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page 107
La Lettre du Psychiatre Vol. X - no 3 - mai-juin 2014 | 75
Vol. X - N° 3
mai-juin 2014
Sommaire
ÉDITORIAL 75
Les frontières fl oues
Blurred boundaries
J.M. Havet
DOSSIER ÉTATS LIMITES 80
Coordonnateur : Dr J.M. Havet
Actualités en génétique du trouble de personnalité borderline
New developments in the genetics of borderline personality disorder
A. Amad
Le père dans la clinique des états limites, entre perception
et représentation
The father in the clinics of borderline pathologies, between perception
andrepresentation
V. Kapsambelis
États limites et addictions
Borderline personality disorders and substance use disorders comorbidity
A. Dervaux, X. Laqueille
Les troubles de la personnalité limite à l’adolescence
Borderline personality disorder in adolescence
S. Garny de La Rivière, A. Knafo, C. Pripis, N. Rey, J.M. Guilé
Les états limites, maternité et interactions mère-bébé
Borderline Personality Disorder, motherhood and mother-infant interactions
G. Apter
La prise en charge des états limites en hôpital de jour:
proposition d’un modèle adapté
Borderline personality treatment in an outpatient setting
A. Durand, P. Barrau, C. Lagathu, B. Laffy-Beaufi ls
ACTUALITÉS SCIENCES 105
Revue critique de la littérature
E. Bacon
EN PLUS...
Petite annonce | 106
J.M. Havet*
* Pôle de psychiatrie
des adultes,
CHU Robert-Debré,
Reims.
Les frontières
oues
Blurred boundaries
Confrontée, dès son origine,
à un univers apparemment
dépourvu de sens,
la psychiatrie s’est trouvée dans
l’obligation de classer les phénomènes
dont elle avait prévu de s’occuper.
Ordonner et hiérarchiser les diffi cultés
et problèmes des patients était,
et est toujours, considéré comme
le préalable à une action effi cace.
Très précocement, le futur
médecin est orienté dans sa démarche
intellectuelle vers l’identifi cation
des symptômes permettant d’établir
le diagnostic indispensable à la mise
en œuvre d’un traitement adapté.
En psychiatrie, faute d’étiologie
authentifi ée, le diagnostic ne peut être
que syndromique, cest-à-dire fondé
sur un regroupement symptomatique
statistiquement préférentiel
et/ou sur une conception
psychopathologique particulière.
76 | La Lettre du Psychiatre Vol. X - no 3 - mai-juin 2014
ÉDITORIAL
En psychiatrie, les classifi cations se sont succédé sans qu’aucune
ne puisse prétendre à l’universalité, ni être défi nitive.
La question demeure: existe-t-il – ou non – des entités naturelles répondant
aux défi nitions proposées et aux concepts créés? Avec ce risque, toujours présent,
de les hypostasier. À défaut de pouvoir répondre par l’affi rmative, nous remarquerons
qu’il n’y a pas de classifi cation sans classifi cateur et que celui-ci va dérouler son activité
classifi catoire en fonction d’un objectif qu’il devra être en mesure de justifi er
afi n de légitimer ses conclusions.
Notre tendance naturelle à penser par couples de termes opposés ne pouvait
que déboucher sur des conceptions dichotomiques. Nous avons donc commencé
par séparer ce qui semblait relever du somatique de ce qui pouvait être rattaché
au psychisme. Puis nous avons scindé les maladies mentales en névroses et psychoses,
chacun de ces 2“genres” étant lui-même composé d’“espèces” diff érentes.
Cependant, comme il était en pratique fréquent de ne pouvoir admettre certains patients
au sein de l’une ou l’autre des pathologies recensées parce qu’ils ne répondaient pas
àlapureté symptomatique requise, nous nous sommes trouvés dans l’obligation de créer
des catégories hybrides telles que : les maladies psychosomatiques, l’hystéro-épilepsie,
la psychose hystérique, les schizophrénies pseudo-névrotiques ou pseudo-psychopathiques
et le trouble schizo-aff ectif (jadis nommé schizophrénie dysthymique), etc.
Le recours à l’approche dimensionnelle peut apparaître comme une solution élégante,
mais elle est malheureusement diffi cile à mettre en œuvre en psychiatrie. Lexpérience
montre que l’on n’échappe pas si facilement aux catégories. Ainsi le DSM-IV proposait-il
(en annexe et comme “nécessitant des études supplémentaires”) l’approche dimensionnelle...
d’une catégorie (la schizophrénie). La diffi cile gestation du DSM-5 (dont les auteurs
avaient un moment espéré que l’approche dimensionnelle serait la marque de fabrique)
est venue confi rmer l’impossibilité de se passer des catégories (du moins en l’état actuel
de nos connaissances) dans la mesure où elles se montrent plus utiles que les dimensions
pour la pratique clinique et la recherche.
Lidée de comorbidité, permettant d’attribuer à un même patient plusieurs diagnostics
correspondant de façon hypothétique à des pathologies diff érentes, indépendantes,
ou nouant entre elles des liens spécifi ques, un trouble favorisant la survenue d’un autre,
est actuellement privilégiée par les cliniciens quand ils sont confrontés à diff érentes
pathologies dont ils peinent à saisir l’unicité.
On considère, même si l’idée d’état limite a une origine plus lointaine, que ce concept
est venu s’insérer entre les psychoses et les névroses, pour lesquelles les psychanalystes
avaient déterminé des structures spécifi ques et incompatibles, quand sont apparues,
au décours de cures types chez des patients présentant des symptômes d’apparence
névrotique, des manifestations pouvant aller jusqu’à une décompensation psychotique
aiguë.
Après avoir été une sorte de catégorie “fourre-tout” vide de tout contenu,
mais bien pratique pour caractériser les patients inclassables, cest-à-dire nentrant
dans aucune des grandes catégories alors admises, le concept d’état limite tend à trouver
sa place au sein des nosographies actuelles, à voir son sens se spécifi er.
Mais quel sera son avenir ? Il est possible qu’il conserve sa place et son intérêt.
Il est non moins probable que des changements, en rapport avec de nouvelles données
et découvertes, interviendront, ce qui requiert que nous gardions l’esprit ouvert.
Les frontières
oues
Blurred boundaries
J.M. Havet*
* Pôle de psychiatrie des adultes,
CHU Robert-Debré, Reims.
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La Lettre du Psychiatre Vol. X - no 3 - mai-juin 2014 | 77
ÉDITORIAL
Il nous faut admettre, une bonne fois pour toutes, que nous ne produisons
que du provisoire, et que nos concepts ne seront jamais qu’un pâle refl et du réel.
Il nous faut renoncer à faire coller le mot et la chose. Il nous faut reconnaître
avec les linguistes que les langues ne découpent pas toutes le réel de manière identique,
ne sont pas un seul et même calque invariable d’un réel immuable envisagé de la même
façon par tous les êtres humains. Chaque langue véhicule une vision du monde,
crée et structure la réalité de celui qui l’emploie. Notre langue organise les données
de notre expérience et nous impose un découpage particulier du monde.
Labsence de correspondance absolue, mot à mot, d’une langue à l’autre nest pas
sans poser de sérieux problèmes aux traducteurs.
Nos concepts ne seront jamais parfaits et, par voie de conséquence, leurs frontières
ne pourront qu’être fl oues. Dès le DSM-III, Robert L. Spitzer nous mettait en garde
contre l’illusion d’une taxinomie psychiatrique sans faille: “On ne postule en aucune
façon que chaque trouble mental soit une entité circonscrite, nettement limitée,
avec une discontinuité entre celui-ci, les autres troubles mentaux, ou l’absence de trouble
mental”. Cet avertissement sera repris (à quelques détails près) dans les éditions
ultérieures du manuel.
Il ne nous faut cependant pas abandonner la référence à toute forme de catégorisation
diagnostique, mais toujours en nous demandant quel est son intérêt et quelles sont
ses conséquences pour la pratique clinique et/ou la recherche, en d’autres termes
son utilité. Le moins que l’on puisse attendre d’une catégorie diagnostique est qu’elle soit
opératoire. C’est pourquoi une rigueur et une maîtrise diagnostique fondées
sur des critères cliniques ou psychopathologiques précis, permettant une modélisation
préalable à toute stratégie thérapeutique, reste indispensable, de même qu’un regard
toujours critique sur les résultats obtenus.
Les articles publiés dans
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le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs.
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays.
© mars 2005 - EDIMARK SAS - Dépôt légal : à parution.
Imprimé en France - Axiom Graphic SAS - 95830 Cormeilles-en-Vexin
Photo couverture: © Friedberg
J.M. Havet déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
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