l`ontologie de kagame : une philosophie du langage sur

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Annales FLSH N° 19 (2015)
L’ONTOLOGIE DE KAGAME :
UNE PHILOSOPHIE DU LANGAGE SUR FOND DE
METAPHYSIQUE
Par
Pr BOSISE BONGOLI René1 et
BEKEKA LIKANE2
ABSTRACT
For our opinion, Alexis Kagamé offers us the opportunity to
rest the question of the origin or the absolute, the question of report
between the existence and him preexisting, that means the man's
opening to the being's transcendence from the African linguistic
categories.
The research of a metaphysical knowledge is as well
indispensable to the scientist that to all reasonable man, because it is
a lot of questions that escape the science and that, therefore, call
metaphysical solutions. For example, from where do come - us?
Does this question send back at the origin of the man. That is - us?
This question sends back to its nature. Or let's go - us? This last
sends back to the one of his/her/its destiny.
Indeed, Alexis Kagamé is one of the philosophers Africans of
the colonial time to propose a to be the language in order to discover
an ontology there. However well often, one evokes his/her/its name
as much as the one of Tempels, especially in our generation without
a knowledge either deepened sufficient of their œuvres.
To this title, our author deserves philosopher's name.
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Professeur Associé à l’Université de Kisangani
Assistant à l’Université d’Ikela
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0. INTRODUCTION
Depuis les temps anciens, les hommes ont toujours cherché à
obtenir une compréhension des événements, souvent énigmatiques
qui se produisent dans le monde qui les entoure. Les différents
mythes, qu’on trouve chez tous les peuples, ont été souvent conçus,
imaginés dans le but de rendre compte de l’existence même du
monde et de l’homme lui-même, de la vie et de la mort, de
mouvement de la terre, de la succession régulière des jours et des
nuits, etc.… si nous quittons ce monde de mythe pour suivre la
marche de la pensée proprement métaphysique ou réflexive, nous
assistons à ce même effort d’expliquer rationnellement le monde par
des causes dernières.
Ce besoin de comprendre le pourquoi de ceci ou de cela, cette
recherche d’une explication totale est une quête proprement
métaphysique. N’étant pas satisfait des vérités qui proviennent de la
connaissance vulgaire (qui se contente de l’opinion) et de la
connaissance scientifique (qui se limite au paraitre), l’esprit humain
en est arrivé à chercher un autre type de connaissance qui le ferait
pénétrer plus à fond dans l’explication des choses, c’est-à-dire une
connaissance des choses telles qu’elles sont en elles-mêmes et non
telles qu’elles paraissent, au fond il s’agit de la connaissance de
l’être et non de l’étant comme tel, bref une connaissance de l’absolu
et non du relatif.
Ainsi, comme le remarque Aristote, le plaisir de savoir qui
commence par le plaisir de percevoir et de sentir, atteste que savoir
est pour l’homme une activité conforme à la nature, bien plus ancré
dans sa nature, dont il est, pour ainsi dire une tendance. Ce plaisir est
d’abord, pour le vivant, le plaisir même de vivre. Mais « l’être
humain dispose de beaucoup plus que la faculté de sentir : il est
capable de développer un savoir » (ARISTOTE, 1992, 1003a33§, p
12). Car, l’expérience nous apprend simplement que la chose est, elle
ne nous dit pas le pourquoi des choses. Il y a en tout cas plus que ce
que nous voyons et palpons, Plus que ce que dit la science. La
véritable réalité serait ailleurs, au-delà ou en deçà, et au besoin à
l’intérieur, et requiert un radical changement d’optique.
Pour une meilleure appréhension de cet essai, nous nous
proposons d’évaluer dans un premier
point l’ontologie de
KAGAME et d’exhumer son statut, ensuite montrer en quoi sa
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philosophie est une systématisation et prise de conscience de la
pensée intuitive, et enfin donner une appréciation critique.
1. LA PHILOSOPHIE DU LANGAGE D’ALEXIS KAGAME
1.1. Considérations d’ordre historique : orientation de la philosophie
de Kagame
A titre de rappel, le père Placide Tempels fait figure de
pionnier à partir de son chef d’œuvre sur la philosophie Bantu. A.
Kagame et d’autres l’ont suivi. Mais cette problématique sur
l’existence de la philosophie africaine, était au centre de plusieurs
polémiques. C’est pour quoi, selon Bwanga Wa Mbenga, cette
tendance débutait une grande bataille théorique entre deux camps :
« ceux qui affirment l’existence de la philosophie africaine
(Tempelsiens) et les négateurs de l’existence de cette même
philosophie » (BWANGA WA MBENGA, 1981, p.21).
Tempels avait eu le mérite d’émettre pour la première fois son
hypothèse de l’existence d’une philosophie bantu. C’est à ce titre
qu’il passe pour le pionnier de la philosophie africaine. Pour
Bwanga, « A. Kagame confirme d’ailleurs l’existence d’une
philosophie bantu intuitive, c'est-à-dire l’agir humain sous la
conduite des principes rationnels, à travers toute son œuvre
philosophique » (BWANGA WA MBENGA, 1981, p.21). Ceci revient
à dire que le souci de Kagame, c’est de distinguer la philosophie
bantu de la philosophie en tant que métaphysique. Cela étant, dans
l’ethno philosophie des bantu, Kagame commence par les
considérations d’ordre historique : il parle des bantu et de leurs
langues. Le mot bantu, écrit-il, « évoque un groupe humain qui
peuple à peu près les tiers du continent africain » (A. KAGAME,
1975, pp. 93-111). C’est pourquoi nous estimons que malgré que les
bantu n’appartiennent pas une même race, ils partagent cependant les
éléments généraux d’une même civilisation. Car le critère de leur
unité culturelle est le système de langues à classes.
Les substantifs de ces langues, dont les racines restent
généralement inchangées, comportent un élément linguistique se
plaçant immédiatement avant la racine du mot. Cet élément que
Kagame nomme « classificatif », note Bwanga, a deux formes :
« l’une identifie le singulier et l’autre le pluriel » (BWANGA WA
MBENGA, a. c, p.26). Autrement dit, dans toute la zone bantu, le
substantif comporte un élément linguistique qui se place avant la
racine du mot. Cet élément s’appelle classificatif ou préfixe qui
comporte deux genres, dont l’un singulier et l’autre le pluriel, tandis
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que la racine reste invariable. C’est pourquoi. « Muntu » au singulier
homme et « ba-ntu » aux pluriels singuliers hommes. Nous
constaterons que « la racine ntu, mu et ba sont les deux formes du
classificatif » ((A. KAGAME, 1975, p. 93).
C’est vers 1852, pense Bwanga à la suite de Kagame, que la
forme bantu fut retenue par des linguistes qui travaillaient sur
l’Afrique australe. Les objectifs que se sont assignés ces linguistes
consistaient à designer par là l’ensemble des langues qui dénotaient
l’homme par la racine Ntu. A leur tour, les ethnologues
s’accaparèrent du même terme pour désigner la culture et les races
qui en vivaient.
Malgré l’acception universelle de ce terme Ntu, qui se
remarque dans les langues bantu à l’occurrence le terme Muntu
« pluriel : bantu » sous les formes suivantes : muntu (pluriel : wantu
ou antu), mundu (pluriel : andu), Ntu, mur (pluriel bar), mot (pluriel
bot), mutchu (pluriel atchu), etc. … et voir oma chez les mpongwe,
mukpa (pluriel de bakpa) chez hamba, l’idée d’unité qu’elle sousentend, prône Kagame, « n’est que fiction et solution de possibilité.
Seul, ajoute-t-il, le système des langues à classes, est le critère obvie
qui soit valable pour toute la zone considérée » (A. KAGAME, 1975,
p. 93).
1.2. Pourquoi une philosophie du langage ?
Il est question ici de l’importance qu’accorde Kagame au
langage abordant son étude ontologique. Car la philosophie du
langage est née en Afrique à partir de ses travaux, et principalement
à partir de sa philosophie bantu rwandaise de l’être. Mais son
analyse est plutôt linguistique ou théorico-linguistique.
En effet, si Kagame avait entrepris une étude systématique du
phénomène langage humain articulé, c’est parce qu’il avait compris
« qu’il existe un lien très étroit entre la pensée humaine et la
langue » (A. KAGAME, 1975, p. 943).
Il est, sans doute, un des premiers nègres de cette époque à
s’être réalisé l’importance des informations que peut octroyer la
structuration de l’expérience langagière sur le sujet humain. C’est
pourquoi la majorité des nègres de son temps considéraient la langue
« comme une superstructure pouvant éclairer un certain nombre de
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manifestations sociales, et que le langage est la conscience réelle,
pratique, renchérit Bwanga » (BWANGA WA MBENGA, A. c. p. 36).
A la suite de Wittgenstein, Kagame avait compris que « le
langage est une peinture de la réalité » (L. WITTIGENSTEIN, 1976, p.
33.). La dynamique du langage est une expression d’un rapport entre
l’homme et l’univers, une réflexion sur le réel.
Notre auteur avait compris avec Staline, selon le commentaire
de Gadet, que la « langue est un moyen, un instrument de
communication entre les hommes et qu’elle est directement liée à la
pensée dont elle enregistre et fixe les résultats du travail » (F.
GADET, juin 1977, pp. 56-61.). Ceci signifie que la langue étant un
symbole, elle ne fait pas seulement appel à l’interprétation, mais
aussi à une véritable réflexion philosophique. Donc, la langue est
imprégnée de philosophie, c’est-à-dire elle véhicule des idées, elle
est la sagesse parlée, l’expression de la pensée et de sentiment. En ce
sens, Heidegger considère le langage comme maison de l’être, A.
Kagame s’était rendu compte que le langage est manifestation et
source nourricière de l’existence d’un être. Son intérêt philosophique
consiste dans une purification à l’égard des habitudes sociales qui
masquaient l’essentiel, et entreprendre une purification semblable du
phénomène langage pour qu’en fait soit mise à nu la pensée de tout
un peuple. Qu’on est-il de l’ontologie comme science des êtres chef
KAGAME.
1.2.1. Les Quatre Catégories de l’être dans la Pensée Bantu selon
Kagame
L’analyse de l’ontologie de Kagame consiste à expliciter les
instances linguistiques fondamentales et particulières de l’univers
notamment des existants sans intelligence, de l’existant
d’intelligence et du préexistant. Sans se préoccuper de l’étude du
préexistant, entant que première cause des existants ; il convient
d’analyser les quatre catégories de l’être, à savoir le Muntu ou être
intelligent, le Kintu ou être chose, le Hantu ou l’existant localisateur
(le lieu et le temps) et Kuntu ou être modal.
1.2.1.1. Le « Muntu » ou être-avec-intelligence
L’homme est un animal supérieur formé d’un double principe
vital dont il importe de déterminer la nature : le principe vital, à
savoir l’ombre propre l’animalité et le principe d’intelligence.
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A. Le principe vital chez l’homme
Pour Alexis KAGAME, il n’y a de vivant que l’animal et
l’homme. Car, ce sont les « êtres doués de sens et du mouvement
spontané qui naissent et meurent » (A. KAGAME, pp. 108-109). Alors
que chez l’animal, le principe vital est appelé « ombre », dans
l’homme, Kagame distingue double principe vital, à savoir l’ombre
propre à l’animalité et le principe d’intelligence. L’ombre propre à
l’animalité est ce principe qui fait que l’homme agit parfois comme
l’animal. C’est une substance tangible et visible, le corps matériel,
tandis que le principe d’intelligence (âme) est un élément invisible,
substance éthérée. Au jour de la mort, le principe de l’animalité
s’évanouit. Et celui de l’intelligence, Kagame. Pense qu’une fois
scinder du corps au moment de la mort, il reçoit un nom
« MUZIMU » ou être d’intelligence privé de vie. Il était auparavant
principe de vie, séparé du corps, il ne peut être lui-même vivant,
mais reste un existant.
B. Lee principe vital d’intelligence
Le principe vital d’intelligence se manifeste au moyen de deux
facultés, à savoir l’intelligence et la volonté. L’intelligence est la
caractéristique spécifique de l’existant humain c’est-à-dire de
l’existant raisonnable, agissant ou rationnel. Car, l’homme est avide
de connaitre. Il est appelé à transcender le monde des intuitions,
signifiant le monde sensible, contingent, et apparent pour les choses
immuables et éternelles.
Par ailleurs, la volonté correspond au « cœur » en tant que
siège des pensées, de la vérité, des émotions…. Pour Alexis
Kagame, l’intelligence comprend trois propriétés inaccessibles à
l’animal : « Réfléchir, comparer les connaissances
acquises
antérieurement en vue d’en faire agir d’autres et inventer » (A.
KAGAME, pp. 241-242). Ces trois caractéristiques, sont fortement
liées parce que la comparaison renferme la réflexion, et l’invention
est le résultat de deux autres.
Le cœur ou volonté quant à lui, reste le totalisateur des
propriétés intérieures. Il est clair que l’intelligence est la marque
primordiale de l’homme. Car l’homme se veut créateur de lui-même
et inventeur permanent de ses valeurs ainsi que des buts de sa vie.
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Bref, il est capable de projet, de s’organiser et d’orienter sa vie
autrement.
1.2.1.2. Le « Kintu » ou « être-chose » : le figé, l’assimilatif et le
sensitif
Dans la catégorie des « Kintu, de l’existant sans
intelligence, se trouvent englobés l’existant « figé » (le règne
minéral : objet de la cosmologie bantu), l’existant « assimilatif » (le
règne végétal qui assimile et reproduit) et le sensitif. Et par existant
« figé », nous entendons le corps qu’on qualité d’inanimé ; et par
existant « assimilatif », le règne végétal. Mais, nous évitons, affirme
Kagame, « le qualificatif ‘’inanimé’’ du fait qu’en philosophie
bantu, le végétal est également inanimé » (A. KAGAME, p. 181)..
1.2.1.3. Le figé et l’assimilatif
D’une part, le Kintu figé se distingue de l’assimilatif en ce
que le premier « ne peut s’augmenter de l’intérieur par sa propre
réaction immanente : et le second c’est-à-dire l’existant assimilatif se
caractérise par deux propriétés fondamentales : l’assimilation et la
reproduction » (A. KAGAME, p.194). Pour être explicite, le Kintu figé
n’a aucune apparence de s’amoindrir, ni aucune possibilité de se
déplacer, à moins qu’un agent extérieur ne l’y provoque. Bref, le figé
n’évolue pas, il est incapable de se déployer ou d’agir. Par contre,
l’existant assimilatif se caractérise par l’assimilatif et la
reproduction. La première est la propriété grâce à laquelle le végétal
introduit en lui des matières extérieures, les soumet à une action
chimique et les transformes en sa propre substance. La seconde
c’est-à-dire la reproduction est la perpétuation du végétal.
D’autre part, les deux existants (le figé et l’assimilatif) se
rapprochent. En effet, le végétal comme le minéral est lui aussi
inanimé. Car les expressions ayant trait à la vie ne lui sont pas
applicables. La preuve en est que, en kinyarwanda, « les verbes
Kuvuka-Gupfa (naître – mourir) ne sont employés que pour les
animaux et les hommes. En ce qui concerne les végétaux, on les
remplace toujours par Kumera – Kwuma (germer – sécher) » (A.
KAGAME, p. 165). Kagame semble déduire de l’absence du
vocabulaire, l’absence de la réalité ontologique. A vrai dire, le
végétal fait partie d’être-avec-la-vie. C’est ainsi que parlant des
Baluba Tshiamalenga affirme : « la vie est partagée par Dieu, les
ancêtres, les hommes, les animaux et les végétaux. La preuve en est
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que ces catégories d’étant sont dites être-avec-la-vie (kwikala ne
moyo) par les Baluba » (TSHIAMALENGA NTUMBA, 1975, p.163).
Le principe général est que l’inanimé minéral et végétal
comporte en sa nature des propriétés variées, proportionnées
respectivement à chaque espèce. Ces propriétés variées ne sont pas
des principes opératoires, du fait qu’elles émanent de natures
dépourvues du principe vital. Elles sont plutôt prédisposées pour
l’utilisabilité, qu’elles sont supposées incapables de produire leurs
effets, à moins qu’un existant d’intelligence (Dieu, homme)
intervienne pour les tirer de leur indifférence, et en servir comme
instrument pour réaliser tel plan de son intention. C’est ainsi que agir
signifie exercer son action sur un objet distinct de moi-même. Bref,
il n’y a donc que les animaux, les hommes et Dieu qui agissent.
1.2.1.4. Le sensitif fait partie de la catégorie de Kintu
Le sensitif, c’est l’existant-sans-intelligence. Ceci signifie
que l’animal n’a pas de faculté de connaître comme l’homme ou
mieux il « connaît », mais autrement que l’homme. Entre son
connaître et celui de l’homme, il y a simplement une analogie.
Autrement dit, sa connaissance est limitée, une connaissance
instinctive comme le souligne les psychologiques. Le début de son
exister se dit naître, il se développe à la manière du végétal et la fin
de son exister est le mourir, ou séparation instantanée du principe
vital de l’animalité (« ombre ») avec le corps qu’il formait. Le
sensitif agit en dehors de soi-même puisqu’il suppose quelque
qualité de connaissance. Son ombre ou principe vital s’évanouit
après la mort. Mais, la minorité méridionale n’accepté pas que
l’ombre soit un principe purement matériel : il vit après la mort.
1.2.1.5. Le « Hantu » ou l’existant localisateur : lieu-temps
L’existant localisateur « lieu-temps », ainsi que la note
Vincent Mulago à la suite de Kagame, « sert à designer à la fois le
ubi et le quando » (A. KAGAME, p. 100). Ceci revient à dire que la
caractéristique commune au lieu-temps est qu’il se rapporte à la
localisation et à la durée. Généralement, selon Alexis Kagame, « le
qualificatif localisateur ‘’Ha’’ (ses équivalent P « antu » et « ka »)
est employé dans la zone orientale. Pour la zone occidentale,
l’équivalent de ‘’Ha’’ est ‘’Va’’, de la racine Uma= Va-uma,
contracté en « vuma ».
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Enfin, dans la zone sud, l’équivalent de Ha-Va est ‘’Go’’,
suivi de la racine « lo » (ou ro) : golo, avec une extension au Congo :
- « Nord jusqu’aux confins du Congo –Kinshasa, et superposition à
Kintu en Zambie – Malawi Tanzanie sud –occidental » (V.
MULAGO-GWA-CIKALA, PUZ, 1975, p. 121). Ce qui implique que le
« depuis » et le « là où » traduisent une seule réalité « Aho » parce
que, lorsqu’on situe l’être sur la dimension espace, il est évident
qu’on le localise ou qu’on le situe. Tout être est toujours situé dans
sa dimension spatio-temporelle. La combinaison « lieu-temps » a été
conçue et formulée par les bantu en une seule entité, à un certain
degré ; la confusion n’a pas été tolérée. C’est ainsi qu’au niveau de
la distinction de deux, le « lieu » sert à « situer » les existants
matériels ; alors que le « temps » sert à situer leur durée ainsi que le
surgissement et la durée des entités immatérielles que sont les
événements. Il s’ensuit au niveau de leur unification, toujours selon
Alexis Kagame, les deux entités doivent situer quelque chose qui est
à la base des existants des deux ordres (matériels et immatériels). Ce
quelque chose ne peut relever ni de la première catégorie (l’homme)
ni de la deuxième catégorie (chose). C’est nécessairement quelque
chose de la quatrième catégorie (le mode d’être d’un existant).
Nous devons donc rechercher quelque chose initiale des
existants, au point de la préfiguration des deux entités, là où les
existants matériels et immatériels ne sont pas encore situables, soit
au passage métaphysique ou de non-existant. Il nous semble que
Alexis Kagame ainsi que le fait remarquer Tshiamalenga Ntumba,
oublie qu’au niveau du dire, « tous les noms ressortissent, enfin de
compte, soit à la classe « Muntu-Bantu », soit à la classe « CintuBintu » (TSHIAMALENGA NTUMBA, a. c., p. 162).
Pour Tshiamalenga, à la classe ‘’Cintu-Bantu’’, se rattachent
les « locatifs ‘’Kuntu’’ (l’être-à-un-endroit), ‘’Muntu’’ (l’être-dansun-endroit) et le ‘’Pantu’’ (l’être-sur-un-endroit). ‘’Muntu ému
mmubi’’ : il fait malsain dans cet endroit ; ‘’Kuntu eku Nkuimpe’’ :
il fait bon à cet endroit : ‘’pantu’’ apa mpakane’’ : il fait beau sur cet
endroit. On le voit, les locatifs sont traités comme des noms ;
littéralement, cela se traduirait : ‘’le dans-cet-endroit est beau’’, le
sur-cet-endroit est malsain’’, ‘’le à-cet-endroit est bon’’, ‘’le sur-cetendroit est beau’’ » (TSHIAMALENGA NTUMBA, a. c., p. 162).
En d’autres termes, ces locatifs appartiennent à la classe « cintu » ou « l’être-chose » ; c’est-à-dire l’existant-sans-intelligence par
opposition à Kagame qui pense que le lieu et le temps
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n’appartiennent ni à la première catégorie (homme) ni à la deuxième
(chose). D’ailleurs, on le voit également, le « pa-ntu » n’est pas
l’équivalent de « Hantu » d’Alexis Kagame, de même que le
« Kuntu », luba n’a rien à voir avec le « Kuntu » kinyarwanda.
En définitive, vous estimons que tout existant dès qu’il surgit,
comporte nécessairement le « avant » et le « après ». Il en résulte que
l’existant animé ou non doué ou non de mouvement immanent,
immobile, en repos ou figé se trouve fébricitant du mouvement
existentiel sur la trajectoire vers la consommation connaturelle. Ce
mouvement existentiel est métaphysique, radicalement inaccessible à
n’importe qui.
1.2.1.6. Le « Kuntu » ou « l’existant modal »
Le « Kuntu » ou la manière d’être d’un être, est, selon
Kagame, « le genre commun de toutes les entités adhésives. Ces
entités sont exprimées en préfixant le classificatif « bu » (ou se
variantes bo, ou, u, vu, etc.) à la racine du mot. Elles sont rendues
également par le verbe (action, passion, état) ou par l’adverbe (de
manière, intensité » (A. KAGAME, p. 104). Ce donc la catégorie qui
centralise les modifications de l’être, soit en lui-même (qualité,
quantité), soit vis-à-vis de l’autre (relation, disposition, position,
possession, circumposition). Tels paraissent les existants d’après
Alexis Kagame.
1.2.2. Valeur de l’œuvre de Kagame
Il est question ici d’évaluer le statut du discours et du progrès
que Kagame a accompli par rapport à Tempels.
1.2.3. La démarche méthodologique de Kagame
Kagame sait sans doute qu’il revient à Tempels d’avoir initié la
problématique de la philosophie bantu. Mais, il le critique d’avoir
doté l’ouvrage d’un titre sans rapport avec le contenu. C’est
pourquoi, Mutunda Mwembo déclare que : « la méthode utilisée par
le pionnier de la philosophie africaine est déficiente » (MUTUNDA
MWEMBO, 1986, P. 166.)
. La déficience de la méthodologie tempelsienne se dessine
d’abord à travers une extrapolation abusive des conclusions d’une
enquête restreinte, et
ensuite à travers l’absence d’une
documentation. Car on ne peut, prétendre à la découverte de la
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philosophie bantu, à travers le comportement d’une seule tribu et sur
la quelle l’auteur se serait appuyé pour étayer ses affirmations.
Pour comprendre l’œuvre d’Alexis Kagame, il faut la situer
par rapport à « la philosophie bantu » de placide Tempels, ce célèbre
ouvrage que l’on place couramment à l’origine des polémiques qui
ont jusqu’ici occupé l’avant scène de la pratique philosophique
africaine. L’ouvrage de Tempels a été l’objet des critiques de la part
de Césaire, Eboussi Boulaga, Houtondji, Towa… pour Paulin
Houtondji, Tempels a confondu la philosophie au sens restreint et la
philosophie au sens large ou spontanée. Mutunda Mwembo rassure
« qu’on aperçoit l’intérêt suscité et l’importance revêtu par ce livre,
son accueil fervent par Alioune Diop, qui recommandait aux
Africains d’en faire leur livre de chevet » (MUTUNDA MWEMBO, a.
c., p. 167). Cet honneur de Tempels est lié au fait qu’il est le tout
premier à soulever le problème de l’existence de la philosophie
bantu. Raison pour la quelle, ce fait immortalisera sûrement sont
nom parmi les penseurs de notre civilisation.
Sa méthodologie se présente de la manière suivante : pour
parler d’une philosophie bantu, écrit-il contre Tempels, il fallait à
nos yeux, prendre d’un côté, « une zone culturelle déterminée et en
identifier les éléments philosophiques incarnés dans la langue et dans
les institutions, dans les contes, récits et dans les proverbes, en
évitant leurs aspects qui relèvent de l’ethnologie. Et de l’autre côté,
étendre ensuite ses recherches sur toute l’aire Bantu » (A. KAGAME,
1976, p. 8). En d’autres termes, la méthode de Kagame consiste à
rechercher les éléments d’une philosophie bantu, d’abord au sein
d’une langue déterminée (sa langue natale : le Kinyarwanda), ensuite
étendre ses recherches sur toute la zone bantu, dans le but de vérifier
si les mêmes éléments s’y trouvent ou non. La conclusion serait
qu’on pourra alors reconnaitre l’absence d’une philosophie bantu ou
affirme son existence réelle. Cela permettra, et aux autochtones et
aux spécialistes étrangers de contrôler le bien-fondé de la
documentation utilisée dans cette monographie de départ. Car une
fois en possession de ces éléments de départ, les recherches à
l’échelle de l’aire bantu peuvent être entreprises, pour vérifier en
quoi chaque zone serait en accord avec les résultats initialement
fixés, ou s’en différencieraient.
Dans cette deuxième phase également, pense Mutunda, « les
éléments culturels seraient loyalement soumis au lecteur et pour lui
permettre d’en juger l’extension, ils seraient portés sur une carte de
l’Afrique « Bantu » qu’il aurait sous les yeux. Ce serait à la suite des
résultats obtenus qu’il serait désormais possible de parler « d’une
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Philosophie Bantu », sous cette
(MUTUNDA MWEMBO, a. c., p. 167).
expression
généralisée »
C’est grâce à cette méthode que Kagame s’efforcera d’être
fidèle à l’analyse linguistique des parlers bantu, l’analyse de
l’interprétation des mythes, contes, des légendes, des fables, des
institutions sociales, réceptacles privilégiés de la philosophie Bantu
lui permettant de dégager la logique formelle des Bantu, leur
critériologie, leur ontologie, leur théodicée : il examine les
problèmes de localisateurs, des différentes espèces d’existants, de la
psychologie pour en terminer enfin par la religion Bantu (et l’éthique
qui en est un des éléments).
A cette évaluation, Mutunda pense que : « du point de vue de
l’exploration et de l’espace culturel, Kagame a accompli une œuvre
gigantesque nous fournissant une connaissance positive des
particularités des langues et des institutions bantu » (MUTUNDA
MWEMBO, a. c., p. 167). Car, à notre sens, la méthode que notre
auteur applique est bien indiquée pour aboutir à des résultats positifs
sur le plan documentaire. Mais qu’en est-il de sa pensée profonde ?
2. LA SPECIFICITE DE LA PHILOSOPHIE D’A. KAGAME
Au lieu de tirer de nombreuses acceptions du concept
philosophie de Kagame, nous en retenons deux, lesquelles
imprègnent toute la conception philosophique de notre auteur, en
l’occurrence : la philosophie définie comme métaphysique et comme
prise de conscience en vue d’une systématisation de la pensée
intuitive.
2.1. La philosophie est une métaphysique
Pour mettre fin aux aberrations antérieures en faisant, par
exemple, allusion à l’ouvrage du Révérend Père Tempels : « la
philosophie Bantu », cette entreprise relève d’une faiblesse. Car ce
missionnaire n’avait pratiquement basé ses recherches que sur un
groupe Bantu particulier. Tirant enseignement de cette erreur et dans
l’intention d’être plus objectif, Kagame avait alors un processus
d’investigation en deux phases : « la premier phase, celle de sa
monographie de départ, (l’auteur l’avait réservée à l’étude d’un
groupe bantu particulier, en l’occurrence son groupe natal : la zone
Bantu du Rwanda), la seconde, la phase de généralisation des
résultats de premières recherches en vue d’une légitimation de
l’existence de la philosophie Bantu »( Bwanga Wa Mbembo, a. c., p.
27). Cela se remarque du fait que les matériaux de travail qu’utilise
A. Kagame sont les documents institutionnalisés, notamment la
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langue (le Kinyarwanda), l’ensemble des proverbes, fables, contes et
poèmes, et aussi les institutions populaires, c’est-à-dire l’ensemble
des conceptions religieuses, la divination et la magie. Ce qui revient
à dire que la langue est un point de départ très important pour la
philosophie. Comment philosopher ?
En effet, pour philosopher, A. Kagame note qu’il est
nécessaire : « de pouvoir exprimer l’abstrait, faute de quoi, on serait
irrémédiablement rivé au concret » (A. KAGAME, La philosophie
comparée, p. 69). Ceci revient à dire que pour exprimer l’abstrait, le
système linguistique bantu introduit une classe spéciale, indiquée
par le classificatif ‘’bu’’ (ou ses dérivés ‘’bo’’, ‘’vu’’, ‘’ou’’, ‘’u’’),
car certains représentants de la culture euro-américaine, tel que
Hegel, ont laissé longtemps croire l’opinion que les bantu étaient
incapables d’exprimer l’abstrait. C’est pourquoi, le problème de
l’abstraction s’avère indispensable à la philosophie, parce qu’elle en
est le véhicule et la force de frappe.
La philosophie, pour A. Kagame, est une métaphysique, en ce
sens que le terme ‘’philosophie’’ aurait pu être remplacé par celui de
métaphysique de l’être en tant qu’être. Raison pour laquelle, il
retient le terme philosophie, dans la mesure où les Bantu n’ont pas
formellement atteint ce degré d’abstraction dans leurs conceptions
philosophiques.
D’après A. Kagame, la métaphysique d’une culture s’exprime
à travers sa logique formelle qui examine trois problème principaux
que sont : « le concept ou l’idée, la proposition qui traduit un
jugement de valeur et le syllogisme, qui exprime un raisonnement »
(A. KAGAME, p. 40).
Cette logique formelle est unique et universelle, parce que les
problèmes qu’elle soulève ont une portée humaine, universelle et
cela à l’instar des difficultés qu’éprouvent les langues à couvrir les
champs sémantiques les unes des autres. Le recours au vocable
métaphysique pour définir la philosophie fait que ce terme
philosophie hérite de la définition de philosophie première
d’Aristote. Cela nous montre le rôle que joue la philosophie
occidentale dans l’œuvre philosophique d’Alexis Kagame. Ce rôle
est celui d’un aiguillon, d’un instrument pour des recherches
philosophiques en zone Bantu.
Pour tout dire, selon le commentaire de Bwanga, Kagame
subdivise l’étude de la pensée profonde des Bantu en ces quelques
points clés : « il étudie d’abord la logique formelle des Bantu,
ensuite leur critériologie, leur ontologie et leur théodicée ; il examine
aussi les problèmes de localisateur, des différentes espèces
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d’existants, de la psychologie rationnelle pour enfin par la religion
Bantu et l’éthique qui en est un des éléments » ((A. KAGAME, p. 40).
Qu’en est-il alors de la philosophie comprise comme prise de
conscience et systématisation de la pensée intuitive ?
2.2. La philosophie comme prise de conscience et systématisation
de la pensée intuitive
Le problème fondamental de Kagame pour infléchir sa
recherche philosophique, c’est de parvenir à déterminer un élément
linguistique selon lequel la connaissance de la logique d’une langue
est très nécessaire pour pouvoir en tirer une philosophie. Aussi, pour
cette raison, Kagame se réfère à la structure du mot en vue d’y
déceler les éléments qui ont une certaine importance philosophique.
L’auteur soumet à l’examen le vocable « Umuntu » (homme)
qu’il dissèque en quatre éléments : u-mu-nt-u. Le premier élément
dont la spécificité est nul, n’a qu’une relative importance
grammaticale. Le second, le préfixe, est l’élément principal dans la
structure du mot kinyarwanda. Kagame lui attribue une appellation
originale, c’est-à dire le déterminatif. Ce déterminatif est l’axe du
mot et a pour rôle de lui déterminer la classe et le ton. Le troisième
élément, le radical ne découvre qu’une importance modeste en vue
de spécifier et de déterminer la charnière du mot (le second élément)
et le quatrième élément peut avoir une grande importance
philosophique.
C’est grâce à cet ordre contenu dans la structure interne de
chaque mot kinyarwanda, qu’on peut penser qu’il s’y trouve la
manifestation d’une philosophie qui animait nos vieux initiateurs.
Kagame confirme ce propos en ces termes : « … la terminologie
rwandaise s’avère vraiment et logiquement philosophique, c’est
vraiment extraordinaire comme notre langue une fois de plus,
s’avère être un document incontestable et irremplaçable en ce genre
de recherches » ((A. KAGAME, p. 7).
Nous pouvons donc conclure que, pour Kagame, la philosophie
est une prise de conscience et une systématisation des données et
problèmes philosophique, qui sont inclus soit dans les institutions
sociales soit dans le disque. L’auteur définit la philosophie du
langage, puisque c’est d’elle qu’il s’agit dans sa recherche, comme
une prise de conscience effective de la fixation d’une terminologie
adéquate aux problèmes fondamentaux des êtres.
Cette systématisation de la pensée profonde est évoquée chez
Kagame par le fait que bon nombre des philosophes ou intellectuels
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(Africains et Autres) critiques ont nié l’existence d’une philosophie
Bantu. Et cela pour la simple raison qu’ils ont confondu philosophie
et philosophe. Puisque l’agir humain a pour fondement les principes
philosophiques, on est en droit d’affirmer que la philosophie est
garante de tout comportement humain. Mais les Bantu n’avaient
qu’une philosophie sans philosophes, c’est-à-dire vivaient
implicitement leurs principes philosophiques se traduisant par les
actes sans en prendre explicitement conscience, sans en analyser le
contenu et en systématiser la charpente. Sont-ils des philosophes qui
s’ignoraient comme monsieur le Jourdain qui faisant la poésie sans
le savoir ?
Donc, il importe aux bantu de partir de leurs principes
philosophiques ; (les proverbes, les fables, sont très souvent d’une
portée philosophique évidente) d’en prendre conscience, d’en
analyser le contenu et d’en systématiser l’ossature.
3. APPORT CRITIQUE
En menant notre étude sur le statut ontologique de la
philosophie au langage de Kagame, l’histoire nous révèle que Alexis
Kagame est l’un des philosophes Africains dont les œuvres ont été
qualifiées d’ethno philosophiques par Paulin Hountondji, Marcien
Towa, Eboussi Boulaga etc. … parce que l’ethno philosophie est
caractérisée par le manque de texte original pour interpréter la
philosophie Bantu (Africaine).
3.1. Comment se pose le problème critique de l’ethno philosophie ?
D’une façon générale, le couple philosophie et ethnologie
désigne dans la pensée induite, des traditions ethniques et
généralisées sans critique ni fondement au niveau de la connaissance
scientifique. Autrement dit, c’est une pensée implicite liée à des
données culturelles africaines.
L’ethno philosophie, stipule Ngoma Binda, « a été créée par
Towa et Hountondji dans des études indépendantes, regroupant en
une seule et unique rubrique toutes les créations mi-philosophiques
et mi-ethnologiques produites par Tempels ainsi que ses successeurs
qui pensent révéler, par cette pratique, la philosophie Africaine
traditionnelle » (NGOMA BINDA, op. cit., p. 150). Ceci revient à dire
que l’ethno philosophie désigne ainsi une philosophie des ethnies qui
essaie de dégager à partir des comportements, des coutumes et des
langues, des systèmes des pensées cohérents, élaborés
inconsciemment et unanimement acceptés et régissant l’être et
l’existence des individus et des sociétés traditionnelles. L’ethno
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philosophie est une production à visée philosophique, mais
s’articulant sur les données africaines (les traditions, coutumes, l’art,
et la littérature orale en tous genres : contes, mythes proverbes etc.
…). Elle est une étude sur une ethnie à coloration philosophique.
A en croire Mutunda, Kagame a beau avoir « la précaution
d’éviter dans son étude les éléments relevant de l’ethnologie, c’est
l’ethno linguistique qu’il fait, l’ethno histoire qu’il réalise »
(MUTUNDA MWEMBO, A. c, p. 168).
En fait, cette critique appartient à l’histoire de la philosophie
africaine et rappelle les objections d’Ebousi Boulaga, Towa,
Hountondji,… et montre que les mythes, les contes, les légendes, les
fables, les proverbes, les institutions sociales et la sagesse populaire
n’abritent pas des séquences de philosophie impérissables,
restituables dans leur pureté originelle. Cela signifie, en d’autres
termes, que l’inventaire comparatif de tels matériaux extra
philosophique, (contes, légendes etc. …), à partir d’une analyse
linguistique, toute en intéressant ou en accaparant le philosophe, peut
ne pas représenter le fruit d’une investigation philosophique. De tout
ce qui précède, Hountondji récuse l’ethno philosophie, car celle-ci
est « un pré philosophie qui se prend à tort pour du méta
philosophie ; une philosophie qui, plutôt que de fournir ses propres
justifications rationnelles, se refugie paresseusement derrière
l’autorité d’une tradition et projette dans cette tradition ses propres
thèses et ses propres croyances » (P.J. HOUTONDJI, 1977, p. 17.). En
d’autres termes, ce refus des données d’ordre ethno philosophique
est lié au fait qu’elle trouve leurs explications dans des facteurs
historiques soumises aux lois de l’évolution sociale. Les principes
philosophiques, au contraire, sont invariables. Car la nature des êtres
devra rester ce qu’elle est, c’est-à-dire leur explication profonde
demeure immuable.
Comme on peut bien le remarquer, le développement
philosophique en Afrique impose d’abandonner la problématique et
les méthodes de l’ethno philosophie. Cela prouve que le monde
actuel n’est pas celui de nos ancêtres ou d’autrefois. Mais celui de
connaissances plurielles. C’est pourquoi pour être authentique et
fort, il y a nécessité de nous transformer en profondeur. C’est par
rapport à cela qu’une quatrième voie s’ouvre : celle de
l’herméneutique et de la symbiose de la reconnaissance et de la
critique de la philosophie bantu.
En définitive, Kagame présente non pas une vision collective
du monde, ce n’est pas non plus problème d’extension, mais il
présente une vision d’amplification abusive de la portée des résultats
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d’une enquête particulière sur le statut théorique du discours. En
d’autres termes, à partir de ses cogitations et interprétations
personnelles, Kagame a présenté la pensée de tout un peuple, c’est-àdire sur le compte des Bantu en général. (Le Ntu y correspond à
l’être). Raison pour la quelle, Mutunda pense qu’en allant à la chasse
« du réel avec le préjugé de l’existence d’une philosophie Africaine
stable, immuable, restituable dans sa virginité intemporelle, mieux
momifiée dans la tradition orale, en approchant ce réel avec une
méthode préexistant à la recherche elle-même, fixée d’avance,
Kagame pouvait-il éviter de tomber dans certaines impasses ? »
(MUTUNDA MWEMBO, a. c., p. 169).
3.2. Les mérites
Bien que ces œuvres soient qualifiées d’ethno philosophiques
par Hountondji et par les autres, A. Kagame affirme l’existence
d’une philosophie Bantu à découvrir dans l’unité culturelle de la
structure des langues Africaines. Cette unité se remarque aisément
dans le système des langues à classes qui est commun à toute zone,
et aussi la structure mentale du signe des idées, la catégorisation des
êtres et des existants, la conception du monde et de l’au-delà.
Toutefois, en suivant ses ambitions philosophiques, nous nous
rendons compte que, A. Kagame était hanté, dès le départ, par l’idée
d’écrire une philosophie du langage.
En effet, Kagame est parti du langage courant afin de chercher
à dévoiler la pensée profonde, la philosophie de Banyarwanda en
particulier, et celle de Bantu en général. Sa démarche était celle de
« cerner l’existence d’une unité culturelle des peuples de zone
Bantu » (ALEXIS KAGAME, p. 7.). Autrement dit, Kagame
entreprend une étude de la conception Bantu à partir des structures
linguistiques, à partir d’une langue particulière kinyarwanda en
mettant en lumière les articulations du réel et une conception du
monde. Il prend pour modèle la métaphysique d’Aristote qui se
fonde sur la langue grecque.
L’apport de son ontologie demeure nécessaire dans la mesure
où cette ontologie (elle contient trop d’éléments riches, notamment
la logique formelle Bantu, leur critériologie, leur théodicée, leur
psychologie rationnelle, ainsi que nous pouvons le reconnaitre par
son approche méthodologique. Inaugurant la méthode des analyses
linguistiques, Kagame découvre les catégories de la pensée Bantu :
Muntu (existant humain doué de raison), Kintu (être-sansintelligence, être chose), ce que Sartre appelle l’en soi ; Hantu qui
désigne les catégories de lieu et temps ; Kuntu qui désigne la
manière d’être de l’existant. Ces quatre catégories déterminent les
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propriétés des existants grâce auxquelles les Bantu appréhendent la
totalité du réel. Dans cette analyse, le Ntu correspond à l’être, mais
Dieu en est exclu.
3.3. Les faiblesses
Après avoir salué les mérites d’Alexis Kagame, nous pouvons
relever que les investigations de Kagame sur l’aire Bantu se révèlent
partielles. Car notre auteur, n’inspectant pas toute la zone Bantu et
privilégiant des régions déterminées, présente une ontologie
controversée. En tout cas, le concept Ntu, posé en termes d’axiome,
comme synonyme de l’être dès le seuil de l’ontologie Bantu, ne
signifie pas être sur toute l’aire Bantu. Il existe « un seul cas du
Kikongo où le concept « Ntu » est autonome et signifie « tête », et
celle-ci ne signifie point « l’être » » (NGOMA BINDA, op. cit., p. 61.).
Il serait impossible et surprenant d’envisager une ontologie
parallèle à la science de l’être en tant qu’être, même en Kikongo,
Ntu (être) ne dérive point d’un quelconque verbe être qui pourtant
est à la source des ontologies occidentales. C’est pourquoi, « Ntu »
ne signifie pas être. Car les langues africaines ne couvrent pas le
même champ sémantique que celui des langues occidentales. A titre
illustratif, on peut faire un examen de la racine « Ntu », qui ne fait
aucun Object du verbe être dans la langue Bantu : le verbe être chez
les mongo d’Ikela / Djolu, ce dit : Oyela, Ndèko, Ndjali ; en
Kikongo, « kuba », Kiyombe, « Kukala », en Lingala « Kozala », en
Tshiluba « Kuikala », en Swahili « Kuwa », en Kinyarwanda
« Kuba », en Tetela « Leko ». Cf. propos recueillis après l’interview
avec des interlocuteurs des parlers des langues Bantu : recherches
menées à l’Institut Facultaire Song (IFS), auprès du notable Bazo et
pasteur Alikane (11e rue Limete Kinshasa). Cela montre à suffisance
que cette analyse faite des langues Bantu n’a aucun rapport avec la
racine Ntu pour signifier être.
Eu égard à cette critique contre l’ontologie d’Alexis Kagame,
toute ontologie nait de l’être verbal ou du verbe être. C’est pourquoi,
si les penseurs africains veulent fonder une ontologie, c’est le verbe
être qui leur importe d’analyser. Une ontologie qui ne pourra
d’ailleurs qu’être analogique. Ceci signifie que la syllabe Ntu ne
dénote rien du verbe être. Ntu est un concept qui apparait à une
philosophie particulière, à un groupe des langues et non comme une
philosophie proprement dite. La langue grecque possède des
catégories de l’être, du non être, et toutes les autres catégories
qu’Aristote a inventoriées, le problème et la philosophie de l’être en
tant qu’être étaient possibles. Ainsi, les langues qui ne couvrent pas
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ces mêmes champs sémantiques, ne relèvent point de la conception
de l’être en tant qu’être.
4. CONCLUSION
En somme, pour notre avis, Alexis Kagame nous offre
l’opportunité de reposer la question de l’origine ou de l’Absolu, la
question du rapport entre l’existant et le préexistant, c’est-à-dire
l’ouverture de l’homme à la transcendance de l’être à partir des
catégories linguistiques Africaines. La recherche d’une connaissance
métaphysique est indispensable aussi bien au savant qu’à tout
homme raisonnable. Car il est bien des questions qui échappent à la
science et qui, par conséquent, appellent des solutions
métaphysiques. Par exemple, D’où venons-nous ? Cette question
renvoie à l’origine de l’homme. Que sommes-nous ? Cette question
revoie à sa nature. Où allons-nous ? Cette dernière renvoie à celle de
sa destinée.
En effet, Alexis Kagame est l’un des premiers philosophes
Africains de l’époque coloniale à proposer une étude du langage en
vue d’y déceler une ontologie. Or bien souvent, on évoque son nom
autant que celui de Tempels, surtout dans notre génération sans une
connaissance approfondie ou suffisante de leurs œuvres. A ce titre,
notre auteur mérite le nom de philosophe. Car, il invite les Bantu à
déceler leur ontologie, grâce à l’analyse de la langue ; et développe
une analyse pertinente sur la pluralité liée à la racine « Ntu » qui
jette une lumière intéressante sur le fondement d’une forme de
pensée. Mambika Nkata, ne souligne-t-il, pas que toute
métaphysique se construit sur un socle à quatre piliers à savoir,
« l’homme qui se pose des questions fondamentales, l’univers qui
porte l’homme, l’absolu qui fait irruption dans la vie de l’homme et
enfin, l’institution culturelle qui reste incontournable ? » (MAMBIKA
NKATA, 1996, p. 527).
NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE
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africaine, 1976.
2. IDEM, La philosophie Bantu-rwandaise de l’être. (Mémoire de
l’Académie Royale d’outre mer, tome XII, Bruxelles, 1956.
3. IDEM, « L’ethnophilosophie des Bantu », dans A.J.SMET, philosophie
africaine. Texte choisis, I, Kinshasa, P.U.Z., 1975, p.92-115.
4. BWANGA WA MBENGA, La philosophie du langage d’A.
KAGAME : prise de conscience et systématisation d’ «une
philosophie intuitive déjà-là » dans Langage et philosophie
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(recherches philosophiques africaines 6), Kinshasa, FTCK,
1981, p. 21-37.
MUTUNDA MWEMBO, Aspects Méthodologique de la philosophie
(étude de la philosophie Bantu comparée d’A. KAGAME),
dans problèmes de méthodes en philosophie et en sciences
humaines en Afrique (R.P.A), Kinshasa, FTCK, 1986, p.
165-171.
NGOMA BINDA, La philosophie africaine contemporaine. Analyse –
historico-critique, (RPA 21), Kinshasa, FCK, 1994
IDEM, A propos d’A. KAGAME : « De la force au Ntu » dans la revue
philosophique de Kinshasa, vol. I, n°2, décembre 1983,
Kinshasa, FTCK, p. 26-21
SMET, A.J., Une philosophie sans philosophie ? A propos de la
philosophie bantu d’A. KAGAME, Paris, 1976, dans Cahiers
des Religions Africaines, 1976. (1977), n° 19, p. 125-137.
WITT GENSTEIN, L., De la certitude, Trad. De J. Fauve, Notice
bibliographique établi par Georg Henrik Von Wright et
traduit de l’anglais par Guy Durand (Coll. Idées), Paris,
1976.
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