Défi diagnostic Une dangereuse exposition aux pesticides François Melançon, M.D. Les pesticides es pesticides organophosphorés et les carbamates sont extrêmement communs, les patients peuvent donc y être exposés lors d’une foule de circonstances : accidents, exposition agricole, terrorisme, etc. Les carbamates (physostigmine, néostigmine) sont d’excellents insecticides aussi utilisés dans le traitement de maladies telles que le glaucome et la myasthénie grave. La plupart des empoisonnements sont relativement banals, mais une intoxication grave peut être mortelle. L Physiopathologie : que provoquent-ils? Le cas de Pierre et Jean Les pesticides organophosphorés et les carbamates s’attachent au site d’action de l’acétylcholinestérase et inhibent son action. Cela se traduit par un excès d’acétylcholine dans les synapses et aux jonctions neuromusculaires, ce qui n engendre des e t el v u e symptômes muscariniques et nicotiniques. Les carbamatesps’hydrolysent onn spons s e r é e p tanément en 24 heures, alors que les pesticides ttraversent progressivement une ris u o usage a s r e phase de vieillissement durant laquelle l’acétylcholinestérase phosphorylée perd de onn our leu s r e façon non enzymatique une chaîne s p alkyle, ie pce qui l’inactive de façon irréversible. es t i d r © e t n t iale i h g i erc r y m Copn co.m Le coup o e i é e t b i u r unexposition à un toxique roh md’une b e p i Les signes cliniques t r sée es t impri facilement une histoire d’exposition aux pesticides. Le taux d’abdist tOn ori retracer e Un train de marchandises déraille en campagne, tout près de la ville où vous pratiquez. Ce train, composé de plusieurs wagons de pesticides organiques, ne contenait aucun passager, hormis un chauffeur, Pierre, et un mécanicien de bord, Jean. Dans le déraillement, les wagons se sont u se renversés et les pesticides se sont on a sorption uali dépend de la route (peau, voies respiratoires, muqueuses, etc.) et du s n i v , répandus sur le sol. Par miracle, tionaucune her type de pesticide. Le délai d’apparition des symptômes est de quelques cdu isà aproximité i l f i f t résidence ne seLtrouve ’u r, a heures, lors d’une absorption digestive, et quasi immédiat, lors d’une absorprge mineures, site. Souffrant de contusions a h c é l emmenés à votre tion respiratoire. Pierre et Jean tésont urgence. En plus de leurs contusions Le myosis est l’indicateur le plus fiable d’un empoisonnement aux pesticides. légères, ils se plaignent d’une vision Les patients, plutôt que souffrir de bradycardie, peuvent en effet présenter une embrouillée. et e t Ven Lors de l’examen sommaire, vous constatez que les pupilles des patients sont en myosis serré. Les deux hommes sont très congestionnés et semblent avoir de la difficulté à se débarrasser de leurs secrétions. De quoi souffrent-ils? Leur vision embrouillée est-elle inquiétante? Comment abordez-vous leur cas? tachycardie (réaction à l’hypoxie secondaire à la bronchorrhée et au bronchospasme). Il peut aussi y avoir présence de récepteurs de l’acétylcholine dans le système sympathique, dont la tachycardie induite par stimulation. L’excès d’acétylcholine L’excès d’acétylcholine – ou le syndrome de toxicité cholinergique – entraîne trois types de signes et symptômes : • L’accumulation d’acétylcholine dans les synapses muscariniques entraîne une activité parasympathique des muscles lisses des poumons, des voies digestives, le clinicien décembre 2010 1 Défi diagnostic Encadré 1 Les signes muscariniques montrant une accumulation d’aétylcholine SLUDGE / BBB •S = •L = •U= •D= •G= •E = •B = •B = •B = Salivation Lacrimation Urine (miction involontaire) Défécation Gastro-intestinaux Émétisant Bronchorrhée Bronchospasme Bradycardie DUMBELS • • • • D= U= M= B= Diarrhée et diaphorèse Urine (miction involontaire) Myosis Bronchorrhée, bronchospasme et bradycardie • E = Émétisant • L = Lacrimation • S = Salivation I du cœur, des yeux, de la vessie et des glandes sécrétrices, de même qu’une activité augmentée des glandes sudoripares. Les signes muscariniques sont nombreux; on peut les mémoriser grâce aux acronymes SLUDGE / BBB et DUMBELS (Encadré 1). Bien que l’arythmie cardiaque la plus fréquente soit la bradycardie, on peut aussi voir, à l’occasion, de la tachycardie et, plus rarement, des torsades de pointe lorsque l’intoxication est grave. Dans de tels cas, une infusion de magnésium contribue à ramener le patient en rythme sinusal. • L’accumulation aux plaques motrices nicotiniques résulte en fasciculations, en faiblesse progressive et en diminution du tonus allant jusqu’à la paralysie. • Alors que ces agents traversent la barrière hémato-méningée, ils peuvent causer des convulsions, de la dépression respiratoire et une confusion progressive avec ralentissement psychomoteur. Les causes de ces conséquences sont toutefois mal comprises. référence à laquelle comparer les résultats. De façon pratique, on utilise l’histoire d’une exposition qu’on confirmera par des anomalies notées à l’électrocardiogramme : prolongation de l’intervalle QT (l’anomalie la plus fréquente), élévation du segment ST, bradycardie ou tachycardie sinusale et, rarement, bloc du troisième degré. enzymatique varie beaucoup selon les populations et les individus. De plus, nous avons rarement une valeur de respiration bouche à bouche ont été décrits. On essaie ensuite d’identifier aussi précisément que possible le pes- Le diagnostic différentiel Les maladies ayant des symptômes communs avec le syndrome de toxicité cholinergique sont nombreuses : • syndrome de détresse respiratoire; • insuffisance surrénalienne; • intussusception; • gastro-entérite chez l’enfant; • choc septique; • empoisonnements. Cependant, l’histoire d’une exposition directe ou indirecte aux pesticides permettra généralement d’arriver au diagnostic. l est essentiel d’éviter Le traitement de respirer Dans un cas d’empoisonnement par directement l’air pesticides organochlorés, organophosexpiré par le phorés ou par carbamates, les membres de l’équipe de soins devront se patient,car des Le diagnostic protéger en portant des gants (deux cas de toxicité Le test de confirmation par excellence paires) et un masque pour éviter d’être est la mesure de la cholinestérase victimes de la contamination, surtout secondaire à sérique et, idéalement, de l’inhibition s’il n’y a pas eu de décontamination la respiration de l’acétylcholinestérase (AChE) des avant l’arrivée du patient à l’urgence. Il hématies. Ces tests seront faits en cen- est essentiel d’éviter de respirer bouche à bouche tre spécialisé. Ils sont souvent diffi- directement l’air expiré par le patient, ont été décrits. ciles à interpréter, puisque l’activité car des cas de toxicité secondaire à la 2 le clinicien décembre 2010 Défi diagnostic ticide en cause, puisque les pesticides ont des temps de vieillissement et de réactivation différents ayant une influence majeure sur le traitement. En général, les pesticides contenant du fumarate de diméthyle vieillissent rapidement, ce qui oblige une utilisation précoce des oximes. Les composés contenant du phtalate de diéthyle peuvent causer de la toxicité à retardement et le traitement avec un oxime doit alors être prolongé. On utilise la séquence connue Airway, Breathing et Circulation, parce qu’une intubation peut être nécessaire en cas d’empoisonnement grave. Dans un tel cas, on doit souvent augmenter les doses d’agents non dépolarisants, en raison de l’excès d’acétylcholine (ACh) aux récepteurs. On procède ensuite à la décontamination, qui varie selon le mode de contamination. En tout temps, le patient doit être déshabillé et son corps lavé avec de l’eau et du savon. Une solution d’hypochlorite (eau de Dakin) peut aussi être utilisée. L’utilisation de charbon activé oralement peut aider en cas d’ingestion accidentelle. Il ne semble pas y avoir d’avantages à faire vomir les patients. Les médications spécifiques L’atropine L’atropine est un excellent choix : il s’agit d’un antagoniste muscarinique pur qui compétitionne avec l’ACh au niveau des récepteurs muscariniques. Les doses varient de 2 à 5 mg, pour les adultes, et de 0,1 à 0,05 mg/kg pour les enfants. Il est essentiel de prévenir la bradycardie et, à cet effet, un rythme de 90 battements cardiaques par mi- nute suggère une atropinisation efficace. On peut répéter les doses aux 5 à 10 minutes. L’atropine ne s’attache toutefois pas aux récepteurs nicotiniques et est donc inefficace pour traiter la toxicité neuromusculaire (notamment la faiblesse des muscles respiratoires). La pralidoxime On utilise aussi la pralidoxime, puisque les organophosphorés et les carbamates s’attachent à l’ACHE, créant une phosphorylation des sites actifs de l’acétylcholinestérase, et en inhibent l’action. L’oxime agit comme un bras de levier et « décolle » le pesticide de l’AChE. Sa pénétration du système nerveux central est faible et la majorité de ses effets se fait en périphérie. L’action majeure a lieu aux récepteurs nicotiniques, mais on lui connaît une action discrète sur les récepteurs muscariniques, ce qui diminue les besoins en atropine. L’effet des oximes varie selon les pesticides, ce qui explique un effet variable du traitement. Retour sur le cas de Pierre et Jean Vous croyez, avec raison, que les deux patients souffrent d’une intoxication relativement grave aux pesticides organophosphorés.Vous les traitez donc avec de l’atropine et de la pralidoxime, après les avoir décontaminés avec de l’eau et du savon. Par précaution, vous installez un moniteur cardiaque et vous donnez à vos deux patients du midazolam de façon prophylactique. L’un et l’autre s’améliorent progressivement. Ils reçoivent leur congé après 48 heures. L ’utilisation de charbon activé oralement peut aider en cas d’ingestion accidentelle. Les benzodiazépines Les benzodiazépines doivent être utilisées en prévention d’une intoxication grave pour éviter un status epileticus qui risquerait de laisser des séquelles cérébrales significatives. Le midazolam semble être la médication de choix, en raison du fait qu’il a deux fois plus d’affinités pour les récepteurs des benzodiazepines que le diazépam. C Dr Melançon est omnipraticien et compte 25 années d’expérience dont 18 en salle d’urgence. Il a pratiqué en cabinet privé et en CLSC. Il est récemment revenu à ses premières amours, soit la médecine d’urgence, la traumatologie et la psychiatrie. le clinicien décembre 2010 3