DYNAMIQUE ACTUELLE DE LA CROUTE MALGACHE A PARTIR DE DONNEES GEOPHYSIQUES ET MORPHOLOGIQUES 11 Rakotondraompiana Solofo Résumé Partant de la forme très particulière de Madagascar, les recherches ont abouti à des propositions de modèles pour différentes structures observées dans la région centrale de Madagascar. Une synthèse des travaux, qui ont été faits d’une manière isolée les uns des autres, ainsi qu’une analyse d’un modèle numérique de terrain (MNT) sont faites. Les résultats ont mis en évidence un linéament morphologique confirmant une hypothèse émise par différents auteurs. Introduction La forme du relief de Madagascar a depuis toujours intrigué géographes et géologues. En effet, si la nature continentale de la croûte malgache ne fait aucun doute, on ne comprend pas pourquoi le relief est accidenté et culmine à près de 2800 m d’altitude alors qu’on est en dehors de toute influence d’une limite de plaque. Les chercheurs ont trouvé l’explication de cette morphologie particulière en étudiant la structure profonde de la croûte. Mais des questions subsistent encore quant au mécanisme ayant conduit à un tel résultat et son intégration dans un modèle régional. Dans cet article, nous rappelons les résultats concernant différentes régions de Madagascar. Nous proposons ensuite un modèle régional intégrant les résultats précédents. Résultats antérieurs Les principaux résultats des études de dynamique de Madagascar sont les suivants : la - un axe de faiblesse crustale, se manifestant par des failles profondes de direction ouest-est ; - une extension de la croûte de direction Ouest-Est ; - un pli d’entraînement le long de la côte Est malgache ; - amincissement de la croûte en-dessous du massif de l’Ankaratra et un linéament profond est-ouest au sud de ce massif ; 1 - basculement vers le nord-est au niveau du bassin lacustre de l’Alaotre-Mangoro. Dans une étude sur la métallogénie de Madagascar, Kutina [1] a émis des hypothèses sur l’existence de trois failles profondes de direction Est-Ouest traversant l’île de part en part. Il a basé son raisonnement sur des arguments morphologiques et sur des alignements visibles de roches d’origine magmatique. L’un de ces linéaments passe par Antananarivo et relie la formation d’Ambohiby (à coté de Tsiroanomandidy dans le Moyen-Ouest) à ceux de Carion (au centre de l'île) et d’Ambatovy (à l’Est). Un deuxième linéament relie Mahanoro (côte Est) et Belo-sur-Tsiribihina (côte Ouest) en passant par Antsirabe. Il influence la forme des cours d’eaux du Tsiribihina et du Mangoro et se manifeste par l’alignement du système volcanique entre Antsirabe et Betafo (figure 1). Ces considérations ont conduit l’auteur à proposer un axe de faiblesse crustale de direction globale N8W au centre de Madagascar et passant par le massif de l’Ankaratra. Rechenmann [2], en étudiant la gravimétrie de Madagascar, a remarqué que le modèle isostatique classique basé sur l’hydrostatique n’explique que très peu les anomalies gravimétriques observées. Il conclut qu’une tranche de terrain de 250 m d’épaisseur n’est pas mécaniquement compensée. Plus tard, Rakotondraompiana [3] a proposé un modèle isostatique qui rend mieux compte des anomalies gravimétriques. Dans ce modèle la forme particulière du relief s’explique par la présence d’une asthénosphère qui pousse la croûte vers le haut, créant un bombement. Laboratoire de Géophysique de l’Environnement et Télédétection Institut & Observatoire de Géophysique d’Antananarivo Dynamique actuelle de la croûte malgache à partir de données géophysiques et morphologiques Figure 1 : : Schéma structural des roches précambriennes de Madagascar (modifiée d’après Regnoult (1996). Les traits continus en gris marquent linéaments et le trait discontinu indique l’emplacement de la zone de moindre résistance crustale mentionnés par Kutina (1972). Mada-Géo – numéro 10 43 Mai 2001 Dynamique actuelle de la croûte malgache à partir de données géophysiques et morphologiques Figure 2 : Coupe structurale Est-Ouest de Madagascar d’après les données géophysiques (Rakotondraompiana, 1982). Fugire 3 : Répartition des foyers sismiques avec indication des quelques mécanismes au foyer connus. Mada-Géo – numéro 10 44 Mai 2001 Dynamique actuelle de la croûte malgache à partir de données géophysiques et morphologiques Regnoult interprète les roches des formations antogilienne et de Masora comme des reliques du craton du Dharwar. Il place une limite de charriage à l’ouest de la formation du système du graphite et du massif volcanique de l’Ankaratra. Cette remontée concerne surtout la partie centrale de Madagascar, sa direction globale est N10W, passant par la zone volcanique de l’Ankaratra. Cette dynamique se situe entre les régions de Famoizankova (au nord) et d’Andringitra (au sud). Le maximum de la remontée asthénosphérique se situe dans la région qui contient un point culminant de l’île : Antsirabe-Antananarivo. En comparant le modèle (figure 2) avec ce que l’on a trouvé pour la plaque africaine, l’auteur conclut que le volcanisme quaternaire de l’Ankaratra marque la fin de la remontée. Enfin, dans le bassin de Morondava (région ouest), des indices de basculement ont été observés [4] (figure 2). Utilisant une méthode basée sur l’inversion des temps d’arrivée des séismes enregistrés par le réseau malgache, Rambolamanana [8] a donné la topographie de la discontinuité de Mohoroviçic (passage croûte-manteau) dans la région centrale, en dessous des régions d’Antananarivo et de l’Ankaratra. L’épaisseur de croûte y varie entre 28 Km et 35 Km (l’épaisseur moyenne d’une croûte de nature continentale est 35 Km). Il a trouvé : sous le massif volcanique de l’Ankaratra, un linéament correspondant à un amincissement de croûte, et au sud du massif, un autre linéament profond de direction Est-Ouest (figure 4). L’activité sismique concerne toute l’île, mais les régions les plus actives sont les zones volcaniques de l’Ankaratra et de l’Itasy dans le centre de Madagascar, Famoizankova à l’Ouest, l’Alaotra et Beforona à l’Est. A partir d’hypothèses sur les réactivations récentes, Bertil [5] a classé ces régions en deux groupes : le premier, coté Ouest du socle malgache, comprend Famoizankova, Itasy et l’Ankaratra; le second, coté Est du socle, comprend l’Alaotra, l’Anjafy, l’Ankay et Beforona. Par ailleurs, les mécanismes au foyer obtenus pour les séismes de magnitude supérieure à 5.0 lui ont permis de mettre en évidence une extension de la croûte suivant une direction N80E à N120E (figure 3). Etudiant le bassin lacustre de l’Alaotra-Mangoro, Laville et al. [9] ont estimé la dimension de la structure à plus de 300 km de long pour 50 à 60 km de large. Sa direction générale est nord-sud. Il y a en réalité deux bassins : au nord celui de l’Alaotra dont une partie est occupée par les eaux du lac du même nom ; et au sud celui de l’Ankay. Ces deux bassins sont séparés par le seuil de l’Andaingo, zone haute pouvant atteindre 1100 m d’altitude. Le bassin de l’Alaotra montre une allure sigmoïde ; la partie subméridienne correspond à l’ouest à un hemi-graben à pendage est et à faille normale; la forme générale du réseau hydrographique et le pendage des dépôts sédimentaires ont permis de conclure à un basculement de l’ensemble vers le nord-est. ; des reliefs élevés, 1200 m à 1500 m, constituent les épaulements de ce fossé. Le bassin de l’Ankay est constitué par des blocs monoclinaux inclinés vers l’Est ; le coté occidental des blocs est surélevé par des failles normales. Entre ces deux bassins, la zone d’Andaingo est constituée de roches du socle cristallin ; le relief y est constitué d’une part de lanières dissymétriques à bordure occidentale plus élevée et des failles bordières en baïonnette, et d’autre part de blocs plus petits disposés en touche de piano. Une nouvelle interprétation géodynamique du socle précambrien de Madagascar est proposée par Regnoult [6]. Durant l’archéen, un poinçonnement du futur continent africain par le craton de Dhrawar (Inde) a eu lieu, provoquant, entre autres, la virgation vers l’Ouest de la formation du système du graphite au niveau d’Antananarivo (figure 1), constituant un pli d’entraînement. Une partie de cette formation du système du graphite se retrouve plus au nord, gardant la même direction initiale (mégapli C2 sur la figure 1). L’alignement de roches basiques et ultra-basiques, visible sur plusieurs centaines de kilomètres le long de la côte Est de Madagascar (alignement C1 sur la figure 1), est la marque laissée par cette ancienne suture. En accord avec d’autres auteurs tels Agrawal et al. [7], Mada-Géo – numéro 10 45 Mai 2001 Dynamique actuelle de la croûte malgache à partir de données géophysiques et morphologiques Figure 4 : Mohographie de la région de l’Ankaratra (d’après Rambolamanana, 1999). Figure 5 : Modèle numérique de terrain de la région centrale de Madagascar. Les courbes de niveau indiquent les profondeurs de la base de la lithosphère. Le trait blanc(18,5° - 19°S) indique le linéament Tsiroan omandidyMoramanga Mada-Géo – numéro 10 46 Mai 2001 Dynamique actuelle de la croûte malgache à partir de données géophysiques et morphologiques d’Antananarivo. Cette structure linéaire est, rappelons le, due à la collision entre le craton de Dharwar et la zone intercratonique du Mozambique qui contient Madagascar [6]. Elle est d’âge archéenne, mais est toujours susceptible de rejouer. La remontée de l’asthénosphère a créé une tension assez forte au sein de la croûte jusqu’à lui faire subir un bombement visible sur le relief. Toutefois, cette tension n’est pas assez forte pour faire rejouer complètement la faille. En effet, on n’observe aucun foyer sismique le long de cet axe. Par contre, on observe actuellement une certaine activité sismique dans les deux régions extrêmes : Famoizankova et Beforona. La sismicité de la région de Famoizankova est assez diffuse. Les foyers se repartissent sans une direction bien définie. En surface, on n’observe aucune structure géologique susceptible d’être la source de ces activités sismiques. Les formations granitiques d’Ambohiby (près de Tsiroanomandidy, zone limitrophe de la région de Famoizankova) , de Carion et dans une moindre mesure la formation gabbroïque d’Ambatovy peuvent être interprétées comme les pointements de roches d’origine magmatique que l’on trouve parfois aux extrémités des axes de cisaillement. L’emplacement relatif de la portion nord des roches du système du graphite par rapport au reste de la formation plaide en faveur d’un cisaillement dextre conforme au mouvement qu’aurait créé une collision Dharwar-Afrique. Modèle numérique de terrain Le modèle numérique de terrain (MNT) est la représentation informatique du relief. On peut représenter le relief sous forme d’un ensemble de facettes triangulaires ou sous forme d’une grille régulière de points. Chaque point est localisé soit par ses coordonnées absolues (x,y), soit par ses coordonnées au sein de la grille. L’attribut des points est l’altitude z. Nous avons utilisé pour le MNT les données de la région centrale de Madagascar (de 16 à 22°S et de 43 à 50°E), fournies par l’United States Geological 2 Survey (USGS) . Les données se présentent sous forme de grille régulière (un point toutes les 30’’ d’arc). Les altitudes, initialement données en pieds sont converties en mètres dans cette étude. Structures observées sur le MNT Le MNT permet de visualiser clairement la structure du bassin de l’Alaotra-Mangoro (entre 48,0 et 48,5°E). La limite de ce bassin est bien marquée dans le relief. On remarque également un alignement de vallées passant par Antananarivo (19,0°S ; 47,5°E) et reliant les régions de Famoizankova-Tsiroanomandidy à celles de Moramanga-Beforona. Cet alignement est encore visible en dehors de ce segment. Au sud du massif de l'Ankaratra (19,5°S ; 47,5°E), on remarque également un linéament Est-Ouest. Contrairement au précédent, ce linéament là est plus visible près des villes côtières de Mahanoro à l'Est et de Morondava à l'Ouest. Vers le centre, il est masqué par le massif de l'Ankaratra (figure 5). Au nord de cet axe tectonique ancien, on trouve la structure de l’Alaotra-Mangoro. Ce bassin est le centre d’une activité sismique parmi les plus importantes de l’île. La disposition relative des deux bassins et la direction du seuil d’Andaingo, la morphologie des bassins, le mécanisme au foyer des séismes [5] [9] nous permettent de dire que cette région est actuellement soumise à une extension NNE-SSO. Pour Laville et al.[9] il s’agit d’un rift en voie de formation. Par contre, le bombement crustal y est beaucoup moins prononcé que dans la partie sud. Discussions Le premier linéament morphologique reliant Famoizankova à Beforona correspond en direction et emplacement à celui mentionné par Kutina [1]. En superposant au MNT la carte de l'interface lithosphère-asthénosphère, on constate qu'en dessous de cette surface, l'axe des maxima de la remontée de l'asthénosphère présente une direction secondaire plus ou moins Est-Ouest. On peut donc penser que la remontée du manteau a profité de l'existence préalable de cette structure de moindre résistance. La direction principale prise par cette remontée de roches fluides du manteau, s’explique par l'existence d'une zone de moindre résistance antérieure à sa mise en place. Cette dernière structure correspondrait alors à l'axe de moindre résistance de Kutina [1] et à la limite de charriage selon Regnoult [6]. Au sud de l’axe Famoizankova-Beforona, se trouvent les régions volcaniques de l’Ankaratra et de l’Itasy qui sont, avec l’Alaotra, parmi les plus sismiquement actives de Madagascar. Dans l’Ankaratra et l’Itasy, le bombement crustal est beaucoup plus visible que dans l’Alaotra. La tension au sein de la croûte est donc plus importante. A partir des rares séismes qui ont permis la détermination d’un mécanisme au foyer, la sismologie propose une direction d’extension pratiquement Est-Ouest. Mais, en considérant la direction globale du bombement crustal, une direction d’extension NNE-SSO n’est pas à exclure. Par contre, on ne trouve pas de correspondance entre le deuxième linéament morphologique EstOuest passant au sud de l'Ankaratra et la topographie de l'interface lithosphèreasthénosphère. Notons également que la direction et l’emplacement de ce bombement est tout à fait compatible avec la direction et l’emplacement de l’axe de faiblesse crustale proposée en 1972 par J. Kutina [1]. Ce qui nous permet de supposer que les roches fluides et sous pression du manteau avaient profité de l’existence de cette structure ancienne pour remonter et pousser la croûte vers le haut. Les deux groupes de régions sismiques proposés par Bertil [5] sont situés de part et d’autre du linéament Est-Ouest passant par la région 2 http://www.usgs.gov/ Mada-Géo – numéro 10 47 Mai 2001 Dynamique actuelle de la croûte malgache à partir de données géophysiques et morphologiques La disposition relative des structures précédentes, et la forme même du bombement crustal sont des indices d’une zone soumise à une extension. Cette zone est divisée en son milieu par une grande faille de cisaillement susceptible de rejeu. [5] Bertil, D. (1996) : Sismicité instrumentale de Madagascar et hypothèses sur les réactivations tectoniques récentes, Actes de journées scientifiques sur le rifting malgache, pp.11-18. Antananarivo. La géométrie d’ensemble plaide en faveur d’une croûte relativement instable. D’autres auteurs ont déjà fait une proposition dans ce sens [10]. A l’heure actuelle, nous ne disposons pas d’éléments structuraux, tectoniques et géophysiques nous permettant d’être affirmatif. La mise en place d’un réseau de stations GPS à Madagascar pourrait apporter des éléments de réponse au problème de la géodynamique de Madagascar, voire de l’Océan Indien. [6] Regnoult, J-M (1996): Modèle de structuration du socle précambrien malgache dans le cadre de la tectonique des plaques, Actes de journées scientifiques sur le rifting malgache, pp.2-10. Antananarivo. Références [8] Rambolamanana, G. (1999) : Topography of the Moho under the central region of Madagascar, Preprint ICTP, Trieste. [7] Agrawal, P. K. ; Pandey, O. P.; Negi, J. G. (1992): Madagascar : a continental fragment of the paleo-super Dharwar craton of India, Geology, 20, pp. 543-546. [1] Kutina, J. (1972) : Métallogénie de Madagascar, Rapport service géologique de Madagascar. Antananarivo. [9] Laville, E. ; Piqué, A. ; Plaziat, J.C. ; Gioan, P. ; Rakotomalala, R. ; Ravololonirina, Y. ; Tidahy, E. (1998) : Le fossé du lac Alaotra, témoin de l’extension crustale E-W récente et actuelle à Madagascar, Bulletin Sociéte géologique de France, 169, pp. 775-788. [2] Rechenmann, J. (1981) : La gravimétrie de Madagascar et sa relation avec la géologie, Thèse université Paris Sud-Orsay. Paris. [3] Rakotondraompiana, S. (1992) : Gravimétrie de Madagascar et structure de la lithosphère, Thèse université d’Antananarivo. Antananarivo. [10] Piqué, A. ; Thouin, C. ; Bardintzeff, J-M ; Bignaut ; Brousse, P. ; Chorowicz, J. ; Chotin, P. ; Gioan, P. ; Rakotondraompiana, S. ; Rasamimanana, G. ; Razafindrazaka, Y. ; Laville, E. (1993) : Madagascar, un rift naissant, Comm. Réunion société géologique de France. [4] Rakotondraompiana, S. ; Albouy, Y. ; Piqué, A. (1999) : Nouvelle interprétation gravimétrique de la lithosphère de Madagasca .(Lithospheric model of the Madagascar island -western indian ocean-: a new interpretation of the gravity data, Journal of African Earth Sciences, 28, pp.961-973. Mada-Géo – numéro 10 48 Mai 2001