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Opéra
Dossier pédagogique
Saison 2017 - 2018
Contact : Hervé Petit • tél + 33 (0)3 68 98 75 23 • courriel : [email protected]
Opéra national du Rhin • 19 place Broglie
BP 80 320 • 67008 Strasbourg
En deux mots
Onéguine, poète et voisin des Larina déclenche en Tatiana un
sentiment nouveau, l’amour. Lui, oisif, et solitaire se rend compte
bien trop tard de la préciosité de cet aveu dont elle lui fait part.
Adapté du roman de Pouchkine, ce drame lyrique révèle avec
force et fragilité, un univers mélancolique accordé à la musique
poignante de Tchaïkovski.
® plainpicture_Kniel Synnatzschke
du rhin
opéra d'europe
operanationaldurhin.eu
EUGENE ONEGUINE
Piotr Ilitch Tchaïkovski
Scènes lyriques en trois actes et sept tableaux
Livret du compositeur et de Constantin Chilovski
d’après Alexandre Pouchkine
Créé le 29 mars 1879 à Moscou
[ Nouvelle production ]
STRASBOURG Opéra
sa 16 juin 20 h
lu 18 juin 20 h
me 20 juin 20 h
ve 22 juin 20 h
di 24 juin 17 h
ma 26 juin 20 h
MULHOUSE La Filature
me 4 juillet 20 h
ve 6 juillet 20 h
ScÈne ouverte
Rencontre à la librairie Kléber,
entrée libre
ve 15 juin 18 h
Direction musicale Marko Letonja
Mise en scène Frederic Wake-Walker
Décors et costumes Jamie Vartan
Lumières Fabiana Piccioli
Eugène Onéguine Bogdan Baciu
Tatiana Ekaterina Morozova
Olga Marina Viotti
Lenski Liparit Avetisyan
Prince Grémine Mikhail Kazakov
Mme Larina Doris Lamprecht
Filipievna, la nourrice Marjana Lipovšek
Monsieur Triquet Gilles Ragon
Zaretski Dionysios Tsaousidis
Chœurs de l’Opéra national du Rhin
Orchestre philharmonique de Strasbourg
En langue russe,
surtitrages en français et en allemand
Durée approximative : 2 h 45 - entracte compris
Conseillé à partir de 12 ans
2 • Dossier pédagogique • Saison 17-18
Argument
Une drame lyrique poignant
Acte I
Larina est une riche propriétaire, elle est la mère d’Olga et de Tatiana. Le prince Lenski, fou d’Olga, décide de
leur rendre visite accompagné de son voisin Eugène Onéguine, homme séduisant et élégant. Tatiana, de nature
très sensible, succombe immédiatement au charme d’Eugène Onéguine et prend l’initiative de lui déclarer son
amour par l’intermédiaire d’une lettre. Après lecture de celle-ci, Eugène Onéguine ne montre pas plus d’intérêt
pour Tatiana et se dévoile de caractère inconstant et contre le mariage.
Acte II
Lenski convie son ami Eugène Onéguine au bal organisé pour l’anniversaire de Tatiana. Mais Eugène Onéguine
s’ennuie et décide de courtiser Olga. C’est une manière pour lui de se venger de cette invitation auprès de
Lenski. Cependant Lenski ne le prend pas sur le ton de la plaisanterie et l’entraîne dans un duel armé. Eugène
Onéguine tue Lenski et se voit obligé de quitter la ville.
Acte III
Eugène est de retour à Saint-Pétersbourg. Son voyage lui a permis de mûrir et de réfléchir aux erreurs commises
dans le passé. Il revoit Tatiana lors d’un somptueux bal. Elle est aujourd’hui mariée avec le prince Grémine, qui
l’aime d’un amour suprême. Cet argument ne parvient pas à l’empêcher de déclarer sa flamme à Tatiana et de
lui avouer ses regrets quant aux paroles dites dans le passé. Mais Tatiana a juré fidélité.
Onéguine et Tatiana, illustration d’Elena Samokich-Soudkovskaïa, 1908
Dossier pédagogique • Saison 17-18 • 3
À propos de...
Piotr Ilitch Tchaïkovski
Compositeur
Né en 1840 à Votkinski dans l’Oural, il abandonne en 1863 une carrière de juriste
pour entrer au Conservatoire de Saint-Pétersbourg et suivre les cours de piano
d’Anton Rubinstein. De 1866 à 1877, il est professeur de théorie au Conservatoire
de Moscou, et peut s’adonner librement à la création grâce à une rente annuelle
que lui donne Nadejda von Menck, puis grâce à une solde d’honneur accordée par
le Tsar. La mort de sa mère, en 1854, l’affecte beaucoup et fait de lui un homme
au caractère sensible et pessimiste, d’un tempérament fort et d’une mélancolie
profonde. Il voit dans Mozart son idéal. Ami de Rimski-Korsakov et de Mili Balakirev, Tchaïkovski s’inspire de
la culture musicale romantique de l’Occident et de la musique folklorique russe.
En 1877, il crée Le Lac des cygnes, mais c’est un échec. Puis, il entreprend l’écriture d’Eugène Onéguine sur un
texte de Pouchkine (1799-1837), c’est un succès. Il est alors acclamé dans le monde entier pour ses symphonies et
notamment pour ses concertos. En revanche ses nouveaux opéras (Mazeppa, La Pucelle d’Orléans) n’accèdent
pas au même succès. Pouchkine l’inspire et c’est avec La Dame de Pique qu’il compose son meilleur opéra. A
La Dame de Pique succèdent ses ballets : La Belle au bois dormant et Casse-noisette chorégraphiés par Marius
Petipa. C’est en 1893 que la Russie perd un de ses plus grands compositeurs, celui qui a ouvert la musique russe
à l’Occident.
>> Quelques œuvres majeures de Tchaïkovski
Fatum, poème symphonique op.77, 1868
Ouverture 1812 op.49, 1880
Roméo et Juliette, ouverture fantaisie, 1869
Manfred op.58, 1885
Concerto pour piano n°1 op.23, 1875
Symphonie n°5 op.64, 1888
Le Lac des cygnes op.20, 1875-76
La Belle au bois dormant op.66, 1888-89
Eugène Onéguine, 1877-78
La Dame de pique op.68, 1890
Symphonie n°4 op.36, 1877-78
Casse - noisette op.71, 1891-92
Concerto pour violon op.35, 1878
Symphonie n°6 op.74 « Pathétique », 1893
Alexandre Pouchkine
Auteur
Alexandre Pouchkine naît à Moscou en 1799 et meurt à Saint-Pétersbourg en 1837.
Poète, romancier et auteur dramatique russe, issu d’une noblesse très ancienne
par son père, Pouchkine entre au lycée impérial de Tsarskoïe Selo en 1811. Il
publie ses premiers vers signés d’une anagramme dans le Messager de l’Europe,
en 1814. Sa réputation de poète est déjà établie lorsqu’il quitte le lycée en 1817.
Attaché aux affaires étrangères, il fréquente alors l’Arzamas, cercle littéraire et
révolutionnaire analogue au Cénacle romantique, dont il devient rapidement le
chef. Il mène une vie de désordre et de dissipation, qui lui vaut d’être exilé puis
réhabilité. Il est de ceux qui ont fixé la langue littéraire russe, et on compte parmi ses nombreux ouvrages plus
ou moins polémiques, des œuvres telles que Eugène Onéguine en 1821, Le Cavalier de bronze en 1833, La
Dame de Pique en 1834 ou encore La Fille du capitaine en 1836.
4 • Dossier pédagogique • Saison 17-18
Autour de l’œuvre
La genèse de l’œuvre
Un grand nombre de lettres, dans la correspondance abondante de Tchaïkovski, parle d’Eugène Onéguine, et
permet de mieux comprendre les circonstances d’écriture de son quatrième opéra, ainsi que les problèmes
rencontrés par le compositeur durant sa création. « Je vais écrire un charmant opéra, qui sera le parfait reflet de
mon caractère musical. Tu seras très surpris lorsque je t’en aurai dit le titre. (...) Cet opéra sera Eugène Onéguine. Il
explique ensuite que ce fut une de ses amies qui lui conseilla le sujet, qui parut au compositeur dans un premier
temps absurde. Mais en y repensant, il se mit à apprécier ce thème, et la lecture de l’œuvre de Pouchkine, qui
était alors déjà considérée comme un classique de la littérature russe, acheva de le convaincre.
La composition d’Eugène Onéguine, entre mai 1877 et janvier 1878, fut assez mouvementée. Le travail sur la
partition fut interrompu par le mariage du compositeur avec Antonina Milioukova, le 6 juillet 1877, et par la
tentative, ou simulacre, de suicide qui en résulta. L’œuvre fut écrite, malgré ces crises, dans la solitude de la
campagne russe et au cours d’un voyage en Suisse et en Italie.
L’œuvre de Pouchkine : une œuvre résolument russe
Eugène Onéguine est une œuvre résolument russe. Mais au-delà de cette forte coloration, elle traite de sujets
universels. On assiste ainsi au parcours initiatique d’un individu pour parvenir à sa capacité d’aimer. Une
grande solitude enveloppe les différents personnages qui cherchent la voie, en quête d’absolu.
« Pouchkine avait prévu initialement un “poème satirique” conçu à la manière des grands poèmes de Lord
Byron, qui devait comporter trois fois trois chants. Les titres devaient en être les suivants : 1. Le spleen ; 2. Le
poète ; 3. La demoiselle ; 4. Le village ; 5. La fête de Tatiana ; 6. Le duel ; 7. Moscou ; 8. Errance ; 9. Le grand
monde. On peut noter d’ores et déjà deux premiers termes qui marquent l’œuvre : le spleen, mal dont souffre
Eugène Onéguine et le poète, que le même Onéguine n’est pas, Pouchkine le souligne à maintes reprises. Or, aux
quatre protagonistes de l’ouvrage, Onéguine/Lenski et Tatiana/Olga, il convient d’ajouter un cinquième et qui
n’est pas le moindre, le poète (le véritable poète, contrairement au touchant Lenski), Pouchkine lui-même qui
apparaît ainsi dans son œuvre avec un rôle triple : auteur, narrateur et personnage.
Extrait d’un article de Sonia Philonenko, programme de l’opéra Eugène Onéguine, Opéra national du Rhin saison 2002-2003, Bleu nuit éditeur
Onéguine, illustration d’Elena Samokich-Soudkovskaïa, 1908
Dossier pédagogique • Saison 17-18 • 5
Ressemblances
Eugène Onéguine est tragiquement prémonitoire pour Pouchkine, qui est lui-même mort lors d’un duel contre
un prétendant de sa femme, tel Lenski contre Onéguine.
Par ailleurs, à l’époque où Tchaïkovski travaillait à cet opéra, il reçut une déclaration passionnée de la part d’une
jeune fille, Antonina Milioukova, rencontrée à Moscou quand il enseignait au Conservatoire. Il était fermement
décidé à ne pas agir comme le personnage d’Eugène Onéguine qu’il n’aimait pas, le décrivant comme un
« freluquet froid et sans cœur ». Il prit alors la fatale décision d’épouser en 1877 cette femme dont il n’était pas
amoureux. Le résultat fut désastreux. Le compositeur, qui était homosexuel, eut une grave dépression nerveuse.
Ses médecins insistèrent ensuite pour qu’il rompît ce mariage.
Ainsi, on a souvent souligné le caractère autobiographique de cette œuvre, Tchaïkovski ayant toujours eu des
relations difficiles avec les femmes. Il n’a d’ailleurs pas échappé à certains biographes, ni au couple TchaïkovskiMilioukova lui-même, combien l’intrigue ressemblait à leur vie. Milioukova écrivait que l’œuvre était « un
opéra qui parle de nous », elle qui comme Tatiana sollicitait de Tchaïkovski le mariage.
Onéguine, tel un double lyrique du compositeur, est probablement le personnage principal d’un opéra reflet des
impasses surgissant en tout amour. Préfiguration des inhibitions du compositeur, il traduit le drame intérieur
qui l’anime et peu à peu le détruit.
Le duel au pistolet entre Onéguine et Lenski
6 • Dossier pédagogique • Saison 17-18
Un amour mal synchronisé
« Ces quatre mots seraient suffisants pour résumer l’argument d’Eugène Onéguine. Exprimer l’impossibilité de
l‘amour à travers la fatalité absurde de sa non synchronisation – avant c’était trop tôt, désormais c’est trop tard
– et les barrières des conventions sociales, telle est la finalité de cet ouvrage dont la force communicative tient à
parts égales au raffinement de son invention lyrique et à sa vérité humaine. »
Extrait de Perroux (A.), L’Opéra, mode d’emploi, Paris, l’Avant-scène opéra : Ed. Premières loges, 2000
La distance entre les personnages, du fait d’un amour impossible, se traduit dans les tessitures choisies par le
compositeur : « Pour mettre en évidence la distance entre les personnages, Tchaïkovski a intentionnellement
choisi de réunir en couples d’amours impossibles les tessitures opposées : la voix féminine la plus grave (Olga)
avec la voix masculine la plus aiguë (Lenski) ; la soprano, voix féminine la plus aiguë (Tatiana) avec le barytonbasse et la basse (Onéguine et Grémine). Vocalement, de telles combinaisons ne fonctionnent pas et on se
demande quel sentiment amoureux peut lier de telles voix. On s’aperçoit ainsi, par exemple, que Lenski est
amoureux d’un idéal, mais la concrétisation de cet amour est impossible. »
Extrait d’un entretien avec Marco Arturo Marelli, programme de l’opéra Eugène Onéguine, Opéra national du Rhin saison 2002-2003, Bleu nuit éditeur
Tatiana, véritable héroïne de l’œuvre
Sacralisée par Pouchkine, adulée par Tchaïkovski, Tatiana semble être, aussi bien dans le poème qu’au sein
de l’opéra, le personnage le plus intéressant et porteur de sens. En effet, son amour obsessionnel à l’égard
d’Onéguine et la grandeur de son renoncement ont fait d’elle, selon Dostoïevski, la plus haute représentation
de la femme russe, et il semble que ce soit elle, l’héroïne aux confins du silence, qui ait le plus inspiré les deux
artistes au détriment d’Onéguine, dont les deux œuvres portent malgré tout le nom.
« … Elle surmonte cette émotion intense qui est la sienne à travers Onéguine et qui est déjà initialement ébauchée
par la musique. Cela aide Tatiana à surmonter cette maladie engendrée par Onéguine et à devenir une femme
accomplie et sereine. Elle y trouve la paix dans ce qui dépasse le simple accomplissement d’un rêve personnel.
Elle se comporte comme une sainte, épouse un homme plus âgé et socialement établi. »
Extrait d’un entretien avec Marco Arturo Marelli, programme de l’opéra Eugène Onéguine, Opéra national du Rhin saison 2002-2003, Bleu nuit éditeur
Onéguine et Tatiana, illustration d’Elena Samokich-Soudkovskaïa, 1908
Dossier pédagogique • Saison 17-18 • 7
La production
MARKO LETONJA
Directeur musical
Marko Letonja dirige l’OPS pour la première fois en 2006 dans une série de concerts
autour de Moussorgski et Chostakovitch. Il le retrouve aussi régulièrement
dans la fosse de l’OnR notamment en 2011 pour Götterdämmerung de Wagner
récompensé par le prix de la critique). Marko Letonja devient Directeur musical
et artistique de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg en 2012. Sa forte
implication auprès de l’OPS ne l’empêche pas de mener une intense carrière
de chef invité, dans le domaine lyrique (Opéras de Genève, de Stockholm et de
by Sean Fennessy
Vienne) et symphonique (Berlin, Brème, Essen, Mozarteum de Salzburg) tout en
poursuivant des collaborations privilégiées avec des orchestres australiens, particulièrement le Tasmanian
Symphony. Avec l’OPS, il mène un travail exigeant pour entretenir la renommée de l’ensemble et développer
encore son identité sonore si particulière, où se mêlent traditions française et germanique. Quelques exemples
de concerts à succès attestent de la reconnaissance de ce travail tant par le public que par les critiques : Le
Sacre du printemps de Stravinski associé au Concerto pour violon de Beethoven avec Isabelle Faust (2013) ; la
7e Symphonie de Beethoven jouée au Musikverein de Vienne et encensée par la presse autrichienne (2014) ; Le
Château de Barbe-Bleue de Bartók avec Nina Stemme et Franz Hawlata (2014) ; les concerts de Strasbourg et
Cologne avec le violoncelliste-phénomène Misha Maïsky (avril 2015) ; ou plus récemment un concert passionné
alliant le Concerto de Gershwin avec Jean Yves Thibaudet et Roméo et Juliette de Prokofieff (2016).
Frederic Wake-Walker
Metteur en scène
Directeur artistique du Mahogany Opera Group, il réalise le Mica Project Berlin
travaille régulièrement pour la compagnie d’opéra pour enfants Jubilee Opera. Il
a mis en scène notamment Les Paraboles d’église de Britten à Saint-Pétersbourg et
aux festivals d’Aldeburgh et de Buxton, Jephtha de Händel au festival de Buxton,
Renard de Stravinsky avec Vladimir Jurowski au Konzerthaus de Berlin, The
Yellow Sofa de Julian Philips au Glyndebourne on Tour, Bow Down de Birtwistle
pour The Opera Group. Il a signé des mises en scènes également au Scottish Opera,
à la Monnaie de Bruxelles, à Opera North et à Oviedo. Avec Mahogany Opera il a réalisé et mis en scène Renard
de Stravinsky et The Bear de Walton, Curlew River de Britten et Laborintus II de Berio. Avec Jubilee Opera il
a mis en scène Noye’s Fludde, Let’s Make an Opera et Hip Hip Oratio ! Ses engagements récents comprennent
La Finta Giardiniera au festival de Glyndebourne, Gloria – A Pigtale de Gruber présenté au Covent Garden et
aux festivals de Bregenz et de Buxton, Brundibar de Hans Krasa en tournée au Royaume-Uni. Ses engagements
présents et à venir comptent Le Nozze di Figaro à la Scala de Milan et la création mondiale de The Mother avec
Mahogany Opera.
8 • Dossier pédagogique • Saison 17-18
Élements d’analyse
L’Opéra russe
La société de Russie s’est ouverte assez tard à la modernité, sous l’influence de l’Europe occidentale. Elle conserve
des traces de féodalité récente dans son organisation sociale (le servage a été aboli en 1861). Très vite la musique
russe a impressionné par son originalité et ses qualités. Le XIXe siècle a vu apparaître de grands compositeurs,
Tchaïkovski et Moussorgski pour parler des plus célèbres. Ils ont forgé l’identité de la musique russe, lui ont
donné ses fondations. Elle est depuis associée à ses grandes voix de basse, ses chœurs populaires vibrants et ses
sonorités qui mêlent la brutalité « barbare », le grotesque, à la volupté lyrique des voix et des orchestrations
somptueuses. Les compositeurs russes se sont illustrés sur la scène, en tout premier lieu grâce aux musiques de
ballet. L’opéra n’est pas en reste.
Du poème à l’opéra : l’adaptation de Tchaïkovski
L’adaptation lyrique du poème de Pouchkine par Tchaïkovski est composée de trois actes et sept tableaux ;
elle est découpée en « scènes lyriques ». La structure est assez simple au demeurant et plutôt statique. Mais la
musique est merveilleuse, empreinte de tristesse et de mélancolie, avec des reflets de nationalisme russe dans
les chœurs.
« Ces « scènes lyriques » retrouvent l’épure passionnée du roman de Pouchkine qui les a inspirées. Découpant
l’histoire très simplement et laissant aux ellipses le soin de parler, l’opéra regorge d’une musique dont les
élans disent à la perfection la naïve passion de la jeune Tatiana puis son mûrissement désabusé, le cynisme
condescendant d’Onéguine puis son ébranlement impétueux, la tendresse de Lenski et sa mort dérisoire. »
Extrait de Perroux (A.), L’Opéra, mode d’emploi, Paris, « l’Avant-scène opéra » : Ed. Premières loges, 2000
S’il y avait quelque intention sociale dans le poème de Pouchkine, seule intéressait Tchaïkovski la tragique
discordance dans le temps de l’aveu des deux amants. En effet, tous les héros des opéras de Tchaïkovski sont des
victimes du « fatum » : la fatalité les entraîne vers la ruine et la destruction alors que leur bonheur semble assuré.
Par ailleurs, long et truffé de réflexions, souvent ironiques, le poème de Pouchkine était tout à fait inadapté à un
livret d’opéra. Le travail de Tchaïkovski a donc été primordial.
On a reproché à Tchaïkovski, qui a des dons de versification, d’avoir trahi Pouchkine et d’avoir écrit un opéra
« non scénique ». Les libertés prises par rapport à l’original sont en effet grandes mais les passages psychologiques
(lettre de Tatiana, monologue d’Onéguine, air de Lenski) sont intégralement repris du poème de Pouchkine.
Les autres scènes ont été complètement remaniées. Malgré ces changements de perspectives, le compositeur a
préservé l’esprit du grand récit poétique de Pouchkine. Eugène Onéguine est une œuvre sans « effets de théâtre »,
une chronique intime orientée vers la vie intérieure des personnages.
Tchaïkovski dira : « Il ne me faut pas de tsars, de tsarines, d’émeutes populaires, de marches, en un mot de tous
les attributs du Grand Opéra. Je cherche un drame intime, mais puissant, fondé sur le conflit des situations que
j’ai éprouvées et qui sont capables de m’émouvoir vivement. » Il écrira aussi à un de ses amis : « Tu auras du mal
à croire à quel point je suis enthousiasmé par ce sujet. Je suis tellement heureux de me débarrasser de toutes ces
princesses éthiopiennes, de ces pharaons, de toute cette emphase. Eugène Onéguine est d’une poésie infinie. (...)
Peu importe que mon opéra soit peu scénique et manque d’action. La poésie de l’ensemble, l’aspect humain et
la simplicité du sujet, servis par un texte génial, compensent largement ces défauts. »
Tchaïkovski ayant eu la possibilité de voyager à travers le monde, sa musique est marquée par l’art lyrique
français, italien et allemand, on dit d’ailleurs de lui qu’il est le plus occidental de tous les compositeurs russes.
Mais l’esprit de l’ouvrage est profondément national par son sujet.
Le thème du duel à l’opéra
Les modalités d’un duel au XIXe siècle :
Au cours du XVIIIe et XIXe siècle, les modalités du duel deviennent de plus en plus précises et donnent lieu à
des codifications (voir également Zaretski, le témoin de Lenski dans la scène du duel). Les codes les plus connus
sont le « Code Duello » irlandais de 1777, l’« Essai sur le duel » du Comte de Chateauvillard de 1836 et le « DuellCodex » de 1891, écrit par l’officier autrichien Gustav Hergsell.
À l’origine d’un duel il y avait toujours l’offense de l’honneur masculin : l’agression physique ou verbale
de l’homme ou l’offense de ses proches, surtout la sœur, la mère ou la fiancée. L’offensé lançait le duel soit
personnellement soit par le biais de son témoin, qui négociait également les modalités du duel avec le témoin
de l’offenseur. Les armes utilisées le plus souvent pour les duels étaient l’épée et le pistolet.
Étant donné qu’il était officiellement interdit de régler les différends entre deux hommes de telle façon, les
duels avaient lieu tôt le matin à des endroits secrets et isolés. Les modalités, telles que le nombre de coups de
feu à donner ou les pas qui séparaient les duellistes, dépendaient de la gravité de l’offense.
Au XIXe siècle, environ 25% des nobles avaient combattu au moins une fois dans leur vie un duel. On peut citer,
parmi les hommes célèbres morts en duel, le politicien américain Alexander Hamilton (1804), le mathématicien
français Evariste Galois (1832), le politicien allemand Ferdinand Lassalle (1864) et le poète russe Alexandre
Pouchkine (1837). Le plus grand poète russe allait rencontrer la même mort que Lenski dans Eugène Onéguine
quelques années plus tard. Le motif pour lequel il avait provoqué son adversaire, le français Georges d’Antès,
était analogue à celui qui a causé l’incident entre Lenski et Onéguine : d’Antès avait ouvertement poursuivi de
ses assiduités l’épouse de Pouchkine.
Ilya Repin, Le duel entre Onéguine et Lenski, Place Igor-Stravinsky, 1899
Aquarelle, Pushkin Museum
Prolongements
>> Art du son
• Chanter la romance française du personnage de Triquet complimentant Tatiana
« À cette fête conviés » (voir partition jointe)
• Fils conducteurs : mélodies récurrentes (thèmes) attribuées aux personnages ou évoquant des idées à identifier
lors d’écoute ou en répérage
• Le prélude orchestral et le thème de Tatiana
• « Peinture musicale » des personnages principaux (entre autres celle de Lenski), des mélodies mélancoliques
accompagnées par une famille d’instruments spécifiques : les vents
• Structure de l’œuvre : elle est organisée en numéros séparés comprenant des airs, des duos, des ensembles, des
récitatifs (noter leurs accents mélancoliques)
• Écoutes comparatives : scènes de duels à l’opéra
par exemple : Carmen de Bizet, Don Giovanni de Mozart
• Découvrir ou reconnaître d’autres œuvres de Tchaïkovski dont ses célèbres musiques de ballet
• La musique populaire russe, chants et danses : comparaison avec d’autres compositeurs russes contemporains
ou pas de Tchaïkowski
>> Arts du langage
• Un opéra en langue russe
• Le réalisme sentimental : rendez-vous amoureux manqué, trahison et désenchantement
• Des personnages principaux jeunes, proches de l’adolescence
• Dandys célèbres de la littérature romantique
• Sept tableaux organisés autour des sentiments et des émotions des protagonistes
• À partir de la scène des lettres : comment l’action se concentre autour du personnage de Tatiana dans l’ensemble
de l’opéra
• Alexandre Pouchkine, la littérature et l’opéra, son écriture entre traditions russe et formes occidentales (La
dame de pique de Tchaïkovski, Boris Godounov de Moussorgski, Le coq d’or de Rimski-Korsakov par exemple)
>> Histoire et géographie
Une idée de la Russie au XIXe siècle, notamment vers 1879
>> Arts du visuel
• Tableau Le duel d’Eugène Onéguine et Vladimir Lenski par Ilya Repine
• Cinéma et beaux-arts : scènes de duels
• Les œuvres célèbres du musée de l’Ermitage
>> Arts de l’espace
• Saint-Pétersbourg et ses monuments
Dossier pédagogique • Saison 17-18 • 11
>> PEAC, EPI, histoire des arts
Français (littérature et théâtre), cours de langues et langue des signes, éducation musicale, EPS (danse)
• La lettre, les mots, les signes, les gestes pour exprimer aux autres ses émotions
- lettres célèbres de grands Hommes (en lien avec l’histoire) ou mises en musique (chansons)
- Forums de discussion, débats : déclaration d’amour, de rupture, fausse lettre, anonyme, de diffamation… La
lettre a-elle été remplacée par la communication à travers les réseaux sociaux ?
Français, philosophie, arts et histoire
• Le style romantique, expression des sentiments et d’une liberté individuelle
• Les adolescents et leur perception du romantisme
Français, éducation musicale, philosophie
• L’âme russe
>> EPS (danse), arts plastiques, français, éducation musicale, technologie
• Les divertissements des aristocrates et des bourgeois de l’époque romantique
- Les bals : valse, mazurka, polonaise et écossaise, autant de danses, de rythmes présents dans Eugène Onéguine
- bavardages, ragots et cancans des réunions mondaines dans des extraits de films ou de pièces de théâtre
- les jeux de société au XIXe siècle
12 • Dossier pédagogique • Saison 17-18
La lettre dans l’opéra
Depuis ses débuts, l’art lyrique s’inspire de la littérature, notamment de la relation épistolaire qui est un genre
en soi.
Beaucoup d’opéras intègrent dans leur histoire des objets « clés » qui la font basculer et dont découlent des
situations dramatiques parfois inattendues. Ainsi, la lettre est un élément récurrent dans les ouvrages.
Comme nous le montrent les quelques exemples d’opéras mentionnés ci-dessous, le contenu de la lettre est
bien entendu déterminant dans les effets qui s’en suivent : lettre de déclaration d’amour ou lettre de rupture,
lettre qu’on intercepte, qu’on attend ou qu’on compare…
Trois opéras de la saison 2017-2018 y font référence : Werther, Le Nozze di Figaro et Eugene Oneguine
Werther
Opéra en quatre actes et cinq tableaux de Jules Massenet, livret d’Édouard Blau, Paul Millet et Georges Hartmann
d’après Goethe, créé le 16 février 1892 au Hofoper de Vienne
L’opéra est basé sur un roman épistolaire, Les souffrances du jeune Werther de Goethe, dans lequel de toute
évidence la lettre tient un rôle central. Charlotte, qui a épousé Albert, les évoque dans l’Acte III, relisant celles
que Werther lui a envoyées : « Ces lettres ! ces lettres ! Ah ! je les relis sans cesse… Avec quel charme... mais aussi
quelle tristesse ! Je devrais les détruire... je ne puis ! ». Puis elle lit une des lettres de celui auquel elle voue un
amour désormais impossible car elle a juré fidélité à un autre. « Je vous écris de ma petite chambre : au ciel
gris et lourd de décembre, pèse sur moi comme un linceul, Et je suis seul! seul! toujours seul! » et Charlotte
de s’apitoyer : « Ah! personne auprès de lui ! pas un seul témoignage de tendresse ou même de pitié ! Dieu!
comment m’est venu ce triste courage, d’ordonner cet exil et cet isolement ?… » , un isolement qui mènera le
jeune homme quelques moments plus tard à se suicider.
Le Nozze di Figaro (Les Noces de Figaro)
Opéra buffa en quatre actes de Wolfgang Amadeus Mozart, livret de Lorenzo Da Ponte, créé le 26 janvier 1790
à Vienne
Figaro, au service du comte Almaviva, est fiancé à Susanna, soubrette de la comtesse Almaviva. Marcelline
fomente avec son ex patron, le docteur Bartolo, un plan pour forcer le valet à l’épouser. Les noces de Susanna
et Figaro doivent être célébrées par le Comte. La Comtesse constate avec tristesse que son époux ne l’aime plus.
Figaro propose un plan permettant de surprendre le Comte en flagrant délit. Il lui a annoncé que la Comtesse
a un rendez-vous le soir même dans le jardin. De son côté, Susanna donnera rendez-vous au comte au même
endroit, par le biais d’une lettre dictée par la Comtesse. Lors de cette scène, la Comtesse dicte avec tristesse une
lettre qui piègera son mari, Susanna passant de la désinvolture à la compassion.
Eugène Onéguine
Scènes lyriques en trois actes de Piotr Ilitch Tchaïkovski, livret du compositeur et de Konstantin Silovski d’après
le poème d’Alexandre Pouchkine, créé le 29 mars 1879 à Moscou
Eugène Onéguine, ami de Lenski, a repoussé avec dédain l’amour déclaré par Tatiana dans une lettre. Bien
des années plus tard, après un exil forcé suite à un duel avec Lenski, il reviendra à elle et tentera de raviver ses
sentiments en lui adressant à son tour plusieurs lettres d’amour. Mais alors mariée avec le prince Grémine, elle
se refusera à lui sans lui cacher son amour.
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D’autres ouvrages encore font référence à la lettre. En voici une liste non exhaustive
Deux oeuvres d’après The Merry Wives of Windsor (1602) et Henry IV (1598-1600) de William Shakespeare :
• Die lustigen Weiben von Windsor (Les Joyeuses commères de Windsor)
Opéra en trois actes d’Otto Nicolai - Livret d’Hermann von Mosenthal - Créé le 9 mars 1849 à Berlin
• Falstaff
Comédie lyrique en trois actes de Giuseppe Verdi Livret de Arrigo Boito Créée le 3 février 1893 au à Milan
Dans les ouvrages d’Otto Nicolai et Giuseppe Verdi, il s’agit d’une lettre d’amour écrite par Monsieur Falstaff,
déclinée à l’identique pour deux femmes, Frau Fluth/Mrs Ford et Frau Reich/Mrs Page. Les deux destinatrices
comparent leurs lettres et, se rendant compte qu’elles contiennent mot pour mot les mêmes avances, elles
décident d’organiser une vengeance commune.
• La Périchole
Opéra-bouffe en trois actes de Jacques Offenbach - Livret de Meilhac et Halévy, d’après la pièce de Prosper
Mérimée Le carrosse du Saint-Sacrement - Créé à Paris le 6 octobre 1868
L’intrigue se déroule à Lima. Le vice-roi a pour habitude de se déguiser pour se mêler au peuple, soi-disant
incognito, afin d’apprendre ce qu’on pense de lui. Il croise lors d’une de ses promenades La Périchole, chanteuse
des rues qui exerce son métier avec Piquillo, son compagnon. Les temps sont durs et la faim les tenaille. Elle
accepte de devenir dame d’honneur du vice-roi et écrit une lettre de rupture à Piquillo. Dans cette œuvre, la
lettre trouve ses raisons dans un pragmatisme qui fait d’une situation comique une situation tragique : « est-il
possible de s’aimer quand on n’a pas de quoi se nourrir ? »
• Il viaggio a Reims ossia L’albergo del Giglio d’oro (Le voyage à Reims)
Opéra en trois parties de Gioacchino Rossini, livret de Luigi Balocchi, composé à l’occasion du couronnement
de Charles X et créé à Paris en 1825
Des voyageurs d’origines diverses se rendent à Reims pour assister au couronnement du roi. Les chevaux
manquent au relais de la ville thermale où ils font halte et ils se trouvent contraints d’y séjourner. Amitiés,
inimitiés et amours se lient entre les personnages. Mais voici qu’arrive une missive apportant la bonne nouvelle:
les festivités seront encore bien plus belles à Paris qu’à Reims… Une scène de liesse suit cette annonce.
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Quelques événements en 1879, date de la création d’Eugene Oneguine
• Edison invente le Phonographe
Mathew Brady, Thomas Edison et son phonographe,
• Pablo Iglesias fonde clandestinement à Madrid le parti socialiste ouvrier (PSOE)
• Attentat manqué de Soloviev contre l’empereur de Russie qui en réchappe
Le Tsar Alexandre II de Russie
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