Mémoire d'odeur, Mémoire de peur… Ou comment étudier la mémoire émotionnelle olfactive chez le Rat Yannick Sevelinges1, Regina Sullivan2, Rémi Gervais1 et Anne-Marie Mouly1 1 Neurosciences Sensorielles, Comportement, Cognition, CNRS-Université de Lyon, France 2 Department of Zoology, University of Oklahoma, USA Emotion et Mémoire Les émotions jouent un rôle essentiel dans notre mémoire autobiographique : lorsque nous mémorisons une information sensorielle dans un contexte émotionnel fort, qu'il soit agréable ou désagréable, le souvenir formé acquiert un statut particulier, qui le rend résitant à l'oubli (Cahill et McGaugh, 1998). Les odeurs, plus que tout autre stimulus sensoriel, sont intimement liées aux émotions, ainsi que l'a exprimé Marcel Proust dans son célèbre texte de "La madeleine". Plusieurs travaux réalisés chez l'homme ont montré que les odeurs ont cette capacité particulière de faire resurgir des souvenirs de façon quasi automatique (pour revue, voir Chu et Downes, 2000) et que les souvenirs évoqués par des odeurs ont une forte valence émotionnelle (Herz, 1996). Les émotions, et plus particulièrement leur rôle dans les grandes fonctions cognitives comme la mémoire, sont aujourd'hui l'objet d'un intérêt grandissant en neurosciences, grâce notamment aux travaux d'Antonio Damasio chez l'homme (Damasio, 2003) et de Joseph LeDoux chez l'animal (LeDoux, 2000). Une émotion particulière : la peur Une grande partie de nos connaissances en neurobiologie sur les relations entre mémoire et émotion a été obtenue chez l'animal à partir d'une émotion particulière : la peur. La peur est une réaction normale déclenchée lorsque notre organisme perçoit ou anticipe un danger. Son rôle est de nous protéger en plaçant notre corps en alerte et en favorisant de ce fait le déclenchement d'une réponse rapide et adaptée, c'est-à-dire faire face au danger ou le fuir. Chez l'homme, la peur peut être définie selon deux composantes : une composante implicite physiologique et une composante explicite subjective. La première regroupe l'ensemble des réponses de défense de notre organisme face au danger : comportement de fuite ou d'immobilité, décharge d'hormones de stress, tremblements, sueurs, augmentation de la pression sanguine et du rythme cardiaque. Ces réponses sont automatiques, innées, et pour la plupart communes à l'ensemble des espèces animales. La composante explicite quant à elle, fait référence à l'expérience consciente du sentiment de peur et des raisons qui la causent. Cette composante est objectivable chez l'homme principalement par le biais du langage. L'existence d'une conscience chez l'animal, que ce soit la conscience de ses actes, ou encore la conscience de soi, est une question largement débattue dans la littérature (Griffin et 1 Speck, 2004). Pour cette raison à laquelle s'ajoutent des difficultés d'ordre méthodologique liées à la mise en œuvre de mesures comportementales adaptées, la composante explicite de peur n'est que rarement étudiée chez l'animal. A l'inverse, la composante implicite a été et continue d'être l'objet d'un très grand nombre d'études expérimentales chez l'animal, et ce au travers d'un apprentissage aussi simple que célèbre : le conditionnement de peur. L'objet de cette revue est de présenter dans une première partie, les grandes lignes du circuit neuronal impliqué dans le conditionnement de peur au son qui constitue à l'heure actuelle le modèle de référence, et de lui comparer le réseau mis en évidence dans le conditionnement de peur à une odeur. Cela nous amènera à identifier certaines particularités du circuit de la peur conditionnée à l'odeur qui viennent s'ajouter aux arguments en faveur de l'existence de liens privilégiés entre les odeurs et les émotions. Dans une deuxième partie, nous nous intéresserons à l'ontogénèse de l'apprentissage de peur conditionnée à l'odeur, ainsi qu'aux conséquences à long-terme d'un apprentissage néonatal de ce type. Le conditionnement de peur chez le Rat : Un modèle de choix pour l'étude de la neurobiologie de la mémoire émotionnelle On distingue classiquement deux grands types de peur chez l'animal : la peur innée, engendrée par exemple par la vue ou l'odeur d'un prédateur (Takahashi, Nakashima, Hong et Watanabe, 2005), et la peur apprise ou conditionnée qui constitue l'un des modèles de prédilection pour l'étude de la neurobiologie de la mémoire émotionnelle et est appréhendée expérimentalement par le biais du conditionnement de peur. Le conditionnement de peur repose sur le principe suivant : un stimulus sensoriel neutre (appelé stimulus conditionnel ou SC), -généralement un son-, est présenté à l'animal, -généralement un rat-, pendant quelques secondes à la fin desquelles on applique un léger choc électrique nociceptif (appelé stimulus inconditionnel ou SI) aux pattes de l'animal (Figure 1). Après quelques associations de ce type, le son présenté seul, en l'absence du choc électrique, induit une réponse émotionnelle caractéristique d'un état de peur : l'animal se fige (comportement de "freezing"), ses poils se hérissent, son organisme libère des hormones de stress, sa pression artérielle et sa fréquence cardiaque augmentent. Cet apprentissage de type pavlovien est acquis très facilement, retenu sur de longues périodes et observé dans de très nombreuses espèces (de la mouche à l'homme en passant par le rat), d'où l'engouement dont il a été l'objet dans le cadre d'une approche translationnelle de l'étude de la mémoire émotionnelle. 2 Figure 1 : Protocole du conditionnement de peur au son. SC : Stimulus conditionnel, SI : Stimulus inconditionnel. (Adapté de LeDoux, 2007) Les circuits neuronaux du conditionnement de peur au son Notons, qu’à ce jour, la majorité des études de peur conditionnée chez le rat ont été faites en utilisant un son comme stimulus conditionnel (pour revue, voir LeDoux, 2000 ; Maren 2001; Medina, Christopher Repa, Mauk et LeDoux, 2002). Les travaux du groupe de Joseph LeDoux ont contribué de façon majeure à la connaissance des circuits impliqués dans le conditionnement de peur au son. Ces études ont notamment révélé que cet apprentissage met en jeu une structure clé du cerveau : l'amygdale (Figure 2). Pour que l'association entre un SC sonore et un SI nociceptif puisse avoir lieu, il est indispensable que d'un point de vue anatomique les voies transmettant ces deux types de stimuli convergent quelque part dans le cerveau. Cette condition est remplie au niveau de l'amygdale, et plus particulièrement du noyau latéral (LA) qui fait partie du complexe basolatéral de l’amygdale (BLA). Les entrées auditives sur le LA proviennent à la fois du thalamus auditif (voie thalamique) et du cortex auditif (voie corticale). Le LA reçoit aussi des afférences issues du stimulus nociceptif qui transitent par le thalamus somatosensoriel ainsi que par le cortex somatosensoriel. Le LA est donc en position de pouvoir former un lien entre SC et SI et ainsi créer une mémoire associative. 3 Figure 2 : Circuits cérébraux du conditionnement de peur au son SC : Stimulus conditionne ; SI : Stimulus inconditionnel ; LA : Noyau latéral ; CE : Noyau central ; SG : Substance grise périaqueducale ; HL : Hypothalamus latéral ; NPV : Noyau paraventriculaire.(Adapté de Medina et LeDoux, 2002) Un fois le lien établi, il reste à savoir comment est engendrée la réponse de peur apprise. Le LA envoie des projections directes sur le noyau central de l'amygdale lequel contrôle l'expression des réponses de peur via les connections qu'il entretient avec différentes structures du tronc cérébral. Ainsi les efférences du noyau central vers l'hypothalamus latéral sont responsables des réponses de variation de pression sanguine alors que les projections vers le noyau paraventriculaire de l'hypothalamus contrôlent les réponses hormonales (libération de corticostérone) et celles vers la substance grise périaqueducale induisent la réponse d'immobilité de peur plus connue sous le terme de "freezing". Les données anatomiques, pour indispensables qu'elles soient, ne permettent pas à elles seules d'attribuer un rôle aux différentes structures concernées dans l'apprentissage de peur conditionnée au son. Pour cela, différentes approches expérimentales ont été utilisées. Ainsi, des techniques de lésion ou d'inactivation transitoire de l'amygdale ont permis de montrer que cette structure était indispensable pour l'acquisition de l'apprentissage ainsi que pour sa rétention à long-terme (pour revue voir Maren, 2005) suggérant l'idée qu'elle pourrait constituer le lieu de stockage permanent de l'association SC-SI. 4 Si l’amygdale est le lieu de stockage permanent de l'apprentissage, on doit pouvoir mettre en évidence une "trace" de cette association au niveau neuronal. L'un des mécanismes cellulaires les plus en vogue à l'heure actuelle pour le stockage de la mémoire est le phénomène de potentialisation à long terme (PLT) qui consiste en un renforcement durable de la transmission synaptique au sein du réseau neuronal impliqué (pour revue voir Martin, Grimwood et Morris, 2000). Ce phénomène a été décrit pour la première fois par Bliss et Lomo (1973) sur des tranches d'hippocampe de lapin suite à l'application d'une stimulation électrique à haute fréquence des axones afférents de la voie perforante. De nombreuses études électrophysiologiques ont permis d'aboutir à la conclusion que les neurones de l'amygdale possédaient toute la machinerie cellulaire et synaptique pour mettre en œuvre une plasticité synaptique durable comparable à la PLT hippocampique (Maren, 1999). L'étape ultérieure a consisté à rechercher si ce type de plasticité était aussi observé en situation naturelle (par opposition à son induction artificielle par une stimulation électrique tétanisante) suite à un apprentissage. C'est ainsi que Rogan, Staubli et LeDoux (1997) ont montré que l'apprentissage de peur conditionnée au son induisait une augmentation de la réponse évoquée par le SC sonore dans l'amygdale latérale. Cette augmentation présente de nombreuses similitudes avec la facilitation observée suite à l'induction d'une PLT dans la voie thalamique auditive. Ainsi, le son appris va désormais induire dans les voies auditives et au niveau du LA une réponse potentialisée. La forte activation neuronale qui en résulte va ensuite se propager au noyau central de l'amygdale et induire la réponse de peur. En somme, suite à la formation du lien SC-SI au niveau du LA, le son seul devient capable d’activer les structures cibles du LA, responsables de l’état de peur. Si l'ensemble de ces données met en avant le rôle clé de l'amygdale dans l'apprentissage de peur conditionnée au son, il ne signifie pas pour autant que l'amygdale est la seule structure impliquée ni qu'elle code tous les aspects de l'apprentissage aversif. Ainsi plusieurs expériences ont par exemple montré que l'activité des neurones du thalamus auditif ainsi que ceux du cortex auditif primaire était modifiée des suites de l'apprentissage (Quirk, Armony et LeDoux, 1997 ; Edeline, 1999; pour revue voir Weinberger 2004). Concernant le rôle respectif de la voie directe thalamus-amygdale et de la voie indirecte thalamus-cortex-amygdale, LeDoux (2000) propose que la première est rapide et grossière, alors que la deuxième est lente et précise (Figure 2). Pour illustrer la fonction de ces deux voies, LeDoux (1994) prend un exemple dans la modalité visuelle, celui du promeneur qui marche dans les bois et qui, au détour d’un arbre, voit, à demi enfoui dans les feuilles, ce qui ressemble à un serpent. La voie thalamique, qui se projette directement sur l’amygdale, fait une analyse grossière de cet objet et permet au cerveau de détecter un danger potentiel et d'enclencher une réponse quasiimmédiate de défense (sursaut puis immobilisation, sécrétion d’hormones de peur qui préparent l’organisme à la fuite…). En parallèle, l'information visuelle accède plus tardivement au cortex où elle est analysée finement. S’il s’avère qu’il s’agit véritablement d’un serpent, le cortex visuel 5 renforce l'action de l'amygdale, et les manifestations corporelles de peur déjà engagées sont maintenues. Si par contre le cortex visuel décode l’image d'un bout de bois et non d'un serpent, la réponse de peur est atténuée. Selon LeDoux (1994), du point de vue de la survie de l'espèce, en cas de danger il est indispensable de répondre rapidement, au risque de se tromper. En d'autres termes, il vaut mieux prendre un bâton pour un serpent que laisser au serpent le temps de vous mordre. Par ailleurs, il est bien établi que lors d'un conditionnement de peur au son, l'animal met aussi en mémoire les indices contextuels de l'environnement où a lieu le conditionnement. Plusieurs études essentiellement basées sur des approches de lésion ou d'inactivation transitoire ont montré que l'hippocampe était impliqué dans cet apprentissage contextuel (pour revue, Anagnostaras, Gale et Fanselow, 2001; Maren, 2001). Enfin, s'il est crucial de comprendre comment se forme et s'exprime une mémoire de peur, il est aussi tout aussi important de connaître les processus qui permettent son extinction. En effet, comment se débarrasse-t-on de nos peurs devenues inutiles ou inappropriées? En laboratoire, le phénomène d'extinction d'une peur conditionnée est obtenu en présentant de façon répétée le SC appris, sans lui associer le SI. Comme le SC perd son caractère prédictif de l’arrivée du SI, la réponse de peur décroît progressivement au cours des présentations. Les données de la littérature suggèrent que le cortex préfrontal serait impliqué dans cette régulation de la réponse de peur par le biais d'une action inhibitrice sur l'amygdale (Sotres-Bayon, Bush et LeDoux, 2006; Quirk et Muller, 2008). Ce bref aperçu de la neurobiologie du conditionnement de peur au son illustre le fait que cet apprentissage, si simple soit-il, est sous-tendu par un réseau composé de plusieurs structures cérébrales corticales et sous-corticales. Ces observations sont en accord avec la conception actuelle de la neurobiologie de la mémoire selon laquelle la construction et le rappel du souvenir mettent en jeu un réseau de structures cérébrales largement distribuées. Il s’agit notamment des aires corticales sensorielles unimodales qui ont participé à l’encodage de l’information et de structures hautement associatives comme l’hippocampe et l’amygdale. La trace laissée en chaque point du réseau aurait pour support des modifications durables de l’efficacité synaptique. Pourquoi étudier la peur conditionnée à l’odeur ? Ainsi que nous l'avons mentionné précédemment, la vaste majorité des travaux sur le conditionnement de peur ont utilisé le stimulus sonore comme SC. Il est dès lors légitime de se demander si le circuit neuronal mis en évidence dans cet apprentissage est transposable dans ses principes, à d'autres types de SC. Nous avons abordé précisément cette question dans le cadre de l’apprentissage de peur conditionnée à l’odeur. La modalité olfactive constitue un modèle privilégié pour deux raisons principales. La première est que, chez le rat, l’odorat est la modalité sensorielle dominante. De ce fait le rat est 6 capable de maîtriser aisément des tâches olfactives même complexes qui rivalisent aisément avec les apprentissages visuels chez les primates (Slotnick, 2001). La seconde tient à l’organisation des voies de projections olfactives, notamment sur l'amygdale, qui présente des caractéristiques particulières par rapport à la modalité auditive. La singularité de l’anatomie du système olfactif La modalité olfactive est la seule modalité sensorielle à avoir un accès direct à l'amygdale, les autres modalités n'atteignant l'amygdale qu'après plusieurs étapes intermédiaires (McDonald, 1998; Swanson et Petrovich, 1998). Dans le système olfactif principal, les axones des neurorécepteurs de l’épithélium olfactif convergent dans le bulbe olfactif (Figure 3). Les axones des neurones du bulbe olfactif forment le tractus olfactif latéral qui atteint directement plusieurs cibles corticales dont trois principales. La première est le cortex olfactif proprement dit, ou cortex piriforme. La deuxième est le cortex entorhinal qui représente la voie d'entrée principale sur l'hippocampe qui joue un rôle clé dans la mise en mémoire de nos souvenirs. La troisième est constituée par les noyaux corticaux de l’amygdale. Ces derniers envoient des projections massives vers les noyaux profonds du complexe basolatéral de l’amygdale. Le cortex piriforme pour sa part envoie un faible contingent de fibres sur le complexe basolatéral. Ainsi, à la différence du système auditif, le premier noyau amygdalien atteint par les afférences olfactives n'est pas le noyau latéral du complexe basolatéral mais le noyau cortical. Ces projections sont monosynaptiques et ne passent donc pas par un relais thalamique comme dans les voies auditives. Figure 3 : Schéma succint de l’anatomie des voies olfactives. 7 L'information olfactive, contrairement à l'information auditive, a donc un accès immédiat aux structures impliquées dans la mémoire et les émotions. Cette particularité anatomique est en accord avec le fait que la dimension la plus importante de l’odeur est son caractère hédonique (j’aime vs je n’aime pas). Partant de ce constat il est important de rechercher si ces particularités se traduisent sur le plan fonctionnel par l'identification de différences entre les réseaux impliqués dans le conditionnement de peur à l'odeur et le conditionnement de peur au son. Le conditionnement de peur à l’odeur chez le Rat La première étude de caractérisation du conditionnement de peur à l'odeur a été réalisée par Otto, Cousens et Herzog (1997) qui ont montré que cet apprentissage présente les mêmes caractéristiques comportementales que la peur conditionnée au son. Par la suite nous avons confirmé que l'apprentissage de peur à l'odeur peut s'effectuer en une seule séance de six associations odeur-choc, et qu'il induit une réponse comportementale de peur ("freezing") très nette qui se maintient sur toute la durée de la séance du test de rétention réalisé 24h après la séance de conditionnement (Sevelinges, Gervais, Messaoudi, Granjon et Mouly, 2004) (Figure 4). Cette réponse est relativement spécifique de l'odeur utilisée lors du conditionnement puisque lorsque l'on présente une autre odeur lors du test de rétention, la réponse de peur est significativement plus faible et plus courte que celle induite par le SC. Figure 4 : Evolution du taux de freezing au cours de la séance de rétention réalisée 24h après le conditionnement de peur à l’odeur. Le SC est introduit à partir de la 3ème minute (flèches noires). *: Différence significative entre les 2 courbes. (Adapté de Sevelinges et al, 2004) 8 Quel est le circuit neuronal de la peur conditionnée à l’odeur ? Les quelques études concernant la neurobiologie du conditionnement de peur à l'odeur se sont focalisées sur le rôle de l'amygdale et plus particulièrement le complexe basolatéral. L'utilisation de techniques de lésions (Cousens et Otto, 1998; Herzog et Otto, 1998) ou d'inactivation transitoire (Kilpatrick et Cahill, 2003), d'imagerie cellulaire (Funk et Amir, 2000) et d'électrophysiologie (Rozenkrank et Grace, 2002) a permis de confirmer que comme dans le cas d'un apprentissage de peur au son, le conditionnement de peur à l'odeur met en jeu l'amygdale. Dans le but d'évaluer l'implication des aires sensorielles olfactives dans cette tâche, nous avons mesuré la plasticité synaptique au sein d’un réseau de structures suite à l’apprentissage de peur conditionnée à l'odeur (Sevelinges et al, 2004). Les sites choisis étaient les parties antérieure et postérieure du cortex piriforme, et deux noyaux du complexe amygdalien, le noyau cortical et le complexe basolatéral (Figure 5A). Nous avons enregistré deux régions distinctes du cortex piriforme car des études antérieures ont mis en évidence une implication différentielle de ces deux régions dans les processus mnésiques (Litaudon, Mouly, Sullivan, Gervais et Cattarelli, 1997; Haberly, 2001; Mouly, Fort, Ben-Boutayab et Gervais, 2001; Mouly et Gervais, 2002). Le noyau cortical et le noyau basolatéral de l'amygdale ont été choisis au vu de la particularité des projections anatomiques du bulbe olfactif sur le noyau cortical d'une part, et du rôle du complexe basolatéral dans l'apprentissage de peur conditionnée d'autre part. Les potentiels de champ évoqués dans chaque site par une stimulation électrique appliquée au niveau du bulbe olfactif ont été enregistrés simultanément dans ces quatre structures (Figure 5B). Le signal de type potentiel évoqué représente la réponse synchrone de toute une population de neurones et constitue un bon indice du fonctionnement synaptique global de la population neuronale étudiée. A Electrode de stimulation B CPa AmV CPp ACo 500µV BLA BO CPa 20 ms BLA CPp ACO St Figure 5 : Schéma représentant (A) l'implantation des électrodes de stimulation et d'enregistrement, (B) des exemples de potentiels évoqués recueillis dans chaque structure. BO : Bulbe olfactif ; CPa : Cortex piriforme antérieur ; CPp : Cortex piriforme postérieur ; ACO : Noyau cortical de l’amygdale ; BLA : Complexe basolatéral de l’amygdale. (Adapté de Sevelinges et al, 2004) 9 Nous avons comparé l’amplitude des signaux enregistrés dans les quatre sites avant et après l’apprentissage sur deux groupes d’animaux, un groupe conditionné et un groupe témoin. Les résultats (Figure 6) montrent que chez les animaux conditionnés, l'apprentissage s'accompagne 1) d'une augmentation durable (i.e. observée aussi bien en absence qu'en présence de l'odeur apprise) de l'amplitude du signal recueilli dans l’amygdale corticale, 2) d'une augmentation transitoire (i.e. observée uniquement en présence de l'odeur) dans le cortex piriforme postérieur, l’amygdale corticale et l'amygdale basolatérale. Ainsi l’apprentissage de peur conditionnée à l’odeur facilite la transmission synaptique excitatrice dans les voies qui acheminent l’information olfactive vers le complexe amygdalien. % variation vs ligne de base Groupe témoin Groupe conditionné * $ 20 * 15 20 * 15 $ 10 10 5 5 0 0 -5 -5 - 10 - 10 Avant odeur Pendant odeur Avant odeur Cortex Piriforme antérieur Amygdale Corticale Cortex Piriforme postérieur Amygdale Basolatérale Pendant odeur Figure 6 : Variations d’amplitude des signaux recueillis lors du test de rétention par rapport à la ligne de base mesurée avant l’apprentissage. * : Différence significative par rapport à la ligne de base ; $ : Différence significative par rapport à la période avant odeur. (Adapté de Sevelinges et al, 2004) La peur conditionnée à l’odeur serait-elle différente des autres peurs conditionnées ? Nos données suggèrent que le réseau neuronal impliqué dans l'association odeur-choc présente certaines particularités qui pourraient être liées au caractère unique des connections existant entre le bulbe olfactif et l'amygdale. Ainsi le noyau cortical de l'amygdale, partie intégrante du noyau cortico médian qui est le point d'accès principal des informations olfactives à l'amygdale, pourrait être impliqué dans le conditionnement de peur dès lors qu'une odeur est utilisée comme stimulus conditionnel. Les noyaux superficiels de l'amygdale, dont l’amygdale corticale, sont connus pour être une source importante de projections de l'amygdale vers l'hypothalamus (Price, Slotnick et Revial, 1991) qui, nous l'avons vu, est impliqué dans le contrôle des réponses du système nerveux 10 autonome inhérentes à l'expression de la peur conditionnée. La facilitation durable observée dans l’amygdale corticale suite à l'apprentissage pourrait favoriser le développement d'une réponse comportementale rapide et adaptée en présence de l'odeur signalant le danger. Dans le conditionnement de peur au son, on distingue une voie thalamique rapide et une voie corticale plus lente. Dans le conditionnement de peur à l'odeur, du fait de l'absence de relai thalamique entre le bulbe olfactif et le cortex piriforme, la dissociation entre voie lente et voie rapide n'a plus lieu d'être. Nos données suggèrent que lorsque l'odeur SC arrive, le cortex piriforme postérieur et l’amygdale corticale agissent de concert pour induire une réponse de peur adaptée. L’apprentissage de peur conditionnée à l'odeur chez le raton : Deux circuits distincts pour deux âges différents Pendant la période sensible Qu'en est-il de l'ontogénèse de l'apprentissage de peur à l'odeur? De la naissance et au onzième jour de vie environ, le raton ne peut ni voir ni entendre, car ses yeux et ses oreilles sont clos. L'olfaction joue donc un rôle prépondérant dans le comportement du nouveau-né. Le groupe de Regina Sullivan étudie depuis de nombreuses années les apprentissages olfactifs chez le raton (pour revue, voir Wilson et Sullivan, 1994 ; Sullivan, 2001; Sullivan, 2005). Jusqu'à l'âge de 10 jours, les ratons sont confinés au nid et passent le plus clair de leur temps à téter et recevoir des soins maternels (Bolles et Woods, 1965). Ils sont donc entièrement dépendants de leur mère pour l'accès à la nourriture et les soins corporels. Dans cette période que l'on désigne sous le terme de période sensible, les ratons montrent une capacité accrue à acquérir des préférences olfactives au détriment des aversions olfactives. Ainsi chez les ratons de cet âge, le couplage d’une odeur à un choc électrique aux pattes, induit une préférence qualifiée de paradoxale vis à vis de cette odeur. Bien qu'apparemment paradoxale, cette préférence a pu se développer pour empêcher le raton d'acquérir une aversion à sa mère malgré les manipulations parfois douloureuses qu'elle lui fait subir. Par exemple, les mères marchent souvent sur leur progéniture lorsqu'elles entrent ou sortent du nid, ou encore elles rattrapent les ratons par une patte. Les bénéfices d'un système empêchant les ratons de faire une aversion à leur mère sont évidents puisque les ratons doivent au contraire s'approcher d'elle pour pouvoir téter, se réchauffer et être protégés. En d’autres mots, les ratons se doivent d’avoir un comportement vital d’approche vers leur mère et ce, quels que soient le comportement qu’elle leur manifeste. D’un point de vue neurobiologique, l'apprentissage odeur-choc pendant la période sensible est sous-tendu par un réseau de structures bien particulier. Le bulbe olfactif en premier lieu présente des formes de plasticité liées à l'apprentissage. En effet la réponse de certains glomérules et des cellules mitrales correspondantes se trouve modifiée des suites de l'apprentissage (pour revue, Moriceau et Sullivan, 2005). Plus en aval, le cortex piriforme antérieur semble 11 impliqué (Moriceau, Wilson, Levine et Sullivan, 2006) puisqu'il montre une augmentation de marquage métabolique suite à l'apprentissage. Enfin, l'un des acteurs clé de l'apprentissage néonatal en période sensible est le locus coeruleus. Le locus coeruleus est la principale source de noradrénaline du bulbe olfactif et cette dernière est impliquée de façon critique dans l'apprentissage néonatal. Ainsi le blocage des récepteurs noradrénergiques dans le bulbe olfactif empêche l'apprentissage et à l'inverse, leur activation en présence d'une odeur suffit à induire une préférence pour cette odeur (Wilson et Sullivan, 1991; Sullivan, Landers, Yeaman et Wilson, 2000). La libération de NA dans le bulbe olfactif au moment de l’arrivée d’une odeur est nécessaire et suffisante pour que celle-ci acquiert une valeur attractive. Une autre des caractéristiques de l'apprentissage néonatal odeur-choc est l'absence de participation de l'amygdale. En effet, alors que l'amygdale est impliquée dans la peur conditionnée chez l'adulte, elle n'est pas activée lors de l'apprentissage odeur-choc chez le raton en période sensible (Sullivan et al, 2000) et sa lésion n'en compromet pas l'acquisition (Sullivan et Wilson, 1993). En résumé, au cours de la période sensible, l'apprentissage odeur-choc reposerait sur trois structures principales : le bulbe olfactif, le cortex piriforme postérieur et le locus coeruleus, et n'impliquerait pas l'amygdale (Figure 7). Après la période sensible Après l'âge de 10 jours, les ratons commencent à sortir du nid et peuvent donc être confrontés à des situations dangereuses. Or dès la fin de la période sensible, les caractéristiques de l'apprentissage des ratons se met a ressembler à celui des adultes. Ainsi l'association odeur-choc induit maintenant une aversion chez les ratons. Si l'on regarde le circuit neuronal impliqué dans cet apprentissage, on constate qu'il présente de grandes similitudes avec celui observé chez le rat adulte (Figure 7). En effet l'apprentissage chez un raton de 12 jours s'accompagne d'une augmentation de marquage métabolique dans le cortex piriforme postérieur et l'amygdale (Moriceau et Sullivan, 2006). Figure 7 : Les circuits de la peur conditionnée à l'odeur à différents âges de vie : chez le jeune avant PN10 (Cercles gris) et chez le jeune après PN10 ou chez l’adulte (Cercles blancs). (Adapté de Moriceau et Sullivan, 2005) 12 Les déterminants de la durée de la période sensible La question qui se pose au vu des profonds changements observés au cours de l'ontogénèse, tant au niveau du comportement que de la neurobiologie, est celle des déterminants de la durée de la période sensible. Quels sont les facteurs qui régissent la fin de cette période? La période sensible est caractérisée par un hypofonctionnement de l'axe corticotrope hypothalamohypophyso-surrénalien (HPA) dont la conséquence est une absence de réponse physiologique au stress. En effet, le choc électrique n'induit quasiment pas de libération de corticostérone chez le raton (Moriceau et Sullivan, 2006). En revanche, le même choc chez l’adulte déclenche l'activation de l'axe HPA entraînant une forte libération de corticostérone par les glandes surrénales. Il semble que la quasi-absence de libération de corticostérone en réponse à un stress soit à la base de l'impossibilité des ratons à apprendre une aversion pendant la période sensible. Cette hypothèse a été validée expérimentalement en injectant de la corticostérone à des ratons âgés de 8 jours. On observe alors qu'ils sont capables d'apprendre une aversion et que de plus, leur amygdale est activée lors du conditionnement. A l'inverse, si on réalise une ablation des glandes surrénales sur des ratons de 12 jours qui apprennent normalement une aversion, les animaux développent une préférence paradoxale à l'odeur associée au choc et leur amygdale n'est plus activée. Ces résultats mettent en lumière le rôle clé de la corticostérone dans la modulation des caractéristiques l'apprentissage néonatal et notamment de la durée de la période sensible. La durée de la période sensible peut aussi être modulée par la présence de la mère auprès des ratons. En effet le comportement maternel a une grande influence sur les niveaux de corticostérone chez le raton. Ainsi, chez des ratons âgés de 12 jours pour qui l'association odeur-choc entraîne une aversion, la présence de la mère réinstaure un apprentissage de type période sensible, avec l'induction d'une préférence paradoxale et l'activation d'un réseau neuronal qui n'engage pas l'amygdale (Moriceau et Sullivan, 2006). Les conséquences à long-terme d’un apprentissage olfactif néonatal Il est bien établi que les expériences aversives néonatales peuvent avoir des effets délétères sur la réponse émotionnelle à l'âge adulte. La plupart des études dans ce domaine ont utilisé des épisodes de séparation d'avec la mère (pour revues, voir Denenberg, 1963; Meaney, 2001; Lévine, 2001) et elles s'accordent pour conclure que les séparations longues perturbent le développement de l'axe HPA, ce qui a pour conséquence d'augmenter la sensibilité au stress à l'âge adulte et de perturber les comportements sociaux ainsi que certains apprentissages cognitifs. Paradoxalement très peu d'études se sont intéressées aux conséquences à long-terme d'apprentissages associatifs réalisés en période néonatale. Fillion et Blass (1986) ont montré qu'une 13 odeur associée à la têtée était retenue jusqu'à l'âge adulte où elle induisait une augmentation de l'activité sexuelle des rats mâles en présence de femelles odorisées avec cette odeur. Par ailleurs, Shah, Oxley, Lovic et Fleming (2002), utilisant le même apprentissage néonatal que Fillion et Blass (1986) ont mis en évidence des effets sur le comportement maternel des femelles à l'âge adulte. Enfin, plus récemment, Blais, Terkel et Goldblatt (2006) ont confirmé que la mémoire de l'odeur apprise en période néonatale persistait à l'âge adulte jusqu'au moins 5 mois après la dernière exposition. Ces résultats sont particulièrement surprenants au vu d'un phénomène commun à l'homme et à l'animal qui est celui de l'amnésie infantile (pour revue, voir Campbell et Spear, 1972). Campbell et Campbell (1962) ont été les premiers à faire une démonstration empirique de l'amnésie infantile chez le rat en laboratoire. Leurs travaux ont ainsi montré que des rats de 18 jours ayant appris une tâche d'évitement passif ont complètement oublié cette tâche 7 jours plus tard, alors que des animaux de 100 jours ont une très bonne rétention de la tâche même après 42 jours. L'amnésie infantile ne semble pas due à un déficit d'acquisition ou de stockage de l'apprentissage, mais plutôt à un déficit de rappel de la mémoire puisque la présentation d'indices de rappel aux animaux permet de restaurer la mémoire chez les jeunes (Campbell and Jaynes, 1966). Par ailleurs, une étude récente suggère que ce déficit de rappel pourrait être dû à une suractivation du système Gabaergique dans les stades précoces du développement (Kim et Richardson, 2006). Il est cependant important de souligner que l'incapacité de se souvenir d'un événement donné est indépendante des effets potentiels à long-terme de cet évènement. En effet, l'existence d'une amnésie infantile, c'est-à-dire le constat de l'oubli d'une expérience passée ne signifie pas pour autant que cette expérience n'a pas laissé des traces durables, susceptibles de moduler le comportement à l'âge adulte. Ainsi que nous l'avons vu ci-dessus, les données comportementales de Fillion et Blass (1986), de Shah et al (2002) et de Blais et al (2006) donnent à penser qu'un apprentissage olfactif néonatal est capable de moduler le comportement de l'animal adulte. Les bases neurobiologiques de ce genre de modulation sont, à l'heure actuelle, largement inconnues. Dans une étude récente nous avons évalué les conséquences d'une expérience olfactive précoce à l’âge adulte, tant sur le plan des performances comportementales que sur celui des caractéristiques neurobiologiques (Sevelinges, Moriceau, Holman, Miner, Muzny, Gervais et Mouly, 2007). Nous nous sommes intéressés aux effets de l'apprentissage néonatal associatif odeur-choc. Des ratons ont été conditionnés du 7ème au 11ème jour postnatal, traitement qui induit une réponse paradoxale de préférence à l'odeur. Une fois adultes, ces animaux ont à nouveau été soumis à un apprentissage de peur conditionnée à l'odeur et leurs réponses comportementales ont été comparées à celles d'animaux contrôles simplement exposés à l'odeur durant la période néonatale ou bien à la présentation non appariée de l'odeur et du choc électrique. Les résultats comportementaux montrent que les animaux conditionnés très jeunes présentent un déficit de la réponse de peur conditionnée à l’odeur par rapport aux animaux témoins 14 (Figure 8A). Le déficit n'est pas observé dans le groupe pseudo-conditionné, ce qui signifie que l'effet obtenu est bien dû à l'apprentissage associatif néonatal et non pas à l'exposition à l'odeur ou au choc électrique seuls. Par ailleurs, ce déficit est sélectif de l’odeur utilisée pendant l’apprentissage néonatal. En effet, si lors du conditionnement adulte, une odeur nouvelle est utilisée, alors les animaux montrent un niveau d'apprentissage comparable à celui des animaux contrôles. En parallèle de cette étude comportementale, nous avons recherché si l'expérience néonatale induisait des modifications au niveau des structures normalement impliquées à l'âge adulte. Pour cela, nous avons utilisé une technique de marquage métabolique au 2-désoxyglucose (2DG) qui permet de visualiser les structures activées lors de l'apprentissage. Notre étude s'est focalisée sur l'amygdale au vu de l'importance de cette structure dans la peur conditionnée à l'odeur. Cette étude a permis de révéler que le déficit d’apprentissage de peur conditionnée observé chez les animaux soumis à l'apprentissage néonatal s’accompagne d’une hypoactivation de l’amygdale (Figure 8B). B A C Rapport des doubles chocs 1.6 Freezing en sec 80 * 60 * * * * $ * * * 1.4 Capture relative moyenne de 2-DG uptake * * 1.2 * 1.2 1 * 0.8 40 1.1 20 1 0.6 0.4 0.2 0.9 0 0 20 Raton Naïf-Adulte Apparié Raton apparié-Adulte Apparié Raton non apparié-Adulte Apparié Raton Odeur-Adulte Apparié IIC ms 30 Raton Odeur-Adulte Odeur Figure 8 : A- Performances comportementales dans le conditionnement de peur à l'odeur à l'âge adulte. B- Marquage métabolique (2DG) dans l’amygdale suite au conditionnement de peur à l'odeur à l'âge adulte. C- Rapport entre les amplitudes des signaux recueillis dans l’amygdale en réponse à une stimulation en double choc du bulbe olfactif. IIC : durée en ms de l’intervalle entre les deux chocs. (Adapté de Sevelinges et al, 2007) Par ailleurs, en suivant le même protocole expérimental, nous avons réalisé une étude électrophysiologique suite à l’apprentissage de peur à l’odeur sur les rats adultes, en condition anesthésiée. Nous avons recueilli les signaux de type potentiel évoqué induits dans l’amygdale en réponse à la stimulation électrique du bube olfactif. Nous avons appliqué des stimulations en double 15 choc avec des intervalles inter-chocs variables, dans le but d’appréhender le niveau d’inhibition dans l’amygdale dans les différents groupes expérimentaux. Pour des intervalles courts (20 à 30 ms), l’amplitude du signal induit par le deuxième choc est plus faible que celle du premier. Cette diminution reflète l’activation des interneurones inhibiteurs GABAergiques. Il ressort de cette étude que l’apprentissage néonatal induit une diminution du niveau d’inhibition dans l’amygdale à l’âge adulte (Figure 8C). En résumé, l’ensemble de ces données montre que l’expérience olfactive néonatale odeur-choc induit un déficit d’apprentissage de peur conditionnée à l’odeur à l’âge adulte, associé à une perturbation du fonctionnement de l’amygdale. Quelle interprétation pouvons-nous donner à ces observations? Nous faisons l'hypothèse que l'apprentissage effectué par le raton à un moment de son développement où l'émergence de préférences est favorisée en dépit de l'adversité du stimulus inconditionnel, a doté l'odeur apprise d'une valeur positive, qui vient contrecarrer la valeur négative qu'elle doit acquérir lors du conditionnement adulte. Il en résulterait un moins bon apprentissage adulte. Il est important de noter ici que même si l'apprentissage adulte est atténué chez les animaux soumis à l'apprentissage néonatal, il n'en est pas moins présent. Se pose alors la question du circuit neuronal sous-jacent. Cet apprentissage atténué ne semble pas impliquer l'amygdale. Des études supplémentaires seront nécessaires pour confirmer cette hypothèse et rechercher les structures cérébrales mises en jeu. Une première piste nous est fournie par l'observation d'une suractivation du bulbe olfactif chez les animaux présentant un apprentissage atténué. Rappelons que le bulbe olfactif est impliqué dans l'apprentissage néonatal en période sensible. Il se pourrait donc que l'apprentissage atténué soit sous-tendu par certains des éléments du réseau mis en jeu lors de l'apprentissage néonatal de l'odeur. Le réseau néonatal viendrait au moins en partie supplanter le réseau adulte. Conclusion On pourrait se demander quel est l'intérêt d'étudier l'émotion de peur en rapport aux odeurs. Quand on évoque spontanément les différentes émotions rattachées aux odeurs, ce sont généralement la nostalgie, la joie, le dégoût ou la tristesse qui viennent à l'esprit plutôt que la peur. Mais si ces émotions sont aisément objectivables chez l'homme, par le biais du langage, il n'en va pas de même pour l'animal chez qui elles sont beaucoup plus difficiles à appréhender expérimentalement (mais voir Panksepp, 2005). L'une des principales raisons d'utiliser la réponse de peur chez l'animal est précisément que les marqueurs physiologiques de cette émotion sont bien définis et reproductibles. Dans un contexte plus large, mieux connaître les mécanismes de la peur conditionnée à l'odeur est l'étape nécessaire à la compréhension des dérèglements de ce type d'apprentissages associatifs et des 16 pathologies qui peuvent en découler, comme le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) chez l'homme. Le SSTP est un désordre anxieux développé en réponse à un événement traumatisant, incluant le sentiment de l'imminence d'un danger de mort (accident, attentat, viol, agression, guerre…) (McNally, 2006). Chez les victimes de SSTP, la présentation d'un stimulus, si anodin soit-il, présent au moment du traumatisme induit la résurgence du souvenir traumatique et avec elle tout un flot de manifestations comportementales de stress et d'anxiété très invalidantes. Dans certains cas, le SSTP se caractérise aussi par le rappel involontaire du traumatisme, sous la forme de pensées intrusives, la sensation de "flash-back". Les victimes revivent le traumatisme avec toute son intensité émotionnelle initiale. Parmi les stimuli déclencheurs, les odeurs se révèlent être de puissants inducteurs de mémoire traumatique (Vermetten et Bremner, 2003). Les connaissances acquises sur le conditionnement de peur à l'odeur chez l'animal et notamment sur les mécanismes qui en régulent l'extinction devraient permettre d'ouvrir des pistes pour le traitement du SSTP. En dehors du contexte des pathologies, la compréhension des mécanismes de la peur conditionnée à l'odeur est à replacer dans le cadre élargi de la mémoire émotionnelle olfactive. Décrire les circuits neuronaux impliqués dans cette mémoire permettra de comprendre pourquoi les odeurs ont d'emblée une connotation hédonique et comment elles sont capables d'induire presque malgré nous la résurgence de souvenirs pleins d'émotion enfouis au cœur de notre mémoire. 17 Bibliographie Anagnostaras, S.G., Gale, G.D. & Fanselow, M.S. (2001) Hippocampus and contextual fear conditioning: recent controversies and advances. Hippocampus, 11, 8-17. Blais, I., Terkel, J. & Goldblatt, A. (2006) Long-term impact of early olfactory experience on later olfactory conditioning. Dev Psychobiol, 48, 501-507. Bliss, T.V. & Lomo, T. (1973) Long-lasting potentiation of synaptic transmission in the dentate area of the anaesthetized rabbit following stimulation of the perforant path. J Physiol, 232, 331-356. Bolles, R.C. & Woods, P.J. (1965) The ontogeny of behavior in the albino rat. Anim. Behav, 12, 427-441. Cahill, L. & McGaugh, J.L. 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