Défi diagnostic - STA HealthCare Communications

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le clinicien décembre 2010
Une dangereuse exposition
aux pesticides
François Melançon, M.D.
Défi diagnostic
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Les pesticides
Les pesticides organophosphorés et les carbamates sont extrêmement communs,
les patients peuvent donc y être exposés lors d’une foule de circons-
tances : accidents, exposition agricole, terrorisme, etc. Les carbamates (phy-
sostigmine, néostigmine) sont dexcellents insecticides aussi utilisés dans le traite-
ment de maladies telles que le glaucome et la myasthénie grave. La plupart des
empoisonnements sont relativement banals, mais une intoxication grave peut être
mortelle.
Physiopathologie : que provoquent-ils?
Les pesticides organophosphorés et les carbamates s’attachent au site d’action de
l’atylcholinesrase et inhibent son action. Cela se traduit par un excès d’acétyl-
choline dans les synapses et aux jonctions neuromusculaires, ce qui engendre des
symptômes muscariniques et nicotiniques. Les carbamates s’hydrolysent spon-
tanément en 24 heures, alors que les pesticides traversent progressivement une
phase de vieillissement durant laquelle lacétylcholinestérase phosphorylée perd de
façon non enzymatique une chaîne alkyle, ce qui l’inactive de façon irréversible.
Les signes cliniques dune exposition à un toxique
On retrace facilement une histoire d’exposition aux pesticides. Le taux d’ab-
sorption dépend de la route (peau, voies respiratoires, muqueuses, etc.) et du
type de pesticide. Le délai d’apparition des symptômes est de quelques
heures, lors d’une absorption digestive, et quasi immédiat, lors d’une absorp-
tion respiratoire.
Le myosis est lindicateur le plus fiable d’un empoisonnement aux pesticides.
Les patients, plutôt que souffrir de bradycardie, peuvent en effet présenter une
tachycardie (réaction à l’hypoxie secondaire à la bronchorrhée et au bron-
chospasme). Il peut aussi y avoir présence de récepteurs de l’atylcholine dans le
sysme sympathique, dont la tachycardie induite par stimulation.
Lexcès d’acétylcholine
Lexcès dacétylcholine – ou le syndrome de toxicité cholinergique – entraîne trois
types de signes et symptômes :
Laccumulation dacétylcholine dans les synapses muscariniques entraîne une
activité parasympathique des muscles lisses des poumons, des voies digestives,
Le cas de Pierre
et Jean
Un train de marchandises déraille en
campagne, tout près de la ville où vous
pratiquez. Ce train, compo de
plusieurs wagons de pesticides
organiques, ne contenait aucun passager,
hormis un chauffeur, Pierre, et un
canicien de bord, Jean. Dans le
raillement, les wagons se sont
renversés et les pesticides se sont
pandus sur le sol. Par miracle, aucune
sidence ne se trouve à proximité du
site. Souffrant de contusions mineures,
Pierre et Jean sont emmenés à votre
urgence. En plus de leurs contusions
gères, ils se plaignent d’une vision
embrouillée.
Lors de l’examen sommaire, vous
constatez que les pupilles des patients
sont en myosis serré. Les deux hommes
sont très congestionnés et semblent
avoir de la difficulté à se débarrasser de
leurs secrétions.
De quoi souffrent-ils? Leur vision
embrouillée est-elle inquiétante?
Comment abordez-vous leur cas?
du cœur, des yeux, de la vessie et
des glandes séctrices, de même
qu’une activité augmentée des
glandes sudoripares. Les signes
muscariniques sont nombreux; on
peut les mémoriser grâce aux
acronymes SLUDGE / BBB et
DUMBELS (Encadré 1). Bien que
l’arythmie cardiaque la plus
fquente soit la bradycardie, on
peut aussi voir, à l’occasion, de la
tachycardie et, plus rarement, des
torsades de pointe lorsque l’intoxi-
cation est grave. Dans de tels cas,
une infusion de magnésium con-
tribue à ramener le patient en
rythme sinusal.
Laccumulation aux plaques motri-
ces nicotiniques résulte en fascicu-
lations, en faiblesse progressive et
en diminution du tonus allant
jusquà la paralysie.
Alors que ces agents traversent la
barrre hémato-ningée, ils peu-
vent causer des convulsions, de la
dépression respiratoire et une con-
fusion progressive avec ralentisse-
ment psychomoteur. Les causes de
ces conquences sont toutefois
mal comprises.
Le diagnostic
Le test de confirmation par excellence
est la mesure de la cholinesrase
sérique et, idéalement, de l’inhibition
de l’acétylcholinestérase (AChE) des
hématies. Ces tests seront faits en cen-
tre scialisé. Ils sont souvent diffi-
ciles à interpréter, puisque l’activi
enzymatique varie beaucoup selon les
populations et les individus. De plus,
nous avons rarement une valeur de
référence à laquelle comparer les
résultats.
De façon pratique, on utilise l’his-
toire d’une exposition qu’on con-
firmera par des anomalies notées à
l’électrocardiogramme : prolongation
de l’intervalle QT (l’anomalie la plus
fquente), évation du segment ST,
bradycardie ou tachycardie sinusale et,
rarement, bloc du troisième degré.
Le diagnostic différentiel
Les maladies ayant des symptômes
communs avec le syndrome de toxicité
cholinergique sont nombreuses :
syndrome de détresse respiratoire;
insuffisance surrénalienne;
intussusception;
gastro-enrite chez l’enfant;
choc septique;
empoisonnements.
Cependant, lhistoire d’une exposi-
tion directe ou indirecte aux pesticides
permettra géralement d’arriver au
diagnostic.
Le traitement
Dans un cas d’empoisonnement par
pesticides organochlorés, organophos-
phos ou par carbamates, les mem-
bres de léquipe de soins devront se
proger en portant des gants (deux
paires) et un masque pour éviter d’être
victimes de la contamination, surtout
s’il n’y a pas eu de décontamination
avant l’arrivée du patient à l’urgence. Il
est essentiel d’éviter de respirer
directement l’air expiré par le patient,
car des cas de toxicité secondaire à la
respiration bouche à bouche ont été
décrits. On essaie ensuite d’identifier
aussi précisément que possible le pes-
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SLUDGE / BBB
• S = Salivation
• L = Lacrimation
• U = Urine (miction involontaire)
D = Défécation
G = Gastro-intestinaux
• E = Émétisant
• B = Bronchorrhée
• B = Bronchospasme
• B = Bradycardie
DUMBELS
• D = Diarrhée et diaphorèse
• U = Urine (miction involontaire)
M = Myosis
• B = Bronchorrhée,
bronchospasme et bradycardie
• E = Émétisant
• L = Lacrimation
• S = Salivation
Encadré 1
Les signes muscariniques
montrant une accumulation
d’aétylcholine
Il est essentiel déviter
de respirer
directement lair
expiré par le
patient,car des
cas de toxicité
secondaire à
la respiration
bouche à bouche
ont été décrits.
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ticide en cause, puisque les pesticides
ont des temps de vieillissement et de
réactivation différents ayant une influ-
ence majeure sur le traitement. En
général, les pesticides contenant du
fumarate de diméthyle vieillissent
rapidement, ce qui oblige une utilisa-
tion précoce des oximes. Les com-
posés contenant du phtalate de diéthyle
peuvent causer de la toxicité à retarde-
ment et le traitement avec un oxime
doit alors être prolon.
On utilise la séquence connue
Airway, Breathing et Circulation,
parce qu’une intubation peut être
nécessaire en cas dempoisonnement
grave. Dans un tel cas, on doit souvent
augmenter les doses d’agents non
polarisants, en raison de l’exs
d’atylcholine (ACh) aux récepteurs.
On procède ensuite à la décontami-
nation, qui varie selon le mode de con-
tamination. En tout temps, le patient
doit être déshabillé et son corps la
avec de l’eau et du savon. Une solution
d’hypochlorite (eau de Dakin) peut
aussi être utilisée.
Lutilisation de charbon activé ora-
lement peut aider en cas d’ingestion
accidentelle. Il ne semble pas y avoir
d’avantages à faire vomir les patients.
Les médications spécifiques
Latropine
Latropine est un excellent choix : il
s’agit d’un antagoniste muscarinique
pur qui compétitionne avec l’ACh au
niveau des récepteurs muscariniques.
Les doses varient de 2 à 5 mg, pour les
adultes, et de 0,1 à 0,05 mg/kg pour les
enfants. Il est essentiel de prévenir la
bradycardie et, à cet effet, un rythme
de 90 battements cardiaques par mi-
nute sugre une atropinisation effi-
cace. On peut répéter les doses aux 5 à
10 minutes. L’atropine ne sattache
toutefois pas aux récepteurs nico-
tiniques et est donc inefficace pour
traiter la toxicité neuromusculaire
(notamment la faiblesse des muscles
respiratoires).
La pralidoxime
On utilise aussi la pralidoxime,
puisque les organophosphorés et les
carbamates s’attachent à l’ACHE,
cant une phosphorylation des sites
actifs de l’acétylcholinesrase, et en
inhibent l’action. Loxime agit comme
un bras de levier et « décolle » le pes-
ticide de l’AChE. Sa pénétration du
sysme nerveux central est faible et la
majorité de ses effets se fait en
périphérie. Laction majeure a lieu aux
récepteurs nicotiniques, mais on lui
connaît une action discrète sur les
récepteurs muscariniques, ce qui di-
minue les besoins en atropine. L’effet
des oximes varie selon les pesticides,
ce qui explique un effet variable du
traitement.
Les benzodiazépines
Les benzodiazépines doivent être uti-
lisées en prévention d’une intoxication
grave pour éviter un status epileticus
qui risquerait de laisser des séquelles
cérébrales significatives. Le midazo-
lam semble être la médication de
choix, en raison du fait qu’il a deux
fois plus d’affinités pour les récep-
teurs des benzodiazepines que le
diazépam.
Retour sur le cas
de Pierre et Jean
Vous croyez, avec raison, que les
deux patients souffrent d’une
intoxication relativement grave aux
pesticides organophosphorés.Vous
les traitez donc avec de l’atropine
et de la pralidoxime, après les avoir
décontaminés avec de l’eau et du
savon. Par précaution, vous installez
un moniteur cardiaque et vous
donnez à vos deux patients du
midazolam de façon prophylactique.
L’un et l’autre s’améliorent
progressivement. Ils reçoivent leur
congé après 48 heures.
C
Dr Melaon est
omnipraticien et compte
25 années d’exrience
dont 18 en salle
d’urgence. Il a pratiq
en cabinet privé et en
CLSC. Il est cemment
revenu à ses premières amours, soit la
decine d’urgence, la traumatologie et la
psychiatrie.
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L’utilisation de
charbon activé
oralement peut
aider en cas
d’ingestion
accidentelle.
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