Publicité et législation en Europe
Dossier
Que pensez-vous de la loi Evin ?
La loi Evin bénéficie d’une sorte
de statut-culte auprès des
professionnels de la santé
publique de toute l’Europe,
surtout depuis le clash survenu
entre le brasseur américain
Anheuser-Busch et le
gouvernement français, à
l’occasion de la Coupe du
monde de football en 1998. La
volonté française de ne pas
céder sur les principes et de
résister à un géant de la
production reste un exemple
pour tous les acteurs de
prévention.
Pourquoi les champions
sportifs acceptent-ils de faire
de la publicité pour l’alcool ?
Le 31 mai dernier, la
Commission Européenne a
lancé une campagne à
destination des jeunes sur la
prévention du tabagisme. Elle
a fait appel à des joueurs très
populaires comme Zidane,
Raul, Figo ou Maldini.
L’engagement des stars du
football contre le tabac peut
jouer comme un argument
décisif auprès des jeunes !
Malheureusement, les
champions sportifs sont aussi
sollicités par les producteurs
d’alcool, qui les payent à un
niveau tel qu’ils ont du mal à
refuser leurs offres !
Les événements sportifs
seraient-ils menacés
financièrement par une
interdiction de la publicité
alcoolique ?
Bien sûr que non. C’est à eux
d’équilibrer leurs dépenses et
leurs revenus. En cas de
difficulté, ils peuvent toujours
réduire leurs dépenses, par
exemple en limitant le salaire
de leurs joueurs-vedettes.
Que risque-t-il de se passer au
niveau de la publicité pour
l’alcool ?
Je ne suis pas optimiste. Dans
de nombreux pays, les
réglementations sont en train
de perdre du terrain, au motif
que les professionnels de santé
n’ont pas apporté la preuve
formelle que la publicité est
préjudiciable à la santé ! Mais
à mon avis, le vent finira bien
par tourner. La question qui
demeure est : combien de vies
devront être sacrifiées pour
que les politiciens se décident
à agir ?
Dag Rekve, Senior Adviser
Ministère des Affaires Sociales de Norvège
appelons à
nos lecteurs
distraits que la
loi Evin (1991),
bien connue
au titre de la législation sur le
tabagisme, impose égale-
ment un contrôle sévère de
la publicité en faveur des
boissons alcooliques. C’est
même un des textes les plus
contraignants des pays de
l’Union européenne. La
législation française anté-
rieure –très compliquée et
discriminatoire vis-à-vis des
produits étrangers- n’était
pas compatible avec les trai-
tés européens. Elle avait
d’ailleurs été dénoncée en
1980 devant la Cour de justi-
ce des Communautés Euro-
péennes qui avait demandé
au gouvernement français
de modifier sa législation ;
les gouvernements succes-
sifs tardèrent ; le temps pas-
sant, producteurs et publici-
taires ignorèrent totalement
la loi, au point que quelques-
uns fabriquèrent leur propre
code de bonne conduite.
Parallèlement, les premières
chaînes privées de télévision
cassèrent le système régle-
mentaire interne des
chaînes publiques, où la
publicité pour l’alcool avait
toujours été interdite (1985).
Profitant de cette dérégle-
mentation, les publicités en
faveur de l’alcool exploitè-
Unique en Europe,
la loi Evin impose
des limites précises à
la publicité en
faveur de l’alcool :
espaces autorisés,
contenu des messages
comme des images.
R
10 - Septembre 2003 - N°3
Addictions
11 - Septembre 2003 - N°3
Addictions
rent des images de plus en
plus séductrices, évoquant le
plus souvent le monde des
loisirs : ainsi vit-on des
buveurs arborant tous les
signes de la réussite sociale
s’amuser sur des plages
ensoleillées ou dans des soi-
rées branchées. Certaines de
ces images, sexy et souvent
sexistes, outrageaient non
seulement la loi, mais enco-
re la pudeur ! C’est alors que
le Ministre français de la
santé, Claude Evin, guidé
par un groupe d’experts
connus sous le nom des «
Cinq sages », proposa une
loi sur l’alcool et le tabac.
Cette loi, mélange inédit de
produits psycho-actifs, fut
votée puis publiée le 10 jan-
vier 1991, après une longue
bataille parlementaire.
Une loi unique
en Europe
Les articles concernant l’al-
cool se résument ainsi :
Toutes les boissons com-
prenant plus de 1,2% d’al-
cool sont considérées de
façon égale devant la loi
comme des boissons alcoo-
liques : le vin et la bière
rejoignent ainsi le régime
commun.
Aucune publicité n’est
autorisée à la télévision et au
cinéma. Pas de sponsoring
d’événement sportif, seul le
mécénat peut être autorisé
dans certains cas.
La publicité est autorisée
seulement dans la presse
pour adultes, à la radio dans
des conditions précises,
dans les lieux de vente et
enfin durant certains événe-
ments ou en certains lieux
(comme les foires aux vins et
les musées du vin).
Le message est sévèrement
contrôlé, il ne doit mention-
Interview
Certaines de
ces images,
sexy et souvent
sexistes,
outragaient
non seulement
la loi, mais
encore la
pudeur !
La loi Evin n’est pas passée
par là : quelques exemples...
chauds de publicité,
venus de Scandinavie.
L’abus
d
de
p
publicité,
dangereux
p
pour
l
la
s
santé ?
Dossier
ner que les caractéristiques
du produit comme le degré,
l’origine, la composition, les
moyens de production ou
encore les modes de
consommation.
Un message sanitaire doit
être inclus sur chaque publi-
cité, précisant que « l’abus
d’alcool est dangereux pour
la santé ».
Il ne s’agit pas là d’un code
de bonne conduite, mais de
la mise en œuvre d’obliga-
tions légales comportant des
peines d’un niveau élevé. Le
texte semble assez difficile à
contourner : il impose des
limites précises en définis-
sant d’une part les espaces
où la publicité est autorisée,
et d’autre part le contenu
acceptable des messages et
des images. Il laisse toutefois
la liberté de donner des infor-
mations sur le produit. En
dépit de sa rigueur, le texte
reste de nature à stimuler la
créativité des publicitaires en
les obligeant à délaisser les
images traditionnelles et les
ressorts faciles de la
séduction. Cer-
taines campagnes
des années 90 sont
effectivement très
réussies. Certes,
quand elle livre des
informations
techniques « objectives » sur
les produits, la publicité en
faveur de l’alcool est encore
souvent tendancieuse.
Cependant, on peut considé-
rer que la loi a réussi à modi-
fier le discours publicitaire,
qui a perdu son
caractère volontiers
racoleur. On observe une
restriction de la narration,
une déshumanisation de
l’image –les buveurs ont dis-
paru - et…une apparition de
la figure du producteur, seul
personnage dont la présence
peut être facilement justifiée.
L’efficacité de la loi, elle, peut
se mesurer aux succès enre-
gistrés par l’A.N.P.A.A., qui a
toujours obtenu gain de
cause dans ses actions en jus-
tice à l’encontre des publici-
tés litigieuses.
Les effets de la loi
Evin
L’effet quantitatif
Il est difficile d’évaluer le
poids de chaque facteur :
prix, lieux de vente, publici-
té…influant sur la consom-
mation d’alcool, surtout
lorsque le rôle de ces fac-
teurs évolue dans le temps.
Les quelques études scienti-
fiques concernant les effets
de la publicité ont établi que
cet effet était faible. Aussi
producteurs d’alcool et
publicitaires peuvent-ils
soutenir hardiment
que la publicité ne
retentit pas sur la
consommation glo-
bale, et que la plu-
part des publicités
sont compétitives par
nature puisqu’elles ne
servent qu’à départager les
marques. Toutefois, il faut
reconnaître que la plupart
des études ont porté sur
des interdictions totales.
Peu de cas d’interdiction
partielle ont été pris en
considération. Par ailleurs,
l’effet n’a pas été étudié
selon les groupes d’âge et les
classes socio-économiques.
Dans un pays comme la
France où la diminution de
la consommation avoisine
1% par an tous les ans
depuis trente ans, la régula-
tion de la publicité ne repré-
sente qu’un élément d’une
stratégie générale de pré-
vention dont l’effet global
sur les jeunes générations ne
pourra pas se mesurer avant
plusieurs décennies.
L’effet symbolique
Ces considérations quantita-
tives ont en fait peu d’im-
portance par rapport à l’effet
qualitatif et symbolique. La
publicité est utilisée pour
renforcer les idées précon-
çues, nombreuses dans l’ar-
rière-plan culturel, sur la
consommation d’alcool. Les
Il ne s’agit pas
là d’un code de
bonne conduite,
mais de la mise
en œuvre
d’obligations
légales
comportant des
peines d’un
niveau élevé.
13 - Septembre 2003 - N°3
Addictions
12 - Septembre 2003 - N°3
Addictions
Ce sont une vingtaine
d’actions judiciaires qu’a
engagées l’A.N.P.A.A. depuis
1991, date de promulgation
de la loi Evin. Toutes gagnées,
sauf une, et encore en raison
de l’annulation d’un décret
sur lequel son argumentation
était fondée ! De nombreuses
marques ont ainsi été
épinglées : Marie Brizard,
Chivas Regal, J&B, Cambras,
Pétillant de Listel, Adelscott,
et… bien d’autres. Toutes les
publicités de ces boissons
allaient au-delà des
indications autorisées.
Ainsi en fut-il d’une
campagne publicitaire de
Kronenbourg. Deux visuels
étaient en cause. Le premier
représentait trois jeunes
femmes tout sourire, tenant
un plateau et trois verres de
bière, avec sur le côté le texte
« Distribution de
Kronenbourg fraîche aux
copines qui ont de la
conversation », suivi d’une
astérisque renvoyant en
petits caractères à l’adresse
d’un café à Tarbes.
Le deuxième visuel se voulait
la version masculine du
premier, une photo de trois
jeunes gens, aussi souriants
que les jeunes filles, coiffés
de chapeaux de paille,
et au regard le texte
« Distribution de
Kronenbourg fraîche aux
copains frisant l’insolation»
avec, toujours en petits
caractères l’adresse d’un bar
à Morcenx.
Pour l’annonceur et les
publicitaires, cette publicité
était tout ce qu’il y a de plus
légal, les photos et les textes
explicitant les modalités de
vente ou de consommation du
produit, indications
autorisées par la loi. Non ! a
répondu la Cour de Cassation
pour qui la Cour d’Appel de
Paris a parfaitement justifié
sa décision de condamnation
en relevant que « les
photographies ne
représentent pas des
serveurs et que les
accessoires n’ont pour but
que de renforcer le caractère
attractif de la publicité »,
ajoutant que « les messages
accompagnant les
photographies sont en réalité
des slogans publicitaires,
tandis que les adresses de
débits de boissons ne sont
destinées qu’à créer une
apparence de légalité, sans
véritable souci d’informer le
public ».
La dernière décision en date
remonte au 10 juillet 2003:
le TGI de Paris ( 31ème
chambre) a condamné à
10 000 euros d‘amende et à
1000 euros de dommages et
intérêts envers l’A.N.P.A.A. le
directeur de la revue Action
Auto Moto pour avoir publié,
sans message sanitaire, la
photo du podium du grand
prix de Formule 1 d’Australie
gagné par Michael
Schumacher où apparaissent
des publicités en faveur de la
bière « Foster’s » et du
Champagne Mumm.
D’autres affaires sont
actuellement en cours et
concernent les marques telles
que Martini, William Grant’s,
Absolut Vodka, Hennessy, …
ou encore Ricard et
Kronenbourg pour le
parrainage et l’animation
d’une soirée étudiante ( Voir
Addictions n°1, p.7). Les
prochaines décisions sont
attendues pour le début de
2004.
Les actions judiciaires de l’A.N.P.A.A.
Aux
c
copines
q
qui
o
ont
d
de
l
la
c
conversation
Publicité et législation en Europe
« créatifs » ne font qu’ex-
ploiter ces images préexis-
tantes, conscientes et
inconscientes. Si les effets de
l’alcool sur la santé ou la viri-
lité sont interdits par la plu-
part des codes de bonne
conduite dans le monde
occidental, la consomma-
tion d’alcool est encore très
souvent reliée à des valeurs
telles que le succès person-
nel ou la réussite sociale. La
sévérité de la loi Evin était le
seul moyen d’obtenir le
changement de ce discours
Il est difficile d’évaluer le poids des facteurs influant
sur la consommation. Jameson : une mise en scène qui va au-delà des informations
autorisées.
Futur
consommateur
ou objet de
consommation ?
Dossier
primaire, accrocheur et
facile.
Effets négatifs
Il est possible cependant
que des effets secon-
daires ou pervers se
manifestent : l’interdic-
tion publicitaire a entraî-
né le développement
d’autres formes de
« marketing », plus dif-
ficiles à surveiller légale-
ment et souvent plus
incitatives à la consom-
mation. Désormais cen-
tré sur la qualité des pro-
duits, l’impact publici-
taire est probablement
moindre auprès des
consommateurs potentiels,
qui ne se laisseront plus abu-
ser par un environnement
attractif. Mais il risque d’être
renforcé sur ceux qui
connaissent le produit, l’ont
expérimenté, éventuelle-
ment dans l’abus de la
dépendance.
La loi Evin reste cependant
très efficace sur la forme et le
contenu des messages
publicitaires dont elle corri-
ge les outrances ; en rappe-
lant que les boissons alcoo-
liques ne sont pas des mar-
chandises comme les autres,
elle rejoint la politique de
prévention, avec laquelle elle
est en cohérence.
Notons par exemple l’effica-
cité de la loi lors de la Coupe
du monde de football qui
s’est déroulée en France en
1998. Tous les Français se
souviennent que l’équipe de
France a gagné…mais
savent-ils que pour la seule
fois de son histoire, l’événe-
ment sportif le plus médiatisé
s’est déroulé sans publicité
pour l’alcool ? La loi Evin a
résisté à la force commerciale
du brasseur américain
Anheuser-Bush…ce n’est pas
son moindre mérite.
Certains spécialistes de la
santé publique estiment tou-
tefois que la loi n’a pas été
assez loin et montrent du
doigt telle ou telle publicité
qu’ils considèrent comme
litigieuse. Sans doute
devraient-ils ouvrir davanta-
ge les yeux lors de leurs
déplacements en Europe,
regarder les chaînes de télévi-
sion étrangères et lire la pres-
se européenne. Ils verraient
alors comment opère une
publicité non contrôlée fai-
sant usage de tous les res-
sorts (sexe, sports…) pour
attirer les consommateurs les
plus jeunes.
La loi Evin est-elle
extensible à l’Europe ?
La loi Evin a été plusieurs
fois mise en question au
nom des obligations de libre
circulation des marchan-
dises et des services au sein
de l’Union Européenne.
Argument qui jusqu’à pré-
sent n’a pas été retenu.
Il est clair que la loi
n’entraîne pas de dis-
crimination qui favori-
serait les produits fran-
çais. Les seules difficul-
tés qui peuvent surve-
nir concernent la
retransmission télévi-
sée d’événements
sportifs : la législation
empêchant la diffusion
sur les chaînes fran-
çaises de programmes
contenant des publici-
tés pour l’alcool.
Face à la disparité des
situations nationales et
compte tenu de l’ouverture
de l’Union Européenne à de
nouveaux pays à l’Est, il est,
il sera de plus en plus diffici-
le de légiférer. De nombreux
pays s’en tiennent aujour-
d’hui à la mise en oeuvre de
« codes de bonne conduite »
souvent gérés par les seuls
producteurs et distributeurs
d’alcool ou par les profes-
sionnels de la publicité. Ne
nous étonnons pas dès lors
que ces codes ne soient pas
toujours respectés par leurs
auteurs ! A l’heure actuelle,
les instances politiques et
administratives de l’Union
européenne n’envisagent
toujours pas de législation
commune. Pour ne pas
heurter de front les intérêts
économiques, elles préfèrent
la mise en œuvre des codes
cités plus haut. Naturelle-
ment, les forces politiques et
commerciales favorables au
libéralisme et à la mondiali-
sation refusent également
les contrôles. Pour leur part,
les associations de préven-
tion européennes comme
Eurocare proposent des
modifications prudentes,
acceptables pour tous. Ainsi
conseille-t-elle de laisser aux
Etats la liberté de réglemen-
ter la publicité (affichage,
radio, cinéma, publiposta-
ge…) à l’intérieur de leurs
frontières.
En revanche, des mesures
communes devraient être
envisagées dans tous les pays
européens dès que les
médias franchissent les fron-
tières. Il conviendra alors
d’interdire :
les actions de communica-
tion (publicité, relations
publiques, parrainage,
mécénat…) dans le cadre de
manifestations sportives.
toute publicité sur les
écrans de télévision
Même limitées, ces mesures
favoriseraient une nouvelle
attitude politique ; en refu-
sant de considérer les
citoyens du monde en
simples consommateurs
avides de biens et de ser-
vices, on obligerait les
concepteurs à un message
plus responsable, compa-
tible avec le discours de pré-
vention.
Dossier coordonné par
Michel Craplet, médecin
délégué de l’A.N.P.A.A.
14 - Septembre 2003 - N°3
Addictions
A l’heure
actuelle, l’Union
européenne
n’envisage
toujours pas de
législation
commune.
Publicité et législation en Europe
Homme/femme : les quotas sont respectés !
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