10 mars 2014 – N° 202
(mis à jour le 3 novembre 2014)
Les difficultés des réformes structurelles
RECHERCHE ECONOMIQUE
Rédacteur :
Patrick ARTUS
On conseille systématiquement aux pays européens de mettre en place des
politiques de réformes structurelles : flexibilité accrue du marché du travail ;
déréglementation des marchés des biens et services ; réforme fiscale,
réduction des dépenses publiques, réforme des retraites, politiques du
logement… Ces politiques visent à restaurer la compétitivité et la profitabilité,
à accroître l’offre de biens et services et la croissance potentielle.
Il nous semble que ces politiques de réformes structurelles doivent être
analysées plus profondément, car elles génèrent aussi des risques :
- leur coût à court terme peut être élevé, et il faudrait le comparer aux
bénéfices attendus à long terme ;
- les réformes structurelles sont le plus souvent désinflationnistes ; si elles
sont menées en bas de cycle, elles peuvent conduire à la déflation ;
- les réformes structurelles peuvent devoir être coordonnées entre elles ;
par exemple les réformes du marché du travail qui réduisent les salaires
peuvent être équilibrées par des réformes des marchés des biens et
services qui réduisent les prix ;
- les réformes structurelles peuvent devoir être coordonnées entre les
pays ; ainsi les réformes qui aboutissent à une baisse du coût salarial
unitaire génèrent une externalité négative pour les autres pays et doivent
donc être coordonnées.
Flash 2014 – 202 - 2
On préconise
usuellement les
réformes
structurelles
Les institutions internationales, une majorité d’économistes, suggèrent aux pays
européens de mettre en place des « réformes structurelles », comme :
(1) la flexibilité accrue du marché du travail : baisse de l’indemnisation du
chômage, lien accru entre les hausses de salaire el, la compétitivité, la
profitabilité, le chômage. On sait qu’en France et en Italie par exemple les
salaires réels ne réagissent pratiquement pas au chômage, à la
dégradation de la compétitivité et de la profitabilité (graphiques 1 a/b,
2 a/b).
(2)
la réglementation des marchés des biens et services
, visant à faire
disparaître les rentes d’oligopole dans les secteurs la concurrence est
trop faible. On voit par exemple en France le niveau élevé des marges
bénéficiaires dans les services et la construction par rapport à l’industrie
manufacturière (graphique 3).
(3)
les réformes fiscales
, visant en particulier à transférer les impôts des
entreprises vers la consommation, comme cela a été réalien Allemagne
(graphique 4).
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Graphique 1a
France : taux de chômage et salaire réel par tête
Salaire réel par tête (déflaté par le prix conso, GA en %)
Taux de chômage (en %)
Sources : Datastream, INSEE, NATIXIS -2
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Graphique 1b
France : salaire réel par tête, coût salarial unitaire et
profits après taxes, intérêt et dividendes
Coût salarial unitaire (G)
Salaire réel par tête (déflaté par le prix conso, GA en %, D)
Profits après taxes, intérêts et dividendes (en % du PIB valeur, D)
Sources : Datastream, Insee, NATIXIS
-3
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-3
0
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Graphique 2a
Italie : taux de chômage et salaire réel par tête
Salaire réel par tête (déflaté par le prix de la conso, GA en %)
Taux de chômage (en %)
Sources : Datastream, Istat, NATIXIS -4
-2
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Graphique 2b
Italie : salaire réel par tête, coût salarial unitaire et
profits après taxes, intérêts et dividendes
Coût salarial unitaire (100 en 1998:1, G)
Salaire réel par tête (déflaté par le prix de la conso, GA en %, D)
Profits après taxes, intérêts et dividendes (en % du PIB valeur, D)
Sources : Datastream, Istat, NATIXIS
Flash 2014 – 202 - 3
(4)
la réduction des dépenses publiques
, visant à permettre de réduire la
pression fiscale, comme cela a été réalisé au Royaume-Uni par le
gouvernement conservateur (graphique 5) depuis 2010.
(5)
les réformes des retra
ites
, avec en particulier le report de l’âge de la
retraite (Encadré 1) visant aussi à réduire les déficits publics.
(6)
, visant à rendre compétitif le marché de l’immobilier
résidentiel en déréglementant l’offre, pour que les prix puissent s’ajuster,
comme aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, mais pas en France
(graphique 6).
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Graphique 3
Taux de marges bénéficiaires par branche d'activité
(en %)
Taux de marge de l'industrie manufacturière
Taux de marge dans les services
Taux de marge dans la construction
Sources : Insee, NATIXIS 6
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Graphique 4
Allemagne : cotisations sociales des entreprises
et impôts indirects (en % du PIB valeur)
Cotisations sociales des entreprises
Impôts indirects
Sources : Datastream, Eurostat, NATIXIS
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34
36
38
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Graphique 5
Royaume-Uni : dépenses publiques et pression
fiscale (en % du PIB valeur)
Dépenses publiques
Pression Fiscale
Sources : Datastream, NATIXIS 50
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50
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Graphique 6
Prix de l'immobilier (100 en 1998:1)
Etats-Unis
Royaume-Uni
France
Sources : Datastream, Case-Shiller, Halifax Building, Insee, NATIXIS
Flash 2014 – 202 - 4
Encadré 1
Principales mesures de réformes des retraites
Portugal :
Le projet de loi de finance 2014 prévoyait des mesures de réduction des retraites telles que :
- L’allongement d’un an de l’âge de départ à la retraite jusqu’à 66 ans ;
- L’alignement des règles de calcul des retraites du secteur public avec celles du privé ;
- La modification des règles de cumul des retraites acquises dans le public et le privé.
Mais cette réforme a été déclaré inconstitutionnelle par le Tribunal Constitutionnel fin décembre 2013.
Grèce :
Initialement prévue pour 2014, l’application de la réforme a été avancée à 2013 :
- Augmentation de l’âge de la retraite de 65 à 67 ans avec maintien du seuil de 40 annuités pour accéder à une retraite
complète ;
- Réduction des nouveaux paiements forfaitaires pour les employés publics et fonds de la sécurité sociale ;
- Réduction progressive des retraites mensuelle à partir de 1000€ (de 5% à 20% en fonction des niveaux de retraites) ;
- Baisse des retraites des régimes spéciaux ;
- Baisse des retraites des policiers et militaires via leur désindexation automatique des base de salaires correspondants.
Espagne :
- Augmentation progressive de l’âge de départ à la retraite de 65 à 67 ans
- Désindexation des retraites de l’inflation : la révision minimal sera de 0,25% par an en fonction des performances de
croissance du PIB, de l’équilibre entre recettes et dépenses du système ;
- Augmentation de 10 à 25 ans de la période de référence pour le calcul de la retraite ;
- Durcissement des conditions de pré-retraite et de retraite anticipée ;
- A partir de 2027, révision tous les 5 ans des paramètres du système en fonction de l’évolution de l’espérance de vie à 67
ans ;
France :
En France, deux réformes des retraites se sont succédé en 2010 et 2013, sous deux gouvernements différents. La réforme de 2010
visait à rétablir l’équilibre financier en repoussant l’âge légal du départ à la retraite de 60 à 62 ans, pour les personnes nés après le
1er juillet 1951. Cette mesure est entrée en vigueur le 1
er
juillet 2011, date à partir de laquelle l’âge légal a été progressivement
reculé de 4 mois supplémentaires par génération. La réforme Woerth prévoyait aussi que l’âge de la retraite à taux plein soit
progressivement porté à 67 ans d’ici 2023 et alignait le taux de cotisation des fonctionnaires sur celui des salariés du secteur privé.
La réforme de 2013, prévoit, quant à elle, une hausse progressive des cotisations retraites de 0.15 point en 2014 (0.3 pts en 2017),
respectivement pour les salariés et les employeurs. Cette réforme instaure également le report de la date de revalorisation des
pensions retraites d’avril à octobre (hors minimum vieillesse). Enfin, il est prévu que la durée de cotisation soit allongée à 43 années,
à partir de 2020 (2035 pour la retraite à taux plein).
Belgique :
En 2012, la Belgique a réformé les conditions de départ en retraite anticipée. Ainsi, il a été décidé d’augmenter progressivement
l'âge minimal pour en bénéficier de 60 à 62 ans et d’introduire une condition de 40 années de carrière. Le système de prépension
(régime de chômage avec complément d’entreprise) est particulièrement concerné par les réformes. En effet, l'âge minimal requis
passera à 60 ans en 2015 et la durée de carrière minimale à 40 années.
Danemark :
- Augmentation progressive de l’âge de départ à la retraite de 65 à 67 sur la période de 2019-2022
- Mécanisme facultatif de retraite anticipée réduit depuis janvier 2012 : hausse de l’âge ouvrant droit de 60 à 64 ans et
durée de versement des prestations ramenée de 5 à 3 ans.
Finlande :
Pas de réforme depuis 2011.
Suède :
Pas de réforme depuis 2011.
Royaume-Uni :
- Harmonisation de l’âge de départ à la retraite des femmes entre 2016 et 2018, relèvement de l’âge de la retraite pour les
hommes et pour les femmes de 65 à 66 ans entre 2018-2020 et de 66 à 67 entre 2026-2028.
- Surpression de l’âge de mise à la retraite d’office (qui était de 65 ans)
- Mise en œuvre de l’adhésion automatique aux fonds de pension d’entreprise : hausse des cotisations qui passeront de 2%
de la rémunération totale en 2012 à 5% en 2016 et à 8% en 2017.
- Taux de cotisations salariales et taux de cotisations patronales portés de 1 à 2% sur la période 2012-2016. Instauration
d’un crédit d’impôt de 1% pour les cotisations. A partir d’octobre 2017, le taux de cotisation s’élèvera à 3% pour
l’employeur et à 4% pour le salarié.
Italie :
L’âge de départ à la retraite pour l'ensemble des travailleurs sera progressivement repoussé pour atteindre 66 ans et 7 mois d'ici
2018. Depuis 2012, le départ anticipé peut se faire indépendamment de l'âge, après 41 ans et 1 mois de cotisation pour les femmes
et 42 ans et 1 mois pour les hommes, contre 40 ans précédemment.
Le calcul des pensions fondé sur l’ensemble de la carrière et non sur les derniers salaires perçus est étendu à tous les salariés. Fin
de l’indexation des pensions sur l’inflation.
Flash 2014 – 202 - 5
Encadré 1
(suite)
Principales mesures de réformes des retraites
Allemagne :
La coalition formée en décembre 2013 a approuvé un ensemble de mesures qui réorganiseraient le régime de retraite. Les salariés
qui ont cotisé pendant 45 années ou plus à la sécurité sociale pourraient prendre leur retraite dès l'âge de 63 ans, tandis que les
pensions des mères de famille dont les enfants sont s avant 1992 seraient majorées. Un relèvement des pensions d'invalidité est
par ailleurs envisagé. Le financement de ces mesures supplémentaires pèserait sur le régime légal d'assurance retraite, financé par
les cotisations des employeurs et des salariés. Les charges sociales devraient augmenter, passant de 18,3% à 19,1% du revenu
brut à partir de 2019. La réforme doit entrer en vigueur à compter du 1
er
juillet 2014. Selon le projet de loi, son coût sera de 4 Md€ en
2014, 9 Md€ en 2015, 9,3 Md€ de 2016 à 2019, puis augmentera à 9,4 Md€ jusqu'en 2024 puis à 10 Md€ à partir de 2025 jusqu'en
2029, avec une progression finale à 11 Md€ en 2030. Conséquence de cette réforme, repousser l'âge de la retraite à 67 n'est plus
d’actualité en Allemagne.
Irlande (2010) :
Introduit deux principaux changements :
1/ Relèvement de l'âge de départ à la retraite
- de 65 à 66 ans au 1er janvier 2014
- à 67 en 2021
2/ Introduction d’un nouveau régime complémentaire obligatoire pour les travailleurs de plus de 22 ans (sauf s’ils sont déjà membres
d’un régime professionnel) s’ajoutant aux retraites. Le financement de ce nouveau schéma sera réparti entre salarié (4% du salaire),
employeur (2%) et Etat (2%).
Toutes ces politiques structurelles visent à soutenir l’offre de biens et services, à
améliorer la compétitivité, au total à augmenter la croissance potentielle. Mais nous
pensons qu’il faut analyser plus précisément les dangers qu’elles recèlent.
Les risques des
politiques
structurelles
#1 Coût à court terme des réformes structurelles
Beaucoup de réformes structurelles (baisse des salaires réels due à la flexibilité
du marché du travail, hausse des impôts sur la consommation, réduction des
dépenses publiques, réforme des retraites…) réduisent la demande à court
terme. Il faut donc peser leur coût à court terme contre leurs bénéfices à long
terme.
Prenons
le cas des réformes du marché du travail dans les années 2000 en
Allemagne. Elles ont d’abord réduit les salaires réels et la demande des ménages,
puis, avec l’amélioration de l’emploi, de la compétitivité, conduit au mouvement
opposé (graphique 7).
Laquelle des deux évolutions domine l’autre en termes de bien-être ?
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Graphique 7
Allemagne : salaire réel par tête et demande des
ménages (100 en 1998:1)
Salaire réel par tête (déflaté par le prix conso)
Demande des ménages* en volume
Sources : Datastream, Destatis, NATIXIS
(*) consommation +
investissement en
logements des ménages
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