Il y a un contraste saisissant entre ce destin de désordre et cette œuvre de
mesure. S'il avait écrit comme il vivait, Pouchkine eût été un poète romantique,
inégal dans son inspiration. S'il avait vécu comme il écrivait, il eût été un homme
pondéré, sensible et heureux. Il n'a été ni l'un ni l'autre, il a été Pouchkine. Sa
pensée, contrairement à celle de Dostoïevski, de Tchékhov, de Gogol, ou de
Tourgueniev, est tonifiante. Sa conception de l'existence rappelle les maîtres de la
Renaissance. Pouchkine aimait la vie, avec fureur, avec imprudence.
II .POUCHKINE ET LA LITTÉRATURE RUSSE
« Je vous jure sur mon honneur que pour rien au monde je n’aurais
voulu changer de patrie, ni avoir d’autre histoire que celle de nos
ancêtres, telle que Dieu nous l’a donnée. »
Lettre de A. Pouchkine chez A. Tchaadaev (philosophe russe 1831)
La littérature Russe du XlXème
siècle à la différence de la
musique est déjà une réalité,
même si elle est profondément
marquée par les influences
étrangères, particulièrement par
le rationalisme français du « siècle des lumières ». Pouchkine créera un univers
littéraire purement russe avec le roman en vers Eugène Onéguine, né en plein
romantisme. Sa grande originalité a été de savoir s’inspirer des modèles formels
du classicisme français pour y insuffler les idéaux romantiques de la société de
son temps. En littérature déjà, classicisme et romantisme russes sont
indissociables, il est le premier grand poète européen qui établit dans son pays les
thèmes de la littérature universelle.
Dans la société russe de l’époque, la langue « polie », noble, était le français ;
nombre d’aristocrates considéraient leur propre langue avec dédain, comme
barbare et paysanne. Presque à lui seul, Pouchkine a changé cela. Cette situation
se trouve reflétée dans le texte même d’Eugène Onéguine : la célèbre lettre de
Tatiana à Onéguine, selon Pouchkine, avait été écrite en
français ; il a du la « traduire ». « Tatiana connaissait mal la
langue russe, ne lisait pas nos journaux… Elle écrivit donc en
français. Que faire ? je ne peux que répéter que jusqu’à
présent l’amour féminin ne s’exprimait pas en russe. J’ai
entendu dire qu’on va forcer nos dames d’apprendre à lire le
russe. Imaginez-vous cela ! »