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Analyse économique appliquée au droit
de la concurrence
Olivier SAUTEL, Microeconomix
Université de Versailles
Master II Contrats - Concurrences
15 octobre 2013
Plan
 Fondements de l’utilisation de l’analyse économique en droit
de la concurrence
 Analyse économique et contrôle des concentrations
 Analyse économiques et ententes
 Analyse économique et abus de position dominante
2
La théorie économique
 La théorie économique a pour but de comprendre les modalités
optimales d’allocation et donc d’utilisation des ressources rares, en
vue d’une production maximale de richesse
 A ce titre, elle est évidemment occupée de la formation et du
fonctionnement du principal mécanisme d’allocation des
ressources : les marchés
 Le droit de la concurrence prend son sens dès lors que l’on met en
place une économie libérale de marché
 L’économie tire donc sa légitimité à intervenir en droit de la
concurrence de sa compétence quant aux règles de
fonctionnement des marchés
– Pour aider à fonder les règles (aspect normatif)
– Pour fournir des outils destinés à évaluer le respect des règles (aspect
instrumental)
3
1er rôle de l’analyse économique : contribuer à fonder
les règles de droit
 La raison d’être du droit de la concurrence : la concurrence est
bonne pour les consommateurs (et l’économie en général), ce
qui justifie une intervention publique visant à la protéger
– Fondements de la microéconomie : une main invisible guide les
comportements égoïstes des agents individuels vers la maximisation du
bien-être collectif
– "Chaque individu met sans cesse tous ses efforts à chercher, pour tout le
capital dont il peut disposer, l'emploi le plus avantageux : il est bien vrai
que c'est son propre bénéfice qu'il a en vue, et non celui de la société, mais
les soins qu'il se donne pour trouver son avantage personnel le conduisent
naturellement, ou plutôt nécessairement, à préférer précisément ce genre
d'emploi même qui se trouve être le plus avantageux à la société." Adam
Smith (1776)
– La concurrence entre entreprises les force à proposer les meilleurs produits
au meilleur prix, au bénéfice des consommateurs. A l’opposé un monopole
peut pratiquer des prix plus élevés et a moins d’incitations à être efficace
4
1er rôle de l’analyse économique : contribuer à fonder
les règles de droit
 L’analyse économique contribue à mieux comprendre l’effet de
certaines pratiques/stratégies d’entreprises
– Elle met en évidence que des pratiques de nature identique peuvent avoir
des effets très différents (parfois anticoncurrentiels, parfois proconcurrentiels)
– Par exemple une remise accordée aux clients : bon pour le consommateur
qui bénéficie d’un prix plus bas / mauvais pour le consommateur si la
remise conduit à l’éviction de concurrents efficaces
 L’évolution d’une approche formaliste (per se) vers une
approche fondée sur les effets renforce le rôle de l’analyse
économique dans l’application du droit de la concurrence
5
2ème rôle de l’analyse économique : fournir les outils,
tests et critères permettant l’application du droit
 L’analyse économique contribue à la conception de tests et
critères pratiques facilitant l’application du droit
– Développer des outils issus de la théorie microéconomique permettant au
juge d’être éclairé sur les effets de certaines pratiques ou décisions
– Développer des outils d'analyse quantitative et économétrique pour
comprendre et rendre intelligibles les faits empiriques observés
 Exemples
– Caractérisation d’un prix prédateur : test Akzo (1991) transcrivant dans la
jurisprudence la règle d’Areeda-Turner (coût variable moyen, coût total
moyen)
– Caractérisation d’un risque de position dominante collective : critères
Airtours (2002) transcrivant dans la jurisprudence trois facteurs identifiés
par la théorie des jeux comme favorisant l'émergence d'un équilibre de
collusion tacite
6
La modélisation du comportement du consommateur
 Comportement du consommateur
– Le consommateur dispose d’un certain revenu et de préférences
– Il est supposé maximiser son bien-être (mesuré par son utilité), sous contrainte
de revenu
– Il fait des choix (arbitrages) en fonction de ses préférences, de son revenu et du
prix des biens
– On en déduit la courbe de demande individuelle du consommateur
 La relation entre demande et revenu détermine des types de biens
– Biens dits inférieurs : la consommation diminue lorsque le revenu augmente
– Biens dits normaux : la consommation
proportionnellement par rapport au revenu
augmente
moins
que
– Biens de luxe : la consommation augmente plus que proportionnellement par
rapport au revenu
7
La demande
 En agrégeant les demandes individuelles des consommateurs, on
obtient une courbe de demande agrégée = relation entre le prix du
bien et les quantités demandées
 Paramètre-clé : l’élasticité de la demande
– De combien varie la demande lorsque le prix augmente ?
– En général, l’élasticité de la demande varie le long de la courbe de demande
8
Des courbes de demande
Application (1/2)
Prix
Prix
Prix
B
A
Quantité
1. Essence
9
C
Quantité
2. Tablette
Quantité
3. Avion (loisir)
Des courbes de demande
Application (2/2)
 Classer les biens suivants par ordre de sensibilité de votre
demande au prix
– Cinéma
– Yaourts
– Restaurant
– Vêtements
10
La modélisation du comportement du producteur
 Comportement du producteur
– Le producteur achète des facteurs de production lui permettant de
produire un bien
– Il est supposé maximiser son profit
– Il fait des arbitrages en fonction du prix des facteurs de production, de sa
contrainte budgétaire et du prix auquel il peut vendre le bien
 Différents types de coûts de production
– Coût marginal
– Coût variable moyen
– Coût fixe
– Coût total moyen
11
L’offre en situation de concurrence parfaite
 En agrégeant les offres individuelles des producteurs, on
obtient une courbe d’offre agrégée
– Relation entre les prix et les quantités offertes
– Hypothèse : les prix s’imposent aux producteurs (price-takers)
12
L’équilibre offre-demande en situation de concurrence
parfaite
13
Le surplus des consommateurs et des producteurs
Surplus des
consommateurs
Surplus des
producteurs
14
L’équilibre de marché en situation de concurrence pure
et parfaite
 Un équilibre de marché se caractérise par un couple prixquantité qui détermine le bien-être total
– Le bien-être est la somme du surplus des producteurs et du surplus des
consommateurs
– Le surplus des consommateurs est la différence entre ce qu’ils auraient été
prêt à payer et ce qu’ils ont effectivement payé
– Le surplus des producteurs est la différence entre le prix de vente et le coût
marginal
 L’équilibre de concurrence pure et parfaite est optimal pour les
consommateurs et pour la société
– Le prix est égal au coût marginal
– Le surplus des producteurs est nul
– Le surplus des consommateurs est maximal
– Le bien-être est maximal
15
Les limites du modèle de concurrence parfaite
 Le modèle de concurrence parfaite permet de démontrer que
l’équilibre atteint maximise le bien-être collectif (somme du
surplus du consommateur et du producteur)
 Mais il n’est valable que sous plusieurs hypothèses restrictives
– Atomicité de l’offre et de la demande
– Libre entrée sur le marché
– Homogénéité du bien
– Transparence du marché
 Le relâchement de ces hypothèses crée des situations de
concurrence imparfaite, qui doivent être appréhendée par des
modèles et des concepts spécifiques
16
Les limites du modèle de concurrence parfaite
17
Conditions
Signification
Limite
Adaptation
théorique
Atomicité
La décision d’un acteur
isolément n’a aucun
impact
Marchés de petits
nombre (oligopole)
Modèles de
concurrence
imparfaite
Libre entrée sortie
Pas de coût à l’entrée ou Barrières à l’entrée
à la sortie du marché
Homogénéité
Les produits sont
identiques
Transparence
L’information sur les prix Information
Modèles avec
et les produits est
incomplète sur les asymétries
disponible et parfaite
prix, incertitude sur d’information
la qualité, …
Différenciation des
produits par les
firmes
Modèles de
concurrence
différenciée
Les conditions d’une concurrence pure et parfaite
Application
18
Marché
Conditions non-remplies
Preuves/éléments
Tablettes
Libre entrée – sortie
Homogénéité
Brevets
Importance de la marque, app store
Ciment
Libre entrée – sortie
Atomicité
Equipements spécifiques très coûteux
Petit nombre d’acteurs de dimension
mondiale
Conseil en
stratégie
Transparence
Incertitude sur la prestation (ex ante
voire ex post)
Absence de catalogues de prix
Un postulat théorique
 L’équilibre de concurrence parfaite est bénéfique pour le
consommateur
– Le profit des producteurs est nul
– Le surplus des consommateurs est maximal
– L’équilibre est un équilibre de Pareto
 La protection du consommateur est l’objectif unique du droit de
la concurrence
– Le droit de la concurrence protège la concurrence, pas les concurrents
– Le critère de hausse des prix à court ou moyen terme est central pour
estimer les effets concurrentiels d’une pratique ou d’une structure de
marché
19
19
Un constat empirique
 L’équilibre de concurrence parfaite est rarement atteint
– En raison des caractéristiques structurelles des biens (coûts fixes
importants, différentiation importante) ou des marchés (faible nombre
d’acteurs)
•
Droit de la réglementation (Télécoms, électricité, etc.)
– En raison du comportement stratégique des entreprises (accroissement
artificiel des barrières à l’entrée, collusion, etc.)
•
20
Droit de la concurrence
20
Deux modalités d’action
 Un contrôle ex-ante via le contrôle des concentrations entre
entreprises
– Objectif : éviter la création ou le renforcement d’une position dominante
 Un contrôle ex-post sur les pratiques anticoncurrentielles
– Objectif : détecter et sanctionner les pratiques d’entreprises qui
contribuent à diminuer la concurrence et à léser le consommateur
21
21
Plan de l’intervention
 Fondements de l’utilisation de l’analyse économique en droit de
la concurrence
 Analyse économique et contrôle des concentrations
 Analyse économiques et ententes
 Analyse économique et évaluation de préjudice
22
Le contrôle des concentrations
 Principe : contrôler les acquisitions de firmes pour éviter de
créer ou renforcer des positions dominantes susceptibles à
court terme de diminuer la concurrence
 Définition formelle du concept de position dominante
– « La position dominante concerne une situation de puissance économique
détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au
maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui
fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une
mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients, et
finalement des consommateurs », Arrêt Hoffman-La Roche (1979)
 Critères économiques d’appréciation
– La part de marché (critère prépondérant)
– Les barrières à l’entrée
– Le contre-pouvoir des acheteurs
23
23
La procédure
 Les entreprises doivent notifier leurs opérations de
concentration en fonction de seuils de chiffre d’affaires auprès
des autorités de concurrence française ou européenne
 Un bilan concurrentiel des effets sur la concurrence et des gains
d’efficience liés à l’opération est réalisé
 En cas de bilan négatif, les firmes peuvent souscrire à des
remèdes
– Les engagements structurels consistent à céder des actifs sur les zones de
concurrence menacées par l’opération
– Les engagements comportementaux consistent à s’abstenir de certaines
pratiques commerciales ou à promouvoir la concurrence sur le marché
 La décision d’autorisation et d’interdiction est signifiée par
l’autorité de concurrence
24
24
L’analyse des effets sur la concurrence
 Il existe trois grands types d’opérations selon la position relative
des entreprises concernées dans la chaîne de valeur
Marché des sodas à gout de cola
Marché de la bière
Fusion conglomérale
Amont
Coca-Cola
Pepsi-Cola
Kronenbourg
Fusion horizontale
Auchan
Aval
25
Auchan
Fusion verticale
Les fusions horizontales
 Concentration dans laquelle les entreprises concernées sont
concurrentes sur le même marché
– Exemples : TPS-Canalsat, BNP-Paribas, Total-Elf
 L’opération modifie la structure du marché
– Les acteurs sont moins nombreux
– Pour les firmes qui fusionnent, l’offre de marché alternative à la leur
diminue
 L’opération restructure l’activité des deux entreprises
– Mise en commun de moyens de production, modification du management
26
26
Fusions horizontales et effets sur la concurrence
 L’absence d’effet est présumée en dessous d’un seuil de chiffres
d’affaires et d’un seuil de part de marché
– Absence de notification ou absence d’analyse approfondie
 Une fusion horizontale
anticoncurrentiels
crée
deux
types
d’effets
– Les effets unilatéraux
– Les effets coordonnés
 Une fusion horizontale peut également créer des effets
proconcurrentiels
– Synergies conduisant à une plus grande efficacité
27
Fusions horizontales et effets unilatéraux
 Les effets unilatéraux sont liés aux réactions individuelles
optimales des firmes suite à la fusion
 Les firmes qui fusionnent internalisent l’impact négatif de leur
concurrence respective sur leurs profits
– Diminuent leurs quantités produites (concurrence en quantité) ou en
augmentant leur prix (concurrence en prix)
 Les firmes rivales réagissent à cette évolution
– Elles augmentent leurs prix (concurrence en prix) et leurs quantité
(concurrence en quantité)
 L’enjeu est d’estimer l’ampleur de cette réaction en fonction de
la fusion et du marché concerné
28
Effets unilatéraux d’une fusion horizontale
 Première approche : parts de marché et concentration
– Base théorique : dans un modèle de concurrence en quantité (Cournot), le
prix d’équilibre s’accroît lorsque le nombre de concurrents diminue
– Il existe ainsi une relation entre la concentration du marché et le niveau
des prix, de laquelle on peut déduire une relation entre l’ampleur des
effets unilatéraux et l’accroissement de la concentration (autrement dit
l’effet d’addition de parts de marché)
29
Effets unilatéraux d’une fusion horizontale
Prix
3,00
Faible élasticité de la demande
2,80
2,60
2,40
2,20
2,00
1,80
1,60
Forte élasticité de la demande
1,40
1,20
1,00
1
30
2
3
4
5
6
7
8
9
10
Nombre de concurrents
Effets unilatéraux d’une fusion horizontale
 Hausse de prix causée par la réduction du nombre de
concurrents
31
Elasticité faible
Elasticité élevée
Passage de 2 à 1
50%
20%
Passage de 3 à 2
14%
6%
Passage de 4 à 3
7%
3%
Passage de 5 à 4
4%
2%
Passage de 6 à 5
2%
1%
Passage de 7 à 6
2%
1%
Passage de 8 à 7
1%
1%
Les étapes de l’analyse selon une méthode d’évaluation
par les parts de marché
 Délimitation des marchés pertinents concernés par l’opération
 Calcul des parts de marché des parties sur les marchés
concernés
 Calcul du l’impact de l’opération sur la concentration
 Prise en compte d’éléments qualitatifs additionnels aux parts de
marché afin de déterminer l’impact prévisible de l’opération
32
Le(s) marchés pertinent(s)
 L’analyse concurrentielle d’une opération s’effectue en référence à
un état initial du marché
 Un préalable à l’analyse est donc la détermination du marché
pertinent,
– i.e., « un ensemble de produits présentant entre eux une forte substituabilité aux
yeux des consommateurs au sein d’un espace géographique donné » (Combes,
2004)
 Une double délimitation des produits
– Dans l’éventail des produits
•
Le Coca-Cola est-il substituable à l’Orangina ? A l’eau minérale ? A l’eau du robinet ?
– Dans l’espace géographique
•
Existe-t-il un marché pertinent des palaces parisiens ? Français ? Européen ?
 Une double substituabilité potentielle : au niveau de la demande et
au niveau de l’offre
33
Une approche économique des marchés pertinents : le
test du monopoleur hypothétique
 Démarche itérative consistant à interroger la capacité d’une
firme qui possèderait n des N produits existants à augmenter
ses prix
 Si une firme possède les marques A et B, pourrait-elle
augmenter son prix ?
– Si non, le marché composé de A et de B est trop restreint, il n’y a pas de
situation de monopole en cas de fusion de A et B. Le raisonnement doit
être repris avec A, B et C
– Si oui, les produits A et B forment un marché pertinent
 Dans la pratique, jamais réalisé
34
Approche classique de la substituabilité au niveau de la
demande
 Les caractéristiques objectives des produits sont comparées
 Les comportements passés des consommateurs sont étudiés
– Parallélisme des ventes
– Effet de report d’un type de produit vers un autre suite à un choc de prix
ou l’arrivée d’une nouvelle technologie
– Etudes marketing
 Plus rarement, des études quantitatives peuvent être menés
pour évaluer les élasticités croisées
 Cas particulier de la dimension géographique
– Prise en compte des coûts de transports (zone de chalandise)
– Prise en compte des spécificités de demandes nationales/régionales
35
Approche classique de la substituabilité au niveau de
l’offre
 Deux produits peuvent appartenir au même marché pertinent
même si les consommateurs ne les voient pas comme
substituables, dans le cas où les producteurs de l’un des biens
pourraient rapidement et sans coûts significatifs utiliser leurs
moyens de production pour produire et commercialiser l’autre
bien
– Exemple
: des producteurs de pièces plastiques pour l’industrie
automobile pourraient facilement produire des pièces plastiques similaires
pour l’industrie aéronautique
 L’idée de la substituabilité côté offre est rarement retenue par
les autorités de concurrence, alors qu’il s’agit d’une
composante fondamentale de la concurrence (l’arbitrage entre
plusieurs allocations possibles des ressources en fonction du
profit)
36
Défis pour la délimitation des marchés pertinents
 La délimitation des marchés pertinents est perturbée par la
notion d’innovation radicale, qui tend à bousculer les frontières
existantes des marchés
– Ex des smartphones : quel marché (téléphone, GPS, lecteur MP3 , consoles
de jeux ?)
 La délimitation des marchés pertinents à partir d’un test SNIP
peut être sujette à la cellophane fallacy
– Une firme qui maximise sa situation de monopole sera confronté de facto à
une forte sensibilité au prix de sa demande
 La délimitation des marchés pertinents dans l’espace
géographique se heurte au choix arbitraire d’une zone de
substituabilité
37
Calculs du HHI
 La délimitation du marché débouche sur un calcul de parts de
marchés qui permet ensuite d’identifier l’impact sur la
concentration du marché
 Une fusion horizontale accroît la concentration du marché
– Indice de concentration du marché : l’indice de Hirfindahl-Hirshman (HHI)
• HHI = somme du carré des parts de marché
• Exemple : monopole (HHI = 10000), duopole symétrique (HHI = 5000), dix firmes
ayant chacune 10% du marché (HHI = 1000)
• Une fusion horizontale se traduit toujours par une augmentation du HHI
a2+b2<(a+b)2
– Lignes directrices de la Commission Européenne
• Si HHI <1000 ou si 1000<HHI<2000 mais ∆HHI<250 : pas d’effets
anticoncurrentiels
• Si HHI > 2000 ou si 1000<HHI<2000 mais ∆HHI>250 : susceptible d’identifier des
effets anticoncurrentiels
38
Calculs de HHI
Application
Marché
Firmes
A
B
C
D
E
F
Cumul
HHI avant
Variation HHI
Examen
2
3
40
20
5
5
5
5
80
2100
200
OUI
20
15
15
10
10
5
75
1075
450
OUI
20
15
15
10
10
5
75
1075
150
NON

Les fusions indiquées sont-elles susceptibles d’examen ?

Rappel
–
Si HHI <1000 ou si 1000<HHI<2000 mais ∆HHI<250 : pas d’effets anticoncurrentiels
•
39
1
Si HHI > 2000 ou si 1000<HHI<2000 mais ∆HHI>250 : susceptible d’identifier des effets
anticoncurrentiels
Les autres éléments qualitatifs
 Contre-pouvoir des acheteurs
– En présence d’un fort pouvoir de marché à l’aval, une augmentation de la
concentration à l’amont peut in fine être sans effet sur le prix aval
 Les barrières à l’entrée
– En cas de menaces crédibles d’entrées sur le marché, la discipline en prix
peut être plus forte que ce qu’indique la part de marché
 Le rythme d’innovation
– Dans des marchés caractérisés par des innovations technologiques de
rupture, une position très forte en part de marché peut être cependant
très instable (ex : site internet comparateur de prix)
40
Limites de l’approche fondée sur l’addition des parts de
marché
 Le lien entre niveau de concentration et niveau de prix repose
sur l’hypothèse d’une concurrence à la Cournot
– Dans un modèle de concurrence en prix (à la Bertrand), le prix d’équilibre
ne dépend pas du nombre de concurrents (2 concurrents suffisent !)
 L’approche par les parts de marché supposent des biens
homogènes et une substituabilité identique entre tous les biens
qui composent le marché
– En pratique les biens présentent toujours certains degrés de différenciation
 On se tourne vers des modèles de concurrence avec des biens
différenciés
41
La problématique des biens diversifiés
Firme A
Firme B
Firme C
Firme D
 Cas d’école
– 4 firmes à 25 % de part de marché, consommateurs équi-répartis
 Selon l’approche par les parts de marché, une fusion B-C est
équivalente à une fusion A-D
– Même incrément de part de marché
– Même modification du HHI
 Pourtant, l’incitation des firmes à augmenter les prix et le
nombre de consommateurs touchés seront plus élevés dans le
cas d’une fusion B-C
– Les parts de marché échouent à prendre en compte la proximité
concurrentielle
42
Ratios de diversion entre biens différenciés
 A la suite d’une hausse de prix sur le bien A, les consommateurs
se reportent en partie sur d’autres biens
– Le ratio de diversion entre A et B mesure la proportion des consommateurs
qui cessent de consommer A pour se tourner vers B
– Il permet d’apprécier la proximité concurrentielle des biens A et B
43
Comment mesurer des ratios de diversion ?
 Sondage auprès des consommateurs
– Quel produit concurrent achèteriez-vous si le produit A était en rupture de
stock ?
– Quel produit concurrent achèteriez-vous si le prix du produit A augmentait
de 10 % ?
 Difficultés
– Coût de réalisation d’un sondage auprès d’un échantillon représentatif de
consommateurs (dans l’affaire Co-op/Somerfield, l’OFT a réalisé un
sondage auprès de 40 000 consommateurs)
– Biais possible entre les réponses au sondage et le comportement effectif
des consommateurs
44
Comment mesurer des ratios de diversion ?
 Analyse des changements observés dans le passé
– Les entreprises peuvent avoir mené en interne des études sur l’origine de
leurs nouveaux clients et sur la destination des clients perdus
– Certains instituts (e.g., Kantar, GFK/Europanel, Nielsen) suivent le
comportements d’achat d’un panel de consommateurs et peuvent donc en
extraire des données sur les transferts de consommation entre produits
 Difficultés
– En théorie, on cherche à mesurer le ratio de diversion à la suite d’une
hausse de prix alors que les changements observés dans le passé peuvent
avoir été causés par d’autres facteurs qu’une variation de prix
45
Des ratios de diversion à l’incitation à la hausse des prix
 Une fois les ratios de diversion estimés, il est possible d’en
déduire un indicateur de pression à la hausse des prix
– L’intérêt est qu’on le calcule à partir de données relativement simples à
obtenir : ratios de diversion et taux de marge
 Intuitions
– La nouvelle entité sera d’autant plus incitée à augmenter ses prix que les
ratios de diversion entre les produits des parties sont élevés
– La nouvelle entité sera d’autant plus incitée à augmenter ses prix que la
marge sur le produit vers lequel se reportent les consommateurs est élevée
 Gross Upward Pricing Pressure Index (Salop & Moresi, 2009)
46
Des ratios de diversion à l’incitation à la hausse des prix
 Quelques ordres de grandeurs
–
UPP
UPP en fonction du ratio de diversion (hyp. : taux de marge = 20 %, gains
d’efficacité = 10 %)
15%
Pas d’incitation à augmenter les prix
Incitation à augmenter les prix
10%
5%
Ratio de diversion
0%
5%
-5%
47
-10%
10%
15%
20%
25%
30%
35%
40%
45%
50%
55%
60%
65%
70%
75%
80%
85%
90%
95% 100%
Les limites des indicateurs de pression à la hausse des
prix
 Les ratios les plus simples à mettre en œuvre ne donnent
qu’une indication de l’incitation ou non à augmenter les prix,
mais pas d’indication sur l’ampleur de la hausse
 Les ratios reposent sur l’utilisation de la marge brute, qui peut
être très importante dans certains secteurs y compris en
l’absence de pouvoir de marché significatif
 Les indicateurs n’intègrent pas la possibilité de réaction des
concurrents et de repositionnement en prix et/ou en
caractéristiques du bien
48
Conclusion sur les ratios de diversion
 Méthode finalement assez simple à mettre en œuvre
– Mais attention, l’UPP ne donne qu’une indication sur le sens des incitations
– On doit l’envisager comme un premier test permettant d’identifier les
opérations les plus susceptibles d’être à l’origine d’effets unilatéraux
 Exemple
– Dans le dossier Unilever/Sara Lee (M.5658), l’analyse de données de panel
a mis en évidence un ratio de diversion entre Sanex et les marques
d’Unilever de [40-50 %]
– « Even if the other half of switching is to or from other brands, the merger
instantly removes nearly half of the total competitive constraint previously
exercised on Sanex. This increases the possibility for a price increase of
Sanex post-merger », §383
– Pour aller plus loin, il est nécessaire de construire un modèle permettant
de simuler l’effet de la fusion
49
Simulation simple de l’effet d’une fusion
 Le ratio de diversion nous indique comment se répartissent les
consommateurs qui changent de produits, mais ne nous dit rien
sur leur nombre
– Or plus les consommateurs seront nombreux à changer de produits (ou à
réduire leur consommation), moins la nouvelle entité n’aura intérêt à
augmenter ses prix
– Pour simuler l’effet d’une fusion, il faut intégrer le comportement de la
demande, ce qui implique de choisir la forme de la fonction de demande
 Spécifications possibles pour le fonction de demande
– Demande isoélastique : l’élasticité de la demande reste constante le long
de la courbe de demande
– Demande linéaire : l’élasticité de la demande augmente au fur et à mesure
que le prix augmente
50
Simulation simple de l’effet d’une fusion
 Illustration de l’impact de l’hypothèse retenue sur la fonction
de demande (marge = 20 %)
Hausse de prix
60%
Demande isoélastique
50%
40%
30%
20%
Demande linéaire
10%
0%
5%
51
10%
15%
20%
25%
30%
35%
40%
45%
50%
55%
60%
-10%
Ratio de diversion
Appréciation directe de l’effet de la fusion
 Cette approche est possible lorsque les parties à l’opération
sont simultanément présentes dans certaines zones mais pas
dans d’autres
– Autrement dit, on cherche à identifier, dans le passé, un effet visible de la
concurrence entre les parties à l’opération
 Exemples
– Staples / Office Depot (FTC, 1997) : comparaison des prix pratiqués par
Office Depot en fonction de la proximité d’un magasin Staples
– Ryanair / Aer Lingus (CE, 2007) : comparaison des prix pratiqués par
Ryanair selon que Aer Lingus soit ou non présente sur la même route
 Difficulté : être en mesure de bien identifier l’effet spécifique de
la présence de l’autre partie (requiert la mobilisation de
techniques économétriques)
52
Conclusion sur l’appréciation des effets unilatéraux
 Les effets unilatéraux sont la principale
préoccupation des autorités de concurrence
source
de
 Quelle que soit la méthode retenue, l’appréciation de ces effets
utilise de manière croissante des analyses quantitatives
appuyées sur les données des parties
 Le débat sur la place des marchés pertinents et des parts de
marché dans l’appréciation des effets est l’un des principaux
points de discussion de la pratique des autorités de
concurrence
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Fusions horizontales et effets coordonnés
 Une fusion modifie les incitations et les potentialités des
acteurs d’un marché à coordonner leurs comportements
– En réduisant le nombre d’entreprises, la fusion accroît la transparence du
marché
– En réduisant le nombre d’entreprises, la fusion limite les coûts de
coordination des comportements
 La conséquence peut en être un risque accru de collusion tacite
– Sans échange explicite, les firmes arrivent à soutenir un prix supérieur à
l’équilibre concurrentiel : les prix hauts appellent les prix hauts
 Critères utilisés (Airtours)
– Transparence du marché
– Détection possible des déviations
– Sanctions possibles des déviations
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Fusion horizontale et gains d’efficacité
 Une fusion horizontale peut générer des gains d’efficacité
– Baisse absolue des coûts : pouvoir de négociation accrue vis-à-vis des
fournisseurs, technologie plus efficace de l’une des firmes
– Economie d’échelles : baisse du coût unitaire de production lorsque le volume
augmente
– Complémentarité technologique
– Diversification (du risque, sécurité et opportunités d'emploi, protection de la
réputation et du capital informationnel de la firme)
– Eléments financiers (redéploiement du capital avec un financement interne
moins coûteux, capacité d'endettement accrue, fiscalité)
– Meilleure coordination des prix, de la variété, de la localisation de l'offre,
crédibilité de l'engagement en terme de gamme ou localisation de la firme issue
de la fusion
 Mais leur prise en compte est assortie de conditions
– Mesurables, spécifiques à la fusion, rétrocédés en partie aux consommateurs
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Les fusions verticales
 Concentration dans laquelle les firmes concernées opèrent à
deux stades différents d’une même chaîne de valeur verticale
– Exemple : Canal + (via SFR) – Neuf Télécom
 Le degré de concentration n’est pas modifié
 Les fusions verticales sont a priori porteuses d’effets pro
concurrentiels en améliorant la coordination
– Technique : gain d’efficacité
– Tarifaire : Elimination de la double marginalisation (exemple de la route du
sel)
– Investissement : suppression d’un risque de hold-up/free riding
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Mécanisme de forclusion de clients
 La forclusion de clients revient à fermer une partie des
débouchés à l'aval des entreprises concurrentes de l’entreprise
intégrée, cette dernière ne s’approvisionnant plus qu’auprès de
sa filière amont.
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Mécanisme de forclusion d’intrant
 La forclusion d'intrant désigne une pratique d'exclusion menée
par la division amont de la firme intégrée à l'encontre des
concurrents de sa division aval, soit en les privant d'un accès à
un intrant nécessaire à leur activité, soit en augmentant le coût
de cet intrant.
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Les fusions conglomérales
 Concentration dans laquelle les firmes ne sont ni concurrentes
ni clients mais dans laquelle elles servent des clients communs
– Exemple : Somfy (moteurs pour volets roulants)/Zurflüh-Feller (accessoires
pour volets roulants)
 Le risque en matière de concurrence est celui d’une éviction
des concurrents de l’un des marchés par un effet de levier ou
de couplage impliquant l’autre marché (vente ou remises
couplées, stratégie d’incompatibilité technique, etc.)
– Le fabricant de moteurs ne produit que des moteurs compatibles avec les
accessoires de la firme-cible, les autres accessoiristes sont évincés
 Comme pour la fusion verticale, ce risque n’existe que si l’un
des acteurs est incontournables ou si la gamme formée par la
nouvelle entité est un avantage déterminant
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59
Conditions de nocivité d’une fusion conglomérale
 Condition 1 : le fait de détenir une gamme revêt un avantage
déterminant
 Condition 2 : aucun autre acteur que la nouvelle entité ne
possède une gamme aussi large
 Condition 3 : l’un des acteurs à l’opération ou l’un de ses
produits est incontournable sur son marché
 Sous ces trois conditions, la nouvelle entité peut s’appuyer sur
un effet de levier pour conforter sa position concurrentielle
sans que cela soit dû à sa plus grande efficacité
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Les remèdes
Principe
 Les remèdes ont pour objectif de compenser les effets
anticoncurrentiels qui ne seraient pas contrebalancés par des
effets proconcurrentiels
– Les remèdes structurels consistent à céder des actifs à des concurrents
pour rétablir un état de concurrence similaire à celui pré-fusion
• Exemple : vendre un magasin situé dans une zone de chalandise dans laquelle le
rachat d’un réseau de distribution permet à l’acquéreur de disposer d’une part
de marché très importante
– Les remèdes comportementaux consistent à contraindre l’entreprise à
adopter (ou à ne pas adopter) certains comportements qui lui permettrait
d’exploiter le pouvoir de marché acquis grâce à la fusion
• Exemple : ne pas faire de remise liée sur des produits complémentaires
appartenant aux deux entités fusionnées
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Les remèdes
Analyse économique
 Dans les faits, l’analyse économique est souvent négligée dans
la phase d’élaboration des remèdes, alors qu’elle peut pourtant
jouer un rôle important
 L’analyse des remèdes doit être faite en réponse à l’analyse des
effets
– Il s’agit notamment d’apprécier la proportionnalité des remèdes aux
problèmes de concurrence identifiés
 Les caractéristiques économiques d’un marché détermine
l’efficacité prévisible des remèdes
– Exemple du cas Veolia-Transdev : un remède sous forme de cession de
contrat ne change rien dans un marché par appel d’offre, un mécanisme
incitatif à la participation aux appels d’offres a été proposé
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Conclusion sur les concentrations
 L’analyse économique (à la fois théorique et empirique) occupe
une place grandissante dans les cas de contrôle des
concentrations
 Une tension existe entre une approche formaliste appuyée sur
la définition des marchés et parts de marché, et une approche
par les effets focalisés sur la pression concurrentielle
mutuellement exercée par les parties
– Cette tension peut aussi se résoudre par la cohabitation d’outils et de
résultats renvoyant à l’une ou l’autre démarche (cas du test UPP utilisé en
complément des parts de marchés)
 Un thème en chantier est celui du suivi des marchés postfusion, pour évaluer la pertinence des analyses et simulations
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