
d’achat de tableaux et de manuscrits (Breton), la commande de textes (Cendrars), de « Projet
de bibliothèque» (Aragon, Breton), de « Projet d’histoire littéraire contemporaine » (Aragon),
de
topoï
sur l’histoire de la littérature contemporaine ou sur celle de Dada et du surréalisme
(Desnos). Le mécène par ces collaborations tente ainsi de se différencier des concurrents : les
jeunes d’une avant-garde volontiers provocatrice apportent à la haute-couture la touche de
scandale artistique, l’image d’une pointe avancée de la mode qui bouscule les bienséances ; cela
fonctionne jusqu’à un certain point, mais cette collaboration devient assez vite incontrôlable voire
préjudiciable au sponsor – et la borne est franchie quand les surréalistes publient le pamphlet
« Un Cadavre » au moment de la mort d’Anatole France, et que Breton ou Aragon insultent
grossièrement leur mécène. Cette borne était celle du « bon goût » et de la « civilisation » que
les avant-gardes se font un devoir de franchir, menaçant au-delà de tout compromis possible
les valeurs de cette clientèle huppée.
La Révolution surréaliste
et les premiers grands textes du mouvement ont pris au mot
l’esthétique apollinarienne de « Zone » (1913) qui avait déjà cessé d’apparaître à la génération
des futurs surréalistes comme un « esprit nouveau », lors de la conférence d’Apollinaire en 1917,
mais reste liée cependant à la définition du Moderne. Si l’on n’en connaît que deux vers, ce sont
ceux-là, inauguraux : « Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut/
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux ». Que la poésie s’expose sur les
affiches n’est pas pour étonner ceux qui prônent après Nerval « l’épanchement du songe dans
la vie réelle » et qui revendiquent avec Rimbaud, la poésie des « dessus de porte », « enseignes,
enluminures populaires : littérature démodée […] refrains niais, rythmes naïfs ». Les couvertures
de
La Révolution surréaliste
affichent comme autant de mythes modernes les mannequins des
vitrines qui fourniront au surréalisme un petit personnel photographiable et manipulable à
volonté, de
Nadja
à l’Exposition internationale du surréalisme de la galerie Maeght (1947) et
à l’Exposition E.R.O.S. (Exposition inteRnatiOnale du Surréalisme) en 1959. Vitrines, signaux
visuels, enseignes, affiches crient tout haut dans les œuvres et revues surréalistes que, loin de
se confiner à l’art pour l’art, le surréalisme ira voir du côté de la mode et de la vie quotidienne.
La Préface du N° 1 de
La Révolution surréaliste
le promettait :
On trouvera d’ailleurs dans cette revue des chroniques de l’invention, de la mode, de la vie, des
beaux-arts et de la magie. La mode y sera traitée selon la gravitation des lettres blanches sur
les chairs nocturnes, la vie selon le partage du jour et des parfums […]9.
Manuel Chemineau, à l’Université de Vienne, a montré dans les collages des recueils d’Ernst
et Éluard les strates d’emprunts superposés, et reproduit leurs sources issues de
L’Astronomie
populaire
de Camille Flammarion, de
La Nature
10 (1877-1901), du
Magasin Pittoresque
(1831 à
1879), des
Merveilles de la Science
(1861-1891). On voit que le côté désuet de la gravure est
essentiel à l’effet produit – et cela rejoint la conception aragonienne du Moderne qui ne se saisit
Colloque
Le Mécénat littéraire
, organisé par l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense et l’INHA du 22 au 24 juin 2016.
9. Signé Boiffard, Éluard, Vitrac, ce texte ouvre le n° 1, le 1er décembre 1924.
10. Manuel Chemineau,
Fortunes de « La Nature » 1873-1914
, Vienne et Berlin, LIT Verlag, 2012.
Les poètes et la publicité _ p. 100 ///