La Lettre du Psychiatre • Vol. X - no 3 - mai-juin 2014 | 91
DOSSIER
États limites
Antécédents de troubles
post-traumatiques
De nombreuses études ont retrouvé que les troubles
post-traumatiques, notamment à la suite de trau-
matismes sexuels et/ou physiques, favorisaient les
conduites addictives (7). Les troubles post-trauma-
tiques précoces étant particulièrement fréquents chez
les patients états limites, ils pourraient expliquer en
partie le développement des conduites addictives (12).
Des troubles de l’attachement (attachement insecure
désorganisé notamment), fréquemment rapportés
chez les patients états limites et connus pour favo-
riser les conduites addictives, pourraient également
expliquer leur fréquence dans cette population (5).
Aspects neurobiologiques
Le système opioïde joue un rôle dans la régulation
des émotions. Plusieurs études ont retrouvé des
anomalies de ce système dans les troubles de la
personnalité état limite, en particulier une diminution
des taux d’opioïdes endogènes, notamment de bêta-
endorphine et de met-enképhaline (14). Une étude
d’imagerie fonctionnelle en PET-scan a retrouvé, en
particulier, des anomalies de la fi xation des ligands
opioïdes, ce qui suggère l’existence de déficits
opioïdes endogènes chez les patients états limites,
par comparaison avec des témoins (15). Certains
auteurs ont souligné que la fréquence élevée des
addictions aux opiacés chez les patients états limites
pouvait évoquer une forme d’automédication (6).
Aspects thérapeutiques
Prise en charge intégrée
Il est souhaitable qu’addictions et troubles de la
personnalité état limite soient pris en charge simul-
tanément. Les traitements addictologiques peuvent
être utilisés sans restriction dans cette population,
sous réserve d’un contrôle strict de la délivrance. Les
benzodiazépines sont évitées autant que possible
du fait du risque d’usage détourné. Un autre enjeu
majeur est de repérer et de traiter précocement les
comorbidités psychiatriques ou somatiques fréquem-
ment associées, en particulier les troubles dépressifs
et bipolaires ainsi que les troubles thyroïdiens.
Il est souhaitable d’établir au préalable un cadre
thérapeutique, comprenant une discussion avec le
patient sur les objectifs, les modalités et les règles
de la prise en charge (4, 5). Ce cadre est souvent
mis à l’épreuve au début (absence aux rendez-vous,
situations de crise à répétition, etc.).
Une fois l’alliance thérapeutique établie, et après
avoir trouvé la bonne distance relationnelle, la prise
en charge psychothérapique vise à développer chez
les patients des capacités adaptatives autres que
le recours aux toxiques, à renforcer l’estime de soi,
à les aider à anticiper les situations de crise et à
améliorer leurs compétences sociales, y compris
par des techniques de résolution des problèmes,
notamment par la proposition de différents scéna-
rios (5). Le travail de fond vise à aider les patients à
reconnaître les états émotionnels chez eux et chez
les autres, notamment en reformulant et en explici-
tant la nature des émotions, à identifi er et modifi er
les relations dysfonctionnelles avec les autres, à
faire l’apprentissage d’une temporalité souvent très
perturbée (4). Les thérapies dialectiques de Linehan
sont pour l’instant peu développées en France. Les
médicaments antidépresseurs, les thymorégula-
teurs ou les antipsychotiques atypiques peuvent être
utilisés pour atténuer certains symptômes cibles du
trouble de la personnalité état limite (16).
Coordination entre thérapeutes
Les patients états limites nécessitent des compé-
tences psychiatriques multiples, notamment
psychopharmacologiques, addictologiques et
psychothérapiques. Ils sont de ce fait fréquemment
suivis par plusieurs thérapeutes, souvent au sein
d’une même équipe, en raison de la complexité des
problématiques et/ou par choix technique (théra-
pies bifocales) : psychiatres traitants, addictologues,
psychothérapeutes, médecins généralistes, qui colla-
borent en outre avec d’autres partenaires : médecins
du travail, éducateurs, justice…
La coordination entre partenaires est d’autant plus
indispensable que les patients induisent fréquem-
ment des attitudes de clivage (les “bons” et les
“méchants”), source de confl its entre thérapeutes.
D’où l’intérêt d’un thérapeute référent coordonnateur,
veillant à la qualité de la communication entre tous,
surtout en cas de prescriptions multiples. D’où aussi
l’intérêt d’un avis collégial sur la prise en charge et/ou
la supervision par un (des) pair(s), les patients états
limites induisant très fréquemment des attitudes
contre-transférentielles négatives, particulièrement
en cas de conduites addictives associées (4). ■
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Références
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A. Dervaux n’a pas précisé ses éventuels liens d’intérêts.