P.J. le critique musical des C.C.E. nous livre ses impressions sur le

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Le 23ième Concours International de Piano d'Épinal.
Une finale triomphale pour TCHAÏKOVSKI et le coréen DA SOL KIM.
Après une semaine riche en émotions musicales et printanières, le 23ième Concours
International de Piano d'Épinal (C.I.P.E.) a trouvé sa conclusion, en ce dimanche d'élections
cantonales françaises. La finale, c'est-à-dire l'ultime épreuve et non le concert de clôture, s'est
déroulée dans l'auditorium de la Louvière, avec en lice, les quatre finalistes qui ont eu le
privilège de répéter in situ, le fameux concerto de leur choix. Pour la première fois de son
histoire, le concours spinalien a eu la surprise de voir sortir de la boîte de PANDORE
musicale, quatre fois le même concerto, à savoir le premier en si bémol majeur, opus 23, de
P.I. Tchaïkovski. Naguère, un orchestre régional impréparé avait dû surmonter le handicap de
trois concertos en sol de Ravel. Personne n'aurait osé imaginer que Tchaïkovski signerait un
quarté international !
Préparer cinq concerti, avec le risque qu'un seul sera choisi par les finalistes, voilà une
éventualité que de nombreux orchestres français récusent. Il a donc fallu que les
organisateurs spinaliens aillent dénicher, in extremis, un orchestre étranger. En l'occurrence,
ce fut l'orchestre de la ville de Bratislava qui sauva l'honneur. Un ensemble de bonne tenue,
emmené par Christian BENDA, un chef de haute stature, déployant une gestique romantique
aérienne. Mais nul ne s'attendait à œuvrer pour quatre Tchaïkovski. Pas même le grand
"Steinway" de concert qui avait mal absorbé au cours de la semaine, les assauts des chevaux
de bataille de LISZT, SCRIABINE, et autres PROKOFIEV. Quatre Tchaïkovski enfilés en
brochette ! L'overdose. On conçoit que l'auditoire ait manifesté quelque surprise !
Quelle interprétation choisir ?
Depuis l'apparition du vinyle et du compact, l'abondante discographie est révélatrice de
l'engouement des mélomanes pour ce premier concerto de TCHAÏKOVSKI (le deuxième,
Opus 44, n'étant jamais passé pour un chef-d'œuvre). Or, ce premier opus 23 a été souvent
victime de tous les stéréotypes des modes du jour. L'éventail des interprétations a été et reste
largement ouvert. Selon que l'auditeur se laisse éblouir par l'arc triomphaliste, dressé par les
architectes-pianistes, serviteurs de la grandeur et de la majesté hautaine.
Ou selon que d'autres auditeurs préfèrent une option antithéâtrale, privilégiant des éclairages
plus intimes, voire plus poétiques ou plus spécifiquement russes.
Que choisir ? Dans une finale de concours, il est logique de juger un concurrent sur sa
technique du clavier, sur la précision de ses attaques, sur la qualité de l'osmose, plus ou
moins bien balancée, avec l'orchestre et son chef, sur le choix des tempi subis ou imposés
par le soliste. Le concours spinalien, à son corps défendant, a mis en lumière les diverses
conceptions dans l'art de bétonner ce monument, générateur d'écarts dynamiques contrastés.
Premier à essuyer les plâtres, le russe Andreï DUBOV a eu quelques peines à s'imposer au
contact d'un orchestre un rien timide, pas encore adapté à la température de la salle. Lui
aussi, très prudent, le jeune russe a attendu le moment de la cadence du premier mouvement
pour s'exprimer pleinement. Mais il semble n'avoir pas trouvé le meilleur tempo dans le
troisième mouvement. Pourtant, quelques jours plus tôt, en demi-finale, il avait impressionné
avec un PETROUCHKA satanique et un SCARBO très expressionniste.
Le coréen Da Sol KIM a immédiatement modifié l'atmosphère en menant l'orchestre à
grandes guides avec d'excellentes et promptes attaques, un deuxième mouvement lent très
nuancé, en osmose avec la flûte et le cello. En accentuant, in fine, la dynamique russe du
dernier mouvement. Bref, une personnalité ayant déjà une grande pratique des concours
(sixième au concours reine Élisabeth de Belgique en 2010). Il a franchi sa semaine avec une
grande régularité et il s'était imposé, sans conteste, dès les premières éliminatoires (et déjà
avec les "variations" de DUTILLEUX et un magnifique "Gaspard de la nuit").
Le japonais Akihito OKUDA s'était acquis la sympathie du public pendant une semaine
marquée, par exemple, par une belle version de " ONDINE" et par un "CARNAVAL" de
SCHUMANN très coloré. Il a conduit son TCHAÏKOVSKI avec beaucoup de rigueur, un doigté
souple, une attention soutenue. Malheureusement, dans le troisième mouvement, une grappe
d'accords lui a échappé des mains. Il s'est assez vite rétabli, mais l'incident a un peu
démotivé l'orchestre qui n'a pas pu freiner un regrettable cafouillage.
Dès son entrée solennelle, avec des accords somptueux, on a pensé un instant que la seule
jeune femme du quatuor, la coréenne Yoon So RHEE, allait creuser l'écart avec ses
prédécesseurs. En dépit d'un adagio élégiaque, rêveur, très féminin, la demoiselle de vert
vêtue, s'est un peu dispersée dans le moment final face à un orchestre réchauffé qui était en
pleine forme. Mais le parcours de la jeune femme avait été très inégal avant de franchir la
barrière des demi-finales.
Les demi-finalistes n'ont pas démérité.
Selon la tradition, les quatre demi-finalistes ont donné une mini-audition, à l'entracte de la
finale.
Mlle Arta ARNICANE (Lettonie) a redonné une interprétation des "Sept Haïku" du compositeur
invité Thierry Huillet. Celui-ci avait jugé que la version de Mlle ARNICANE était la plus proche
de son idée première. L'œuvre a été accompagnée du texte des poèmes japonais, ce qui a
beaucoup contribué à la compréhension de la démarche du compositeur.
Mlle Yedam KIM a repris une longue page très appréciée lors de son premier passage : " La
Valse " de Maurice Ravel.
Le coréen Jinho MOON a redonné " l'Intermezzo " de Francis POULENC et l'étude numéro 6
sur un thème Paganini de LISZT.
Enfin M. Jong-HO-WON a repris, avec légèreté, la sonate N° 9 de Mozart et, par contraste, la
sonate de SCRIABINE Opus 8/12
Merci les Vosgiens.
Avant proclamation du palmarès, Mme Akiko EBI , présidente du jury, a tenu à féliciter tous
les concurrents, et, plus particulièrement, les finalistes, ne celant rien des réalités de la
carrière naissante qu'ils vont embrasser. Il leur faudra, a-t-elle dit, assumer beaucoup de
travail, de courage et d'abnégation pour devenir des pianistes internationaux.
De son côté, le président Jacques GRASSER, dans son allocution finale, a remercié les
sponsors institutionnels et privés, a surtout félicité les familles spinaliennes qui ont pris une
grande part au succès du concours. De même, il a remercié les souscripteurs qui sont venus
en nombre soutenir les finances du concours pour contribuer à la pérennité de celui-ci.
Un seul regret. Qu'aucun concurrent français, malheureusement, ne figure au palmarès du
23ième concours. Une amère constatation qui perdure depuis la création de ce concours,
souvent mieux connu et plus prisé à l'étranger qu'en France.
P.J.
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