TOPIC Mars 2007 Que veut dire « Propriété » en chinois ? Le 16 mars 2007, lors de la session annuelle de l’Assemblée La loi sur les Nationale Populaire (ANP), le projet de loi sur les droits de propriété a enfin droits de propriété été adopté ! Cette loi aura nécessité, de 2002 à 2007, sept examens - et au a enfin été moins autant de versions - par les députés de l’ANP avant de passer. adoptée… Composée de 247 articles, elle entrera en application le 1er octobre prochain. Rappelons que le dogme juridique chinois, depuis 1949, est la propriété du sol et des moyens de production par l’Etat socialiste, sans aucun amendement possible. Mais une réflexion sur la notion de propriété a été …après plusieurs enclenchée à partir de 1993. Ainsi, depuis 2002, estimant que la Chine était années de prête pour cette évolution, plusieurs projets de loi sur cette question ont été réflexion et de testés - sans succès - lors des sessions annuelles de l’ANP. débats internes. En mars 2004, premier tournant significatif : une révision de la Constitution chinoise modifie l’article 13 pour y inscrire le principe de la propriété privée : « les droits individuels à la propriété des citoyens ne peuvent être violés ». Un acte avant tout symbolique pour cet Etat socialiste, puisque la notion de « droits individuels » restait encore à préciser. Cette nouvelle loi du 16 mars dernier permet-elle de fixer les contours Mais la notion de de la « propriété » ? Difficile à dire. Cette notion de « propriété » traduite en « propriété » reste français est trop large pour prêter à un commentaire décent de cette loi en encore vague. chinois. La loi chinoise en question évoque beaucoup plus la propriété au sens de « biens » (property en anglais ou cai chan en chinois) que la propriété au sens de « possession » (ownership en anglais ou suoyou en chinois). Cette loi se veut « historique »… …mais ne modifie pas les principes immuables de l’Etat socialiste :… Certes, cette loi peut sembler dans un premier temps « révolutionnaire », en tout cas un complément indispensable à l’article 13 de la Constitution. Ce texte a même le mérite de délimiter les champs de la propriété et de préciser davantage la propriété des biens, ce qui devrait être utile pour régler par exemple des questions de copropriété dans la grande distribution (délimitation des parties communes dans un centre commercial). En réalité, la loi du 16 mars 2007 nous laisse sur notre faim : elle renouvelle les actes manqués du gouvernement chinois concernant la propriété du sol et les droits d’usage du sol dans les zones rurales, et persiste à utiliser cette notion floue de « propriété collective ». Si la loi donne théoriquement une garantie juridique aux propriétaires (individu ou entreprise) de biens ou de titres financiers - en plaçant sur un … celui de la propriété du sol… même pied d’égalité la protection de la propriété étatique, collective et individuelle (art. 4) - elle rappelle aussi que la propriété publique continue à jouer un rôle prépondérant dans le système économique chinois (art. 3).De plus, en délimitant le champ de la propriété étatique, cette loi ne fait que réaffirmer un principe contenu dans l’article 12 de la Constitution de la RPC : « La propriété publique socialiste est sacrée et inviolable. L’Etat protège la propriété publique socialiste ». Le sol, en zone urbaine comme en zone rurale, reste donc l’apanage de l’Etat socialiste chinois qui en autorise un droit d’usage. Un compromis « à la chinoise » afin de contenter les conservateurs du PCC et la nouvelle classe moyenne chinoise. Rien de « révolutionnaire » de ce côté-là. … des droits des paysans… Les paysans exploitant les terres « collectives » restent également les oubliés de cette loi. Actuellement, l’exploitation des terres agricoles se fait sous le régime de la collectivité et les paysans chinois ne bénéficient que d’un droit d’usage de trente ans, et encore, sans toujours les documents écrits le confirmant. Ils ont néanmoins le droit de vente et de location de cet usage. L’expansion des villes lors de la dernière décennie a provoqué, comme chacun le sait, de nombreuses expropriations de paysans. Quarante millions, selon le ministère du travail et de la sécurité sociale, ont vu leurs terres réquisitionnées par les gouvernements locaux, au cours de la dernière décennie, pour des projets de construction, de complexes commerciaux, de golfs, de « zones de développement » réelles ou virtuelles, de routes … Or, la loi sur les droits de propriété du 16 mars dernier ne touche pas à la propriété collective : les droits des agriculteurs resteront encore, pour longtemps sans doute, régis par la coutume et la tolérance. Tout au plus cette loi fixe-t-elle, dans ses articles 42 à 44, les conditions d’expropriation et d’indemnisation des « propriétaires fonciers », vieille notion qui renvoie aux heures noires de la réforme agraire de 1950, sans aucune base autre que mythique aujourd’hui. Enfin, après un furieux débat politique interne, le gouvernement de Pékin a finalement préféré le consensus à l’affrontement : on continue donc à …de la notion souvent malmenée manipuler cette notion vague de « propriété collective » qui désigne, dans la plus pure tradition marxiste, la « propriété collective des moyens de de « propriété production ». Dans la réalité, la propriété collective peut couvrir un champ collective ». beaucoup plus large, allant parfois même à l’encontre du « bien collectif » prôné par les autorités chinoises : certains fonctionnaires manipuleraient ainsi à leur avantage cette notion, de même que nombre de propriétaires privés, qui s’abritent sous un parapluie de garanties municipales à ce titre. La protection de la propriété privée n’est donc pas encore garantie. C’est finalement une loi consensuelle qui a été adoptée mais qui représente tout sauf une garantie définitive de la protection de la propriété privée. A présent, seule son interprétation et son application par les différentes instances judiciaires seront susceptibles de bouleverser l’ordre établi de « l’économie socialiste de marché ». A la Cour populaire suprême - qui contrôle les tribunaux populaires locaux - de diffuser à présent la bonne parole et de donner une définition claire des termes contenus dans ce texte ! La loi actuelle sur la propriété s’inscrit dans un contexte plus large d’explosion du secteur privé : en 2006, on recensait 4,64 millions d’entreprises privées dans tous les domaines, de l’industrie aux services. Pour la seule Or, le secteur industrie, le secteur privé représente 40% de la production industrielle, privé se laquelle, rappelons-le, a progressé de 16,6% par an au cours des 5 dernières développe… années (soit un doublement en cinq ans). S’y ajoutent les entreprises à capitaux étrangers, également privées, pour 27% de cette même production industrielle (en priorité destinée à l’exportation dans ce dernier cas). En réalité, les entreprises d’Etat et autres entreprises « collectives » ou « coopératives » sont de plus en plus réduites, relativement, à la portion congrue (voir graphique), passant de 94% en 1990 à 84% en 1997 et seulement 33% en 2005. D’ores et déjà, on estime que plus de 60% du PIB est, d’une façon ou d’une autre (en incluant les services, l’agriculture, etc.), entre des mains privées. Non seulement la privatisation de la Chine est un mouvement inéluctable, mais elle est consciemment encouragée par les autorités pékinoises pour plusieurs raisons. D’abord, le fer de lance de la valeur ajoutée, …, encouragé par des exportations de l’évolution technologique et finalement de la croissance, est constitué des entreprises privées. Et puis aussi, au moment où la les autorités de restructuration des entreprises d’Etat - notamment sous la houlette de la Pékin,… SASAC pour l’industrie et de Central Huijin pour le secteur financier (voir TOPIC de février 2007) - met des millions de licenciés sur le marché du travail (40 millions en quelques années), on compte sur les entreprises privées pour absorber les chômeurs. Mais cela marche de moins en moins bien. Alors qu’en 2000 ou 2001, un bon tiers des salariés licenciés des entreprises d’Etat (les Xiagang) retrouvaient un emploi, le taux dans les dernières années est tombé à moins de 10%. L’entreprise privée n’est donc pas la panacée à tous les problèmes de la .. et a besoin de Chine, mais elle a pris une place tellement dominante dans le paysage chinois sécuriser ses que l’on comprend pourquoi la garantie de la propriété privée est devenue une acquis. question aussi cruciale. Reste que pour nous, la notion même de propriété, sinon d’Etat de droit, n’obéit toujours pas à nos critères juridiques occidentaux. Nous allons donc devoir continuer à slalomer entre les bons vieux problèmes du droit en Chine : qui, des textes règlementaires ou du Mandarin (aujourd’hui le Cadre du Parti), a le dernier mot ? La règle écrite est-elle exécutoire en toute clarté ou au contraire subordonnée à la jungle des Neibu (instructions administratives paralégales non écrites) ? Chacun est-il égal devant la loi ? Les tribunaux sontils indépendants de l’exécutif ? L’exequatur est-il rapide et transparent ? Félicitations à qui peut répondre ! H.B. Extrait de la Loi sur les Droits de Propriété de la République Populaire de Chine Promulguée le 16 mars 2007 Date d’entrée en application : 1er octobre 2007 « Article 1. La Loi est formulée dans le but de maintenir le système économique national fondamental et l’ordre économique du marché socialiste [c’est-à-dire monopole du parti national], de clarifier la possession des biens, de donner son plein effet à la notion de propriété [au sens de « biens »], de protéger les droits de propriété des parties, en accord avec la Constitution. (…) Article 3. Durant la première étape du socialisme, l’Etat adhère au système économique de base, dans lequel la propriété publique joue un rôle prépondérant et dans lequel cohabitent diverses formes de propriété. (..) L’Etat met en application l’économie socialiste de marché, s’assurant de l’égalité des statuts légaux et du droit pour le développement de tous les agents du marché. Article 4. La propriété de l’Etat, collective, individuelle et des autres usagers est protégée par la loi et aucune institution ni aucun individu ne peut l’enfreindre. (…) » La montée des entrepreneurs privés et des étrangers part de la production industrielle chinoise 100% Etrangers (dont 35% 5 13 27 80% HK+TW) 67 26 60% 94 Entreprises 40 40% Privées «Collectif» 55 20% 13 «Coopératif» 6 Entreprises d’Etat 14 0% 1990 1997 2005