Communication - Appels en cours

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KOULOU CHEZ LES BANTU : UN CAS PARTICULIER DE DOCUMENT
ETHNOGRAPHIQUE À BUT FORMATIF
Université de Vigo, Espagne
Javier DE AGUSTÍN
1. Introduction.
En 1998, dans le cadre du Programme Culturel Régional Bantu et avec le concours de l ‟Union
Européenne, on publie aux Editions du Laboratoire Universitaire de la Tradition Orale 1 (Editions
du LUTO 2), Koulou chez premier album de la Série Bandes Dessinées 3, faisant partie à son tour
de la Collection Enfants, où se trouve également une série consacrée à de petits guides pour enfants.
Cet album, conçu pour la diffusion de la culture bantu, présente des qualités non négligeables qui le
rendent très utile en milieu formatif 4, notamment quand il s'agit de mener à bien des actions
d‟anthropologie appliquée qui concernent les rapports interculturels, telles que les approches de la
francophonie africaine dans le cadre d‟un cours de FLE.
C'est sur cet album qu'a porté notre travail, dont le but a été d ‟analyser les qualités ethnographiques
du document, c'est-à-dire l'ensemble des traits civilisationnels minimums que les auteurs
considèrent nécessaires à l'appréhension de la culture bantu, ainsi que leur traitement. Cette analyse
critique que nous avons faite s'appuie sur une approche interdisciplinaire où se rencontrent
l'anthropologie culturelle, la linguistique, et la documentologie, trois domaines qui nous ont permis
de mieux saisir notre objet d'étude, grâce aux résultats obtenus, qui pourraient faire partie d'un
éventuel guide pédagogique pour l'exploitation du texte ou, au moins, aider un enseignant qui veut
s'en servir pour son cours. Ces résultats, nous les exposerons ici de la façon suivante : nous
décrirons premièrement la structure de l'album en tant que document, c'est-à-dire, en tant que
soutien de l‟information, en montrant aussi quelques
inadéquations que nous y avons repérées; deuxièmement, nous traiterons les aspects liés à la
réception du texte; troisièmement, nous décrirons l‟organisation des contenus et proposerons une
ontologie sur laquelle nous présenterons, finalement, une description anthropologique standard
cohérente par rapport au texte analysé qui permettra de mettre en relief sa valeur en tant document
ethnographique à but formatif.
2. Quelques données immédiates.
Malgré le titre du document, où l‟on fait référence à un enfant appelé Koulou, ce personnage ne
paraît que sur la première et la quatrième de couverture, sur la page de titre et au verso de la
dernière page, toujours sous forme de dessin, mais nulle part ailleurs dans la BD, ce qui rend
compte d‟une certaine irrégularité liée à la conception du document et à sa mise en oeuvre
ultérieure et qui met en question le rapport du titre à la structure du texte. En effet, Koulou chez le
Bantu n‟est pas le récit des expériences de Koulou chez ce peuple africain, comme le laisserait
croire son titre, mais une suite de situations imagées et dialoguées, en milieu bantu, où les
personnages sont des sujets inconnus. Ces situations au nombre de trente composent le noyau dur
du document, où le texte dialogué prend la forme d‟une BD conventionnelle avec des cases et des
bulles et, éventuellement, des micro-textes indicatifs servant à donner des informations
supplémentaires concernant le temps, l‟espace, le détail des actions ou les états d‟âme des
personnages. Outre cela, chaque situation débute par un titre particulier et est accompagnée d ‟un
petit texte de clôture encadré à contenu anthropologique dont elle est l‟illustration. Chacune des
situations, son titre et son texte de clôture composent un module d‟information, tout comme les
chapitres d‟une monographie, où un rapport liant un principe et son illustration se pose entre le
texte de clôture et la situation.
1 Ce laboratoire est une unité de recherche de l‟Université Omar Bongo de Libreville
(Gabon).
Le fonds des Éditions du LUTO vise un public assez diversifié : d‟un côté, les spécialistes –
Collection Scientifique, avec les séries Revue Gabonaise des Sciences de l’Homme, LUTObase
(bases documentaires), Corpus, Dictionnaires culturels, Etudes et expertises, Cahiers Gabonais
d’Anthropologie et Modèles–, d‟un autre côte, les enfants –Collection Enfants, avec la Série
Bandes Dessinées et des collaborations à des fascicules pour des visites guidées, et Collection
scolaire, avec la Série Manuels (fascicules de compléments de programmes)– et, finalement, le
grand public – Collection Grand Public, avec la Série Patrimoines et Découvertes, la Série
Catalogues et des collaborations au magazine M’bolo d‟Air Gabon.
Cette série est composée d‟autres bandes dessinées faisant suite en quelque sorte à la première :
Koulou chez les Baka, Koulou au mvet, Koulou au bwiti, Koulou écoute Olendé.
D‟après Alain Mabanckou, « le développement de la bande dessinée à caractère pédagogique ces
dernières années en Afrique est allé de pair avec une diversification des thèmes abordés. » et «la
vocation pédagogique de la B.D. trouve à s‟exprimer également dans la vulgarisation des cultures
africaines et la connaissance des peuples d‟Afrique comme l‟illustre l‟album Koulou chez les
Bantu ». (MABANCKOU, A., 2001 : pp. 11, 13)
Toujours en rapport avec le format de l‟album en tant que document, on observe, d‟un côté, le
manque des noms des auteurs –aussi bien dessinateurs que rédacteurs– sur la première de
couverture, ainsi que leur déplacement de la page de titre vers la page du sommaire, ce qui
comporte un écart vis-à-vis des normes documentaires. D‟un autre côté, sur la deuxième et la
troisième de couverture, sous la rubrique “Quelques grands bantu”, se trouvent les portaits dessinés
et identifiés d‟un choix de personnages célèbres de l‟histoire du peuple bantu: Mirambo, Dona
Béatrice, Chaka Zoulou, Patrice Lumumba, Pierre Mulele, Nelson Mandela, Mandume, Mo Shushu,
Barthélemy Boganda, Albert Luthuli, Desmond Tutu et André Raponda Walter, ce qui rend la
couverture porteuse d‟information tout comme le texte de l'album, puisque le sujet général de celuici, c'est la culture bantu.
Finalement, il faut remarquer aussi, en tant que trait particulier de la mise en maquette du
document, le fait que la première page textuelle précède celle du sommaire. En effet, le texte débute
au verso de la page de titre par une unité d‟information première où, en guise de présentation, une
carte de l‟Afrique illustre un petit texte sur l‟identité des bantu que l‟on présente liée à leur langue
et à leur distribution géographique.
2. Données pragmatiques liées à la réception du document: information à communiquer et
sujets visés.
La source d‟information pragmatique concernant la réception de la bande dessinée Koulou chez les
Bantu, c‟est le texte ci-dessous qui se trouve sur la quatrième de couverture de l‟album:
Ouvre ce livre et tu feras un beau voyage!
Tu partiras avec KOULOU au coeur de l’Afrique. Tu iras de Sao Tomé à Zanzíbar et de Mogadiscio
à Cape Town.
Tout au long de la route, tu rencontreras des milliers de gens qui parlent presque tous la même
langue: les Bantu (prononce “Bantou”).
Si tu es patient, ils te raconteront leurs traditions: ils te diront ce qui se passe à la naissance,
comment on pratique la circoncision, comment on prépare un mariage, et si tu veux en savoir
davantage, ils te diront ce qu’ils racontent le soir au clair de lune...
Alors, bon voyage!
Les auteurs.
Ce péritexte cerne le sujet général de l‟album et reprend cette notion de l‟invitation au voyage 5
qui, adressée à des Européens, évoque un univers séduisant et exotique dont la découverte devient
une aventure. Les auteurs invitent donc les jeunes à faire un voyage imaginaire en pays bantu par la
lecture.
L‟analyse de ce péritexte nous permet de poser que le public idéal visé par les concepteurs de cet
album doit accomplir au moins une des conditions suivantes: ne pas être africain, être africain mais
pas bantu, être bantu mais acculturé par une autre civilisation, car c‟est uniquement ces conditions
qui sous-tendraient, chez d‟éventuels lecteurs, le vide d‟information vis-à-vis de la société bantu.
Si l‟on tient compte en outre de ce qui est exposé dans l‟unité d ‟information première, à laquelle
on vient de faire référence un peu plus haut, on peut affirmer que ce voyage imaginaire guidé par la
bande dessinée permettra aux lecteurs de prendre contact avec des sujets qui habitent un certain
territoire, qui parlent une langue bien à eux et qui se conduisent suivant des traditions qui leur sont
propres. Ces trois éléments –le territoire, la langue et la morale– étant indispensables au postulat
d‟une culture quelconque (EMBER, C.R.; EMBER, M.; PEREGRINE, P., 2002: 13ème chapitre,
passim), on peut en conclure que la lecture du texte en question amènera le lecteur à la découverte
de la culture bantu, une culture que les auteurs ancrent de prime abord à trois moments de la vie en
milieu bantu –la naissance, la circoncision, le mariage– et à l‟imaginaire collectif véhiculé à travers
le répertoire des récits populaires.
Par conséquent, si l‟on tient compte des données fournies par les composantes paratextuelles, on
peut affirmer que, du point de vue de l‟anthropologie descriptive, les différents éléments retenus
dans les modules qui composent la BD et qui seront décrits ensuite sont, d‟après les auteurs, autant
de traits caractéristiques et fondamentaux de la culture bantu.
3. Structure du texte et description anthropologique.
3.1. Première approche.
Comme on l‟a signalé plus haut, l‟album Koulou chez les Bantu est articulé en trente chapitres
monothématiques, ou modules d‟information, dont rend compte le sommaire que voici:
1. Un nouveau-né.
2. L’enfant et la famille. D‟après Alain Mabanckou, « l‟album [Koulou chez les Bantu] est un
voyage au cœur des traditions bantu » (MABANCKOU, A., 2001 : p. 13).
3. Jeux bantu.
4. La banane de la circoncision.
5. Sorcellerie.
6. Perroquet.
7. Le conte.
8. Équilibre naturel.
9. L’interdit.
10. Rois forgerons et nattes éternelles.
11. La demande en mariage.
12. Pêches.
13. Tous mes parents!
14. Le tambour-téléphone.
15. La femme bantu.
16. Tous les chasseurs.
17. La cuisine.
18. Grands docteurs.
19. Voyageur bantu.
20. L’exode rural.
21. Retour à la terre.
22. Costumes.
23. Les masques.
24. La chose de ceux qui savent.
25. Retraite bantu.
26. Le palmier magique.
27. Les funérailles.
28. Un long voyage.
29. Insolite.
30. Viva la musica [sic]!
Un titre de texte est le résultat du choix énonciatif lié à l‟opération de thématisation; autrement dit,
un titre est le mode d‟expression choisi par les auteurs du texte pour en mettre en évidence le thème
fondamental. À cet égard, il est utile de déterminer le degré d‟adéquation du titre au texte qui lui
vient après et de préciser si ce titre correspond à un mode de désignation dénotatif –direct ou
indirect– ou connotatif. Pour ce qui est de l‟album Koulou chez les Bantu, quatorze titres sur trente
demanderaient d‟être reformulés, afin de les rendre transparents par rapport à l‟information du
module, comme on le montre sur la liste suivante, où l ‟on propose une reformulation lorsqu ‟il est
nécessaire:
1. “Un nouveau-né”
2. “L‟enfant et la famille”
3. ”Jeux bantu”
4. “La banane de la circoncision”
 “La circoncision”
5. ”Sorcellerie”
6. “Perroquet”
”Un totem: le perroquet”
7. “Le conte”
8. ”Équilibre naturel”
9. “L‟interdit”
10. “Rois forgerons et nattes éternelles”
”La forge et le tissage”
11. “La demande en mariage”
12. “Pêches”
13. “Tous mes parents!”
”La famille”
14. “Le tambour-téléphone”
”Les moyens de communication”
15. “La femme bantu”
16. “Tous les chasseurs...”
”La chasse”
17. “La cuisine”
18. “Grands docteurs”
”Les guérisseurs”
19. “Voyageur bantu”
”Les moyens de transport”
20. “L‟exode rural”
21. “Retour à la terre”
22. “Costumes”
23. “Les masques”
24. “La chose de ceux qui savent”
25. “Retraite bantu”
26. “Le palmier magique”
27. “Les funérailles”
28. “Un long voyage”
29. “Insolite”
30. “Viva la musica!”
”La religion”
”L‟habitation”
”Le palmier”
”Les funérailles”
Chanteurs célèbres.
”Les instruments de musique”
Si l‟on compare les titres et les reformulations dénotatives proposées et qu‟on analyse leur
divergence suivant le contenu du module correspondant, on observe quatre cas de figure:
1) Titre à énoncé perlocutif à fausse clé de décryptage, où on n‟induit que de façon déviée le sujet
fondamental du texte.
C‟est le cas de “La banane de la circoncision”, dont la reformulation dénotative serait “La
circoncision”. Le titre désigne ici un élément lié à la circoncision et annonce donc un texte qui
parlerait d‟une certaine banane dont le trait spécifiant est d‟être en rapport avec l ‟opération de la
circoncision. Cependant, la lecture du texte en question montre que le sujet fondamental y est la
circoncision, non pas la banane, ce qui prouve que le titre proposé par les auteurs désigne donc
indirectement le sujet fondamental du texte, en le plaçant en arrière-plan par rapport au référent mis
en évidence. Étant donné que dans les sociétés industrialisées, la circoncision n‟est pas un rite, mais
juste une opération chirurgicale qui n‟est admise que par besoin thérapeutique, on peut poser
comme hypothèse que le titre de ce module cherche à banaliser le sujet du texte avant même que
celui-ci ne soit lu, rendant comme cela le lecteur non africain plus réceptif à une information vis-àvis de laquelle il pourrait probablement avoir des préventions qui auraient des conséquences
indésirables sur la mise en valeur de la culture bantu.
2) Titre à énoncé strictement illocutif sans clé de décryptage, où le sujet fondamental du texte ne
peut pas être induit avec succès.
C‟est le cas de “Perroquet”, qui correspondrait à la reformulation dénotative “Un totem: le
perroquet”. Ce titre désigne une espèce animale que l‟on lie, par renvoi logique, à la nature en tant
que milieu privilégié d‟une culture primitive telle que la culture bantu. Si on s ‟en tient à ce titre
proposé par les auteurs, il faut s‟attendre donc à ce que le texte qu ‟il précède porte sur le perroquet
et son milieu naturel, ce qui n‟est pas le cas, car le trait spécifiant du perroquet qui y est prioritaire,
c‟est sa valeur en tant que totem, non pas son appartenance au règne animal.
Il en est de même pour les titres “Un long voyage”, “La chose de ceux qui savent” “Retraite bantu”
et “Insolite”, où les énoncés ne fournissent pas de clés qui permettraient d‟interpréter que ce long
voyage n‟est que la mort qui donne lieu aux funérailles dont parle le texte, que la chose de ce qui
savent fait référence aux secrets des religions et que la retraite bantu est un prétexte pour décrire
une habitation en milieu rural. En ce qui concerne le titre “Insolite”, il faut remarquer qu ‟il s ‟agit
d‟un cas spécial par rapport aux autres, étant donné que le trait [insolite] est à attribuer, dans
l‟anecdote du module correspondant, à la présence dans un hôtel d‟un certain nombre de chanteurs
célèbres d‟origine bantu, si bien que le titre ne renvoie pas à un sujet conceptuel mais à des
référents particuliers.
3) Titre à énoncé strictement illocutif à clé de décryptage, où le sujet fondamental du texte peut être
induit, mais pas de façon univoque.
C‟est le cas de “Rois forgerons (et nattes éternelles)” –dénotativement reformulé par ”La forge (et
le tissage)”–, de “Tous les chasseurs...” –que l‟on peut reformuler dénotativement par ”La chasse”–
et de “Viva la musica!” – dénotativement ”Les instruments de musique”. Dans ces titres, l ‟énoncé
–uniquement la première partie de l‟énoncé pour le premier– rend possible au moins le renvoi à des
actants de l‟anecdote du texte dont la désignation fait partie du même champ lexical de celle du
sujet fondamental et permet donc d‟induire celui-ci. En conséquence, le titre est ici le résultat d ‟un
procédé stylistique de la part des auteurs qui s‟avère compatible avec le procédé heuristique du
lecteur, tant et si bien que le titre ne brouille pas les pistes de la découverte du sujet fondamental du
texte.
Ce qui vient d‟être exposé peut également être appliqué aux titres “Tous mes parents!” et
“Voyageur bantu”, où les énoncés renvoient à des actants de l‟anecdote du texte –la famille et les
moyens de transport– dont la désignation fait partie cette fois-ci du même champ sémantique de
celle du sujet fondamental et permet également d‟induire celui-ci.
Le titre est donc ici aussi le résultat d‟un mode d‟écriture qui n‟empêche pas la découverte du sujet
fondamental du texte.
4) Titre à énoncé perlocutif à clé de décryptage, où le sujet fondamental du texte peut être induit,
mais pas de façon univoque.
Comme dans le cas de figure précédent, les énoncés des titres rendent possible ici leur décryptage
grâce au champ sémantique qu‟ils partagent avec les sujets fondamentaux des modules
correspondants. Dans le titre “Le tambour-téléphone” –qui peut être reformulé dénotativement par
”Les moyens de communication”–, la dénomination correspondant au concept /tambour/ est le
résultat d‟un processus de création lexicale individuel visant à assimiler symboliquement la culture
bantu primitive et la culture des sociétés industrialisées, afin que le développement technologique
ne devienne pas pour les lecteurs un critère de jugement défavorable envers les Bantu.
Par ailleurs, le titre “Grands docteurs” –que l‟on peut reformuler dénotativement comme ”Les
guérisseurs”– est un cas semblable au précédent, où la dénomination correspondant au concept
/guérisseur/ est le résultat d‟un processus de reformulation méliorative visant aussi à assimiler
symboliquement la culture bantu primitive et la culture des sociétés industrialisées, afin que le
développement scientifique –notamment dans le domaine de la médecine– n‟empêche pas la mise
en valeur des savoirs traditionnels concernant le traitement des maladies et, par là, la mise en valeur
de la société bantu.
Finalement, dans le titre “Le palmier magique”, le palmier est reformulé par une désignation
méliorative servant à mettre en évidence ses qualités en tant que ressource naturelle indispensable et
propre à la société bantu, qui de ce fait est envisagée comme une société adaptative et pragmatique.
En conséquence, on peut affirmer, que, dans le cadre d‟une action d‟anthropologie contrastive
appliquée à la
formation, le rôle des trois titres précédents est d‟induire chez le lecteur une attitude favorable à la
rencontre des cultures européenne et bantu.
En récapitulant, dans la série des titres des modules de l‟album, on en rencontre des univoques, des
opaques, des ambigus et un faux titre univoque. Ceux qui ne sont pas univoques, et que l‟on a
ramenés aux quatre cas de figure ci-dessus, ne sont pas adéquats du point de vue strictement
documentaire, mais ils sont tout à fait admissibles dans un document tel que Koulou chez les Bantu,
dont le contenu se trouve à mi-chemin entre le texte spécialisé –du domaine de l ‟anthropologie– et
le document littéraire, où il se produit non seulement une recréation des données par la fiction, mais
aussi un discours qui permet de mettre en oeuvre toutes les virtualités d‟un système linguistique. En
conclusion, lorsque les titres des modules de l‟album deviennent des titres de document fictionnel
plutôt que des titres de document spécialisé, et qu‟il n‟y pas de désignation dénotative directe du
sujet fondamental du module, c‟est pour des raisons qui tiennent soit à la littérarité (sans
conséquences négatives donc dans une procédure de anthropologie appliquée à l‟éducation), soit au
besoin de rendre l‟esprit des lecteurs favorable à l‟acceptation de l‟autre.
3.2. Deuxième approche: vers une ontologie anthropologique appliquée.
Si Koulou chez les Bantu était un texte rattaché uniquement au domaine de l ‟anthropologie, son
plan de l'information exposée relèverait d‟une ontologie anthropologique stricte et plus ou moins
complexe suivant les limites que les auteurs aurait établies au niveau des contenus à traiter.
Cependant Koulou chez les Bantu n‟est rattaché au domaine de l‟anthropologie que par la nature
des données véhiculées, alors que leur choix et leur traitement relèvent d‟une approche didactique
au sens large. En ce qui concerne la mise en page des textes, il faut remarquer qu‟elle tient au genre
BD, pour ce qui est des textes dialogués, et à la didactique appliquée à l ‟anthropologie pour les
textes de clôture.
Cela dit, on peut affirmer que Koulou chez les Bantu est un document où une matière
anthropologique est exposée de façon didactique, grâce non seulement aux sciences de l‟éducation
mais aussi au genre bande dessinée.
Après avoir analysé les titres des modules, leur adéquation au contenu des textes et leur rôle dans
une démarche d‟anthropologie appliquée, il est utile de dresser l‟ontologie 6, qui correspond au
document. Cette ontologie permettra, d‟un côté, de cerner de manière précise et d‟évaluer
l‟articulation des données anthropologiques fournies par le texte et, d‟un autre côté, elle permettra
d‟élaborer la description anthropologique de la société bantu compatible avec la BD étudiée.
Si on analyse le contenu des modules, en en tenant compte des sujets fondamentaux reformulés plus
haut, on parvient à postuler les noyaux conceptuels correspondants, que l‟on présente ensuite en
rapport aux titres des modules.
1. “Un nouveau-né”
[les rites neutres: le rituel de la naissance]
Si par ontologie on entend un ensemble de concepts classés hiérarchiquement suivant certains
critères.
2. “L‟enfant et la famille”
3. ”Jeux bantu”
4. “La banane de la circoncision”
5. ”Sorcellerie”
6. “Perroquet”
7. “Le conte”
8. ”Équilibre naturel”
9. “L‟interdit”
10. “Rois forgerons et nattes éternelles”
11. “La demande en mariage”
12. “Pêches”
13. “Tous mes parents!”
14. “Le tambour-téléphone”
15. “La femme bantu”
16. “Tous les chasseurs...”
17. “La cuisine”
18. “Grands docteurs”
19. “Voyageur bantu”
20. “L‟exode rural”
21. “Retour à la terre”
22. “Costumes”
23. “Les masques”
24. “La chose de ceux qui savent”
25. “Retraite bantu”
26. “Le palmier magique”
27. “Les funérailles”
28. “Un long voyage”
29. “Insolite”
30. “Viva la musica!”
[les rapports sociaux: la famille: l'enfant]
[les rapports sociaux: les jeux]
[les rites neutres: la circoncision]
[les croyances: la sorcellerie]
[les croyances: les totems: le perroquet]
[l‟imaginaire collectif: l‟éducation: le conte]
[rapports à l‟environnement: modes de subsistance]
[les rites adaptatifs: l‟interdit]
[les métiers: la forge, le tissage]
[les rapports sociaux: la demande en mariage]
[les rites neutres: les cadeaux de la demande en mariage]
[les métiers: la pêche]
[les rites neutres: le rituel de pêche]
[les rapports sociaux: la famille: définition]
[les moyens de communication: les tambours]
[les rapports sociaux: la femme: définition]
[les métiers: la chasse]
[les tâches ménagères: la cuisine]
[les métiers: le guérisseur]
[les moyens de transport]
[les dynamiques sociales: l‟exode rural]
[les dynamiques sociales: le retour au village]
[les rapports à l‟environnement: modes de subsistance]
[les rites neutres: les costumes]
[les rites neutres: les masques]
[les croyances: la religion]
[l‟emplacement: le village: l'habitation]
[les rapports à l‟environnement: modes de subsistance : le palmier]
[les rites neutres: le rituel lié à la mort]
[les croyances: les rapports aux morts]
[les croyances: les rapports aux morts]
[les rites neutres: le rituel lié à la mort]
 Référents particuliers Chanteurs célèbres.
[les rites neutres: les instruments de musique]
La comparaison de la série des titres et de celle des noyaux conceptuels permet de faire les
remarques suivantes:
1) Il y a un manque de correspondance entre la séquence des titres et la séquence des noyaux
conceptuels qui
s‟explique par le recours à des critères de classement différents.
2) Ce manque de correspondance instaure un vrai clivage entre les scénarios anecdotiques du texte
et l‟exposé des donnés anthropologiques, et c‟est ce clivage qui est à la base de la structure à deux
parties de chaque module, à mi-chemin entre la bande dessinée et le texte spécialisé.
3) La suite des titres –et, par là, des scénarios– ne contredit pas un certain classement chronologique
lié au cycle de la vie: en effet, d‟après le texte, la naissance d‟un enfant précède la rencontre et les
rapports avec la famille, après quoi viennent les jeux, la circoncision, le mariage, la retraite et la
mort. À ce propos, il faut remarquer que ce classement chronologique correspond à une évocation
interculturelle de la vie, puisque l‟on y trouve un événement propre à la culture bantu –la
circoncision, telle qu‟elle est envisagée dans l‟album– et un autre propre aux sociétés
industrialisées–la retraite. Ce trait interculturel sert évidemment à marquer la visée illocutoire d‟un
texte par lequel on cherche à contribuer à la construction d‟un imaginaire collectif axé sur la
diversité culturelle.
Cette cohérence par rapport au cycle de la vie mise à part, la suite des autres modules est
complètement arbitraire, à deux petites exceptions près: “L‟exode rural” précède immédiatement
“Retour à la terre” –parce qu‟il n‟y a pas de retour sans départ– et “Viva la musica!” vient après
“Insolite” –parce que le premier module complète le scénario du deuxième.
4) La suite des noyaux conceptuels ne correspond à aucun critère de classement fondé, ce qui
prouve qu‟elle relève de la suite des scénarios et que, par conséquent, la structure générale de
l‟album tient à l‟arbitraire lié aux anecdotes textuelles; d‟où on pourrait affirmer que le texte est un
document à divertissement plutôt qu‟un document anthropologique.
Vu que le classement des noyaux conceptuels ne correspond à aucune ontologie, il est intéressant
d‟en dresser une sur laquelle pourra s‟appuyer de façon adéquate la description anthropologique
correspondant à l‟album que nous présenterons dans la dernière partie de cette étude. Cette
ontologie peut être postulée suivant deux de critères de classement général: un critère rendant
compte des modes d‟évaluation propres à la culture analysée –ontologie à classement culturel– et
un critère issu de la tradition rationnelle occidentale –ontologie à classement épistémologique.
Une fois éliminé le faux noyau des références aux chanteurs célèbres, voici la première ontologie,
où les étiquettes catégorielles sont en capitales, les chiffres entre parenthèses renvoient aux nombre
de noyaux conceptuels sous chaque catégorie et les alinéas indiquent les différents niveaux
hiérarchiques:
ONTOLOGIE À CLASSEMENT CULTUREL
LES RITES (9)
LES RITES NEUTRES
[le rituel de la naissance]
[la circoncision]
[les cadeaux de la demande en mariage]
[le rituel de pêche]
[les costumes]
[les masques]
[les instruments de musique]
[le rituel lié à la mort]
LES RITES ADAPTATIFS
[l‟interdit]
LES RAPPORTS SOCIAUX (5)
LA FAMILLE
[la famille]
[l‟enfant]
[les jeux]
[la demande en mariage]
[la femme]
LES CROYANCES (4)
[la sorcellerie]
[les rapports aux morts]
[la religion]
LES TOTEMS
[le perroquet]
LES MÉTIERS (4)
[la forge, le tissage]
[la pêche]
[la chasse]
[le guérisseur]
LES RAPPORTS À L‟ENVIRONNEMENT (2)
MODES DE SUBSISTANCE
[modes de subsistance]
[le palmier]
LES DYNAMIQUES SOCIALES (2)
[l‟exode rural]
[le retour au village]
L‟IMAGINAIRE COLLECTIF (1)
L‟ÉDUCATION
[le conte]
LES MOYENS DE COMMUNICATION (1)
[les tambours]
L‟EMPLACEMENT (1)
LE VILLAGE
[l‟habitation]
LES TÂCHES MÉNAGÈRES (1)
[la cuisine]
[l‟interdit]
Par cette ontologie, on chercherait à rendre compte d‟une réalité culturelle africaine d ‟un point de
vue européen. En effet, on y suit un critère de classement général issu du modèle logique de la
présupposition propre à la culture et à la tradition philosophique européennes; puisque, selon ce
critère, l‟imaginaire demande un ancrage matériel, de même que la localisation précède le
mouvement, et que les sujets précèdent leurs actions, n‟importe quel groupe social demande
d‟abord un emplacement, où les rapports entre ses membres se développent afin d‟assurer la
consolidation de son identité en tant que communauté; c‟est ensuite sur cette communauté posée
que l‟on peut préciser ses rapports à l‟environnement et les tâches auxquelles se consacrent ses
membres, de même que, une fois cette communauté statique instaurée, on peut poser les
dynamiques sociales qui lui sont propres et finalement tout ce qui tient à l‟imaginaire et aux rites.
Aussi bien l‟une que l‟autre de ces deux ontologies auraient pu être à la base des données fournies
par la BD Koulou chez les Bantu: dans une approche plus « authentique » –mono-culturelle– de la
culture bantu, on aurait préféré la première, alors que dans une approche plutôt interculturelle –mais
aussi éclectique–, on aurait préféré la seconde.
3.3. Troisième approche: description anthropologique appliquée à la formation.
Pour compléter l‟appréhension de la culture bantu telle qu‟elle présentée dans l‟album Koulou
chez les Bantu, nous avons reconstruit la description anthropologique standard qui serait à la base
de cette bande dessinée, c‟est-à-dire, une description rendant compte des données anthropologiques
fournies dans la BD telles que l‟on pourrait les trouver dans un chapitre consacré à la culture bantu,
à l‟intérieur d‟un manuel d‟anthropologie destiné aux jeunes. Pour ce faire, nous avons dépouillé
toutes les données présentes dans le document, aussi bien dans les textes de clôture que dans les
textes dialogués, afin de les structurer ensuite en fonction de l‟une des ontologies précédentes.
Nous avons indiqué plus haut que les deux ontologies exposées seraient aussi bonnes à soutenir une
description
anthropologique et que le choix de l‟une ou de l‟autre découlerait d ‟une approche particulière du
mode de représentation des cultures. Étant donné que la bande dessinée analysée a une visée
interculturelle et qu‟elle a été conçue comme un outil dont on pourrait se servir dans des actions
d‟anthropologie appliquée à la formation, il est évident que c ‟est l‟ontologie à classement
épistémologique qui s‟avère être la plus cohérente vis-à-vis de l‟approche de la culture bantu
proposée dans la BD. En effet, dans le cadre d‟une description anthropologique destinée à des
jeunes européens, une telle ontologie aiderait à poser dès le début de l‟exposé de l ‟information une
structure plus apte aux cadres cognitifs propres à leur culture, créant, par là, plus de chances
d‟induire chez les récepteurs une attitude favorable non seulement à la appréhension des
caractéristiques de la société bantu, mais aussi à l‟acceptation d‟une vision du monde autre que la
leur. Cela dit, la description anthropologique standard, qui débute par un texte de présentation qui
reprend l‟information fournie au verso de la page de titre de l ‟album, peut se poser sous la forme
suivante:
DESCRIPTION ANTHROPOLOGIQUE
0. Présentation: Les Bantu sont originaires d‟une région de hauts plateaux entre le Cameroun et le
Nigeria, mais beaucoup d‟entre eux ont quitté cet emplacement et se sont progressivement installés
en Afrique Centrale, en Afrique de l‟Est et même en Afrique du Sud. Ses migrations ont débuté il y
a environ trois mille ans.
Les langues bantu sont nombreuses et elles ont la même origine.
Le mot « bantu » signifie les êtres humains.
1. L’emplacement.
1.2. Le village.
1.2.1. L’habitation: Chez les Bantu, même si l‟influence de la société industrialisée a donné lieu, en
milieu urbain, à la construction d‟habitations à structure typiquement européenne, dans les villages
l‟habitation est composée d‟espaces clos –les cases- et d‟espaces ouverts –les cours–, dont chacun
a une fonction précise. Par exemple, la case principale est souvent l‟espace où l‟on se réunit; il peut
y avoir des cours réservées aux enfants ou aux fêtes et la cuisine se trouve toujours à l‟extérieur.
2. Les rapports sociaux.
2.1. La famille.
2.1.1. La famille: La famille bantu est très large: elle est composée non seulement des parents
proches,
mais aussi des différentes branches de l‟arbre généalogique. Un groupe de familles peut donner lieu
à un clan ayant les mêmes interdits.
2.1.2. L’enfant: Lors des premières années de sa vie, l‟enfant passe la plus grande partie de son
temps
avec le groupe des femmes, mais aussi des hommes, de sa famille. Au début, les garçons et les filles
font l‟objet des mêmes soins, mais leur éducation change après en fonction de leur sexe et il y a
donc des interdits spécifiques à chaque sexe.
Selon la tradition bantu, l‟enfant doit être porté sur le dos, mais cette pratique est délaissée,
notamment en milieu urbain, au profit d‟autres propres à la société européenne, telles que
l‟engagement d‟une nourrice ou le recours aux médecins.
2.2. Les jeux: Malgré la présence éventuelle de jeux électroniques qui empêchent le contact avec les
autres, la
pratique des jeux traditionnels individuels ou en groupe reste vivante chez les enfants leur donnant
l‟occasion de se rencontrer. Les jeux peuvent demander des objets –tels un bandeau ou un cerceau–
et être accompagnés de comptines.
Chez les adultes, la pratique du jeu appelé songo est d‟usage.
2.3. La demande en mariage: Selon la tradition bantu, c‟est la fille qui est demandée en mariage par
des
hommes de la famille du garçon qui veut l‟épouser. Il est souhaitable que la fille fasse partie du
même clan du garçon, qu‟elle parle sa langue et qu‟elle cultive les champs, même si, de nos jours,
les femmes peuvent faire des études à l‟université, parler une langue européenne et travailler dans
l‟administration.
2.4. La femme: Selon la tradition bantu, la femme était surtout appréciée pour sa capacité à avoir
des enfants. La stérilité pouvait devenir une source de malheur qui parvenait même à engendrer une
jalousie malsaine envers des femmes fertiles. La femme devait s‟occuper des tâches ménagères –
que les hommes faisaient rarement par peur des moqueries–, ainsi que des enfants et des champs.
Pourtant, la vie des femmes bantu a bien évolué: aujourd‟hui elles créent des associations, où elles
prennent le
temps de se réunir et de discuter, se lancent dans le commerce et ont aussi des chances d ‟aller à
l‟université et d‟avoir leur permis de conduire.
3. Les rapports à l’environnement.
3.1. Modes de subsistance.
3.1.1. Modes de subsistance: La culture bantu demande de vivre en harmonie avec la nature, elle
s‟oppose au braconnage et au trafic de l‟ivoire et des peaux. Les modes de subsistance traditionnels
sont la chasse, la pêche et la cueillette. Les Bantu laissent les terres en jachère, c ‟est-à-dire, en
repos pendant un certain temps, afin que les récoltes soient plus abondantes. Ils jettent également
des interdits sur une nappe d‟eau ou sur une forêt pour que les animaux puissent se reproduire en
paix. Leur mode de subsistance est lié au respect de l‟environnement.
3.1.2. Le palmier: Le palmier est un arbre très utile: suivant les espèces, il produit de l ‟huile, du
savon,
du vin de palme, du raphia, du combustible. Ses noix servent à la préparation d ‟une sauce très
appréciée et son cœur semange comme un chou.
4. Les tâches ménagères.
4.1. La cuisine: C‟est surtout dans les villages que l‟on pratique la cuisine traditionnelle, au feu de
bois et avec de grandes marmites, où la noix de palme est un produit essentiel, et qui reste la
meilleure manière de préparer les mets africains –par exemple, le nyembwé à base justement de
noix de palme; cependant en ville, les ustensiles modernes et les aliments en conserve permettent à
la femme de cuisiner plus vite et plus facilement.
5. Les métiers.
5.1. La forge et le tissage: Le tissage de nattes est un métier typique de la culture bantu, parce que
c‟est sur une natte que l‟homme naît, se nourrit, se repose et meurt. Les nattes sont faites de paille,
de joncs, de roseaux entrelacés, mais leur production a bien diminué depuis que l‟on peut trouver
des couvertures et des draps.
Le travail des forgerons qui fabriquent des outils, tels que les couteaux, les haches, les pointes de
flèches et les lingots de fer, est aussi un métier propre à la culture bantu.
5.2. La pêche: Chez les Bantu, il existe de nombreuses techniques de pêche: le barrage, le bambou,
l‟épervier, la sagaie, la nasse, le trémail et la canne à pêche.
5.3. La chasse: Les Bantu chassaient en groupe des gazelles, des porcs-épics et des rats palmistes,
entre autres,
l‟aide de filets et de chiens. Pour les oiseaux et les singes, ils utilisaient surtout l ‟arc ou l ‟arbalète
dont les flèches étaient empoisonnées. Aujourd‟hui, ils se servent des fusils qui permettent de tout
abattre, et malheureusement même des espèces protégées.
5.4. Le guérisseur: Même si les Bantu acceptent de se faire soigner par des médecins diplômés, on
constate aussi que les tradipraticiens appelés nganga contribuent également à sauver bien des vies
avec leurs traitements à base de plantes et d‟écorces.
6. Les moyens de communication.
6.1. Les tambours: Même si de nos jours, les Bantu communiquent par radio, téléphone, fax ou
Internet,
autrefois ils se servaient des tambours à membranes ou des tambours en bois pour transmettre des
messages d‟un village à l‟autre. C‟est grâce aux sons graves et aigus de ces instruments et au
rythme que l‟on parvenait à former de véritables phrases.
7. Les moyens de transport.
7.1. Les moyens de transport: Autrefois, les Bantu se déplaçaient à pied sur la terre ferme, en
pirogue sur les
fleuves. À cette époque-là, les voyages pouvaient durer plusieurs jours. Pour les charges, ils
disposaient de porteurs et traversaient les fleuves sur des ponts de lianes. Aujourd‟hui on voyage en
taxi-brousse, en camion, en train ou en avion.
8. Les dynamiques sociales.
8.1. L’exode rural: Quitter le village est le souhait de nombreux jeunes qui espèrent trouver en ville
une vie
meilleure; mais, dans la réalité, c‟est parfois le chômage et la misère qui les attendent dans de
grandes villes où ils avaient rêvé de gagner beaucoup d‟argent, d‟avoir du succès et de se marier à
une belle fille.
8.2. Le retour au village: À cause du chômage en ville, des Bantu qui y étaient partis retournent au
village.
9. L’imaginaire collectif.
9.1. L’éducation.
9.1.1. Le conte: La tradition orale bantu est très riche. Des contes, des devinettes, des énigmes, et
des proverbes complètent l‟enseignement qui est donné lors des cérémonies d‟initiation ou des
soirées autour du feu.
Cependant, de nos jours, les soirées de contes disparaissent peu à peu dans les villages, et les
conteurs si aimés
11 autrefois ne fascinent plus autant les enfants d‟aujourd‟hui. En ville, le conte s ‟est adapté au
monde moderne et on le retrouve dans les livres pour enfants et même à la radio. En plus, les
veillées autour du feu sont remplacées par des soirées devant la télévision.
10. Les croyances.
10.1. La sorcellerie: Chez les Bantu, la croyance en l‟envoûtement est bien réelle. C ‟est là
qu‟interviennent les sorciers et autres féticheurs. La sorcellerie permet d‟expliquer
symboliquement le mal. Ce mal a pour origine la communauté des vivants ou des morts.
10.2. Les rapports aux morts: Chez certains peuples bantu, les morts peuvent, depuis leur dernière
demeure –
appelée le grand pays–, importuner les vivants, si ceux-ci n‟accomplissent pas les rituels demandés.
10.3. La religion: La religion traditionnelle des Bantu est fondée sur le culte des ancêtres. Les aînés
–hommes
comme femmes– qui ont vu les masques, les statuettes et les reliques qui représentent ces ancêtres
deviennent les intermédiaires entre la communauté des vivants et celle des morts. Ce sont eux qui
savent et enseignent que, selon les ancêtres, au commencement, était la fécondité, le feu, la
semence, la chasse...
Aujourd‟hui, en milieu bantu, on pratique aussi d‟autres religions, telles que l‟islam ou le
christianisme, et les diverses communautés religieuses se respectent entre elles.
10.4. Les totems.
10.4.1. Le perroquet: Dans la culture bantu, il y a des interdits qui concernent certains animaux,
comme le
perroquet, le caïman ou le singe, qui selon la légende avaient sauvé la vie d ‟un ancêtre. Ces
animaux deviennent alors les totems: le clan les protège et ne les mange jamais. En plus, ils
permettent aux membres d‟un même clan de se reconnaître.
Le perroquet en tant que totem est lié à la légende de Manombaa, une jeune fille que quelques
brigands ont surprise toute seule aux champs, mais à qui ils n‟ont pu rien faire, grâce à des
perroquets, car les oiseaux ont commencé à crier le nom de la fille, en mettant en fuite les brigands
qui ont cru qu‟elle était accompagnée de ses sœurs.
11. Les rites.
11.1. Les rites neutres.
11.1.1. Le rituel de la naissance: Chez certains peuples bantu, les femmes annonçaient le sexe du
nouveau-né en criant « Prenez les fusils et les lances ! », si c‟était un garçon, et « Prenez le panier
et la corbeille ! », si c‟était une fille. La mère recevait les premières visites maquillée au kaolin
rouge et une semaine plus tard, le nouveau- né prenait son bain rituel où on lui souhaitait bonheur,
prospérité et amour. La présentation officielle de l‟enfant, un mois après sa naissance, était
l‟occasion d‟une grande fête qui durait toute la journée et une partie de la nuit.
11.1.2. La circoncision: Chez certains Bantu, les garçons sont circoncis. Le prépuce enlevé est
enfoui
sous un bananier, symbole de la famille qui se renouvelle. Quelques mois plus tard, l ‟enfant
circoncis coupe les bananes de ce régime, pour qu‟elles soient consommées uniquement par les
garçons et les hommes au cours d‟un bon repas.
11.1.3. Les cadeaux de la demande en mariage: Autrefois, lors de la demande en mariage en milieu
bantu, la famille du garçon offrait, entre autres, à la famille de la fille ce que l ‟on appelait la
monnaie de dot, qui était composée de cauris –coquillages–, de bâtonnets de fer et parfois même de
sel. Aujourd‟hui ces marchandises ont été remplacées par de l‟argent.
11.1.4. Le rituel de pêche: La pratique de la grande pêche chez les Bantu obéissait à un certain
nombre
de rituels –danses, incantations, sacrifices.
11.1.5. Les costumes: Lors de leurs diverses cérémonies, les Bantu revêtent des costumes et des
parures
dont chaque élément est un symbole précis; par exemple, la peau de félin représente le pouvoir.
11.1.6. Les masques: À chaque groupe bantu correspond un type particulier de masque–fang,
kongo, tchokwé...– que l‟on met à l‟occasion des grandes fêtes, même si chez les jeunes les fêtes
n‟obéissent plus aux traditions. L‟identité du porteur du masque n‟est connue que des initiés. Le
masque incarne en lui plusieurs vertus; il est surtout le symbole de la puissance du groupe.
11.1.7. Les instruments de musique: Chaque groupe ethnique a ses propres instruments dont la
matière
varie en fonction de l‟environnement. Des instruments tels que le balafon, la harpe, le tambour de
bois, le tambour de peau ou le mvet sont choisis selon les diverses cérémonies –de mariage, de
retrait de deuil...– auxquelles ils sont liés, mais aujourd‟hui on les retrouve aussi à l‟occasion de
concerts de musique moderne.
11.1.8. Le rituel lié à la mort: Le décès d‟un parent pouvait donner lieu à des pratiques funéraires
telles
qu‟adosser le corps du défunt contre un arbre, le confier au fleuve ou l‟enterrer, l ‟important étant
d‟accompagner le mort à sa dernière demeure afin qu‟il n‟importune pas les vivants.
Si quelqu‟un mourait noyé dans un fleuve et que l‟on ne retrouvait pas son corps, on coupait un
bananier et on
enterrait le tronc dans une tombe spécialement creusée au bord du fleuve, pour que leurs parents
puissent s‟y recueillir.
11.2. Les rites adaptatifs.
11.2.1. L’interdit: Certains interdits servent à la protection de la santé et révèlent une bonne
connaissance de l‟environnement. C‟est le cas, par exemple, de l‟interdit lié aux champignons
panthère –appelés aussi
ngongongo–, une espèce vénéneuse. Chez les Bantu, on dit que ces champignons mangent le
nombril des enfants, c‟est pourquoi quand un enfant passe devant un ngongongo , il doit mettre ses
mains sur son nombril pour le cacher et partir à toute vitesse, bien que, en réalité, le conseil adressé
aux enfants soit un prétexte pour empêcher les accidents avec les champignons.
La description anthropologique standard que l‟on vient d‟énoncer est contrastive et cohérente donc
avec l‟ontologie qui la sous-tend. On peut affirmer, par là, qu‟elle est une version améliorée de
celle qui correspondrait strictement au schème de la BD; autrement dit, elle sert à exposer le
contenu anthropologique de l‟album sous une forme améliorée et dépouillé des traces du genre
bande dessinée, sans modifier pour autant la visée du document analysé.
Par ailleurs, dans la description précédente, il y a des espaces vides qui rendent compte des choix
des données faits par les auteurs de la BD en fonction des buts qu ‟ils s ‟étaient proposés. Certains
de ces espaces pourraient être remplis par des données de chacune des deux cultures, dont
l‟explicitation ne conviendrait pas à une approche interculturelle, par exemple l‟excision chez les
africains ou l‟esprit de consommation chez les européens. Somme toute, la description
anthropologique standard que nous avons dressée est composée des donnés indispensables à une
connaissance de base permettant le succès d‟une stratégie d‟anthropologie appliquée visant à
l‟utopie de l‟entente des civilisations.
4. Conclusions.
Bien que pour certains spécialistes le terme acculturation décrive « tout simplement les effets
dérivant des contacts culturels sans porter un jugement de valeur » (MOLO MUMVWELA, C.,
2008: p.134), ils est indéniable que les « situations d‟acculturation imposées voire planifiées
(colonisation) » (Ibid., p.135), s‟expliquent par un rapport de dominance entre deux sociétés, dans
un cadre idéologique ethnocentriste; plus précisément elles s‟appuient sur le principe de l ‟inégalité
des cultures dont relèvent des actions et des documents conçus par la société dominante pour la
permanence et la consolidation de ce rapport (ABOU, S., 1986: pp. 47-60). C‟est pourquoi, pendant
la période coloniale et post-coloniale, les manuels scolaires qui avaient été conçus –affirmait-on–
pour la formation de la population africaine dans les différents domaines de la connaissance,
servaient également à l‟inculturation des sociétés africaines par un modèle européen (NGUEMAOBAME, R., 2008: passim; ERNY, P., 2001: 45-67).
Cependant, de nos jours on observe une tout autre démarche, issue du relativisme culturel, que l ‟on
pourrait nommer rétro-inculturation7 et qui tient à une visée collaborative des rapports interculturels
entre les anciennes sociétés
dominantes et les dominées, et dont le but est, d‟un côté, de sauvegarder les cultures qui avaient été
soumises à la domination des colonisateurs, d‟un autre côté d‟attribuer à ces cultures un statut de
prestige afin qu‟elles soient mises au même niveau d‟égalité des modèles qui les avaient
colonisées. En d‟autres termes, on pourrait affirmer que la rétro-inculturation comporte un
dédommagement qui devrait aboutir au rééquilibrage des cultures qui avaient fait l‟objet d ‟un
processus d‟acculturation préalable.
Il est évident que les phénomènes de rétro-inculturation se rapportent à l‟application d ‟un principe
de base issu de l‟évolution de la pensée sociale dominante au XX ème siècle, à savoir qu ‟il n ‟y a
pas de culture qui soit méprisable, que la défense de toute culture est strictement nécessaire au
postulat de l‟existence du patrimoine spirituel de l‟humanité.
C‟est justement ce principe qui sous-tend l‟album Koulou chez les Bantu, car comme le prouve
notre analyse, il s‟agit d‟un document servant à une action d‟anthropologie appliquée à la
formation qui consiste à protéger la diversité culturelle, premièrement, par le choix d‟un public
cible qui assure les meilleures chances de succès de l‟action; deuxièmement, par l‟exposé d‟un
choix de données descriptives fondamentales de la culture bantu; troisièmement, par un traitement
de ces données axé sur une axiologie méliorative; finalement, par une démarche anthropologique
contrastive, entre la culture bantu et celle des sociétés industrialisées, mettant en relief des
convergences et évitant des incompatibilités qui pourraient mener à des affrontements empêchant
cette utopie qu‟est la cohabitation harmonieuse des individus d‟origines culturelles différentes,
partout dans le monde.
Bibliographie
La rétro-inculturation est une catégorie que l‟on pourrait ajouter, dans une optique plus large, à la
typologie des résultats des contacts interculturels proposée par Jean Fleury (FLEURY, J., 2002 :
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© Javier de Agustín, 2011
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