CHAPITRE 1 : PROBLÉMATISATION
Thèse du Traité théologico-politique : défendre la liberté de penser contre les préjugés des
théologiens
Il n’est pas inutile de rappeler le titre complet de l’ouvrage qui nous concerne, car il résume sa
thèse : « Traité théologico-politique contenant plusieurs dissertations qui montrent que la
liberté de philosopher non seulement peut être accordée sans dommage pour la piété et la paix
de la république, mais aussi qu’on ne peut l’ôter sans ôter en même temps la paix de la
république et la piété. » (1) Que signifie ce titre ? Spinoza y affirme que la liberté de
philosopher est une condition nécessaire à la paix de l’État et à la piété religieuse, qu’elle les
garantit toutes deux. Cette affirmation suppose qu’interdire ou empêcher la liberté de
philosopher revient à provoquer la discorde sociale (sédition, rébellion, guerre) et l’impiété
(immoralité, désobéissance, injustice). Le Traité théologico-politique est donc un plaidoyer
philosophique – car Spinoza s’adresse aux philosophes (2) –, autrement dit une défense de la
liberté de philosopher dans la cité, comme il l’indique lui-même, avec plus de précision, dans
sa préface : « … puisqu’il nous est échu cette rare félicité de vivre dans une libre république,
où l’on reconnaît à chacun une entière liberté d’exercer son jugement et d’honorer Dieu selon
sa propre complexion, et où rien n’est tenu pour plus précieux et plus doux que la liberté, j’ai
cru faire œuvre méritoire et utile en montrant non seulement que cette liberté est concédée
sans dommage pour la piété et la paix de la république, mais encore qu’on ne peut la
supprimer sans supprimer aussi la paix de la république et la piété. C’est le point principal que
j’ai voulu démontrer dans ce traité. » (3) Dans ce passage, notons-le, la « liberté d’exercer son
jugement et d’honorer Dieu selon sa complexion propre » s’est substituée à la « liberté de
philosopher ». Or, entre la liberté de juger et d’honorer Dieu et la liberté de philosopher, il n’y
a qu’une différence de degré et non de nature : toutes se résument à la liberté de penser des
hommes et aussi leur liberté « de dire ce qu’ils pensent » (4). Par conséquent, défendre la
liberté de philosopher c’est aussi, au sens large, défendre la liberté de penser. (5)
1 SPINOZA, B., Traité théologico-politique, traduction de Jacqueline Lagrée et de Pierre-
François Moreau, p. 55.
2 « Voilà, lecteur philosophe, ce que j’offre ici à ton examen… » (Ibid., p. 75.)
3 Ibid., p. 63.
4 Ibid., p. 651.
5 La liberté de penser n’est rien d’autre que la puissance même de penser et d’imaginer sans
contrainte extérieure, c’est-à-dire selon la nécessité de sa propre nature : « Est dite libre la
chose [en l’occurrence, une pensée, un esprit] qui existe d’après la seule nécessité de sa nature
et est déterminée par soi seule à agir. On appelle au contraire nécessaire, ou plutôt contrainte,