L`évolution de la relation médecin malade

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NEUROBIOLOGIE
L’évolution de la relation
médecin malade
Aujourd’hui, le patient n’est plus un spectateur passif des décisions prises
par les médecins : il s’informe et devient un acteur du système de soins.
Jérôme PALAZZOLO
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L
ongtemps, il a été admis que la maladie
mentale était incurable. Au Moyen Âge,
la folie était synonyme de punition divine :
les papes Innocent III, au début du
XIIe siècle et Jean XXII, à la fin du
XIIIe siècle, autorisèrent les tortures et l’immolation des sorcières habitées par le démon. Il faudra
attendre la Renaissance, aux XVe et XVIe siècles,
pour que ces pratiques soient dénoncées ; Jean
Wyer, médecin d'origine protestante, fit admettre
que les prétendues sorcières étaient en réalité des
malades. Pourtant, l'Ancien Régime embastilla
encore par lettre de cachet tout autant les insensés que les esprits trop critiques.
C'est au médecin aliéniste français Pinel (17451826) que l'on doit la réhabilitation du malade
mental, avec l'abolition des chaînes et le désir de
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respect des droits sacrés de l'humanité. Jean Étienne
Esquirol (1772-1840) met quant à lui en parallèle
les notions de lieu de vie et de lieu de soin. Pour
ce dernier, l’institution asilaire est « le meilleur
instrument de guérison entre les mains d'un médecin habile ». Ce courant de pensée a donné naissance aux mouvements féconds de la psychothérapie institutionnelle de l'après-guerre, mais
également à la théorie de l'isolement thérapeutique résumée par Jean-Baptiste-Maximien
Parchappe de Vinay (1800-1866), architecte de
l'asile esquirolien : « C'est ici l'asile d'aliénés ! C'est
à la voix de la médecine que ces pierres se sont
harmonieusement groupées en abris protecteurs
pour toutes variétés de la souffrance des aliénés ».
Simultanément, la relation entre le médecin et
le malade a hérité en France de l’apport du courant
1. Les relations
entre les malades et
leur médecin
changent, les patients
voulant de plus en plus
d’informations et
d’explications sur leur
maladie, le traitement et
l’évolution probable de
leur état de santé.
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humaniste et de celui des Lumières, ce qui a contribué au développement d’un fonctionnement où
le principe moral de bienfaisance est prioritaire.
Il faut attendre le XXe siècle pour que la loi définisse précisément cette relation : elle est fondée
sur le plan juridique, depuis un arrêt de la Cour
de cassation du 20 mai 1936, sur la notion de
contrat entre le médecin et son malade. Ainsi,
l’article 1-101 du Code civil définit le contrat
comme une « convention par laquelle une ou
plusieurs personnes s’obligent vers une ou plusieurs
autres à donner, à faire ou à ne pas faire quelque
chose ». Ainsi, le contrat apparaît comme une
convention qui engendre des obligations : la relation médecin-malade est un contrat civil, informel, verbal, tacite, résiliable, contrat de moyens
et non de résultats. En fait, bien que bilatéral et
créant des obligations réciproques, la non-exécution par le patient de ses obligations (par exemple,
ne pas suivre les prescriptions) n’autorise pas le
médecin à refuser de remplir les siennes. Comme
dans tout contrat, le libre consentement des deux
parties est nécessaire.
La relation médecin-malade a notablement
évolué au cours de ces dernières années. Elle est
actuellement au centre des préoccupations politiques et sociales. La révolution des techniques de
communication facilite l’accès à l’information
médicale. C’est sans doute ce passage du « patient
passif » au « consommateur de soins » qui bouleverse le plus la relation médecin-malade, dont il
existe plusieurs modèles : la relation paternaliste,
le modèle consumériste nord-américain, et le
nouveau modèle dit intermédiaire. Nous examinerons ici ces différentes relations et les évolutions auxquelles on peut s’attendre.
Le modèle paternaliste français
Le modèle français est généralement qualifié
de paternaliste. Il est caractérisé par une communication essentiellement unilatérale et asymétrique, allant du médecin vers le patient. L’information est « descendante », autoritaire, transmise
par une personne supposée savoir à une personne
demandeuse. Le médecin doit fournir au malade
l’information légalement requise sur les options
de traitement pour obtenir un consentement
éclairé. Ce modèle suppose que le médecin prenne
la meilleure décision pour le patient. Il n’y a pas
de délibération entre les deux intervenants, et le
praticien est le seul décideur.
La médecine française fonctionne sur ce mode,
particulièrement en psychiatrie où les patients
peuvent présenter des facultés altérées par leurs
troubles psychiques. Les médecins respectent les
principes de morale et de bienfaisance, qui protègent le patient affaibli et s’inscrivent dans une
tradition de solidarité.
Toutefois, cette médecine est parfois perçue
comme quelque peu infantilisante : la phrase
« Faites-moi confiance, je sais ce qui est bon pour
vous » a été adressée à des générations de malades…
Mais ce mode de relation évolue du fait de la pression du patient-consommateur de soins, des associations de familles et des usagers qui demandent
de plus en plus à participer au suivi et au déroulement du traitement.
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Le patient ne veut plus être traité en objet. C’est
le principe du libre arbitre qui devient prédominant
et sur lequel repose aujourd’hui la relation médecin-malade. La légitimité de la protection du sujet
affaibli fait place au principe du respect de l’autonomie des personnes et de la liberté individuelle.
L’évolution extrême d’une telle dynamique conduit
au modèle qui prévaut en Amérique du Nord.
Le modèle consumériste
de l’Amérique du Nord
Dans ce modèle, médecin et malade interagissent sur un pied d’égalité, la recherche du consentement et le respect absolu des libertés individuelles constituant le fondement de leur relation.
Le malade n’est plus un patient, mais un client.
C’est ainsi, par exemple, que l’hospitalisation sans
consentement ne peut être imposée que si le patient
est dangereux pour lui et pour autrui. La législation de certains États impose le recueil écrit du
consentement du sujet dans le cadre de l’administration éventuelle d’un traitement antipsychotique.
Dans un pays où les plaintes judiciaires et les
poursuites à l’encontre des médecins sont banalisées et fréquentes, la relation thérapeutique est
avant tout une relation de consommation. Le médecin est un prestataire de services, qui adopte plutôt
une position défensive face à un patient qui peut
se transformer en accusateur. Les médecins informent, mais en se protégeant au maximum et toujours
avec la crainte d’un éventuel procès. Quand un
médecin prescrit un traitement, il doit énoncer tous
les effets secondaires possibles, à court et moyen
termes. Pour les psychiatres américains, les dyskinésies tardives (des mouvements incontrôlables et
gênants) dues aux neuroleptiques classiques ont
causé de multiples actions en justice, alors même
qu’ils sont beaucoup moins prescrits qu’en Europe.
Ainsi, souvent, le médecin limite l’information
à l’énoncé du risque thérapeutique, tout ce qu’il
pourrait dire d’autre pourrait être retenu contre lui.
De plus, les psychiatres américains sont tenus d’informer leurs patients des diverses solutions alternatives possibles, et il est vivement conseillé d’énoncer le diagnostic en s’appuyant sur les critères du
Manuel diagnostique et statistique des troubles
mentaux, le DSM IV. Par ailleurs, les patients américains conservent un droit de propriété sur l’information contenue dans leur dossier ; ils peuvent y
avoir accès et en obtenir une photocopie.
En France, l'article L1111-7 du Code de la santé
publique pose le principe de l'accès au dossier médical, qui doit comprendre les informations « formalisées qui ont contribué à l'élaboration et au suivi
du diagnostic, du traitement ou d'une action de
prévention, ou ont fait l'objet d’échanges écrits
entre professionnels de santé ». Par ailleurs, l’information doit être standardisée, rendue la plus
objective possible, éviter toute connotation subjective du médecin (par exemple, éviter les commentaires sur l’état d’humeur du patient, par exemple
ne pas indiquer une suspicion d’état dépressif). Une
telle exigence tend à limiter le dossier aux seuls
éléments « professionnels ». Ainsi, seules les informations objectives et nécessaires à la prise en charge
du malade figurent dans le dossier médical.
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des patients : les patients désirent être informés.
Comme l’a récemment rappelé le président du
Conseil de l’Ordre des médecins, à la suite des États
généraux de la santé, les patients veulent être
mieux informés, participer davantage aux décisions et être respectés.
Le malade veut être informé aussi bien sur la
nature, la cause et la gravité de la maladie, que
sur les programmes thérapeutiques, les résultats
des tests diagnostiques, l’évolution de la maladie
et le pronostic. La quasi-totalité des études disponibles sur ce sujet concerne la cancérologie. Ainsi,
les résultats montrent que plus de 90 pour cent
des malades préfèrent que l’ensemble des données
concernant leur état – qu’elles soient bonnes ou
mauvaises – leur soit transmis. Toutes les études
réalisées sur le sujet montrent que les patients
préfèrent avoir autant d’informations détaillées
que possible sur leur maladie et leur traitement.
L’enquête réalisée au Centre hospitalier d’Orléans
montre que les sujets interrogés estiment « avoir
absolument besoin d’informations » (61 pour cent
pour la maladie et 67 pour cent pour le traitement),
et que 30 pour cent d’entre eux « préfèrent être
informés » sur la maladie et le traitement. Les proportions sont les mêmes en cas de maladie grave.
Par ailleurs, 76 pour cent des malades souhaitent que leur conjoint et leurs enfants aient accès
à la totalité des renseignements qui leur ont été
délivrés, tandis que 11 pour cent préfèrent que
seule une information partielle leur soit transmise.
Dans le cas d’une pathologie grave, 53 pour cent
des malades souhaitent que leurs proches disposent des mêmes données qu’eux, 30 pour cent
préfèrent être plus informés que leur famille, et
11 pour cent refusent que l’entourage soit informé.
Selon un sondage réalisé par la Fondation des
Hôpitaux de Paris, le défaut d’information concernant les soins dont les patients ont pu bénéficier
au cours de leur hospitalisation fait partie des
La relation paternaliste spécifiquement française change depuis une vingtaine d’années, sous
l’impulsion des évolutions sociales et déontologiques, ainsi que des obligations juridiques et
législatives d’information. Il s’agit d’une dynamique française, mais également européenne,
influencée par les pays d’Europe du Nord au sein
desquels prime la liberté de l’individu et de son
libre arbitre, alors que l’incapacité à être informé
et à donner un consentement est l’exception.
Un modèle intermédiaire entre la relation paternaliste et la relation consumériste américaine
correspond au modèle de la décision partagée. Il
ne s’agit plus d’une relation asymétrique de domination ou de pouvoir. Ce modèle est caractérisé
par un échange d’informations, un processus de
délibération et une décision partagée de traitement. Ainsi, le modèle est bilatéral : le médecin
apporte sa connaissance au patient, et celui-ci
informe le médecin de ses préférences. Puis au
cours d’une délibération, les deux parties discutent les différentes options de traitement, discussion caractérisée par l’interaction ; les deux parties
s’efforcent d’arriver à un accord. La décision de
traitement implique au moins deux décideurs, le
médecin et le patient. Le malade n’est plus un
patient passif : c’est un acteur du système de soins.
En 1999, Michel Bergot, du Centre hospitalier
régional d’Orléans, a réalisé une étude sur l’information médicale du sujet hospitalisé. Les
127 malades étudiés regroupaient des patients pris
en charge en cardiologie, en rhumatologie, en
oncologie médicale et radiothérapique, ainsi qu’en
chirurgie traumato-orthopédique. Cette étude a
montré que, pour 39 pour cent des personnes interrogées, le médecin doit prendre les décisions concernant le traitement à mettre en œuvre d’un commun
accord avec son patient, ou au moins en tenant
compte de l’avis de ce dernier (pour 34 pour cent
d’entre eux). Selon 22 pour cent des participants,
le médecin doit prendre seul les décisions, et 10 pour
cent considèrent que la décision finale leur appartient. Les médecins interrogés sous-estiment quant
à eux l’importance de l’attente des patients, puisque
selon eux, seulement 26 pour cent des malades
souhaiteraient une prise de décision en commun.
Dans le cas d’une pathologie grave, les patients
interrogés désirent participer activement aux choix
thérapeutiques : pour 56 pour cent d’entre eux la
décision doit être prise en commun avec le médecin, et pour 27 pour cent l’opinion du malade doit
au moins être prise en compte. Seize pour cent
estiment que la décision finale leur appartient.
Aucun ne laisse au médecin la liberté de prendre
seul la décision thérapeutique.
En ce qui concerne les effets de la participation
du patient à la décision médicale, plusieurs études
ont mis en évidence certains bénéfices pour le
malade : son anxiété diminue et il est satisfait
quand il peut communiquer avec le praticien. Un
partenariat efficace entre le médecin et le malade
améliore l’efficacité thérapeutique. Ce modèle de
la décision partagée semble répondre aux attentes
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Le nouveau modèle
de la relation médecin – malade
2. Les malades
peuvent demander
d’avoir accès à leur
dossier médical. Cela a
fait évoluer le contenu
des dossiers, les
médecins n’y consignant
plus que des données
biologiques objectives,
mais plus aucune
annotation subjective,
par exemple sur leur
perception de l’état
mental du patient, plutôt
dépressif ou anxieux.
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principaux sujets de mécontentement. La moitié
des sujets interrogés réclament une amélioration
de l’information et de la qualité de l’écoute.
Il est également important de signaler le rôle
croissant que jouent les associations d’usagers en
France. Des associations de malades et de familles
de malades atteints du SIDA ont été les premières
– aidées par une large médiatisation –, à la fin des
années 1980, à influencer les représentants politiques et sociaux, à déclencher un changement
dans la dynamique d’information du patient et à
souligner la place active que celui-ci peut tenir
dans le processus de soins.
Les associations d’usagers et de familles se sont
également développées en psychiatrie. Ainsi, la
FNAP-PSY (Fédération NAtionale des (ex) Patients de
L’hospitalisation sous contrainte :
Dans certaines circonstances, les patients psychiatriques ne sont pas
capables de donner leur avis sur une demande d’hospitalisation. Dans ces
cas-là, de nombreuses précautions sont mises en place pour éviter les abus.
Hospitalisation à la demande d’un tiers (HTD)
Le patient qui n'accepte pas son hospitalisation en psychiatrie sera hospitalisé sans son consentement dans le cas où, suivant l'article L.3212-1 du
code de la santé publique :
– son état impose des soins immédiats assortis d'une surveillance
constante en milieu hospitalier ;
– ses troubles rendent impossible son consentement à ses soins.
Les pièces indispensables pour une hospitalisation à la demande d’un tiers:
– Une demande d'admission rédigée par un tiers : cette dernière doit
être rédigée à la main, datée et signée par la personne qui fait la demande.
Cette personne ne doit pas faire partie du personnel soignant de l'établissement d'accueil. La demande doit obligatoirement comporter les nom,
prénom(s), profession, âge et domicile de l'auteur de la demande et de la
personne dont l'hospitalisation est demandée. Doivent aussi apparaître les
indications précises sur la nature des relations existant entre ces deux
personnes, par exemple les éventuels liens de parenté ou de voisinage.
– Deux certificats médicaux de moins de 15 jours sont nécessaires : les
deux médecins établissant ces certificats ne peuvent être parents ou alliés
au quatrième degré, ni entre eux, ni avec le directeur du centre de soins,
ni avec l'auteur de la demande de tiers, ni avec la personne hospitalisée.
Le premier certificat doit être établi par le médecin appelé par la famille
ou les proches du patient. Ce médecin ne doit pas exercer dans le centre
de soins où se fera l'hospitalisation. Le certificat doit constater l'état mental
de la personne à hospitaliser sans son consentement.
Le deuxième certificat peut être établi par un médecin exerçant dans
l'établissement d'accueil. Il doit confirmer le premier certificat.
L’hospitalisation d’office (HO) :
C'est un internement d'ordre administratif. L'hospitalisation est régie
par les articles L.3213-1 et suivants du Code de la santé publique. La pièce
essentielle est l'arrêté préfectoral. Cet arrêté préfectoral doit être motivé
et indiquer les circonstances qui l'ont rendu nécessaire. Cette motivation
se fonde sur :
– une enquête du maire ou des services de police notant les témoignages recueillis et les faits démontrant le trouble mental et le caractère
dangereux des actions ;
– un certificat médical constatant l'existence de troubles mentaux et
leur dangerosité. Ce certificat médical ne peut venir d’un psychiatre exerçant dans l'établissement de santé devant accueillir le patient.
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PSYchiatrie) regroupe d’anciens patients psychia-
triques désireux de faire bénéficier de leur expérience les personnes souffrant de troubles psychiques.
L’une des associations les plus actives à ce propos
est sans doute l’UNAFAM (Union NAtionale des
FAMilles et Amis de Malades mentaux). Son viceprésident a précisé les attentes des familles à propos
des données inhérentes à la maladie et aux médicaments en psychiatrie lors du 8e colloque de
l’ANHPP (Association nationale des hospitaliers
psychiatres et pharmaciens). Il a réclamé une information médicale précise, démystificatrice, à laquelle
pourraient avoir accès le patient mais également
les familles, qui auraient ainsi la possibilité de
mieux comprendre le sujet malade et de développer un rôle de partenariat avec les soignants.
Communiquer des informations,
mais lesquelles et quand ?
La fonction des associations d’usagers va plus
loin que le simple rôle consultatif, puisqu’elles ont
des représentants dans les Commissions départementales des hospitalisations en psychiatrie (CDHP)
– créées par la loi du 27 juin 1990 – qui examinent les contestations des patients séjournant librement ou sous contrainte en hôpital psychiatrique.
Ces Commissions ont été créées pour que soient
assurés le respect et la protection des droits des
individus, en dépit des limites imposées par la
maladie. Il s’agit d’une sorte de contre-pouvoir
des usagers face au système médical.
Les patients expriment un désir affirmé d’obtenir autant d’information que possible, mais... quelle
information ? Ce désir d’information ne se traduit
pas toujours par une recherche active de renseignements au moment de la rencontre avec le praticien. En 1990, une équipe a tenté d’identifier les
facteurs susceptibles d’influer sur la communication médecin-malade. Ces Américains ont établi
à partir d’un échantillon de sujets en rééducation,
que les patients cherchent à avoir beaucoup de
données médicales, mais pas nécessairement lors
des interactions avec le médecin. Ils soulignent
que la durée de l’interaction avec le médecin, le
diagnostic, la raison spécifique de la visite, ont un
impact important sur la teneur des informations
que le patient cherche à obtenir de la part du médecin et sur ces propres réactions face à une décision à prendre. Les malades ne participent de façon
active à l’échange que si l’interaction avec le médecin dure suffisamment longtemps (au moins une
vingtaine de minutes).
Ainsi, les patients déclarent qu’ils désirent être
informés, mais ils ne recherchent pas nécessairement l’information auprès des médecins. Ce paradoxe apparent vient peut-être du fait qu’ils se trouvent dans une position de vulnérabilité. Celle-ci
résulte notamment de la maladie dont ils souffrent, d’autant plus s’il s’agit d’une maladie psychiatrique qui altère leurs fonctions cognitives ou et
accroît leur détresse psychique. Cette vulnérabilité peut être majorée par l’attitude des médecins,
qui parfois sous-estiment le besoin d’information.
L’étude orléanaise montre que, dans le cas des
patients atteints de maladie mentale, les médecins
interrogés considèrent que seulement 26 pour cent
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des malades veulent être informés sur la pathologie dont ils souffrent, et 36 pour cent veulent que
le médecin explique le traitement (alors que lorsque
l’on interroge directement les patients, on trouve
respectivement 61 et 67 pour cent). En revanche,
cette étude montre que les médecins perçoivent
correctement les attentes des familles (respectivement 67 pour cent veulent savoir de quelle maladie il retourne et 16 pour cent être informés sur le
traitement). Il semble donc important de savoir que
le malade psychiatrique veut être informé, et de
l’aider à entrer en contact avec le soignant et à
formuler sa demande d’information.
C’est ce que proposent par exemple les techniques de réhabilitation psychosociale utilisées
pour les patients souffrant de psychose chronique.
Dans ce cadre, le personnel soignant les entraîne
à développer leurs habiletés sociales. En effet, de
tels patients perdent souvent ces capacités, par
exemple oser demander leur chemin, prendre le
métro, appuyer sur le bouton pour que le bus stoppe
au prochain arrêt. Dans ces modules d’entraînement aux habilités sociales, les patients réapprennent par petits groupes ces gestes du quotidien.
Puis ils abordent le partage de l’information entre
le soignant et eux, et les efforts consentis par le
patient dans cette dynamique sont valorisés.
La prise en charge
des patients psychiatriques
Les soignants doivent faire preuve de réelles
aptitudes pédagogiques et mettre en œuvre des
principes visant à faciliter l’acquisition de connaissances. En premier lieu, le principe du « cercle
bénéfique du succès » doit être entretenu sans
relâche. Quand le patient entreprend une action
qu’il réussit, il doit être encouragé. Dès lors, il
prend confiance, se sent plus compétent et sa motivation augmente. Et s’il entre dans ce cercle
vertueux, sa motivation augmentant, il devient
plus actif, réussit davantage, est encouragé, ce qui
accroît encore sa motivation, etc. Ce cercle du
succès représente le moyen essentiel pour restaurer durablement un sentiment de compétence et
d’aptitude, et l’inciter, via les résultats gratifiants
de ses actions (dont le niveau de difficulté est
augmenté petit à petit) à s’investir de nouveau
dans un processus dynamique. L’apprentissage se
fait par paliers successifs : les objectifs et les efforts
sont progressifs, les soignants encouragent régulièrement tous les progrès aussi minimes soient-ils.
Au fil de ces interactions, l’estime de soi du patient
est renforcée, et les réflexes d’auto-évaluation
positive et d’autovalorisation s’installent.
Par ailleurs, il convient que les patients
travaillent en groupe, pour favoriser l’émulation,
l’entraide et la mise en valeur du potentiel de
chacun des participants. Le groupe acquiert alors
collectivement un répertoire de connaissances et
de savoir-faire d’autant plus profitable que les
sujets se sentent valorisés par rapport aux autres
participants. Les soignants doivent interagir régulièrement avec les patients, les écouter, solliciter
de façon permanente leurs capacités cognitives,
et les échanges, tout en vérifiant que chacun
comprend ce qu’il apprend et le mémorise.
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Cette démarche implique l’équipe soignante dans
son ensemble, chacun de ses membres devant être
convaincu de son intérêt, en particulier le médecin
responsable de l’équipe, dont l’implication est indispensable. Si le médecin est l’inducteur, les infirmiers
en sont les catalyseurs, œuvrant au quotidien. Il
s’agit in fine que l’équipe soignante acquière une
même représentation de la maladie, développe des
aptitudes pédagogiques communes, partage un même
savoir-faire et évalue le bénéfice de ce type d’approche pour les patients ou leur famille.
Une nécessité aujourd’hui :
l’information
Ainsi, dans leur pratique médicale, les cliniciens
sont de plus en plus sensibilisés aux difficultés et
aux implications de l’évolution de la relation médecin-malade. Il est intéressant de souligner toute
la richesse de la relation thérapeutique qui s’instaure avec les patients qui connaissent leur diagnostic et s’impliquent dans leur traitement. Le malade
n’est pas un sujet passif, mais bien un interlocuteur qui doit avoir à sa disposition l’ensemble des
données qui lui sont nécessaires.
Légalement et déontologiquement, l’information
est une obligation ; elle doit être loyale, claire, appropriée, c’est-à-dire adaptée au patient et à ses capacités. Cette obligation est également faite aux hôpitaux, pour lesquels la qualité de l’information
délivrée aux malades fait partie des critères d’accréditation. L’évolution juridique reflète l’évolution
sociale. Force est de constater qu’un fossé se creuse
entre les souhaits de la société et les règles acceptées par le corps médical. Ainsi, les principes juridiques qui régissent l’activité médicale actuelle
imposent de nouvelles évolutions : le passage de la
contractualisation à l’obligation de résultats en
termes de qualité, de sécurité et de gestion des
risques ; le passage du règne du paternalisme
– marqué par une logique d’assistance aux patients
et un consentement implicite – à une relation médecin-malade définie par un partenariat et un consentement explicite ; le passage de la faute au risque
dans la gestion de l’aléa thérapeutique ; le passage
de la culpabilité à la responsabilité. Il n’est plus
nécessaire qu’il y ait eu une faute professionnelle
pour que le patient ayant subi un préjudice prétende
à l’indemnisation du préjudice subi.
Aujourd’hui la loi renforce la position de l’individu en majorant l’importance de l’information
et du consentement : d’un statut de patient objet
des soins, on passe à un statut d’individu aux
droits et aux libertés affirmés. Dans le cadre de
ce nouveau partenariat, il y a bien la volonté d’un
nouvel équilibre des pouvoirs et des savoirs entre
médecins et malades. En définitive, nous pourrions dire que l’information est l’indispensable
fondement du consentement qui constitue la relation médecin-malade. Pour le patient psychiatrique, le consentement suppose deux conditions :
il doit être apte à comprendre ce qui lui est
annoncé, et être autonome dans sa volonté et ses
décisions. Cette situation est particulièrement difficile puisque, dans ce cas particulier, le psychisme
est à la fois l’objet du soin et le support du consentement au soin.
◆
Bibliographie
A. CHERRIER
et J. PALAZZOLO,
Schizophrénie : l’annonce
du diagnostic, In Press,
Paris, 2006.
J. PALAZZOLO, Aidez vos
proches à surmonter la
dépression, Hachette
Pratique, Paris, 2006.
J. PALAZZOLO, Informer
le patient en psychiatrie Rôle de chaque
intervenant : entre
légitimité et obligation,
Masson, Coll. Médecine
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M. BERGOT, L’information
médicale du malade
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Hospitalières, pp. 214-220,
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du 29 juillet 1994 (J. O.
du 30 juillet 1994)
A. E. BEISECKER et
T. D. BEISECKER, Patient
information seeking
behaviors when
communicating with
doctors, in Medical Care
vol. 28, pp. 19-28, 1990.
Jérôme PALAZZOLO
est psychiatre libéral à Nice,
professeur de socioanthropologie de la santé à
l’Université internationale
Senghor d’Alexandrie et
chargé de cours à
l’Université de Nice-Sophia
Antipolis.
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