Les remarquables propriétés magnétiques des suspensions nématiques de goethite (α−FeOOH) Bruno Lemaire, étudiant en thèse J.Ferré, L.Fruchter, J.P.Jamet, D.Petermann Lab. de physique des Solides, Bât. 510, UPS Orsay J.P.Jolivet, Lab. Chimie de la Matière Condensée Univ. Paris 6-Jussieu I.Dozov, D.Stoenescu, Société Nemoptic P.Panine, European Synchrotron Radiation Facility Plan • Introduction sur les cristaux liquides minéraux • Synthèse et caractérisation des nanoparticules de goethite • Les suspensions de goethite forment un cristal liquide Diffusion des rayons X et structure Modèle d’Onsager Simulations numériques • Des propriétés magnétiques étonnantes Forte susceptibilité magnétique Réorientation sous champ magnétique • Phase isotrope sous champ magnétique Mesure de la biréfringence Rappel historique Interprétation • Phase nématique sous champ magnétique Transition de Frédériks Instabilité de réorientation • Phase colonnaire • Problèmes et perspectives • Conclusion Cristal liquide lyotrope nématique • Suspension de particules anisotropes • orientation collective isotrope nématique « antinématique » (cas d’école) directeur directeur θ S=0 S entre 0 et 1 S entre - 0,5 et 0 Caractérisation de l'orientation : • Distribution d’orientation f(θ) • paramètre d'ordre S=(3<cos2θ> −1)/2 1er moment non nul de f(θ) Cristal liquide lyotrope : contrôlé par la concentration T ~100 °C ~0 °C coexistence isotrope (isotrope + nématique) nématique fraction volumique φ Les cristaux liquides minéraux Suspensions d’objets minéraux anisotropes : • Polymères rigides (Li2Mo6Se6, imogolite) • Rubans demi-flexibles (V2O5) • Plaquettes (argiles, gibbsite, H3Sb3P2O14) • Cristallites en forme d’aiguilles (boehmite) : système modèle pour la physique de l’ordre nématique Des phases cristal-liquides nématique, lamellaire et discotique hexagonale formées de minéraux ont déjà été observées. Intérêt : cristaux liquides très différents des systèmes organiques usuels par leur constitution chimique Applications : Dans l’industrie, sans le savoir (Kodak) ou, plus académique, détermination de la structure des protéines par RMN (le milieu ne donne aucun signal) Perspectives: utilisation des propriétés électroniques des éléments de transition (magnétisme, conductivité …) Synthèse de la goethite par chimie douce Collaboration avec Jean-Pierre Jolivet et Agnès Pottier (Laboratoire de chimie de la matière condensée, Jussieu) précipitation croissance des particules contrôle de la taille (pH=11, 10 jours) NaOH Fe(NO 3) 3 (400 mL) précipité puis particules de goethite stabilité colloïdale (éviter agrégation) : lavage et passage en milieu acide (HNO3) A pH=3, charge de surface maximale cristal liquide : concentration de la suspension isotrope (5 mL) nématique Identification de la goethite Diagramme de poudre de films séchés : Toutes les réflexions correspondent à la goethite Nanoparticules de goethite pure Taille et structure des nanoparticules 100 nm 50 nm Microscopie électronique à transmission (M. Lavergne, Jussieu) Dispersion de taille gaussienne : écart-type/taille moyenne ~ 0,4 25 nm (MET et X poudre) 10 nm (X poudre) 150 nm (MET) Structure cristalline : Fe dans sites octaédriques Spins parallèles à la longueur Couplage antiferromagnétique Propriétés magnétiques des particules de goethite χ χ// Coey et al, J. Phys. Condens. Matter 7 (1995) 759 Structure magnéto-cristalline Axe de facile aimantation Moment magnétique rémanent Materiau antiferromagnétique à quatre sous-réseaux : Facile aimantation suivant l’épaisseur La goethite, cristal liquide nématique Textures nématiques (microscopie entre polariseurs croisés) 200 µm 500 µm Coexistence de phases équilibre thermodynamique, transition du 1er ordre 1 mm isotrope B=0 Fractions volumiques à la coexistence : 5,5 et 8,5 % nématique isotrope Nématique aligné B = 200 mT nématique « Isotrope » très biréfringent ! Rayons X aux petits angles H échantillon caméra CCD ou plaque RX de longueur d’onde λ D Diffusion principalement dans le plan orthogonal aux particules Désordre positionnel de liquide : anneau ou pics diffus Isotrope : désorientation anneau diffus Nématique : ordre d’orientation croissants voire pics B faible (30 mT) Cliché de nématique q Distance moyenne entre particules ~ d ~d ψ B q0 = 2π/d = 2π/(50 nm) Ajustement par l’intensité correspondant à une distribution modèle -> paramètre d’ordre élevé S ~ 0,9 Le modèle d’Onsager pour la transition isotrope-nématique Modèle de mécanique statistique : liquide de cylindres rigides, très anisotropes (longueur L, diamètre D) Interaction : répulsion de cœur dur (i.e. volume exclu) (développement du viriel au 2e ordre) -> système athermal Equilibre entre entropies d’orientation et de translation -> transition du 1er ordre Fractions volumiques à la coexistence : Φiso = 3,3 D/L Φném= 4,2 D/L Paramètre d’ordre élevé à la transition : S = 0,80 T ~100 °C ~0 °C coexistence isotrope (isotrope nématique + nématique) φiso φném φ Accord qualitatif avec le modèle d'Onsager : - coexistence de phases (transition du 1er ordre) - système athermal - paramètre d'ordre élevé : 0,9 - mais fractions volumiques calculées trop élevées (~55 % et 70 % pour des mesures de 5,5 et 8,5 %) Le modèle d’Onsager avec correction électrostatique Dans une suspension colloïdale, répulsion électrostatique entre particules (pression des contre-ions) Modélisation de cette interaction par un diamètre effectif qui dépend de : - la charge de surface, - la force ionique. L D Deffectif Fractions volumiques à la coexistence avec cette correction : Φiso = 35 % Φném= 45 % Désaccord, car les particules ne sont pas assez allongées. Comparaison avec les simulations numériques de sphérocylindres L Sphérocylindre Deff P. Bolhuis et D. Frenkel, J. Chem. Phys. 106 (1997) 666 AAA ABC, AAA, P : solides I : isotrope N : nématique Sm : smectique I Fractions volumiques à la coexistence prédites : ~16% Accord semi-quantitatif avec les mesures : 5,5 et 8,5 % Problèmes : particules non-cylindriques et polydispersité B.Lemaire et al, Eur. Phys. J. E, 13, 309 (2004). Propriétés étonnantes : forte susceptibilité au champ magnétique Couplage antiferromagnétique des atomes de fer : pas de propriétés magnétiques exceptionnelles attendues 500 µm isotrope B isotrope devenu très biréfringent : paranématique interface nématique nématique aligné B = 200 mT Nématique : seuil d’alignement très bas (transition de Frederiks) 20 mT pour une épaisseur de 20 µm (25 fois plus faible que pour les thermotropes usuels) Isotrope : nette orientation induite B=250 mT B=0 S=0.05 S=0 H S est environ 106 fois plus grand que pour le virus de la mosaïque du tabac (TMV) !!! Alignement sous champ magnétique de suspensions nématiques de particules de goethite α-FeOOH Basculement des Avant le basculement Après particules H faible H fort 30 mT S = 0,9 600 mT S > 0,9 Nématique sous champ 250 mT S = 0,05 900 mT S = - 0,25 Isotrope sous champ B.Lemaire et al, Phys. Rev. Lett., 88, 125507 (2002). Isotrope sous champ magnétique : montage expérimental Collaboration avec J. Ferré et J.P. Jamet (Physique des Solides) modulateur photoélastique retard polariseur oscillant à ω analyseur H laser échantillon isotrope photomultiplicateur intensité I Ampli synchrone Ιω ~ Δn = n – n (par rapport au champ) ~S B.Lemaire et al, Eur. Phys. J. E, 13, 291 (2004). Biréfringence en fonction du champ magnétique Fraction volumique : 3,63 % Même allure pour deux décades de φ : effet individuel d’orientation Comportement très différent de celui des lyotropes ordinaires : - Pour cristaux liquides courants (en phase isotrope), Δn ~ H2 Ici, basculement des particules - Effet très intense (effet 106 plus fort que pour le TMV) Les premières études de Quirino Majorana (1902) Birefringence induite par le champ magnétique dans des suspensions isotropes de sels de Bravais à base de fer (Q.Majorana, Rend. Accad. Lincei, 1902 11-1, 374) Etudes reprises par Cotton et Mouton en 1905 (Effet Cotton-Mouton pour les liquides moléculaires) Comportement en concentration Ajustement des courbes à champ faible (partie en B2) Comportement en concentration similaire à celui des autres lyotropes comme les virus (TMV) Mesures magnétiques (Coll. Luc Fruchter Physique des Solides) Nématique gelé à 263 K sous 1 T Susceptibilité orthogonale H H Nématique gelé sous 0,1 T Susceptibilité parallèle + moment longitudinal • Moment permanent longitudinal µ~ 1000 µB par particule (spin de Fe : 5 µB) Ne se renverse pas, même sous 5 T Origine possible : spins non compensés à la surface des particules (L.Néel) • Anisotropie de susceptibilité magnétique χ// – χ⊥ = -4.10-4 < 0 Modèle pour le basculement des particules aimantation induite H M χ⊥H⊥ θ V χ// H// μ moment longitudinal Hyp.: particules sans interaction (suspension diluée isotrope) Emagn(θ)= - μB cosθ - Moment longitudinal favorise orientation parallèle, domine à champ faible V(χ// − χ⊥) B2 cos2θ 2 µ0 Aimantation induite favorise orientation orthogonale, domine à champ élevé Seuil de basculement : égalité des moments parallèle et transverse -> 200 mT avec les mesures du SQUID Comparaison avec les résultats expérimentaux Biréfringence en phase isotrope : Δn = n// – n⊥ ~ S Paramètres du modèle (en tenant compte de la polydispersité): - moment par particule : 800 µB (SQUID : 1000 µB ) -anisotropie de la susceptibilité : -5.10-4 (SQUID : -4.10-4 ) Biréfringence en fonction de la concentration Interprétation (classique) : effet de volume exclu, divergence prétransitionnelle Comportement haute-fréquence (Coll. J. Ferré, I. Dozov) Les particules ne peuvent plus suivre le champ à haute fréquence. H Les particules sont toujours perpendiculaires au champ à haute fréquence. Moments de la distribution d’orientation Moment en champ nul sur suspension gelée (à mesurer au SQUID) Biréfringence Phase nématique polaire sous champ, de symétrie hybride entre cristal-liquide nématique et ferrofluide ! Mesure de <P1> au SQUID Suspension isotrope à la coexistence Ordre nématique usuel: moments pairs de la distribution d’orientation (Ex: P2 = <1/2(3cos2θ – 1)>) Ici, perte de la symétrie miroir perpendiculaire au directeur: moments impairs non nuls. Ex: S1 ~ M ~ <μ cosθ> Aimantation : moment permanent + moment induit Objectif : isoler le moment permanent Mode opératoire pour chaque point : - application d’un champ de trempe (température ambiante) - gel de l’eau sous champ (-10°C) - mesure en champ nul (-10°C) pour isoler le moment permanent H θ « Paranématique » sous champ faible, S1 entre 0 et 1 H H Nématique sous champ : transition de Frédériks 20 mT pour d=20 µm (25 fois plus faible que pour des thermotropes usuels) 200 µm Champ nul 33 mT nématique planaire Prédictions théoriques : seuil de Frederiks en 1/d2 pour un ferronématique (1/d pour un nématique usuel) Problème expérimental : réaliser un bon ancrage de surface (orientation planaire ou homéotrope sur les surfaces) Instabilité transitoire de réorientation H 30 mT planaire H 100 µm 270 mT instabilité zig-zag 270 mT après 1 h 600 mT 440 mT planaire parallèle se déstabilise Phase colonnaire à concentration élevée, en champ nul x 25 Scattered intensity (a.u.) 300 250 200 150 100 50 0 0.0 0.1 0.2 0.3 0.4 0.5 0.6 100 µm -1 q (nm ) Clichés SAXS de poudre Capillaire φ ~ 15 % après séchage lent de 3 mois, en champ nul Paramètres de maille des cristaux observés sous 1,5 T 50 µm On vérifie ab ~ φ−1 (conservation du volume) Stabilisation de la phase colonnaire colloïdale sous champ magnétique • Obtention reproductible de monodomaines à différentes concentrations de nématique • Champ seuil : B ~ 700 mT • Maille 2D rectangulaire centrée, groupe d’espace c2mm Nématique à la coexistence après quelques secondes sous 1,5 T 11 31 20 40 H Nematique (30mT) Phase colonnaire (1T) Taille ~1µm H 100 µm Profils du pic nématique et de la 1ère raie colonnaire Domaines après 8 h sous 664 mT Structure de la phase colonnaire c2mm Champ critique en fonction de φ : Nematique Colonnaire Organisation des nanoparticules dans la phase colonnaire (φ=8,5%, 1T) épaisseur a largeur b = 75 nm 100 µm 50 µm a = 96 nm longueur Influence du champ magnétique sur la transition isotrope/nématique Microscopie optique d’échantillons biphasiques dans des capillaires plats En champ nul Lumière naturelle Lumière polarisée (polariseurs parallèlles aux bords des photos) Dans un champ magnétique de 1 Tesla Les résultats théoriques de Khokhlov et Semenov Alignement parallèle Alignement perpendiculaire D’après A.R.Khokhlov et A.N.Semenov, Macromolecules, 1982, 15, 1272 Theoretical model of G.Vroege and H.Wensink Van’t Hoff Lab. Utrecht, Netherlands The group in Utrecht has observed a lamellar phase … Phase nématique sous champ électrique (Collaboration avec Ivan Dozov et Daniel Stoenescu (Nemoptic) Buts : • observer une orientation induite par le champ électrique • mesurer la tension seuil UF(f) de cet effet (transition de Frederiks) Verre Électrode ITO Nylon Tension U < UF(f) Basses f (f<60 kHz) Tension U > UF(f) E homéotrope orientation planaire H statique Hautes f (f>60 kHz) H statique E H statique E orientation planaire (champ magnétique) E retour à l’orientation homéotrope Champ électrique (suite) Régime basses fréquences : Réorientation : homéotrope -> planaire Divergence du seuil en (f0-f)-1/2 comme attendu, changement de régime vers 60 kHz Régime hautes fréquences : Compétition entre une anisotropie négative de susceptibilité diélectrique et un moment dipolaire électrique résiduel dû à des charges non compensées sur les faces. Conclusion • Cristal liquide nématique minéral • Orientation sous champ magnétique très faible • Biréfringence énorme induite par le champ magnétique en phase isotrope • Basculement des particules au même champ (250 mT) quelle que soit la concentration (isotrope et nématique) • Phase antinématique (S<0) induite par le champ magnétique (B > 250 mT) • Perte de la symétrie miroir perpendiculaire au directeur (P2n+1 non nuls) • Transition réversible sous champ vers une phase bidimensionnelle rectangulaire c2mm • Intérêt de considérer des entités minérales … •Problèmes ouverts : - Expériences en champ électrique - Diagramme de phases complet (φ,B) - Phase lamellaire