288 A.Viala et al.
C’est à l’occasion du suivi en milieu psychiatrique d’un
patient actuellement âgé de 57 ans, souffrant de surdité
congénitale et de cécité progressive, que le diagnostic a
été porté d’abord cliniquement, puis complété par un bilan
ORL, ophtalmologique et neuroradiologique.
L’établissement du diagnostic a permis une meilleure
appréhension des soins, tant pour le patient que pour
l’équipe soignante, facilitant notamment l’acceptation d’un
traitement antipsychotique au long cours et la mise en place
de mesures essentielles pour l’amélioration de sa qualité de
vie, via une association spécialisée.
L’association de troubles psychiatriques, si elle a été
décrite à l’occasion de quelques publications dans la littéra-
ture psychiatrique [8,9,13,26], reste encore mal expliquée
et différentes possibilités étiologiques sont discutées.
Cas clinique
Monsieur P. naît en avril 1950. Il est enfant unique.
L’apprentissage du langage est difficile : il parle de
manière incompréhensible, seuls ses parents le com-
prennent et on le prend pour un débile mental.
Ce n’est qu’à cinq ans qu’est fait le diagnostic de surdité
bilatérale responsable de ses difficultés.
À six ans, il entre à l’école communale, puis au lycée
et finalement dans une école spécialisée pour sourds-muets
jusqu’au BEPC qu’il obtient.On note ensuite un fléchisse-
ment, puis une interruption de sa scolarité.
Il travaille pendant trois mois en usine en 1970.
À 17 ans, apparaissent progressivement des crises
d’angoisse, des conduites impulsives avec violence vis-à-vis
de sa mère, l’amenant à consulter une psychologue.
En 1972, à l’âge de 22 ans, il débute une psychothérapie.
En 1975, il est hospitalisé en hospitalisation d’office (HO)
dans son service de secteur : le diagnostic posé alors est
celui d’une schizophrénie hébéphrénique et il sera qualifié
de psychotique sourd et aveugle jusqu’en 2001.
La symptomatologie psychiatrique comporte des troubles
du comportement (violence vis-à-vis de sa mère, grande
impulsivité, sthénicité), une angoisse majeure, une incurie,
une agitation avec logorrhée et vociférations, un «probable
dialogue hallucinatoire », des éléments délirants à thèmes
sexuel et de persécution, mégalomaniaques, un déni des
troubles avec opposition aux soins, entraînant des ruptures
de traitement. Il n’y a pas de dissociation retrouvée.
On ne retrouve pas de notion d’antécédent familial hor-
mis une dépression chez la mère, qui a motivé des soins en
milieu spécialisé.
Un bilan psychologique effectué lors de la première hos-
pitalisation en 1975 constate : «Niveau d’intelligence moyen
(résultats non homogènes). Personnalité très probablement
psychotique sans éléments dissociatifs. Faible possibilité
d’adaptation sociale ».
Les troubles sensoriels constatés sont les suivants :
•auditifs :
◦hypoacousie congénitale découverte vers l’âge de cinq
à six ans à l’école (psychologue),
◦en 1977, une oreille est appareillée,
◦«angoissé par les gens dans le métro, qui le fixaient, et
qu’il n’entendait pas »,
◦le bilan effectué en 2004, confirme une surdité de per-
ception bilatérale (75—80 dB) stable, appareillée avec
un bon gain prothétique :
•visuels ;
◦il a beaucoup lu dans sa jeunesse,
◦en 1978, on évoque «qu’il a quelque chose aux yeux »:
il est considéré comme amblyope et opéré de la cata-
racte,
◦la rétinopathie pigmentaire est déjà connue depuis plu-
sieurs années en 1996, mais le lien n’a pas été fait par
rapport à la surdité et la psychose,
◦les troubles visuels s’aggravent à partir de 2001 majo-
rant l’angoisse et la peur de sortir,
◦en 2003, il signale une souffrance liée au manque
d’images, «ses souvenirs visuels sont seulement intel-
lectuels », il décrit la lumière du jour comme «un mur
de lumière »,
◦en 2004, au fond d’œil droit et gauche, on note une
rétinopathie pigmentaire avec papilles pâles.
Le bilan neuroradiologique réalisé en 2003 (notamment,
IRM) n’a pas montré d’anomalie significative.
Le suivi a comporté une prise en charge complexe du
fait des déficits sensoriels associés, avec plusieurs hospita-
lisations souvent en hospitalisation à la demande d’un tiers
(HDT), des consultations très régulières au centre médico-
psychologique (CMP) et en intra-hospitalier, une mesure de
protection des biens.
Compte tenu du déni des troubles et de l’absence de
compliance, c’est un traitement neuroleptique à action pro-
longée (halopéridol décanoate, pipotiazine palmitate puis
fluphénazine) qui a été mis en place, bien supporté et effi-
cace par rapport aux troubles, qui l’apaise sans qu’on puisse
vraiment parler de rémission, le patient restant très fragile
psychologiquement. Si les éléments délirants, notamment
à thèmes de persécution, sont relativement enkystés bien
que non critiqués, l’angoisse reste très importante, la réac-
tivité émotionnelle aussi, avec des changements d’humeur
et de comportement très rapides et souvent imprévi-
sibles. Le traitement a toujours été efficace en quelques
semaines, avec réapparition des troubles lors des arrêts
intempestifs, comme cela a été signalé dans la littérature
[8].
Le diagnostic de syndrome de Usher de type 2 a été éta-
bli dans le service psychiatrique de secteur, en 2003, à l’âge
de 53 ans, sur les arguments cliniques : surdité congénitale
diagnostiquée vers l’âge de cinq à six ans, rétinopathie pro-
gressive et plutôt tardive, absence de troubles vestibulaires.
Ce diagnostic n’a été porté que tardivement car le handi-
cap sensoriel pourtant important est passé au second plan
derrière les troubles psychiatriques, mais aussi du fait de la
méconnaissance de cette entité clinique en psychiatrie. Il a
permis :
•une prise de contact avec le Centre de ressources pour
enfants et adultes sourds-aveugles et sourds malvoyants
(CRESAM) [4], qui a permis un travail en partenariat avec
une équipe spécialisée : rencontre en groupe soignants-
patient dans l’institution, mais aussi individuelle au
domicile du patient, avec un membre de l’association :
possibilité d’aide au téléphone ;