Analyse économique appliquée au droit de la concurrence Olivier SAUTEL, Microeconomix Université de Versailles Master II Contrats - Concurrences 15 octobre 2013 Plan Fondements de l’utilisation de l’analyse économique en droit de la concurrence Analyse économique et contrôle des concentrations Analyse économiques et ententes Analyse économique et abus de position dominante 2 La théorie économique La théorie économique a pour but de comprendre les modalités optimales d’allocation et donc d’utilisation des ressources rares, en vue d’une production maximale de richesse A ce titre, elle est évidemment occupée de la formation et du fonctionnement du principal mécanisme d’allocation des ressources : les marchés Le droit de la concurrence prend son sens dès lors que l’on met en place une économie libérale de marché L’économie tire donc sa légitimité à intervenir en droit de la concurrence de sa compétence quant aux règles de fonctionnement des marchés – Pour aider à fonder les règles (aspect normatif) – Pour fournir des outils destinés à évaluer le respect des règles (aspect instrumental) 3 1er rôle de l’analyse économique : contribuer à fonder les règles de droit La raison d’être du droit de la concurrence : la concurrence est bonne pour les consommateurs (et l’économie en général), ce qui justifie une intervention publique visant à la protéger – Fondements de la microéconomie : une main invisible guide les comportements égoïstes des agents individuels vers la maximisation du bien-être collectif – "Chaque individu met sans cesse tous ses efforts à chercher, pour tout le capital dont il peut disposer, l'emploi le plus avantageux : il est bien vrai que c'est son propre bénéfice qu'il a en vue, et non celui de la société, mais les soins qu'il se donne pour trouver son avantage personnel le conduisent naturellement, ou plutôt nécessairement, à préférer précisément ce genre d'emploi même qui se trouve être le plus avantageux à la société." Adam Smith (1776) – La concurrence entre entreprises les force à proposer les meilleurs produits au meilleur prix, au bénéfice des consommateurs. A l’opposé un monopole peut pratiquer des prix plus élevés et a moins d’incitations à être efficace 4 1er rôle de l’analyse économique : contribuer à fonder les règles de droit L’analyse économique contribue à mieux comprendre l’effet de certaines pratiques/stratégies d’entreprises – Elle met en évidence que des pratiques de nature identique peuvent avoir des effets très différents (parfois anticoncurrentiels, parfois proconcurrentiels) – Par exemple une remise accordée aux clients : bon pour le consommateur qui bénéficie d’un prix plus bas / mauvais pour le consommateur si la remise conduit à l’éviction de concurrents efficaces L’évolution d’une approche formaliste (per se) vers une approche fondée sur les effets renforce le rôle de l’analyse économique dans l’application du droit de la concurrence 5 2ème rôle de l’analyse économique : fournir les outils, tests et critères permettant l’application du droit L’analyse économique contribue à la conception de tests et critères pratiques facilitant l’application du droit – Développer des outils issus de la théorie microéconomique permettant au juge d’être éclairé sur les effets de certaines pratiques ou décisions – Développer des outils d'analyse quantitative et économétrique pour comprendre et rendre intelligibles les faits empiriques observés Exemples – Caractérisation d’un prix prédateur : test Akzo (1991) transcrivant dans la jurisprudence la règle d’Areeda-Turner (coût variable moyen, coût total moyen) – Caractérisation d’un risque de position dominante collective : critères Airtours (2002) transcrivant dans la jurisprudence trois facteurs identifiés par la théorie des jeux comme favorisant l'émergence d'un équilibre de collusion tacite 6 La modélisation du comportement du consommateur Comportement du consommateur – Le consommateur dispose d’un certain revenu et de préférences – Il est supposé maximiser son bien-être (mesuré par son utilité), sous contrainte de revenu – Il fait des choix (arbitrages) en fonction de ses préférences, de son revenu et du prix des biens – On en déduit la courbe de demande individuelle du consommateur La relation entre demande et revenu détermine des types de biens – Biens dits inférieurs : la consommation diminue lorsque le revenu augmente – Biens dits normaux : la consommation proportionnellement par rapport au revenu augmente moins que – Biens de luxe : la consommation augmente plus que proportionnellement par rapport au revenu 7 La demande En agrégeant les demandes individuelles des consommateurs, on obtient une courbe de demande agrégée = relation entre le prix du bien et les quantités demandées Paramètre-clé : l’élasticité de la demande – De combien varie la demande lorsque le prix augmente ? – En général, l’élasticité de la demande varie le long de la courbe de demande 8 Des courbes de demande Application (1/2) Prix Prix Prix B A Quantité 1. Essence 9 C Quantité 2. Tablette Quantité 3. Avion (loisir) Des courbes de demande Application (2/2) Classer les biens suivants par ordre de sensibilité de votre demande au prix – Cinéma – Yaourts – Restaurant – Vêtements 10 La modélisation du comportement du producteur Comportement du producteur – Le producteur achète des facteurs de production lui permettant de produire un bien – Il est supposé maximiser son profit – Il fait des arbitrages en fonction du prix des facteurs de production, de sa contrainte budgétaire et du prix auquel il peut vendre le bien Différents types de coûts de production – Coût marginal – Coût variable moyen – Coût fixe – Coût total moyen 11 L’offre en situation de concurrence parfaite En agrégeant les offres individuelles des producteurs, on obtient une courbe d’offre agrégée – Relation entre les prix et les quantités offertes – Hypothèse : les prix s’imposent aux producteurs (price-takers) 12 L’équilibre offre-demande en situation de concurrence parfaite 13 Le surplus des consommateurs et des producteurs Surplus des consommateurs Surplus des producteurs 14 L’équilibre de marché en situation de concurrence pure et parfaite Un équilibre de marché se caractérise par un couple prixquantité qui détermine le bien-être total – Le bien-être est la somme du surplus des producteurs et du surplus des consommateurs – Le surplus des consommateurs est la différence entre ce qu’ils auraient été prêt à payer et ce qu’ils ont effectivement payé – Le surplus des producteurs est la différence entre le prix de vente et le coût marginal L’équilibre de concurrence pure et parfaite est optimal pour les consommateurs et pour la société – Le prix est égal au coût marginal – Le surplus des producteurs est nul – Le surplus des consommateurs est maximal – Le bien-être est maximal 15 Les limites du modèle de concurrence parfaite Le modèle de concurrence parfaite permet de démontrer que l’équilibre atteint maximise le bien-être collectif (somme du surplus du consommateur et du producteur) Mais il n’est valable que sous plusieurs hypothèses restrictives – Atomicité de l’offre et de la demande – Libre entrée sur le marché – Homogénéité du bien – Transparence du marché Le relâchement de ces hypothèses crée des situations de concurrence imparfaite, qui doivent être appréhendée par des modèles et des concepts spécifiques 16 Les limites du modèle de concurrence parfaite 17 Conditions Signification Limite Adaptation théorique Atomicité La décision d’un acteur isolément n’a aucun impact Marchés de petits nombre (oligopole) Modèles de concurrence imparfaite Libre entrée sortie Pas de coût à l’entrée ou Barrières à l’entrée à la sortie du marché Homogénéité Les produits sont identiques Transparence L’information sur les prix Information Modèles avec et les produits est incomplète sur les asymétries disponible et parfaite prix, incertitude sur d’information la qualité, … Différenciation des produits par les firmes Modèles de concurrence différenciée Les conditions d’une concurrence pure et parfaite Application 18 Marché Conditions non-remplies Preuves/éléments Tablettes Libre entrée – sortie Homogénéité Brevets Importance de la marque, app store Ciment Libre entrée – sortie Atomicité Equipements spécifiques très coûteux Petit nombre d’acteurs de dimension mondiale Conseil en stratégie Transparence Incertitude sur la prestation (ex ante voire ex post) Absence de catalogues de prix Un postulat théorique L’équilibre de concurrence parfaite est bénéfique pour le consommateur – Le profit des producteurs est nul – Le surplus des consommateurs est maximal – L’équilibre est un équilibre de Pareto La protection du consommateur est l’objectif unique du droit de la concurrence – Le droit de la concurrence protège la concurrence, pas les concurrents – Le critère de hausse des prix à court ou moyen terme est central pour estimer les effets concurrentiels d’une pratique ou d’une structure de marché 19 19 Un constat empirique L’équilibre de concurrence parfaite est rarement atteint – En raison des caractéristiques structurelles des biens (coûts fixes importants, différentiation importante) ou des marchés (faible nombre d’acteurs) • Droit de la réglementation (Télécoms, électricité, etc.) – En raison du comportement stratégique des entreprises (accroissement artificiel des barrières à l’entrée, collusion, etc.) • 20 Droit de la concurrence 20 Deux modalités d’action Un contrôle ex-ante via le contrôle des concentrations entre entreprises – Objectif : éviter la création ou le renforcement d’une position dominante Un contrôle ex-post sur les pratiques anticoncurrentielles – Objectif : détecter et sanctionner les pratiques d’entreprises qui contribuent à diminuer la concurrence et à léser le consommateur 21 21 Plan de l’intervention Fondements de l’utilisation de l’analyse économique en droit de la concurrence Analyse économique et contrôle des concentrations Analyse économiques et ententes Analyse économique et évaluation de préjudice 22 Le contrôle des concentrations Principe : contrôler les acquisitions de firmes pour éviter de créer ou renforcer des positions dominantes susceptibles à court terme de diminuer la concurrence Définition formelle du concept de position dominante – « La position dominante concerne une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients, et finalement des consommateurs », Arrêt Hoffman-La Roche (1979) Critères économiques d’appréciation – La part de marché (critère prépondérant) – Les barrières à l’entrée – Le contre-pouvoir des acheteurs 23 23 La procédure Les entreprises doivent notifier leurs opérations de concentration en fonction de seuils de chiffre d’affaires auprès des autorités de concurrence française ou européenne Un bilan concurrentiel des effets sur la concurrence et des gains d’efficience liés à l’opération est réalisé En cas de bilan négatif, les firmes peuvent souscrire à des remèdes – Les engagements structurels consistent à céder des actifs sur les zones de concurrence menacées par l’opération – Les engagements comportementaux consistent à s’abstenir de certaines pratiques commerciales ou à promouvoir la concurrence sur le marché La décision d’autorisation et d’interdiction est signifiée par l’autorité de concurrence 24 24 L’analyse des effets sur la concurrence Il existe trois grands types d’opérations selon la position relative des entreprises concernées dans la chaîne de valeur Marché des sodas à gout de cola Marché de la bière Fusion conglomérale Amont Coca-Cola Pepsi-Cola Kronenbourg Fusion horizontale Auchan Aval 25 Auchan Fusion verticale Les fusions horizontales Concentration dans laquelle les entreprises concernées sont concurrentes sur le même marché – Exemples : TPS-Canalsat, BNP-Paribas, Total-Elf L’opération modifie la structure du marché – Les acteurs sont moins nombreux – Pour les firmes qui fusionnent, l’offre de marché alternative à la leur diminue L’opération restructure l’activité des deux entreprises – Mise en commun de moyens de production, modification du management 26 26 Fusions horizontales et effets sur la concurrence L’absence d’effet est présumée en dessous d’un seuil de chiffres d’affaires et d’un seuil de part de marché – Absence de notification ou absence d’analyse approfondie Une fusion horizontale anticoncurrentiels crée deux types d’effets – Les effets unilatéraux – Les effets coordonnés Une fusion horizontale peut également créer des effets proconcurrentiels – Synergies conduisant à une plus grande efficacité 27 Fusions horizontales et effets unilatéraux Les effets unilatéraux sont liés aux réactions individuelles optimales des firmes suite à la fusion Les firmes qui fusionnent internalisent l’impact négatif de leur concurrence respective sur leurs profits – Diminuent leurs quantités produites (concurrence en quantité) ou en augmentant leur prix (concurrence en prix) Les firmes rivales réagissent à cette évolution – Elles augmentent leurs prix (concurrence en prix) et leurs quantité (concurrence en quantité) L’enjeu est d’estimer l’ampleur de cette réaction en fonction de la fusion et du marché concerné 28 Effets unilatéraux d’une fusion horizontale Première approche : parts de marché et concentration – Base théorique : dans un modèle de concurrence en quantité (Cournot), le prix d’équilibre s’accroît lorsque le nombre de concurrents diminue – Il existe ainsi une relation entre la concentration du marché et le niveau des prix, de laquelle on peut déduire une relation entre l’ampleur des effets unilatéraux et l’accroissement de la concentration (autrement dit l’effet d’addition de parts de marché) 29 Effets unilatéraux d’une fusion horizontale Prix 3,00 Faible élasticité de la demande 2,80 2,60 2,40 2,20 2,00 1,80 1,60 Forte élasticité de la demande 1,40 1,20 1,00 1 30 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Nombre de concurrents Effets unilatéraux d’une fusion horizontale Hausse de prix causée par la réduction du nombre de concurrents 31 Elasticité faible Elasticité élevée Passage de 2 à 1 50% 20% Passage de 3 à 2 14% 6% Passage de 4 à 3 7% 3% Passage de 5 à 4 4% 2% Passage de 6 à 5 2% 1% Passage de 7 à 6 2% 1% Passage de 8 à 7 1% 1% Les étapes de l’analyse selon une méthode d’évaluation par les parts de marché Délimitation des marchés pertinents concernés par l’opération Calcul des parts de marché des parties sur les marchés concernés Calcul du l’impact de l’opération sur la concentration Prise en compte d’éléments qualitatifs additionnels aux parts de marché afin de déterminer l’impact prévisible de l’opération 32 Le(s) marchés pertinent(s) L’analyse concurrentielle d’une opération s’effectue en référence à un état initial du marché Un préalable à l’analyse est donc la détermination du marché pertinent, – i.e., « un ensemble de produits présentant entre eux une forte substituabilité aux yeux des consommateurs au sein d’un espace géographique donné » (Combes, 2004) Une double délimitation des produits – Dans l’éventail des produits • Le Coca-Cola est-il substituable à l’Orangina ? A l’eau minérale ? A l’eau du robinet ? – Dans l’espace géographique • Existe-t-il un marché pertinent des palaces parisiens ? Français ? Européen ? Une double substituabilité potentielle : au niveau de la demande et au niveau de l’offre 33 Une approche économique des marchés pertinents : le test du monopoleur hypothétique Démarche itérative consistant à interroger la capacité d’une firme qui possèderait n des N produits existants à augmenter ses prix Si une firme possède les marques A et B, pourrait-elle augmenter son prix ? – Si non, le marché composé de A et de B est trop restreint, il n’y a pas de situation de monopole en cas de fusion de A et B. Le raisonnement doit être repris avec A, B et C – Si oui, les produits A et B forment un marché pertinent Dans la pratique, jamais réalisé 34 Approche classique de la substituabilité au niveau de la demande Les caractéristiques objectives des produits sont comparées Les comportements passés des consommateurs sont étudiés – Parallélisme des ventes – Effet de report d’un type de produit vers un autre suite à un choc de prix ou l’arrivée d’une nouvelle technologie – Etudes marketing Plus rarement, des études quantitatives peuvent être menés pour évaluer les élasticités croisées Cas particulier de la dimension géographique – Prise en compte des coûts de transports (zone de chalandise) – Prise en compte des spécificités de demandes nationales/régionales 35 Approche classique de la substituabilité au niveau de l’offre Deux produits peuvent appartenir au même marché pertinent même si les consommateurs ne les voient pas comme substituables, dans le cas où les producteurs de l’un des biens pourraient rapidement et sans coûts significatifs utiliser leurs moyens de production pour produire et commercialiser l’autre bien – Exemple : des producteurs de pièces plastiques pour l’industrie automobile pourraient facilement produire des pièces plastiques similaires pour l’industrie aéronautique L’idée de la substituabilité côté offre est rarement retenue par les autorités de concurrence, alors qu’il s’agit d’une composante fondamentale de la concurrence (l’arbitrage entre plusieurs allocations possibles des ressources en fonction du profit) 36 Défis pour la délimitation des marchés pertinents La délimitation des marchés pertinents est perturbée par la notion d’innovation radicale, qui tend à bousculer les frontières existantes des marchés – Ex des smartphones : quel marché (téléphone, GPS, lecteur MP3 , consoles de jeux ?) La délimitation des marchés pertinents à partir d’un test SNIP peut être sujette à la cellophane fallacy – Une firme qui maximise sa situation de monopole sera confronté de facto à une forte sensibilité au prix de sa demande La délimitation des marchés pertinents dans l’espace géographique se heurte au choix arbitraire d’une zone de substituabilité 37 Calculs du HHI La délimitation du marché débouche sur un calcul de parts de marchés qui permet ensuite d’identifier l’impact sur la concentration du marché Une fusion horizontale accroît la concentration du marché – Indice de concentration du marché : l’indice de Hirfindahl-Hirshman (HHI) • HHI = somme du carré des parts de marché • Exemple : monopole (HHI = 10000), duopole symétrique (HHI = 5000), dix firmes ayant chacune 10% du marché (HHI = 1000) • Une fusion horizontale se traduit toujours par une augmentation du HHI a2+b2<(a+b)2 – Lignes directrices de la Commission Européenne • Si HHI <1000 ou si 1000<HHI<2000 mais ∆HHI<250 : pas d’effets anticoncurrentiels • Si HHI > 2000 ou si 1000<HHI<2000 mais ∆HHI>250 : susceptible d’identifier des effets anticoncurrentiels 38 Calculs de HHI Application Marché Firmes A B C D E F Cumul HHI avant Variation HHI Examen 2 3 40 20 5 5 5 5 80 2100 200 OUI 20 15 15 10 10 5 75 1075 450 OUI 20 15 15 10 10 5 75 1075 150 NON Les fusions indiquées sont-elles susceptibles d’examen ? Rappel – Si HHI <1000 ou si 1000<HHI<2000 mais ∆HHI<250 : pas d’effets anticoncurrentiels • 39 1 Si HHI > 2000 ou si 1000<HHI<2000 mais ∆HHI>250 : susceptible d’identifier des effets anticoncurrentiels Les autres éléments qualitatifs Contre-pouvoir des acheteurs – En présence d’un fort pouvoir de marché à l’aval, une augmentation de la concentration à l’amont peut in fine être sans effet sur le prix aval Les barrières à l’entrée – En cas de menaces crédibles d’entrées sur le marché, la discipline en prix peut être plus forte que ce qu’indique la part de marché Le rythme d’innovation – Dans des marchés caractérisés par des innovations technologiques de rupture, une position très forte en part de marché peut être cependant très instable (ex : site internet comparateur de prix) 40 Limites de l’approche fondée sur l’addition des parts de marché Le lien entre niveau de concentration et niveau de prix repose sur l’hypothèse d’une concurrence à la Cournot – Dans un modèle de concurrence en prix (à la Bertrand), le prix d’équilibre ne dépend pas du nombre de concurrents (2 concurrents suffisent !) L’approche par les parts de marché supposent des biens homogènes et une substituabilité identique entre tous les biens qui composent le marché – En pratique les biens présentent toujours certains degrés de différenciation On se tourne vers des modèles de concurrence avec des biens différenciés 41 La problématique des biens diversifiés Firme A Firme B Firme C Firme D Cas d’école – 4 firmes à 25 % de part de marché, consommateurs équi-répartis Selon l’approche par les parts de marché, une fusion B-C est équivalente à une fusion A-D – Même incrément de part de marché – Même modification du HHI Pourtant, l’incitation des firmes à augmenter les prix et le nombre de consommateurs touchés seront plus élevés dans le cas d’une fusion B-C – Les parts de marché échouent à prendre en compte la proximité concurrentielle 42 Ratios de diversion entre biens différenciés A la suite d’une hausse de prix sur le bien A, les consommateurs se reportent en partie sur d’autres biens – Le ratio de diversion entre A et B mesure la proportion des consommateurs qui cessent de consommer A pour se tourner vers B – Il permet d’apprécier la proximité concurrentielle des biens A et B 43 Comment mesurer des ratios de diversion ? Sondage auprès des consommateurs – Quel produit concurrent achèteriez-vous si le produit A était en rupture de stock ? – Quel produit concurrent achèteriez-vous si le prix du produit A augmentait de 10 % ? Difficultés – Coût de réalisation d’un sondage auprès d’un échantillon représentatif de consommateurs (dans l’affaire Co-op/Somerfield, l’OFT a réalisé un sondage auprès de 40 000 consommateurs) – Biais possible entre les réponses au sondage et le comportement effectif des consommateurs 44 Comment mesurer des ratios de diversion ? Analyse des changements observés dans le passé – Les entreprises peuvent avoir mené en interne des études sur l’origine de leurs nouveaux clients et sur la destination des clients perdus – Certains instituts (e.g., Kantar, GFK/Europanel, Nielsen) suivent le comportements d’achat d’un panel de consommateurs et peuvent donc en extraire des données sur les transferts de consommation entre produits Difficultés – En théorie, on cherche à mesurer le ratio de diversion à la suite d’une hausse de prix alors que les changements observés dans le passé peuvent avoir été causés par d’autres facteurs qu’une variation de prix 45 Des ratios de diversion à l’incitation à la hausse des prix Une fois les ratios de diversion estimés, il est possible d’en déduire un indicateur de pression à la hausse des prix – L’intérêt est qu’on le calcule à partir de données relativement simples à obtenir : ratios de diversion et taux de marge Intuitions – La nouvelle entité sera d’autant plus incitée à augmenter ses prix que les ratios de diversion entre les produits des parties sont élevés – La nouvelle entité sera d’autant plus incitée à augmenter ses prix que la marge sur le produit vers lequel se reportent les consommateurs est élevée Gross Upward Pricing Pressure Index (Salop & Moresi, 2009) 46 Des ratios de diversion à l’incitation à la hausse des prix Quelques ordres de grandeurs – UPP UPP en fonction du ratio de diversion (hyp. : taux de marge = 20 %, gains d’efficacité = 10 %) 15% Pas d’incitation à augmenter les prix Incitation à augmenter les prix 10% 5% Ratio de diversion 0% 5% -5% 47 -10% 10% 15% 20% 25% 30% 35% 40% 45% 50% 55% 60% 65% 70% 75% 80% 85% 90% 95% 100% Les limites des indicateurs de pression à la hausse des prix Les ratios les plus simples à mettre en œuvre ne donnent qu’une indication de l’incitation ou non à augmenter les prix, mais pas d’indication sur l’ampleur de la hausse Les ratios reposent sur l’utilisation de la marge brute, qui peut être très importante dans certains secteurs y compris en l’absence de pouvoir de marché significatif Les indicateurs n’intègrent pas la possibilité de réaction des concurrents et de repositionnement en prix et/ou en caractéristiques du bien 48 Conclusion sur les ratios de diversion Méthode finalement assez simple à mettre en œuvre – Mais attention, l’UPP ne donne qu’une indication sur le sens des incitations – On doit l’envisager comme un premier test permettant d’identifier les opérations les plus susceptibles d’être à l’origine d’effets unilatéraux Exemple – Dans le dossier Unilever/Sara Lee (M.5658), l’analyse de données de panel a mis en évidence un ratio de diversion entre Sanex et les marques d’Unilever de [40-50 %] – « Even if the other half of switching is to or from other brands, the merger instantly removes nearly half of the total competitive constraint previously exercised on Sanex. This increases the possibility for a price increase of Sanex post-merger », §383 – Pour aller plus loin, il est nécessaire de construire un modèle permettant de simuler l’effet de la fusion 49 Simulation simple de l’effet d’une fusion Le ratio de diversion nous indique comment se répartissent les consommateurs qui changent de produits, mais ne nous dit rien sur leur nombre – Or plus les consommateurs seront nombreux à changer de produits (ou à réduire leur consommation), moins la nouvelle entité n’aura intérêt à augmenter ses prix – Pour simuler l’effet d’une fusion, il faut intégrer le comportement de la demande, ce qui implique de choisir la forme de la fonction de demande Spécifications possibles pour le fonction de demande – Demande isoélastique : l’élasticité de la demande reste constante le long de la courbe de demande – Demande linéaire : l’élasticité de la demande augmente au fur et à mesure que le prix augmente 50 Simulation simple de l’effet d’une fusion Illustration de l’impact de l’hypothèse retenue sur la fonction de demande (marge = 20 %) Hausse de prix 60% Demande isoélastique 50% 40% 30% 20% Demande linéaire 10% 0% 5% 51 10% 15% 20% 25% 30% 35% 40% 45% 50% 55% 60% -10% Ratio de diversion Appréciation directe de l’effet de la fusion Cette approche est possible lorsque les parties à l’opération sont simultanément présentes dans certaines zones mais pas dans d’autres – Autrement dit, on cherche à identifier, dans le passé, un effet visible de la concurrence entre les parties à l’opération Exemples – Staples / Office Depot (FTC, 1997) : comparaison des prix pratiqués par Office Depot en fonction de la proximité d’un magasin Staples – Ryanair / Aer Lingus (CE, 2007) : comparaison des prix pratiqués par Ryanair selon que Aer Lingus soit ou non présente sur la même route Difficulté : être en mesure de bien identifier l’effet spécifique de la présence de l’autre partie (requiert la mobilisation de techniques économétriques) 52 Conclusion sur l’appréciation des effets unilatéraux Les effets unilatéraux sont la principale préoccupation des autorités de concurrence source de Quelle que soit la méthode retenue, l’appréciation de ces effets utilise de manière croissante des analyses quantitatives appuyées sur les données des parties Le débat sur la place des marchés pertinents et des parts de marché dans l’appréciation des effets est l’un des principaux points de discussion de la pratique des autorités de concurrence 53 Fusions horizontales et effets coordonnés Une fusion modifie les incitations et les potentialités des acteurs d’un marché à coordonner leurs comportements – En réduisant le nombre d’entreprises, la fusion accroît la transparence du marché – En réduisant le nombre d’entreprises, la fusion limite les coûts de coordination des comportements La conséquence peut en être un risque accru de collusion tacite – Sans échange explicite, les firmes arrivent à soutenir un prix supérieur à l’équilibre concurrentiel : les prix hauts appellent les prix hauts Critères utilisés (Airtours) – Transparence du marché – Détection possible des déviations – Sanctions possibles des déviations 54 Fusion horizontale et gains d’efficacité Une fusion horizontale peut générer des gains d’efficacité – Baisse absolue des coûts : pouvoir de négociation accrue vis-à-vis des fournisseurs, technologie plus efficace de l’une des firmes – Economie d’échelles : baisse du coût unitaire de production lorsque le volume augmente – Complémentarité technologique – Diversification (du risque, sécurité et opportunités d'emploi, protection de la réputation et du capital informationnel de la firme) – Eléments financiers (redéploiement du capital avec un financement interne moins coûteux, capacité d'endettement accrue, fiscalité) – Meilleure coordination des prix, de la variété, de la localisation de l'offre, crédibilité de l'engagement en terme de gamme ou localisation de la firme issue de la fusion Mais leur prise en compte est assortie de conditions – Mesurables, spécifiques à la fusion, rétrocédés en partie aux consommateurs 55 Les fusions verticales Concentration dans laquelle les firmes concernées opèrent à deux stades différents d’une même chaîne de valeur verticale – Exemple : Canal + (via SFR) – Neuf Télécom Le degré de concentration n’est pas modifié Les fusions verticales sont a priori porteuses d’effets pro concurrentiels en améliorant la coordination – Technique : gain d’efficacité – Tarifaire : Elimination de la double marginalisation (exemple de la route du sel) – Investissement : suppression d’un risque de hold-up/free riding 56 Mécanisme de forclusion de clients La forclusion de clients revient à fermer une partie des débouchés à l'aval des entreprises concurrentes de l’entreprise intégrée, cette dernière ne s’approvisionnant plus qu’auprès de sa filière amont. 57 Mécanisme de forclusion d’intrant La forclusion d'intrant désigne une pratique d'exclusion menée par la division amont de la firme intégrée à l'encontre des concurrents de sa division aval, soit en les privant d'un accès à un intrant nécessaire à leur activité, soit en augmentant le coût de cet intrant. 58 Les fusions conglomérales Concentration dans laquelle les firmes ne sont ni concurrentes ni clients mais dans laquelle elles servent des clients communs – Exemple : Somfy (moteurs pour volets roulants)/Zurflüh-Feller (accessoires pour volets roulants) Le risque en matière de concurrence est celui d’une éviction des concurrents de l’un des marchés par un effet de levier ou de couplage impliquant l’autre marché (vente ou remises couplées, stratégie d’incompatibilité technique, etc.) – Le fabricant de moteurs ne produit que des moteurs compatibles avec les accessoires de la firme-cible, les autres accessoiristes sont évincés Comme pour la fusion verticale, ce risque n’existe que si l’un des acteurs est incontournables ou si la gamme formée par la nouvelle entité est un avantage déterminant 59 59 Conditions de nocivité d’une fusion conglomérale Condition 1 : le fait de détenir une gamme revêt un avantage déterminant Condition 2 : aucun autre acteur que la nouvelle entité ne possède une gamme aussi large Condition 3 : l’un des acteurs à l’opération ou l’un de ses produits est incontournable sur son marché Sous ces trois conditions, la nouvelle entité peut s’appuyer sur un effet de levier pour conforter sa position concurrentielle sans que cela soit dû à sa plus grande efficacité 60 Les remèdes Principe Les remèdes ont pour objectif de compenser les effets anticoncurrentiels qui ne seraient pas contrebalancés par des effets proconcurrentiels – Les remèdes structurels consistent à céder des actifs à des concurrents pour rétablir un état de concurrence similaire à celui pré-fusion • Exemple : vendre un magasin situé dans une zone de chalandise dans laquelle le rachat d’un réseau de distribution permet à l’acquéreur de disposer d’une part de marché très importante – Les remèdes comportementaux consistent à contraindre l’entreprise à adopter (ou à ne pas adopter) certains comportements qui lui permettrait d’exploiter le pouvoir de marché acquis grâce à la fusion • Exemple : ne pas faire de remise liée sur des produits complémentaires appartenant aux deux entités fusionnées 61 Les remèdes Analyse économique Dans les faits, l’analyse économique est souvent négligée dans la phase d’élaboration des remèdes, alors qu’elle peut pourtant jouer un rôle important L’analyse des remèdes doit être faite en réponse à l’analyse des effets – Il s’agit notamment d’apprécier la proportionnalité des remèdes aux problèmes de concurrence identifiés Les caractéristiques économiques d’un marché détermine l’efficacité prévisible des remèdes – Exemple du cas Veolia-Transdev : un remède sous forme de cession de contrat ne change rien dans un marché par appel d’offre, un mécanisme incitatif à la participation aux appels d’offres a été proposé 62 Conclusion sur les concentrations L’analyse économique (à la fois théorique et empirique) occupe une place grandissante dans les cas de contrôle des concentrations Une tension existe entre une approche formaliste appuyée sur la définition des marchés et parts de marché, et une approche par les effets focalisés sur la pression concurrentielle mutuellement exercée par les parties – Cette tension peut aussi se résoudre par la cohabitation d’outils et de résultats renvoyant à l’une ou l’autre démarche (cas du test UPP utilisé en complément des parts de marchés) Un thème en chantier est celui du suivi des marchés postfusion, pour évaluer la pertinence des analyses et simulations 63