article_information_psychiatrique - Ecole de Psychologues Praticiens

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L’essentiel de l’information
scientifique et médicale
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Le sommaire de ce numéro
http://www.john-libbey-eurotext.fr/fr/
revues/medecine/ipe/sommaire.md?type=
text.html
Montrouge, le 02/11/2016
Clémence Landreau
Vous trouverez ci-après le tiré à part de votre article au format électronique (pdf) :
Les psychiatres et les psychologues vus par les étudiants en psychologie et les internes en psychiatrie
paru dans
L’Information psychiatrique, 2016, Volume 92, Numéro 8
John Libbey Eurotext
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ou scientifiques. En aucun cas, il ne doit faire l’objet d’une distribution ou d’une utilisation promotionnelle, commerciale ou publicitaire.
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© John Libbey Eurotext, 2016
Questions en formation
L’Information psychiatrique 2016 ; 92 (8) : 687-92
Les psychiatres et les psychologues
vus par les étudiants en psychologie
et les internes en psychiatrie
Le chiffre du mois : 559
Clémence Landreau
Psychologue clinicienne,
École de Psychologues
Praticiens (EPP), Paris
Rubrique coordonnée par Aurélie
Berger et Benjamin Lavigne
C’est le nombre de postes d’internes en psychiatrie ouvert à l’examen classant
national (ECN) de 2016 dans toute la France. Deux postes de plus ont été
ouverts par rapport à l’année dernière : un à Paris, et un à Besançon. À l’heure
où nous écrivons ces lignes, nous ne savons pas encore si tous les postes
seront pourvus, mais nous l’espérons vivement !
Bienvenue à nos futurs collègues !
doi:10.1684/ipe.2016.1538
Introduction
C’est à partir de différentes observations de terrain
qu’a émergé l’interrogation suivante : que pensent le psychologue et le psychiatre l’un de l’autre ? Les échanges
dont nous avons été témoins laissaient parfois entrevoir
des rapports compliqués, teintés d’incompréhensions. Intrigués, nous avons questionné certains et avons recueilli ces
quelques paroles, non parfois dénuées d’humour : « Les
psychologues, ça ne dérange pas » nous confie un interne
psychiatre en fin de formation ; « Tout psychologue a un
trouble de la personnalité » déclare un psychiatre nous transmettant le dicton couramment échangé au sein de son
internat ; « Le psychologue et le psychiatre sont tous les
deux fous, la différence c’est que le psychiatre ne le sait pas »
plaisante une psychologue. Sachant que ces professionnels
sont souvent amenés à travailler ensemble, nous ne pouvions poursuivre notre chemin sans tenter de comprendre
les soubassements de cette relation.
Nous nous sommes appuyés sur les ouvrages de Jodelet,
Abric et Matisson pour l’étude des représentations sociales
en tant que concept. Les professions de psychologue et de
psychiatre ont été principalement étudiées grâce aux écrits
de Matisson, Décaudain & Ghiglione et de Golse.
Le but de cette recherche est d’étudier les représentations du psychologue et du psychiatre chez les étudiants
en psychologie et les internes en psychiatrie. Selon Jodelet, les représentations sont « une forme de connaissance,
socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique
et concourant à la construction d’une réalité commune à
un ensemble social » [1]. Elles sont également définies
comme un « savoir de sens commun », « savoir naïf »,
Correspondance : C. Landreau
<[email protected]>
ou « naturel ». Elles influencent le comportement car elles
sont « des points de référence, elles fournissent une position ou une perspective à partir de laquelle un individu
ou un groupe observe et interprète les évènements, les
situations, etc. » [2]. Les représentations sont donc susceptibles d’apporter un éclairage sur la nature de certains
positionnements professionnels. Les représentations sont
des « constructions sociocognitives ». Elles sont influencées
par des données cognitives, sociales mais aussi contextuelles [3]. L’objectif de l’étude est de faire un état des
lieux des représentations présentes chez les membres de
ces groupes professionnels, avant le diplôme. Nous nous
sommes demandé si les représentations différaient selon la
profession dans laquelle l’étudiant était engagé d’une part
et d’autre part si le contexte (stages, situations psychothérapeutiques personnelles, connaissances) dans lequel les
étudiants ont été amenés à rencontrer des psychologues
et des psychiatres, influençaient ses représentations.
Méthodologie
L’enquête a été menée auprès de six internes en psychiatrie et cinq étudiants en psychologie. Le niveau d’étude
des internes se répartit du 1er au 5e semestre. Les étudiants en psychologie sont tous en master 2. Les âges
s’échelonnent au moment de l’étude, de 23 à 41 ans. Le
seul critère d’inclusion était celui d’être étudiant en psychologie ou interne en psychiatrie. Les participants ont été
recrutés par le biais des réseaux sociaux et par la mailingliste des internes en psychiatrie d’Île-de-France (appartenant
à l’Association française fédérative des étudiants en psychiatrie [Affep]).
Nous avons rencontré les participants lors d’un unique
entretien de type semi-directif dans le but de laisser, autant
Pour citer cet article : Landreau C. Les psychiatres et les psychologues vus par les étudiants en psychologie et les internes en psychiatrie. L’Information
psychiatrique 2016 ; 92 (8) : 687-92 doi:10.1684/ipe.2016.1538
© John Libbey Eurotext, 2016
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C. Landreau
que possible, libre cours à la parole. La grille de l’entretien
comporte deux catégories de thèmes. La première traite de
notre objet d’étude, les représentations du psychologue et
du psychiatre. Il était demandé une libre définition du psychologue et du psychiatre1 . La deuxième catégorie concerne
le rapport que l’étudiant entretient avec la psychiatrie et
la psychologie. Ce thème est étudié sur deux versants :
le versant professionnel à travers la formation, les stages,
le regard porté sur le parcours et le versant personnel
à travers la présence ou non de « psys » ou de médecins dans l’entourage personnel ainsi que la rencontre avec
ceux-ci pour des raisons personnelles. Cette catégorie a
pour but d’étudier les facteurs susceptibles d’influencer les
représentations.
Les entretiens ont été enregistrés dans le but de pouvoir
se concentrer lors de la rencontre, sur le discours ainsi que
le non-verbal et dans un après coup, de travailler à partir de
récits exacts. Chaque entretien a ensuite été retranscrit par
écrit à partir des enregistrements.
Dans un premier temps, nous avons procédé à une analyse verticale. Les entretiens ont été étudiés un par un.
L’objectif était d’en extraire l’essentiel et de synthétiser
les données à l’aide des thèmes de la grille d’entretien.
Puis nous avons réalisé une analyse horizontale thématique.
Nous avons confronté les discours entre eux, observé quels
contenus étaient convergents et divergents. Cette comparaison s’est effectuée entre les membres d’un même groupe,
puis entre les groupes eux-mêmes. L’analyse thématique a
permis d’étudier la fréquence d’apparition des contenus. Les
contenus des représentations exposés ci-après sont présentés par ordre décroissant de fréquence d’apparition. Les
éléments en premiers sont donc ceux qui revenaient le plus
souvent.
Enfin, précisons que notre démarche a été de travailler
à partir des thèmes abordés par les participants lors des
entretiens. Les résultats et la réflexion qui en découlent
reflètent donc les représentations des étudiants rencontrés
pour cette étude. De part notre objet d’étude, les représentations, nous nous situons d’emblée dans le subjectif. Notre
objectif n’est pas d’écrire ce qu’est le psychologue ou le psychiatre, mais d’étudier les perceptions que l’on peut en avoir
et de chercher à les expliquer.
Résultats
Les représentations du psychologue
. . . Par les internes en psychiatrie
Le psychologue est perçu par les internes de deux façons
différentes : en tant que prodigueur de soin ou/et en tant
qu’expert dans son domaine.
Le psychologue apporte un soin
Le psychologue est décrit comme un « psychothérapeute »*2 ou « un professionnel de santé qui apporte un
soin »*. Son travail s’inscrit dans la durée. Les problématiques de ses patients ne sont pas forcément d’ordre
psychiatrique. Pour cela, il écoute et comprend avec empathie. Il travaille à partir du discours du patient.
Le psychologue est expert dans son domaine
Le psychologue a fait une faculté de psychologie, c’est
un « scientifique de la psychologie »*. De par ses connaissances, il est apte à faire des diagnostics. Sa formation en
psychopathologie lui permet d’avoir une lecture des troubles
plus fine et nuancée que le psychiatre. En effet, bien que certains n’aient pas une représentation claire de la formation du
psychologue, ils la considèrent comme plus théorique que
celle du psychiatre au regard de la quantité de stages, ce
dernier ayant une démarche plus empirique que le psychologue.
La place du psychologue
Plusieurs internes se sont exprimés sur la place du psychologue en institution. Le psychologue occupe une place
incommode, difficile à trouver, qualifiée parfois de « précaire »*. Les raisons avancées sont le manque de débouchés
et le non-remboursement des soins, désavantage lorsqu’il
est comparé au psychiatre. Concernant le travail d’équipe
multidisciplinaire, les internes utilisent le plus souvent le
terme de « frustration »* pour qualifier l’état vécu par le
psychologue concernant sa collaboration avec les équipes.
. . .Par les étudiants en psychologie
Le psychologue est majoritairement décrit par les étudiants en psychologie par une attitude et par la dimension
de soin. Vient ensuite la définition du psychologue en tant
qu’expert dans son domaine.
Le psychologue par les qualificatifs
Pour les étudiants en psychologie, le psychologue est
avant tout défini par une posture. Les qualificatifs les plus
fréquemment donnés sont les suivants : bienveillant, neutre,
ouvert à l’autre, optimiste. Par cette définition, la délimitation entre ce qui relève de la sphère professionnelle et
de la sphère privée et personnelle, s’estompe. Être psychologue, pour les étudiants en psychologie, correspond de
prime abord à une personnalité, à une façon d’être. Allant
dans le même sens, la plupart des étudiants répondent qu’il
n’existe pas une manière de procéder car le psychologue
travaille en fonction de sa sensibilité et de ce qu’il ressent
par rapport au patient qu’il reçoit.
Le psychologue apporte un soin
Le psychologue permet l’élaboration des difficultés et
des angoisses, il guide le patient afin qu’il s’aide lui-même
1
La question avait pour intitulé « qu’est-ce qu’un psychologue/psychiatre
selon vous ? » afin de ne situer le psychologue ou le psychiatre dans aucun
courant ni espace.
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2
* Citations des participants.
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© John Libbey Eurotext, 2016
Les psychiatres et les psychologues vus par les étudiants en psychologie et les internes en psychiatrie
et trouve ses propres solutions. Il s’ajuste au fonctionnement du patient, l’accompagne et le soutient. Ses activités
sont l’écoute, la compréhension d’autrui, l’interprétation,
l’analyse de la demande. Une importance particulière est
donnée à la parole.
Le psychologue est expert dans son domaine
Le psychologue a un titre universitaire, sa formation de
5 ans lui permet d’acquérir différents modèles pour penser l’humain et la relation. Il étudie et s’intéresse à la
psyché et à tout ce qui concerne le fonctionnement psychologique de l’humain, comme les mécanismes de défense
ou d’adaptation. Les étudiants rapportent également la fonction de pédagogue et d’expert auprès de l’équipe. Il aide les
équipes en leur expliquant le fonctionnement des patients.
Enfin, il peut ou non faire des diagnostics. Cette fonction
semble contestée par certains étudiants, considérant que ce
n’est pas le rôle du psychologue. Ils opposent la pose d’un
diagnostic à la prise en compte du vécu et de la subjectivité
du patient.
À la rencontre des psychologues
Chez les internes en psychiatrie, les expériences de
stage se recoupent avec les descriptions données en ce qui
concerne la position du psychologue par rapport à une équipe
au sein de laquelle il peine à trouver sa place. Les psychologues rencontrés sont tantôt sous le pouvoir hiérarchique
du psychiatre, tantôt collaborateur et parfois en concurrence
autour notamment des thérapies.
Ainsi, différents « types » de psychologues susceptibles
d’éclairer les représentations obtenues ont été rencontrés :
– le psychologue absent de l’institution et dont on ignore
le rôle ;
– le psychologue présent dans l’institution mais invisible,
non intégré à l’équipe ou qui ne participe pas aux réunions.
À l’inverse du précédent, son rôle est défini mais il est autonome et solitaire ;
– le psychologue, expert dans son domaine, avec qui la
collaboration est possible. Il apporte un éclairage complémentaire à celui du psychiatre.
Pour les étudiants en psychologie, les psychologues rencontrés au cours des stages mais aussi lors de travail
thérapeutique personnel semblent avoir joué un rôle de
modèle ou de contre-modèle. En effet, certains éléments
semblent avoir émergé en réaction à certaines rencontres,
heureuses ou malheureuses, ayant marqué l’étudiant.
Des représentations imprécises
Au cours des entretiens, la majorité des participants (les
deux groupes confondus), butaient lorsqu’ils devaient définir
le psychologue. Nous avons observé de nombreuses incertitudes et hésitations, non sans embarras quelquefois. S’il
est plus facile de décrire le psychologue en cabinet, dans un
service de gériatrie, de psychiatrie adulte, en maternité. . .
le psychologue dans un contexte en somme, il est difficile de répondre à la question générale : qu’est-ce qu’un
psychologue, si on le détache d’une population ou d’une
problématique donnée ? Qui est-il s’il n’est pas psychothé-
rapeute ? Et comment travaille-t-il ? Quel est son « plus petit
dénominateur commun » [4] ?
Nous rapporterons ici l’obstacle auquel se sont confrontés plusieurs internes lorsqu’il s’agissait de différencier le
psychiatre et le psychologue confondant par exemple formations et connaissances. Pour les étudiants en psychologie,
l’appartenance du psychiatre à la médecine et son approche
centrée sur les symptômes suffisent à le différencier du psychologue. Bien que la démarche médicale du psychiatre le
caractérise, pour les internes, elle n’est pas la seule possible.
Ainsi, certains déclaraient être parfois plus en accord avec
les psychologues qu’avec les psychiatres. De plus, une partie
se considère comme ne faisant pas partie de la médecine,
ce qui semble impacter l’identité professionnelle de ceux-ci.
Ils mettent en avant un intérêt pour le psychisme, un fonctionnement personnel caractérisé par l’intuitif, une relation
avec le patient différente de celle possible dans les autres
spécialités. Nous nous sommes demandé si cette identité
professionnelle jouait sur les rapports entre les internes
en psychiatrie et les psychologues et ne pouvait engendrer
quelque fois un certain amalgame pouvant enrailler leur collaboration.
Les représentations du psychiatre
. . . Par les internes en psychiatrie
et par les étudiants en psychologie
Contrairement au psychologue, les représentations du
psychiatre, que ce soit pour les internes en psychiatrie ou
les étudiants en psychologie, sont relativement proches. Les
réponses données par les deux groupes d’étudiants seront
donc présentées ensemble. Les différences seront exposées à la suite de chaque thème.
Le psychiatre est un médecin
Pour les deux groupes interrogés, le psychiatre est un
médecin. Les internes précisent qu’il a une spécialité en
santé mentale. Ceci est probablement dû au fait que le
groupe des internes se perçoit en tant que médecin parmi
d’autres spécialités, alors que le groupe des étudiants en
psychologie perçoit le psychiatre comme appartenant au
corps médical avant tout, la différenciation avec les autres
spécialités étant secondaire.
Pour les étudiants en psychologie, cette appartenance
semble être déterminante sur la lecture des troubles que
peut avoir le psychiatre. L’origine des troubles est principalement neurologique. Sa grille de lecture est essentiellement
médicale, il s’appuie sur le DSM et les symptômes. Cette
représentation se modifie lorsque le psychiatre a une formation psychanalytique. La démarche du psychiatre est perçue
par les étudiants en psychologie comme plus ordonnée que
le psychologue, son approche est « plus carrée », l’entretien
est « structuré ».
Cette dimension se retrouve, sous une autre forme, dans
le discours des internes : parce que le psychologue est
davantage formé à la théorie que le psychiatre, il a une lecture
des pathologies plus subtile que le psychiatre.
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C. Landreau
Le psychiatre prescrit
L’activité de prescription parait être typique de l’activité
du psychiatre. Cependant, le poids qui lui est accordé varie
selon les internes, elle constitue soit son activité principale,
soit une activité parmi d’autres.
Le psychiatre a du pouvoir
Le thème du pouvoir détenu par le psychiatre est abordé
par tous. Cet aspect semble être lié à ses responsabilités
et à ses fonctions. Le psychiatre, en charge des aspects
techniques liés à la prise en charge médicale (admission, sortie, hospitalisation, traitement. . .) a un pouvoir décisionnel
et de ce fait, une certaine supériorité. Certains répondants
pensent que cette dimension influe négativement sur la relation entre le psychiatre et le patient. Cette place a un impact
sur le ressenti des étudiants en psychologie qui perçoivent
une inégalité hiérarchique entre le psychologue et le psychiatre. Selon eux, ce dernier peut manquer de remise en
question mais également de réflexion due à son approche
médicale entraînant un raisonnement trop rigoureux.
Le psychiatre est parfois psychothérapeute
Pour les deux groupes interrogés, l’activité de psychothérapie ne semble pas aller de soi. Elle est plus évidente pour
les internes que pour les étudiants en psychologie. Bien que
les premiers la citent plus souvent que les deuxièmes, elle
est parfois considérée comme optionnelle ou de moindre
importance.
Les autres fonctions du psychiatre
L’établissement du diagnostic est peu cité. Cette activité
ne semble donc pas être perçue comme caractéristique de
ce groupe professionnel.
À la rencontre des psychiatres
Chez les étudiants en psychologie comme chez les
internes en psychiatrie, les expériences de stage font surtout
écho à la position hiérarchique du psychiatre. Cet élément
couplé à sa lecture médicale des troubles est vécu comme
un frein lors des échanges avec le psychologue, scénario
rapporté par des individus des deux groupes. À l’inverse le
partage d’un courant théorique tel que la psychanalyse, est
un facteur facilitant.
Discussion
Le flou qui accompagne les représentations du psychologue pose question. En 1971, Matisson interrogeait des
étudiants en psychologie et des psychologues sur l’image
qu’ils avaient de leur profession [5]. Les résultats trouvés
sont similaires. Le psychologue a un savoir, des connaissances lui permettant de comprendre le fonctionnement de
son patient et de permettre un changement en profondeur.
Il est un technicien qui étudie l’humain à l’aide de la psychométrie et établit des bilans psychologiques. Son activité
est centrée sur la relation, par l’écoute et la compréhension, il permet ainsi à l’autre une prise de conscience de son
690
fonctionnement. Si le psychologue n’y est pas décrit à l’aide
de qualificatif, l’auteur explique avoir recueilli des réponses
qu’il aurait pu regrouper sous le nom de « l’indéfinition du
psychologue par lui-même ». Ces réponses sont floues,
approximatives et décrivent un psychologue n’ayant pas de
statut, et manquant d’utilité. Plus récemment en 2006, une
enquête sur le même thème menée auprès de psychologues
expérimentés fait écho à nos résultats. Elle aboutit également à des représentations marquées par l’importance de
la personnalité [6].
Comment le psychologue et le psychiatre sont perçus
auprès du grand public ? Est-ce que ces résultats subsistent ? Beaucoup d’études traitent du personnage du
psychiatre ou du psychologue, souvent décrits comme fous
et mystérieux, mais peu abordent leurs activités.
Une étude française de 1971 analyse l’image du psychologue à travers la presse. Différentes caractéristiques
ressortent. La première est celle qui conçoit le psychologue
non comme un métier mais comme « adjectif » ou « qualité »
ou encore comme « auxiliaire d’une autre profession », à
l’instar du psychologue scolaire ou du médecin psychologue.
Il est également présenté comme une personne en possession « d’un savoir et d’un pouvoir quasi magiques », avec
un vocabulaire trop spécifique pour être compris par les profanes [5]. Il est aussi perçu comme mal à l’aise, coincé entre
la nécessité de se trouver à distance de son objet d’étude
et d’être en lien avec celui-ci.
À la même époque, des médecins travaillant avec des
psychologues sont interrogés. Le psychologue est un technicien, agissant à l’aide de tests considérés comme son
principal média pour être en relation avec le patient. Rappelons ici que l’ancêtre du psychologue était psychotechnicien.
Il peut « découvrir la vérité cachée » ou « soulever un pan de
voile de l’inconnu d’un individu, d’un groupe ou d’une situation ». Il travaille principalement dans une relation duale [5].
Son rôle en tant que collaborateur des médecins est très
peu abordé.
L’image du psychiatre quant à lui, reste plus ou moins
constante. En 2012, une enquête a été menée auprès
d’étudiants à l’université, le psychiatre est perçu comme
« spécialiste de la santé mentale ». Il prescrit des médicaments, est remboursé par la Sécurité sociale et peut
exercer à l’hôpital [7]. En 2001, une étude américaine
auprès du grand public rapporte que les psychiatres
traitent davantage les maladies plus sévères que les
psychologues [8].
Les représentations du psychiatre sont donc relativement
homogènes et immuables. Même si certaines caractéristiques restent au fil des recherches, les représentations du
psychologue sont plus approximatives. Dans notre étude,
elles paraissent être plus dépendantes des rencontres effectuées avec les psychologues mais aussi de la profession
dans laquelle l’étudiant est engagé. Est-ce parce que la profession de psychologue supporte peu de représentations ou
des représentations floues que les expériences vécues avec
les psychologues jouent un rôle ? Comment pouvons-nous
l’expliquer ?
L’Information psychiatrique • vol. 92, n ◦ 8, octobre 2016
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Les psychiatres et les psychologues vus par les étudiants en psychologie et les internes en psychiatrie
Un héritage
La psychologie en tant que discipline est née bien après
la psychiatrie, ce qui n’est pas sans conséquence sur notre
objet de recherche. La profession médicale bénéficie d’une
reconnaissance légale et sociale que n’a pas la psychologie probablement en raison de son histoire et de l’héritage
qui s’en suit [9]. La psychiatrie, en tant que spécialité de la
médecine apparait en 1968. Cependant, c’est bien avant que
la médecine s’est donné comme mission de s’occuper de
ceux que l’on nommait les « aliénés ». S’il est difficile de
délimiter précisément cette période, les prémices de la psychiatrie en France sont souvent présentées comme datant
de la fin du siècle des Lumières, avec l’arrivée de Pinel à
Bicêtre en 1793 [10]. La folie est désormais reconnue en tant
que maladie, elle s’inscrit dans le domaine de la médecine,
et s’extirpe de la justice, la religion ou de la sorcellerie.
C’est en 1976 que le diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) de psychologie est créé, l’équivalent du
master 2 actuel [11]. Il faudra attendre 1985, pour que l’usage
du titre de psychologue soit légalisé. Auparavant, il n’y avait
pas de psychologues en France mais des psychotechniciens
dont la fonction était de faire passer des tests psychotechniques à la demande des médecins qui les interprétaient
ensuite [11]. Ainsi, lorsqu’après-guerre, le psychologue arrive
en psychiatrie, il est attendu en tant que « technicien de
laboratoire qui travaille sur prescription du médecin dont il
n’est qu’un auxiliaire » ce qui ne correspond pas à sa formation clinique [12]. Il se retrouve donc nouveau et seul dans
les hôpitaux psychiatriques, habitué à fonctionner sans lui.
Son insertion se fait donc difficilement et « chacun tente de
négocier tant bien que mal sa place (. . .) en fonction souvent
d’une alchimie secrète constituée d’affinités théoriques et
/ou personnelles » [12]. C’est dans les années 1980, avec
la création de la sectorisation, que le milieu psychiatrique va
changer et s’ouvrir, permettant l’intégration du psychologue.
La pratique des tests se raréfie laissant place à l’entretien
clinique devenu « l’outil principal » [13]. Le psychologue
investit peu à peu le travail institutionnel, diversifiant sa pratique au profit des équipes. La répartition des tâches au sein
des équipes évolue. Avec l’augmentation de la demande,
les psychologues se chargent souvent de l’activité thérapeutique surtout lorsque les cas sont davantage de type
« psychologique », le psychiatre étant principalement prescripteur et expert [12]. Cependant, cette répartition n’est
pas systématique et dépend de différents facteurs (histoire
de l’institution, affinités personnelles, professionnelles. . .).
Ainsi, si le psychologue est intégré, « chaque place reste
construite en fonction des équilibres locaux » [12].
L’introduction du psychologue en psychiatrie n’a donc
pas été facile et a suscité de nombreuses interrogations.
Nous constatons que ces questionnements sont toujours
d’actualité comme le montrent les témoignages des répondants sur la place délicate du psychologue au sein d’une
équipe. Cela fait également écho au fait que les représentations du psychologue semblent être fonction de son activité
ou de la population avec laquelle il travaille, comme s’il
n’existait pas de définition à priori, en dehors de l’institution
ou du cadre au sein duquel le psychologue exerce son activité. La profession semble être en proie à ce que Jorro et
Wittorski nomment « l’institutionnalisation », phénomène
observé lorsque « l’activité ne dépend plus d’un corps professionnel préexistant qui est susceptible de la définir mais
des institutions locales dans lesquelles elle se déploie, qui
la façonnent et définissent les contours du métier » [14].
La reconnaissance sociale passe notamment par
l’organisation de la profession et des instances de contrôle.
Selon Bourdoncle, pour qu’une activité devienne une profession, elle doit « se protéger par une formation spécifique, un
ordre professionnel propre, la caractérisation de compétences spécifiques et d’un champ d’activités qui lui soit réservé
et dont l’accès est contrôlé par la détention d’un diplôme
particulier » [15]. Or la profession des psychologues n’est
pas représentée par une instance. Ceci est entre autres
freiné par le fait qu’elle soit en proie à des clivages donnant
lieu à différentes écoles comme en témoigne la querelle
entre la méthode cognitivo-comportementale et la méthode
psychanalytique qui éclate dans les années 90 [13]. Autant
d’éléments qui ne favorisent pas la circulation d’un discours
clair sur la profession.
Le travail du psychologue, le « dire sur
le faire » et l’importance du modèle
Le discours des répondants est marqué par une certaine difficulté à dire, à trouver les mots pour expliquer ce
qu’est un psychologue, phénomène absent lorsqu’il s’agit
de décrire ce qu’est un psychiatre. Chez le psychologue, il
n’y a pas d’équivalent à l’ordonnance et aux traitements qui
viennent matérialiser l’activité du psychiatre. Le travail qui
s’opère au sein d’une relation thérapeutique est immatériel.
Même si c’est le même, que le patient ait choisi un psychologue ou un psychiatre, ce dernier a, grâce à ses activités
liées au domaine médical (traitement, admission, sortie...),
un cadre de travail plus délimité qui lui confère des représentations plus nettes. En ce sens, le travail du psychologue
pourrait être qualifié « d’invisible » et c’est peut-être pour
cette raison qu’il est difficile à décrire. Le psychologue a
pourtant des outils, les tests par exemple. Mais si l’on se
réfère à notre enquête, ils ne sont pas caractéristiques de
son activité.
Pour les étudiants en psychologie, le psychologue « est »
avant tout, faisant croire que presque aucun savoir n’est
nécessaire pour exercer. Il y a une confusion entre la personne et la fonction. Les représentations relèvent davantage
de la compétence qui est « un art de faire tributaire de
la personnalité de chacun », que de la qualification qui
« relève de la science, des connaissances et des savoirs
formels » [16]. Prochainement psychologues, les représentations chez les étudiants sont nécessairement teintées de
l’engagement de ces derniers dans ce métier. Ainsi, ce n’est
pas seulement ce qu’est le psychologue qui est donné à voir
mais ce qu’est « un bon psychologue » ou quel genre de
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C. Landreau
psychologue ils souhaiteraient être. Il nous a semblé percevoir, derrière la représentation du psychologue, ce que l’on
pourrait qualifier de « l’idéal du moi professionnel ». Selon
Lahire [17], lorsque les savoirs n’ont pas été intentionnellement appris, de manière explicite, il est plus difficile d’en
rendre compte. Ce que l’on a appris inconsciemment, par
mimétisme par exemple, est plus difficilement verbalisable,
rendant inséparables l’être qui réalise l’activité et l’activité
elle-même. Est-ce due à l’importance de l’observation dans
la formation que les étudiants en psychologie font référence
à une attitude, plus qu’à un savoir ? Ou est-ce en raison
de l’identification à un modèle, potentiellement idéalisé ?
C’est ce que suggère une étude menée auprès d’étudiants
en psychologie en 2014 en Russie. L’auteur rapporte que
les étudiants, à la veille de leur entrée à l’université, ont une
image positive mais idéalisée du psychologue. Un bon psychologue est comparé à un parent, un professeur aimé, une
personne heureuse ou ayant réussi dans le monde du travail.
Le degré d’identification à cette image est alors faible. Mais
l’auteur explique, qu’au fil des années, cette image gagne en
authenticité et s’inscrit davantage dans la réalité, marquant
au passage l’identification grandissante de l’étudiant à cette
image [18].
pas seulement celle des sujets concernés mais celle d’un
« métier » qui n’appartient à personne en particulier, mais
dont chacun est pourtant comptable » [19]. C’est en changeant le discours sur leurs professions, d’abord auprès
d’eux-mêmes en prenant conscience de leurs spécificités,
puis auprès des autres professionnels que les psychologues
pourront modifier l’image qu’ils véhiculent.
Liens d’intérêts l’auteure déclare ne pas avoir de lien
d’intérêt en rapport avec cet article.
Références
1. Jodelet D. Les représentations sociales. Paris : PUF, 2003.
2. Semin G. Prototypes et représentations sociales. In : Jodelet D. (éd.). Les
représentations sociales. Paris : PUF, 2003. pp. 259-271.
3. Abric J. Pratiques sociales et représentations. Paris : PUF, 2016.
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soutien de soins en psychiatrie générale, 2012.
Limites
8. Bremer B, Foxx R, Lee M, et al. Potential clients beliefs about the rela-
Il existe deux limites principales à notre étude. La première est la constitution de l’échantillon auprès duquel
l’étude a été réalisée, trop faible pour être représentatif.
La deuxième est due aux biais liés au recrutement. Les
annonces pour la recherche des participants passés sur les
réseaux sociaux et à travers la mailing-liste de l’Affep ont
attiré des profils n’ayant pas un intérêt fortuit pour notre
sujet. Ceci a nécessairement teinté nos résultats.
tive competency and caring of psychologists : implications for the profession.
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Conclusion
aujourd’hui. L’information psychiatrique 2014 ; 90 : 867-70.
Au cours de ce projet et au fil des entretiens, nous avons
cheminé avec les participants et notre réflexion, toujours
en cours, a muri depuis les déclarations à l’origine de cette
recherche. Ce travail a constitué une opportunité pour tenter
de comprendre la réalité de chacun et les incompréhensions
qui subsistent, à la lumière des petites histoires mais aussi
de la grande, l’Histoire, dans laquelle les représentations
trouvent aussi leurs sources. Si la psychiatrie voit ses frontières se modifier, la psychologie voit les siennes se bâtir.
Celui qui travaille se situe à l’interface entre l’individuel et
le collectif et doit s’inscrire « dans une histoire qui n’est
692
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L’Information psychiatrique • vol. 92, n ◦ 8, octobre 2016
© John Libbey Eurotext, 2016
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