Curage ganglionnaire et cystectomie

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Progrès en Urologie (2005), 15 1095-1098
Curage ganglionnaire et cystectomie
Fabien SAINT
La cystectomie est le traitement chirurgical standard des
tumeurs infiltrantes de vessie. Le curage ganglionnaire lors de
la cystectomie est un point capital pour définir le stade tumoral,
et donc le pronostic. Le statut ganglionnaire peut de plus
influencer le choix des traitements complémentaires adjuvants
(chimiothérapie, radiothérapie). Son impact potentiel sur le plan
thérapeutique peut aussi être discuté au vu des études rapportant
une évolution favorable chez certains malades micro ou macro
métastatiques ganglionnaires. La fréquence de l’atteinte ganglionnaires, observée lors de la cystectomie totale, est variable
et probablement proche de 15% à 33% [13, 16, 19, 20]. Cette
atteinte ganglionnaire est directement liée au stade pT observé
et sa fréquence évolue entre 13% pour les tumeurs pT1 et 45%
à 77% pour les pT4 [16, 23].
Définir les modalités pratiques du curage ganglionnaire dans la
cystectomie n’est pas chose facile, compte tenu de données de
la littérature issues la plupart du temps d’analyses rétrospectives
et de sujets opérés dans des institutions aux pratiques parfois
bien différentes. Néanmoins en répondant aux trois problèmes
suivants, on peut probablement définir ce que doit être le curage standard de la cystectomie totale et son impact sur l’histoire
naturelle de la maladie.
I. DU BON NOMBRE DE GANGLIONS
PRÉLEVÉ OU ENCORE QUELS PRINCIPES
POUR UNE ANALYSE DE QUALITÉ ?
Il est intuitivement évident que l’étendue du curage conditionne
le nombre de ganglions prélevés et analysés. Certains auteurs,
en évoquant la valeur curative du curage ganglionnaire et son
impact sur la survie spécifique, ont défini un nombre de ganglions recueillis et analysés supérieur ou égal à 9 pour une
bonne évaluation du stade pN [9].
La question de l’examen pathologique doit cependant aussi être
posée, car sa spécificité (taux de faux négatifs) a été rapportée
comme assez médiocre et proche de 30% dans certaines séries
anciennes [26]. La qualité de l’examen pathologique pourrait
être, comme l’ont rapporté certains auteurs, améliorée en soumettant les zones de curage en blocs séparés plutôt qu’en monoblocs. En effet il semble que cette pratique puisse influencer le
nombre de ganglions examinés et donc potentiellement l’évaluation du stade tumoral voir l’impact du curage sur la survie
[3]. Cette variation significative du nombre de ganglion analysés étant observée pour le curage standard et pour le curage
étendu : le nombre moyen de ganglions dans le curage standard
étant de 2.4 pour l’analyse en monobloc et de 8.5 pour l’analyse séparée [4]. Pour une évaluation de qualité du stade pN il
semble donc qu’une dizaine de ganglions soit le nombre minimum nécessaire [9, 14].
II. DU BON SITE DE CURAGE, OU ENCORE,
QUELLES SONT LES ZONES
ANATOMIQUES À ANALYSER ?
(Tableau 1)
Les limites proposées pour le curage standard sont basées sur
l’observation que l’essentiel des ganglions micro métastatiques
se situe dans une zone limitée à sa partie supérieure par la bifurcation de l’artère iliaque commune et à sa partie inférieure par
les éléments iliaques externes et ilio obturateurs [2, 18].
En moyenne un curage standard recueille 8 à 19 ganglions [2].
Pour ces auteurs si un seul ganglion analysé est positif il sera
localisé aux éléments iliaques interne et obturateur dans 95.5%
des cas. On peut donc penser que pour l’évaluation du stade
cette zone de curage répond à la question N- ou N+ ? dans
95.5% des cas. Cependant si 2 à 5 ganglions analysés sont positifs, ils seront uniquement situés entre les éléments iliaques
internes et obturateurs dans 76.9% des cas [2]. Ce pose donc le
problème de la maladie ganglionnaire résiduelle et de sont
impact potentiel sur la survie lors de curage iliaque et obturateur
isolé et plusieurs ganglions envahis. Pour ces auteurs l’importance du curage (standard versus étendu) conditionne le nombre
de ganglions analysés mais pas le nombre de ganglions positifs
à stade tumoral vésical équivalent [2, 18]. Le curage extensif audessus de l’iliaque commune n’étant proposé que si l’extemporané du standard est positif car le rendement de la dissection audessus des axes iliaques communs, jusqu’à la bifurcation,
demeure très mauvais [2]. Dans une autre étude non randomisée
d’autres auteurs ont confirmé une meilleure récolte ganglionnaire dans le groupe étendu 22.5 versus 8 ganglions de médiane
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1096
Tableau 1. Nombre de ganglions obtenus en fonction du type de curage proposé
mais avec un pourcentage de ganglions positifs égal (21%). De
plus tous les curages positifs pour la chirurgie étendue l’étaient
pour la chirurgie standard [4]. L’utilisation du curage étendu
dans un but d’une meilleure évaluation du stade pN ne semble
donc pas indispensable au vu de ces résultats.
Il semble encore difficile de préciser le niveau supérieur réel du
curage mais un curage obturateur simple ne doit pas être proposé. Une étude multicentrique publié en 2004 à montrée que
6.9% des patients N+ n’auraient pas été diagnostiqué et que
74.1% des ganglions positifs auraient été laissé en place si l’on
se limite à cette zone [15]. Dans ce même travail il est aussi clairement mis en évidence que dans l’hypothèse d’un impact positif du curage ganglionnaire standard si le niveau ilio obturateur
est positif il est probablement indispensable de réaliser un curage au niveau iliaque commun (57% de pN+) mais aussi jusqu’à
la bifurcation iliaque et les relais pré sacrés (31% de pN+) [15].
Au vu de ces publications le curage standard doit être défini
par les limites suivantes : l’artère iliaque commune, la veine
circonflexe, les vaisseaux iliaques externes, la fossette obturatrice.
III. DE L’IMPACT DE L’ATTEINTE
GANGLIONNAIRE ET DU CURAGE SUR LA
SURVIE OU ENCORE FAUT-IL TRAQUER
TOUS LES GANGLIONS POSITIFS POUR
AMÉLIORER LA SURVIE ?
L’atteinte ganglionnaire est présentée comme un facteur pronostique de survie indépendant du stade tumoral (pT) [5, 16, 19,
23]. Le nombre de ganglion positifs (+ de 5, + de 8…) étant en
soit un critère pronostique indépendant [16, 17, 20, 21, 22], de
même que le diamètre des ganglions métastatiques et l’effraction capsulaire [17]. Une autre notion a été récemment introduite par l’équipe de Skinner : la densité de ganglions positifs.
Lorsque celle-ci est supérieure à 20% la survie à 5 ans passe de
44% à 17% (p<0.001) [21]. Ces résultats ont été confirmés par
le groupe de Harry Herr [10].
Mais si cette atteinte ganglionnaire est synonyme dans la plupart des cas d’une diffusion systémique et d’un pronostic plus
sombre, elle n’est pas forcément associée à des localisations
métastatiques viscérales et au décès du patient.
La question de l’impact du curage ganglionnaire sur l’évolution
locale et sur la survie des patients a d’ailleurs très tôt été posée
[12] et certains auteurs ont rapporté des évolutions favorables
chez des patients N+ avec des tumeurs localisées à l’organe
(<T3B) et à l’envahissement ganglionnaire minimal [22]. La
valeur thérapeutique du curage ganglionnaire associé à la cystectomie reste cependant encore actuellement controversée. Les
chances de survie sans progression à long terme après curage
ganglionnaire pour des malades N+ semblent d’autant plus
grande que le stade pT de la maladie est limitée [7, 25].
Des séries récentes rapportent un taux de survie de 23 à 29% à
5 ans pour des patients N+ [19, 20, 22] et même plus pour des
patients N1 (44%) [23]. Pour ces derniers auteurs les patients
N+ mais ayant un stade pT localisé auraient le même pronostic
à 5 ans que les patients N0 avec des tumeurs extra vésicales
(55% de probabilité de survie à 5 ans) [23]. Ces résultats ont été
confirmés dans une deuxième étude rapportant une survie spécifique actuarielle identique pour les patients présentant une
tumeur limitée à l’organe et un statut ganglionnaire N0 ou N1
[24].
Une autre étude publiée par Herr semble présenter la survie des
patients pN2 à 24% à 10 ans après cystectomie et curage ganglionnaire standard défendant l’impact potentiel curatif du curage ganglionnaire [8]. Un autre travail conduit par la même équipe et venant étayer la valeur curative du curage à été publié en
2002. Les auteurs rapportent une meilleure survie spécifique
pour les patients ayant bénéficié d’un curage évaluant 8 ganglions ou plus [9]. L’impact de ce curage étant indépendant du
stade tumoral. Chez les patients N+ l’impact d’un curage supérieur à 11 ganglions était significativement positif sur la survie
[9].
La conclusion pourrait être : plus de ganglions récupérés plus
de chance d’être curatif ? En fait plus on examine de ganglions
plus on a de chances de réellement catégoriser un patient pN0.
Ce sont les travaux récents de Skinner qui confirment cette idée
puisque le nombre de ganglions obtenus dans le curage dans
cette étude n’a pas d’impact favorable, seul compte la densité de
ganglions N+ qui doit être inférieure à 20% pour une évolution
favorable [21]. Dans le même esprit Stein à publiée en 2003 la
valeur pronostic pour la survie de la densité de ganglion N+
[21].
Si ces résultats plaident, comme argument fort, en faveur de
l’intérêt thérapeutique du curage standard dans la cystectomie
ils n’ont cependant pas été confirmés par d’autres travaux
récents [17]. Pour ces auteurs la présence d’un ganglion envahi
est de pronostic égal à plusieurs ganglions envahis à stade
pathologique identique (même pour les tumeurs confinées à
l’organe) [17]. De plus pour cette même équipe le site métastatique ne semblait pas être un facteur pronostic d’évolution de la
maladie [17]. L’impact sur la survie reste discuté.
Les travaux de Poulsen ont montré que lorsque tous les stades
tumoraux étaient analysés la survie actuarielle à 5 ans était de
62% pour le curage étendu et de 56% pour le curage standard
(p=NS) [18]. En stratifiant sur le stade tumoral la survie actuarielle à 5 ans était de 85% pour le curage étendu versus 64%
pour le standard dans les stades au maximum pT3a (p<0.02)
[18]. L’impact sur le risque de voir apparaître des métastases à
5 ans était statistiquement non significatif 29% (étendu) versus
30% standard. De la même façon il n’existait pas de différence
significative du % d’évolution pelvienne entre étendu et standard (10%) [18].
Cette discussion curage étendu versus standard pourrait être
pondérée par l’impact sur la durée opératoire (+ 60 minutes en
moyenne [15] ou sur la mortalité et morbidité. Il ne semble
cependant pas exister de sur morbidité ou sur mortalité précoce
liée au curage étendu [21]. La morbidité liée aux lymphocèles
est de 1.6% (étendu) versus 1.5% (standard) [18] et les complications nécessitant une ré intervention chirurgicale seraient de
11% (étendu) versus 9% (standard) [6].
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CONCLUSIONS
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Le curage dans la cystectomie est systématique
Le stade pN+ à une valeur pronostique péjorative indépendante
du stade pT (Niveau III-2)
12. KERR WS, COLBY FH. Pelvic lymphadenectomy and total cystectomy in
the treatment of carcinoma of the bladder. J. Urol., 1950; 63.
Un bon curage comporte plus de 10 ganglions examinés
(Niveau III-1)
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node dissection as a predictive and prognostic factor in bladder cancer.
European Journal of Cancer., 2003; 39: 604-613.
Chaque site du curage doit être individualisé pour l’examen
pathologique (Niveau III-1)
14. KONETY BR, JOSLYN SA, O’DONNELL MA. Extent of pelvic lymphadenectomy and its impact on outcome in patients diagnosed with bladder
cancer : analysis of data from the surveillance, epidemiology and results
program data base. J. Urol., 2003; 169: 946-950.
Un curage standard à pour limite anatomique : (Niveau III-1)
la partie supérieure la division de l’artère iliaque commune
la partie latérale le nerf génito fémoral
la partie distale la veine circonflexe
la partie postérieure les vaisseaux iliaques
la partie inférieure la fossette obturatrice
Le curage standard est égal au curage étendu pour l’évaluation
du stade pN (Niveau III-1)
L’impact du curage sur la survie, s’il existe, est d’autant plus
important que la maladie ganglionnaire est limitée (N1) , que la
maladie vésicale est de stade < pT3, que le curage est étendu
(Niveau III-2).
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