des conclusions de la conférence d’Asilomar, en février
1975300, qui réunissait les principaux experts mondiaux sur les manipulations génétiques in
vitro, avait fourni une première classification des risques (quatre niveaux de limitation). Elle
donnait une liste des expérimentations à interdire et suggérait la nécessité de mesures de
surveillance et de réglementation, tout en soulignant les possibilités positives de ces
manipulations pour le
========================================
p302
progrès humain. Nous indiquons ci-dessous les règlementations les plus significatives.
1. Guidelines for Research Involving DNA Molecules301 publiées en juillet 1977 par le
National Institutes of Health (NIH) des États-Unis. Les expérimentations sont classées par
tableaux avec la liste des expérimentations interdites, l’attribution des responsabilités, etc.; le
financement est accordé à ceux qui en observent les dispositions.
Par la suite (1984), le Recombinant Advisory Committee (RAC) et le Federal Register ont mis
à jour ces Directives, précisant ultérieurement le champ d’application des recherches et en
définissant les devoirs et les procédures bien précises.
2. En 1985, ce même NIH a émis quelques Points to consider in the design and submission of
human somatic-cell gene therapy protocols. Ces Points ne peuvent être appliqués qu’aux
recherches effectuées dans les institutions qui reçoivent déjà du NIH le financement pour les
recherches sur l’ADN-recombinant (selon les précédentes Directives), y compris les recherches
du NIH lui-même: on y énumère toutes les conditions que doit remplir le projet expérimental
(objectifs précis, études précliniques, procédures cliniques détaillées, qualification des
300
S. Krimsky, Genetic Alchemy: a social history of the rDNA Controversy, Cambridge 1982. Pour une bibliographie
du développement des premiers Comités d’éthique nationaux et internationaux qui se sont occupés spécifiquement de génétique,
consulter: A.G. Spagnolo, Comitati di Etica per la genetica, in Sgreccia, Mele (sous la direction de), Ingegneria genetica e
biotecnologie..., pp. 411-451.
301
Pour les réglementations du National Institutes of Health (NIH) des États-Unis, nous nous sommes servi des
documents annexes au rapport de mission de C. Byk, magistrat du Ministère de la Justice française, intitulé: Éthique et droit en
Amérique du Nord face au progrès des sciences biologiques et médicales, 1986 (en photo-impression).
chercheurs, sélection des patients, consentement informé, respect du secret), et toute la
documentation qui doit être présentée, avec l’obligation de communiquer immédiatement les
résultats obtenus.
3. Le Rapport Williams au Royaume-Uni, publié en 1976302, qui donne aussi une
classification des expérimentations en laboratoire, selon le niveau de risque: il établit comme
référence obligatoire le «Comité de Conseil pour les manipulations génétiques» (GMAC), en
précisant son mandat: l’approbation explicite des protocoles est obligatoire pour les
expérimentations les plus exposées à risque (classes III et IV). Le rapport Willams prévoit
l’autodiscipline des chercheurs au moyen de l’élaboration d’un «code de bonne conduite». Le
Gouvernement est chargé du contrôle par des inspections dans les laboratoires et il est prévu, en
accord avec les scientifiques, un système approprié de surveillance.
4. Le Rapport de la Commission d’Enquête du Parlement de l’Allemagne Fédérale sur les
perspectives et les risques du génie génétique
========================================
p303
(1987) analyse en détail et complètement les domaines et les applications du génie
génétique303.
À la suite de ces premières réglementations, d’autres ont été mises en place dans différents
pays: Australie, Canada, France, Pays-Bas, URSS.
On considère la «Loi pour la réglementation du génie génétique» de l’Allemagne Fédérale du
20 juin 1990 (Gesetz zur regelung vom fragen der Genetechnik)304 avec ses amendements
successifs (Bundesgeschblatt 1993 I 2066 et Bundesgeschblatt 1994 I 1416) comme particulièrement importante, notamment en raison de certaines mesures restrictives.
5. Il convient de mentionner aussi la Loi Française n° 94-653 du 29 juillet 1994 concernant le
respect du corps humain. Les thèmes de génétique, en particulier, sont abordés au Titre II Art.
5305.
6. En Italie aussi, ont été instituées deux Commissions ministérielles: l’une, en 1977, par
l’Institut Supérieur de Santé, qui a examiné les problèmes liés aux recherches faisant appel aux
manipulations génétiques in vitro et qui, dans son rapport conclusif, a présenté des «Propositions
pour une réglementation nationale»; l’autre, instituée par le Ministère de la Santé306, à laquelle a
participé l’auteur de ce livre, et qui en février 1987 a terminé ses travaux. Cette dernière s’est
occupée des problèmes d’ordre éthique, scientifique et d’assurance sociale relatifs au génie
302
Report of the Working Party on the practice of genetic Manipulation (the Williams Report), London 1976.
303
Deutscher Bundestag, Report of the Commission of Enquiry on prospects and risk of genetic engineering, 1987,
January, pp. 151b-152b.
304
Dans: Senato della Repubblica Italiana, Servizio Studi, Ufficio Ricerche nel settore sociale, (ed. F. Luzi),
L’ingegneria genetica della Germania Federale (Raccomandazione del Bundestag, Legge, Regolamenti), Roma, gennaio 1992.
305
Publiée dans: «Politica del diritto», 1995, XXVI (2).
306
Ministero della Sanità, Relazione della Commissione di Studio per l’ingegneria genetica, in Senato della Repubblica
Italiana, Servizio Studi, Ufficio Ricerche nel Settore Sociale (ed. F. Luzi), Documenti conoscitivi sulla riproduzione umana
assistita, embiologia ed ingegneria genetica, Roma 1990, pp. 187-325.
génétique. Le Comité National Italien de Bioéthique (CNB) a publié certains documents
importants en la matière307. Documento sulla sicurezza delle biotechnologie (28/5/1991),
Terapia genica (15/2/1991), Diagnosi prenatali (18/7/1992), Rapporto sulla brevettabilità degli
organismi viventi (19/11/1993), Progetto Genoma Umano (18/3/1994), La clonazione come
problema bioetico (21/3/1997)308.
========================================
p304
7. En ce qui concerne les institutions communautaires européennes, la Recommandation 934
(1982) de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe309 revêt une importance
particulière.
Cette recommandation, complétée par les normes de l’Assemblée des Communautés
Européennes, constitue un texte de référence pour l’élaboration des directives; nous
examinerons, donc, ci-dessous, les différents points concernant chacun de ces problèmes.
Il convient d’indiquer tout de suite quelques lignes directrices du document qui ont aussi une
importance sur le plan éthique:
Le document reconnaît que les techniques du génie génétique peuvent apporter une grande
aide dans le domaine industriel et agricole et qu’elles contribuent à résoudre aussi de graves
problèmes thérapeutiques.
La Recommandation prévoit que soit reconnu solennellement, y compris dans l’explicitation
additionnelle de la Convention Européenne des Droits de l’homme, le droit à l’intangibilité du
patrimoine génétique de chaque personne – droit à un patrimoine génétique n’ayant subi aucune
manipulation – (art. 4, lettres i et ii, et art. 7, lettre b).
La Recommandation reconnaît la légitimité du traitement thérapeutique pour soigner les
maladies génétiques. Elle le considère comme valable et compatible avec le respect des droits de
l’homme, et avec les conditions requises de licéité pour les autres interventions thérapeutiques
(art. 4, lettre iii, et art. 7, lettres b et c).
Ces droits sont fondés sur les articles 2 et 3 de la Convention Européenne des Droits de
l’homme qui traitent du droit à la vie et à l’intégrité physique des personnes (art. 4, lettre i). On
peut en déduire, à l’évidence, que le droit à la vie commence au moment de la fécondation, parce
que c’est dès ce moment-là que commence la vie et que commence aussi la possibilité de la
manipulation génétique.
Il semble, donc, que ces affirmations reconnaissent implicitement et aussi réellement le droit et
le devoir de la protection de la vie embryonnaire. Ce fait est, par ailleurs, tout à fait clair sur le
plan éthique: il serait absurde de parler de défense du patrimoine génétique, sans reconnaître le
droit à la défense du sujet porteur de ce patrimoine et ce dès le moment où ce patrimoine se
constitue au sens individuel.
307
Les documents du Comitato Nazionale per la Bioetica italiano sont publiés par la Presidenza del Consiglio dei
Ministri – Dipartimento per l’Informazione e l’Editoria, Roma (le CNB a actuellement son siège Via Veneto, 56). Tous les
documents sont publiés aussi en Documentation dans la revue «Medicina e Morale».
308
Ce document, en particulier, a été publié dans «Medicina e Morale», 1997, 2, pp. 360-362.
309
Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, Raccomandazione n° 934 sull’ingegneria genetica (1982), in
Centro Studi del Ministero della Sanità. Les Recommandations du Conseil de l’Europe sur le génie génétique et la recherche
scientifique concernant les embryons et les fœtus humains, «ISIS», 20.2.1989, Supplément au n° 8.
La liberté de la science et de la recherche scientifique, définies comme «valeur fondamentale
de nos sociétés» (condition de leur adaptabilité aux transformations) imposées par le
développement mondial, doit se concilier avec la responsabilité et le devoir envers la santé
=======================================
p305
et la sécurité des travailleurs, du public en général et de la non- pollution du cadre de vie (art.
3, lettre iii).
La Recommandation demande une appréciation des risques réels et une réglementation de
l’expérimentation sur l’ADN in vitro, tant en ce qui concerne la sécurité des laboratoires que pour
le genre de micro- organismes qui peuvent être traités durant l’expérimentation; en outre, ce
risque doit être évalué périodiquement (art. 6, lettres a et b). C’est en s’inspirant de cette
Recommandation qu’a été constitué, par le Conseil de l’Europe, le «Comité ad hoc» alors
dénommé Comité ad hoc d’Experts sur les problèmes éthiques et juridiques de la génétique
humaine (CAHGE). Pour l’histoire du Comité qui étudie les problèmes de la bioéthique au
niveau du Conseil de l’Europe, se reporter au chapitre sur les Comités éthiques.
8. Nous rappelons aussi la Recommandation de la Communauté Économique Européenne
(CEE) n° 472 de 1982 qui a dicté des normes de sécurité pour les laboratoires et qui a proposé
que soit inclus dans la Convention Européenne le «droit à la différence», c’est-à-dire l’interdiction du génie génétique altérant appliqué aux individus humains.
Le Conseil de l’Europe, dans le cadre de la Convention sur les droits de l’homme et la
biomédecine («Convention sur la bioéthique»)310 à laquelle on a déjà fait allusion, a traité aussi
des problématiques éthiques émergentes dans le secteur de la génétique (tout le chapitre IV, art.
11- 14, est consacré au génome humain). Par la suite, le Comité des Ministres a approuvé le 6
novembre 1997 un protocole additionnel (parmi ceux qui sont prévus par cette même
Convention) qui interdit le clonage humain. Précédemment, ce même Comité des Ministres avait
émis une spécifique Recommandation N° R(92) 3 sur le diagnostic et le dépistage génétique
effectué pour des raisons de santé311.
Le Parlement européen a, le 16 mars 1989, publié une Résolution sur les problèmes éthiques
et juridiques de la manipulation génétique (doc. A2/327/88)312, qui contient des lignes
directrices que l’on peut tout à fait partager et, plus récemment (12 mars 1997), la Résolution sur
le clonage (Document B4-209/97)313.
Toujours de la part des autorités communautaires européennes, des directives ont été émises
sur la manipulation génétique des micro- organismes, il s’agit de:
=======================================
p306
– la Directive du Conseil de la CEE n° 90/219 sur l’utilisation limitée des micro-organismes
génétiquement modifiés du 23 avril 1990;
310
Publiée dans «Medicina e Morale», 1997, 1, pp. 128-149. Le document a été approuvé le 19 novembre 1996 par le
Comité des Ministres du Conseil de l’Europe et signé par le Gouvernement italien le 4 avril 1997.
311
Conseil de l’Europe, Recommendation N° R(92) 3 of the Committee of Ministers to member states on genetic testing
and screening for health care purposes (publiée dans: «intern. J. of Bioeth.», 1992, 3(4), pp. 255-257).
312
Publiée dans: «Medicina e Morale», 1989, 3, pp. 579-586.
313
Publiée dans «Medicina e Morale», 1997, 2, pp. 325-327.
– la Directive du Conseil de la CEE n° 90/220 sur l’émission délibérée d’organismes
génétiquement modifiés (OGM) du 23 avril 1990314. D’autres documents traitant de certains
problèmes particuliers, y compris ceux de source ecclésiale, seront cités au fur et à mesure.
9. Enfin, sur le thème du clonage, l’Organisation Mondiale de la Santé («Déclaration sur le
clonage» – Rapp. N° 756-CR/97)315 s’est, elle aussi, prononcée.
Certaines étapes importantes du développement du génie génétique316
Nous nous abstenons de répéter ici les informations de base se référant à la biologie et à la
génétique, à la description des cellules, aux notions relatives aux chromosomes, aux gènes, à la
chaîne de l’ADN (mentionnée dans le chapitre relatif à la vie et à son origine): nous répéterions
des choses connues et décrites d’une manière beaucoup plus appropriée dans les manuels de
biologie, d’embryologie et de génétique humaine. Nous nous limitons à ce qui est strictement
nécessaire pour la compréhension des termes éthiques du problème, en présentant tout d’abord
une synthèse des étapes historiques du développement de la génétique.
L’année 1956 marque la première étape importante, la plus importante dans le domaine
génétique après les découvertes de Mendel (qui ont eu lieu entre 1856 et 1865), avec
l’identification des chromosomes humains comme structures fondamentales, porteuses du
matériel génétique. Mendel les avait appelés elementa et Morgan en 1910 en avait étudié la
composition chimique.
En 1965 se réalise la première cell-fusion, c’est-à-dire la fusion entre cellules humaines et
murines avec le passage des gènes («assignation») aux chromosomes humains. C’est précisément
à ce moment-là que
========================================
p307
Hotchkin introduit, pour la première fois, le terme de génie génétique (genetic engineering)
avec la signification que nous avons indiquée au début.
En 1967, les techniques de diagnostic prénatal dans le domaine génétique commencent à être
utilisées: elles permettent, comme on le sait, de déterminer précocement les conditions génétiques
du fœtus soit en analysant la composition des chromosomes, soit à l’aide de tests biochimiques.
En 1969, on découvre l’endonucléase de restriction, une enzyme apte à faire fonction de
«ciseaux» pour la section de l’ADN en des points déterminés, marqués par de brèves séquences
spécifiques des bases. Depuis lors, plus de 400 différentes enzymes de restriction, en mesure de
reconnaître une grande variété de séquences, ont été repérées et isolées.
En 1970, on parvient à la synthèse du premier gène artificiel.
314
Les deux directives ont été publiées par la revue «Medicina e Morale»: la première dans le fascicule 1990, 5,
pp. 1019-1034; la seconde dans le même fascicule aux pages 1034-1051.
315
Publiée dans «Medicina e Morale», 1997, 2, pp. 323-325.
316
Pour de plus amples détails historiques, scientifiques et techniques, consulter: A. Serra, A cento anni dalla morte del
fondatore della genetica. Nuove conquiste, nuove responsabilità, in A. Serra, G. Neri (eds.), Nuova genetica, uomo e società,
Milano 1986, pp. 13-17; id., La «nuova genetica». Attualità, prospettive, problemi, in Aut. Div., Medicina e genetica verso il futuro,
L’Aquila 1986, pp. 5-23; E. Brovedani, L’ingegneria genetica. Aspetti scientifico-tecnici, «Aggiornamenti Sociali», 1986, 7-8,
pp. 517-534; M. Milani Comparetti, Introduzione alla nuova genetica, in Sgreccia, Mele (sous la direction de), Ingegneria genetica
e biotecnologie..., pp. 3- 23; F. Vogel, A.G. Motulsky, Human genetics – Problems and approaches, Berlin 1986.
En 1971, on réalise pour la première fois l’ADN recombinant: un segment d’ADN peut être
associé à une bactérie qui fait office de vecteur (p. ex. l’Escherichia coli) et ce segment peut être
transféré et combiné avec le patrimoine génétique d’une cellule hôte avec la possibilité de se
recombiner et de se multiplier en une nouvelle structure génétique.
En 1981, on réalise la naissance des premières souris par clonage. Ce terme désigne la
procédure au moyen de laquelle on peut obtenir un ensemble (clone) de sujets provenant d’un
seul organisme, et qui lui sont tous génétiquement identiques.
Le clonage peut normalement être obtenu de deux manières diverses: a) par la fission
gémellaire (embryo splitting); b) par le transfert du noyau d’une cellule du sujet qu’on entend
cloner (nuclear transfer)317.
L’embryo splitting reproduit artificiellement l’événement naturel de la formation des jumeaux
identiques ou monozygotes qui consiste en la division des cellules embryonnaires dans les
premières phases de développement (dans les 14 jours qui suivent la fécondation) en deux, ou
plus, embryons identiques. Les blastomères séparés seront, ensuite, en mesure de se développer
indépendamment grâce à leur totipotence cellulaire, c’est-à-dire à cette propriété grâce à laquelle
une cellule a la capacité d’être origine pour les différents tissus de l’organisme en formation.
Cette technologie qui était en expérimentation sur les animaux depuis 1979318 a, par la suite, été
appliquée
========================================
p308
aussi à l’homme. En effet, le 13 octobre 1993, Jerry L. Hall et Robert J. Stillman, deux
chercheurs du Service d’Obstétrique et de Gynécologie de la George Washington University,
annoncèrent à un congrès que le clonage humain était devenu techniquement possible, l’ayant
eux-mêmes réalisé sur 17 embryons humains, obtenus par fécondation in vitro, produisant à partir
de ces derniers 48 embryons génétiquement identiques. Les travaux de Hall, Stillman et
collaborateurs319 (qui ont été récompensés en tant que meilleurs travaux présentés au meeting
annuel de la American Fertility Society, 11-14 octobre 1993) se proposaient d’évaluer les
potentialités de la formation multiple d’embryons à partir d’un seul, comme cela avait déjà été
démontré sur le plan animal. Les auteurs divisèrent des embryons génétiquement défectueux
(polyploïdes, résultant d’une pénétration polyspermique) en blastomères isolés, à divers stades de
développement (de deux à huit cellules). Les blastomères furent recouverts d’une zone pellucide
artificielle, sans laquelle la division cellulaire n’aurait pu avoir lieu (c’est ici que réside la vraie
nouveauté de l’expérimentation qui n’avait jamais été réalisée auparavant) et ils furent cultivés in
vitro jusqu’à leur nombre maximum de divisions. Il fut constaté que seuls les blastomères
obtenus par la division d’embryons de deux cellules pouvaient parvenir jusqu’au stade de morula
à 32 cellules – stade optimal pour, éventuellement, procéder ensuite au transfert des embryons
317
Pour un approfondissement, consulter: Di Pietro M.L. Dalla clonazione dell’animale alla clonazione dell’uomo?
«Medicina e Morale», 1997, 6, pp. 1099-1118; Aut. Div., Clonazione: problemi etici e prospettive scientifiche, Milano 1997;
G. Russo, La clonazione di soggetti umani, «Itinerarium», 1996, 4(7), pp. 153-180; M.W. Ferguson, Contemporary and future
possibilities for human embryonic manipulation, in A. Dyson, Experiments on embryos, New York: Routledge, 1990, pp. 22-24.
318
S.M. Willadsen, A method for culture of micromanipulated sheep embryos and its use to produce monozygotic twins,
«Nature», 1979, 277, pp. 298-300.
319
J.L. Hall, D. Engel, P.R. Gindoff, G.L. Mottla, R.J. Stillman, Experimental cloning of human polyploid embryos
using an artificial zona pellucida, «Fertility and Sterility» (Suppl.), 1993, p. S1. Le texte de l’abstract et une traduction en italien
sont reportés dans G. Russo, La clonazione di soggetti umani..., pp. 165-173.
clonés dans l’utérus maternel – alors que ceux obtenus par la division d’embryons de 4-8 cellules
arrêtaient leur développement à des stades antérieurs320.
Le nuclear transfer, au contraire, consiste à insérer le noyau, provenant d’une cellule de
l’individu que l’on entend reproduire, dans une cellule œuf non fécondée ou fécondée (embryon
unicellulaire), après avoir éliminé ou désactivé le noyau existant. Cette technique prévoit, donc,
deux phases: premièrement, la cellule œuf ou l’embryon unicellulaire est énucléé; deuxièmement,
la cellule dont on veut transférer le noyau est fusionnée avec cet œuf ou cet embryon
unicellulaire, au moyen d’un choc électrique, qui sert aussi d’activateur pour la division du
nouvel individu ainsi obtenu, qui est ensuite transféré dans l’utérus.
Les premières tentatives de transfert de noyau ont été effectuées en utilisant le noyau de
cellules d’embryons au stade initial (stade de la totipotence). Le stade de développement
embryonnaire le plus approprié
======================================
p309
pour la procédure, au-delà duquel il n’était plus possible de cloner, semblait être celui des
blastocystes, dont on utilisait des cellules de la masse cellulaire interne cultivée in vitro. On
pensait qu’il était impossible d’aller au-delà de cette limite, étant donné qu’au cours du
développement successif la différenciation cellulaire entraîne la spécialisation de chaque cellule
selon le programme contenu dans le génome, et que le noyau semble perdre progressivement sa
totipotence, c’est-à-dire la capacité de diriger l’ensemble des activités de la cellule œuf dans
laquelle il a été introduit. L’expérimentation de Wilmut et Campbell, avec leurs collaborateurs du
Roslin Institute de Edimbourg321 semble, au contraire, avoir démontré l’inverse, dépassant cette
limite qui semblait infranchissable. En vérité, déjà en 1996, des moutons vivants avaient été
obtenus à partir de lignées cellulaires stabilisées, cultivées in vitro en état de maturation ralentie,
réactivées avant leur utilisation322.
Ils ont, en effet, été au-delà et ont utilisé comme cellules «donneuses» du noyau non seulement
celles provenant d’embryons de 26 jours (c’est-à-dire au-delà du stade de blastocyste) mais aussi
de glande mammaire d’une brebis de six ans arrivée au dernier trimestre de gestation. Wilmut et
ses collaborateurs ont tenté 277 transferts de noyau, utilisant des cellules qui n’étaient
théoriquement plus totipotentes et ont transféré 29 embryons dans l’utérus, jusqu’à la naissance
d’une seule brebis, Dolly.
Toutefois, les auteurs n’ont pas pu exclure que le matériel cellulaire provenant de la glande
mammaire n’ait pas été contaminé par quelque cellule souche immature; dans ce cas le succès de
l’expérimentation aurait une signification scientifique différente.
Si ces réserves peuvent être écartées, il faut reconnaître qu’il s’agit d’une expérimentation
radicalement différente de celles qui ont eu lieu précédemment. En effet, la reproduction par
scission d’un embryon de mammifère au cours des premiers stades de son développement se
limite à un très petit nombre d’individus reproduits, alors que la possibilité technique qui
s’entrevoit aujourd’hui est celle d’un vrai clonage, à savoir la reproduction théoriquement infinie
320
R. Kolberg, Human Embryo Cloning Reported, «Science», 1993, 262, pp. 652-653. Consulter aussi le commentaire
de A.G. Spagnolo in Bioetica nella ricerca e nella prassi medica, Torino 1997, pp. 249-251.
321
I. Wilmut, A.E. Schnieke, J. McWhir et al., Viable offspring derived from fetal and adult mammalian cells,
«Nature», 1997, 385, pp. 810-813.
322
D. Solter, Lambing by nuclear transfer, «Nature», 1996, 380, pp. 24-25.
d’individus pratiquement égaux323. Nous évaluerons plus en avant les aspects éthiques du
clonage.
Il convient de noter la rapidité croissante de l’évolution d’une science qui franchit
continuellement de nouvelles limites et qui donne à l’homme un pouvoir technique toujours plus
grand sur la vie. Hybridation, transfert, clonage, sélection, sont des termes qui évoquent des
possibilités d’intervention dans le domaine génétique, en grande partie
=======================================
p310
déjà réalisées dans le domaine végétal et animal, et qui théoriquement pourraient être aussi
étendues à l’homme324.
Les succès obtenus ne doivent donc pas être tous considérés automatiquement comme une
menace, car ils débouchent aussi sur des possibilités d’intervention positive.
Avant tout, de grands progrès ont été accomplis dans la connaissance de l’information
génétique contenue dans chaque chromosome: d’une manière particulière, on connaît mieux
maintenant les mécanismes productifs des immunoglobulines et les structures des chromosomes
X et Y.
Des applications technologiques et industrielles ont été réalisées pour la production de
molécules polypeptidiques de grande importance: l’insuline humaine, l’interféron, la
somatostatine, la somatotrophine, les vaccins contre la grippe, contre l’hépatite A et B et
beaucoup d’autres.
Une autre application récente concerne la possibilité de mettre en évidence des gènes
pathogènes chez des sujets apparemment sains au moyen de sondes d’ADN (probes) ou par
l’étude des polymorphismes.
La perspective qui se présente aux chercheurs est celle de la thérapie génique. Un de ces
chercheurs a dit: «il est possible d’isoler les gènes normaux, de les insérer dans les cellules des
mammifères à tous les stades, y compris l’œuf fécondé, et d’obtenir que le gène fonctionne.
Toutefois, il n’est pas encore possible de garantir que des “gènes thérapeutiques” nouvellement
introduits dans un animal fonctionnent de façon normale dans le temps, dans l’espace et dans la
qualité»325.
Mais les possibilités qui s’entrevoient dans le domaine génétique pour la thérapie des gènes ne
peuvent pas nous faire sous-estimer les implications éthiques de la nouvelle génétique dans
d’autres domai======================================
p311
323
Cf. A. Fiori, E. Sgreccia, La clonazione, Editoriale, «Medicina e Morale», 1997, 2, pp. 230-231.
324
Pour une information élémentaire, nécessaire pour ceux qui n’ont pas fait d’études de biologie et de médecine,
consulter: C. Cirotto, S. Privitera, La sfida dell’ingegneria genetica tra scienza e morale, Assisi 1985. Pour la matière que nous
abordons dans ce chapitre, consulter aussi: G. Sansone, Recenti progressi in genetica medica, «Medicina e Morale», 1982, 1,
pp. 14-24; A. De Flora, Strategie per la correzione di malattie genetiche, ibid., pp. 25-35; H. Jonas, Technique, morale et génie
génétique, «Communio», 1984, IX, 6, pp. 46-65; Ruiz de la Peña, Anthropologie...; P. Caspar, Les fondements de l’individualité
biologique, ibid. pp. 80- 90; A. Serra, Interrogativi etici dell’ingegneria genetica, «Medicina e Morale», 1984, 3, pp. 306-321; J.
Harris, Wonderwoman e Superman. Manipolazione genetica e futuro dell’uomo, Milano 1997 (original en langue anglaise, 1992);
J.R. Nelson, On the new frontiers of genetics and religion, Gran Rapids, Michigan, 1994; R. Pollack, I segni della vita. Il linguaggio
e il significato del DNA, Torino 1995 (titre original: Signs of Life: The Language and Meanings of DNA, 1994); C. Munthe, The
moral roots of prenatal diagnosis, Centre for Research Ethics and the autor, Göteborg, Sweden 1996.
325
B. Williamson, Gene therapy, «Nature», 1982, 298, pp. 416-418.
nes d’application, y compris celles dérivant du passage par la fécondation in vitro.
Avant de voir de plus près les problèmes éthiques, nous allons présenter une vue d’ensemble
des techniques du «génie génétique», regroupées selon leur objectif326.
– Cartographie. Elle vise à localiser sur les chromosomes les gènes dont on connaît déjà les
produits ou les effets. Les stratégies utilisées vont de l’hybridation cellulaire à l’utilisation de
«sondes» spécifiques capables de révéler l’emplacement des segments d’ADN correspondant à
un gène donné.
– Isolement. Objectif que l’on a pu atteindre par l’utilisation d’une série de «ciseaux»
biologiques, les enzymes (endonucléases) de restriction capables de «couper» en des points bien
déterminés la chaîne de l’ADN, isolant ainsi les gènes compris dans la séquence des bases entre
les deux coupures.
– Clonage. Il s’agit d’une sorte de multiplication biologique de simples gènes pour en avoir
une grande quantité disponible en vue de les analyser ou de les utiliser à des fins diverses. Le
clonage est possible «en insérant» le gène connu dans le patrimoine génétique d’un microorganisme à travers un vecteur (plasmides, bactériophages, virus) au moyen de la technique de
l’ADN-recombinant. Quand les micro- organismes se multiplient, se multiplient aussi les gènes
insérés dans leur génome.
– Séquençage. Il sert à établir la structure moléculaire des gènes en en définissant exactement
la succession ordonnée des bases dont ils sont composés, ayant ainsi la possibilité de mieux
comprendre les mécanismes de leur activité et de leurs altérations.
– Transfert. C’est l’objectif le plus intéressant qui vise à étudier le comportement des gènes
une fois insérés dans des cellules et des tissus différents de ceux dans lesquels ils agissent
normalement.
La réalisation des objectifs exposés ci-dessus a abouti aux conquêtes suivantes:
– Identification des gènes pathogènes, tant pour le diagnostic de maladie génétique en cours
que pour la reconnaissance de leur présence avant même la manifestation de la maladie, avec la
possibilité théorique de pouvoir en prévenir l’apparition et/ou la transmission à la descendance.
– Production de molécules utiles pour l’homme, en en rendant possible une disponibilité à
grande échelle (insuline, gonadotrophine chorionique humaine, hormone de croissance, vaccins,
etc.).
– Production de végétaux et d’animaux, ayant des caractéristiques particulières, obtenus par
l’insertion de gènes déterminés dans les cellules somatiques ou germinales ou dans les ovocytes
fécondés. Des
========================================
p312
programmes expérimentaux d’amélioration des animaux d’élevage (plus grande production de
lait, viande de meilleure qualité, etc.) ou de certaines plantes (adaptabilité à des terrains peu
fertiles, etc.) ont ainsi pu être envisagés.
– Connaissance de la structure et de la nature même des gènes: connaître leur localisation
dans les chromosomes, les protéines qu’ils codent, les maladies qu’ils déterminent, a représenté
une grande victoire riche d’applications dans le domaine de la biologie et de la médecine.
326
A. Serra, Conquiste, prospettive e problemi della «ingegneria genetica» in Aut. Div., Etica e trasformazioni
tecnologiche, Milano 1987, pp. 150-173.
Depuis quelques années, enfin, l’introduction de la méthode appelée Polymerase Chain
Reaction (PCR) a accéléré la réalisation des objectifs cités ci-dessus. La PCR est une méthode
d’amplification de l’ADN, dont Saiki a eu d’abord l’intuition en 1985327, et qui a été mise au
point par Kary Mullis, de la firme Cetus, qui l’a brevetée. En pratique, cette méthode permet de
synthétiser en quelques heures plus d’un million de copies d’une séquence spécifique d’ADN,
permettant l’identification de quantités extrêmement petites. Elle a des applications importantes
dans le domaine de la recherche et du diagnostic. Les «ingrédients» clefs de cette réaction sont
l’enzyme polymérase Taq, isolée de la bactérie Thermus acquaticus328 ou d’autres bactéries, qui
reste stable à des températures élevées, et des petites molécules d’ADN (dites primers)
complémentaires du segment d’ADN que l’on veut amplifier. La réaction est en mesure, non
seulement de reproduire tout le processus de duplication de l’ADN, mais aussi d’amplifier à
grande échelle des segments spécifiques de la molécule. L’utilisation de la PCR a complètement
révolutionné la biologie et le diagnostic moléculaire, car grâce à elle il est possible d’obtenir, à
partir de quantités minimes d’ADN, une quantité énorme de matériel génique disponible pour les
études et les analyses diagnostiques329.
Niveaux et finalités d’intervention
Pour pouvoir fournir des indications éthiques, il est nécessaire de faire référence aux différents
niveaux d’intervention sur les gènes et
========================================
p313
aux diverses finalités pour lesquelles ces interventions sont effectuées.
Niveaux d’intervention
Il y a lieu d’en tenir compte et de bien les distinguer. L’intervention destinée à modifier le
patrimoine génétique peut se concevoir au niveau des cellules somatiques, au niveau des cellules
germinales et au niveau des embryons eux-mêmes durant les premières phases du
développement. L’importance éthique de l’intervention elle-même change conséquemment pour
chacun de ces niveaux.
Une intervention dans les cellules somatiques peut, par exemple, être destinée à modifier une
éventuelle dégénérescence ou quelque défaut. Si l’on parvenait à corriger les défauts génétiques
de l’anémie méditerranéenne dans les cellules hémopoïétiques de manière à ce que se
développent des cellules normales qui, en se multipliant, remplacent celles qui sont défectueuses,
on aurait là un succès de grande importance. La dispersion dans l’organisme des cellules vivantes
ainsi introduites ne présentant aucun danger potentiel pour le sujet récepteur, cette thérapie ne
327
R.K. Saiki et al., Enzimatic amplification of alpha-globin genomic sequences and restriction site analysis for
diagnosis of sickle anaemia, «Science», 1985, 230, pp. 1350-1354.
328
W. Bains, Biotechnology from A to Z, Oxford 1993, p. 241-243; A.L. Beaudet, A. Ballabio, Genetica molecolare e
medicina, in T.R. Harrison, Principi di medicina interna, McGraw-Hill, Milano 1995, pp. 404-423.
329
Pour un approfondissement de la technique, consulter à cet égard les revues suivantes: H.A. Erlich, N. Amheim,
Genetic analysis using the polymerase chain reaction, «Ann. Rev. Genet.», 1992, 26, pp. 479-506; N. Amheim, H.A. Erlich,
Polymerase chain reaction strategy, «Annu. Rev. Biochem.», 1992, 61, pp. 131-156.
peut donc poser de problèmes éthiques330. Le procédé se situe dans le cadre de la finalité
thérapeutique, comme nous pourrons encore mieux le constater.
L’intervention de modification sur la lignée des cellules germinales est, tout du moins
actuellement, exclue de par l’impossibilité de diriger l’insertion du gène correct. Étant donné
l’actuelle inefficacité de la génothérapie sur les cellules de la lignée germinale, on a proposé,
dans certains pays, d’expérimenter sur les cellules germinales et, donc, sur les embryons
provenant de cellules manipulées afin d’optimaliser la technique. L’expérimentation non
thérapeutique sur l’embryon humain reste gravement illicite dans l’optique de la bioéthique
personnaliste, indépendamment de la finalité poursuivie
======================================
p314
(modification du patrimoine génétique physiologique, amélioration des possibilités futures de la
science)331.
Enfin, l’hypothèse de l’intervention sur l’embryon humain revêt un caractère encore plus
délicat du fait qu’elle comporte un risque très élevé de compromettre la vie de l’embryon, ou son
avenir biologique dans le sens génétique; ce procédé pose d’autant plus de problèmes éthiques
qu’il est programmé d’avance dans un but expérimental.
Cette matière a, d’ailleurs, déjà été abordée dans quelques-uns des discours importants du
Saint-Père, Jean-Paul II, tels que dans le Discours à l’Association Médicale Mondiale du 29
octobre 1983332, dans l’Allocution aux participants du Congrès sur l’expérimentation en
biologie organisé par l’Académie Pontificale des Sciences le 23 octobre 1982 et dans le Discours
adressé aux participants du Ier Congrès Médical International du Mouvement pour la vie sur le
thème: Diagnostic prénatal et traitement chirurgical des malformations congénitales333. Mais
c’est surtout dans l’Instruction sur Le respect de la vie humaine naissante et la dignité de la
procréation (Donum vitæ), de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, datée du 22 février
1987, que sont contenues des indications éthiques précises en ce qui concerne l’expérimentation
et toutes les interventions de manipulation des embryons334.
330
La première autorisation à pratiquer une thérapie génique a été donnée aux USA le 4.9.1990 par la Food and Drugs
Administration (FDA) pour tenter un transfert de cellules portant le gène pour corriger le défaut en enzyme adénosine déaminase
(ADA) sur une fillette de quatre ans. Une autre autorisation a été donnée, toujours aux États-Unis par la FDA, pour le transfert de
gène pour le Tumor Necrosis Factor (TNF). En Italie, le transfert de gène pour défaut en ADA a été effectué pour la première fois
en 1992 à l’Istituto Scientifico Ospedale «S. Raffaele» de Milan. Trois ans plus tard, les deux patients soumis à cette thérapie
présentaient une normalisation de leurs défenses immunologiques, avec rétablissement fonctionnel tant de l’immunité cellulaire que
de l’immunité humorale. Ce résultat indique le plein succès de cette intervention (cf. C. Bordignon, L.D. Notarangelo, N. Nobili et
al., Gene therapy in peripheral blood lymphocytes and bone marrow for ADA-immunodeficient patients, «Science», 1995, 270,
pp. 470-475).
331
Cette tendance apparaît aussi dans le document du CNB sur la génothérapie (cf. les commentaires sur le document et
une comparaison avec des documents d’autres Comités éthiques en la matière, consulter respectivement: V. Mele, La geneterapia
ed il parere del Comitato Nazionale per la Bioetica, «Vita e Pensiero», 1991, 5,
pp. 362-367; A.G. Spagnolo, M.L. Di Pietro,
Terapia genica: il documento 15.2.91 del Comitato nazionale per la Bioetica ed un’analisi comparativa con le esperienze di altri
Comitati etici nazionali ed internazionali, «Il Diritto di Famiglia e delle Persone», 1992, XXI(2), pp. 323-363.
332
Jean-Paul II, Discorso all’Associazione Medica Mondiale (29.10.1983) in Insegnamenti di Giovanni Paolo II, VI, 2,
pp. 917-923.
333
Id., Discorso ai partecipanti al I Convegno Medico Internazionale del Movimento per la vita sur: «Diagnosi
prenatale e trattamento chirurgico delle malformazioni congenite» (3.12.1982), ibid. V, 3, pp. 889-898 et 1509-1513.
334
Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Istruzione su Il rispetto della vita umana nascente e la dignità della
procreazione (22.2.1987), partie I, in Enchiridion Vaticanum, 10, pp. 818-893.
Cette éventualité sera, d’ailleurs, clarifiée quand nous envisagerons la fécondation in vitro qui
est la technique principale pour obtenir des embryons humains sur lesquels pratiquer tout type
d’expérimentation.
Finalités
Les finalités d’utilisation des conquêtes génétiques déterminent d’une manière prépondérante
la moralité d’un grand nombre d’interventions, comme il est facile de le comprendre.
====================================
p315
Nous pouvons classer les finalités d’intervention dans le domaine génétique de la manière
suivante (consulter aussi le tableau récapitulatif à la fin du chapitre):
– finalités diagnostiques
– finalités thérapeutiques
– finalités productives
– finalités altérantes
– finalités expérimentales (destructives)
L’utilisation du génie génétique à des finalités diagnostiques est multiple et la gamme des
nouvelles applications a augmenté au cours de ces dernières années.
Outre le diagnostic génétique prénatal, que nous envisagerons séparément dans le détail, se
développent différentes applications chez l’adulte: pour mettre en évidence des maladies
d’origine probablement génétique, lors d’examens prénuptiaux ou préconceptionnels en vue
d’évaluer le risque qu’ont d’éventuels porteurs sains d’engendrer des enfants malades; dans le
cadre du droit civil pour la vérification de la paternité; dans le cadre du droit pénal pour identifier
le coupable de crimes, et en outre dans le cadre des dépistages systématiques. Les dépistages, en
effet, ne concernent pas seulement les femmes enceintes dans une population à risque déterminée,
mais également les adultes, dans le cadre de la médecine du travail par exemple, pour vérifier
l’aptitude à certaines conditions de travail.
Nous aborderons plus loin ces méthodes et ces applications diagnostiques du point de vue
éthique. Le projet de séquençage de tout le génome humain fera l’objet d’une mention
particulière.
Les finalités thérapeutiques dans le domaine génétique, dans le cas où elles peuvent être mises
en jeu, se réfèrent au sujet sur lequel se pratique l’intervention et non pas en prévoyant déjà de
sacrifier quelqu’un pour avantager quelqu’un d’autre.
Comme nous y avons déjà fait allusion en parlant des niveaux d’intervention, la thérapie
génétique peut être envisagée sur des cellules somatiques (système lymphatique, cellules du sang,
cellules de la moelle osseuse), ou sur des cellules de la lignée germinale, ou encore sur l’embryon
précoce. Comme nous le verrons, l’appréciation éthique peut varier considérablement en fonction
de ces niveaux d’intervention.
La finalité productive du génie génétique s’exerce déjà et surtout dans le domaine
pharmacologique pour la production d’hormones telles que l’insuline humaine, l’interféron, les
vaccins bactériens, viraux et parasitaires, le facteur VIII (insuffisant dans l’hémophilie de type
A), et d’autres développements en cours. La technique utilisée fait appel à l’emploi de l’ADN
recombinant. Par exemple, pour la synthèse en laboratoire de l’insuline humaine, on a isolé et
prélevé un segment d’ADN à partir des cellules bêta des îlots du pancréas de l’homme en coupant
l’ADN en des points précis à l’aide de ces «ciseaux biologiques» que
========================================
p316
sont les enzymes de restriction (endonucléases de restriction), de façon que les bases aux
extrémités de ce segment d’acide désoxyribonucléique puissent se rejoindre dans l’ordre prévu
avec les bases de l’ADN de la cellule réceptrice.
La cellule réceptrice dans le cas de l’insuline est représentée par l’Escherichia Coli. L’ADN
d’un plasmide de l’Escherichia Coli est ouvert avec les mêmes «ciseaux enzymatiques»
constitués par l’endonucléase de restriction au point juste de manière que les bases puissent
reconstruire la succession complète avec le segment qui est greffé. L’Escherichia Coli, se
multipliant dans un bouillon de culture, produit l’insuline humaine, qui est ensuite purifiée et
commercialisée.
Comme on peut le comprendre, le problème est surtout technique mais il a aussi des
implications éthiques tant pour les effets du produit (dans ce cas, ils semblent être encore positifs)
que pour la bactérie utilisée, qui dans le cas de l’Escherichia Coli n’est pas dangereuse, mais qui
pourrait l’être dans le cas d’autres bactéries et d’autres virus.
S’inscrivent également dans ce cadre productif de nombreuses biotechnologies utilisées dans
le domaine agricole et alimentaire, dans lesquelles l’emploi de vaccins, de bactéries et de virus
est en fait pratiqué tant pour améliorer les produits agroalimentaires que pour la protection des
productions végétales. Dans ce domaine aussi, des problèmes éthiques se profilent, que nous
devrons examiner surtout par rapport à la protection de l’environnement.
La perspective altérante (là où altération signifie une modification non pas thérapeutique mais
élective et sélective) peut être envisagée dans le domaine humain ou dans le domaine animal et
végétal pour la création d’espèces modifiées ou de classes d’individus génétiquement manipulés.
La première hypothèse, celle de l’homme, est, de l’avis unanime, à exclure quelles que soient les
possibilités techniques réelles, ainsi que nous le verrons. La seconde hypothèse est, de fait, pratiquée et pose le problème de l’influence possible des biotechnologies sur l’écosystème ou sur les
écosystèmes.
On parle ensuite d’une forme atténuée d’altération, dans ce domaine, qui serait l’amélioration
de l’espèce. D’aucuns n’excluent pas, en principe, le génie génétique d’amélioration, même chez
l’homme335.
Orientations éthiques et critères de jugement éthique
Il est important de s’arrêter et de réfléchir sur le critère de base adopté dans le domaine
bioéthique, pour affirmer que certains procédés sont licites, par exemple la génothérapie, et pour
déclarer illicites d’autres procédés, par exemple la manipulation génétique à des fins
========================================
p317
335
M. Cuyás, Problematica etica della manipolazione genetica, «Rassegna di Teologia», 1987, 5, pp. 471-497.
eugéniques. Sur la base de quels principes doit-on établir cette limite entre le licite et
l’illicite? L’homme de science qui procède sur le plan des possibilités techniques et
scientifiquement fondées pose le problème, mais il ne peut pas demander à la biologie
moléculaire le critère de démarcation entre le licite et le non-licite, à moins que l’on ne déclare
ipso facto (par le fait même) licite tout ce qui est techniquement et scientifiquement possible.
C’est ce que soutiennent ceux qui considèrent que l’homme est complètement maître de luimême et de ses destins (dans ce cas, seul le scientifique serait le maître privilégié) et, tout comme
à l’origine de la vie le hasard aurait rendu possibles certaines combinaisons – comme d’aucuns
l’affirment nous l’avons déjà vu – qui font que nous, de l’espèce humaine, sommes ce que nous
sommes, de même aujourd’hui des possibilités déterminées consentent de nouvelles perspectives
à l’espèce et de nouvelles mutations dans son destin biologique. Dans ce cas, il n’y aurait pas de
morale, à moins que par morale on ne se réfère à une morale de l’efficacité, où est moral chaque
fait qui réussit. L’historisme philosophique serait ainsi transplanté à l’intérieur de la biologie336.
Dans cette optique, la bombe d’Hiroshima serait tout autant morale que l’invention du vaccin
Sabin.
D’autres pourraient penser qu’il incombe à la loi positive de l’État ou à la loi internationale de
mettre des limites acceptables pour la majorité de l’humanité en un moment historique déterminé:
par exemple, on peut dire que la recherche est aujourd’hui permise à des fins de génothérapie,
mais non pas à des fins eugéniques-racistes à la recherche du neanthropos. Demain, quand les
choses seront plus établies et plus sûres et que les risques et les bénéfices d’un procédé seront
bien calculés, la communauté pourra se donner d’autres statuts. C’est une position que l’on
retrouve dans le cadre d’un grand nombre de Comités scientifiques ou scientifico- juridiques,
comme par exemple dans le Warnock Committee, déjà cité.
Comme on peut le constater, il s’agit d’une position empiriste et pragmatique cherchant à
adapter les normes en vigueur aux nouvelles situations337. Il convient d’ajouter que, dans le
cadre de ce courant de pensée, l’utilitarisme se fait également sentir pour justifier toute méthode
qui puisse conduire à un résultat. L’on ne veut pas, par exemple, accepter le critère du respect de
l’embryon puisque la destruction des embryons est considérée nécessaire pour parvenir au but qui
est celui de faire progresser la recherche scientifique pour le bien de l’humanité.
De toute évidence, les Comités internationaux et nationaux compétents en la matière sont pour
le moins influencés par cette position positiviste dans le domaine juridique et pragmatique (au
sens philosophique), et il est facile de prévoir que les limites qui seront imposées à la recherche
scientifique suivront en fait plus le critère de la majorité-minorité
=======================================
p318
que des critères objectifs et universellement valables. Même l’appel aux «droits de l’homme»
a du mal à faire autorité et à constituer un critère qui soit semblablement compris de tous. Il faut,
toutefois, dire que même dans cette optique positiviste et empirique le problème est déplacé mais
non résolu: sur quelles bases devra s’appuyer l’opinion du législateur, et celle de la majorité ou
de la minorité des Comités?
336
C’est la position soutenue par ceux qui adhèrent, d’une manière radicale, à la pensée exprimée par Jacques-Monod
dans Le hasard et la nécessité.
337
Se reporter au chapitre sur les modèles éthiques de référence.
Si le critère, comme il semble l’être, est celui de l’utilité constatée au moment présent,
l’utilitarisme ne peut pas constituer une bonne morale, spécialement quand il est appliqué à des
sujets qui ne peuvent pas décider (les embryons) ou au détriment de l’humanité future qui devrait
subir les décisions prises par autrui.
Il convient, en somme, de trouver un critère objectif de référence non seulement pour la
morale338, mais aussi pour la loi.
La référence à la théologie ne serait pas, selon certains, décisive car les sources de la
Révélation n’offrent pas des indications de détail, mais éclairent seulement sur la valeur sacrée de
la vie humaine en général. De plus, cette indication théologique ne serait valable que pour les
croyants339. C’est pourquoi, tout en considérant tout à fait légitime et valable, normativement et
théologiquement, l’intervention du Magistère de l’Église dans ce domaine du savoir, qui met en
question l’avenir de l’homme340, la réflexion rationnelle n’apparaît pas seule========================================
p319
ment légitime mais indispensable. Certains théologiens, se basant sur les vérités révélées de
caractère général: «l’homme image de Dieu», «la valeur de la vie», etc., affirment qu’on peut, à
partir des données théologiques, déduire que l’homme, justement parce qu’il est à l’image de
Dieu, peut non seulement maîtriser les réalités cosmiques pour son propre bien, mais aussi sa
propre réalité physique pour son propre bien341. Naturellement, la question se pose de savoir où
réside réellement le bien de l’homme dans le cas concret d’une intervention de manipulation
génétique ou de génie génétique.
Nous sommes, au contraire, d’accord avec Privitera quand il dit qu’une référence à la
déontologie médicale342 ne suffit pas, si par déontologie médicale on entend codes de
déontologie médicale, d’une part parce que ceux-ci n’affrontent pas clairement la question,
d’autre part parce qu’une norme juridique ne peut pas remplacer mais doit plutôt présupposer une
justification éthique. Le critère doit, donc, se trouver à l’intérieur de l’éthique, et dans ce cas à
l’intérieur de la bioéthique.
338
Ces questions sont posées par toute la réflexion juridique personnaliste et également par les moralistes. Consulter:
Lombardi Vallauri, Manipolazioni genetiche...; Cirotto, Privitera, La sfida dell’ingegneria genetica...; Aut. Div., Manipolazioni genetiche e diritto, Roma 1986.
339
K. Rahner, Il problema della manipolazione genetica, in Nuovi Saggi, III, Roma 1969, p. 341; A. Dumas,
Fondements bibliques d’une bioéthique, «Le supplément», 1982, 142, p. 353. Leur pensée est rapportée par Cirotto, Privitera, La
sfida dell’ingegneria genetica..., pp. 146.
340
L’Instruction «Donum Vitæ», qui s’occupe surtout de procréation artificielle et seulement dans certains passages de
génie génétique, représente la conclusion de toute une ligne du Magistère développée, outre les discours de Jean-Paul II cités dans
ce chapitre, dans des documents épiscopaux relatifs au thème de la FIVET (se reporter à la note 58 du chapitre sur les techniques de
fécondation artificielle). En ce qui concerne la valeur de ces documents du Magistère, nous ne sommes pas d’accord avec ce
qu’affirme Privitera dans l’œuvre citée: La sfida dell’ingegneria genetica..., se référant à J. Fuchs, selon lequel, s’agissant de
problèmes contenant des données scientifiques, médicales, biologiques, «les jugements qu’il formule sur cette matière n’ont pas la
même valeur que celle qui est attribuée à la vérité qu’il proclame, mais ils peuvent être vrais, tout comme ils peuvent aussi être
faux» et ils valent «non pas pour l’autorité qu’ils représentent, mais pour les arguments qu’ils suggèrent» (pp. 167-168). Il me
semble qu’il faut tenir compte du fait que si ces documents se veulent normatifs – et l’Auteur considère qu’ils le sont – ils ont la
teneur de vérité enseignée avec autorité en vertu de son charisme, dans la mesure où ils ne se prononcent pas sur des données
scientifiques, mais sur les normes éthiques et sur les valeurs morales, domaine dans lequel le Magistère est pleinement compétent. Il
faudrait plutôt rappeler que les déclarations du Magistère ne dispensent pas le moraliste d’en expliciter les raisons ni de les illustrer.
341
Cf. S. Spinsanti, Vita fisica, in Aut. Div., Goffi, Piana (sous la direction de), Corso di morale, II. Diakonia (Etica
della persona), pp. 127-267, en particulier p. 223.
342
Cirotto, Privitera, La sfida dell’ingegneria genetica..., p. 155.
Ceci nous laisse, cependant, un sentiment d’indétermination et, par conséquent, d’insuffisance
quant à ce qu’affirme ce même auteur à propos de l’éthique téléologique343. La téléologie
considère la réalisation des valeurs, d’après l’illustration qu’en fait ce même auteur, comme
critère de morale, mais ce sera justement la réalisation d’une valeur déterminée qui dictera le
caractère obligatoire de certains choix concrets et le refus nécessaire de choix opposés. Si je
veux escalader une montagne et atteindre le «telos» du sommet, je devrai concrètement choisir
un chemin déterminé et faire des pas concrets pour l’atteindre. En d’autres termes, la téléologie
devra faire appel à une anthropologie, le choix existentiel humain devra supposer une définition
essentielle de ce qui est humain et de ce qui ne l’est pas, tant pour l’ensemble de la réalisation du
projet que pour chacune des actions tendant à le réaliser. Qui est-ce qui, autrement, établit si un
résultat déterminé – la téléologie vise à des résultats que l’on peut réaliser – est une valeur vraie
ou construite dans un but utilitaire?
Les valeurs, du reste, devront supposer une vérité rationnelle et objective et c’est justement
cette vérité qu’il faut expliciter en ces domaines. Qui nous dit que le fait de construire une
humanité génétiquement plus grande du point de vue physique, ou plus «domestiquée» du point
de vue psychique, soit une valeur? Qui nous dit que le fait d’obtenir un embryon par clonage, et
donc d’une manière asexuelle, en tous points semblable à l’organisme donneur du patrimoine
génétique, soit une valeur? Nous ne pouvons pas le demander au scientifique, ni au juriste, ni au
déontologue, ni même au téléologue, à moins qu’ils ne nous donnent
=========================================
p320
des raisons objectives et valables, ce qui veut dire que la téléologie requiert un ultérieur
approfondissement d’anthropologie rationnelle.
Nous considérons aussi insuffisant le critère fondamental de la sauvegarde de la vie de
l’embryon, proposé par les juristes et les philosophes du droit, selon lequel est considéré comme
licite tout ce qui ne met pas en grave danger la vie de l’embryon. Certainement il s’agit déjà là,
s’il est fermement maintenu, d’un point essentiel et fondamental; et nous devons dire que toutes
les législations ne le maintiennent pas dans sa fermeté; mais si cet objectif peut représenter le
dernier garde-fou du droit, il n’est pas suffisant pour la morale, car tout l’homme, dans sa
plénitude, ne se restreint pas à la survie physique. Il existe, sur le plan spirituel, des exigences et
des valeurs diverses qui doivent être sauvegardées ensemble dans la procréation344.
Dans ces conditions, quel devrait être le critère éthique, bioéthique, de discernement? Nous
devons revenir sur ce que nous avons exposé dans le chapitre sur les principes de la bioéthique et
en particulier à l’unité personne-corps, et au principe que nous avons appelé principe de la totalité
ou thérapeutique.
Le corps, et en particulier son programme génétique, son «code» génétique, est uni à l’esprit
d’une manière telle qu’il constitue l’unité existentielle et essentielle de la personne. Ce qui veut
dire que toute intervention sur le corps – et par conséquent sur le code génétique aussi – est une
intervention sur la totalité de la personne et ne peut se justifier que pour une raison thérapeutique.
Toute autre intervention sur la personne – bien intangible – est arbitraire, ou idéologique, ou de
domination de l’homme sur l’homme.
343
344
Ibid., pp. 172-203.
Lombardi Vallauri, Manipolazioni genetiche...
Ceci ne veut pas dire qu’il faut s’en rapporter à une conception biologiste de la loi naturelle
mais, plutôt, à une déduction rationnelle basée sur l’essence de l’homme conçu comme unité
âme-corps.
La réalité humaine ne se limite pas au corps, mais le corps en est une composante essentielle et
c’est la raison humaine qui doit préserver l’homme dans son intégrité et sa plénitude.
Ceci dit, il convient de réaffirmer la reconnaissance du caractère créé de l’homme et de la
seigneurie de Dieu sur la personne humaine. Mais nous pensons qu’il faut fonder le critère de
morale sur la vision personnaliste de la corporéité345, dont le code génétique constitue la
structure portante.
=========================================
p321
Il ressort, de cette position, certains principes d’orientation éthique que nous pouvons résumer
de la façon suivante:
1. La sauvegarde de la vie et de l’identité génétique de chaque individu humain. Toute
intervention qui comporte la suppression de l’individualité physique d’un sujet humain, même si
elle est directement voulue pour parvenir à un bénéfice pour les autres, représente une offense à
la valeur fondamentale de la personne humaine, parce qu’elle prive le sujet humain de la valeur
fondamentale sur laquelle reposent toutes les autres, la valeur de la vie corporelle. Même le
concept de qualité de vie ne peut prévaloir sur le concept de la vie elle-même, la qualité étant un
attribut complémentaire de la vie.
L’acceptation du critère de qualité de vie pour discriminer et supprimer certaines vies
représente aussi une offense au principe d’égalité et d’égale dignité.
De même, il faut considérer comme intangible le patrimoine génétique de l’individu humain,
exception faite du principe thérapeutique dont nous parlerons plus loin. Que certains hommes,
même s’il s’agit de scientifiques, puissent modifier la constitution génétique d’autres hommes
représenterait une domination de l’homme sur l’homme et une instrumentalisation comportant en
plus des conséquences irréversibles – de la part de certains hommes sur d’autres hommes. S’il
était possible, comme il semble, de modifier la constitution génétique pour produire un
changement de sexe chez l’embryon précoce au moyen de micro-injections de segments
appropriés d’ADN, cela représenterait un abus et une offense à l’identité du sujet, une
instrumentalisation346 supportée par des sujets humains.
C’est pour cette raison que tant la recommandation du Conseil de l’Europe 934 de 1982 que la
Résolution du Parlement Européen de 1989 l’interdisent explicitement347.
345
Rahner, Il problema della manipolazione genetica, pp. 370-371. Consulter le discours de Jean-Paul II du 29.10.1983,
repris de l’Instruction, dans lequel sont posées les conditions suivantes à la licéité des interventions de manipulation génétique: que
soit sauvegardée la vie de l’embryon, qu’il s’agisse d’interventions thérapeutiques au sens strict du mot, que soient sauvegardés les
droits fondamentaux de l’homme y compris celui de l’identité génétique, que dans l’acte procréatif soient sauvegardées à la fois les
valeurs affectives et spirituelles et les valeurs biologiques et corporelles.
346
E. Brovedani, Verso la terapia genica umana. Prospettive e implicazioni etiche, «Aggiornamenti Sociali», 1988, 910, pp. 591-610.
347
La Résolution du Parlement Européen (doc. A2-327-88) intitulée: Risoluzione sui problemi etici e giuridici della
manipolazione genetica approuvée le 16.3.1989 (publiée dans «Medicina e Morale», 1989, 3, pp. 579-587) considère que: «une
modification partielle du patrimoine héréditaire représente une falsification de l’identité de l’homme inadmissible et injustifiable en
tant qu’il s’agit d’un bien juridique hautement personnel». La Recommandation du Conseil de l’Europe n° 934 sur le génie
génétique affirme que: «les droits à la vie et à la dignité humaine garantis par les articles 2 et 3 de la Convention Européenne des
droits de l’homme impliquent le droit d’hériter des caractéristiques génétiques exemptes de toute manipulation». Ces documents
=========================================
p322
2. Le principe thérapeutique. La validité du principe thérapeutique, fondé sur le concept de
totalité propre à l’organisme vivant et à la personne humaine, est aussi reconnue dans le cas de la
génétique.
Il est licite d’effectuer une intervention même invasive pour le bien du sujet vivant en vue de
corriger un défaut ou d’éliminer une maladie qui ne pourrait pas être soignée autrement. Comme
toute thérapie, la thérapie génique trouve ici son fondement et sa justification. Nous verrons
ensuite les applications de ce principe.
3. La sauvegarde de l’écosystème et de l’environnement. Ce principe a une double
justification: tout d’abord parce que l’environnement, qui est constitué d’un ensemble
d’écosystèmes particuliers au sein de l’écosystème global, est nécessaire pour la vie et la santé de
l’homme. En second lieu, bien que le créé, dans une vision créationniste de l’univers, est bien sûr
ordonné au bien de l’homme, qui en est le centre et le gardien, son unique raison ne se limite pas
pour autant à être un instrument en faveur de l’homme; il s’agit toujours d’un bien qui a en Dieu
sa raison d’être348.
S’il est vrai que chez la personne humaine l’être vient avant l’avoir, il est aussi vrai que pour
les autres êtres vivants exister signifie plus qu’être un simple instrument.
Aussi dans la polémique entre écologistes anthropocentriques et écologistes biologiques, nous
proposons un personnalisme théocentrique et créationniste dans lequel l’homme est gardien outre
que bénéficiaire du créé, et en particulier des autres créatures vivantes. Tout ceci a un poids
considérable dans le secteur des biotechnologies.
4. La différence ontologique et axiologique entre l’homme et les autres êtres vivants. Tout en
reconnaissant le lien d’intime échange vital qu’il y a entre les êtres vivants et l’homme, l’on ne
peut pas cependant supprimer la différence réelle et profonde qui existe du fait que seul l’homme
est capable d’une conscience réfléchie, d’une liberté et responsabilité, en un mot qu’il est doté
d’esprit.
Dans le cadre de la pensée catholique, rappelons la phrase du Concile Vatican II349 qui
affirme l’ordination des créatures à l’homme, tandis que l’homme est créé pour lui-même. Du
reste, l’affirmation est étayée par la raison elle-même qui est présente en tant qu’élément distinctif chez l’homme. Ceci fait que l’on ne peut pas utiliser le même
=========================================
p323
critère pour les interventions sur l’homme et sur les autres êtres vivants, par exemple, le
critère de douleur350, parce que la sensation de douleur chez les animaux diffère essentiellement
sont publiés dans Centro Studi del Ministero della Sanità, Le raccomandazioni del Consiglio d’Europa sull’ingegneria genetica e la
ricerca scientifica relativamente agli embrioni e feti umani, 20.2.1989, suppl. au n° 8, pp. 191 ss.
348
Ces concepts sont exposés dans le message pour la paix de Jean-Paul II de 1990, intitulé Nous voulons être des
opérateurs de paix en accueillant le don de la création comme signe et sacrement de l’amour de Dieu (1.1.1990) in Insegnamenti de
Jean- Paul II, XIII, 1, pp. 5-6. Sur la même question, la Conférence Épiscopale Allemande s’était exprimée avec une Déclaration
sur «L’avenir de la création et l’avenir de l’humanité», publiée dans «Medicina e Morale», 1990, 2, pp. 366-380.
349
Concile Vatican II, Constitution pastorale «Gaudium et spes», n. 12.
350
Singer, Practical ethics...; id., Animal liberation...
de celle de l’homme: l’animal simplement souffre; l’homme, lui, sait qu’il souffre et cherche une
signification à la souffrance. Du reste, les interventions génétiques peuvent être sérieusement
préjudiciables même lorsqu’elles sont effectuées au cours des phases de la vie où la douleur
n’existe pas.
5. La compétence de la communauté. Le problème des interventions sur le patrimoine
génétique de l’homme et des autres êtres vivants ne peut être confié, seulement pour trouver des
solutions, à quelques experts même s’il s’agit de scientifiques ou d’hommes politiques: c’est une
question qui, sur certains points, concerne l’humanité tout entière. L’avenir de l’humanité
requiert la participation responsable de la communauté. C’est pourquoi il faut reconnaître le
principe de la liberté de la science et de la recherche tout en respectant les exigences
d’information des populations et leur coresponsabilité. On pense aux problèmes des dépistages
génétiques, de la manipulation du milieu écologique et du séquençage du génome humain.
Il faudra trouver des formes d’association et de coresponsabilité pour les scientifiques euxmêmes, sur le principe de l’autocontrôle, en vue du bien commun et avec la collaboration de
l’opinion publique. L’expérience des comités de bioéthique et des autoréglementations,
confirmée ensuite par la loi là où c’est nécessaire, confirment ce principe dans les différents
États.
Il faut, à ce point de vue, poser le problème des pays en développement. Ceux-ci doivent être
compris dans cette communauté. Ces pays, en fait, pourraient, d’une part, profiter des progrès
biotechnologiques et, d’autre part, être contraints de vivre dans une plus grande dépendance
économique et productive par rapport aux pays développés qui détiennent le pouvoir
biotechnologique. Il est certain que le développement des biotechnologies a déjà introduit une
période nouvelle dans les rapports entre le Nord et le Sud du monde.
Normes éthiques particulières
Nous devons maintenant considérer synthétiquement les conséquences de ces critères et de ces
principes généraux, en nous attachant, autant qu’il est possible, aux possibles applications.
Il s’agit, avant tout, de la nécessité éthiquement justifiée de sauvegarder la sécurité des
biotechnologies tant par rapport aux laboratoires que par rapport à l’environnement. La première
alarme à propos du génie génétique est venue de la possibilité de dévaster la biosphère par
=========================================
p324
la bombe biologique. C’est en se référant à ce fait que les premières normes et directives ont
été formulées pour la sécurité de l’environnement et la garantie des laboratoires. En effet, dans le
laboratoire on peut modifier des micro-organismes qui peuvent présenter un danger majoré,
minoré ou identique pour ceux qui y travaillent. En cas d’un essaimage – accidentel ou délibéré –
de ces micro-organismes dans l’environnement, le dommage peut frapper toute une population.
Le document du CNB résume les directives et les instances éthiques auxquelles nous pensons
qu’il est possible d’adhérer. Avant tout, le Document du CNB donne une définition du terme et
du concept de biotechnologie: «toute technique qui utilise des organismes vivants ou leurs parties
pour faire ou modifier des produits, pour améliorer des plantes ou des animaux ou pour
développer des micro-organismes pour des usages spécifiques»351. D’autres définitions plus
techniques et plus ciblées ont été fournies par l’Organisation pour la Coopération et le
Développement Economique (OCDE) et par la Fédération Européenne des Biotechnologies352.
Le développement des biotechnologies comporte la mise en œuvre des techniques de génie
génétique, la culture des cellules in vitro, la production des anticorps monoclonaux. Elles
trouvent des applications dans l’industrie chimico-pharmaceutique et dans l’industrie
agroalimentaire. Déjà en 1990, on dénombrait environ 1 500 entreprises biotechnologiques aux
États-Unis et 134 en Italie353.
En définitive, les lignes éthiques générales en la matière portent sur: a) la défense de la vie et
de la santé de l’homme; b) la protection de l’environnement. Ces deux principes, assumés
simultanément dans l’évaluation des biotechnologies, exigent que l’on tienne compte non
seulement de la technique en elle-même mais du produit et du risque qui peut en découler.
Pour le risque des biotechnologies en milieu confiné le CNB recommande de tenir compte de
deux aspects:
=======================================
p325
a) les traits génétiques, physiologiques, écologiques et l’éventuel caractère pathogène de
l’organisme parental;
b) la nature des modifications ou les caractéristiques de l’ADN recombinant avec lequel il a
été transformé.
À cet effet, des classifications des micro-organismes en fonction de leur risque ont été
fournies, depuis les directives du NIH américain, jusqu’aux règlements des autorités sanitaires
nationales. L’étude du risque envisage aussi les effets cancérogènes. En fonction du risque, des
mesures de sécurité appropriées ont été prises. En Italie, les directives ont été fournies par le
Ministère de la Santé354.
En ce qui concerne, ensuite, la dissémination d’organismes génétiquement modifiés, on peut
en distinguer divers types: les plantes (déjà en 1989, plus de trente espèces génétiquement
modifiées avaient été recensées), les animaux supérieurs pour l’amélioration des individus et des
produits; les micro-organismes: bactéries et virus.
Pour les plantes «l’utilisation de la recherche est destinée à la modification de certaines
caractéristiques fondamentales pour l’agriculture telles que la résistance aux virus, aux parasites,
aux insectes, aux herbicides, aux conditions environnementales difficiles, la capacité de
formation d’azote atmosphérique, l’amélioration des propriétés alimentaires»355. En ce qui
351
La définition est reprise du: Office for Technology Assessment (OTA) du Congrès des États-Unis: Commercial
Biotechnology: an International Analysis, Washington (DC) 1984.
352
Les définitions de biotechnologies formulées par l’Organisation pour la Coopération et le Développement
Économique (OCDE) et par la Fédération Européenne des Biotechnologies se trouvent dans le Comitato Nazionale per la Bioetica,
Documento sulla sicurezza..., p. 9. Selon l’OCDE, en effet, «(...) les biotechnologies correspondent à «l’application de principes
scientifiques et d’ingénierie au traitement de matériel biologique dans le but de fournir des biens et des services (...)», tandis que
pour la Fédération Européenne des Biotechnologies, elles «(...) correspondent à l’utilisation intégrée de biochimie, microbiologie et
ingénierie pour réaliser des applications technologiques à partir des propriétés des micro-organismes, cultures cellulaires et autres
agents biologiques».
353
C. Spalla, Il progresso delle biotechnologie in Italie, Milano 1990; Comitato Nazionale per la Bioetica, Documento
sulla sicurezza..., pp. 9-10.
354
Consulter «documento Polli» sur le génie génétique là où ces directives sont rappelées (cf. Ministero della Sanità,
Relazione della Commissione...).
355
Comitato Nazionale per la Bioetica, Documento sulla sicurezza..., p. 13.
concerne les micro-organismes, les recherches portent sur les bactéries et sur les virus non
seulement par rapport à des utilisations possibles dans le secteur alimentaire, mais aussi pour la
biodégradation des déchets.
Par rapport à la dissémination dans l’environnement de micro- organismes génétiquement
modifiés, l’évaluation du risque constitue la première condition de morale. On a évalué que
l’introduction dans l’environnement de tels micro-organismes modifiés finit par avoir des effets
négatifs dans 10 à 20% des cas356, en comprenant sous le terme d’«effet négatif» une
perturbation considérable des équilibres écologiques, la disparition de certaines espèces sauvages
ou un comportement fortement agressif. Les effets négatifs sont reliés à trois facteurs:
– absence d’ennemis naturels;
– nocivité pour les autres organismes;
– destruction directe d’écosystèmes.
Donc, avant de procéder à la dissémination des organismes modifiés, il est demandé aux
Organismes compétents (telles l’OCDE, les
=======================================
p326
directives des commissions CEE) et à leurs auteurs de préciser les cinq points suivants:
– si l’organisme modifié est capable de survivre;
– s’il est capable de se reproduire;
– s’il est capable de former des populations et de se propager;
– si l’organisme est capable de conférer à d’autres organismes les traits qui lui ont été conférés
artificiellement;
– si les facteurs énumérés (survie, dissémination, stabilisation et diffusion de l’organisme)
sont en mesure de produire des effets indésirables pour l’homme et pour l’environnement357.
L’identification des facteurs à risque doit être évaluée cas par cas et requiert une capacité
complexe de suivi et d’instrumentation adéquate358. Celle-ci est moralement nécessaire pour
éviter tout risque pour la santé et pour l’environnement.
Une autre condition est qu’il y ait une réelle utilité pour le bien de la société actuelle sans
préjudice pour la société future. Il ne s’agit pas d’encourager les expériences pour elles-mêmes.
Il faut également donner une information adéquate au public pour dissiper toute fausse crainte
ou pour informer sur des avantages réels.
Il faut, en outre, pourvoir à la conservation des espèces en voie d’extinction et à la sauvegarde
de la biodiversité grâce à la mise en place de banques de semences et à l’amélioration des
techniques reproductives artificielles.
356
Ibidem p. 14; R.I. Sailer, Our immigrant fauna, «ESA Bulletin», 1978, 24, p. 3; D. Simberloff, Community effects of
introduced species, in Bioethics Crises in Ecological and Evolutionary Time, Chicago 1981; United States Department of Agriculture, Plant Introduction Service, Washington (DC) 1986.
357
C. Mantegazzini, The Environmental Risks from Biotechnology, London 1986; V. Capuano, Rilascio ambientale di
organismi geneticamente modificati: la valutazione del rischio, Roma 1991.
358
H. Halvorson (sous la direction de), Engineered Organisms in the Environment: Scientific Issues, Washington (DC),
1985; Aut. Div., Biotechnology Risk Assessment, Oxford 1986; Mantegazzini, The Environmental...; M. Kvistgaard, A.M. Olsen,
Biotechnology and the Environment, Bruxelles 1986; OCDE, Recombinant DNA Safety Considerations, Parigi 1986; OTA, Field
testing engineered organisms: genetic and ecological issues, Washington (DC) 1988; P. Regal, The Adaptive potential of
Genetically Engineered Organisms in Nature, «Trends in Biotechnology», 1988, 6, pp. 36-38; M. Sussmann et al. (sous la direction
de), The Release of Genetically Engineered Micro-organisms, New York 1988; J. Defaye et al. (sous la direction de), Risk
management in Biotechnology, Paris 1990; OCDE, Good Developmental Practices for small scale field research, Paris 1990;
Capuano, Rilascio ambientale...
Il est, enfin, nécessaire de prendre en considération les problèmes de macro-éthique
concernant la mise à la disposition des biotechnologies aux pays en développement pour résoudre
leurs problèmes alimentaires sans créer une ultérieure dépendance vis-à-vis des pays producteurs
de biotechnologies.
Même si les effets bénéfiques espérés dans ce domaine des biotechnologies n’ont peut-être pas
toujours correspondu aux attentes, il est certain que le secteur connaîtra un fort développement
dans le proche
=========================================
p327
avenir, avec de grandes répercussions tant sur l’agriculture que sur la zootechnie et dans
l’industrie alimentaire.
Les problèmes du diagnostic et des dépistages génétiques postnataux
Nombreux sont les thèmes éthiques liés au diagnostic génétique: il y a encore quelques
années, ils se concentraient sur le diagnostic prénatal qui, sans aucun doute, est un domaine
particulièrement riche en problèmes éthiques, ce pourquoi nous désirons lui consacrer un développement spécifique. Toutefois, aujourd’hui le débat s’enrichit aussi des applications du
diagnostic génétique à l’adulte. Nous mentionnerons donc, ici, quelques domaines d’application
du diagnostic génétique à l’adulte qui posent des problèmes éthiques.
Nous regroupons les thématiques autour des champs d’application du diagnostic génétique
postnatal suivants: a) le diagnostic génétique dans le but de déterminer la cause génétique d’une
pathologie et d’une symptomatologie clinique évidentes; b) le diagnostic génétique prénuptial et
préconceptionnel prenant aussi en considération les «dépistages systématiques», de masse ou sur
des populations à risque pour découvrir les porteurs de maladies génétiques; c) l’examen
génétique des travailleurs par rapport à la sensibilité génétique à des agents chimiques présents
dans le milieu de travail; d) le projet génome humain et ses implications éthiques; e) les
applications dans le domaine juridique; f) l’examen génétique requis par les assurances359.
L’examen génétique postnatal dans le but de
vérifier un diagnostic de maladie
Supposons, par exemple, qu’un enfant de six-sept ans, perdant graduellement la force
musculaire des jambes, puisse avoir une maladie d’origine génétique du type de la myasthénie de
Duchenne. Seul l’examen génétique peut, en quelques jours, donner cette certitude. Le problème
éthique concerne la communication de la vérité à l’intéressé et aux parents. Ce problème est plus
grave quand l’examen est effectué pour d’autres raisons – par hasard ou de propos délibéré – et
que l’on découvre une pathologie qui ne s’est pas encore déclarée cliniquement, mais qui se
manifestera dans le temps, à un âge plus adulte ou à l’âge mûr comme, par exemple, la fibrose
kystique ou la
=======================================
359
Sur chacun de ces thèmes la littérature scientifique s’est de plus en plus enrichie, et les Parlements ont commencé à
donner des indications à ce propos. Nous réservant la possibilité de citer les références spécifiques traitant chaque thème, nous
rappelons ici le volume: W. Kennet, Parliaments and Screening, Paris 1995 qui recueille les actes de deux Conférences au niveau
européen, qui ont traité des problèmes éthiques et sociaux des dépistages tant génétiques que pour le SIDA, domaines qui présentent
des problèmes similaires.
p328
chorée de Huntington. Dans ces études de cas complexes, il convient de rappeler qu’il y a un
«droit à savoir», comme il y a un «droit à ne pas savoir». Le droit à ne pas savoir et, donc,
l’obligation de ne pas communiquer, est certainement valable pour le patient mineur; le droit à
savoir pourrait être valable pour les parents qui le demanderaient. Il faut, toutefois, évaluer
l’opportunité, par rapport à la capacité psychologique des parents, non seulement de connaître le
résultat mais aussi de ne pas le révéler à l’enfant jusqu’à sa majorité. Si le malade majeur
demande à être informé sur le résultat du diagnostic, il faut examiner cas par cas l’effet que
pourrait avoir une telle information sur le malade en question, compte tenu du pronostic néfaste
qu’elle comporte360.
Le diagnostic prénuptial et préconceptionnel
Il est indiqué chez le sujet qui risque d’être porteur du gène responsable d’une maladie
génétique récessive, qui pourrait se marier avec un sujet porteur et courir ainsi le risque évalué à
25% d’avoir des enfants atteints de cette maladie.
Ces examens génétiques sont licites et sont recommandés chez les populations qui risquent de
transmettre le gène responsable de la thalassémie, par exemple. Dans certaines zones
géographiques, des examens généralisés de ce type, accompagnés du counselling nécessaire,
semblent avoir donné de bons résultats en termes de prévention primaire avec un abaissement du
pourcentage d’incidence361.
Ce système mérite le nom de prévention et peut représenter la véritable alternative à
l’avortement sélectif, que certains font passer pour «prévention» d’une manière tout à fait
indue362. Il convient, cependant, d’ajouter que ces examens ne peuvent pas être rendus
obligatoires au travers de «dépistages systématiques» ou de lois imposées de façon générale aux
futurs mariés. Le fait qu’ils soient licites ne veut pas automatiquement dire qu’ils soient
moralement obligatoires: le droit international et national l’interdirait. Du point de vue éthique,
on peut
========================================
p329
exercer une pression au niveau du sens de responsabilité, mais nous ne pensons pas que ces
examens doivent un jour devenir obligatoires363.
Dans le cas où un couple de futurs mariés se découvre porteur d’une maladie génétique, ceuxci doivent certainement prendre très au sérieux les conséquences d’un mariage comportant un très
haut risque de transmission génétique de la maladie. Cependant, ils ne pourront pas être
contraints à ne pas se marier, ni sur le plan légal ni sur le plan moral. Cependant, s’ils persistent
360
E. Sgreccia, V. Mele, La diagnosi genetica postnatale, in Sgreccia, Mele, Ingegneria genetica e biotecnologie...,
pp. 251-277; R. Chadwich, M. Levitt, D. Shickle, The right to know and the right not to know, Chippenham (Wiltshire), 1997.
361
Consulter, par exemple, le plan de prévention de l’anémie méditerranéenne – au moyen de l’identification des
porteurs – réalisé dans la Région du Latium, dont les données sont publiées par I. Bianco, B. Graziani et al., Update results of the
thalassemia prevention programme carned out in Latium, «J. Med. Genet.», 1989, 26, pp. 667 ss.
362
A.G. Spagnolo, M.L. Di Pietro, L. Palazzani, E. Sgreccia: Significato della diagnosi prenatale nella prevenzione
delle malattie congenite: aspetti etico-sociali, in Atti del LXVII Congresso della Società Italiana di Ostetricia e Ginecologia,
Brescia 1990, pp. 39-40.
363
Comitato Nazionale per la Bioetica, Diagnosi prenatali..., pp. 37-46.
dans leur décision de se marier, ils doivent être conscients du fait qu’ils ne pourront pas
demander l’avortement du fœtus atteint: l’avortement volontaire n’est jamais considéré comme
licite, et cela d’autant plus qu’il y a eu acceptation consciente du risque d’avoir un enfant atteint.
Le «dépistage» génétique sur les travailleurs
Ce type d’examen se présente toujours davantage dans le cadre de la médecine préventive. Il
comporte lui aussi des problèmes éthiques.
Nous pouvons déterminer trois types de «dépistage» sur le travailleur avec des finalités
différentes: a) déceler la prédisposition génétique qui détermine l’hypersensibilité à des
substances particulières présentes dans le milieu de travail; b) vérifier la prédisposition génétique
à une maladie non dépendante du travail qui pourrait se déclarer dans l’avenir (p. ex.
athérosclérose); c) découvrir une pathologie génétique indépendante du travail, à expression
phénotypique future (p. ex. la chorée de Huntington).
a) Le Dépistage pour détecter une prédisposition génétique qui détermine une hypersensibilité à des
substances particulières présentes dans le milieu de travail fait l’objet de l’étude de
l’écogénétique. Cette branche de la génétique étudie les réactions génétiquement déterminées de
l’organisme humain à des facteurs du milieu ambiant de nature physique, chimique, biologique et
sociale, et se base sur l’hypothèse que les caractères biochimiques individuels conditionnent la
réaction de l’organisme à une stimulation extérieure364. Des exemples d’affections
d’étiopathogenèse génétique, responsables d’une diminution des mécanismes de défense de
l’organisme par rapport aux substances nocives présentes dans certains milieux de travail, sont le
défaut en alpha-1-antitrypsine et le défaut en glucose-six-phosphate-déhydrogénase (G6PD). Le
défaut en G6PD semble prédisposer le travailleur
=======================================
p330
exposé au naphtalène365 à des crises hémolytiques. Le défaut en alpha- 1-antitrypsine se traduit par
une forme grave d’emphysème dans la forme homozygote; la forme hétérozygote représente un
facteur prédisposant qui, en pathologie, se traduit par une interaction avec des agents spécifiques
du milieu ambiant (irritants pulmonaires). Le problème éthique fondamental est, dans ces cas-là,
représenté par la possibilité, pour l’employeur, de mettre en œuvre un programme de recherche
génétique pour «prévenir» des dépenses plus importantes comme l’indemnisation d’éventuels
dommages causés au travailleur. Un tel projet, qui se base sur le rapport coûts/bénéfices et qui a
comme valeur de référence l’avantage économique de l’industrie n’est pas acceptable au niveau
éthique.
Le point de vue éthique, au contraire, est essentiellement différent et, par conséquent, positif si
l’intention et l’objet de l’évaluation se réfèrent au risque/bénéfice en rapport avec la santé du
travailleur et si la recherche génétique est essentiellement effectuée pour prévenir l’apparition
d’une pathologie366. Dans ce dernier cas, la finalité poursuivie est, en principe, acceptable du
364
V. Mele, G. Girlando, E. Sgreccia, La diagnosi genetica sui lavoratori: recenti acquisizioni scientifiche,
problematiche etiche ed etico-guiridiche, «Medicina e Morale», 1990, 2, pp. 301-329. Sur les divers aspects éthiques du dépistage
génétique, y compris sur les travailleurs, s’est exprimé aussi le Nuffield Council on Bioethics, avec un Report on Genetic
Screening: Ethical issues, London 1993 (Les Conclusions et les Recommandations sont publiées dans «Bull. Med. Eth.», December
1993, pp. 8-11).
365
G.S. Omenn, Predicture identification of hypersusceptible individuals, «J. Occup. Med.», 1982, 24, 5, pp. 369-374.
366
International Commission on Occupational Health (ICOH), International code of ethics for occupational health
professionals, «Bull. Med. Eth.», 1992, 82, p. 9.
point de vue éthique, toujours dans le cas où l’association entre status génétique et pathologie
professionnelle a été prouvée, prenant aussi en considération la réapparition de la maladie (dans
le cas de pathologie extrêmement rare, la prédictibilité de la recherche est très faible), la gravité
de la maladie et les modalités d’expression clinique (pour des maladies non graves et contrôlables
en phase clinique précoce, il n’existe pas d’instance éthique pour le diagnostic parce qu’elles ne
comportent pas de préjudices importants pour la santé du travailleur)367.
Toujours dans le cadre de cette deuxième hypothèse, une fois que la licéité du diagnostic est,
grâce à ces conditions, établie sur le plan médico-scientifique, pour qu’un tel examen n’implique
pas de discrimination sur le travail et conserve sa pleine licéité, d’autres «conditions» sont
requises. Ces conditions, soulignées dans les documents européens internationaux et nationaux,
sont dans l’ensemble destinées à sauvegarder le respect de la santé, de l’autonomie et de
l’autodétermination du travailleur ainsi que les critères d’équité pour l’embauche. Les documents
internationaux prennent en considération certains critères de morale:
Tout d’abord, on fait référence au consentement informé du travailleur. Beaucoup attribuent
une importance décisive à ce consentement, et ce, dans divers documents. La Résolution A2327/88 du Parlement Européen insiste sur le droit, pour les travailleurs intéressés,
=========================================
p331
à être informés d’une manière exhaustive et consultés avant de procéder à ces examens, et à
refuser à tout moment de se soumettre à des analyses génétiques, sans en indiquer les raisons et
sans que cela puisse entraîner des conséquences positives ou négatives368. Le Rapport du
Parlement Allemand recommande aux associations professionnelles d’établir des règlements
contraignants sur le plan juridique pour l’utilisation des tests et les conséquences qui peuvent en
découler. Les conditions suivantes seraient ainsi garanties: avant que ne commence l’examen, le
travailleur intéressé devrait être informé en ce qui concerne l’analyse génétique prévue et la
signification qu’elle pourrait avoir pour lui; le contenu de l’entretien et le consentement du travailleur à se soumettre à l’analyse génétique doivent être mentionnés par écrit et signés par le
travailleur intéressé et par le médecin qui l’en a informé; le consentement donné à une analyse
génétique doit être considéré comme non valable dans le cas où le travailleur intéressé n’a pas été
précédemment informé sur les circonstances qui sont importantes pour l’aider à prendre cette
décision369.
D’autre part, il semble difficile que le travailleur, après avoir été précisément informé sur
l’importance du risque et sur la gravité de la pathologie, puisse refuser de se soumettre au test,
surtout si des alternatives possibles de travail lui sont offertes. À ce propos, nous sommes en effet
d’accord avec l’Office for Technology Assessment (OTA) du Congrès américain qui considère le
consentement informé du travailleur comme l’unique solution possible pour concilier le principe
de bénéfice pour la santé qui suggérerait l’exclusion des travailleurs génétiquement sensibles aux
milieux nocifs, avec celui d’autonomie370. Toutefois, en ce qui concerne le consentement, il doit,
selon nous, comprendre l’obligation d’accepter les conséquences d’un éventuel résultat positif de
la recherche diagnostique c’est-à-dire la non- embauche au poste de travail, après avoir reçu
l’information adéquate et avoir accepté de se soumettre à l’examen.
367
368
369
370
Omenn, Predicture identification of hypersusceptible individuals...
Parlement Européen, Résolution A2-327/88...
Deutscher Bundestag, Report...
OTA, Genetic monitoring and screening in the workplace, OTA-BA-455 Washington (DC), 1990 October, p. 103.
À propos de la nature non obligatoire du test génétique pour les travailleurs, la
Recommandation N° R(92) 3 du Conseil de l’Europe371 affirme le principe selon lequel
l’embauche ou la possibilité de continuer le travail ne doivent pas être subordonnés à la
réalisation d’un test ou d’un dépistage génétique. La Recommandation affirme, ensuite, que toute
exception à ce principe doit être justifiée par des raisons de protection directe de la personne en
question, ou de tiers, et être directement liée aux conditions spécifiques des activités de travail.
Enfin, elle recommande que les tests ne puissent être rendus obligatoires pour
======================================
p332
protéger les individus ou la collectivité que s’ils sont expressément autorisés par la loi.
Elle prend ensuite en considération le droit de savoir de la part de l’employeur en demandant
qu’il soit limité par des dispositions légales appropriées. L’American College of Occupational
Medicine Code of Ethical Conduct372, p. ex., affirme que l’information révélée à l’employeur ne
devrait porter que sur les éléments strictement essentiels.
Enfin, en ce qui concerne l’exclusion des travailleurs qui s’avéreraient génétiquement moins
résistants, la Résolution du Parlement Européen remarque que, tout comme la sélection, elle ne
peut représenter en aucune manière une alternative à l’assainissement du milieu de travail373. Le
document du Parlement Allemand demande, au contraire, de garantir que l’exclusion possible des
travailleurs avec une prédisposition individuelle à contracter une pathologie liée au lieu de travail
ne soit permise que dans le cas où il est impossible d’améliorer les conditions de travail d’une
manière suffisante pour le travailleur intéressé374.
b) et c) Dépistage pour vérifier une prédisposition ou pour la prédétermination génétique
d’une maladie non professionnelle qui pourrait se déclarer ou qui apparaîtra dans l’avenir. Ce
dépistage ne semble pas être acceptable en principe d’un point de vue éthico-juridique. Cette
opinion, liée au caractère non imminent de l’apparition de la pathologie et à son indépendance
vis-à-vis du travail, est exprimée en toutes lettres tant dans la Résolution du Parlement Européen
que dans le Document du Parlement Allemand.
En particulier, la Résolution demande que les examens génétiques sur les travailleurs ne soient
effectués que par rapport à l’état de santé du moment. Le Rapport du Parlement de l’Allemagne
Fédérale recommande d’exclure du dépistage à l’embauche les analyses génétiques et les autres
examens pour diagnostiquer les situations pathologiques et les maladies futures du travailleur.
Ceci sera également valable dans le cas où la pathologie future peut influencer l’aptitude
nécessaire d’un employé pour un travail déterminé. Seul l’état actuel de santé de l’employé peut
être un argument pour des tests licites375.
En outre, du point de vue juridique, la tentative de tenir compte aussi au moment de
l’embauche des maladies futures probables enfreindrait le principe qui prévoit l’équilibre de
l’intérêt des parties dans le cadre du contrat de travail. Selon ce principe, l’employeur doit
==========================================
371
Conseil de l’Europe, Recommendation N° R(92) 3..., Principle 6.
372
Code of ethical conduct for physicians providing occupational medical services, adopté en 1976 (Cf. American
College of Occupational Medicine Code of Ethical Conduct, Code of ethical conduct for physicians providing occupational medical
services «J. Occup. Med.», 1976, 18, 8, p. 1) et confirmé par le Board of Directors of the American College of Occupational
Medicine en 1988.
373
Parlement Européen, Résolution A2-327/88...
374
Deutscher Bundestag, Report...
375
Ibidem.
p333
aussi assumer le risque d’une éventuelle maladie future du travailleur, tandis qu’avec la
sélection génétique ce risque retomberait, en pratique, seulement sur le travailleur376.
L’exception éthique à cette interdiction est, selon nous, présentée par le risque possible pour la
vie d’une tierce personne causé par l’expression clinique de la maladie génétique future à
prédétermination génétique dans des situations spécifiques de travail (cas c). Dans ce cas, en
effet, la recherche génétique préalable à l’embauche devrait être effectuée obligatoirement sous
peine de non-embauche. Nous pouvons prendre pour exemple, à ce propos, la chorée de
Huntington, pathologie génétique non exprimée pendant de nombreuses années au niveau
phénotypique et qui, lors de sa manifestation clinique, se caractérise par des moments de confusion mentale et de perte de mémoire. Il est évident que la chorée, au moment de sa
manifestation clinique chez un sujet qui exerce une certaine profession particulière, par exemple
contrôleur de vol, met sérieusement en danger la vie de nombreuses personnes. Dans ce cas, le
principe de l’autonomie individuelle (recherche génétique non obligatoire) est subordonné au
principe de la défense de la vie physique et du bien commun377.
Le «Projet Génome humain» et les problèmes
éthiques correspondants
Depuis les années 50 la connaissance du patrimoine génétique de l’homme est en continuel
développement378 surtout en ce qui concerne l’identification de gènes pathogènes. Au cours de
ces dernières années, un ambitieux projet a été conçu et mis en place, dans le cadre d’une coopération internationale, pour le séquençage de tout le génome humain avec, pour objectif,
l’individualisation des gènes, tant normaux que pathologiques. Le projet est défini comme
Human Genome Project et est coordonné par l’organisation internationale Human Genome
Organization (HUGO).
L’Italie fait aussi partie de ce projet. Une commission spéciale d’experts des sept pays les plus
industrialisés a examiné en 1988, au cours d’une semaine d’études à Rome, les aspects éthiques
et sociaux de ce projet379. L’auteur de ce livre a fait partie du groupe d’étude au nom du
gouvernement italien.
=====================================
p334
Les avantages escomptés par ce projet une fois qu’il aura été mis en œuvre avec la
collaboration d’environ trois mille scientifiques sont mis en relation avec: la possibilité de déceler
les gènes responsables des maladies héréditaires et de pouvoir procéder, par la suite, à la génothérapie; la réalisation d’un fichier international de toutes les bases azotées qui composent et
376
Ibidem.
377
Sgreccia, Mele, La diagnosi genetica...
378
V.L. Pascali, E. D’Aloja, Il progetto genoma e le conoscenze sui geni normali e patologici dell’uomo. Problemi etici
e deontologici, «Medicina e Morale», 1992, 2, pp. 219-232; J. Maddox, The case for the human genoma, «Nature», 1991, 352,
pp. 11-14; C. Anderson, P. Aldhous, Still room for Hugo, «Nature», 1992, 355, pp. 4-5.
379
Summanzing report and adopted recommendations, Actes de la International Conference on Bioethics sur: The
Human genome sequencing: ethical issues, Brescia 1989, pp. 286-292.
représentent le génome humain; la caractérisation de certains sujets par l’étude des
polymorphismes d’ADN, en général pour usage criminologique ou recherche de paternité ou bien
pour connaître les prédispositions à la maladie dans un milieu de travail particulier.
Mais à côté de ces avantages espérés, apparaissent certains risques et certains problèmes de
nature éthique liés justement aux possibilités de nouvelles connaissances de type génétique.
a) Le premier problème mis en évidence porte sur la possibilité d’une plus vaste application du
diagnostic prénatal à des fins eugéniques. Du fait même qu’il est possible de connaître plus
largement en phase prénatale les gènes malades et les sujets porteurs, la pression eugénique peut
y trouver une plus vaste application; ainsi, le diagnostic prénatal, au lieu de viser à la meilleure
thérapie du fœtus ou à son meilleur accueil ou, de toute façon, à constituer un moment de
responsabilité pour la femme et pour le couple, peut se trouver détourné dans ses objectifs.
De plus, dans le cas où l’examen génétique prénatal met en évidence l’existence chez le fœtus
d’une maladie génétique à apparition tardive, comme p. ex. la maladie de Huntington, les
problèmes éthiques augmentent car, outre l’éventualité de l’avortement – qui, dans ce cas, n’est
probablement même pas reconnu aux termes de la loi 194/78 parce qu’il ne s’agirait pas de
«malformation» et d’«anomalie» actuellement présente chez le fœtus, et qui, de toute manière, est
toujours illicite du point de vue moral – se pose le problème complexe de l’information.
Cette information ne peut être communiquée au sujet encore sain que s’il le demande et s’il est
majeur; pour le sujet mineur, elle peut au contraire être communiquée aux parents ou à ses
représentants légaux, ou à ses frères, en examinant cas par cas la situation380.
b) Un autre problème soulevé concerne la constitution de banques de données sur les sujets
soumis à examen. Ces banques de données ne devraient être accessibles qu’à des fins
scientifiques ou par disposition du tribunal. Les particuliers, les industries et les compagnies
d’assurance381 ne doivent pas avoir accès à ces données.
c) Le troisième type de risque est que le suivi génétique rende possible une discrimination sur
le lieu de travail à l’encontre de tous les
=======================================
p335
sujets qui seraient génétiquement sensibles à certains agents chimiques dans le milieu de
travail. Ce problème vient d’être traité.
Le CNB a consacré un document à ce thème382 en faisant les recommandations suivantes:
– pour développer une réflexion éthique adéquate sur la responsabilité au niveau des
opérateurs, il est recommandé que les coordinateurs de ces recherches en Italie promeuvent,
comme cela se fait au niveau international, des études parallèles sur leur impact non seulement
éthique et social mais également juridique.
– un autre important antidote contre les distorsions de la réalité scientifique, qui peuvent
susciter des craintes non fondées, mais aussi contre les possibles utilisations impropres de la
connaissance accumulée au cours du Projet Génome Humain, est l’information, le débat public. Il
est donc recommandé que les autorités compétentes promeuvent l’information, le débat public, la
380
V. Mele, Diritti e doveri della medicina predittiva, «Medicina e Morale», 1991, 3, pp. 71-90; Sgreccia, Mele,
Ingegneria genetica e tecnologie...
381
C. Mc Courty, Profiles bank of way, «Nature», 1989, 335, pp. 339-390; Pascali, D’Aloja, Il progetto genoma...,
p. 220; C. Anderson, P. Aldhous, Secrecy at the bottom line, «Nature», 1991, 335, pp. 354-396.
382
Comitato Nazionale per la Bioetica, Progetto Genoma Umano (18.03.1994), Presidenza del Consiglio dei Ministri –
Dipartimento per l’informazione e l’Editoria, Roma, 1994.
participation, l’éducation publique et professionnelle sur les concepts de base de la génétique, la
sensibilisation sur la réalité du Projet Génome Humain et les problématiques éthiques, sociales et
juridiques qui s’y rapportent...»383.
Toujours sur le thème du Projet Génome Humain, l’UNESCO a élaboré une «Déclaration» sur
le génome humain et sur les droits de l’homme384.
L’examen génétique sur le plan juridique
Il s’agit d’une récente application de l’analyse génétique utilisée à partir de 1985, qui s’est
développée dans une double direction:
– la reconnaissance ou le désaveu de paternité, précédemment effectués au moyen des groupes
sanguins;
– l’utilisation en criminologie pour identifier le coupable à partir des traces d’ADN du
suspect.
Il se base sur le principe que l’ADN permet non seulement l’identification des tissus (sang,
sperme) et de l’espèce vivante à laquelle ils appartiennent (homme, animal), mais sous certaines
conditions déterminées et avec des méthodes précises et plus récentes, également l’information
individuelle (fingerprint)385 (empreintes génétiques).
=======================================
p336
Grâce à l’évolution des techniques, il est maintenant possible de fournir avec suffisamment de
certitude l’information individuelle à partir de matériel même de très modeste quantité.
Ces techniques permettaient, au cours de leur première phase d’évolution, «l’identification
l’italien forte générique» du type de tissu et de l’espèce vivante, et avec un matériel plus
abondant et recueilli à peu de temps d’intervalle, elles en permettaient aussi l’individualisation,
grâce à des sondes «multi-locus» et à la technique du «Southern blot analisis». En fait, grâce à
cette méthode, associée aussi à d’autres preuves traditionnelles, des procès célèbres386 ont pu
être résolus.
La seconde phase a été caractérisée par l’introduction de sondes moléculaires mono-locus
(SLPs): cette méthode a montré ses limites spécialement par rapport à la quantité et à la fraîcheur
du matériel requis pour l’analyse. Toutefois, elle a été utilisée jusqu’aux année 90 et a permis de
résoudre d’importantes affaires judiciaires. Suite à des critiques présentées également dans la
revue «Nature», l’OTA a élaboré un rapport387 en juillet 1980 sur la fiabilité, les contrôles et les
standards.
La troisième phase de développement des méthodes a été marquée par la découverte de la
PCR388, déjà décrite, et qui est de plus en plus utilisée, permettant d’analyser des
383
Ibidem, p. 8.
384
UNESCO, Universal declaration on the human genome and human rights/Déclaration universelle sur le génome
humain et les droits de l’homme, Paris, le 11 novembre 1997.
385
Ces informations proviennent d’une étude présentée par le prof. A. Fiori, Directeur de l’Istituto di Medicina legale e
delle Assicurazioni della Facoltà di Medicina e Chirurgia «A. Gemelli» de l’Università Cattolica del Sacro Cuore Roma, au
Comitato Nazionale per la Bioetica.
386
Consulter, p. ex., pour le cas Pitchfork: P. Gill, D.J. Warret, Exclusion of a man charged with murder by DNA
fingerprinting, «Forensic Science International» 1987, 35, pp. 145-148.
387
OTA, Genetic Witness, forensic use of DNA tests, N. 052 003 01203-1, Washington (DC).
388
Cf. Erlich, Arnheim, Genetic analysis...; G. Umani, Ronchi, C. Vecchiotti, Il laboratorio medico-legale, Roma 1994.
polymorphismes avec une capacité d’identification très élevée. Il est ainsi possible, aujourd’hui,
outre l’identification du sexe, d’individualiser un sujet donné à partir d’indices minuscules tels
qu’un cheveu ou des traces de sang ou de sperme. Cependant, ces techniques requièrent aussi une
grande expérience et des contrôles rigoureux non seulement pour exclure toute contamination
possible du matériel examiné, mais aussi pour l’application exacte des procédures.
Les instances éthiques en ce domaine peuvent se résumer ainsi:
a) Les examens de paternité doivent être réalisés dans des Instituts publics accrédités pour leur
expérience et pour leur compétence et ne pourront être effectués qu’à la demande du
tribunal ou d’une institution de consultation à des fins légitimes prévues par la loi ou pour
favoriser l’union familiale. En Europe, divers pays excluent les laboratoires privés et la
demande présentée par le particulier389. La raison éthique est facile à comprendre: il s’agit
==========================================
p337
de respecter les droits des enfants, la vie privée et l’unité de la famille qui, dans certains cas,
peut être menacée par les résultats de ces examens.
b) L’utilisation en criminologie devra être pratiquée par un personnel expert qui dispose d’un
équipement adéquat. Elle est considérée comme licite en tant que moyen pour vérifier la
vérité d’une culpabilité et pour exclure la condamnation d’innocents. L’examen ne devra, en
outre, porter que sur les aspects génétiques relatifs à la demande judiciaire et non sur
d’autres données biologiques.
c) Les registres criminologiques et les banques de données correspondantes devront être
protégés par le secret. La motivation se base sur le droit à la vie privée qui, dans le domaine
génétique, acquiert une instance particulière du fait que l’ADN fournit aussi des données sur
la descendance.
L’examen génétique à des fins d’assurance
Dans le cadre éthico-juridique, le principe de toute première importance est la protection de
l’autodétermination individuelle. En d’autres termes, les avantages économiques que les
compagnies d’assurance pourraient retirer d’une connaissance préalable de pathologies futures,
ou du risque de leur apparition chez les assurés, ne doivent pas prévaloir sur le droit des assurés
eux-mêmes de ne pas connaître à l’avance lesdites pathologies. Ce genre de demande va aussi à
l’encontre de la signification «essentielle» du système d’assurances: la manifestation d’une
prédisposition dans un avenir indéterminé est un risque qui doit être couvert par l’assurance
contre les maladies, dont la tâche est justement d’assumer les risques et non de les exclure390. Le
Nuffield Council of Bioethics391 s’est lui aussi penché sur la question de l’examen génétique à
des fins d’assurance. Il recommande que les compagnies d’assurance s’autoréglementent en ce
sens qu’elles ne subordonnent pas l’établissement d’une police d’assurance à la condition
préalable du test génétique et qu’il soit procédé, en outre, à une clarification au niveau des
389
La Recommandation du Bundestag de l’Allemagne Fédérale Report... indique: «Les analyses génétiques peuvent être
autorisées seulement sur ordre du juge; l’ordre doit spécifier non seulement l’objectif mais aussi la méthode de l’analyse génétique à
suivre» (art. 11/1). En outre, elle prescrit qu’elles ne peuvent être faites que sur des personnes soupçonnées sur la base d’indices et
non pas simplement suspectes.
390
Deutscher Bundestag, Report...
391
Nuffield Council of Bioethics, Report on Genetic Screening...
gouvernements à propos de la légitimité de l’utilisation des informations génétiques dans ce
but392.
==========================================
p338
La thérapie génique
Le Comité National Italien de Bioéthique (CNB) définit la thérapie génique en ces termes:
«l’introduction dans des organismes ou des cellules humaines d’un gène, c’est-à-dire d’un
fragment d’ADN, qui a pour effet de prévenir et/ou de soigner une condition pathologique»393.
Nous avons déjà vu que les plus grandes espérances dans le domaine des applications du génie
génétique se basent sur la thérapie génique. Les premières autorisations ont été données aux
États-Unis d’Amérique par la Food and Drug Administration (FDA) le 14.9.1990 pour effectuer
un transfert de cellules produisant l’enzyme adénosine déaminase (ADA) chez une fillette au
système immunitaire compromis: les lymphocytes ayant été infectés in vitro avec un rétrovirus
défectueux pour la reproduction et contenant le gène normal pour l’ADA. La thérapie a été
effectuée, mais il faut encore attendre une année pour en connaître les résultats. Une autre
approbation a été donnée, toujours aux États-Unis, à l’introduction du gène pour le Tumor
Necrosis Factor (TNF) dans une catégorie particulière de lymphocytes dans le traitement du
mélanome. En Italie, une intervention de thérapie somatique par l’Istituto Scientifico – Ospedale
«S. Raffaele» de Milan, a été effectuée en 1992.
En thérapie génique, on fait une distinction fondamentale entre, d’une part, la thérapie génique
sur des cellules somatiques, p. ex. sur lymphocytes, moelle osseuse, dont l’effet attendu est de
restituer la normalité aux cellules défectueuses de l’individu malade, et, d’autre part, la thérapie
génique sur des cellules de la lignée germinale (sur les gamètes ou l’embryon précoce) de
manière que la modification attendue porte sur le génome du sujet qui sera conçu, ou qui est déjà
conçu, et également sur celui de ses descendants.
Le principe éthique fondamental pour évaluer ces interventions est celui de l’intangibilité du
patrimoine génétique d’un sujet, fondé à son tour sur le respect de l’intégrité physique de la
personne; ce principe est compatible – ou plutôt, à notre avis, exigible – avec le droit du sujet
malade au maintien ou à la récupération de l’intégrité et de l’efficience de son capital génique
selon le principe thérapeutique. Partant de ce double principe, on peut considérer que sont
généralement admissibles tant la thérapie génique de type somatique que celle de type germinal
quand le but et l’objectif sont d’ordre thérapeutique. La thérapie génique germinale doit être
exclue pour deux raisons diverses: a) car les méthodes actuelles ne permettent pas de parvenir à
un résultat thérapeutique alors que se présentent des risques incontrôlables, et ceci est une raison
liée aux connaissances scientifiques actuelles, b) quand on transgresse le but thérapeutique et que
392
Pour un examen général des problèmes liés au diagnostic génétique également à des fins d’assurances, consulter:
Committee on Assessing Genetic Risks-Institute of Medicine, Assessing genetic risks. Implications for health and social policy,
National Academy Press, Washington, D.C. 1994; A.G. Spagnolo, Diagnosi genetica predittiva e presintomatica: servizio o
condanna? in Pontificia Accademia per la Vita, Genoma umano – personalità umana – Società del futuro, Atti della Conferenza annuale, Città del Vaticano 1998, en impression.
393
Comitato Nazionale per la Bioetica, Terapia genica...
l’on recherche une modification de la constitution génétique: dans ce cas, l’aspect illicite est
absolu et
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p339
n’est pas conditionné par l’état des connaissances, parce que l’on veut introduire une
modification du génome sain, normal, et que cela est contraire au principe du respect de la vie, de
l’identité biologique et d’égalité entre les hommes.
Tout ceci ne nous autorise pas à considérer la thérapie génique, même somatique, comme étant
exempte de difficultés et de conditions.
Les conditions éthiques pour la thérapie génique de caractère somatique sont, en définitive,
liées au fait qu’il s’agit de thérapies expérimentales et au fait qu’il peut exister des risques
associés, tels que l’induction de mutations nocives, des désordres prolifératifs ou des phénomènes
de rejet et la possibilité de diffusion de l’éventuel vecteur viral.
Le CNB pose une double série de conditions:
a) les conditions relatives au choix de la pathologie à traiter:
– maladies dues au défaut d’un unique gène structural récessif et, donc, susceptibles de
thérapie complète avec un seul gène sain;
– maladie grave à faible espérance de vie;
– maladie pour laquelle il n’existe pas aujourd’hui de thérapie alternative.
Ces maladies sont, par exemple, le défaut en ADA, le syndrome de Lesch-Nyhan, la fibrose
kystique et autres.
b) l’autre série de conditions est liée au contrôle des techniques, à savoir:
– l’obligation de notifier à l’autorité compétente les protocoles utilisés, en mentionnant les
techniques employées et les structures disponibles, au plan national ou régional;
– l’évaluation des structures;
– la documentation sur la gravité de la maladie et l’absence d’alternative; l’insignifiance des
effets collatéraux;
– l’attente d’un résultat positif plausible.
Ces critères trouvent désormais l’accord des réglementations européennes394 et du CNB ainsi
que l’avis de comités influents tels que le Groupe d’étude des Sept pays les plus
industrialisés395.
Il est évident que pour ces thérapies il est nécessaire d’avoir aussi le consentement du patient,
en raison des risques et du stade expérimental de la thérapie; s’agissant de thérapie, ce
consentement peut être donné par la personne qui le représente dans le cas d’un mineur ou d’une
impossibilité de donner ce consentement.
De par le caractère particulier de ces thérapies il est souhaitable, comme c’est le cas dans de
nombreux États, qu’une autorité centrale vérifie et contrôle les protocoles et les structures.
==========================================
p340
394
Parlement Européen, Résolution A2-327/91...
395
International Conference on Bioethics (Rome, 10-15 April 1988), The Human genome sequencing: ethical issues,
Class International, Brescia 1989 (Les conclusions du Groupe d’étude des sept pays les plus industrialisés ont été publiées dans
«Medicina e Morale», 1988, 2, pp. 308-315).
Le Comité conjoint des évêques catholiques de Grande-Bretagne s’est, lui aussi, prononcé sur
les aspects éthiques de l’intervention génétique sur les êtres humains dans un rapport qui est
l’aboutissement d’un travail de plusieurs années396.
Génie génétique altérant et amplificatif chez l’homme
Nous avons déjà traité de l’utilisation du génie génétique dans le domaine de la vie végétale et
animale en vue non seulement d’une amélioration mais aussi d’une modification du patrimoine
génétique du vivant dans le but d’augmenter ou d’améliorer la qualité des produits ou même de
constituer de nouveaux produits pharmacologiques.
Nous avons pu conclure qu’il existe des risques (épidémies mortelles, dommages à
l’écosystème), mais que ces risques sont maîtrisables et doivent être contrôlés.
Ce sont, en effet, ces risques présents et futurs qui, dans le domaine végétal-animal et pour
l’environnement, constituent le point discriminant entre ce qui est licite et non licite. Le simple
raisonnement, selon lequel les transformations se sont aussi produites dans la nature suivant des
mécanismes liés à l’environnement lui-même, n’est pas suffisant pour constituer une norme, car
le fonctionnement biologique par lui- même (loi naturelle au sens biologique) ne constitue pas
une norme morale pour l’homme qui n’est pas seulement un être biologique; et, du reste, tout ce
qui se produit dans la nature par des mécanismes naturels (p. ex. la contagion d’une maladie)
n’est pas nécessairement bon397.
Le problème éthico-économique lié à la productivité dans le domaine biotechnologique n’est
pas non plus différent du problème de justice, spécialement au niveau international, qui se pose
pour tout le progrès technologique et pour les relations économiques entre pays développés et
pays en développement. Il y a même ceux qui soutiennent que, non seulement les éventuelles
inégalités de moyens et de ressources économiques sont contrôlables mais que les
biotechnologies pourraient même offrir de nouvelles possibilités aux pays en développement.
Ainsi, la réflexion éthico-culturelle sur le génie génétique, commencée avec de fortes craintes de
catastrophes latentes, prend désormais un caractère plus détendu, avec une considération plus
équilibrée et plus sereine de la question.
Le problème se pose en des termes différents, quand il s’agit d’ingénierie altérante ou
amplificative-améliorante sur l’homme. Ce
=========================================
p341
que nous avons écrit sur la thérapie génique qui, à notre avis, n’entre pas dans le concept
d’altération, reste valable.
En effet, le génie génétique de type thérapeutique vise à restituer l’intégrité normale du sujet
considéré dans l’espèce, l’homme. Il existe, par conséquent, une distinction bien précise entre
thérapie génique et intervention d’ingénierie altérante. C’est ce qui ressort aussi du discours de
396
The Catholic Bishops’ Joint Committee on Bioethical Issues, Genetic intervention on human subjects, The Linacre
Centre, London 1996. Sur le thème, consulter aussi Walters L., Palmer J.G., The ethics of human gene therapy, Oxford University
Press, New York 1997.
397
Cuyás, Problematica etica...
Jean-Paul II adressé aux membres de l’Association Médicale Mondiale du 29 octobre 1983398:
«Une intervention strictement thérapeutique qui ait comme objectif le traitement de maladies
diverses, comme celles qui proviennent de déficiences chromosomiques, sera considérée en
principe très souhaitable à condition qu’elle tende à la promotion du réel bien-être personnel de
l’homme sans porter atteinte à son intégrité et sans détériorer ses conditions de vie. Une telle
intervention se situe dans la logique de la tradition morale chrétienne».
Je considère aussi que l’interdiction de la Recommandation 934/ 1982 de l’Assemblée du
Conseil de l’Europe, qui demande aux États membres de sauvegarder le droit des citoyens à
recevoir «le patrimoine génétique non manipulé artificiellement»399 ne concerne pas ce type
d’intervention mais l’intervention altérante.
C’est pourquoi nous pouvons considérer que toute intervention, mis à part celle qui est
destinée à restituer l’intégrité génétique, ne peut être qu’altérante ou améliorante-amplificative.
D’un point de vue conceptuel, l’altération signifie la production d’un caractère nouveau,
l’amélioration ou l’amplification comporterait, au contraire, le renforcement d’un caractère déjà
existant. On peut citer comme exemples l’amélioration du gène responsable de l’augmentation de
la taille ou de l’allongement de la vie.
Dans le but de trouver une ligne de démarcation entre le génie génétique altérant et
l’ingénierie amplificative-améliorante au sens de «recombinaison génétique comme thérapie de
renforcement ou eugénique»400, Cuyás formule quatre hypothèses de génie génétique. Les
différentes gradations dépendraient de la diversité des finalités:
a) combler une déficience qui met le sujet en conditions d’infériorité par rapport à la moyenne
statistique;
b) améliorer le sujet dans une ou plusieurs qualités au-dessus de cette moyenne statistique;
c) fournir à la descendance une supériorité par rapport à la norme dans l’exploitation de
certaines qualités (hauteur, force, intelligence, etc.);
========================================
p342
d) doter l’homme de qualités qui en elles-mêmes ou au niveau de leur intensité sont étrangères
à l’espèce humaine.
L’auteur fait justement coïncider le premier cas avec une forme de thérapie, alors qu’on ne
peut pas, selon nous, appeler automatiquement «thérapies de renforcement» tous les autres types
d’intervention; il s’agit plutôt d’interventions d’eugénisme. Le deuxième cas présente, pour
l’auteur, quelques difficultés éthiques du fait que le consentement ne peut être demandé au sujet
alors que la superdotation induite pourrait conditionner l’avenir du sujet lui-même. C’est
pourquoi l’auteur ne considère, dans ce cas, que l’hypothèse d’une expérimentation qui serait
possible sur l’adulte consentant. En fait, il est difficile d’imaginer une intervention de génie
génétique qui influe sur le sujet et non pas sur les descendants en augmentant certaines qualités
au-dessus de la moyenne. Il devrait s’agir de génie génétique de type somatique, car l’ingénierie
de la lignée germinale se répercuterait sur les descendants. L’administration d’hormones mâles à
398
Jean-Paul II, Discorso all’Associazione Medica..., p. 921.
399
On peut consulter le texte de la traduction italienne reporté dans: Senato della Repubblica Italiana (ed. Servizio
Studi), Documentazione sugli Atti del Consiglio d’Europa e della Comunità Economica Europea in materia di: Riproduzione umana
assistita in vivo ed in vitro, ricerca embrionale, ingegneria genetica e biotechnologie, ottobre 1990.
400
Cuyás, Problematica etica..., pp. 487-488.
une athlète adolescente comme «dopage» pour masculiniser la musculature ne peut constituer un
bon exemple car il ne s’agit pas ici de génie génétique mais d’administration de type
pharmacologique, qui est du reste illicite non seulement parce qu’elle fausse le résultat de la compétition sportive, mais aussi parce qu’elle altère le développement psycho-sexuel de la femme
athlète.
Néanmoins, dans le cas où il existerait une telle possibilité, non pas thérapeutique mais de type
amplificatif de certaines qualités physiques au-delà de la moyenne normale, outre la nécessité du
consentement du sujet soumis à cette augmentation et à celle de l’absence de risques, il faudrait
toujours, selon moi, se demander si cette élection-sélection des qualités physiques ou mentales
n’offense pas le principe d’égalité et n’empiète pas sur la domination arbitraire de son propre
corps. L’auteur lui-même met en doute la classification même des qualités/ défauts qui obéit
souvent à des modes culturelles ou à des exaltations tendancieuses.
Le raisonnement selon lequel les hommes ont toujours poursuivi, par le choix du partenaire
dans le mariage, cette amélioration-choix des qualités physiques n’est pas vraiment pertinent, car
il s’agit dans ces cas-là de poser des conditions pour une amélioration et non pas de déterminer
déjà directement un degré de qualité physique au moyen d’une intervention sur la structure
biologique. Ce type d’intervention hypothétique nous paraît bien plus préoccupant que ce qui se
fait dans le cadre de la médecine cosmétique. Étant admis que l’homme puisse jouir d’un certain
pouvoir sur sa propre vie et que le concept de santé ne se limite pas simplement à l’absence de
maladie mais vise au «bien-être complet» physique, psychologique et social, on doit se poser le
problème des limites dans lesquelles doit être contenu cet objectif.
========================================
p343
Les paroles de Pie XII401 qui louent l’effort de la science en «promouvant ce qui est bon et en
éliminant ce qui est nocif» n’exemptent pas du devoir de respecter chez l’homme ces «barrières
morales que nul pouvoir humain n’a le droit d’abattre».
Quant à l’amélioration de la descendance que Cuyás considère encore comme licite sous des
conditions déterminées dans le sens et dans la direction du renforcement des qualités physiques et
intellectuelles, au-delà d’une finalité thérapeutique et au-dessus de la norme, nous en doutons
encore plus.
Il est vrai que l’auteur requiert, comme condition, la possibilité d’étendre ce bénéfice présumé
à la plus grande partie des hommes et qu’il se préoccupe de l’intervention possible d’un pouvoir
politique qui aurait des stratégies racistes; il admet, cependant, que l’homme puisse «prendre en
mains les rênes de l’évolution humaine» avec toute la responsabilité que cela comporte.
Je crois que l’on doit s’interroger encore plus que dans le cas précédent sur la possibilité
d’instrumentaliser la personne humaine à partir de son génome; d’une manière encore plus
évidente, je ne comprends pas comment l’on puisse arriver à cette amélioration des qualités de la
descendance (et de surcroît, en dehors du cas de la thérapie) au niveau génétique sans intervenir
sur la ligne germinale et sans passer par la procréation in vitro.
Dans ce cas, toutes les positions éthico-déontologiques, y compris le Document du CNB,
l’interdisent actuellement non seulement au conditionnel – car une telle intervention est
401
pp. 596-607.
Pie XII, Discorso ai partecipanti al «1° Simposio internazionale di Genetica Medica», (7.9.1953), AAS, 1953, 44,
actuellement et techniquement privée de certitude et comporte d’énormes risques même en présence d’une intention thérapeutique – mais en absolu en raison de la limite du respect de
l’identité biologique de l’homme. Et en ce qui concerne la FIVETE, tous les problèmes éthiques
correspondants sont, de plus, à prendre en considération.
Mis à part les hypothèses de chimérismes et de clonage entre plusieurs génomes humains,
condamnées aussi par Cuyás, ce troisième type de manipulation génétique de la descendance
aboutit, selon moi, à une logique de domination sur l’enfant à naître et renforce la prétention à
«construire» l’enfant qui va contre le respect de l’altérité et du don de la vie de l’enfant à naître.
L’attribution à l’individu humain de qualités étrangères à l’espèce humaine au moyen du génie
génétique est une hypothèse altérante qui est exclue par Cuyás lui-même de façon générale toutes
les fois qu’elle comporte l’acquisition de qualités animales par hybridisme. Mais Cuyás n’en
exclut pas l’éventualité dans le cas où il s’agirait de qualités qui ne seraient pas en contradiction
avec l’être humain (la vue de l’aigle).
==========================================
p344
Quant à nous, mis à part ce qui a été dit plus haut sur les moyens et les méthodes pour
atteindre cet objectif, il reste, selon nous, des objections liées au principe d’égalité entre les
hommes. L’avertissement de Jean-Paul II, qui exhorte à diriger l’intervention de type génétique
«en évitant des manipulations qui tendent à modifier le patrimoine génétique et à créer des
groupes d’humains différents avec le risque de provoquer de nouvelles marginalisations dans la
société»402 vient à ce point de vue à propos.
La Résolution du Parlement Européen d’avril 1991403 et le Document du CNB traitant de
l’intervention sur la ligne germinale404, s’expriment dans le même sens.
Le clonage humain: aspects éthiques
Hans Jonas, l’un des pères de la bioéthique, rapportait en 1985 les applications possibles du
clonage de l’homme telles que les avait imaginées son ami Leon Kass, professeur à l’Université
de Chicago: «I) reproduire des individus de grand génie ou de grande beauté pour améliorer
l’espèce ou pour rendre plus agréable la vie, II) reproduire des individus sains pour éviter le
risque de maladies héréditaires, inhérent à la loterie de la recombinaison sexuelle; III) fournir de
grandes quantités de sujets génétiquement identiques pour effectuer des études scientifiques sur
l’importance relative de la nature innée et de l’environnement, sur les divers aspects des
performances humaines; IV) donner un enfant à un couple stérile; V) donner à une personne un
enfant ayant un génotype de son propre choix: celui d’une célébrité qu’on admire, d’un cher
défunt, du conjoint ou son propre génotype; VI) déterminer le sexe des enfants qui viendront: le
sexe d’un clone est identique à celui de la personne dont provient le noyau cellulaire transféré;
VII) produire des groupes de sujets identiques pour assumer des tâches spéciales en temps de
paix et en temps de guerre (sans exclure l’espionnage); VIII) produire des doubles embryonnaires
de chaque personne à conserver congelés dans l’éventualité d’une utilisation comme réserve
402
403
404
Jean-Paul II, Discorso àll’Associazione Medica...
Parlement Européen, Résolution A2-327/91...
Comitato Nazionale per la Bioetica, Terapia genica...
d’organes pour transplantation sur le jumeau génétiquement identique; IX) battre les Russes et les
Chinois, pour ne pas admettre de lacunes dans le domaine du clonage»405. Jonas ajoutait de
==========================================
p345
lui-même à cette liste la préparation d’athlètes pour les Jeux Olympiques et compétitions
internationales similaires et, enfin, la curiosité humaine de voir le résultat d’un tel procédé. Jonas
concluait: «cette liste est moins amusante qu’elle ne pourrait le sembler. Aucun désir n’est aussi
pervers que celui de s’autoreproduire». Une conclusion qui nous semble avoir été ultérieurement
confirmée, s’il en avait été besoin, par la nouvelle que de nombreuses personnes, spécialement
des femmes, auraient déjà demandé, après les expérimentations du groupe d’Édimbourg, à être
clonées406.
Les documents européens des dix dernières années avaient pris une position anticipée sur le
clonage. La Recommandation n. 1046 du Conseil de l’Europe de 1986 demandait «à interdire... la
création d’êtres humains identiques par clonage ou par d’autres méthodes, à des fins de sélection
de la race ou non; ... la création de jumeaux identiques»407 (14 A IV).
La Résolution du Parlement Européen de 1989 considérait «que la répression pénale est la
seule réaction possible devant la possibilité de produire des êtres humains par clonage, ou de
procéder à des expériences visant le clonage des êtres humains». Le Parlement, suite à la récente
expérimentation du groupe d’Édimbourg, a réitéré en toutes lettres l’illégitimité éthique et
juridique du clonage humain: «le clonage d’êtres humains... ne peut en aucune circonstance être
justifié ou toléré par une société parce qu’il constitue une grave violation des droits humains
fondamentaux, et qu’il est contraire au principe de l’égalité entre les êtres humains puisqu’il
permet une sélection eugénique et raciste de l’espèce humaine; il offense la dignité de l’être
humain et il comporte une expérimentation sur l’homme»408.
Le Parlement formule en seize points les propres principes et les propres demandes aux États
membres «dans la ferme conviction que le clonage d’êtres humains, qu’il soit réalisé à titre
expérimental dans le contexte du traitement de la fertilité, du diagnostic préimplantatoire, de
greffe de tissus, ou pour tout autre motif, ne peut en aucune circonstance être justifié ou toléré par
une société», considérant également «que des méthodes adéquates doivent être établies pour
contrôler et discipliner les développements dans le domaine de la génétique», que
==========================================
p346
405
H. Jonas, Technik, Medizin und Ethik, Frankfurt am Main 1985 (trad. it. Tecnica medicina ed etica, Torino 1997). La
citation se trouve dans l’édition italienne à la page 141, où est reporté l’article de L. Kass, New beginning in life, in M.P. Hamilton
(sous la direction de), The new genetics and the future of the man, Gran Rapids (Mich.), 1972, pp. 14-63.
406
Fiori A., Sgreccia E., La clonazione (Editoriale), «Medicina e Morale», 1997, 2, pp. 230-231.
407
Conseil de l’Europe, Raccomandazione n. 1046/86 relative all’utilizzazione di embrioni e feti umani a fini
diagnostici, terapeutici, scientifici, industriali e commerciali in Documentazione sur les actes du Conseil de l’Europe et de la
Communauté Européenne en matière de Riproduzione umana assistita in vivo ed in vitro, ricerca embrionale, ingegneria genetica e
biotechnologia, Servizio Studi del Senato della Repubblica – Ufficio ricerche nel settore sociale, 1990, pp. 11-20.
408
Parlement Européen, Résolution sur le clonage, 12 mars 1997.
de toute façon «toutes les informations nécessaires doivent être mises à la disposition de
l’opinion publique et que l’Union Européenne doit assumer un rôle déterminant pour que
l’opinion publique puisse prendre pleine conscience de ces problèmes»409.
Au niveau national, le Comité National Italien de Bioéthique (CNB) a plus d’une fois exprimé
son opinion: dans le Document Parere sulle tecniche di procreazione assistita (17 juin 1994)410,
dans celui sur Identità e statuto dell’embrione umano (du 22 juin 1996)411 et, plus récemment,
dans un document synthétique La clonazione come problema bioetico (21 mars 1997)412.
Dans ce dernier document, le CNB énumère les raisons éthiques selon lesquelles le clonage
d’individus humains doit être considéré comme illicite, alors qu’il considère comme licite toute
intervention sur le génome humain à finalité thérapeutique, ainsi que les techniques biologiques
qui ont pour objectif le clonage de tissus ou d’un organe ayant une finalité médicale explicite.
Quant au clonage de végétaux et d’animaux, le Comité le considère comme licite sur le plan
éthique s’il a pour finalité la promotion du bien humain, s’il n’implique pas de souffrances
injustifiées et disproportionnées pour les animaux et s’il ne porte pas atteinte à la biodiversité. Le
CNB prépare un document plus
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p347
approfondi, qu’il a mis à l’étude après l’annonce des expérimentations d’Édimbourg413.
L’Église Catholique condamnait, déjà en 1987, le clonage humain dans l’Instruction «Donum
Vitæ»: «Même les tentatives ou les hypothèses faites pour obtenir un être humain sans aucune
connexion avec la sexualité, par «fission gémellaire», clonage, parthénogenèse, sont à considérer
409
Parmi les seize points de la Résolution – tous vraiment de grande importance – méritent d’être cités: Le Parlement
Européen souligne que tout individu a droit à son identité génétique spécifique; il demande explicitement de bannir, au niveau
mondial, le clonage d’êtres humains et avec urgence aux États membres d’interdire le clonage d’êtres humains dans les diverses
phases de leur formation et de leur développement, sans aucune distinction quant à la méthode pratiquée, ainsi que de prévoir des
sanctions pénales pour en réprimer les violations; il considère qu’il est indispensable de définir des normes éthiques basées sur le
respect de la dignité humaine en matière de biologie, de biotechnologie et de médecine et que la protection directe de la dignité et
des droits de chacun est une propriété absolue vis-à-vis de n’importe quel intérêt social ou de tiers; il appelle les chercheurs et les
médecins engagés dans la recherche sur le génome humain à s’asbtenir de participer au clonage d’êtres humains jusqu’à l’entrée en
vigueur d’une interdiction juridiquement obligeante; il reconnaît que la recherche dans le domaine de la biotechnologie, en
particulier dans la fabrication de protéines, de médicaments et de vaccins destinés à l’homme peut être utile pour combattre
certaines maladies; il demande une législation communautaire sur le clonage des animaux et plus particulièrement sur les nouveaux
développements scientifiques, avec des contrôles rigides pour garantir la santé humaine, la continuité des espèces animales et des
races et pour sauvegarder la diversité biologique.
410
Comitato Nazionale per la Bioetica, Parere sulle tecniche di procreazione assistita (17 giugno 1994), Presidenza del
Consiglio dei Ministri – Dipartimento per l’informazione e l’Editoria, Roma 1994.
411
Comitato Nazionale per la Bioetica, Identità e Statuto dell’Embrione Umano (27.6.1996), publié dans «Medicina e
Morale», 1997, 2, pp. 328-359.
412
Comitato Nazionale per la Bioetica, La clonazione come..., pp. 360-362.
413
Dans le cadre des réunions du CNB, dont fait partie l’auteur de ce livre, il a été fait mention de certaines possibilités
(cf. L. De Carli, Clonazione per trapianto nucleare e clonazione per scissione. Documento del Gruppo di Lavoro del C.N.B., 1997),
plus futures qu’actuelles, des applications du clonage humain, que l’on voudrait faire entrer, à notre avis d’une manière tout à fait
impropre, dans les finalités «thérapeutiques»: une application serait envisagée dans le cas d’une femme qui souffrirait d’une
pathologie causée par l’ADN mithochondrial; dans ce cas, il serait possible de prévenir l’apparition de la maladie dans la
descendance en transplantant le noyau de l’embryon qui a été engendré dans la cellule œuf d’une femme donneuse. Une autre
application, dont nous contestons l’acceptabilité éthique, consiste à cloner un individu humain pour disposer d’une réserve de
cellules thérapeutiques autologues qui puisse être utile dans le cas d’apparition de diverses pathologies telles que les pathologies
néoplasiques, dégénératives, virales et inflammatoires. Du point de vue de la bioéthique personnaliste, ces applications sont
inacceptables du point de vue éthique pour une série de raisons. Tout d’abord, il n’est pas pris en considération la valeur éthique des
moyens utilisés, qui sont: la manipulation des embryons humains et même le sacrifice de certains d’entre eux, la fécondation in vitro
(cf. chap. 11), le don d’ovules. Il semble, en outre, que ces applications ne rentrent même pas dans le cadre d’une finalité
thérapeutique au sens propre.
comme contraires à la morale, car elles sont en opposition avec la dignité tant de la procréation
humaine que de l’union conjugale»414.
Cette condamnation est confirmée par le Document Riflessioni sulla clonazione de l’Académie
Pontificale pour la Vie415. Dans ce document, il est affirmé que le clonage «constitue une
manipulation radicale de la relationnalité et complémentarité constitutive qui est à l’origine de la
procréation humaine, tant sous son aspect biologique que du point de vue proprement
personnaliste... Le projet de «clonage humain» représente la terrible dérive d’une science sans
valeurs et est un signe du profond désarroi de notre civilisation, qui cherche dans la science, dans
la technique et dans la «qualité de la vie» les succédanés du sens de la vie et du salut de
l’existence. La proclamation de la «mort de Dieu», dans la vaine espérance d’un «surhomme»
comporte en elle-même un résultat très évident: la «mort de l’homme». L’on ne peut pas, en effet,
oublier que la négation du caractère créé de l’homme loin d’exalter la liberté de l’homme
engendre de nouvelles formes d’esclavage, de nouvelles discriminations, de nouvelles et
profondes souffrances. Le clonage risque
========================================
p348
d’être la parodie tragique de la toute-puissance de Dieu. L’homme à qui Dieu, en lui donnant
liberté et intelligence, a confié la création, ne trouve pas de limites à son action si ce n’est celles
dictées par la seule impossibilité pratique: il doit, de lui-même, savoir s’imposer ces limites par le
discernement entre le bien et le mal».
Outre qu’il souligne l’inviolabilité de la dignité de la personne dans la perspective
créationniste, le document considère aussi l’importance éthico-juridique de l’interdiction du
clonage humain: «Sur le plan des droits de l’homme, l’éventuel clonage humain représenterait
une violation des deux principes fondamentaux sur lesquels se basent tous les droits de l’homme:
le principe de l’égalité entre les êtres humains et le principe de non-discrimination».
La garantie par brevet des résultats des biotechnologies
Le brevet industriel est, dans toutes les législations, représenté comme un procédé destiné à
reconnaître la propriété intellectuelle de l’inventeur sur le résultat de l’invention et, en même
temps, de lui garantir une rémunération. Le but ultime de cette reconnaissance est celui
d’encourager le développement industriel. Pour constituer la base juridique de la brevetabilité, il
doit s’agir d’un produit nouveau, qui implique une activité inventive et qui puisse avoir une
application industrielle416. Sous ces conditions, le brevet établit une valeur commerciale précise
et sanctionne une propriété même si la loi la limite à un nombre d’années bien défini.
À partir des années 30 et jusqu’aux années 80, l’extension du droit au brevet était délimitée
par la distinction entre vivant et non-vivant: le brevet pouvait être requis et accordé seulement
pour des inventions sur la matière non vivante. Il est aussi vrai que jusqu’à une époque très
récente le progrès des technologies biologiques était tellement modeste que probablement il ne
414
Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Istruzione..., I, 6.
415
Académie Pontificale pour la Vie, Riflessioni sulla clonazione, Città del Vaticano 1997. Pour un commentaire sur le
document, consulter: Di Pietro M.L., «Riflessione sulla clonazione» Il documento della Pontificia Accademia per la Vita,
«Camillianum, 1997, VIII (16), pp. 195-202.
416
E. Brovedani, Il brevetto di organismi viventi ottenuti con l’ingegneria genetica. Aspetti scientifici, giuridici ed etici,
«Aggiornamenti Sociali», 1988, XXXIX, 4, pp. 245-259. L’article est accompagné d’une importante bibliographie.
venait même pas l’idée de les breveter. On sait qu’à Nice, en 1921, on refusa à un horticulteur le
brevet pour un légume sélectionné (ocillet)417. La Convention de Munich sur les brevets
européens, entrée en vigueur le 1.6.1978, exclut à l’article 53 la brevetabilité des races animales,
des variétés végétales, mais non pas des produits obtenus par des procédés microbiologiques418.
À partir de cette donnée, on assiste à une évolution juridique vers la brevetabilité et
l’appropriation de l’invention sur l’être vivant. L’Europe et les États-Unis suivent deux voies
distinctes.
==========================================
p349
En Europe, était mis en place le système du Certificat d’obtention végétale (COV) qui assurait
au titulaire le droit exclusif de produire, de commercialiser, d’importer du matériel de
reproduction et de multiplication végétale de la variété produite pour une période de 20-25 ans.
Ce système, souvent appliqué aux céréales, possédait une caractéristique, celle de ne pas
empêcher que le produit protégé soit utilisé pour des recherches et des inventions ultérieures.
En 1963, la Convention de Strasbourg, admettait cependant la brevetabilité des produits
obtenus au moyen de l’utilisation de micro- organismes. Mais c’est seulement à partir de 1972
que commence à se poser le problème de la brevetabilité de l’invention et de la constitution de
ces micro-organismes au moyen du génie génétique.
Aux États-Unis, au contraire, on procédait déjà à la reconnaissance de la brevetabilité des
plantes ornementales (Plant Patent Act) et en 1970 d’autres mesures de reconnaissance étaient
accordées pour le brevet d’espèces végétales419.
La concession des brevets connut un tournant décisif quand le brevet fut appliqué aux
biotechnologies, c’est-à-dire aux produits vivants, nouveaux, obtenus par une activité de
recherche grâce à l’application des techniques du génie génétique.
Le fait innovant se produisit aux États-Unis quand, déjà en 1972, un chercheur de la General
Electric Co., Amanda M. Chakraharty produisit en laboratoire une souche bactérienne du genre
Pseudomonas, capable de dégrader diverses composantes d’hydrocarbures du pétrole, pouvant
constituer un moyen efficace de dépollution.
La Compagnie demanda la protection par un brevet de l’invention «au Bureau brevets et
marques» de Washington (DC). Le Bureau des brevets accorda le brevet sur la technique
employée, mais non pas sur le produit, la souche de bactéries, en invoquant la frontière entre
vivant et non-vivant420.
Les avocats de la Compagnie firent recours auprès des organismes gouvernementaux
supérieurs, le Board of Patent Appeals and Interference, lequel accueillit ce recours en
considérant que le droit au brevet était fondé. Enfin, la Cour Suprême Fédérale des États-Unis
intervint par un jugement du 16.6.1980 qui sanctionnait la brevetabilité des micro-organismes
génétiquement manipulés. Le principe innovant consistait à surmonter la limite entre vivant/nonvivant et à indiquer un nouveau critère défini whether living or not, c’est-à-dire entre existant et
417
M.D. Chevallier, Rapport sur les applications des biotechnologies à l’agriculture et à l’industrie agroalimentaire,
Paris 1990-1991, 1, pp. 48-59.
418
Ibid., p. 50.
419
Ibid., pp. 51-52.
420
Brovedani, Il brevetto di organismi viventi..., p. 251; Chevallier, Rapport..., pp. 52- 53; OTA, New development
biotechnology. Patenting Life-Special Report, Washington (DC) 1989, april.
non-existant dans la nature. Un nouveau jugement du 3 avril 1987 étendait la brevetabilité aux
organismes supérieurs pluricellulaires (il s’agissait dans ce cas concret d’huîtres géantes). De là,
la brevetabilité,
=======================================
p350
avec cette extension, fut accueillie aux États-Unis. Actuellement, la CEE est en train
d’élaborer une nouvelle réglementation européenne qui confirmera, probablement, les mêmes
orientations, tout en fixant, on l’espère, une limite protégeant l’organisme humain.
Le débat sur ce thème est parti du principe, en lui-même toujours valable, qu’il faut exclure
tout type de brevet qui indiquerait une propriété sur la vie humaine, ce qui revient à exclure la
brevetabilité de l’être humain.
La discussion a clarifié le fait que le brevet ne se réfère pas à l’«objet» de l’expérimentation,
mais à la «technique» en tant que telle. Nombreux sont ceux qui ont affirmé qu’ils ne voyaient
pas pourquoi on ne devait pas breveter une technique, diagnostique par exemple, qui pouvait
permettre de reconnaître une maladie, étant donné que la garantie par brevet encourage la
recherche.
D’autre part, les applications possibles dans le domaine du génome humain de brevet pour des
techniques de diagnostic ou d’intervention, suite à l’annonce de demandes faites en ce sens aux
États-Unis, ont entraîné l’exclusion de tous les brevets qui supposent une recherche sur
l’embryon ou sur la lignée des cellules germinales, pouvant préfigurer une possible maîtrise de
l’hérédité421.
Cette norme fondamentale ayant été préservée, il reste à établir les conditions de moralité pour
garantir par brevet des techniques appliquées aux autres organismes vivants. Certaines questions
posées par ce type de garantie par brevet sont d’ordre plus spécifiquement métaphysique et
philosophique: le risque de favoriser une conception matérialiste de la vie, d’augmenter
l’arbitraire de l’homme par rapport aux autres êtres vivants, de violer l’intégrité des espèces. Ces
risques sont nettement liés au contexte idéologique et culturel dans lequel la garantie par brevet
de nouvelles espèces vivantes est proposée et effectuée. D’autres questions sont d’ordre plutôt
environnemental ou social. En référence au contexte environnemental, il apparaît nécessaire
d’étudier à fond l’impact possible de la dissémination de micro-organismes génétiquement
modifiés dans l’environnement. Cet aspect d’ordre éthique et scientifique est, toutefois, sans
rapport avec la garantie par brevet puisqu’il se réfère plutôt à la dissémination dans
l’environnement de ces organismes, qu’ils soient brevetés ou non422.
======================================
p351
421
Cf. Parlement Européen et Conseil de l’Union Européenne, Proposition d’une directive du Parlement Européen et
du Conseil sur la protection juridique des inventions biotechnologiques, «Journal officiel des Communautés Européennes», N. C
296/4 du 8.10.1996; UE/Biotechnologie: La commission a adopté une proposition modifiée de directive sur la protection juridique
des inventions biotechnologiques qui retient 65 des 66 amendements du Parlement Européen, «EUROPE» N° 7048 (n.s.), 1er & 2
septembre 1997, p. 7.
422
OTA, New Developments in Biotechnology...
Plus nombreuses sont, au contraire, les problématiques d’ordre éthique et social. Le «secret
industriel» risque de priver la communauté scientifique internationale de facteurs essentiels à sa
croissance, qui sont le débat, la comparaison et la critique des nouveaux acquis scientifiques423.
Si la garantie par brevet est possible dans certains pays et n’est pas réalisable dans d’autres, cela
accroîtra la situation de compétitivité économique qui existe déjà au plan international, et pourra
creuser le fossé économique entre pays industrialisés et pays en développement. Le manque de
ressources économiques des institutions universitaires pourra contribuer au fait que de nombreux
chercheurs se dirigeront vers l’industrie privée en vue d’une protection par brevet. Cela pourrait,
à la longue, rendre possible la manipulation idéologique des nouvelles découvertes, faisant perdre
à la recherche les attributs de liberté et d’indépendance qui lui sont propres.
Cette question a aussi été traitée par le Document du Comité National Italien de Bioéthique:
«Rapporto sulla brevettabilità degli organismi viventi» (19 novembre 1993)424.
Le Rapport envisage la possibilité d’accorder des brevets différenciés, selon que les
biotechnologies sont appliquées aux micro- organismes, aux végétaux ou aux animaux
multicellulaires.
Le CNB estime tout particulièrement que «par rapport aux micro- organismes: a) il est
opportun de promouvoir, au niveau communautaire, une réglementation qui en définisse
rigoureusement la notion juridique; b) il est opportun de promouvoir un approfondissement des
raisons qui pourraient conseiller d’exclure ou de limiter la brevetabilité de certaines catégories de
micro-organismes; c) il est important de promouvoir, dans notre pays aussi, la constitution de
banques de conservation génétique qui servent à faire face aux risques d’appauvrissement de la
biodiversité dérivant de l’opportunité économique, supérieure ou exclusive, de l’utilisation des
nouveaux gènes brevetés.
Par rapport aux végétaux: a) il est opportun de reconsidérer la réglementation nationale
d’application de la Convention de Paris à la lumière de ses derniers amendements; b) il est
opportun d’éviter que la protection, prévue de toute façon, de l’innovation végétale prenne des
formes trop rigides, calquées sur celles de la protection par brevet des inventions; c) il est
parallèlement nécessaire d’éviter que la réglementation des droits d’interface soit telle qu’elle
pénalise seulement les titulaires des droits exclusifs sur les nouvelles variétés végétales; d) il est
urgent que l’Italie, non seulement ratifie comme elle l’a déjà fait la convention de Rio de Janeiro
sur la biodiversité, mais invite aussi les autres pays à ratifier, accepter et approuver ou adhérer à
cette convention, afin de consentir, par son entrée en vigueur, la mise en place de politiques
==========================================
p352
nationales coordonnées, destinées à poursuivre les objectifs planétaires qui y sont proposés (p.
ex. éviter l’appauvrissement drastique des variétés cultivées, empêcher la destruction des
équilibres millénaires de compatibilité environnementale des espèces végétales, civiliser
l’échange de germoplasme avec les pays du Tiers-Monde, etc.).
Par rapport aux animaux multicellulaires: a) il est opportun que les autorités nationales
soutiennent les orientations de la «proposition modifiée» de la directive communautaire sur la
protection des inventions biotechnologiques qui prévoit d’exclure de la brevetabilité les
«procédés de modification de l’identité génétique des animaux tels à leur infliger des souffrances
423
424
Brovedani, Il brevetto di organismi viventi...
Comitato Nazionale per la Bioetica, Rapporto sulla brevettabilità degli organismi viventi (19.11.1993), Roma 1993.
ou des diminutions corporelles sans utilité pour l’homme ou pour l’animal»; b) il est opportun
que les autorités nationales se préoccupent de coordonner préalablement le texte de la
«proposition modifiée», dans la partie citée, avec celui de la directive CEE 609/86 (mise en
œuvre par le récent D.L. 27 janvier 1992, n. 116) dans laquelle la licéité de l’expérimentation sur
les animaux multicellulaires est subordonnée au fait qu’elle soit dirigée en vue d’objectifs
particuliers socialement utiles, et indiqués clairement; c) il est important que les autorités
nationales promeuvent l’approbation de normes législatives destinées à éviter l’extension
anormale de la protection par brevet des inventions biotechnologiques, et qu’en particulier: c1)
elles prévoient que la protection des animaux brevetés ne s’étende pas au-delà de la seconde
génération après celle qui a subi la modification génétique; c2) elles prévoient que le droit de
l’inventeur sur les animaux génétiquement modifiés s’étende seulement aux fonctions de
l’invention explicitement revendiquées et seulement aux animaux qui présentent la modification,
non seulement incorporée, mais spécifiquement exprimée; c3) elles prévoient que le droit de
l’inventeur sur les animaux génétiquement modifiés ne puisse s’étendre à des animaux
appartenant à des variétés diverses de celle à laquelle appartient l’animal génétiquement modifié;
c4) elles prévoient la remise automatique d’une licence de droit à ceux qui, contre paiement
d’une somme au titulaire du brevet, demandent d’utiliser sans exclusivité l’invention incorporée
dans l’animal en vue d’une fonction diverse de celle déjà revendiquée»425.
On peut, pour conclure, affirmer que la garantie par brevet de l’être humain en tant que tel doit
être exclue, alors que la garantie par brevet d’autres organismes vivants peut, elle, être considérée
licite à condition que soient mises en place des mesures juridiques et législatives aptes à garantir
une grande liberté à la recherche scientifique, la coopération économique au niveau international
avec une attention aux pays en développement, et l’équilibre écologique. Les mesures visant à
éviter des glissements possibles sur le plan idéologique (conception matérialiste de la vie) sont
certainement de type culturel et philosophique.
=====================================
p353
LE DIAGNOSTIC PRÉNATAL
Nous abordons cette question dans le cadre de la génétique parce qu’un grand nombre de
procédés diagnostiques de la période prénatale sont destinés à étudier le patrimoine génétique de
l’embryon/fœtus. Par ailleurs, nous tenons à envisager ce problème à part, car il n’implique pas
seulement l’examen génétique mais aussi l’avortement des fœtus malformés, qui lui est associé –
sinon nécessairement, de fait très fréquemment. En effet, la phase diagnostique, au stade actuel
des connaissances et des ressources de la médecine, ne peut encore que trop rarement être liée à
la phase thérapeutique des malformations et des défauts de caractère chromosomique ou
génétique; aussi, une fois que le défaut est constaté, dans la presque totalité des cas il n’existe que
cette seule alternative: soit accepter l’enfant à naître avec son défaut, soit recourir à l’interruption
de grossesse. Et ils sont plutôt nombreux ceux qui, comme nous le verrons, affirment que soit
425
Comitato Nazionale per la Bioetica, Rapporto sulla brevettabilità..., pp. 9-11.
l’examen génétique est inutile, soit il débouche sur l’avortement, et c’est en fait sur ce
raisonnement qu’ils fondent l’obligation morale de refuser cet examen.
L’examen génétique prénatal est effectué à un moment déterminé du développement embryofœtal, pour vérifier si l’enfant à naître est atteint de malformations ou de défauts qui peuvent
avoir une influence sur sa vie future. Le cas le plus fréquent est celui de la «trisomie 21»,
responsable du mongolisme, mais l’éventail des maladies diagnosticables s’étend de plus en plus.
La pratique récente de la FIVETE, et en général de la procréation médicalement assistée, a
aujourd’hui permis d’effectuer le diagnostic sur l’embryon fécondé in vitro avant de le transférer
dans l’utérus (diagnostic préimplantatoire), ainsi que sur l’embryon précoce conçu naturellement,
prélevé à la suite du lavage de l’utérus (washing out) et réimplanté ensuite après examen
génétique426. Il est, en effet, suffisant de prélever une seule cellule d’un embryon même de 8 à
16 cellules pour effectuer
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p354
un examen chromosomique ou génétique à l’aide de sondes génétiques appropriées427. Ce
type de diagnostic est requis pour sélectionner les embryons atteints de maladies génétiques ou
pour faire l’examen du sexe chromosomique; l’examen du sexe chromosomique peut, à son tour,
être effectué pour rechercher d’éventuelles maladies génétiques liées au sexe chromosomique; ou
bien pour choisir le sexe préféré.
Le diagnostic génétique préimplantatoire peut faire appel à des méthodes invasives et des
méthodes non invasives. Dans les méthodes non invasives, des blastocystes sont mis en culture
dans un terrain artificiel. À partir de la composition du terrain de culture, on recueille des
données qui permettent d’analyser les processus métaboliques de l’embryon sans en altérer
l’intégrité physique.
Par contre, dans les méthodes invasives, on procède à un prélèvement de tissu de l’embryon
précoce – ce qui ne semble pas lui porter de préjudice – ou bien on utilise la «fission gémellaire».
La fission gémellaire consiste à diviser l’embryon de 4 ou 8 cellules en deux, une partie est exa426
J.E. Buster, M. Busillo et al., Biologic and morphologic development of donated human ova recovered by nonsurgical uterine lavage, «Am. J. Obst. Gynecol.», 1985, 135, pp. 211-217; R. Penketh, A. Mc Laren, Prospects for prenatal
diagnosis during preimplantation human development, «Bailliere’s Clin. Obst. Gynecol.», 1987, 1, pp. 747-764; C. Bacchus, W.
Buselmaier, Blastomere Karyotyping and transfer of chromosomally selected embryos implications for the production of specific
animal models and human prenatal diagnosis, «Hum. Genet.», 1988, 80, pp. 333-336; H. Li, U.B. Gyllenstein, X. Cui et al.,
Amplification and analysis of DNA sequences in single human sperm and diploid cells, «Nature», 1988, 335, pp. 414-417; M.
Adinolfi, C. Camporese, T. Carr, Gene amplification to detect fetal nucleated cells in pregnant women, «Lancet», 1989, 11l, p. 328;
K.A. Hodgkinson, L. Kerzin, Storrar, E.A. Watters, R. Harris, Adult polycystic kidney disease: knowledge experience and attitudes
to prenatal diagnosis, «J. Med. Genet.», 1990, 27, pp. 552-558; Comitato Nazionale per la Bioetica, Diagnosi prenatali, pp. 16-19.
427
C. Julien, A. Bazin et al., Rapid prenatal diagnosis of Down’s syndrome with in situ hybridization of fluorescent
DNA probes, «Lancet», 1986, ll, pp. 863-864; D. Pinkel, T. Straume, J.W. Gray, Cytogenetic analysis using quantitative, high
sensitivity, fluorescence hybridization, «Proc. Natl. Acad. Sci. USA», 1986, 83, pp. 2934- 2938; S.H. Embury, S.J. Scharf, R.K.
Saiki, Rapid prenatal diagnosis of sickle cell anaemia by a new method of DNA analysis, «NEJM», 1987, 316, pp. 646-651;
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S.L.C. Woo, Screening for phenylketonuria mutations by DNA amplification with the polymerase chain reaction, «Lancet», 1988,
11, pp. 479-499; P. Lichter, T. Cremer et al., Delineation of individual human chromosomes in metaphase and interphase cells by in
situ suppression hybridization using recombinant DNA libraries, «Hum. Gen.», 1988, 80, pp. 224- 234; B. Trask, G. Van Den
Hengh et al., Fluorescence in situ hybridization to interphase cell nuclei in suspension allows flow cytometric analysis of
chromosome content and microscopic analysis of nuclear organisation, «Hum. Gen.», 1988, 78, pp. 251-254; A.H. Handyside, J.K.
Pattinson et al., Biopsy of human pre-implantation embryos and sexing by DNA amplification, «Lancet», 1989, l, pp. 347-349.
minée et l’autre partie est cryoconservée et éventuellement implantée, alors que celle utilisée
pour le diagnostic est ensuite éliminée. La gémellité est, comme on le sait, possible au cours de
cette période en vertu de la totipotence des cellules, et donc la nidation d’une moitié seulement de
l’embryon peut permettre le développement d’un individu complet.
Les justifications éthiques adoptées par ceux qui pratiquent le diagnostic préimplantatoire sont
fondamentalement au nombre de deux: soit on désire «prévenir» la naissance d’un sujet malade et
on pourrait prévenir l’avortement à un stade postimplantatoire; l’objectif est ici de
=========================================
p355
connaître les éventuels défauts ou anomalies de l’embryon; soit on veut répondre au désir des
couples qui expriment une préférence de sexe. À ces pseudo-justifications déclarées, s’ajoute
l’intention expérimentale poursuivie avec ténacité dans cette phase préimplantatoire.
Mis à part le jugement sur la FIVETE, qui présente de nombreuses difficultés – comme nous
le verrons – le fait que la sélection des embryons se fasse à un stade précoce n’en diminue pas la
gravité. Que l’interruption d’une vie se produise à un stade précoce ou avancé n’en change
substantiellement ni l’effet réel ni le jugement éthique, si ce n’est aux yeux de ceux qui, suivant
la doctrine gradualiste, estiment que l’embryon précoce n’est pas encore un individu ayant valeur
de personne humaine428.
L’avortement sélectif est, également dans le cadre du diagnostic postimplantatoire sur le
fœtus, le problème éthique fondamental, même s’il n’en est pas l’unique: l’on sait qu’une réponse
positive quant à l’existence d’une maladie d’origine génétique et/ou d’une grave malformation,
difficilement curable du point de vue thérapeutique, peut, vu la législation actuelle de
l’avortement volontaire, donner très fréquemment lieu, même si ce n’est pas obligatoirement le
cas, à la pratique répandue de l’avortement sélectif.
Certaines lois, comme la loi italienne, prévoient explicitement l’avortement sélectif des fœtus,
sous le couvert juridique d’un avortement «thérapeutique», lorsque l’existence de la
malformation ou de la maladie du fœtus entraînerait un état «pathologique» de caractère psychique chez la mère. Mais cette nuance relève d’un artifice juridique pour ramener l’avortement
sélectif, de type eugénique, sous la dénomination de thérapie, admise par la Constitution et moins
détestable du point de vue culturel. Mais le fait reste ce qu’il est: les fœtus malformés sont
refusés et ils sont, en fait, écartés dans l’immense majorité des cas à cause de leur malformation.
Il peut aussi arriver qu’une organisation sociale de services de «prévention» soit mise en place
et essaie, intentionnellement et d’une manière programmée, de favoriser cette sélection, pour
éviter que de tels sujets (dépistage) puissent constituer un poids du point de vue
=========================================
p356
428
Singer, Practical Ethics; M. Warnock, A Question of Life, The Warnock Report on Human Fertilization and
Embryology, Oxford 1985; Engelhardt jr., The Foundations of Bioethics; M. Mori, Il feto ha diritto alla vita? Un’analisi filosofica
dei vari argomenti in materia con particolare riguardo a quello di potenzialità, dans L. Lombardi Vallauri (sous la direction de), Il
meritevole di tutela, Milano 1990, pp. 735-840; id., Per un’analisi dei problemi morali relativi agli interventi che comportano la
morte degli embrioni umani, in Atti del Convegno Internazionale su: Quale statuto per l’embrione umano. Problemi e prospettive
(Milano, gennaio 1991), Milano 1992, pp. 75-91; P. Singer, K. Dawson, Individuals, Humans and Persons: the issue of Moral
Status, in Aut. Div. Embryo experimentation, Londres 1990; S. Maffettone, Proposte per uno statuto morale e giuridico
dell’embrione, in Atti del Convegno Internazionale su: Quale statuto per l’embrione umano..., pp. 96-107.
économique et social. Le problème éthique concerne, donc, les familles, l’expert qui fait le
diagnostic et qui se trouve engagé dans une procédure déterminée, et l’organisation des
services429.
Afin de mieux clarifier ces problèmes éthiques complexes et subtils, je procéderai à un bref
développement des aspects suivants: l’histoire du diagnostic génétique et les indications de
l’examen génétique; les méthodes et les procédés; les résultats et les issues postanalyse; le tout
sous un profil éthique.
Avant d’examiner chaque aspect en particulier, je désire préciser, en vue d’une information
plus exhaustive, que les examens de diagnostic prénatal s’effectuent aussi à l’aide d’autres
méthodologies pour vérifier des pathologies qui ne sont pas dues nécessairement à une cause
génétique mais qui peuvent être mises en évidence «somatiquement».
L’échographie, par exemple, permet de déceler des malformations de type somatique qui, en
grande partie, peuvent être traitées avec des thérapies adéquates à la naissance ou même en phase
intra-utérine, quand il est nécessaire d’anticiper l’intervention et que celle-ci est possible.
L’échographie est, de toute façon, utilisée aussi en association avec les diagnostics de type
génétique durant la phase d’étude du fœtus et de prélèvement des cellules ou des tissus fœtaux.
Se basant sur l’utilisation des ultrasons, l’échographie en elle- même ne présente pas de
risques connus, même si par prudence et pour des raisons d’éthique économique, il est
normalement conseillé, s’il n’y a pas de raisons spéciales, de se limiter à deux ou trois échographies durant la grossesse.
Histoire et indications médicales
La pratique du diagnostic génétique prénatal (DGP) remonte aux années 1968-69, après le
perfectionnement des techniques de culture des cellules fœtales en suspension dans le liquide
amniotique pour l’étude des chromosomes (Klinger, 1965; Steele et Breg, 1966; Thiede et coll.,
1966; Jacobson, 1967) et pour les recherches biochimiques (Nadler, 1968) sur l’étude des
maladies métaboliques.
Après la mise à la disposition de ces techniques de culture et d’examen, il n’était pas difficile
de mettre au point les techniques d’amniocen=========================================
p357
tèse pour le prélèvement du liquide amniotique, où ces cellules se trouvent en suspension;
c’est ce qui a été réalisé par Garbie et Coll. en 1971 et par Scrimgeour en 1973. Au cours de ces
mêmes années, d’autres techniques d’étude somatique du fœtus étaient perfectionnées, avec l’ultrasonographie (Donald en 1969, Jouppila en 1971, Hansman en 1979) et avec la foetoscopie
(Rauskolb en 1979 et Scrimgeour en 1979)430.
429
Pour un exposé complet de cette matière complexe, consulter le fascicule de la revue «Medicina e Morale», 1984, 4,
entièrement consacré à la question; consulter en particulier les contributions de A. Serra, La diagnosi prenatale di malattie
genetiche, pp. 433-448; C. Caffarra, Aspetti etici della diagnosi prenatale, pp. 449-457; L. Leuzzi, Indicazioni etiche per la
diagnostica prenatale, pp. 458-463. En outre, consulter également A. Serra et coll., La diagnosi prenatale di malattie genetiche.
Esperienze, prospettive e problemi, «Il progresso medico», 1981, XXXVII, 15, pp. 1-18. Le Comitato Nazionale per la Bioetica a
publié un long document sur: Diagnosi prenatali que nous avons déjà cité.
430
Pour les aspects historiques et techniques, nous nous référons à l’étude de Serra et coll., La diagnosi prenatale...
Esperienze...
Quand il s’agit de procéder à un diagnostic prénatal, de type génétique, spécialement quand on
prévoit l’utilisation des techniques de prélèvement de tissus qui, comme nous le verrons,
comportent une marge de risque, la déontologie et l’éthique prescrivent des motivations fondées,
qui en termes techniques s’appellent «indications». L’existence ou non de ces indications est
vérifiée par le conseil génétique qui précède l’intervention et qui en examine le bien-fondé et la
nécessité. Procéder à l’examen au moyen de l’amniocentèse (que ce soit la foetoscopie ou la
placentocentèse) sans le conseil génétique préalable, seulement à la demande de la patiente, serait
en tout cas le signe d’un manque de responsabilité éthique et déontologique431.
Au terme du Congrès International de Val-David au Québec, qui s’est tenu en 1979 sur le
diagnostic prénatal, un code déontologique garantissant à la femme la liberté d’utiliser ou non le
diagnostic prénatal a été élaboré, en précisant les indications en question432. Ces indications,
confirmées par des raisons objectives, doivent être brièvement rappelées.
La première indication, qui est suffisante en elle-même, concerne l’âge de la mère s’il dépasse
36 ans. En effet, «le risque de découvrir chez un fœtus de 16-20 semaines une anomalie
chromosomique associée à de graves conditions pathologiques augmente avec l’âge de la mère,
allant de 0,9 pour cent pour des mères de 35-36 ans à 8,2 pour cent pour des mères de 45 ans. Si
l’on considère qu’un risque supérieur à 1 pour cent est important, le diagnostic cytogénétique
prénatal peut être proposé et pratiqué à des mères de plus de 36 ans»433.
La seconde indication concerne l’existence d’un enfant, au sein de la famille, présentant une
trisomie 21 ou «syndrome de Down» (mongolisme). Il peut, dans ce cas, y avoir risque d’une
autre naissance de sujet atteint du même syndrome, ou présentant une trisomie 18 ou une autre
anomalie chromosomique. S’il existe déjà un sujet affecté d’un syndrome de Down, le risque est
de 1,4 pour cent. Quand ce sont des parents proches qui sont affectés, les statistiques ne
confirment pas l’existence de ce risque.
========================================
p358
Une troisième indication se réfère à la présence chez l’un des parents d’une aberration
chromosomique structurale équilibrée. Le cas se vérifie quand l’un des parents a une anomalie
chromosomique due à une translocation (c’est-à-dire une rupture spontanée et une recombinaison
successive des fragments chromosomiques): si cette translocation est équilibrée, le parent ne
présente aucune malformation phénotypique ou fonctionnelle, mais ses descendants risquent non
seulement d’avoir d’identiques translocations équilibrées (40- 70 pour cent de risque), mais de
présenter aussi de graves anomalies non compensées ou décompensées avec des pathologies
importantes chez l’enfant à naître. Ce dernier risque varie selon qu’il s’agit du père ou de la mère:
dans le cas de la mère porteuse, le risque est plus élevé et peut atteindre 12-16 pour cent. Le taux
de risque dépend également du type de translocation. En tout cas, c’est précisément ce type de
situation qui fournit une indication valable au diagnostic génétique prénatal.
La quatrième indication concerne l’existence d’un enfant, déjà né, atteint d’un désordre
métabolique, ou bien la présence du gène responsable de ce désordre chez un des parents
(hétérozygote). Dans ce cas aussi le risque de récurrence est élevé (environ 25 pour cent).
431
A. Serra, La consulenza genetica prima della diagnosi prenatale: un obbligo deontologico, «Medicina e Morale»,
1997, 5, pp. 903-921.
432
Serra, La diagnosi prenatale..., p. 447.
433
Serra et coll., La diagnosi prenatale... Esperienze..., p. 2.
La cinquième concerne l’existence d’un enfant déjà atteint d’hémoglobinopathie grave, en
particulier de drépanocytose ou d’alpha ou bêta-thalassémie, ou la présence du gène de la maladie
chez les parents, porteurs hétérozygotes. Le risque de récurrence est, selon les statistiques
mondiales de 1978, de 23,7 pour cent dans ces cas-là.
La sixième indication concerne la présence d’un enfant déjà atteint d’une maladie associée au
chromosome X, ou d’une mère porteuse hétérozygote du gène concerné. Les maladies de ce type
que l’on peut diagnostiquer avec certitude dans l’utérus sont, par exemple, la maladie de Fabry
(déficit en alphagalactosidase A), la maladie de Hunter (déficit en iduronate sulfatase) et la
maladie de Lesh-Nyhan (déficit en hypoxanthine-guanine-phosphorybosil transférase). Le risque
de récurrence est d’environ 46 pour cent.
La septième indication concerne l’existence d’un enfant avec un grave défaut de fermeture du
tube neural. La malformation comporte généralement une anencéphalie ou un spina bifida. Son
incidence de récurrence varie de 3,4 pour cent à 5,5 pour cent, selon les statistiques les plus
fiables.
Ces indications sont celles officiellement reconnues. D’autres situations pourraient être prises
en considération, comme par exemple l’exposition prolongée à des radiations ionisantes ou à des
mutagènes chimiques; la suspicion ou la certitude d’une infection telle que la toxoplasmose, la
roséole ou la maladie cytomégalique chez la mère; la présence d’une isoimmunisation Rh, ou
bien encore le risque de récurrence de maladies à transmission génétique, telles que la fibrose
kystique (ou mucoviscidose) et la bêta-thalassémie.
==========================================
p359
L’existence de ces indications est vérifiée durant l’entretien du conseil génétique qui, du point
de vue éthique, est requis et nécessaire avant de procéder au véritable diagnostic génétique.
Le conseil génétique doit vérifier l’existence de l’indication et fournir, en outre, toutes les
informations sur les risques, les problèmes et les limites des examens requis par la femme ou le
couple, afin qu’ils aient connaissance de tous les facteurs se référant à leur demande.
Dans l’expérience rapportée, par exemple, par le prof. A. Serra sur l’activité du Service de
Cytogénétique de la Faculté de Médecine de l’Université Catholique au cours des années 19771980434, à la fin de l’entretien le demandeur signe un formulaire dans lequel il atteste avoir été
informé des éléments fondamentaux et des risques inhérents à l’examen.
Du point de vue du jugement éthique global sur la pratique de la DGP, il est important de
remarquer que dans l’expérience que nous venons de citer, 28,5 pour cent des personnes qui
avaient présenté une demande d’examen y ont renoncé à la suite de leur entretien avec le conseil
génétique: ceci est dû soit au fait que les demandes d’examen sont souvent faites à la suite
d’informations superficielles ou inadéquates concernant la nécessité de l’examen, soit aux
convictions éthiques de la femme qui ne veut pas prendre en considération, dans tous les cas,
l’éventualité d’un recours à l’avortement, dans la suite de l’examen. Dans ces cas, le conseil
génétique a permis à ces femmes de vivre leur grossesse sans angoisse.
Les méthodes et les procédés techniques
434
Ibid., p. 7.
Les techniques actuellement employées dans le diagnostic prénatal peuvent, en général435,
être classées selon deux critères fondamentaux: 1) le type d’information diagnostique que l’on
veut obtenir: morpho-fonctionnelle, cytogénétique, biochimico-métabolique, clinico=======================================
p360
infectiologique; 2) l’invasivité du procédé diagnostique; il peut être nécessaire, pour mettre en
œuvre une méthode, d’entrer physiquement dans une partie du corps (cavité utérine, annexes,
corps fœtal), pour explorer, extraire et échantillonner le matériel biologique, à soumettre par la
suite à l’analyse. Le concept du risque qui, bien que variable (pour des raisons objectives ou
subjectives), est en lien étroit avec le concept d’invasivité, est toujours présent, prévisible, quantifiable et donc très important du point de vue éthique.
D’après le paramètre de l’invasivité et donc du risque, nous pouvons classer toutes les
techniques et les méthodes de diagnostic prénatal en techniques non invasives, faiblement
invasives et nettement invasives.
Techniques non invasives
L’échographie, qui utilise les ultrasons, fait partie de ce groupe. À vingt ans de sa première
utilisation, l’échographie a atteint des niveaux de diagnostic remarquables et stupéfiants, grâce à
des appareils sophistiqués qui permettent d’obtenir une définition optimale de l’image. Cette
technique n’est ni traumatique ni semble-t-il à risque, bien qu’il soit recommandé de ne la
pratiquer que si elle est strictement nécessaire, généralement pas plus de trois examens au cours
d’une grossesse physiologique.
La première échographie est normalement pratiquée au cours du premier trimestre, quand il est
possible d’évaluer la vitalité de l’embryon et son âge gestationnel effectif, la présence de
grossesses multiples et d’exclure les problèmes qui empêchent la nidation physiologique et le
développement placentaire. La deuxième échographie se pratique entre la 20e et la 24e semaine de
grossesse; elle permet d’effectuer un examen analytique des structures anatomiques,
morphologiques et fonctionnelles du fœtus, pouvant déceler jusqu’à 95% des éventuelles
malformations structuro-somatiques. La troisième échographie se pratique, enfin, après la 30e
semaine de grossesse et permet d’évaluer le développement fœtal, le fonctionnement régulier du
placenta (flussimétrie fœtale) et les problèmes éventuels de cordon ombilical en vue de
l’accouchement.
Cette limite de trois examens est souvent dépassée pour des raisons de caractère médical. La
technique, comme nous l’avons déjà expliqué précédemment, ne révèle pas d’anomalies
génétiques ou chromosomiques, mais étudie l’aspect morphologique et fonctionnel de l’embryonfœtus, mettant en évidence les malformations somatiques, externes ou structurales, pour
435
Pour une présentation exhaustive des techniques et des problématiques concernant les diverses méthodes, y compris
dans la perspective des thérapies fœtales successives, consulter: Serra A., Bellanova G., Accertamento prenatale di rischio di
patologia cromosomica fetale. Aspetti scientifici, etici e deontologici, «Medicina e Morale», 1997, 1, pp. 15-35; C. Giorlandino,
Trattato di diagnosi prenatale e terapia fetale, Roma 1997; Noia G., Caruso A., Mancuso S., Le terapie fetali invasive, SEU, Roma
1998 (en impression); A. Pachi, P. Paesano, F. Torcia, Diagnosi prenatale. Clinica e techniche diagnostiche, in G.B. Candiani, V.
Danesino, A. Gastaldi, La clinica ostetrica e ginecologica, Milano 1996, vol. 1, pp. 133-145; M.E. Dalton- A.H. De Cherney,
Prenatal diagnosis, «N. Engl. J. Med.», 1992, Jan. 14, 328, 2, pp. 114-120; G. Loverro, L. Selvaggi, F.M. Boscia, Procedure di
indagine prenatale: significato diagnostico e pericolosità, «Medicina e Morale», 1984, 4, pp. 464- 487; F. Mantegazza, Tecnologie
per la diagnosi prenatale, «Medicina e Morale», 1982, 1, pp. 72-75.
lesquelles on peut, quand cela est possible, prévoir une thérapie précoce en phase néonatale ou
même des interventions chirurgicales intra-utérines.
En outre, l’échographie est une méthode de soutien pour la plupart des techniques invasives
que nous illustrerons successivement (effectuées à des fins tant diagnostiques que thérapeutiques)
qui sont définies
=========================================
p361
comme écho-assistées et échoguidées. Elle est aussi pratiquée avant toute intervention
invasive pour déterminer l’âge gestationnel, évaluer la vitalité de l’embryon et le lieu
d’implantation du placenta, indiquer la meilleure voie d’accès et d’éventuelles anomalies du
fœtus436.
De par sa nette finalité thérapeutique, l’échographie se trouve moins fréquemment mise en
connexion avec l’avortement même s’il existe aujourd’hui une tentative d’identifier certains
«marqueurs» échographiques précoces en fait comme dépistage en vue d’effectuer d’ultérieures
vérifications invasives et, donc, en dernière analyse d’interrompre la grossesse437.
Nous incluons, parmi les techniques non invasives, la technique dite du triplo-test qui n’est
pas à proprement parler une méthode diagnostique mais un test de prévision, donc probabiliste,
de pathologie chromosomique fœtale, et en particulier du syndrome de Down. Ce test se base sur
le dosage du sérum maternel par trois marqueurs biochimiques: l’AFP (alpha-fœto-protéine),
l’uE3 (estriol non conjugué) et l’hCG (gonadotrophine chorionique humaine); il se pratique entre
la 15e et la 18e semaine de grossesse438. Ce test fournit une information de type statistique, c’està-dire que les valeurs des trois marqueurs biochimiques ainsi que l’âge de la mère servent,
ensemble, à évaluer chez une femme le risque d’avoir un fœtus atteint du syndrome de Down. Le
facteur de risque entre comme variable dans le dépistage, et une valeur seuil a été établie (en
général de 1:250)439 pour identifier les femmes enceintes candidates à l’amniocentèse: les
femmes dont le risque est
=========================================
p362
436
American College of Obstetricians and Gynecologists, Ultrasound in pregnancy (Technical Bulletin, n. 116),
Washington (DC), 1988, pp. 1-3; M.E. Dalton, A.H. Dechemey, Prenatal Diagnosis, «N. Engl. J. Med.», 1993, 328, 2, pp. 114-120;
S. Campbell, J.M. Pearce, Ultrasound visualization of congenital malformations, «British Medical Bulletin», 1983, 39, pp. 322-333;
B.G. Ewigman, J.P. Crane, F.A. Frigoletto et coll. and the Radius study group, Effect of prenatal ultrasound screening on perinatal
outcome, «N. Engl. J. Med.», 1993, 329, pp. 821-827.
437
M. Wittle, Ultrasonographic «soft markers» of fetal chromosomal defects, «British Medical Journal» 1997, 314,
p. 918; P. Taipale, V. Hilesmaa et al., Increased nuchal translucency as a marker for fetal chromosomal defects, «NEJM» 1997,
337, pp. 1654-1658.
438
N.J. Wald, H.S. Cuckle, J.W. Densem et coll., Maternal serum screening for Down’s syndrome in early pregnancy,
«Brit. Med. J.», 1988, 297, pp. 883-887; B. Norgaard, Pedersen, S.O. Larsen, J. Arends et coll., Maternal serum markers in
screening for Down syndrome, «Clinical Genetics», 1990, 37, pp. 35-43; J.E. Haddow, B.S. Palomaky, G.J. Knight et coll., Prenatal
screening for Down’s syndrome with use of maternal serum markers, «New Engl. J. Med.», 1992, 327, pp. 588-593; J.E. Haddow,
G.E. Palomaky, G.J. Knight et coll., Reducing the need for amniocentesis in women 35 years of age or older with serum markers for
screening, «New Engl. J. Med.», 1994, 330, pp. 1114-1118; A. Serra, G. Bellanova, Accertamento prenatale di rischio di patologia
cromosomica fetale. Aspetti scientifici, etici e deontologici, «Medicina e Morale», 1997, 1, pp. 15-35.
439
N.J. Wald, A. Kennard, Screening biochimico prenatale per la sindrome di Down, «The Ligand Quarterly. Edizione
Italiana», 1993, 12(4), pp. 519-523.
supérieur à la valeur seuil, ce qui correspondrait à un dépistage positif, sont soumises à
l’amniocentèse; celles dont le risque est inférieur, ce qui correspondrait à un dépistage négatif,
sont donc dispensées du diagnostic prénatal invasif.
Par ses modalités d’exécution, le triplo-test ne comporte pratiquement pas de risque, ni pour la
mère ni pour le fœtus; cependant, il donne un type d’information partiel ayant, comme nous
l’avons déjà dit, une valeur principalement statistique. L’utilisation de cet examen soulève une
série de questions très importantes440 du point de vue éthique. En premier lieu, l’extension du
diagnostic prénatal: jusqu’à présent, seule la femme présentant des indications précises (âge,
ascendance familiale, etc.) avait accès à l’amniocentèse, alors que toute femme enceinte peut
avoir recours au triplo-test pour connaître sa probabilité d’accoucher d’un fœtus Down et
pratiquer éventuellement l’amniocentèse. En théorie, cette pratique devrait réduire les examens
invasifs mais comme le nombre de femmes qui se soumettent au test augmente toujours plus, en
définitive le nombre des amniocentèses, avec le risque correspondant d’avortement dû à la
technique ou au choix de la femme en cas de résultat positif, est lui aussi en augmentation.
Une autre conséquence est liée à l’extension de l’alarme eugénique: pratiquement toute femme
enceinte est maintenant préoccupée, même quand il n’existe pas d’indications d’âge ou
d’ascendance familiale, par le risque générique de trisomie 21, qui ne peut être exclu et qui est
toujours possible dans un pourcentage plus limité. Cette crainte peut même arriver au point que
tout doute (valeurs trop proches de la valeur seuil qui, bien que négatives, provoquent chez la
femme enceinte anxiété et angoisse) devient un risque et tout risque devient une raison pour, en
tout cas, demander le diagnostic prénatal invasif ou l’interruption de grossesse. La situation
s’aggrave du fait que la structure où se pratique généralement le test ne dispose pas d’un centreconseil valable qui puisse informer le couple sur la relativité et la vraie valeur des données
fournies par cet examen ainsi que sur la présence d’un pourcentage élevé de faux positifs et de
faux négatifs. À ce propos, il convient de dire que, dans de nombreux cas, le triplo-test signale la
présence de facteurs de risque qui ne correspondent pas, par la suite, à une pathologie ou qu’il
«révèle uniquement les anomalies chromosomiques graves dont la fréquence augmente avec l’âge
de la femme»441. En pratique, l’éthique n’admet le triplo-test que pour limiter, avec un conseil
valable, l’accès à l’amniocentèse.
========================================
p363
Techniques faiblement invasives
Il s’agit de méthodes limitées au strict domaine de la recherche appliquée qui ont encore
besoin de confirmation clinique442, basées sur l’analyse prénatale des cellules d’origine
trophoblastique. Durant la première phase de la grossesse, ces cellules se desquament dans le
canal cervical et peuvent être examinées au moyen de 4 types de technique443. C’est entre la 6e
et la 13e semaine de grossesse que se pratique cet examen. Cette idée, qui est venue de
440
A. Serra, G. Bellanova, Accertamento prenatale di rischio..., pp. 15-35.
441
M.L. MacDonald, R. M. Wagner, R.N. Slotnik, Sensitivity and specificity of screening for Down syndrome with
alpha-fetoproteine, HCG, unconjucated estriol, and maternal age, «Obstetrics and Gynecology», 1991, 77, pp. 63-68 (rapporté par
Serra, Bellanova, Accertamento prenatale di rischio..., p. 24).
442
A. Massari, G. Novelli, A. Colosimo et coll., Non invasive early prenatal molecular diagnosis using retrieved
transcervical trophoblast cells, «Hum. Genet.», 1996, 97, 2, pp. 150-155.
443
C. Rodeck, B. Tutschek, J.E. Sherlock et coll., Methods for the transcervical collection of fetal cells during the first
trimester of pregnancy, «Prenat. Diagn.», 1995, 15, pp. 933-942.
Shettles444 en 1971, a tout récemment été reprise, avec un essor considérable, car elle permet
d’obtenir de l’ADN fœtal que l’on peut ensuite analyser au moyen des techniques moléculaires
telles que la PCR445 (Polymerase chain reaction) ou la FISH446 (Fluorescent in situ
hybridization). La sécurité et la fiabilité de ces procédés semblent être très élevées447 mais ils
doivent encore être vérifiés en cours de grossesse, car l’expérimentation s’est limitée à des
femmes qui avaient décidé d’interrompre la grossesse, contrôlant après l’avortement l’exactitude
du diagnostic qui avait été fait sur les cellules. En substance, ces techniques impliquent
d’importantes réflexions éthiques qui vont de la validité scientifique à la modalité d’exécution
des études expérimentales, à la méthodologie de comparaison des résultats avec ceux obtenus par
des procédés invasifs, tels que la villocentèse ou l’amniocentèse, et à la nécessité de recourir au
conseil génétique; en effet, pour pratiquer tout examen diagnostic, une indication précise et
acceptable sur le
==========================================
p364
plan éthique, malgré l’absence apparente de risque, est toujours nécessaire448.
Techniques invasives
La foetoscopie consiste à introduire le fœtoscope, constitué de fibres optiques, à l’intérieur de
l’utérus, soit pour observer la conformation somatique, dans le cas où l’échographie ne s’est pas
révélée suffisante, soit pour permettre le prélèvement de sang du fœtus au moyen d’une ponction
dans un vaisseau de la plaque choriale ou du cordon ombilical, soit encore pour prélever des
tissus fœtaux afin d’effectuer des examens de recherche de maladies génétiques. Elle se pratique
au cours de la 18e à la 20e semaine.
La fœtoscopie a été aussi utilisée pour pratiquer une thérapie intra- utérine (digitalique,
diurétique, etc.). Elle comporte un risque élevé d’interruption de la grossesse et une incidence
accrue d’accouchements prématurés, sans compter l’isoimmunisation possible de la mère Rh
négative. L’incidence des avortements varie en fonction de la spécialisation des Centres qui la
pratiquent. Les meilleurs pourcentages dépassent 2 pour cent avant les 5 premières semaines.
L’augmentation des accouchements prématurés est de 8 pour cent. Certains calculent un risque
moyen de 4-6 pour cent449. Grâce au perfectionnement de la qualité de l’image échographique,
la fœtoscopie a cependant été progressivement abandonnée à cause de toutes ses indications, et
444
L.B. Shettles, Use of the Y chromosome in prenatal sex determination, «Nature», 1971, 230, p. 52.
445
M.D. Griffith, Jones, D. Miller, R.J. Lilford et coll., Detection of fetal DNA in transcervical swabs from first
trimester pregnancies by gene amplification: a new route to prenatal diagnosis?, «Br. J. Obstet. Gynecol.», 1992, 99, pp. 508-511.
446
M. Adinolfi, A. Davies, S. Sharif et coll., Detection of trisomy 18 and Y-derived sequences in fetal nucleated cells
obtained by transcervical flushing, «Lancet», 1993, 342, pp. 403-404; M. Adinolfi, P. Soothill, C. Rodeck, A simple alternative to
amniocentesis?, «Prenat. Diagn.», 1994, 14, pp. 231-233; B. Perti, A. Davies, P. Soothill et coll., Detection of fetal cells in
endocervical samples, «Ann. NY Acad. Sci.», 1994, 731, pp. 186-192.
447
M. Adinolfi, J. Sherlock, P. Soothill et coll., Molecular evidence of fetal derived chromosome 21 markers (STRs) in
transcervical samples, «Prenat. Diagn.», 1995, 15, pp. 35-39; B. Perti, A. Davies, P. Soothill et coll., Detection of fetal..., pp. 186192; B. Tutschek, J. Sherlock, A. Halder et coll., Isolation of fetal cells from transcervical samples by micromanipulation:
molecular confirmation of their fetal origin and diagnosis of fetal aneuploidi, «Prenat. Diagn.», 1995, 15, pp. 951-960.
448
Spagnolo, Bioetica nella ricerca e nella prassi..., pp. 182-184.
449
Loverro, Selvaggi, Boscia, Procedure d’indagine..., p. 473; C.M. Rodeck, Fetoscopia e prelievo di sangue fetale, in
G.B. Candiani et coll., La diagnosi prenatale dei difetti congeniti, Atti del 5° Corso Nazionale di Aggiornamento in Medicina
Prenatale, Palermo 1981, pp. 273-280; Serra, La diagnosi prenatale..., p. 441.
principalement pour le prélèvement du sang fœtal450, qui s’effectue désormais au moyen de la
cordocentèse, avec l’aide de l’échographie pour la localisation du cordon ombilical.
La placentocentèse permet le prélèvement du sang fœtal de la plaque choriale, au moyen d’une
ponction dans le placenta, pour effectuer des examens génétiques. Du fait que le sang fœtal est
souvent mélangé au sang maternel, il faut répéter plusieurs fois l’opération. Elle comporte un
risque élevé d’interruption de grossesse (de 7 à 10 pour cent), c’est pourquoi elle est moins
utilisée aujourd’hui, pouvant être remplacée par l’amniocentèse, par le prélèvement des villosités
choriales ou par la cordocentèse.
Avec l’embryoscopie, on obtient une visualisation directe de l’embryon et de sa morphologie,
au cours du premier trimestre de grossesse, grâce à un instrument à fibres optiques (un petit
endoscope flexi=====================================
p365
ble qui au début était de 2-3 mm de diamètre et qui, aujourd’hui, a été réduit à 0,45 mm de
diamètre)451.
C’est une technique diagnostique de deuxième niveau: c’est-à-dire qu’elle ne s’effectue que
lorsque des examens préalables (comme par exemple l’échographie) présentent un doute qui ne
peut être confirmé diversement. Elle donne, en outre, la possibilité d’effectuer des biopsies
fœtales, des prélèvements du sang fœtal à des fins diagnostiques ou thérapeutiques, des
interventions d’aspiration et d’électrocoagulation452. Le risque d’avortement, compte tenu de
l’introduction relativement récente de cette technique, n’est pas encore évalué avec précision. Au
début des années 90, on enregistrait 6-10 pour cent d’avortements453; actuellement, les auteurs
communiquent des valeurs avoisinant 2-2,5 pour cent454.
Le jugement éthique sur cette technique est lié à l’utilisation qui en est faite outre le risque
inhérent à la technique. Dans la littérature scientifique, on peut voir que pour la plupart des
auteurs cet examen aboutit à une interruption successive de grossesse après avoir constaté une
pathologie chez l’embryo-fœtus qui n’aurait pu être découverte que plus tard au moyen de
l’échographie. Ainsi, grâce à l’embryoscopie, la précocité d’un diagnostic précis déjà au cours du
premier trimestre donne aux patientes, comme l’écrit Dumez dans l’un de ses articles, la
possibilité «de pouvoir faire des interruptions de grossesse répétées»455. Du point de vue
éthique, cette méthode ne pourrait trouver une certaine justification que dans son utilisation
450
Pachi, Paesano, Torcia, Diagnosi prenatale: Clinica e tecniche diagnostiche..., vol. 1, pp. 142-143; E.A. Reece et al.,
Embryoscopy: A closer look at first-trimester diagnosis and treatment, «Am. J. Obstet. Gynecol.», 1992, 166, pp. 775-780.
451
M.T. Cullen, E.A. Reece, J. Whetham et coll., Embrioscopy: Description and utility of a new technique, «Am. J.
Obstet. Gynecol.», 1990, 162, pp. 82-86; R.A. Quintero, K.S. Puder, D.B. Cotton, Embrioscopy and fetoscopy, «Obstet. Gynecol.
Clin. North Am.», 1993, 20(3), pp. 563-581; C. Giorlandino, P.M. D’Alessio, L. Mobili et coll., L’embrioscopia: nuova tecnica di
diagnosi prenatale invasiva, «Ultrasonica», 1994, 4, pp. 103-106.
452
R. Quintero, R. Hume, C. Smith et coll., Percutaneous fetal cystoscopy and endoscopic fulguration of posterior
urethral valves, «Am. J. Obstet. Gynecol.», 1995, 172, pp. 206-209; A.R. Morgani, Diagnosi prenatale invasiva: «stato dell’arte»
dell’embrioscopia, «Ultrasonica», 1995, 3, pp. 59-61.
453
Y. Dumez et al., Meckel-Gruber syndrome: prenatal diagnosis at 10 mentrual weeks using embryoscopy, «Prenatal
Diagnosis», 1994, 14, pp. 141-144; M. Dommergues et al., Prenatal diagnosis of cleft lip at 11 menstrual weeks using embryoscopy
in the Van der Woude syndrome, «Prenatal Diagnosis», 1995, 15, pp. 378-380.
454
E.A. Reece et al., First-Trimester Needle Embryofetoscopy and Prenatal Diagnosis, «Fetal Diagn. Ther.», 1997, 12,
pp. 136-139.
455
Dumez et al., Meckel-Gruber syndrome: prenatal diagnosis at 10 menstrual weeks using embryoscopy..., p. 142.
thérapeutique et, donc, 
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