Cours de L2 – Université de Picardie Jules Verne 2009-2010 La promesse Cours 1 – problématique Explicitation de la problématique : La promesse est un objet philosophique singulier, peu étudié (aucune occurrence ne fgure ainsi dans le dictionnaire philosophique de Lalande) et seulement vraiment depuis David Hume, alors même qu'elle soulève de vrais problèmes philosophiques. (L'héritage de Hume se ressent d'ailleurs en ce qu'elle est majoritairement étudiée par la philosophie de langue anglaise). Sa singularité tient à ce qu'elle se trouve à l'intersection de plusieurs problématiques, en étant à la frontière de la morale, du droit et du langage. « Acte de parole » au sens plein du terme, elle correspond à un engagement pris par le locuteur en raison même de la parole qu'il profère, et ce faisant elle se rapproche du contrat juridique, en même temps qu'elle s'en distingue par un aspect plus proche de la moralité. Tenir ses promesses, c'est en effet considéré comme quelque chose de « bien » (par opposition à « mal » et non pas à « interdit »). Mais ce qui pose véritablement problème est l'engagement pris par le fait de promettre : en effet, d'où vient-il ? Sachant qu'il n'est pas « naturel » : il ne semble pas dériver de quelconques relations causales (ou naturelles), ni du seul sens des mots (en effet, ce n'est pas parce que je dis que je promets que par-là je m'engage. Les mots, en eux-mêmes n'engagent à rien – c'est-à-dire qu'ils n'ont pas de pouvoir magique. On se place donc résolument dans ce cours en-dehors d'une pensée de type magique (ce qui est le propre de la philosophie) – même si à l'origine, les réfexions sur la promesse sont issues d'interrogations théologiques/religieuses : la promesse est en effet un objet lié au serment, au baptême, voire au mariage, à ce qu'on appelle en général des « sacrements » (on reviendra sur ces points ; plus d'infos dans le livre d'I. Rosier-Catach). L'engagement pris par la promesse est d'ailleurs souvent pensé en termes de sincérité, et donc considéré comme pleinement moral, alors même qu'on peut le tenir également pour la racine du contrat social. Pourquoi, en effet, respecter les règles de la vie en société, sinon parce qu'on sait que tout le monde en fait autant, ou du moins s'est engagé à en faire autant ? Le fait de vivre en société ne repose-t-il Cours de L2 – Université de Picardie Jules Verne 2009-2010 pas ainsi sur une promesse préalable de respecter les règles de la vie en société et donc sur l'intention de la tenir ? Si ce risque n'était conjuré, si on ne croyait pas que, dans le futur, chacun va respecte ces règles, quel intérêt aurait-on à à vivre ensemble ? Faut-il alors considérer qu'à la racine de la société se trouve un engagement de type moral ? Ou est-ce un raisonnement purement individualiste (reposant sur un calcul de son intérêt propre) qui nous pousse à respecter nos promesses (parce que, si nous ne les respections pas, alors plus personne ne nous croirait – comme l'argument qu'on donne aux enfants ?) Ou, si on considère que chacun agit dans le fond pour son propre intérêt, ne doit-on pas considérer, à l'inverse, que c'est la société qui doit nécessairement donner une force particulière (obligeante) à ce rituel qu'est la promesse et, dès lors, que l'engagement pris en promettant n'est qu'un succédané d'une obligation conventionnelle ? L'objet central du cours consistera donc à se demander ce qui engage dans une promesse, qui pourtant, semble-t-il au premier abord, n'est que paroles, du simple langage. Ce cours visera à approfondir toutes ces questions en abordant les questions centrales de l'intention, de la sincérité et de l'effcacité propre de la promesse, mais également son rôle social et sa proximité avec le contrat (la promesse n'est-elle qu'un contrat ?). Nous essaierons ainsi de mieux savoir ce que nous faisons quand nous nous engageons à faire cet acte supposément risqué, parce qu'engageant soimême, qui consiste à promettre. Cela revient à poser toute une série de questions, qui s'enchaînent les unes les autres, et dont je vous donne un aperçu : Car, d'ailleurs, est-il vraiment si risqué de promettre ? Ce faisant, se compromet-on avec ou par le langage ? Mais où réside le risque ? Dans le fait, comme on le dit souvent, que si on ne tient pas ses promesses, on risque de ne plus être pris au sérieux ? La promesse aurait-elle donc à voir avec la vérité ? Mais quelle forme de vérité – car la promesse ne prétend pas dire le vrai (ou si ?) ? Ne dit-on pas plutôt d'une promesse qu'elle est sincère ou insincère ? Qu'est-ce qui détermine la sincérité d'une promesse ? Et quel est alors l'effet de la sincérité de la promesse ? L'effet premier semble être que la promesse sincère est celle par laquelle celui qui la fait s'engage à la tenir – ou dit la vérité quant à ce qu'il dit qu'il va faire. C'est en Cours de L2 – Université de Picardie Jules Verne 2009-2010 tout cas l'origine du terme. En latin, en effet, « promettre », c'est « promittere », qui est formé de « pro », « avant » qui a aussi le sens de « pour », et de « mittere » qui veut dire « mettre ». Il signife donc : dire par avance ce qu'on va faire. D'où la défnition du dictionnaire : « promesse = fait de s'engager à faire quelque chose ; action de promettre » (Grand Robert de la Langue Française, art. « Promesse »). On remarque que la promesse est immédiatement considérée comme une action – mais n'est-ce pas étrange de dire que la promesse est elle-même une action ? Ne dirait-on pas plutôt que la promesse engage à une action – que l'action est ce qui suit la promesse (comme dans « je te promets de venir en cours) ? N'est-ce pas plutôt l'action qui vient en quelque sorte « conclure » la promesse tenue ? D'où le deuxième sens retenu par le Robert : « Engagement de contracter une obligation ou d'accomplir un acte ». Mais alors le sens est plus proche de celui du contrat juridique – lorsqu'on dit qu'on « exécute une promesse », ou lorsqu'on fait « une promesse de mariage ». Toutefois, remarquons déjà que ce type d'engagement n'engage pas juridiquement (à la différence du contrat) – le type d'engagement n'est pas le même. Un engagement d'un autre type, mais lequel ? Moral ? Social ? Pragmatique ? Economique ? Pourtant, l'engagement donné par la promesse est (relativement) solide, d'où le troisième sens remarqué par le Robert : « Assurance ou espérance que semble donner une chose ou un évènement ». C'est par exemple le sens de « La beauté n'est que la promesse du bonheur » (Stendhal) ; « Un beau ciel et pâle plein de promesses de chaleur et de lumière » (Maupassant) ; « chaque affectation est la promesse d'une ride » (Gide). Ce qu'expriment tous ces usages, c'est bien un avenir, non pas garanti, mais probable : la promesse semble assurer qu'une certaine chose va se produire. Elle porte donc sur le futur en essayant de le stabiliser : si j'ai promis quelque chose, alors cette chose devrait se produire à l'avenir. Mais comment garantir quelque chose dans le futur ? Comment s'engager sur quelque chose qui n'est pas encore ? Cela engage donc ma responsabilité dans l'advenue de ce qui n'est pas : c'est moi qui en serait en effet la cause, si cela advient. La promesse semble donc engager la responsabilité de celui qui la fait. Responsabilité à faire ce que l'on a dit que l'on ferait. Mais si ma responsabilité est engagée, n'est-ce pas parce que s'engager, c'est s'engager vis-à-vis de quelqu'un d'autre ? Peut-on en effet s'engager tout seul, ou Cours de L2 – Université de Picardie Jules Verne 2009-2010 soi-même ? Ce n'est pas sûr : à quoi pourrait-on bien s'obliger soi-même ? En ce sens, on comprend que faire une promesse n'est pas anodin, puisque cela engage ma responsabilité pour le futur. Une sorte d'obligation naît du fait que je promets. Puis-je m'en défaire ? Dois-je la respecter impérativement ? Mais qu'est-ce qui m'oblige exactement ? Telle est la première question que l'on va envisager. Plan thématique du cours : 1 – L'engagement promissif est-il personnel ou social ? Ou : puis-je faire une promesse tout seul ? (la force de l'engagement) 2 – La sincérité dépend-t-elle des intentions du locuteur ? Ou : faut-il croire à ce qu'on dit pour promettre ? 3 – Promettre, est-ce dire ou faire ? Ou : Performatif vs. Constatif. 4 – La promesse est-elle morale ? Ou : quelle obligation de tenir ses promesses ?