R´
eduction des endomorphismes
par Emmanuel Amiot
12 d´
ecembre 2016
1 Ambition
L’´
etude d’un endomorphisme, ou de la notion ´
equivalente de matrice, est complexe parce
que l’image d’un vecteur (de base) est g´
en´
eralement une combinaison de tous les vecteurs
(de la base). Le cas o `
u chaque vecteur de base est transform´
e en un multiple de lui-mˆ
eme
est bien plus compr´
ehensible : l’action de l’endomorphisme sur l’espace de dimension
nest ainsi r´
eduite `
anactions tr`
es simples en dimension 1. La matrice associ´
ee `
a une
telle transformation est diagonale, et r´
eciproquement. Le probl`
eme consiste donc `
a trou-
ver comment se ramener, si possible, `
a ce cas simple : c’est diagonaliser la matrice [ou
l’endomorphisme]. Un outil qui s’av`
ere essentiel est le polynˆ
ome de matrices.
Exemple :Consid´
erons la matrice A=
2/5 2/5 2/5
2/5 2/5 2/5
1/5 1/5 1/5
. On rappelle que toute matrice
carr´
ee d´
efinit un endomorphisme de Kn, celui qui envoie la base canonique sur la famille
des vecteurs colonnes. Ici par exemple les trois vecteurs de la base canonique ont la mˆ
eme
image, le vecteur 1
5
2
2
1
. L’image de ce vecteur ´
etant lui-mˆ
eme, on constate que pour tout
vecteur de la base canonique on a A×A×=A×. Une relation lin´
eaire vraie sur
une base est vraie sur tout l’espace, et donc A2=A, ce que l’on peut aussi v´
erifier par
produit matriciel (on dira plus tard que X2Xest un polynˆ
ome annulateur de A), et on sait
que cela signifie que l’endomorphisme associ´
epest un projecteur. En particulier, il existe
deux sous-espaces (qui sont ici le noyau et l’image de p), suppl´
ementaires, tels que l’image
soit aussi l’ensemble des points fixes. Ici l’image est clairement la droite engendr´
ee par le
vecteur e1=
2
2
1
et on calcule facilement que le noyau a pour ´
equation (x+y+z=0):
une base de Ker pest donc constitu´
ee des vecteurs e2=
1
2
1
et e3=
1
0
1
(entre autres
possibilit´
es).
Cherchons la matrice de pdans la nouvelle base constitu´
ee de ces trois vecteurs : vu que
p(e1) = e1et p(e2) = p(e3) = 0, c’est A0=
1 0 0
0 0 0
0 0 0
.
On a donc r´
eussi `
a diagonaliser la matrice. D’apr`
es la formule du changement de base, si
on exprime la nouvelle base dans l’ancienne par la matrice de passage P=
21 1
2 2 0
1 1 1
,
on a la relation A0=P1AP qui exprime que l’ancienne et la nouvelle matrice sont sem-
blables. Tout l’objectif de ce chapitre consiste donc `
a faire tourner l’espace jusqu’ `
a ce
que, dans la base choisie, la matrice devienne la plus simple possible (diagonale).
On peut s’amuser `
a faire cela `
a la souris de mani`
ere interactive `
a l’adresse
http://demonstrations.wolfram.com/ElementsPropresInteractifsFrench
2 Polynomes d’endomorphismes
2.1 D´
efinition
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D´
EFINITION 1. Pour tout u∈ L(E),E´
etant un Kespace vectoriel, on pose u0=id, u1=u
et on d´
efinit par r´
ecurrence un=uun1.
Alors pour tout polynˆ
ome PK[X], P(X) = a0+a1X+. . . anXn, on d´
efinit P(u)∈ L(E)
par
P(u) = a0id +a1u+a2u2+· · · +anun
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REMARQUE G ´
EN ´
ERALE. ´
Etant donn´
e le nombre cons´
equent d’espaces munis de lois de
composition dans ce chapitre, on note assez cavali`
erement toutes les multiplications
par. . . rien du tout.
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TH´
EOR `
EME 1. L’application Φ:P7P(u)(pour ufix´
e) est un morphisme d’alg`
ebre entre
K[X]et L(E).
En particulier on a (P×Q)(u) = P(u)Q(u)et ce P, Q K[X].
Le point capital est la propri´
et´
e multiplicative. On la d´
emontre pour les monˆ
omes : u(m+
n) = umun, et on passe au cas g´
en´
eral par lin´
earit´
e.
Exemple :Soit uune projection (on a u2=u). Alors (u23u +2id)(u5+4u2) = 0L(E), car
on retrouve u(uid)en facteur.
Notez qu’aucun des deux facteurs initiaux n’est nul.
EXERCICE 1. Pourquoi Φn’est-il s ˆ
urement pas surjectif (pour dim E>2) ?
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REMARQUE 2. Notons que cette notion s’applique tout aussi bien aux matrices carr´
ees :
si A∈ Mn(K)alors P(A) = a0In+a1A+a2A2+· · · +adAd. De plus, si Aest la matrice
de udans une base Balors P(A)est bien ´
evidemment la matrice de P(u). Ceci est
confirm´
e par la formule de changement de base :
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PROPOSITION.Pour tout polynˆ
ome P, pour toute matrice inversible Q∈ G`n(K)et toute
matrice A∈ Mn(K)on a P(Q1AQ) = Q1P(A)Q.
qui r´
esulte de ce que (Q1AQ)k= (Q1AQ)(Q1AQ). . . (Q1AQ) = Q1AkQ.
Il est essentiel de faire attention `
a faire sens dans tout ce qu’on ´
ecrit (particuli`
erement pour
ce chapitre). Ici on a trois niveaux de complexit´
e : les vecteurs (x, y · · · E), les endomor-
phismes (u, v ∈ L(E)) ou les matrices, et les polynˆ
omes (P, Q · · · K[X]). On n’applique pas
la loi entre polynˆ
omes, mais on peut l’appliquer entre endomorphismes et notamment
polynˆ
omes d’endomorphismes !
2
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EXERCICE 2. Avec les notations ci-dessus, lesquelles des ´
ecritures suivantes font sens ?
Parmi elles, lesquelles sont ´
egales ?
P(u(x)) P(Q(u)) P(u)Q(u)P×Q(u)PQ(u)(x)PQ(u(x)) P×Q(u)(x)
vQ(u(x)) v(Q(u(x))) v(Q(u)(x)) vQ(u)(x)v(x)P(u)(x)Pu(x)P(u)(x)
P(uv)uP(v)P(uQ(v)) P(uv(x)) P(uv)(x)Pu(v)Pu(v)(x)
2.2 Polynomes annulateurs
Il y a beaucoup de polynˆ
omes. Beaucoup plus que de matrices, car l’espace de ces derni`
eres
est de dimension finie. Clarifions cel`
a :
o
o
o
TH´
EOR `
EME 2. L’ensemble des polynˆ
omes annulateurs de u∈ L(E)est un id´
eal de K[X].
Cet id´
eal est non r´
eduit `
a{0}.
En effet c’est le noyau d’un morphisme d’anneaux, non injectif (voir dimensions !). Par
exemple si u2=uon a imm´
ediatement uk=upour tout k61, et donc tout polynˆ
ome en u
se r´
eduit `
a un polynˆ
ome de degr´
e1:
a0.id +a1.u +. . . an.un=a0id +(a1+. . . an).u
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COROLLAIRE 1. En dimension finie, cet id´
eal est non r´
eduit `
a0; tout polynˆ
ome annulateur
est multiple d’un polynˆ
ome de degr´
e minimal qui engendre cet id´
eal, qu’on appelle
polynˆ
ome minimal de u.
On convient que c’est un polynˆ
ome unitaire, il est alors uniquement d´
etermin´
e. Nous le
noterons µu.
Exemple :Le polynˆ
ome minimal d’une projection est X2X. Quel est le polynˆ
ome minimal
d’une sym´
etrie ?
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o
PROPOSITION.Soit dle degr´
e du polynˆ
ome minimal de u. Alors dest la dimension de
l’image de Φ, i.e. de l’espace des polynˆ
omes en u, K[u].
D´
emonstration. On montre que K[u] = Kd1[u]. D´
ej`
a soit Pun polynˆ
ome de degr´
e quel-
conque, on ´
ecrit la division euclidienne par µu:
P=µu×Q+RP(u) = µu(u)Q(u) + R(u) = R(u)
donc P(u) = R(u)avec dR<ddonc P(u)Kd1[u].
Enfin on a unicit´
e de ce R, car si R(u) = S(u)avec R, S Kd1[X]on a RSqui est annulateur
de umais de degr´
e< d, ce qui contredit la minimalit´
e de µusauf si RS=0K[u].
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EXERCICE FONDAMENTAL. Supposons que le polynˆ
ome minimal de uest de degr´
e 1. Que
peut-on en conclure sur u?
PROPOSITION.Soit PK[X]; alors Ker P(u)est stable par u.
Au sens suivant :
3
3 Sous-espaces stables
3.1 D´
efinition
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D´
EFINITION 2. Fest stable par uu(F)F. On d´
efinit alors la restriction de u`
aF
par u|F:xF7u(x), c’est un endomorphisme de Fqui est appel´
el’endomorphisme
induit.
Ex : Ker uet Im usont stables par u.
Attention ! la d´
efinition n’est pas u(F) = F.
Pour parler de restriction de u`
aF, il FAUT d’abord ´
etablir la stabilit´
e. Diff´
erent du cas
de u∈ L(E, F)! o `
u on peut toujours restreindre (puisqu”on ne restreint que dans l’ev de
d´
epart).
On a une caract´
erisation matricielle :
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PROPOSITION.uadmet un sous-espace stable Fsi et seulement si il existe une base de E
commenc¸ant par une base de Fo`
u la matrice de uprend la forme suivante (triangu-
laire par blocs) A C
O B.
C’est assez ´
evident, Aest alors la matrice de la restriction de u`
aF.
On peut fabriquer de mani`
ere assez simple des sous-espaces stables par un endomor-
phisme. . . si on en connaˆ
ıt un autre.
PROPOSITION.Si uet vcommutent, alors Ker uet Im usont stables par v.
Dem imm´
ediate, mais on en d´
eduit la propri´
et´
e tr`
es utile :
COROLLAIRE 2. Tout espace de la forme Ker P(u)est stable par u.
En particulier c’est le cas de Ker(uλ id), cf. infra.
C’est aussi le cas si P(u) = 0! cela paraˆ
ıt ´
evident mais ce cas est extrˆ
emement important.
EXERCICE 4. Comparer Ker P(u)et Ker Q(u)si Pdivise Q. Que dire de Ker µu(u)?
3.2 ´
Elements propres
On peut se poser la question des droites stables : une telle droite a un vecteur directeur
xqui v´
erifie u(x) = λx. Matriciellement il s’agit de vecteurs (colonnes) Xtels que AX soit
colin´
eaire `
aX, i.e. λK, AX =λX. La question est naturelle en SI quand on cherche de
telles droites pour la matrice d’inductance (ou d’inertie), par exemple.
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EXERCICE 5. Soit uun endomorphisme de rang 1, montrer que son image est une droite
stable.
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D´
EFINITION 3.
On dit que xest un vecteur propre de u, associ´
e`
a la valeur propre λ, ssi x6=0
et u(x) = λx.
L’espace propre Eλest Ker(uλ id). C’est le plus grand sev (stable) o `
uuse
restreigne `
a une homoth´
etie de rapport λ.
L’ensemble des valeurs propres de uest son spectre Sp(u).
Attention ! x6=0(sinon on ne peut pas d´
efinir LA valeur propre associ´
ee `
ax).
4
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REMARQUE 3. On d´
efinit de mˆ
eme les ´
el´
ements propres d’une matrice : des vecteurs
propres Xassoci´
es `
a des valeurs propres λKtels que AX =λX.
Exemple :
3 1 1
1 3 1
1 1 3
×
1
1
2
=2
1
1
2
.
o
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o
PROPOSITION.Les changements de base ne modifient pas le spectre d’une matrice, deux
matrices semblables ont mˆ
eme spectre.
D´
emonstration.
AX =λX P1AP(P1X) = P1APY =P1λX =λY
donc `
a tout vecteur propre de Acorrespond un vecteur propre de P1AP associ´
e`
a la mˆ
eme
valeur propre.
La conjugaison traduit un changement de base :
A7P.A.P1
est (aussi !) un (auto)morphisme d’alg`
ebre. En fait on a affaire `
a un mˆ
eme endomorphisme
exprim´
e dans une base diff´
erente : le spectre de A´
etant aussi le spectre de cet endomor-
phisme est forc´
ement ´
egal `
a celui de P1AP.
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REMARQUE 4. Une ambigu¨
ıt´
e pratique apparaˆ
ıt ici : toute matrice r´
eelle est, de droit, une
matrice complexe ! Mais du fait que tout r´
eel est un complexe, on a que toute valeur
propre r´
eelle est aussi une valeur propre complexe. Autrement dit,
SpR(A)SpC(A)
Bien s ˆ
ur r´
esoudre AX =λX (o `
u l’inconnue est X) donnera des vecteurs r´
eels si λR
mais non r´
eels (complexes) si λC\R. On verra qu’il est souvent utile de feindre de
croire qu’une matrice r´
eelle est complexe pour mieux la r´
eduire. . .
Cette inclusion reste vraie si on ´
etend la recherche du spectre `
a tout sur-corps du
corps des coefficients de la matrice. Par exemple, une matrice r´
eelle de dimension 3
a au moins une valeur propre r´
eelle. Si elle n’en a pas plus dans R, elle poss`
edera
n´
eanmoins aussi deux valeurs propres complexes, conjugu´
ees car
AX =λX AX =λX AX =A X =λ X
Cette remarque permet d’une part d’´
etendre les calculs sur les matrices r´
eelles au
cas complexe si n´
ecessaire, et d’autre part de r´
eduire ce calcul d’un facteur 2 !
REMARQUE 5. Une droite est stable elle a un vecteur directeur propre.
REMARQUE 6. Eλ(u)est stable par tout vqui commute avec u.
o
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REMARQUE 7. Les moments principaux d’inertie sont les valeurs propres de la matrice
d’inertie d’un solide.
Une propri´
et´
e capitale :
PROPOSITION.P(λ)est vp de P(u)(PK[x], u ∈ L(E)).
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