UN REGARD SOCIOLOGIQUE SUR LE CONCEPT DE VIOLENCE Comme le dit Jean-Claude Chesnais dans son ouvrage « Histoire de la violence », « la violence n'est pas une, mais multiple. Mouvante, souvent insaisissable, toujours changeante, elle désigne - suivant les lieux, les époques, les circonstances, voire les milieux - des réalités très différentes ». Et il ajoute : « vouloir l'enfermer dans une définition fixe, simple, c'est s'exposer à la réduire et à mal comprendre l'évolution de sa spécificité historique ». Lorsqu’on se penche sur les approches les plus courantes de la violence, on peut mettre en évidence au moins trois types de violence très distinctement caractérisés d'après leur champ d'application. Il s'agit de : - la violence physique - la violence économique - la violence morale ou symbolique La violence ne peut être considérée uniquement en tant qu'agression physique. Deux aspects qui la composent sont en effet importants à retenir : - un élément de force physique identifiable par ses effets; - un élément plus immatériel représenté par la transgression d'un ordre normatif. Comme atteinte physique, la violence est aisément identifiable. Comme violation de normes, tout acte de transgression pourrait être qualifié de violence. C'est surtout à ce second aspect que va s'intéresser l'approche sociologique. L'idée de violence, parce qu'elle est étroitement liée à celle de transgression des règles, est chargée des valeurs positives ou négatives attachées à cette transgression. A certains moments, l'idée de violence apparaît comme libératrice. Elle représente la rupture avec une société condamnée (révolution). A d'autres moments, toute rupture de l'ordre est assimilée à une violence menaçant l'ordre social dans son ensemble (contre-révolution, inquisition). La violence est définie et appréhendée en fonction des valeurs qui constituent les fondements de l'ordre sacré du groupe social de référence. Il s'agit pour une grande part de critères subjectifs. Ceci conduit à admettre qu'il n'y a pas de discours ni de savoir universel sur la violence et que chaque société la traite avec ses propres critères et résout avec plus ou moins d'efficacité les problèmes qu'elle pose. Des études microsociologiques ont été consacrées à l'analyse des comportements de certains groupes déterminés visà-vis de la violence. Ces études mettent en évidence que la violence est beaucoup plus répandue et considérée comme beaucoup plus normale qu'on aurait tendance à le croire. Elles montrent, par ailleurs, que la réalité quotidienne de la violence diffère sensiblement des représentations que nous nous en faisons et des discours idéologiques et mythiques que nous tenons sur elle. © Centre d’Education à la Famille et à l’Amour (CEFA asbl) 2004 Ainsi : - les études sur les prisons montrent l'existence d'une violence quotidienne dans le milieu carcéral; - les recherches sur les enfants martyrs et les femmes battues ont mis en évidence l'énorme violence qui circule à l'intérieur de la cellule familiale; - la jeunesse des banlieues exprime ses frustrations par des actes violents (agressions, vandalisme, délinquance); - la musique devient souvent une expression de la violence et les sonorités par lesquelles elle s'exprime traduisent un degré important d'agressivité; - le sport devient un terrain de lutte et le hooliganisme transforme la compétition « fair-play » en champ de bataille; - les médias (télévision, cinéma, presse) diffusent un nombre croissant d'événements violents. L'ensemble des facettes qui composent la problématique est tel que la sociologie elle-même, dans son approche, aborde le phénomène sous des angles différents. Autant d'angles qui correspondent à des écoles et des traditions particulières. Avant d'aborder celles-ci, il convient de se pencher sur quelques définitions sociologiques de la violence, afin de se rendre compte de la diversité des points de vue. Quelques définitions à caractère sociologique - « La violence au sens strict, à savoir la seule violence mesurable et incontestable, est la violence physique. C'est l'atteinte corporelle directe aux personnes ». J-C Chesnais. - « La violence est une action directe ou indirecte, destinée à limiter, blesser ou détruire les personnes ou les biens ». H.L. Nieburg. - « La violence est définie au sens étroit comme comportement visant à causer des blessures aux personnes ou des dommages aux biens. Collectivement ou individuellement, nous pouvons considérer tels actes de violences comme bons, mauvais ou ni l'un ni l'autre selon qui commence contre qui ». H.D. Graham et T.R. Gurr. On remarque aisément que ces trois définitions sont loin d'être exhaustives. Elles tracent cependant une évolution : la première restreint la violence à l'agression physique; la seconde introduit la notion de « biens » qui va au-delà de l'intégrité physique; la troisième avance le jugement moral attenant à l'acte de violence. On retrouve bien là les trois premières différenciations de la violence dont nous avons fait état précédemment à savoir physique, matérielle et morale. Il faut donc élargir la définition de la violence et prendre en considération divers éléments énumérés ci-après : - un caractère complexe faisant souvent intervenir de multiples facteurs (ex : une personne violente a souvent elle-même été autrefois victime de faits de violence); © Centre d’Education à la Famille et à l’Amour (CEFA asbl) 2004 - les modalités, les formes de violence et leurs effets selon les instruments utilisés (ex : ce n'est pas la même chose que de tuer, blesser, exécuter, signer un ordre d'exécution, injurier); - les modes de distribution temporelle de la violence (ex : elle peut être exprimée d'un coup, progressivement, graduellement, insensiblement par petites doses); - les différentes sortes d'atteintes qui peuvent être infligées (ex : physiques, psychologiques, morales, matérielles). Quelles sont les approches sociologiques utilisées pour étudier la violence ? L’approche de type empirique Par approche empirique on va entendre en sociologie celle qui part d’observations de terrain, souvent quantifiables qui permettent d’apprécier le poids (l’influence) et les interrelations entre divers facteurs qui peuvent être associés à la survenance des phénomènes étudiés. Dans le domaine de la violence ces études, principalement statistiques, se sont surtout déroulées dans les années 60-70. Sur base de corrélations établies entre plusieurs variables, elles ont démontré que le volume de violence varie proportionnellement avec l'intensité de la privation relative. La privation relative étant l'écart entre les aspirations des individus et leurs réussites et gains effectifs. On est proche ici de la notion psychologique de frustration. Lorsque l’écart entre ce qu’on espère et ce qu’on obtient traduit un degré élevé de privation relative la violence apparaîtrait comme une réponse possible de l’acteur social. L’approche de type fonctionnaliste La violence est étudiée sous l'angle des fonctions qu'elle remplit dans le système social. Ces fonctions sont multiples : - le renouvellement de l'identité d’un groupe; l’intégration à l’intérieur du groupe; l’élaboration de valeurs nouvelles; la résolution de tensions; la création de nouveaux équilibres; la création et l’amélioration du fonctionnement de soupapes de sécurité. Selon cette approche, la société assigne des objectifs à ses membres (individuels ou collectifs) et désigne les moyens légitimes de les atteindre. La violence peut alors être utilisée par certains membres de la société comme un moyen (révolte pour changer le système social), soit être considérée comme une fin en soi (criminel qui cherche à faire fortune par l’exercice de la violence). L’approche de type systémique Le groupe social, la société dans son ensemble, sont étudiés comme un système où les éléments qui le composent et ceux qui lui sont extérieurs se trouvent tous en relation. De ces relations peuvent survenir des changements, lorsque les éléments internes ou externes ont une influence directe sur la stabilité du système social étudié. C'est le degré de puissance de cette influence qui entraîne un changement d'état du système social considéré. La violence est alors l'expression de ces fortes influences qui visent à modifier la stabilité du système social initial. © Centre d’Education à la Famille et à l’Amour (CEFA asbl) 2004 L’approche de type microsociologique Celle-ci se situe aux limites de la psychologie sociale. Elle s'intéresse à l'étude de la violence considérée dans un champ de relation déterminé. Ainsi par exemple, le milieu carcéral, la cellule familiale, l'école, ... Elle met l'accent sur les processus de socialisation et les phénomènes psychologiques qui opèrent dans les champs étudiés. Cette approche porte une attention particulière à la diversité des normes culturelles qui peuvent exister à l'intérieur d'un même champ de relation, afin de mieux comprendre le rôle des divers éléments qui interviennent et qu’on appellera référants. Bibliographie : CHESNAIS J.-C., « Histoire de la violence en Occident de 1800 à nos jours », Collection Pluriel Robert LAFFONT Les hommes et l’Histoire, 1981. © Centre d’Education à la Famille et à l’Amour (CEFA asbl) 2004