MOISE (MOSES) MENDELSSOHN
Nahmanide, Ibn Ezra et autres éxégètes « littéralistes ». Les Lumières religieuses représentent donc une sorte de
juste milieu. La version de Mendelssohn apparaît comme un moyen terme entre la casuistique et la Kabbale du
judaïsme baroque d'une part, et le rationalisme spéculatif de Maïmonide de l'autre.
Dans la pensée de Mendelssohn, les rapports entre judaïsme et Lumières, philosophie et révélation, politique et foi
sont si complexes qu'on pourrait pour mieux les décrire recourir aux deux versions, positive et négative, d'une même
métaphore : les Lumières n'ont pas été une toile toute faite sur laquelle Mendelssohn aurait simplement peint sa
version du judaïsme avec des peintures toutes prêtes. Il a tendu une toile pour son propre dessin, mélangé sa propre
palette de couleurs et peint directement à partir de son imagination religieuse et philosophique. » (Source : Moïse
Mendelssohn, Un penseur juif à l'ère des Lumières - de David Sorkin - éd : Albin Michel).
3) Aujourd'hui, UN HERITAGE CONTROVERSE :
L'héritage qu'a laissé Moïse Mendelssohn au monde juif est à la fois considérable et controversé : Moïse
Mendelssohn incarna sans nul doute l'archétype du « Juif acceptable » par la société occidentale et chrétienne, celui
qui servit à la fois de modèle respecté par la société du XVIII° siècle et d'exemple à ses pairs. Ses idées ont modelé
le juif moderne et émancipé. Le procès que les juifs lui font parfois, est souvent une expression réductrice de la
crainte viscérale de la disparition de l'essence même du judaïsme par l'assimilation ; une menace insupportable pour
tous les Juifs. S'ouvrir au monde environnant, jouir de l'égalité des droits, faire l'apprentissage des sciences
profanes, n'étaient pas des indications à perdre ni sa foi, ni son identité, ni ses traditions ; elles mettent l'individu face
à son libre arbitre d'une part, mais aussi elles l'appellent à se renforcer intérieurement pour mieux résister aux
menaces de dilution. En d'autres temps, Moïse Maïmonide (XI°/XII° siècle) en avait fait l'expérience et tout le
judaïsme andalous avec lui. Entrer dans la société et maintenir sa fidélité à la Loi mosaïque sera pour les Juifs, le
challenge du XIX° siècle.
Enfin, faut-il rappeler aussi, que la mise à l'écart des juifs de la société environnante fut davantage le fait des
mesures restrictives des différents Conciles et Souverains à travers l'Europe, que le choix délibéré de la part des
juifs de vivre séparés, et cela malgré les interdits rituels et alimentaires, c'est l'Eglise par la voix de Grégoire le Grand
(540-604) qui décide que le peuple « à la nuque roide », « rétif à la bonne parole » doit être séparé des fidèles : Jour
de repos le dimanche et non le Chabbat, interdiction aux chrétiens de partager les repas des Juifs, de se lier d'amitié
avec eux, d'assister à leurs offices, et tout ce qui touche à l'accession aux emplois publics, les juifs en sont exclus.
Tous les Conciles, celui de Clermont (535), celui d'Orléans (538), confirmeront et renforceront ces mesures.
Les figures les plus illustres du judaïsme du XVIII° et XIX° siècle prônent l'émancipation, comme le rabbin Samson
Raphaël Hirsh (1808-1888) qui fit le portrait du juif idéal : « Un juif éclairé qui observerait la loi juive orthodoxe ».
Moïse Mendelssohn ne dit pas autre chose ; « Les Juifs ne pouvaient faire partie de la société environnante que
dans la mesure où cette dernière ne ferait pas obstacle à leur fidélité à la loi. Si cela ne suffisait pas pour obtenir des
droits, il n'y avait pas d'autre choix que d'y renoncer (aux droits). Abandonner l'observance religieuse en contrepartie
des droits était impensable. » (David Sorkin). A cette époque, en Allemagne, les conversions sont nombreuses afin
de s'assurer « Un ticket d'entrée dans la société européenne » selon la formule du grand poète Henri Heine
(1797-1856) qui incarna précisément la figure du juif qui aspirait à entrer dans la société allemande, et qui se
convertit avec des remords qui le tourmenteront vers la fin de sa vie. Que les enfants ou partie de Moïse
Mendelssohn (Dorothéa Von Schlegel, Abraham Bartholdi marié à Léa Salomon) se convertirent suppose que
personne ne détient la maîtrise du phénomène et qu'il est mal venu de le prétexter pour juger de l'oeuvre de Moïse
Mendelssohn, qui dépasse de loin l'aspect strictement familial. L'héritage de Moïse Mendelssohn est au contraire,
celui d'un homme qui a éclairé le chemin de l'émancipation tout en restant farouchement fidèle à ses convictions
religieuses. Il demeure un exemple à l'heure où sonne un certain appel au repli sur soi ! Se préserver certes, mais
dans la société libre. Les deux dimensions sont interactives et ne supposent pas l'effort zéro mais l'effort perpétuel
du juif citoyen. Les traumatismes du XX° siècle (Shoah) qui ont accablé les Juifs, et la création de l'Etat d'Israël n'ont
pas modifié leur attachement à leur pays, mais auraient-elles érodé leur confiance ?
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