Approche socio historique des systèmes médiatiques Valérie Patrin Leclère
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1. LES TRANSFORMATIONS MEDIATIQUES
Les médias sont des dispositifs de prédilection en sciences de la communication.
Objet important pour les chercheurs, mais le grand public a aussi un avis sur les médias
objet de fascination, avec rapport souvent paradoxal puisqu’objet de répulsion aussi
(exemple de la télévision). Approche exponentielle des médias, qui va de paire avec la
montée en puissance de la société de communication. Plus seulement des médias de
masse émanant d’institutions, un média peut être un individu.
Entreprises qui n’ont rien n’a voir avec les médias s’affranchissent, prennent la
main sur les systèmes de médiatisation en fabriquant leurs propres médias.
Bouleversement majeur, et phénomène en voie d’accélération, avec creuset entre réalité
de l’hyper médiatisation et crise accrue des entreprises médiatiques. Télévision, tout
comme la presse, connaît de grosses difficultés : Envy/Grazia ; concurrence de la TNT…
Déstabilisation, instabilité, logique de crise.
Murddock, à la tête de NewsCorp, a annoncé il y a un an qu’il envisageait de
rendre payant les contenus internet payants. Contenu gratuit suppose en effet pas de
rentabilité, pas de point d’équilibre avec la vente d’espaces publicitaires. Ces contenus
sont devenus payants depuis Juin ; ils ne sont pas vendus chers, mais toujours vente à
perte. Question : combien de visiteurs gratuits vont se transformer en abonnés ? (on
mise sur 10% maximum…).
Autre exemple, le groupe du NY Times, crée en 1896, image excellente,
journalisme d’enquête, 1 million d’exemplaires vendus par jour, puissance mondiale
importante. Et pourtant il a réduit sa masse salariale et les revenus de ces derniers.
Vacillement donc, les lecteurs vont vers les contenus gratuits sur Internet. On peut
constater que le NYT est un des titres les plus innovants qui soit : investit sur le net en
1995, pilote sur les fils Twitter et les applications mobiles, équipe de recherche qui
travaille sur les modèles de la presse… Pourtant toujours pas de modèle économique
trouvé… Le Washington Post a fermé tous ses bureaux locaux : 24 500 emplois de
journalistes perdus aux US.
Pas de solution donc apparemment dont on pourrait s’inspirer, y compris outre
atlantique. Stand up for Journalism : journée européenne les syndicats ont écrit un
lettre significative à Sarko. 2300 journalistes sur 38 000 au chômage en 2009 (que sur
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journalistes ayant carte de presse, suppose un salaire important…). Moins de
journalistes = moins d’enquêtes, moins d’investigations… Changements aussi pour ceux
qui ont gardé leur emploi : pressurisation des équipes, temps d’enquête raccourcis…
Transformations techniques (numériques…), dans les usages : corrélation. Le
contenu médiatique circule plus, télévision à la carte, pourtant c’est mal vendu : il est
facile de le vendre quand on sait qui est la cible et quand est ce qu’elle consomme.
Incapacité pour les instituts d’identifier l’audience, problèmes donc pour ceux qui
achètent les mesures d’audience (publicité). Transformations à tous les niveaux de
pratique professionnelle.
Dépendance des médias aux annonceurs, mais elle existe aussi quand beaucoup
de revenus émanent de la publicité, incidence sur le contenu médiatique. Pas seulement
un modèle de financement. Il faut réussir à comprendre que la nature de l’information, la
forme d’un magazine, les sites internet consultés, soit la totalité de la production
médiatique accessible est influencé.
Exemples de phénomènes médiatiques récents qui montrent que l’approche
sociologique ne suffit pas lorsque l’on veut comprendre ce qui se passe dans les médias.
Au début des années 2000, US : multiplication des médias ethniques, explosion de
ces derniers (Californie 24 en 1996, plus de 400 en 2002). Au niveau socio : montée en
puissance des communautarismes dans la société observée. Pourtant il faut aussi se
demander comment est financé un média par la pub ? Communautés ont enfin moyens
financiers de faire vivre les médias comme elles le souhaitaient. Marketing de masse
marketing qui s’intéresse aux communautés. Revenu annuel peut être inférieur, mais
dépenses plus importantes sur certains secteurs en grande surface par exemple
(alimentation, habillement). Budget dédié et segmenté.
Boom des séries télé dans les 90 en France. Tradition depuis les 30 du soap opéra
à la radio puis à la TV mais souffre de son propre modèle économique et publicitaire.
Programmes fournis clés en main adressés aux cibles des lessiviers, toucher des femmes
au foyer qui peuvent regarder ou écouter sans regarder, donc système narratif
spécifique, micro histoire, résumés des épisodes précédents dans la bouche des acteurs
en train de dialoguer… But n’était pas de placer des produits mais passer les pubs avant
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et après les programmes, pendant les coupures selon le modèle de diffusion à
l’américaine. Prolongement et renouveau : telo novella. Perte de vitesse pour soap opéra
car annonceurs qui finançaient sont en grave crise (constructeurs automobiles), modèle
économique qui ne marche plus.
Dans les 90 on subtilise aux programme multi diffusés du prime time (Julie
Lescaut, Navarro…). Nouveau type de programme pour nouveau type de société ? Point
de vue sociologique. Nouveau rapport entre la chaine de TV et le spectateur. RDV donné
au spectateur. Héros de la quotidienneté : métier à risques, mais problèmes de couples,
d’argent… identification possible. Nouveau mode d’écriture scénaristique, le héros ne
peut pas mourir… On connaît l’issue, incidence sur les formes de suspense. Pourquoi ce
type de production est apparu ?
Changement majeur dans chaines TV à la fin des années 80, monopole public
privatisation. On comprend la nécessité de l’élaboration d’une logique d’audience
(quantifier et identifier public pour satisfaire les annonceurs). Autre élément clé dans
écriture de synopsis : un programme conçu pour le cinéma paraît excluant, par nature il
ne correspond pas nécessairement à public familial du prime time. Plus facile aussi de
préparer coupure publicitaire quand on écrit un scénario de série pour la TV. Il faut
fabriquer de la continuité : le spectateur doit rester et revenir. CF aux US l’on peut
couper autant qu’on veut avec de la pub (cut noir très fort dans les séries). En France
habitude du format 52 minutes, dont 8 minutes de pub par heure : seulement pas de
coupure possible pour les fictions sur la chaines nationales donc fleurissement des
soirées à deux épisodes (soirées deux polars de France 3 par exemple). Public d’une
série plus conciliant (exemple : scénario plus faible au début est possible ; pour un film
si on aime pas au bout de 10 minutes, on ne regarde pas)
Changement moins lié à transformation sociologique qu’à effort d’investissement
inédit des diffuseurs. On produit mieux, on investit plus, on prend des acteurs du
cinéma, on finance des fresques historiques retour sur investissement audience
minimale garantie.
Exemple de la télé réalité aussi : fin des 90 en Europe du Nord (Big Brother en 99
aux Pays Bas et Robinson en 98 en Suède). Love story adapté de BB en France en 2001.
Robinson : Koh Lanta, Survivor… Un concept, plusieurs variantes : mise en scène de
personnes sélectionnées pour participer à une expérience de vie, motivées par
médiatisation et célébrité, période longue, beaucoup de caméras. Aboutissement de la
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logique de passage fiction cinéma fiction télé. Equivalent de la série. Logique de jeu,
élimination progressive, promesse de gain en général. Spectateurs invités à participer
directement au processus d’élimination. Diffusion construite en épisodes comme pour
feuilleton (période de tournage longue pour période de diffusion longue aussi, plusieurs
semaines voire plusieurs mois innovation).
En 2001, détonateur lors de l’arrivée de la TR. Beaucoup de commentaires
portent sur le caractère innovant, mais pour le critiquer. On s’est posé sur un terreau
sociologique : qu’est que cela traduit de l’évolution de la société française ? Dénonciation
de l’exhibitionnisme, du voyeurisme consécutif, du décalage entre la promesse
d’authenticité et de transparence du programme et ce que l’on voyait, soit la plupart du
temps des jeux d’acteurs, enfermement dans un stéréotype, scénarisation grâce à la
construction des épisodes… Manipulation, feintise, fabrication. Présenté comme
expérience sociale au départ ! Instrumentalisation de la science (le psychologue qui
décrypte…) et mise en place de scientifiques pantins.
Point de vue économique : point de non retour dans l’histoire de la TV.
Caractéristiques de la TR ? Un même programme est déclinable sur plusieurs semaines,
horaires différents (deux quotidiennes, une hebdo en prime time). Temps d’antenne
inédit ! Diversification des supports médiatiques : diffusion sur chaine payante, direct
légèrement différé qui permet de regarder 24h/24, site web, magazine… vente d’espaces
publicitaires favorisée par le format de diffusion (pub inséré au moment du suspense…
cf plus haut sur série) pas une fiction ! Captation du public la plus intense, plus forte
audience, au moment où l’on va savoir qui sort du Loft par exemple… prix de vente pub a
pu triplé (de 20 000 à 70 000 euros les 30s). Patron TF1 a décrié arrivée de la télé
poubelle : M6 était encore à ce moment la chaine musicale pour les jeunes (+séries
américaines). Différentiel alors très avantageux par rapport au cout de production de
TF1, et M6 devient chaine généraliste grâce au Loft : font venir annonceurs qui n’étaient
jamais venu, et même prix voire plus cher que sur TF1.
TR appréciée par les annonceurs car effet de contexte favorable à insertion
publicitaire : personnages oisifs, qui ne connaissent pas, veille du CSA, pas le droit de
boire, de parler politique… conversations limitées : beauté, mode, nourriture (très
limitée au niveau gustatif, ne peuvent pas acheter ce qu’ils aiment, seulement liste de ce
qu’ils voudraient, et challenges pour l’obtenir conversations orientés). Or annonceurs
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en prime time sur chaine généraliste sont les mêmes. Pub n’est alors plus interruption,
pas de rupture sémiotique, mais construction thématique, idéologique et esthétique.
Télé crochet a aussi lien très fort avec la consommation : pas imaginaire de
l’artiste comme exclu de la société, se sentant en marge… Magnificence du corps, reprise
de chanson… on le construit comme rêvant de la célébrité des stars de la chanson.
Argent, voitures, marques, vont de pair avec cette célébrité, donc idéal type de
consommation est aussi diffusé. De même pour Koh Lanta ou la Ferme Célébrités, mise
en scène de la consommation : ils passent leurs temps à parler du confort de la vie
moderne (on filme des entrecôtes qui ont été gagnées…) et pendant la pub, mise en
avant du même produit !
Permet aussi de vendre produits dérivés : jeux, lignes de vêtements, concours,
places de concerts… aboutissement d’une logique de marque, ils sont construits comme
des marques et les produits dérivés sont des extensions de la marque. Avant moins
d’identité visuelle, pas des productions marchandes destinés à circuler au maximum en
dehors de la télé, seulement identité éditoriale. Chaines s’adressent alors à un
consommateur : que le spectateur aime ou pas, peu importe, ce qui comptent c’est qu’il
consomme. Avant, on veillait à ce que le programme plaise, TF1 avait ce discours
comme quoi l’offre correspondait à la demande. Grande réussite de M6 et de Endemol
d’avoir réussi à adjoindre des publics qui n’étaient pas les leurs (vous êtes parents,
grands parents, vous voulez comprendre comment vivent vos enfants, les comprendre…
venez regardez). Mais le plus étonnant : les critiques se sont adjoints au public. Succès
d’audience tel que les sociologues ont du regarder et essayer de comprendre + ceux qui
ont fini par aller voir par curiosité, pour comprendre le boom. Industrialisation de la
critique : plus les gens critiquaient, plus ils étaient un moteur d’audience pour la chaine,
si bien que les gros annonceurs ont payés de gros spots très chers.
Très fort mais aussi très pervers : regard cynique sur le TV, distance critique qui a
poussé un discours général qui consiste à dire : je regarde mais je n’aime pas.
Consommation massive ! Mais scepticisme : on est manipulé…
Pas nécessairement de continuité possible donc, par exemple pour Loft 2, difficile
de faire plus de bruit et de critique que le premier… le système d’auto critique et de mise
en abime s’essouffle.
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