La politique La fin de l'Etat Michel Nodé-Langlois.doc
© Michel Nodé-Langlois – Philopsis 2007 4
dans une cité quelconque de droit au souverain que dans la mesure où, par la
puissance, il l’emporte sur eux ; c’est la continuation de l’état de nature »11.
La conception sécuritaire de l’État a ainsi pour conséquence que « le
souverain n’est tenu par aucune loi et que tous lui doivent obéissance pour
tout »12.
Rousseau a vu que par là se trouvait « réellement établi en principe »
un « droit du plus fort (...) pris ironiquement en apparence »13, qui lui
apparaissait comme une contradiction dans les termes, et ne pourrait de ce
fait aucunement constituer la motivation d’une institution et d’une
obéissance volontaires : car « céder à la force est un acte de nécessité, non de
volonté »14. Rousseau trouvait chez Hobbes et Spinoza une absurdité déjà
dénoncée par Aristote15, qui revient à fonder la légitimité de l’État en général
sur ce qui est le principe du plus arbitraire des régimes : la tyrannie. Or cette
contradiction provient en fait de ce que Hobbes a été infidèle à sa propre
méthode. Comme tous « les philosophes qui ont examiné les fondements de
la société », il a « senti la nécessité de remonter jusqu’à l’état de nature »,
mais il a commis la même faute qu’eux : « ils parlaient de l’homme sauvage,
et ils peignaient l’homme civil »16. L’état supposé d’indépendance naturelle
ne saurait suffire à mettre les hommes en concurrence, que seule la
comparaison mutuelle, résultant de la vie sociale, induit. Pour trouver une
nécessité à l’État civil à partir de l’état de nature, il faut admettre que celui-
ci est devenu invivable à la suite de transformations accidentelles qui ont
contraint les hommes à s’unir pour vaincre les résistances de la nature17. La
fin reconnue à l’État est alors plutôt économique que sécuritaire, la nécessité
de juguler les violences mutuelles ne devant apparaître qu’une fois que la
« société commencée »18 a produit les premières formes de corruption
culturelle de la nature humaine. Ce changement de finalité explique que
Rousseau substitue au pacte unilatéral de soumission de la théorie
hobbésienne, un contrat réciproque d’association, par lequel un peuple
s’institue en tant que peuple avant de pouvoir par là-même attribuer à
certains la charge d’exercer le pouvoir exécutif ou coercitif au sein de la
communauté, ce qu’Aristote appelait : les magistratures. Rousseau pense
ainsi accomplir l’effort de la pensée politique moderne pour fonder l’État sur
la liberté : il ne s’agit plus pour lui seulement que chacun puisse vivre libéré
de toute crainte, mais avant tout de concevoir que l’institution de la
communauté politique soit fondée sur la volonté individuelle, le
consentement personnel de ses membres. Alors seulement l’on peut parler
d’une communauté volontaire, organisée suivant une « volonté générale »
11 Id., Lettre L, GF p.283.
12 Spinoza, Traité théologico-politique, ch. XVI, GF p.266.
13 Rousseau, Du Contrat social, Livre I, ch. 3.
14 Ibid.
15 Voir : Aristote, Politique, III, 10.
16 Rousseau, Discours sur l'Inégalité, Introduction (in Œuvres complètes, éd. de la
Pléiade, t. III, p.132).
17 Voir : Id., Du Contrat social, Livre I, ch. 6.
18 Id., Discours sur l'Inégalité, 2ème partie, Pléiade p.170.