Infirmier en psychiatrie de liaison : développement de la supervision

L’Encéphale
(2013)
39,
232—236
Disponible
en
ligne
sur
www.sciencedirect.com
journal
homepage:
www.em-consulte.com/produit/ENCEP
EN
BREF
Infirmier
en
psychiatrie
de
liaison
:
développement
de
la
supervision
en
milieu
somatique
Liaison
psychiatry
nurse:
The
development
of
supervision
in
somatic
medicine
Y.
Dorogi,
C.
Campiotti,
S.
Gebhard
Service
de
psychiatrie
de
liaison,
CHUV,
rue
du
Bugnon
44,
1011
Lausanne,
Suisse
Rec¸u
le
6
octobre
2011
;
accepté
le
5
juin
2012
Disponible
sur
Internet
le
1er d´
ecembre
2012
MOTS
CLÉS
Supervision
;
Psychiatrie
de
liaison
;
Fonction
contenante
;
Espace
transitionnel
;
Sculpture
vivante
Résumé
Les
soins
somatiques
devenus
de
plus
en
plus
spécialisés
font
face
à
un
nombre
crois-
sant
de
patients
présentant
des
comorbidités
psychiatriques.
Celles-ci
peuvent
entraîner
une
perturbation
des
relations
patient-soignants,
une
diminution
de
la
réponse
aux
traitements
somatiques,
ainsi
qu’une
augmentation
de
l’utilisation
des
soins.
Face
à
ces
constats,
le
service
de
psychiatrie
de
liaison
du
centre
hospitalier
universitaire
Vaudois
à
Lausanne
(CHUV)
a
déve-
loppé
une
approche
réflexive
de
type
supervision
auprès
des
équipes
de
soins
somatiques.
Nous
rendons
compte
ici
de
cette
pratique
et
de
l’importance
de
s’appuyer
sur
plusieurs
modèles,
dans
une
approche
intégrative,
afin
de
mieux
appréhender
la
complexité
qui
se
dégage
de
la
rencontre
entre
le
système
patient
et
celui
des
soins.
La
référence
aux
concepts
de
«
fonction
contenante
»
et
de
«
phénomènes
transitionnels
»,
issues
du
modèle
psychanalytique,
aide
le
superviseur
à
recevoir,
contenir
et
donner
du
sens
aux
affects
qui
émergent
et
s’entrecroisent
dans
cet
espace.
Mais,
l’expérience
nous
montre
que
le
processus
de
compréhension,
pour
qu’il
puisse
être
réellement
intégré,
doit
se
co-construire
entre
tous.
Le
recours
à
des
outils
peu
conventionnels
comme
la
«
sculpture
vivante
»,
issue
de
l’approche
systémique,
permet
au
travers
de
l’expérimentation
partagée,
cette
ouverture
vers
la
découverte
de
pistes
ou
d’hypothèses
pour,
in
fine,
mieux
nous
ajuster
aux
réels
besoins
de
nos
patients.
©
L’Encéphale,
Paris,
2012.
KEYWORDS
Supervision;
Liaison
psychiatry;
Containing
function;
Transitional
space;
Sculpting
Summary
Background.
Over
the
years,
somatic
care
has
become
increasingly
specialized.
Furthermore,
a
rising
number
of
patients
requiring
somatic
care
also
present
with
a
psychiatric
comorbidity.
As
a
consequence,
the
time
and
resources
needed
to
care
for
these
patients
can
interfere
with
the
course
of
somatic
treatment
and
influence
the
patient-caregiver
relationship.
In
the
light
of
these
observations,
the
Liaison
Psychiatry
Unit
at
the
University
Hospital
in
Lausanne
(CHUV)
has
educated
its
nursing
staff
in
order
to
strengthen
its
action
within
the
general
care
hospital.
Auteur
correspondant.
Adresse
e-mail
:
Yves.Dorogi@chuv.ch
(Y.
Dorogi).
0013-7006/$
see
front
matter
©
L’Encéphale,
Paris,
2012.
http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2012.10.007
Infirmier
en
psychiatrie
de
liaison
:
développement
de
la
supervision
233
What
has
been
developed
is
a
reflexive
approach
through
supervision
of
somatic
staff,
in
order
to
improve
the
efficiency
of
liaison
psychiatry
interventions
with
the
caregivers
in
charge
of
patients.
The
kind
of
supervision
we
have
developed
is
the
result
of
a
real
partnership
with
somatic
staff.
Besides,
in
order
to
better
understand
the
complexity
of
interactions
between
the
two
systems
involved,
the
patient’s
and
the
caregivers’,
we
use
several
theoretical
references
in
an
integrative
manner.
Psychoanalytical
reference
The
psychoanalytical
model
allows
us
to
better
understand
the
dynamics
between
the
supervisor
and
the
supervised
group
in
order
to
contain
and
give
meaning
to
the
affects
arising
in
the
supervision
space.
‘‘Containing
function’’
and
‘‘transitional
phenomena’’
refer
to
the
experience
in
which
emotions
can
find
a
space
where
they
can
be
taken
in
and
processed
in
a
secure
and
supportive
manner.
These
concepts,
along
with
that
of
the
‘‘psychic
envelope’’,
were
initially
developed
to
explain
the
psychological
development
of
the
baby
in
its
early
interactions
with
its
mother
or
its
surrogate.
In
the
field
of
supervision,
they
allow
us
to
be
aware
of
these
complex
phenomena
and
the
diverse
qualities
to
which
a
supervisor
needs
to
resort,
such
as
attention,
support
and
incentive,
in
order
to
offer
a
secure
environment.
Systemic
reference.
A
new
perspective
of
the
patient’s
complexity
is
revealed
by
the
group’s
dynamics.
The
supervisor’s
attention
is
mainly
focused
on
the
work
of
affects.
However,
these
are
often
buried
under
a
defensive
shell,
serving
as
a
temporary
protection,
which
prevents
the
caregiver
from
recognizing
his
or
her
own
emotions,
thereby
enhancing
the
difficulties
in
the
relationship
with
the
patient.
Whenever
the
work
of
putting
emotions
into
words
fail,
we
use
‘‘sculpting’’,
a
technique
derived
from
the
systemic
model.
Through
the
use
of
this
type
of
analogical
language,
affects
can
emerge
without
constraint
or
feelings
of
danger.
Through
‘‘playing’’
in
that
‘‘transitional
space’’,
new
exchanges
appear
between
group
members
and
allow
new
behaviors
to
be
conceived.
In
practice,
we
ask
the
supervisee
who
is
presenting
a
complex
situation,
to
design
a
spatial
representation
of
his
or
her
understanding
of
the
situa-
tion,
through
the
display
of
characters
significant
to
the
situation:
the
patient,
somatic
staff
members,
relatives
of
the
patient,
etc.
In
silence,
the
supervisee
shapes
the
characters
into
postures
and
arranges
them
in
the
room.
Each
sculpted
character
is
identified,
named,
and
positioned,
with
his
or
her
gaze
being
set
in
a
specific
direction.
Finally
the
sculptor
shapes
him
or
herself
in
his
or
her
own
role.
When
the
sculpture
is
complete
and
after
a
few
moments
of
fixation,
we
ask
participants
to
express
themselves
about
their
experience.
By
means
of
this
physical
representation,
participants
to
the
sculpture
discover
perceptions
and
feelings
that
were
unknown
up
to
then.
Hence
from
this
analogical
representation
a
reflection
and
hypotheses
of
understanding
can
arise
and
be
developed
within
the
group.
Conclusion.
Through
the
use
of
the
concepts
of
‘‘containing
function’’
and
‘‘transitional
space’’
we
position
ourselves
in
the
scope
of
the
encounter
and
the
dialog.
Through
the
use
of
the
systemic
technique
of
‘‘sculpting’’
we
promote
the
process
of
understanding,
rather
than
that
of
explaining,
which
would
place
us
in
the
position
of
experts.
The
experience
of
these
encounters
has
shown
us
that
what
we
need
to
focus
on
is
indeed
what
happens
in
this
transi-
tional
space
in
terms
of
dynamics
and
process.
The
encounter
and
the
sharing
of
competencies
both
allow
a
new
understanding
of
the
situation
at
hand,
which
has,
of
course,
to
be
verified
in
the
reality
of
the
patient-caregiver
relationship.
It
is
often
a
source
of
adjustment
for
inter-
personal
skills
to
recover
its
containing
function
in
order
to
enable
caregiver
to
better
respond
to
the
patient’s
needs.
©
L’Encéphale,
Paris,
2012.
Introduction
L’activité
des
soins
s’est
profondément
modifiée
ces
der-
nières
décennies.
Le
développement
des
connaissances
et
l’apport
de
nouvelles
technologies
ont
permis
une
approche
de
plus
en
plus
pointue
de
la
médecine,
par-
ticulièrement
au
niveau
des
traitements,
repoussant
les
limites
à
des
niveaux
jusqu’alors
insoupc¸onnés.
Dans
ce
contexte
d’hyper-spécialisation,
nous
identifions
que
les
patients
traités
en
milieu
somatique
présentent
de
manière
croissante
des
pathologies
chroniques
multiples
et
une
pro-
portion
importante
d’entre
eux
(20
à
40
%)
souffre
d’une
comorbidité
psychiatrique.
Celle-ci
diminue
les
bénéfices
des
traitements
somatiques,
la
qualité
de
vie
des
patients,
perturbe
les
relations
avec
les
soignants
et
induit
une
utili-
sation
accrue
des
soins
ainsi
que
la
prolongation
des
séjours
hospitaliers
[1].
Dans
ce
contexte,
le
service
de
psychiatrie
de
liaison
du
centre
hospitalier
universitaire
Vaudois
(CHUV)
s’est
doté
de
compétences
infirmières
afin
de
renforcer
son
action
au
sein
de
l’hôpital
générale.
Comme
l’indique
la
dénomination
anglo-saxonne
Consultation-liaison
psychiatry,
notre
mission
est
d’offrir
des
prestations
psychiatriques
tant
aux
patients
(consultation)
qu’aux
234
Y.
Dorogi
et
al.
soignants
(liaison).
Le
déploiement
de
forces
infirmières
au
sein
d’une
équipe
constituée
essentiellement
de
médecins
psychiatres
et
de
psychologues
avait
pour
but
d’améliorer
l’efficacité
de
nos
interventions
auprès
des
équipes
infir-
mières
en
charge
des
patients.
Le
développement
de
ce
travail
avec
les
soignants,
en
amont
et
en
aval
des
consultations
auprès
des
patients
[2]
était
aussi
motivé
par
un
besoin
d’efficience
des
moyens
mis
à
disposition.
En
effet,
face
à
ce
vaste
territoire
sur
lequel
nous
intervenons
(environ
900
lits),
il
devenait
prioritaire
de
centrer
nos
actions
de
liaison
sur
les
équipes
soignantes.
En
psychiatrie
de
liaison,
la
supervision
représente
sou-
vent
l’approche
la
plus
aboutie,
ou
dans
tous
les
cas,
l’issue
d’un
long
travail
d’apprivoisement
avec
les
équipes
qui
en
font
la
demande.
C’est
à
partir
de
celles
offertes
aux
équipes
infirmières
et
aux
équipes
pluridisciplinaires
que
nous
aborderons
comment
s’est
construite
cette
approche,
menée
par
l’infirmier
en
psychiatrie
de
liaison
seul
ou
en
binôme
avec
un
médecin
psychiatre.
Le
soin
:
La
rencontre
entre
deux
systèmes,
patient
et
soignants
Dans
ce
contexte
les
traitements
sont
spécifiques,
poin-
tus,
lourds,
invasifs
et
intensifs,
le
soin
n’en
reste
pas
moins
une
expérience
partagée
intersubjective
qui
se
co-construit
dans
la
rencontre
entre
le
«
système
patient
»
et
le
«
système
soignants
»
[3].
Comme
nous
l’avons
vu,
plusieurs
facteurs
peuvent
perturber
la
relation
avec
les
soignants.
Mais
la
problématique
relationnelle
est
comme
la
partie
visible
de
l’iceberg,
lui-même
constitué
des
deux
faces
que
sont
ces
deux
systèmes.
Ces
difficultés
s’expriment,
par
exemple,
par
un
refus
de
soins
ou
par
de
l’agressivité.
Elles
ne
sont
en
réalité
que
les
symptômes
émergents
d’une
problématique
plus
profonde.
Le
patient
hospitalisé
est
en
position
de
vulnérabilité
face
à
ce
qui
lui
arrive.
Ses
réactions
et
comportements
vont
dépendre
de
plusieurs
facteurs,
notamment
des
traits
de
sa
personnalité,
son
histoire
médicale,
familiale
et
per-
sonnelle,
ses
mécanismes
adaptatifs
(coping)
et
défensifs,
sa
culture,
ses
croyances,
ses
représentations
de
la
mala-
die,
etc.
Comprendre
son
comportement,
quel
qu’il
soit,
ne
peut
se
faire
sans
une
exploration
de
son
propre
système
pour
permettre
de
situer
le
patient
comme
sujet
dans
son
contexte
particulier.
Le
«
système
soignant
»
est
régi
lui
aussi
par
ses
propres
règles,
normes,
valeurs,
croyances,
rituels
en
fonction
du
service
dans
lequel
les
soignants
évoluent.
C’est
dans
la
rencontre
de
ces
deux
systèmes
que
peuvent
émerger
des
décalages
importants,
comme
par
exemple
des
attentes
réciproques
non
formulées,
source
de
difficultés
[4].
La
fonction
contenante
et
l’espace
intermédiaire
La
fonction
contenante
fait
référence
à
l’expérience
dans
laquelle
la
vie
émotionnelle
troublée
trouve
un
espace
elle
peut
être
rec¸ue
et
contenue.
Cette
notion,
associée
à
celle
d’enveloppe
psychique,
a
été
développée
par
de
nom-
breux
auteurs,
tels
Winnicott
[5]
et
Bion
[6,7]
pour
expliquer
le
développement
psychique
du
bébé
dans
ses
relations
pré-
coces
avec
la
mère
ou
son
substitut.
Le
psychisme
du
bébé
a
besoin
de
la
relation
à
l’Autre
pour
se
développer
car
il
est
assailli
par
des
sensations
inédites
et
puissantes
et
par
forcément
angoissantes
que
son
immaturité
ne
lui
permet
pas
de
contenir.
La
mère,
par
son
soutien
(holding),
ses
soins
(handling),
sa
«
capacité
de
rêverie
»
[6,7]
doit
pouvoir
mettre
en
mots
et
contenir
ce
qu’elle
perc¸oit
des
états
physiques
et
psychiques
de
son
enfant,
de
même
qu’elle
doit
faire
le
lien
entre
ses
besoins
et
son
environnement.
Le
psychisme
de
l’enfant
grandissant
dans
un
environnement
sécurisé,
pourra
lui-même
se
mettre
à
métaboliser
peu
à
peu
les
expériences
vécues
et
avoir
un
bon
développement
psycho-corporel.
C’est
d’abord
par
des
sensations
corporelles
et
motrices
au
travers
des
échanges
de
signaux
physiques
et
infra
verbaux
qu’il
se
construit.
L’enfant
pense
en
symboles
avant
de
penser
en
paroles
[8].
La
logique
symbolique
est
en
lien
direct
avec
les
sensations
corporelles.
C’est
ensuite
que
la
logique
rationnelle
appa-
raît.
Pour
que
ce
processus
complexe
puisse
se
faire,
l’objet
contenant
doit
développer
différentes
qualités
:
l’attention
de
la
mère
envers
son
bébé,
qui
se
réalise
par
le
soutien,
le
soin,
et
la
capacité
de
mentalisation
;
la
sollicitation
de
la
mère
qui
attire
son
bébé
vers
des
niveaux
d’organisation
et
d’expérience
plus
élevés
;
la
rythmicité
du
soutien
et
des
soins
afin
de
garantir
une
certaine
continuité
[9].
L’espace
intermédiaire
fait
référence
à
Winnicott
[10]
qui,
avec
son
concept
d’aire
transitionnelle,
lie
l’expérience
originelle
infantile
de
la
relation
à
autrui
et
au
monde,
l’expérience
culturelle
et
l’expérience
psychothérapeu-
tique.
Cette
«
troisième
aire
»
est
un
espace
d’illusion,
un
espace
paradoxal,
intermédiaire
qui
se
situe
entre
la
mère
et
le
bébé,
entre
les
réalités
externe
et
interne,
entre
le
subjectif
et
l’objectif.
«
Les
phénomènes
transitionnels
représentent
les
premiers
stades
de
l’utilisation
de
l’illusion
sans
laquelle
l’être
humain
n’accorde
aucun
sens
à
l’idée
d’une
relation
avec
l’objet
[.
.
.]
»
[10].
Winnicott
étendra
ce
concept
aux
expériences
que
peuvent
vivre
les
adultes
:
l’aire
de
l’expérience
culturelle
figurée
par
le
jeu,
l’humour
et
l’expérience
artistique.
«
Il
existe
un
développement
direct
qui
va
des
phénomènes
transitionnels
au
jeu,
du
jeu
au
jeu
partagé
et,
de
là,
aux
expériences
culturelles
»
[10].
Le
jeu
(playing)
est
lié
à
la
présence
d’un
environnement
facilitateur,
qui
le
soutient
et
qui
le
maintient.
«
La
psy-
chothérapie
se
situe
en
ce
lieu
deux
aires
de
jeux
se
chevauchent,
celle
du
patient
et
celle
du
thérapeute.
En
psychothérapie,
à
qui
a-t-on
affaire
?
À
deux
personnes
en
train
de
jouer
ensemble
»
[10].
Supervision
:
espace
d’expérimentation
et
de
découverte
Dans
notre
expérience,
il
nous
est
apparu
nécessaire
de
nous
appuyer
sur
ces
concepts
pour
nous
aider
à
recevoir,
conte-
nir
et
donner
du
sens
aux
affects
des
uns
et
des
autres,
dans
un
espace
intermédiaire
ou
espace
de
parole
[11].
En
effet,
le
«
symptôme-comportement
»
est
l’expression
d’une
souffrance
«
invisible
»
qui
s’exprime
dans
la
ren-
contre
soignant-soigné
dans
un
contexte
particulier.
Nous
pouvons
donc
déjà
faire
l’hypothèse
que
le
dispositif
de
soin,
pour
des
raisons
diverses,
n’a
pu
permettre
la
mise
en
mots
Infirmier
en
psychiatrie
de
liaison
:
développement
de
la
supervision
235
de
maux
plus
profonds.
Mais
quoi
de
plus
difficile
pour
un
soignant
que
de
se
confronter
à
ses
limites,
à
son
impuis-
sance,
à
son
désarroi
lorsqu’il
perc¸oit
le
malaise
l’autre,
le
patient,
est
le
sujet
en
souffrance.
L’infirmier
en
psychia-
trie
de
liaison
est
donc
confronté
à
deux
souffrances,
celle
du
patient
qui
n’a
pu
être
contenue
et
celle
du
soignant
qui
doit
être
contenue
[12].
L’objectif
est
de
permettre
au
soignant
de
se
réapproprier
ses
compétences
relation-
nelles
afin
qu’il
puisse
à
nouveau
exercer
son
«
savoir-être
»
et
rencontrer
les
réels
besoins
du
patient.
Ce
travail
de
groupe,
demande
au
superviseur
une
atten-
tion
particulière
et
une
responsabilité
quant
au
respect
de
la
«
zone
personnelle
»
des
participants,
la
mise
en
perspec-
tive
de
la
complexité
du
patient
et
l’appui
sur
la
dynamique
du
groupe
[13].
L’attention
est
portée
surtout
sur
le
travail
des
affects.
Ceux-ci
sont
souvent
enfouis
sous
une
cara-
pace
défensive.
Une
protection
temporaire
qui
piège
le
soignant
dans
la
non-reconnaissance
de
ses
propres
émo-
tions,
phénomène
qui,
bien
malgré
lui,
accentue
la
difficulté
relationnelle.
Lorsque
ce
travail
de
mise
en
paroles
des
émo-
tions
ne
va
pas
de
soi,
nous
pouvons
passer
par
la
logique
symbolique.
Le
sculpting
(ou
sculpture
vivante),
outil
utilisé
comme
objet
flottant
dans
les
approches
systémiques,
technique
développée
notamment
par
Onnis
[3]
et
par
Caillé
et
Rey
[14],
peut
être
utilisé
dans
ce
cadre
afin
de
permettre
l’expression
d’affects
dans
un
environnement
sécurisant
et
contenant.
Au
travers
du
langage
analogique,
il
permet
sur-
tout
une
rencontre
se
créent
de
nouveaux
échanges,
un
espace
«
intermédiaire
de
jeu
»
entre
toutes
les
personnes
en
présences
pour
«
[.
.
.]
inventer
de
nouveaux
comporte-
ments,
se
découvrir
eux-mêmes
»
[14].
Pratiquement,
nous
demandons
à
l’intervenant
qui
a
pré-
senté
une
situation
qui
l’interroge
et/ou
lui
pose
problème,
une
représentation
spatiale
de
sa
propre
compréhension
de
la
problématique
à
travers
la
disposition
corporelle
des
personnes
significatives
:
membres
de
l’équipe
soignante
pluridisciplinaire,
patient,
proches,
réseau
ambulatoire.
En
silence,
il
modèle
les
personnages,
en
demandant
au
préa-
lable
l’accord
des
participants
concernés
de
jouer
le
jeu,
dans
des
postures
qu’il
créera
et
disposera
dans
l’espace.
Chaque
personnage
sculpté
est
identifié,
nommé
;
la
posture
est
affinée,
les
regards
sont
précisés
et
le
sculpteur-
intervenant
se
modèle,
dans
son
propre
rôle,
en
dernier.
Après
quelques
instants
de
fixation
et
une
fois
la
sculp-
ture
terminée,
nous
demandons
à
chacun
son
propre
vécu.
Ainsi,
à
partir
de
cette
représentation
analogique,
s’ouvrent
une
réflexion,
des
hypothèses
de
compréhension
qui
se
co-construisent
entre
tous,
participants
à
la
sculpture
et
spectateurs.
Nous
pouvons
ensuite
proposer
d’en
refaire
une,
afin
d’initier
un
changement
mais
surtout
d’augmenter
les
choix
possibles.
Illustration
clinique
Cette
supervision
animée
par
un
infirmier
et
un
médecin
du
service
de
psychiatrie
de
liaison
s’est
faite
en
présence
de
trois
médecins
et
de
cinq
infirmier(ère)s
d’une
équipe
somatique
des
soins
intensifs.
Avant
même
de
nous
exposer
la
problématique,
le
médecin
de
cette
équipe
nous
demande
d’organiser
une
Figure
1
Sculpture
vivante.
consultation
pour
«
.
.
.évaluer
ce
patient
car
il
souffre
d’un
grave
trouble
de
la
personnalité.
.
.
».
Paul
est
un
cadre
supérieur
de
l’industrie
agro-
alimentaire.
Il
a
54
ans,
est
marié
et
père
de
deux
filles
de
26
et
24
ans.
En
bonne
santé
habituelle,
il
n’avait
jamais
été
hospitalisé
avant
d’être
admis
en
urgence
deux
jours
plutôt
en
raison
d’un
infarctus
du
myocarde
étendu.
Sous
surveillance
médicale
étroite
dans
l’unité
des
soins
inten-
sifs,
Paul
se
montre
très
irascible,
critiquant
les
soins
qui
lui
sont
prodigués
et
remettant
en
question
la
compétence
des
soignants.
À
plusieurs
reprises,
il
menace
de
quitter
l’hôpital
et
il
ne
se
ravise
qu’après
la
venue
d’un
cadre
médical
à
son
chevet
pour
confirmer
l’adéquation
des
soins
prescrits.
Rapidement
nous
comprenons
que
la
problématique
qui
nous
est
présentée
et
pour
laquelle
il
nous
est
demandé
d’agir,
est
l’expression
d’une
tension
qui
s’opère
dans
la
ren-
contre
entre
les
deux
systèmes
que
sont
celui
des
soignants
et
celui
du
patient.
Le
discours
très
rationnel
des
soignants
et
leur
compréhension
de
la
problématique
nous
permet
de
voir
comment
la
dimension
affective
a
été
mise
de
côté.
À
la
lumière
de
nos
propres
affects
suscités
dans
la
dynamique
de
cette
supervision,
nous
pouvons
faire
l’hypothèse
que
cette
équipe
ressent
de
l’agacement
face
à
la
non-reconnaissance
de
leurs
compétences,
de
l’inquiétude
face
aux
réels
risques
somatiques
de
Paul
et
de
l’impuissance
face
à
ces
compor-
tements
qui
mettent
à
mal
leur
mission
de
soins.
Le
risque
pour
les
superviseurs
serait
de
donner
d’emblée
une
expli-
cation
psychologique
voire
psychiatrique
de
la
situation
sans
tenir
compte
du
vécu
affectif,
non
élaboré,
des
soignants.
La
sculpture,
représentée
ci-dessus,
est
construite
par
un
infirmier
qui
s’est
beaucoup
investi
auprès
du
patient.
Paul
est
joué
par
un
médecin,
debout
les
mains
le
long
du
corps
il
regarde
l’infirmier
agenouillé
devant
lui.
Celui-ci
dans
son
propre
rôle
a
les
mains
sur
ses
genoux
regardant
devant
lui
au
travers
des
jambes
du
patient.
Derrière
lui,
l’épouse
du
patient,
jouée
par
une
infirmière,
est
sculptée
debout,
dos
à
la
scène
regardant
au
loin
par
la
fenêtre
(Fig.
1).
Par
ce
travail
corporel
les
personnes
sculptées
découvrent
des
perceptions
et
des
affects
qui
leur
étaient
jusque
inconnus.
Le
médecin
qui
a
joué
Paul
a
ressenti
de
la
peur,
de
la
solitude
et
de
l’incompréhension.
L’infirmier,
dans
son
propre
rôle,
a
perc¸u
un
fort
senti-
ment
d’impuissance
en
plus
de
perceptions
corporelles
236
Y.
Dorogi
et
al.
d’inconfort
liées
à
sa
position.
Quant
à
l’infirmière,
qui
a
joué
l’épouse,
elle
a
senti
une
forte
angoisse
de
mort.
C’est
à
partir
de
cette
expérience
vécue
et
de
ce
maté-
riel
que
nous
co-construisons
tous
ensemble
une
hypothèse
de
compréhension
de
la
problématique
exposée.
Les
parti-
cipants
se
reconnaissent
dans
ce
sentiment
d’impuissance
et
identifient
que
leur
réaction
d’agacement
ne
leur
per-
mettait
pas
de
décrypter
entièrement
les
comportements
de
Paul
comme
une
réaction
défensive
inconsciente
face
à
ce
qui
lui
arrive.
D’ailleurs,
nous
pouvons
faire
l’hypothèse
que
l’inquiétude
légitime
de
Paul
est,
en
faite,
dirigée
sur
son
épouse
et
ses
filles.
Celles-ci,
selon
les
dires
d’un
infir-
mier,
étaient
extrêmement
angoissées
et
en
pleurs
lorsqu’il
les
avait
accueillies
pour
une
visite.
Cette
nouvelle
représentation
de
la
situation
opère
une
modification
dans
la
posture
même
des
collègues
de
l’unité
des
soins
intensifs.
Le
changement
qui
s’est
fait
leur
per-
mettra
d’appréhender
Paul
et
sa
famille,
dans
toute
leur
complexité.
Conclusion
En
nous
appuyant
sur
ces
concepts
d’objet
contenant
et
d’espace
transitionnel,
nous
nous
situons
résolument
dans
le
champ
du
dialogue,
de
l’ouverture
et
de
la
rencontre.
Nous
privilégions
le
processus
de
compréhension
au
détriment
du
processus
explicatif
qui
nous
mettrait
dans
une
position
d’expert.
L’expérience
de
ces
rencontres
nous
montre
que
c’est
bien
sur
ce
qui
se
joue
dans
cette
espace
intermé-
diaire,
en
termes
de
dynamique
et
de
processus,
que
doit
porter
toute
notre
attention.
La
rencontre
et
le
partage
de
l’ensemble
des
compétences
permettent
une
nouvelle
compréhension
de
la
situation.
Celle-ci
doit
bien
entendu
être
vérifiée
dans
la
pratique
de
la
relation
soignant-soigné.
Elle
est
bien
souvent
source
d’ajustements,
le
savoir-
être
peut
à
nouveau
«
jouer
»
sa
fonction
contenante,
afin
de
répondre
au
mieux
aux
réels
besoins
du
patient.
Déclaration
d’intérêts
Les
auteurs
déclarent
ne
pas
avoir
de
conflits
d’intérêts
en
relation
avec
cet
article.
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Caillé
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Paris:
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Fabert;
2004.
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