Commercialisation et financement ecoles publiques

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Commercialisation et financement des écoles publiques : des pratiques
émergentes inquiétantes
Alec Larose et Jacques Tondreau
Conseillers
L’enquête La commercialisation des écoles canadiennes : qui mène la barque ?
conduite, en 2005, par la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants
(FCE) en collaboration avec la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ)
et le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA) indique, sans équivoque, que le
Québec résiste bien à la commercialisation dans les écoles comparativement au reste
du Canada. Mais cette même enquête démontre toutefois qu’il y a accroissement du
financement privé de l’éducation publique au Québec et que ce phénomène est en lien
direct avec le sous-financement de l’éducation depuis près d’une décennie.
L’enquête a permis de rejoindre 3105 écoles publiques primaires et secondaires au
Canada, dont 495 au Québec. Plusieurs dimensions de la commercialisation des écoles
sont étudiées dans cette enquête tels la publicité dans les écoles, le partenariat et le
parrainage d’entreprises privées, le matériel éducatif parrainé par des entreprises
privées, les campagnes de financement et les frais d’utilisation pour les services offerts
par les établissements scolaires.
Le Québec résiste à la publicité dans les écoles
Parmi les résultats positifs, on observe que la publicité dans les écoles du Québec,
particulièrement dans les écoles francophones, est beaucoup moins présente que dans
les autres provinces (Québec, 21,4 % ; reste du Canada, 34,3 %). Que ce soit dans les
couloirs et dans la cafétéria (Québec, 8,1 % ; reste du Canada, 16,2 %) ou quant aux
fournitures scolaires (Québec, 7,9 % ; reste du Canada, 11,7 %), le Québec se
comporte mieux. Ce sont surtout les entreprises Coca-Cola et Pepsi-Cola qui se
révèlent les plus visibles sur les tableaux indicateurs, les horloges, les distributeurs de
boissons, les panneaux et le matériel de gymnase.
Quant aux ententes d’exclusivité avec ces deux grands producteurs de boissons
gazeuses, le Québec se démarque également puisque seulement 5 % des écoles ayant
participé à l’étude disent avoir conclu ce type d’ententes ; cette proportion grimpe à
30,5 % ailleurs au Canada. Pour toutes les provinces canadiennes, le phénomène
touche davantage les écoles secondaires, à une hauteur de 60 % contre 19 % pour les
écoles primaires. L’offensive contre l’obésité ainsi que les nouvelles politiques
gouvernementales en matière d’éducation à la santé devraient entraîner le nonrenouvellement de ces ententes dans les années à venir.
Les pratiques commerciales incitant les élèves, le personnel scolaire, les parents et la
communauté à acheter un produit ou un service d’une entreprise par l’entremise de
reçus ou de coupons en échange desquels l’entreprise donne de l’argent ou du matériel
à l’école sont pratiquement inexistantes au Québec (1,5 % ; reste du Canada, 36,7 %).
Le plus connu de ces programmes, celui de Campbell, est absent des écoles du
Québec alors que 21 % des écoles canadiennes y participent. Le même phénomène
s’observe du côté du matériel éducatif parrainé par des entreprises, que ce soit
Scholastic, Pizza Hut ou Mr. Christie. Le matériel pédagogique Scholastic, de loin le
plus connu, est utilisé dans 9,1 % des écoles québécoises, essentiellement
anglophones, contre 63 % ailleurs au Canada.
Il semble bien que les encadrements législatifs dont le Québec s’est doté, notamment la
Loi sur la protection du consommateur interdisant la publicité aux jeunes de moins de
13 ans, ainsi que les balises du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS)
en matière de publicité dans les écoles ont eu un impact majeur sur le vent de
commercialisation qui a frappé le milieu scolaire du Québec dans les années 1990.
Québec est la seule province à avoir réagi vigoureusement contre ce type de
philanthropie stratégique des entreprises et l’environnement scolaire québécois s’en
trouve assaini.
L’accroissement des inégalités entre les écoles publiques
Ces résultats positifs ne doivent cependant pas faire oublier que la commercialisation
des écoles prend des formes nouvelles comme les campagnes de financement et qu’à
ce chapitre, les écoles du Québec ne se démarquent pas des écoles canadiennes. La
publicité est certes moins présente dans les écoles publiques québécoises, mais le
financement privé prend de nouvelles formes sous l’impulsion de la décentralisation
scolaire. Cette question appelle la plus haute vigilance, car ces pratiques émergentes
comportent des risques évidents d’accroissement des inégalités entre les écoles de
milieu nanti et celles de milieu défavorisé.
Aussi, le Québec ressemble aux autres provinces au regard de la proportion
d’écoles (16,4 % contre 17,7 % pour le reste du Canada) ayant au moins un service
parrainé par une entreprise ou offert en partenariat avec une entreprise, une réalité plus
fréquente dans les écoles francophones.
Avec la diminution du financement public de l’éducation publique, les écoles ont recours
de plus en plus aux campagnes de financement pour affronter les dépenses les plus
urgentes. Depuis le milieu des années 1990, d’importantes restrictions budgétaires en
éducation ont obligé parents, personnel scolaire et directions d’école à mettre une
énergie considérable à chercher de « généreux bâilleurs de fonds » pour réparer les
cours d’école ou pour l’achat de matériel informatique, soit en vendant des produits de
toute sorte fournis par des entreprises, en organisant des soupers-spaghetti ou d’autres
activités pour l’achat de livres et l’organisation de sorties éducatives.
On ne peut nier que le financement privé comporte certains avantages pour les écoles.
Il y a aussi des risques. La dernière collecte de fonds d’une école de la Commission
scolaire Marguerite-Bourgeois de Montréal, où des élèves ont eu à vendre du chocolat
afin de financer l’achat de pupitres et de chaises pour les classes de leur école, montre
bien que le manque à gagner peut favoriser des pratiques douteuses en matière de
financement.
Ce sont surtout les fonds amassés dans le cadre de la sollicitation d’entreprises et de
campagnes de financement qui inquiètent le plus, car ils sont une source potentielle
d’une plus grande inégalité entre les écoles. Par exemple, l’enquête démontre que les
écoles du Québec amassent entre 300 $ et 200 000 $, avec une moyenne de 14 156 $
par école. Il existe donc des écarts importants entre les écoles. Ces données indiquent
qu’à ce chapitre, le Québec a rejoint ses homologues des autres provinces puisque la
moyenne des fonds recueillis dans les écoles canadiennes est de 15 705 $.
Comme il n’y a pas de mécanisme de redistribution de la richesse entre les écoles qui
récoltent beaucoup d’argent et celles qui en recueillent moins, on ne peut qu’anticiper
que les écoles favorisées seront encore plus favorisées et les écoles moins favorisées
encore moins favorisées, ces dernières s’enfonçant dans la spirale des réductions de
services. En cette matière, le gouvernement a un rôle important à jouer. Il devra
sensibiliser les commissions scolaires aux dangers des écarts grandissants qui peuvent
se creuser entre les écoles publiques au regard du financement privé.
L’État et le financement de l’éducation publique
Ce n’est pas d’hier que les intervenantes et les intervenants de l’éducation au Québec
s’inquiètent du rôle compensateur du financement privé de l’éducation causé par la
diminution du financement public. Dans son rapport de 1996, la Commission des États
généraux sur l’éducation demandait de maintenir l’effort global du Québec en éducation
à 8,5 % du produit intérieur brut (PIB). Il se situe à 7,5 % sur un budget de 8,3 milliards
de dollars en 2003-2004 pour le préscolaire, le primaire et le secondaire ; cela
représente un manque à gagner de près d’un milliard de dollars.
La réalité grandissante du financement privé des écoles publiques commande un
encadrement plus strict de ces pratiques et une analyse de leurs conséquences sur le
personnel scolaire, les élèves et les parents. Le gouvernement doit prendre ses
responsabilités et tout mettre en œuvre pour éclairer la population du Québec sur cette
situation en évolution rapide et annoncer ce qu’il entend faire dans ce dossier.
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