Trois études sur le sommeil
ajoutent à la compréhension
des troubles anxieux et
des troubles de l’attention
Le Dr Roger Godbout, responsable du la-
boratoire du sommeil et chef du Service
de recherche à l’HRDP, en est convaincu :
«
La santé, il faut l’appréhender sur une
période de 24 heures, pas seulement du-
rant nos 16 heures d’éveil. L’étude du
sommeil, c’est une fenêtre ouverte sur le
cerveau, la santé mentale et la santé en
général. Un indicateur qui nous permet
de voir des choses qu’on ne discerne pas
à l’éveil
». On aurait donc tort de se priver
de ce terrain d’exploration en marge du
jour.
L’observation en l’absence
de stimulation
La plupart des recherches sont faites à
l’éveil. Donc nécessairement en présence
de stimulus de l’environnement. Le regard
scientifique se porte alors sur un cerveau
en interaction. Si l’on souhaite étudier ce
qui se passe dans la tête de certains pa-
tients en l’absence d’influence externe, le
sommeil possède dès lors les attributs tout
désignés pour répondre à cette de-
mande : «
Un peu comme pour une voi-
ture montée sur des blocs. On fait rouler
le moteur et on observe comment le véhi-
cule fonctionne à son état de base. À
l’aide de techniques assez raffinées, on ob-
serve l’activité cérébrale pour savoir com-
ment elle se distribue, à quelle fréquence,
etc. On prétend que cet état de base, soit
dans le sommeil lent ou dans le sommeil
paradoxal, nous montre comment le
cerveau, sans stimulus du monde exté-
rieur, s’agite par lui-même
» explique le Dr
Godbout.
Trois recherches en une
Trois recherches sur le sommeil de jeunes
anxieux et celui de patients avec un trou-
ble de l’attention sont actuellement en
cours. Si elles n’ont pas encore atteint la
phase finale de la publication dans une
revue savante, les résultats analysés à ce
jour ont été présentés dans des congrès
scientifiques et ils confirment qu’il se
trouve au profond de la nuit quelques ré-
ponses aux questions que la pédopsychia-
trie se pose ou, à tout le moins, des pistes
à explorer.
L’anxiété ne dort pas
La première étude porte sur le sommeil
problématique d’enfants âgés de 7 à 12
ans présentant un trouble anxieux. On y
La recherche en santé mentale tire généralement ses constats de l’observation
diurne. Pourtant, en moyenne, huit heures chaque jour sont consacrées au
sommeil. Le tiers de l’existence. La pédopsychiatrie a-t-elle quelque chose à
apprendre des cerveaux au repos? Assurément. D’autant qu’ils s’avèrent particulière-
ment actifs la nuit sous leur apparente léthargie. C’est une des convictions qui
animent les travaux du laboratoire de recherche sur le sommeil de l’Hôpital
Rivière-des-Prairies. Trois recherches sur le sommeil de jeunes qui présentent un
trouble anxieux, un trouble de l’attention, ou les deux à la fois, y sont
actuellement menées. Dans l’espoir évidemment d’améliorer la qualité de récupéra-
tion des patients, mais aussi afin de mieux comprendre ce qui se passe dans leur tête
une fois les lumières éteintes. Car même endormis, les diagnostics subsistent.
par stéphane trépanier
9
compare l’électroencéphalogramme
de jour et de nuit, de préciser Roger
Godbout. «
C’est connu, les enfants
anxieux dorment mal, mais c’est
moins catastrophique qu’on pensait
du point de vue de la structure
même du sommeil lorsqu’il est enre-
gistré en laboratoire.
» Les mesures
de l’électroencéphalogramme de
jour et de nuit sont par contre plus
révélatrices et l’analyse des gra-
phiques de l’électroencéphalo-
gramme surprend déjà. L’hypothèse
de départ présumait que les enfants
anxieux présenteraient une activité
cérébrale nocturne semblable à celle
des enfants simplement insom-
niaques. Or, ce n’est pas le cas, rap-
porte Roger Godbout : «
On se
serait attendu à ce que l’électroen-
céphalogramme du sommeil nous
montre de l’hypervigilance insom-
niaque dans certaines zones spéci-
fiques du cerveau. Le problème est
plutôt généralisé et visible dans plu-
sieurs gammes de fréquence des
ondes rébrales. On constate de
plus que le sommeil n’améliore pas
les tracés du matin par rapport à
ceux du soir, contrairement au
groupe contrôle. Il se passe quelque
chose pendant le sommeil de l’en-
fant anxieux qui nuit à la récupéra-
tion, mais qui ne semble pas
directement lié à son anxiété. Cela
nous porte à croire que les pro-
blèmes de sommeil et d’anxiété co-
existent comme deux entités dotées
d’une certaine indépendance. Il y a
donc peu de chance que si on traite
l’anxiété, les problèmes de sommeil
disparaitront nécessairement. Et in-
versement
».
L’analyse de l’activité cardiaque au
cours du sommeil est également in-
trigante, selon le Dr Godbout.
«
C’est connu, les enfants anxieux
ont un fonctionnement cérébral aty-
pique dans les régions responsables
respectivement de la gestion des
émotions et de la gestion des activi-
tés végétatives. Le lien entre les deux
zones semble différent de celui des
jeunes en santé. Notre hypothèse
est qu’on devrait observer le reflet
de ces différences en scrutant la
façon dont la fréquence cardiaque
se manifeste au cours du sommeil.
En effet, en mesurant le ratio entre
les basses et les hautes fréquences
cardiaques au cours du sommeil, on
constate que ces dernières sont fa-
vorisées chez les enfants anxieux.
Ceci indique un déséquilibre, le sys-
tème de régulation ne parvenant
pas à faire son travail. Comme si le
corps essayait de s’adapter en vain
à un état de stress important et chro-
nique. Ça génère des dysfonctions
en général dans l’activité cardiaque,
que l’on observe aussi dans le som-
meil
. »
Attention et sommeil
troubles???
Une seconde recherche porte sur le
sommeil des jeunes qui présentent
un trouble grave de l’attention. Pour
cette clientèle, on constate ici aussi
en laboratoire que les problèmes de
sommeil sont moins évidents que ce
qui était anticipé. On ne retrouve
aucune anomalie probante sur un
aspect particulier du sommeil. Pris in-
dividuellement, chaque indicateur
est en deçà des critères cliniques
pour établir qu’il y a effectivement
un problème. Que ce soit sur le plan
des réveils nocturnes, du temps
d’endormissement, des mouve-
ments pendant le sommeil, des
pauses respiratoires, etc. Mais pris
dans leur ensemble, on se rend
compte que plusieurs indicateurs
voisinent dangereusement avec les
seuils au-delà desquels un dysfonc-
tionnement est cliniquement
constaté. «
Quand on examine la mi-
crostructure du sommeil, il y a plein
de petites altérations qui s’addition-
nent. On parle alors d’instabilité du
sommeil. La physiologie du sommeil
est préoccupante. Ce n’est pas pa-
thologique, mais comme pour le
syndrome métabolique, l’accumula-
tion des indices qui s’approchent
des limites de la normale inquiète.
Ça nous permet de penser qu’ils ont
un système nerveux moins stable,
moins bien gulé, moins harmo-
nieux pendant le sommeil
», avance
le Dr Godbout.
Quand deux diagnostics
cohabitent
La troisième recherche en cours
tente de départager ce qui appar-
tient au trouble de l’attention et
ce qui provient d’un trouble
d’anxiété pour expliquer les pro-
blèmes de sommeil observés chez
une clientèle porteuse des deux
diagnostics. Dans le cas de ces
jeunes, est-ce que le traitement de
l’anxiété affecte leur trouble de l’at-
tention et réduit leurs problèmes de
sommeil? À ce chapitre, les pre-
mières constatations tendent à dé-
montrer que le phénomène est plus
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subtil qu’il n’y parait : «
Chez les en-
fants porteurs d’un diagnostic de
trouble de l’attention, il y a souvent
une constellation de symptômes
anxieux qui gravite autour du dia-
gnostic principal. Ceci est accompa-
gné de troubles du sommeil ainsi
que de somnolence diurne. Nous
constatons qu’une intervention co-
gnitivocomportementale de groupe
visant les symptômes d’anxiété peut
améliorer certains de ceux-ci. On
constate aussi que certaines varia-
bles du sommeil sont améliorées
alors que d’autres persistent : les en-
fants étudiés s’endorment beaucoup
plus vite, mais ils continuent de pré-
senter un nombre total et une sévé-
rité de symptômes de sommeil
élevés ainsi que de la somnolence
diurne. Cela suggère que nous
sommes en présence de deux
constellations de troubles de som-
meil, avec une partie attribuable à
l’état anxieux et une autre imputable
à d’autres facteurs. Ceux-ci appar-
tiennent-ils à la constellation des
troubles de l’attention? La question
demeure. On attend donc avec
grande fébrilil’analyse des résul-
tats de l’intervention cognitivocom-
portementale sur les troubles de
l’attention
», de mentionner le Dr
Godbout.
Peu d’études comparables
L’analyse en laboratoire du sommeil
des jeunes TDAH, l’angle adopté par
l’HRDP pour observer le sommeil des
jeunes, est relativement inédite. Tant
chez les adultes que chez les enfants
porteurs d’un trouble de l’attention,
les études sur le sommeil ne sont
pas gion. Et quand il y en a une
qui parait offrir quelques données
sur la question, on constate que ces
informations le sont essentiellement
à partir de questionnaires. Une pro-
cédure qui a ses limites.
Pour la clientèle des troubles
anxieux, la recherche n’est pas
beaucoup plus avancée. Si le som-
meil de la clientèle adulte est étudié,
celui de l’enfant est quasi absent des
radars de la science. Roger Godbout
précise que : «
La recension de la lit-
térature ne nous renseigne pas
beaucoup sur le sommeil des en-
fants anxieux. On sait toutefois que
chez l’adulte, il y a un écart entre les
réponses aux questionnaires et les
résultats en laboratoire. Le patient
dit qu’il dort mal, que son sommeil
n’est pas rafraichissant, mais les ap-
pareils ne le mesurent pas. On
croyait auparavant qu’il s’agissait de
pseudo insomniaque. On se trom-
pait. On n’avait tout simplement pas
l’humilid’avouer que nos appareils
ne mesurent probablement pas la
plainte du patient.
» Il y a donc tout
un champ d’investigation qui reste
à défricher.
D’autres projets à l’horizon
Le docteur Godbout attend l’avan-
cée des recherches en cours avec
impatience, tout en planifiant les sui-
vantes : «
La vie nocturne est très
riche. Le rêve est une autre fenêtre
sur le cerveau. On connait peu de
choses sur la question. Peu de gens
s’y intéressent. À quoi le patient
rêve-t-il et qu’est-ce que ça veut dire?
Est-ce en continuité ou en compen-
sation avec ce qu’il vit le jour? Est-ce
qu’un jeune psychotique rêve à ses
tourments de la journée ou, au
contraire, réussit-il à compenser un
peu? C’est un pan de la recherche
qui m’interpelle beaucoup. J’aime-
rais aussi trouver d’autres méthodes
d’étudier le sommeil des enfants.
Comment les faire s’exprimer sur
leurs nuits? À leur âge, ça ne se dit
pas facilement en mots. Les ques-
tionnaires, c’est une façon adulte de
procéder. Les enfants ne maitrisent
pas encore le vocabulaire pour bien
décrire ce qui se passe en eux ni les
outils pour estimer subjectivement le
temps qui file la nuit. Mais le dessin,
c’est naturel et spontané pour eux.
Je souhaiterais amorcer un projet à
partir de leurs dessins. Dessine-moi
ta nuit! Comme adultes, nous se-
rions bien embêtés de le faire. Mais
un enfant ne se posera pas de ques-
tion. Il va sauter sur ses crayons. Peu
importe ce qu’ils présentent, après
2500 dessins, je devrais avoir une
meilleure idée de ce qui se passe
dans leurs dodos. Il me faudra trou-
ver des partenaires, élaborer un pro-
tocole, etc. C’est un rêve que je
caresse depuis longtemps. Je suis
convaincu que je vais finir par le réa-
liser
».
Le sommeil :
une saine habitude de vie
Le sommeil n’est pas un simple inter-
rupteur qui clôt les activités céré-
brales jusqu’au matin. Le cerveau
s’active la nuit pour absorber l’expé-
rience de la journée et préparer la
suivante. Par conséquent, on doit
accorder au sommeil l’importance
qu’il mérite, au me titre que les
11
autres composantes des saines habi-
tudes de vie. C’est un vecteur crucial de
la santé, d’affirmer Roger Godbout.
«
J’espère que les sultats des re-
cherches contribueront à sensibiliser les
parents, les soignants, les gestionnaires
et les jeunes eux-mêmes au rôle majeur
du sommeil sur la santé. On n’en est
que trop peu conscient. Pourtant, on ex-
périmente ses effets tous les jours. Une
seule mauvaise nuit et la journée qui suit
est moche. Pour un enfant qui a déjà un
trouble de sanmentale, l’impact est
encore plus grave. Un enfant anxieux
qui fait des apnées du sommeil, même
à faible intensité, c’est déjà trop. Un en-
fant de huit ans qui ronfle, ce n’est pas
normal. Ça détériore de façon significa-
tive le portrait clinique. Il faut augmenter
la conscience collective. En adoptant
des habitudes de sommeil plus saines,
comme on nous le demande pour l’ali-
mentation et l’exercice, on améliore
considérablement la qualité de vie
». Un
DVD sur le sommeil des patients de
l’Hôpital et des jeunes de la région de
Montréal, produit par le CECOM de
l’HRDP, sera d’ailleurs lancé lors du col-
loque organisé par l’Hôpital Rivière-des-
Prairies et la Fondation les petits trésors
sur la santé mentale et le sommeil, qui
se tiendra en octobre prochain, et au-
quel participera le Dr Godbout en tant
que conférencier d’ouverture, ainsi
que Caroline Berthiaume de la Clinique
des troubles anxieux et le Dr Laurent
Mottron de la Clinique de l’autisme. Une
façon d’investir dans le sommeil grâce à
l’éveil… des consciences.
Plusieurs étudiants du
Dr Godbout mènent les
recherches suivantes…
La recherche sur les troubles
anxieux
Étude du sommeil, des cauche-
mars, de l'EEG et de la mémoire
émotive chez des enfants ayant
un trouble anxieux
Anne-Karine Gauthier,
Ph. D. Psychologie
Évaluation de la condition cardiovasculaire et de
l’organisation du sommeil chez les adolescents ayant un
trouble anxieux
Tommy Chevrette, Ph. D. Sciences biomédicales,
cosupervisé par Dre Hélène Bouvier de la Clinique
des troubles anxieux
La recherche sur le trouble de l’attention
L’instabilité du sommeil et son lien avec le fonctionne-
ment cognitif chez les enfants ayant un trouble de
déficit de l’attention avec hyperactivité
Mélanie Labrosse, étudiante au programme conjoint
M.D./Ph. D. de la Faculté de médecine de l’Université de
Montréal, cosupervisée par Marie-Claude Guay de la
Clinique des troubles de l’attention
Caractérisation du sommeil et de l’EEG dans
les troubles de l’attention
Marc-André Gingras, Ph. D. Psychologie
La recherche sur le trouble de l’attention avec trouble
anxieux
Comorbidité du TDAH avec un trouble anxieux :
caractéristiques et réponse à un traitement
Maxime Bériault, étudiant au doctorat en psychoéducation,
cosupervisé par Lyse Turgeon du Service de recherche
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