Le nouvel Institut Jules Bordet page 3 Une information adéquate

Le nouvel Institut Jules Bordet
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Une information adéquate
pourrait-elle changer
la vie du patient cancéreux?
page 20
L’héparine de bas poids
moléculaire, un agent anti-
cancéreux inattendu? page 4
Manifesations oculaires
des cancers
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La qualité des soins de
vos patients pourrait avoir
un impact sur leur survie
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L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
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4TRIMESTRIEL – JANVIER-FÉVRIER-MARS 2006
BELGIQUE/BELGIË
PP/PB
B-714
Bureau de dépôt Bruxelles X Brussel
Éditeur responsable: Harry Bleiberg, 1 rue Héger-Bordet, 1000 Bruxelles – N° d’agréation: P501016 – Autorisation de fermeture B-714 – Ne paraît pas en juillet-août
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ÉDITORIAL
2
Comment garantir aux malades l’accès aux meilleurs traitements?
Harry Bleiberg
3
Le nouvel Institut Jules Bordet…
Dominique de Valeriola,Philippe Close
COMMUNICATION
20
Une information adéquate pourrait-elle changer la vie
du patient cancéreux? Mais faut-il tout dire?
Harry Bleiberg
INFORMATION SCIENTIFIQUE
4
L’héparine de bas poids moléculaire,
un agent anticancéreux inattendu?
Marc Buyse
6
Évolution de la chirurgie d’exérèse du cancer du rectum
Jean-Claude Pector
8
L’oncologie gériatrique: l’oncologie de demain?
Chantal Bernard
14
Manifestations oculaires des cancers
Patrick De Potter
18
Ganglion sentinelle et mélanome
François Sales
26
Une nouvelle approche thérapeutique des métastases osseuses
Jean-Jaques Body, Filip Geurs
ÉTUDES CLINIQUES
7
PROCARE: un projet national belge sur le cancer du rectum
Jean Van de Stadt
7
Sélection de quelques études cliniques sur les tumeurs solides
POLITIQUE ET SANTÉ
5
La dimension européenne de la recherche en oncologie
Philippe Busquin
11
La qualité des soins de vos patients pourrait avoir
un impact majeur sur leur survie
Isabelle Ray-Coquard
PRÉSENTATION D’UN SERVICE
10
L’unité aiguë de soins supportifs de l’Institut Jules Bordet
Dominique Lossignol
RECHERCHE
12
Les MicroARNs (miARNs)
Bassam M. Badran,Arsène Burny
28
Cellules dendritiques I3: un nouveau vaccin cellulaire
anti-tumoral?
Laurence Gordower,Vincent Richard,Michel Toungouz,Thierry Velu
LA RUBRIQUE DU GÉNÉRALISTE
22
Prise en charge d’un nodule thyroïdien
Laurence Plat
LES BRÈVES
24
Nouveautés dans le traitement du cancer rénal avancé
24
Avancées 2005 en cancérologie digestive
28
Agenda
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“HÔPITAL INSOLITE”
Dans chaque numéro du Journal
du Réseau Cancer de l’Université
Libre de Bruxelles sera publiée
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d’une valeur de 150 .
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Photo gagnante voir en page 23
RÉDACTEURS EN CHEF
Harry BLEIBERG
Ahmad AWADA
Recherche Clinique
Ahmad AWADA
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Recherche Fondamentale
Christos SOTIRIOU
Gilbert VASSART
Hémato-oncologie
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Philippe MARTIAT
Psycho-oncologie
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Darius RAZAVI
Spécialistes en oncologie
Vincent NINANE
Jean-Luc VAN LAETHEM
Bordet-IRIS
Jean-Pierre KAINS
Martine PICCART
Wallonie
Vincent RICHARD
Erasme
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COMITÉ DE RÉDACTION
Ahmad AWADA
Harry BLEIBERG
Arsène BURNY
Vincent NINANE
Jean-Claude PECTOR
Martine PICCART
Yaël ROUACH
Jean-Luc VAN LAETHEM
CONSEILLERS SCIENTIFIQUES
Marc ABRAMOWICZ
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Michel AOUN
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Dominique DE VALERIOLA
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André EFIRA
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Patrick FLAMEN
Thierry GIL
Michel GOLDMAN
André GRIVEGNEE
Alain HENDLISZ
Jean KLASTERSKY
Denis LARSIMONT
Marc LEMORT
Dominique LOSSIGNOL
Thi Hiyen N’GUYEN
Eric SARIBAN
Jean-Paul SCULIER
Philippe SIMON
Alexandre ZLOTTA
ASSISTANTE À LA RÉDACTION
Yaël ROUACH – Tél. 02/541 37 65
jcancer.ulb@bordet.be
www.jcancerulb.be
Le contenu des articles publiés dans ce journal
n’engage que la responsabilité de leur(s) auteur(s)
SOMMAIRE
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°4 – JANVIER-FÉVRIER-MARS 2006
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2
Comment garantir aux malades
l’accès aux meilleurs traitements?
L
e traitement du cancer a progressé considérablement au cours des 10 dernières années…XXXXXXXX
A
ujourd’hui nous avons la chance de voir, grâce au développement de la biologie moléculaire, un
afflux de nouveaux médicaments actifs dans de nombreux cancers.Dans ce numéro du Journal du
réseau cancer de l’Université Libre de Bruxelles, Thierry Gil (page 24) rapporte que de nouveaux agents
toujours à l’étude,mais disponibles dans le cadre d’études et de programmes compassionnels,permet-
tent probablement de doubler la survie des patients atteints d’un cancer du rein; Alain Hendlisz (page
24) rapporte les progrès réalisés en 2005 dans le traitement adjuvant du cancer du côlon et de l’esto-
mac et Jean-Claude Pector (page 6) montre que, grâce à une nouvelle technique chirurgicale,la résec-
tion totale du mésorectum, le taux de récidive dans le cancer du rectum est passé de 30-40% à moins
de 5%.Chaque année de nouveaux standards sont proposés.
Comment s’assurer que tous les médecins sont au courant des dernières recommandations et sont en
mesure d’en faire bénéficier leurs patients? Comment s’assurer que les indications sont bien posées,les
traitements correctement administrés et les techniques bien appliquées? Ceci est primordial car de nom-
breuses données suggèrent que la mise en place de traitements validés permet de guérir plus de patients
ou de retarder significativement la progression de la maladie (Isabelle Ray-Coquard page 11).
En Belgique,un arrêté royal en date du mois de mars 2003 impose de nouvelles normes pour la pratique
de l’oncologie.Ces dernières modifient complètement notre façon d’aborder et de traiter les malades et
vont considérablement améliorer la distribution des soins en oncologie.
Larrêté royal précise d’emblée que le caractère pluridisciplinaire de l’oncologie et l’approche impérative-
ment transversale du cancer constituent les sources des normes proposées. La consultation pluridiscipli-
naire est garantie par l’organisation d’une concertation pluridisciplinaire,relative au patient individuel,entre
les prestataires de soins concernés. Un plan de traitement oncologique doit être élaboré pour chaque
patient et ce conformément aux directives contenues dans le manuel oncologique pluridisciplinaire.
L’intégration des nouveaux standards comme ceux que nous voyons émerger se fera par une remise à
jour régulière du manuel d’oncologie pluridisciplinaire garantissant à chaque malade qu’il bénéficiera
bien des traitements les plus récents.Larrêté royal prévoit un suivi de la qualité des soins dispensés dans
chaque institution.
Le mode de décision traditionnel basé uniquement sur l’expérience personnelle d’un médecin nest plus
de mise.Il doit être basé sur les données actuelles de la science (Evidence Based Medicine,EBM) .
L’EBM est une approche méthodique de la pratique médicale fondée sur l’analyse critique de l’informa-
tion médicale.La décision médicale dans cette approche se fonde sur une meilleure utilisation des don-
nées actuelles de la science,fournies en particulier par les essais cliniques. Chaque méde-
cin devra apprendre à interpréter les études, à affiner son sens critique et confronter son
opinion à celle de ses confrères.
La création du Journal du réseau cancer de l’Université Libre de Bruxelles s’inscrit dans cette
mouvance de l’oncologie de demain.Nous espérons qu’il aidera à la propagation des nou-
veautés médicales, qu’il favorisera l’élaboration de nouvelles stratégies et permettra plus
d’interaction entre les médecins. Harry Bleiberg
Rédacteur en chef
ÉDITORIAL
JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°4 – JANVIER-FÉVRIER-MARS 2006
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JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°4 – JANVIER-FÉVRIER-MARS 2006
Dans un précédent numéro du Journal,
Jean-Louis Vanherweghem, Président
du Conseil d’Administration de l’Université
Libre de Bruxelles,vous révélait la création
le 20 décembre 2004 du Cancéropôle Jules
Bordet de l’Université Libre de Bruxelles.
Le nouvel accord cadre,conclu le 19 octobre
2005 sous l’impulsion du Cabinet du Minis-
tre de la Santé Publique Rudy Demotte et de
nombreux acteurs convaincus, entre l’ULB,
le CPAS,la Ville de Bruxelles et l’Interhospi-
talière Régionale des Infrastructures de Soins
(IRIS),va donner un énorme coup d’accéléra-
teur aux perspectives de croissance de l’Ins-
titut Jules Bordet. Cette convention est déjà
considérée comme le troisième accord his-
torique de ces deux derniers siècles entre
l’ULB et le CPAS de la Ville de Bruxelles,après
celui de 1834 aboutissant à la création de la
Faculté de Médecine et celui du 11 mai 1920
scellant leur collaboration dans l’intérêt de
la science et de l’enseignement ainsi que
pour le bien-être des malades hospitalisés”.
Même si cet accord ne concerne pas que l’ins-
titut,il va bien au-delà de toutes les espéran-
ces de développement pour l’Institut Jules
Bordet en tant que Centre Intégré de Lutte
contre le Cancer de renommée internatio-
nale.Il va en effet lui permettre de jouer son
rôle de référence pour la Belgique mais aussi
de devenir de plus en plus compétitif à l’éche-
lon européen et international tout en répon-
dant à l’évolution démographique et aux
besoins de la population de la Région de Bru-
xelles-Capitale en matière de cancérologie.
Mais quelles sont donc les perspectives
pour l’Institut Jules Bordet
dans le cadre de cet accord?
Tout d’abord, l’Institut sera reconstruit à
côté de l’Hôpital Erasme et de la Faculté de
Médecine sur le site d’Anderlecht,ce qui lui
permettra de développer sa triple mission de
soins – du dépistage jusqu’aux traitements
palliatifs –, de recherche et d’enseignement
en étroite synergie avec l’hôpital académique
et les laboratoires de l’ULB. Cet environne-
ment académique est en effet indispensable
à la dynamique de recherche et de formation
que l’Institut a toujours soutenue depuis sa
création au plus grand bénéfice de ses patients.
Le nouvel Institut Jules Bordet centralisera,
sur le site d’Anderlecht,l’ensemble des activi-
tés oncologiques réalisées actuellement à
l’Institut Jules Bordet et à l’hôpital Erasme.
À cette fin, il augmentera ses capacités
d’accueil des patients en passant de 154 à
200-250 lits et réunira en son sein le per-
sonnel de l’Institut Jules Bordet et les dif-
férents acteurs de l’Hôpital Erasme compé-
tents dans le domaine de l’oncologie.
Il assurera en outre le pilotage et la coordi-
nation du plus vaste programme de soins
oncologiques belge, résultat de la fusion
des actuels programmes de soins oncolo-
giques Erasme-ULB et Bordet-IRIS et réu-
nissant l’ensemble des structures hospita-
lières des réseaux ULB et IRIS.
Ce regroupement des activités deviendra
rapidement le berceau idéal pour la recher-
che clinique, entre autres sur les nouvelles
technologies et les nouveaux médicaments
anticancéreux.
En outre,afin de répondre au mieux aux be-
soins de la population en terme de dépistage,
les anciens bâtiments de l’Institut Jules
Bordet seront transformés en une vaste cli-
nique de Prévention et de Dépistage global
au centre de Bruxelles. Celle-ci offrira, outre
un dépistage des affections cancéreuses par-
ticulièrement centré sur les patients à haut
risque,le dépistage de l’ensemble des autres
pathologies et des actions préventives qui,si
elles sont bien menées,permettent une dimi-
nution de l’incidence de ces pathologies ainsi
que leur mortalité. Le nouvel Institut Jules
Bordet continuera à assurer l’organisation et
la coordination des activités oncologiques
dans cette nouvelle structure.
Par ailleurs, afin de couper court à toutes
les rumeurs de fusion,le nouvel Institut Jules
Bordet,bien qu’intimement lié à l’hôpital aca-
démique,restera autonome et continuera à
faire partie intégrante des hôpitaux IRIS.
Il restera cogéré par la Ville et le CPAS de
Bruxelles ainsi que par l’Université Libre de
Bruxelles.
Et quelles sont les échéances?
Le plus vite sera certainement le mieux vu la
vétusté des bâtiments actuels et l’enthousias-
me des nombreux acteurs. Il convient toute-
fois de bien intégrer toutes les dimensions
d’un projet d’une telle envergure et de déjà
le projeter dans la cancérologie de demain.
Les différentes équipes concernées vont main-
tenant s’atteler à finaliser le projet médical
dont les grandes lignes sont déjà tracées
dans l’accord cadre afin que la reconstruction
de l’Institut Jules Bordet puisse se concréti-
ser dans les 5 à 10 ans qui viennent.
Ce projet ambitieux,porté par l’ensemble des
autorités tant politiques qu’académiques,
mettra à disposition de l’ensemble des pa-
tients et des acteurs concernés une structure,
un environnement et une cohérence leur
offrant l’accès aux technologies et aux soins
oncologiques à la pointe du progrès ainsi qu’à
une recherche en cancérologie tant fonda-
mentale que translationnelle et clinique coor-
donnée et compétitive à l’échelon interna-
tional.Il donnera également aux étudiants
tant belges qu’étrangers l’accès à un ensei-
gnement d’une richesse exceptionnelle en
matière d’oncologie et sera la source de
nombreuses collaborations nationales et
internationales.
Plus que jamais avec ce projet, le crédo de
l’Institut Jules Bordet Ensemble faisons
gagner la viesera d’actualité.
Dominique de Valeriola
Fonctionnaire-Dirigeant Médecin
Médecin Chef de l’Institut Jules Bordet
Philippe Close
Chef de Cabinet du Bourgmestre
de la Ville de Bruxelles et Vice-Président
du Conseil d’Administration
de l’Institut Jules Bordet
Le Nouvel Institut Jules Bordet:
nouveau site et nouveaux espoirs de développement
pour le Centre Intégré de Lutte contre le Cancer
de l’Université Libre de Bruxelles et du réseau IRIS
Dominique de Valeriola
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L’héparine de bas poids moléculaire,
un agent anticancéreux inattendu?
Marc Buyse,International Drug Development Institute (IDDI)
L’héparine est un agent anticoagulant
qui a fait l’objet de nombreuses études
cliniques dans la maladie thromboembo-
lique. Les héparines de bas poids molécu-
laire (HBPM),en particulier,sont remarqua-
blement efficaces pour le traitement et la
prévention des thromboses veineuses pro-
fondes et des embolies pulmonaires. Dès
1992, des observations anecdotiques sug-
géraient une réduction possible de morta-
lité chez des patients atteints de tumeurs
dont le risque thromboembolique justifiait
un traitement par HBPM.Ces observations
ont été confirmées ensuite par une méta-
analyse(1) regroupant les résultats de neuf
essais randomisés comparant une HBPM
à un groupe contrôle. Cette méta-analyse
indiquait une réduction relative du risque
de mortalité à 3 mois d’environ 40% en
faveur de l’HBPM1 (2)
“La mortalité globale à deux
ans était de 21% dans le groupe
traité contre 11% dans le
groupe contrôle, une différence
absolue d’environ 10%”
Cependant,aucune des études randomisées
n’avait pour but d’étudier la mortalité par
cancer et il restait à démontrer,par une étude
prospective randomisée, que la réduction
du risque était bien réelle et attribuable à
l’HBPM.Létude FAMOUS (Fragmin Advanced
Malignancy Outcome Study), publiée en
2004,a randomisé 385 malades porteurs de
tumeurs solides métastatiques entre un
groupe traité par HBPM pendant un an et
un groupe recevant un placebo2. La survie
globale des deux groupes ne différait pas
significativement (p=0.19),malgré une ten-
dance à l’amélioration de la survie chez les
malades survivant après un an: chez ces
derniers, la probabilité de survie des mala-
des traités par héparine était d’environ
9% supérieure à celle des malades rece-
vant le placebo.
Ce sous-groupe n’avait pas été défini a priori
et,dès lors,cette étude n’apportait pas une
démonstration tout à fait convaincante de
l’efficacité de l’HBPM.
Une autre étude de taille et de design com-
parable vient de paraître,qui confirme les
résultats de l’étude précédente.Cette étude
a randomisé 302 malades porteurs de
tumeurs solides métastatiques entre un
groupe traité par HBPM pendant un an et
un groupe recevant un placebo3. La mor-
talité globale à deux ans était de 21% dans le
groupe traité contre 11% dans le groupe
contrôle,une différence absolue d’environ
10% (un bénéfice proche de celui observé
dans l’essai précédent). Le bénéfice sem-
blait à nouveau plus prononcé dans le
sous-groupe, cette fois défini a priori, des
malades de bon pronostic (survivant au
moins 6 mois après la randomisation),chez
lesquels la réduction relative du risque de
décès était de 36%, un chiffre proche de
celui suggéré par les analyses rétrospecti-
ves des données historiques.
Que penser de ces résultats?
Au plan biologique,tout d’abord, une effi-
cacité aussi remarquable des HBPM est
inattendue. Une réduction relative du ris-
que de mortalité de 30 à 40%,chez des ma-
lades porteurs de tumeurs solides avancées,
est un résultat comparable à celui obtenu
par les chimiothérapies cytotoxiques les plus
efficaces.Les mécanismes possibles de l’ac-
tion des HBPM sur le processus cancéreux
ne sont pas entièrement élucidés mais il est
probable qu’ils affectent entre autres l’an-
giogenèse dont le rôle central dans la pro-
gression tumorale est clairement établi4.
Au plan statistique, ensuite, les essais cli-
niques menés jusqu’à ce jour ne sont pas
encore totalement convaincants. Un seul
essai prospectif a montré un bénéfice signi-
ficatif (p=0.02) sur la survie dans l’ensemble
de la population randomisée, avec ou sans
ajustement pour les facteurs pronostiques
connus à l’inclusion3. Cette évidence est-
elle suffisante pour que le traitement par
HBPM entre dans la pratique clinique?(3)
Probablement pas car les résultats des dif-
férents essais ne sont pas tous concordants
et la plupart des analyses ont été menées
de manière rétrospective,plutôt que pour
tester une hypothèse clairement définie a
priori. Un second essai prospectif bien
conduit sur un nombre suffisant de patients
qui montrerait des réductions du risque
comparables à celles observées jusqu’ici
serait sans doute suffisant pour emporter
l’adhésion des sceptiques5.
Finalement, au plan clinique, les résultats
obtenus par HBPM sont d’autant plus inté-
ressants que ce traitement est simple, peu
coûteux (par rapport au prix des médica-
ments anticancéreux) et dénué d’effets
indésirables significatifs,ce qui suggère une
combinaison possible avec les traitements
anti-cancéreux classiques.La confirmation de
l’efficacité des HBPM serait,sans aucun doute,
une étape majeure dans la compréhension
et le traitement des tumeurs solides.
Références
1.Hettiarachchi RJ,et al.,Thromb Haemost 1999;
82:947-52.
2.Kakkar AK,et al., J Clin Oncol 2004; 23: 1944-48.
3.Klerk CPW,et al., J Clin Oncol 2005;23:2130-35.
4.Lemoine NR,J Clin Oncol 2005; 23: 2119-20.
5. Tannock I, Eur J Cancer 2003; 39 (Suppl 1):S93-S101.
Notes
(1)
La méta-analyse permet de regrouper les résultats
de plusieurs analyses statistiques afin d’en augmen-
ter la fiabilité (risque de biais moindre) et la puis-
sance (risque de résultat faussement négatif moin-
dre). La méta-analyse porte le plus souvent sur des
études randomisées, comparant un groupe traité à
un groupe contrôle.
(2)La réduction relative du risque exprime le bénéfice
d’un traitement relativement au risque de base.Par
exemple,si la mortalité à 3 mois est de 25%, une réduc-
tion relative du risque de 40% correspond à une réduc-
tion absolue de mortalité de 10% (= 40% x 25%).
(3)Dans la médecine basée sur l’évidence, on considère
comme “niveau 1”(niveau le plus élevé) un essai clini-
que randomisé de puissance suffisante et de bonne
qualité ou une méta-analyse d’essais montrant des
résultats concordants et comme “niveau 2”des essais
de puissance insuffisante, possiblement biaisés
ou montrant des résultats non concordants.
INFORMATION SCIENTIFIQUE
Un article récent annonçait que les héparines de bas poids moléculaires (HBMP) pour-
raient conduire à une réduction relative du risque de mortalité de 36% chez des patients
cancéreux. Cette évidence est-elle suffisante pour que le traitement par HBMP entre
dans la pratique clinique? Marc Buyse analyse pour nous la littérature.
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