DOSSIER
États limites Les états limites, maternité etinteractions mère-bébé
stimulations sont le moteur de ce développement,
et que, en même temps, la non-adéquation desdites
interactions entrave précisément ce développement.
Trop peu d’interactions et des carences majeures sont
connues pour entraîner des retards de développement
importants. Leurs séquelles peuvent être défi nitives
si ces carences sont durables et se produisent à des
moments clés du développement (9). Trop de stimu-
lations inappropriées, et l’agitation, l’hypertonie et la
souffrance physique et psychique du bébé sont alors
visibles. Les conséquences à long terme sont moins
univoques. Certains enfants évoluent vers une hyper-
maturité, d’autres vers une dysharmonie. La ques-
tion des distorsions plus subtiles, telles le décalage
temporel (“lagging”), les stimulations trop répétitives,
à contretemps, intrusives sans être maltraitantes sont
autant de formes complexes qui vont sculpter les
interactions, contraignant encore plus fortement les
réponses de l’enfant et induisant des patterns aux
résolutions indécises.
Psychopathologie des interactions
entre une mère atteinte d’un trouble
de la personnalité borderline/limite
et son bébé
Les mères borderline s’avèrent plus intrusives, moins
contingentes2, et moins empathiques avec leur bébé
de 2 et 3 mois (10, 11). Ces mêmes caractéristiques
sont retrouvées dans la littérature en ce qui concerne
les familles de patientes borderline (12).
Les mères présentant ce type de troubles mani-
festent des comportements paradoxaux dont elles
ont peu conscience et qui sont parfois diffi ciles à
repérer, même pour un observateur attentif (13). Les
interactions sont négligentes et carentielles, alors
que ces mères donnent pourtant souvent l’impres-
sion d’être activement malmenantes et intrusives. À
l’image de leurs basculements d’humeur, leurs “mood
swings”, les mères borderline varient du “pas assez”
au “beaucoup trop” presque dans le même instant.
Non seulement les interactions mère borderline-bébé
sont moins harmonieuses et moins accordées, mais
elles présentent également plus de discontinuités que
celles avec les mères sans TP. L’aspect “non contin-
gent” des interactions vocales est particulièrement
marqué (14). Enfi n, en ce qui concerne les caractéris-
tiques propres des confi gurations émotionnelles, la
synchronie et la mutualité, l’absence de corégulation
est manifeste. Les interactions ne présentent pas les
caractéristiques habituelles de “proto-accordage”, que
l’on peut constater dans des populations tout-venant.
Les mères présentant des TPBL, généralement
attachées de manière insecure et désorganisée,
proposent à leur nourrisson des patterns d’atta-
chement du même type
3
. L’attachement désorganisé
favorise alors l’apparition de diffi cultés psychiques,
elles-mêmes aggravées par les troubles relationnels
qui en ont établi les prémices (15).
Conclusion
Les mères présentant un TPB sont à risque accru de
présenter de manière insidieuse et durable un trouble
de l’humeur. En période périnatale, ces troubles
vont avoir un impact à la fois sur la (future) mère
elle-même et sur ses interactions avec son bébé.
Il s’agit de relations à risque de carences interac-
tives et affectives perceptibles par des stimulations
excessives et des comportements intrusifs, plus ou
moins associés à la dépression qui aggrave les diffi -
cultés tant du côté parental que dans les interactions
ainsi mises en œuvre. La période périnatale est un
moment privilégié d’intervention pour lutter contre
la carence et la négligence, souvent en lien avec une
répétition transgénérationnelle qui se mettrait en
place à l’insu même des parents, volontaires pour
la rompre mais impuissants à la combattre. ■
G. Apter déclare
ne pas avoir de liens d’intérêts.
3. Les différents types d’attachement
peuvent être caractérisés dès l’âge
de la marche (16). Ils se répartissent
en secure et insecure, ces derniers
pouvant se décliner en 3 types :
évitant, anxieux-ambivalent ou
désorganisé. Les 3 premières formes
d’attachement signent un style de
réponse stable du très jeune enfant
lors de la séparation d’avec sa fi gure
d’attachement, que celui-ci soit jugé
approprié (secure) ou non (évitant
ou anxieux-ambivalent). Seul le
type désorganisé se défi nit par des
patterns comportementaux impré-
visibles et chaotiques.
2. Dans les études anglo-saxonnes, le
terme de “contingency” signifi e une
réaction immédiate et correspondant
à celle qui l’a déclenchée. Les inter-
actions sont dites “contingentes”
entre la mère et le bébé lorsqu’elles
sont mutuelles et accordées. Une
“non-contingency”, au contraire,
vient souligner une absence de conti-
nuité et des ruptures dans le dérou-
lement interactif, tant dans le temps
(asynchronie) que dans les modalités
par lesquelles elles s’expriment.
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