MISE EN PLACE DES SOCLES DE PROTECTION SOCIALE DANS LES PAYS FRANCOPHONES : CONTRIBUTION DU CONSEIL ECONOMIQUE ET SOCIAL DU GABON En République gabonaise, la Protection sociale est consacrée par la Constitution gabonaise, dans son Article 1er, alinéa 8. Inspirée de la Déclaration universelle des droits de l’homme, elle garantit en effet à tous, la protection de la santé et la sécurité sociale. Cette disposition, au-delà d’une simple question de droits représente, de nos jours, pour les Etats modernes, un enjeu de développement humain et durable. La présente communication propose un état des lieux de la protection sociale au Gabon à travers ses enjeux et perspectives actuelles, en plus d’examiner la nature des principaux défis à relever. Son contenu, met en évidence, outre une vue d’ensemble de la situation politique, économique et sociale du pays, la description du socle institutionnel et juridique ; ainsi que l’analyse des principales composantes de la politique de protection sociale. I- Présentation sommaire du Gabon Le Gabon, pays de l’Afrique centrale d’une superficie de 267.667 KM2 compte une population estimée à près de 1. 600. 000 habitants en 2006. Ancienne colonie française, le Gabon est indépendant depuis le 17 août 1960. Comme la plupart des pays anciennement colonisés par la France, la législation gabonaise est influencée par le droit français en particulier son Code de sécurité sociale. Sur le plan économique, sa croissance a été de l’ordre de 6% au cours des trois dernières années. Les raisons d’une telle réussite tiennent, au niveau externe, au raffermissement des cours mondiaux du pétrole, du manganèse et du bois. Au plan interne, ce succès est lié aux investissements massifs effectués dans le cadre de l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations 2012. L’économie du Gabon devrait poursuivre son expansion en 2014 car soutenue, dans une large mesure, par le secteur hors pétrole malgré le léger repli structurel de la production pétrolière. Le Gabon affiche un produit intérieur brut (PIB) par habitant parmi les plus élevés d’Afrique subsaharienne, environ 15 000 USD courants, une performance largement imputable à la disponibilité des ressources naturelles et plus particulièrement à l’exploitation du pétrole. A travers le Plan Stratégique Gabon 1 Emergent (PSGE) les autorités se sont engagées à l’idée de transformer le Gabon en une économie émergente à l’horizon 2025. Cette ambition est fondée sur les quatre piliers que sont : le « Gabon vert » ; le « Gabon industriel » ; le « Gabon des services » et enfin le « Gabon bleu ». Globalement, le PSGE vise un ambitieux programme de transformation structurelle de l’économie nationale qui s’appuie sur quatre composantes majeures que sont l’amélioration de la gouvernance de l’Etat, la relance de l’investissement public/privé, le développement des infrastructures et du capital humain. Enfin, la redistribution équitable des fruits de la croissance qui constitue, en réalité, le fondement d’un nouveau « Pacte Social » pour un Gabon plus solidaire. Ce Pacte Social ambitionne, en toute priorité, de relever trois défis majeurs : la pauvreté qui touche encore un Gabonais sur trois, le niveau de chômage élevé, soit (27% de la population active) et la répartition encore inégalitaire des revenus. II- Etat des lieux de la protection sociale au Gabon Le régime gabonais de protection sociale s’est construit au fil du temps sur la base de la ratification des Conventions internationales en la matière et la promulgation au niveau national d’une législation ambitieuse. Les Conventions Internationales Au niveau international, les Conventions les plus significatives restent sans contexte la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Elle dispose dans son article 22 que : « Toute personne, en tant que membre de la société, à droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays. » Derrière ce principe intangible se trouve articulé le caractère inaliénable des droits économiques, sociaux et culturels des individus pour lesquels l’Etat s’engage à garantir, sans discrimination, au non du respect de la dignité humaine et surtout de la justice sociale au sens large. 2 Deux autres instruments reprennent substantiellement la portée de ces deux principes tout en défendant des droits humains spécifiques propres aux femmes et aux enfants. Ce sont primo, la Convention Internationale des droits de l’Enfant par laquelle: « Les Etats parties reconnaissent à tout enfant le droit de bénéficier de la sécurité sociale, y compris les assurances sociales, et prennent les mesures nécessaires pour assurer la pleine réalisation de ce droit en conformité avec leur législation nationale » (Article 26). Secundo, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes. Elle reconnaît : « le droit à la sécurité sociale, notamment aux prestations de retraite, de chômage, de maladie, d’invalidité et de vieillesse ou pour toute autre perte de capacité de travail, ainsi que le droit à des congés payés (…) le droit à la protection de la santé et à la sécurité des conditions de travail, y compris la sauvegarde de la fonction de reproduction. » (Article 11). Cadre juridique national Toutes ces dispositions du droit international relatives à la sécurité et à la protection sociale ont inspiré la Loi fondamentale Gabonaise dans son article 1er, alinéa 8 et permis au législateur de concevoir la Loi N°6/75 du 25 novembre 1975 portant Code de sécurité sociale et l’Ordonnance N°0022/PR/2007 du 21 août 2007 instituant un régime obligatoire d’assurance maladie. Pour consolider l’ancrage social de la politique gouvernementale, un Ministère de la Prévoyance Sociale et de la Solidarité Nationale a été créé en 2014 en lieu et place du Ministère de la famille et des Affaires sociales. Au-delà du changement sémantique, la nouvelle dénomination du ministère en charge de la mise en œuvre de la Protection sociale au Gabon revêt pour cette analyse un double intérêt. Le premier concerne la nécessité de réformer la structure historique la plus ancienne, en l’occurrence, la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) dont la création date des années 70. Véritable bras séculier de la politique sociale du Gouvernement, la CNSS avait besoin d’une réforme capable d’impulser en son sein les adaptations nécessaires dans un environnement globalisé caractérisé principalement par une économie en récession, un chômage élevé et le vieillissement de la population active. De façon concrète, par décision du Conseil des Ministres, en novembre 2009, les compétences de la CNSS en matière de prestations de santé et de maternité seront transférées à la Caisse Nationale 3 d’Assurance Maladie et de Garantie Sociale (CNAMGS) afin d’asseoir la couverture maladie universelle. Le second intérêt politique a consisté à préconiser un changement de paradigme dans l’approche des interventions sociales au profit des personnes nécessiteuses. Ainsi, aux programmes de protection sociale vont progressivement se greffer les transferts solidaires, le développement des activités génératrices de revenus, la mise en place d’un fonds pour les microcrédits, l’amélioration du service public de l’emploi aux fins de lutter contre la pauvreté en réduisant de façon significative la fracture sociale. La CNAMGS : avancée notable dans la protection sociale au Gabon La création de la CNAMGS a entraîné la dissolution de la Caisse Nationale de Garantie Sociale (CNGS) et du transfert à son profit des activités de la Caisse nationale de Sécurité Sociale (CNSS) liées à l’hospitalisation, à la distribution gratuite des médicaments et aux évacuations sanitaires. La CNAMGS est composée de trois fonds distincts. Le fonds d’assurance maladie des agents publics de l’Etat, le fonds d’assurance maladie des travailleurs salariés du secteur privé, parapublic, des travailleurs indépendants, des professions artisanales, commerciales et libérales et le fonds de garantie sociale des gabonais économiquement faibles, des étudiants, des élèves et des réfugiés. Les organes chargés de son fonctionnement sont le conseil d’administration, la direction générale et l’agence comptable. Les compositions et attributions des ces organes ont été déterminées par l’Ordonnance N°0022/PR/2007. A ce jour, la CNAMGS a un statut d’établissement public soumis aux règles de gestion de droit privé avec comme tutelles le Ministère de la prévoyance sociale et le Ministère du budget et des comptes publics. Depuis le 01 juin 2014, les salariés du secteur privé sont pris en charge par la CNAMGS après l’immatriculation des 480 000 Gabonais Economiquement faibles en 2009 ; 180 000 agents de l’Etat et 25 000 étudiants gabonais depuis 2011. A ce jour la CNAMGS totaliserait 800 000 assurés soit près de 53% de la population gabonaise répartie sur l’ensemble du territoire national. Parallèlement aux « Assises sociales du Gabon » organisées à Libreville les 25 et 26 avril 2014, le Chef de l’Etat s’est engagé à investir dans la valorisation du capital humain. Ce choix est d’une importance fondamentale dans la mise en œuvre du socle de protection sociale au Gabon dans la mesure où cette notion est 4 étroitement liée à une offre de formation de qualité et à la possibilité de disposer d’un travail décent. Autrement dit, pour être efficace dans la lutte contre la pauvreté il est important d’autonomiser les personnes économiquement faibles. De même, il a été décidé lors des « Assises sociales » que la solidarité nationale doit s’exercer pleinement dans les domaines suivants : La prise en charge à 100% des malades atteints de cancers ; La prise en charge à 100% des familles vivant dans une grande précarité après une enquête sociale préalable ; L’uniformisation du remboursement de tous les médicaments génériques à hauteur d’au moins 80% ; La prise en charge totale des frais médicaux aux urgences médicales, les premières 24 heures, lorsque le diagnostic vital est engagé, pour tous les Gabonais, qu’ils soient assurés ou non ; Enfin, la prise en charge des travailleurs du secteur privé par la CNAMGS, à compter du 1er juin 2014. Au-delà des transferts sociaux déjà significatifs pour les bénéficiaires, dans un souci permanent de redistribuer les fruits de la croissance économique la revalorisation des allocations familiales des Gabonais économiquement faibles est passée de 4 000 f CFA par mois et par enfant à 5 000 f. Ces allocations familiales concernent au total 80 434 parents pour 178 966 enfants dont l’âge varie entre 0 et 20 ans. Pour bénéficier de ces prestations, l’allocataire (le parent) se doit simplement de présenter un certificat médical ou un carnet de santé pour les enfants de moins de 6 ans et un certificat de scolarité pour ceux de 6 à 20 ans. Analyse des dépenses de la CNAMGS L’analyse des dépenses totales de la CNAMGS traduit des évolutions nettes. Elles sont passées de 9,7 Milliards de FCFA en 2008 à 24,6 Milliards de FCFA en 2009. Bien plus, pour la même période on constate que les dépenses consacrées aux prestations de soins n’ont pas changé (6 Milliards de FCFA en 2008 et en 2009), alors qu’il y a eu une augmentation considérable pour les dépenses des prestations familiales des Gabonais économiquement faibles de l’ordre de 1,4 Milliards de FCFA en 2008 à 7,01 Milliards de FCFA en 2009. 5 Dans le même sens, les dépenses liées au fonctionnement et à l’investissement ont augmenté entre 2008 et 2009 du fait de l’implantation des services de la CNAMGS dans les 9 capitales provinciales. Quant aux dépenses des prestations de soins par rapport aux dépenses totales de cette institution, elles sont passées de 62,5% en 2008 à 24,2% en 2009. Selon les estimations, le montant global semestriel des allocations familiales pour l’échéance de juin 2014 sera de l’ordre de 5 milliards 368 millions 980 000 francs CFA. Ce qui représente par rapport à l’échéance précédente une hausse significative de l’ordre de 1 milliard 073 millions 796 000 f CFA. Le Fonds National d’Aide Sociale: instrument de lutte contre la pauvreté Conscient des progrès réalisés en matière de protection sociale, le Gouvernement a créé un Fonds National d’Aide Sociale (FNAS) avec pour mission de réduire la pauvreté et de développer le capital humain. Pour atteindre ces objectifs, deux axes stratégiques ont été identifiés. Ce sont : la promotion à l’échelle nationale des programmes de protection économique d’une part et le financement des activités génératrices de revenu, d’autre part. Sans être exhaustif dans la description, les programmes de protection économique reposent sur deux types d’intervention que sont : les transferts monétaires aux mères célibataires, aux personnes âgées ; aux handicapés ; les subventions sous la forme d’aide à l’insertion professionnelle des jeunes de 18-25 ans ; la protection et l’aide à l’éducation des enfants de la rue et enfin l’accompagnement des personnes victimes de catastrophes naturelles (Sinistrés). S’agissant des activités génératrices de revenus, les types d’interventions prévus sont : la gratuité des biens et services : par exemple : kits alimentaires, formation professionnelle ; garde d’enfants ; aides juridiques ; kit équipement pour les petits métiers ; les revenus solidaires : par exemple : paiement pour service rendu à l’Etat ; journées de travail garanties ; 6 le renforcement des capacités. Par exemple : Formation ; Formalités de constitution ; l’équipement : financement des matériels et équipements. A terme, chaque intervention bénéficiera, au regard du plan d’action 2014, d’un accompagnement efficient et d’un financement plafonné à hauteur de 10 millions de francs CFA remboursables. Au total le FNAS a ciblé, après une sélection rigoureuse, près de 500 projets identifiés dans des secteurs jugés prioritaires de l’économie comme l’agriculture, la pêche, l’artisanat et l’écotourisme. En plus de ces différentes structures institutionnelles, il importe de souligner le rôle déterminant de la société civile gabonaise fortement impliquée dans toutes les actions initiées en la matière. III- Financement des politiques de protection sociale au Gabon Pour financer le pacte social issu des « Assises de Libreville », le Chef de l‘Etat s’est engagé, en plus du budget de l’Etat pour l’exercice 2014 qui prévoit 5 milliards de francs CFA pour le FNAS, à mobiliser sur une période de 3 ans la somme de 250 milliards de francs CFA. Une des options en cours de réflexion consisterait à solliciter l’appui de la Bourse des Valeurs Mobilières de l’Afrique Centrale (BVMAC) dans la levée de fonds sur le marché régional. Ceci pour réduire durablement la fracture sociale au Gabon. En réalité le financement du pacte social ne peut se satisfaire de la seule mobilisation de la BVMAC. Cette question concerne, a priori, toutes les forces vives de la nation au même titre que les Partenaires au développement traditionnelle dans la mesure où le principal objectif recherché n’est nul autre que l’amélioration des conditions de vie des couches sociales les plus vulnérables que sont, les femmes, les enfants et les personnes âgées entre autres. IV- Conclusion La contribution du CES du Gabon, à travers la présente communication témoigne de la fiabilité du modèle gabonais de protection sociale en vigueur. Il est vrai que de nombreux défis à relever subsistent notamment l’amélioration du système des gestions des finances publiques. A ce sujet, la réforme dite Budgétisation par Objectifs des Programmes (BOP) a été initiée depuis 2011. La mise en œuvre de cette réforme permettra, à terme, d’améliorer le taux d’exécution des 7 programmes prioritaires, particulièrement dans les domaines sociaux tels que l’habitat. A ces préoccupations s’ajoutent la nécessité d’une collaboration plus efficiente entre les acteurs non étatiques et les tutelles ministérielles en plus de l’intensification sans délais des campagnes d’immatriculation de gabonais économiquement faibles. De plus, l’accès à l’eau potable et à l’électricité continue d’être un problème quotidien pour une franche importante de la population notamment en zone rurale où seulement 41 % consomment une eau garantie potable et contrôlée. 8