NEUROBIOLOGIE L’évolution de la relation médecin malade Aujourd’hui, le patient n’est plus un spectateur passif des décisions prises par les médecins : il s’informe et devient un acteur du système de soins. Jérôme PALAZZOLO 70 © Cerveau & Psycho - N° 18 Marcin Blacerzach / Shutterstock L ongtemps, il a été admis que la maladie mentale était incurable. Au Moyen Âge, la folie était synonyme de punition divine : les papes Innocent III, au début du XIIe siècle et Jean XXII, à la fin du XIIIe siècle, autorisèrent les tortures et l’immolation des sorcières habitées par le démon. Il faudra attendre la Renaissance, aux XVe et XVIe siècles, pour que ces pratiques soient dénoncées ; Jean Wyer, médecin d'origine protestante, fit admettre que les prétendues sorcières étaient en réalité des malades. Pourtant, l'Ancien Régime embastilla encore par lettre de cachet tout autant les insensés que les esprits trop critiques. C'est au médecin aliéniste français Pinel (17451826) que l'on doit la réhabilitation du malade mental, avec l'abolition des chaînes et le désir de © Cerveau & Psycho - N° 18 respect des droits sacrés de l'humanité. Jean Étienne Esquirol (1772-1840) met quant à lui en parallèle les notions de lieu de vie et de lieu de soin. Pour ce dernier, l’institution asilaire est « le meilleur instrument de guérison entre les mains d'un médecin habile ». Ce courant de pensée a donné naissance aux mouvements féconds de la psychothérapie institutionnelle de l'après-guerre, mais également à la théorie de l'isolement thérapeutique résumée par Jean-Baptiste-Maximien Parchappe de Vinay (1800-1866), architecte de l'asile esquirolien : « C'est ici l'asile d'aliénés ! C'est à la voix de la médecine que ces pierres se sont harmonieusement groupées en abris protecteurs pour toutes variétés de la souffrance des aliénés ». Simultanément, la relation entre le médecin et le malade a hérité en France de l’apport du courant 1. Les relations entre les malades et leur médecin changent, les patients voulant de plus en plus d’informations et d’explications sur leur maladie, le traitement et l’évolution probable de leur état de santé. 71 humaniste et de celui des Lumières, ce qui a contribué au développement d’un fonctionnement où le principe moral de bienfaisance est prioritaire. Il faut attendre le XXe siècle pour que la loi définisse précisément cette relation : elle est fondée sur le plan juridique, depuis un arrêt de la Cour de cassation du 20 mai 1936, sur la notion de contrat entre le médecin et son malade. Ainsi, l’article 1-101 du Code civil définit le contrat comme une « convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent vers une ou plusieurs autres à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose ». Ainsi, le contrat apparaît comme une convention qui engendre des obligations : la relation médecin-malade est un contrat civil, informel, verbal, tacite, résiliable, contrat de moyens et non de résultats. En fait, bien que bilatéral et créant des obligations réciproques, la non-exécution par le patient de ses obligations (par exemple, ne pas suivre les prescriptions) n’autorise pas le médecin à refuser de remplir les siennes. Comme dans tout contrat, le libre consentement des deux parties est nécessaire. La relation médecin-malade a notablement évolué au cours de ces dernières années. Elle est actuellement au centre des préoccupations politiques et sociales. La révolution des techniques de communication facilite l’accès à l’information médicale. C’est sans doute ce passage du « patient passif » au « consommateur de soins » qui bouleverse le plus la relation médecin-malade, dont il existe plusieurs modèles : la relation paternaliste, le modèle consumériste nord-américain, et le nouveau modèle dit intermédiaire. Nous examinerons ici ces différentes relations et les évolutions auxquelles on peut s’attendre. Le modèle paternaliste français Le modèle français est généralement qualifié de paternaliste. Il est caractérisé par une communication essentiellement unilatérale et asymétrique, allant du médecin vers le patient. L’information est « descendante », autoritaire, transmise par une personne supposée savoir à une personne demandeuse. Le médecin doit fournir au malade l’information légalement requise sur les options de traitement pour obtenir un consentement éclairé. Ce modèle suppose que le médecin prenne la meilleure décision pour le patient. Il n’y a pas de délibération entre les deux intervenants, et le praticien est le seul décideur. La médecine française fonctionne sur ce mode, particulièrement en psychiatrie où les patients peuvent présenter des facultés altérées par leurs troubles psychiques. Les médecins respectent les principes de morale et de bienfaisance, qui protègent le patient affaibli et s’inscrivent dans une tradition de solidarité. Toutefois, cette médecine est parfois perçue comme quelque peu infantilisante : la phrase « Faites-moi confiance, je sais ce qui est bon pour vous » a été adressée à des générations de malades… Mais ce mode de relation évolue du fait de la pression du patient-consommateur de soins, des associations de familles et des usagers qui demandent de plus en plus à participer au suivi et au déroulement du traitement. 72 Le patient ne veut plus être traité en objet. C’est le principe du libre arbitre qui devient prédominant et sur lequel repose aujourd’hui la relation médecin-malade. La légitimité de la protection du sujet affaibli fait place au principe du respect de l’autonomie des personnes et de la liberté individuelle. L’évolution extrême d’une telle dynamique conduit au modèle qui prévaut en Amérique du Nord. Le modèle consumériste de l’Amérique du Nord Dans ce modèle, médecin et malade interagissent sur un pied d’égalité, la recherche du consentement et le respect absolu des libertés individuelles constituant le fondement de leur relation. Le malade n’est plus un patient, mais un client. C’est ainsi, par exemple, que l’hospitalisation sans consentement ne peut être imposée que si le patient est dangereux pour lui et pour autrui. La législation de certains États impose le recueil écrit du consentement du sujet dans le cadre de l’administration éventuelle d’un traitement antipsychotique. Dans un pays où les plaintes judiciaires et les poursuites à l’encontre des médecins sont banalisées et fréquentes, la relation thérapeutique est avant tout une relation de consommation. Le médecin est un prestataire de services, qui adopte plutôt une position défensive face à un patient qui peut se transformer en accusateur. Les médecins informent, mais en se protégeant au maximum et toujours avec la crainte d’un éventuel procès. Quand un médecin prescrit un traitement, il doit énoncer tous les effets secondaires possibles, à court et moyen termes. Pour les psychiatres américains, les dyskinésies tardives (des mouvements incontrôlables et gênants) dues aux neuroleptiques classiques ont causé de multiples actions en justice, alors même qu’ils sont beaucoup moins prescrits qu’en Europe. Ainsi, souvent, le médecin limite l’information à l’énoncé du risque thérapeutique, tout ce qu’il pourrait dire d’autre pourrait être retenu contre lui. De plus, les psychiatres américains sont tenus d’informer leurs patients des diverses solutions alternatives possibles, et il est vivement conseillé d’énoncer le diagnostic en s’appuyant sur les critères du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, le DSM IV. Par ailleurs, les patients américains conservent un droit de propriété sur l’information contenue dans leur dossier ; ils peuvent y avoir accès et en obtenir une photocopie. En France, l'article L1111-7 du Code de la santé publique pose le principe de l'accès au dossier médical, qui doit comprendre les informations « formalisées qui ont contribué à l'élaboration et au suivi du diagnostic, du traitement ou d'une action de prévention, ou ont fait l'objet d’échanges écrits entre professionnels de santé ». Par ailleurs, l’information doit être standardisée, rendue la plus objective possible, éviter toute connotation subjective du médecin (par exemple, éviter les commentaires sur l’état d’humeur du patient, par exemple ne pas indiquer une suspicion d’état dépressif). Une telle exigence tend à limiter le dossier aux seuls éléments « professionnels ». Ainsi, seules les informations objectives et nécessaires à la prise en charge du malade figurent dans le dossier médical. © Cerveau & Psycho - N° 18 des patients : les patients désirent être informés. Comme l’a récemment rappelé le président du Conseil de l’Ordre des médecins, à la suite des États généraux de la santé, les patients veulent être mieux informés, participer davantage aux décisions et être respectés. Le malade veut être informé aussi bien sur la nature, la cause et la gravité de la maladie, que sur les programmes thérapeutiques, les résultats des tests diagnostiques, l’évolution de la maladie et le pronostic. La quasi-totalité des études disponibles sur ce sujet concerne la cancérologie. Ainsi, les résultats montrent que plus de 90 pour cent des malades préfèrent que l’ensemble des données concernant leur état – qu’elles soient bonnes ou mauvaises – leur soit transmis. Toutes les études réalisées sur le sujet montrent que les patients préfèrent avoir autant d’informations détaillées que possible sur leur maladie et leur traitement. L’enquête réalisée au Centre hospitalier d’Orléans montre que les sujets interrogés estiment « avoir absolument besoin d’informations » (61 pour cent pour la maladie et 67 pour cent pour le traitement), et que 30 pour cent d’entre eux « préfèrent être informés » sur la maladie et le traitement. Les proportions sont les mêmes en cas de maladie grave. Par ailleurs, 76 pour cent des malades souhaitent que leur conjoint et leurs enfants aient accès à la totalité des renseignements qui leur ont été délivrés, tandis que 11 pour cent préfèrent que seule une information partielle leur soit transmise. Dans le cas d’une pathologie grave, 53 pour cent des malades souhaitent que leurs proches disposent des mêmes données qu’eux, 30 pour cent préfèrent être plus informés que leur famille, et 11 pour cent refusent que l’entourage soit informé. Selon un sondage réalisé par la Fondation des Hôpitaux de Paris, le défaut d’information concernant les soins dont les patients ont pu bénéficier au cours de leur hospitalisation fait partie des La relation paternaliste spécifiquement française change depuis une vingtaine d’années, sous l’impulsion des évolutions sociales et déontologiques, ainsi que des obligations juridiques et législatives d’information. Il s’agit d’une dynamique française, mais également européenne, influencée par les pays d’Europe du Nord au sein desquels prime la liberté de l’individu et de son libre arbitre, alors que l’incapacité à être informé et à donner un consentement est l’exception. Un modèle intermédiaire entre la relation paternaliste et la relation consumériste américaine correspond au modèle de la décision partagée. Il ne s’agit plus d’une relation asymétrique de domination ou de pouvoir. Ce modèle est caractérisé par un échange d’informations, un processus de délibération et une décision partagée de traitement. Ainsi, le modèle est bilatéral : le médecin apporte sa connaissance au patient, et celui-ci informe le médecin de ses préférences. Puis au cours d’une délibération, les deux parties discutent les différentes options de traitement, discussion caractérisée par l’interaction ; les deux parties s’efforcent d’arriver à un accord. La décision de traitement implique au moins deux décideurs, le médecin et le patient. Le malade n’est plus un patient passif : c’est un acteur du système de soins. En 1999, Michel Bergot, du Centre hospitalier régional d’Orléans, a réalisé une étude sur l’information médicale du sujet hospitalisé. Les 127 malades étudiés regroupaient des patients pris en charge en cardiologie, en rhumatologie, en oncologie médicale et radiothérapique, ainsi qu’en chirurgie traumato-orthopédique. Cette étude a montré que, pour 39 pour cent des personnes interrogées, le médecin doit prendre les décisions concernant le traitement à mettre en œuvre d’un commun accord avec son patient, ou au moins en tenant compte de l’avis de ce dernier (pour 34 pour cent d’entre eux). Selon 22 pour cent des participants, le médecin doit prendre seul les décisions, et 10 pour cent considèrent que la décision finale leur appartient. Les médecins interrogés sous-estiment quant à eux l’importance de l’attente des patients, puisque selon eux, seulement 26 pour cent des malades souhaiteraient une prise de décision en commun. Dans le cas d’une pathologie grave, les patients interrogés désirent participer activement aux choix thérapeutiques : pour 56 pour cent d’entre eux la décision doit être prise en commun avec le médecin, et pour 27 pour cent l’opinion du malade doit au moins être prise en compte. Seize pour cent estiment que la décision finale leur appartient. Aucun ne laisse au médecin la liberté de prendre seul la décision thérapeutique. En ce qui concerne les effets de la participation du patient à la décision médicale, plusieurs études ont mis en évidence certains bénéfices pour le malade : son anxiété diminue et il est satisfait quand il peut communiquer avec le praticien. Un partenariat efficace entre le médecin et le malade améliore l’efficacité thérapeutique. Ce modèle de la décision partagée semble répondre aux attentes © Cerveau & Psycho - N° 18 Elena Elisseeva / Shutterstock Le nouveau modèle de la relation médecin – malade 2. Les malades peuvent demander d’avoir accès à leur dossier médical. Cela a fait évoluer le contenu des dossiers, les médecins n’y consignant plus que des données biologiques objectives, mais plus aucune annotation subjective, par exemple sur leur perception de l’état mental du patient, plutôt dépressif ou anxieux. 73 principaux sujets de mécontentement. La moitié des sujets interrogés réclament une amélioration de l’information et de la qualité de l’écoute. Il est également important de signaler le rôle croissant que jouent les associations d’usagers en France. Des associations de malades et de familles de malades atteints du SIDA ont été les premières – aidées par une large médiatisation –, à la fin des années 1980, à influencer les représentants politiques et sociaux, à déclencher un changement dans la dynamique d’information du patient et à souligner la place active que celui-ci peut tenir dans le processus de soins. Les associations d’usagers et de familles se sont également développées en psychiatrie. Ainsi, la FNAP-PSY (Fédération NAtionale des (ex) Patients de L’hospitalisation sous contrainte : Dans certaines circonstances, les patients psychiatriques ne sont pas capables de donner leur avis sur une demande d’hospitalisation. Dans ces cas-là, de nombreuses précautions sont mises en place pour éviter les abus. Hospitalisation à la demande d’un tiers (HTD) Le patient qui n'accepte pas son hospitalisation en psychiatrie sera hospitalisé sans son consentement dans le cas où, suivant l'article L.3212-1 du code de la santé publique : – son état impose des soins immédiats assortis d'une surveillance constante en milieu hospitalier ; – ses troubles rendent impossible son consentement à ses soins. Les pièces indispensables pour une hospitalisation à la demande d’un tiers: – Une demande d'admission rédigée par un tiers : cette dernière doit être rédigée à la main, datée et signée par la personne qui fait la demande. Cette personne ne doit pas faire partie du personnel soignant de l'établissement d'accueil. La demande doit obligatoirement comporter les nom, prénom(s), profession, âge et domicile de l'auteur de la demande et de la personne dont l'hospitalisation est demandée. Doivent aussi apparaître les indications précises sur la nature des relations existant entre ces deux personnes, par exemple les éventuels liens de parenté ou de voisinage. – Deux certificats médicaux de moins de 15 jours sont nécessaires : les deux médecins établissant ces certificats ne peuvent être parents ou alliés au quatrième degré, ni entre eux, ni avec le directeur du centre de soins, ni avec l'auteur de la demande de tiers, ni avec la personne hospitalisée. Le premier certificat doit être établi par le médecin appelé par la famille ou les proches du patient. Ce médecin ne doit pas exercer dans le centre de soins où se fera l'hospitalisation. Le certificat doit constater l'état mental de la personne à hospitaliser sans son consentement. Le deuxième certificat peut être établi par un médecin exerçant dans l'établissement d'accueil. Il doit confirmer le premier certificat. L’hospitalisation d’office (HO) : C'est un internement d'ordre administratif. L'hospitalisation est régie par les articles L.3213-1 et suivants du Code de la santé publique. La pièce essentielle est l'arrêté préfectoral. Cet arrêté préfectoral doit être motivé et indiquer les circonstances qui l'ont rendu nécessaire. Cette motivation se fonde sur : – une enquête du maire ou des services de police notant les témoignages recueillis et les faits démontrant le trouble mental et le caractère dangereux des actions ; – un certificat médical constatant l'existence de troubles mentaux et leur dangerosité. Ce certificat médical ne peut venir d’un psychiatre exerçant dans l'établissement de santé devant accueillir le patient. 74 PSYchiatrie) regroupe d’anciens patients psychia- triques désireux de faire bénéficier de leur expérience les personnes souffrant de troubles psychiques. L’une des associations les plus actives à ce propos est sans doute l’UNAFAM (Union NAtionale des FAMilles et Amis de Malades mentaux). Son viceprésident a précisé les attentes des familles à propos des données inhérentes à la maladie et aux médicaments en psychiatrie lors du 8e colloque de l’ANHPP (Association nationale des hospitaliers psychiatres et pharmaciens). Il a réclamé une information médicale précise, démystificatrice, à laquelle pourraient avoir accès le patient mais également les familles, qui auraient ainsi la possibilité de mieux comprendre le sujet malade et de développer un rôle de partenariat avec les soignants. Communiquer des informations, mais lesquelles et quand ? La fonction des associations d’usagers va plus loin que le simple rôle consultatif, puisqu’elles ont des représentants dans les Commissions départementales des hospitalisations en psychiatrie (CDHP) – créées par la loi du 27 juin 1990 – qui examinent les contestations des patients séjournant librement ou sous contrainte en hôpital psychiatrique. Ces Commissions ont été créées pour que soient assurés le respect et la protection des droits des individus, en dépit des limites imposées par la maladie. Il s’agit d’une sorte de contre-pouvoir des usagers face au système médical. Les patients expriment un désir affirmé d’obtenir autant d’information que possible, mais... quelle information ? Ce désir d’information ne se traduit pas toujours par une recherche active de renseignements au moment de la rencontre avec le praticien. En 1990, une équipe a tenté d’identifier les facteurs susceptibles d’influer sur la communication médecin-malade. Ces Américains ont établi à partir d’un échantillon de sujets en rééducation, que les patients cherchent à avoir beaucoup de données médicales, mais pas nécessairement lors des interactions avec le médecin. Ils soulignent que la durée de l’interaction avec le médecin, le diagnostic, la raison spécifique de la visite, ont un impact important sur la teneur des informations que le patient cherche à obtenir de la part du médecin et sur ces propres réactions face à une décision à prendre. Les malades ne participent de façon active à l’échange que si l’interaction avec le médecin dure suffisamment longtemps (au moins une vingtaine de minutes). Ainsi, les patients déclarent qu’ils désirent être informés, mais ils ne recherchent pas nécessairement l’information auprès des médecins. Ce paradoxe apparent vient peut-être du fait qu’ils se trouvent dans une position de vulnérabilité. Celle-ci résulte notamment de la maladie dont ils souffrent, d’autant plus s’il s’agit d’une maladie psychiatrique qui altère leurs fonctions cognitives ou et accroît leur détresse psychique. Cette vulnérabilité peut être majorée par l’attitude des médecins, qui parfois sous-estiment le besoin d’information. L’étude orléanaise montre que, dans le cas des patients atteints de maladie mentale, les médecins interrogés considèrent que seulement 26 pour cent © Cerveau & Psycho - N° 18 des malades veulent être informés sur la pathologie dont ils souffrent, et 36 pour cent veulent que le médecin explique le traitement (alors que lorsque l’on interroge directement les patients, on trouve respectivement 61 et 67 pour cent). En revanche, cette étude montre que les médecins perçoivent correctement les attentes des familles (respectivement 67 pour cent veulent savoir de quelle maladie il retourne et 16 pour cent être informés sur le traitement). Il semble donc important de savoir que le malade psychiatrique veut être informé, et de l’aider à entrer en contact avec le soignant et à formuler sa demande d’information. C’est ce que proposent par exemple les techniques de réhabilitation psychosociale utilisées pour les patients souffrant de psychose chronique. Dans ce cadre, le personnel soignant les entraîne à développer leurs habiletés sociales. En effet, de tels patients perdent souvent ces capacités, par exemple oser demander leur chemin, prendre le métro, appuyer sur le bouton pour que le bus stoppe au prochain arrêt. Dans ces modules d’entraînement aux habilités sociales, les patients réapprennent par petits groupes ces gestes du quotidien. Puis ils abordent le partage de l’information entre le soignant et eux, et les efforts consentis par le patient dans cette dynamique sont valorisés. La prise en charge des patients psychiatriques Les soignants doivent faire preuve de réelles aptitudes pédagogiques et mettre en œuvre des principes visant à faciliter l’acquisition de connaissances. En premier lieu, le principe du « cercle bénéfique du succès » doit être entretenu sans relâche. Quand le patient entreprend une action qu’il réussit, il doit être encouragé. Dès lors, il prend confiance, se sent plus compétent et sa motivation augmente. Et s’il entre dans ce cercle vertueux, sa motivation augmentant, il devient plus actif, réussit davantage, est encouragé, ce qui accroît encore sa motivation, etc. Ce cercle du succès représente le moyen essentiel pour restaurer durablement un sentiment de compétence et d’aptitude, et l’inciter, via les résultats gratifiants de ses actions (dont le niveau de difficulté est augmenté petit à petit) à s’investir de nouveau dans un processus dynamique. L’apprentissage se fait par paliers successifs : les objectifs et les efforts sont progressifs, les soignants encouragent régulièrement tous les progrès aussi minimes soient-ils. Au fil de ces interactions, l’estime de soi du patient est renforcée, et les réflexes d’auto-évaluation positive et d’autovalorisation s’installent. Par ailleurs, il convient que les patients travaillent en groupe, pour favoriser l’émulation, l’entraide et la mise en valeur du potentiel de chacun des participants. Le groupe acquiert alors collectivement un répertoire de connaissances et de savoir-faire d’autant plus profitable que les sujets se sentent valorisés par rapport aux autres participants. Les soignants doivent interagir régulièrement avec les patients, les écouter, solliciter de façon permanente leurs capacités cognitives, et les échanges, tout en vérifiant que chacun comprend ce qu’il apprend et le mémorise. © Cerveau & Psycho - N° 18 Cette démarche implique l’équipe soignante dans son ensemble, chacun de ses membres devant être convaincu de son intérêt, en particulier le médecin responsable de l’équipe, dont l’implication est indispensable. Si le médecin est l’inducteur, les infirmiers en sont les catalyseurs, œuvrant au quotidien. Il s’agit in fine que l’équipe soignante acquière une même représentation de la maladie, développe des aptitudes pédagogiques communes, partage un même savoir-faire et évalue le bénéfice de ce type d’approche pour les patients ou leur famille. Une nécessité aujourd’hui : l’information Ainsi, dans leur pratique médicale, les cliniciens sont de plus en plus sensibilisés aux difficultés et aux implications de l’évolution de la relation médecin-malade. Il est intéressant de souligner toute la richesse de la relation thérapeutique qui s’instaure avec les patients qui connaissent leur diagnostic et s’impliquent dans leur traitement. Le malade n’est pas un sujet passif, mais bien un interlocuteur qui doit avoir à sa disposition l’ensemble des données qui lui sont nécessaires. Légalement et déontologiquement, l’information est une obligation ; elle doit être loyale, claire, appropriée, c’est-à-dire adaptée au patient et à ses capacités. Cette obligation est également faite aux hôpitaux, pour lesquels la qualité de l’information délivrée aux malades fait partie des critères d’accréditation. L’évolution juridique reflète l’évolution sociale. Force est de constater qu’un fossé se creuse entre les souhaits de la société et les règles acceptées par le corps médical. Ainsi, les principes juridiques qui régissent l’activité médicale actuelle imposent de nouvelles évolutions : le passage de la contractualisation à l’obligation de résultats en termes de qualité, de sécurité et de gestion des risques ; le passage du règne du paternalisme – marqué par une logique d’assistance aux patients et un consentement implicite – à une relation médecin-malade définie par un partenariat et un consentement explicite ; le passage de la faute au risque dans la gestion de l’aléa thérapeutique ; le passage de la culpabilité à la responsabilité. Il n’est plus nécessaire qu’il y ait eu une faute professionnelle pour que le patient ayant subi un préjudice prétende à l’indemnisation du préjudice subi. Aujourd’hui la loi renforce la position de l’individu en majorant l’importance de l’information et du consentement : d’un statut de patient objet des soins, on passe à un statut d’individu aux droits et aux libertés affirmés. Dans le cadre de ce nouveau partenariat, il y a bien la volonté d’un nouvel équilibre des pouvoirs et des savoirs entre médecins et malades. En définitive, nous pourrions dire que l’information est l’indispensable fondement du consentement qui constitue la relation médecin-malade. Pour le patient psychiatrique, le consentement suppose deux conditions : il doit être apte à comprendre ce qui lui est annoncé, et être autonome dans sa volonté et ses décisions. Cette situation est particulièrement difficile puisque, dans ce cas particulier, le psychisme est à la fois l’objet du soin et le support du consentement au soin. ◆ Bibliographie A. CHERRIER et J. PALAZZOLO, Schizophrénie : l’annonce du diagnostic, In Press, Paris, 2006. J. PALAZZOLO, Aidez vos proches à surmonter la dépression, Hachette Pratique, Paris, 2006. J. PALAZZOLO, Informer le patient en psychiatrie Rôle de chaque intervenant : entre légitimité et obligation, Masson, Coll. Médecine et Psychothérapie, 2003. M. BERGOT, L’information médicale du malade hospitalisé, in Gestions Hospitalières, pp. 214-220, 2000. Code civil , art.16-3, issu de la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 (J. O. du 30 juillet 1994) A. E. BEISECKER et T. D. BEISECKER, Patient information seeking behaviors when communicating with doctors, in Medical Care vol. 28, pp. 19-28, 1990. Jérôme PALAZZOLO est psychiatre libéral à Nice, professeur de socioanthropologie de la santé à l’Université internationale Senghor d’Alexandrie et chargé de cours à l’Université de Nice-Sophia Antipolis. 75