ESPRIT BASSIN HAUTE COUTURE White Océan Que pourrait rapprocher un chantier naval et une maison de couture ? A priori, rien. Pourtant il existe un ADN commun ! C’est le “White Océan”, dernier né des chantiers Dubourdieu, “stYLED by“ Courrèges La rencontre improbable entre un chantier naval et une grande maison de couture_ TEXTE François TabutIaux PHOTO DR C ’est Emmanuel Martin, le boss des chantiers Dubourdieu de Gujan, qui a eu l’idée d’un bateau stylisé par une maison de couture. « J’ai téléphoné chez Courrèges, et j’ai pu exposer mon idée : partageant des valeurs communes de savoir-faire et d’authenticité, j’ai proposé un bateau aux lignes pures et épurées, et c’est devenu le White Ocean. » Les chantiers Dubourdieu, c’est 200 ans de construction de tous types de bateaux, aussi bien pour la plaisance avec une clientèle nationale et internationale, que pour les professionnels, notamment des bateaux de transport de passagers, de servitude, ou de recherches océanographiques. « Aujourd’hui, précise Emmanuel Martin, le chantier utilise ses compétences ancestrales dans des projets innovants et avant-gardistes comme “le Greenboat”. Forts de cette antériorité de constructeur de bateau de transport de 10 . BM15 passagers et de bateaux traditionnels, nous menons, depuis 2008 une réflexion de conception environnementale de ces bateaux, touchant aussi bien aux matériaux utilisés pour la construction, les qualités hydrodynamiques, la propulsion et l’esthétique ». Courrèges, c’est un héritage culturel, une image forte du chic, de la modernité, et du raffinement. Il fallait donc trouver, et la ligne, et les matériaux pour mener à bien cette idée. Sur le White Ocean, tout en bois, acajou et teck, ou la transparence, le blanc, l’effet miroir ont été particulièrement travaillés. Les “codes design” de Courrèges se retrouvent dans les aménagements intérieurs, avec ses tables en plexiglas sur des piétements en inox poli, ou avec l’utilisation du Kerrock, un matériau composite mêlant l’hydroxyde aluminium et polymère, pour le tableau de bord et le mobilier. La sellerie des bains de soleil, les draps de bain, Des lignes épurées, de larges ouvertures laissant passer la lumière chère à Courrèges, le White Ocean trouve sa place dans l’environnement du Bassin BM15 . 11 ESPRIT BASSIN HAUTE COUTURE Comment faire cohabiter les exigences du design et les contraintes techniques ? Des milliers d’heures de travail pour un résultat so chic. le sac de plage, et même l’uniforme de l’équipage complétant cet univers esthétique, sont logotés Courrèges. Révolution Montée au début des années 60 par André et Coqueline Courrèges, cette grande maison de couture a bouleversé la mode par un gout de l’innovation, en cassant les codes. Emblématique de son époque, chacun garde en mémoire le “style” Courrèges, les mini-jupes, le pantalon pour les dames en toutes circonstances, le blanc, ou les robes déstructurées. Comme Paul Poiret au début du siècle ou Coco Chanel plus tard, qui avaient libéré la femme des corsets, et autres porte-jarretelles… Les critiques de l’époque n’hésitent pas à parler de “révolution”. A la pointe de l’innovation pendant plus de 20 ans, copiée, enviée, la marque s’est un peu endormie, sans toutefois altérer son image. En 2011, au moment de la vente de l’entreprise, plusieurs groupes de luxe, comme LVMH, seront sur les rangs pour acquérir ce patrimoine du savoir-faire français. Mais Coqueline Courrèges, qui a succédé à son mari en 1966, décide de confier les clés de la maison, après un an de négociation, à deux jeunes publicitaires, Jacques Bungert et Frédéric Torloting, coprésidents de l’agence de publicité Young & Rubicam France. Ils l’avouent : ils ne connaissent rien à la mode, mais ils viennent d’un territoire éminemment créatif, et soulignent : « André Courrèges était, au départ, ingénieur en génie civil ! » Et le fait de s’attaquer à un domaine aussi éloigné que la mode et le transport n’est pas nouveau pour la maison : Coqueline Courrèges, a présenté en 2002 sa première voiture électrique, la Bulle, qui sera suivie par d’autres modèles ! Alchimie Pour Jacques Bungert, coprésident de Courrèges : « C’est l’histoire d’une rencontre, improbable, une vraie histoire humaine entre Emmanuel Martin, son équipe, et nous. Comment faire cohabiter les exigences du design et les contraintes techniques ? C’est un travail en équipe. Le dialogue a été primordial. Aujourd’hui, le “White Ocean” est sur l’eau : c’est un bateau chic, élégant, juste ; c’est l’alchimie de deux savoir-faire parfaitement complémentaires ». Julien Gaubert, directeur artistique de Courrèges : « Le défi a été d’appliquer les principes de la maison à un objet aussi éloigné des vêtements que peut l’être un bateau. Ce qui fait l’image de la maison depuis sa création, et, suivant le mot de son créateur, c’est “de faire passer la lumière”. Il fallait donc optimiser l’espace, sans toucher aux fondamentaux du bateau, sans oublier que la fonction décide de la forme. Nous avons donc opté pour de larges ouvertures où l’œil peut traverser le navire de la poupe à la proue. Même travail pour les lignes graphiques de la coque avec des peintures blanches et grises. Il fallait être juste, doser, briller sans ostentation, tout en respectant l’environnement du Bassin, où ce bateau va essentiellement voguer ». André Courrèges était ingénieur en génie civil ; Emmanuel Martin travaillait dans le vin, Jacques Bungert et Frédéric Torloting, viennent de la publicité ! Vive la reconversion professionnelle ! Le moment attendu et redouté : la mise à l’eau sous l’œil de Jacques Bungert, de Frédéric Torloting les présidents de Courrèges et d’une partie de l’équipe des Chantiers Dubourdieu. Les absents sont à la manœuvre ! BM15 . 13 12 . BM15