DEVELOPPEMENT RECHERCHE ACTION Centre de Recherche et d’Experstise pour le Developpement Local CREDEL Siège : Zogbadjè, Abomey-calavi BP 1612 Abomey-Calavi Tél: (00229)21038908 /95 84 90 77 Email: [email protected] Site web: www.credel.org Rapport d’étude : LES DETERMINANTS DES CONFLITS ETHNIQUES ENTRE MAXI ET IDATCHA DE LA COMMUNE DE GLAZOUE Réalisé par : Centre de Recherche et d’Experstise pour le Developpement Local CREDEL sous la supervision de Cyrille thierry YEDEDJI Janvier 2008 Contribuer au développement soci-économique de la nation par la recherche 1 INTRODUCTION L’observation du monde, des sociétés et leur fonctionnement révèle que l’humanité dont la gestion était déjà compliquée, a davantage plongé dans la complexité (Mbock 2000 :1).Tout tend vers l’enchevêtrement, la circularité et l’interaction. Les peuples du monde et leurs problèmes se tiennent et revendiquent une approche globale en vue de solutions intégrées. L’approche systématique a donc progressivement cédé le pas à celle systémique. La complexité s’est confirmée avec la dynamique de la globalité. De fait, il s’agit désormais de comprendre les problèmes au-delà de leur simple explication. La recherche-action en sciences sociales y trouve matière. En effet, le tout est autre chose et quelque chose de plus que la somme des parties. Il constitue une réalité au même titre que ses éléments. La question ethnique, nous semble s’inscrire dans ce champ de globalité et de la dynamique des interactions des groupes ou des peuples en présence dans un espace donné. L’existence humaine est conflictuelle. Les conflits s’observent à tous les niveaux de la vie sociale. Ils opposent des classes sociales (Marx 1847 :90-91)1 , les confessions religieuses (chrétiens et musulmans), les formations politiques (intraétatiques et interétatiques), les ethnies, etc. Mais les conflits n’ont pas les mêmes causes ni les mêmes manifestations. Le conflit est un fait de société. Il n’existe pas de société qui n’en connaisse. Les conflits sont présents dans toutes les arènes sociales. Ils surviennent pour dynamiser les relations interpersonnelles afin de générer de nouvelles valeurs sociales. 1 - Karl Marx, 1847 « misère de la philosophie » 90-91, cité par Bartholy, Marie-Claude et Jean-Pierre Despin,1976 dans « la culture, anthropologie, ethnologie et sociologie ». 2 De nos jours, les conflits que traversent le monde en général et l’Afrique en particulier sont trop destructifs. Au nombre de ces conflits se trouvent les conflits ethniques objet de notre étude. En effet, Ibrahim (2000 :2) estime que tous les conflits armés ayant lieu à travers le monde depuis 1988, ont eu pour origine des questions ethniques internes et ont provoqué depuis 1945 la mort de seize (16) millions de personnes. Généralisant les conflits au monde entier, il dit que la planète toute entière a été le théâtre de tensions entre groupes religieux et ethniques et que des haines profondes, dont certaines avaient été déjà apaisées grâce à des réconciliations afin de faciliter la coexistence dans la paix et la coopération, ont ressurgi dans les comportements et des communautés se sont lancées dans de violents affrontements. Pourtant, la diversité culturelle a été pendant longtemps et devraient rester la richesse des communautés, mais constitue aujourd’hui la source d’instabilité et de destruction. L’ethnisation2 à outrance des Etats africains est un facteur d’intolérance culturelle qui, à coup sûr, mettra en mal l’unité nationale. Tandis que les uns consolident les ethnies et s’y enferment contre l’Etat, d’autres s’appuient sur les ethnies qu’ils installent au cœur de l’Etat : dans les deux cas, on construit l’ethnie mais on déconstruit l’Etat (Mbock 2000 :1). Les violences religieuses, les massacres politiques au Nigeria, les conflits en Côte d’Ivoire, au Congo Kinshasa, au Rwanda, au Burundi, au 1 - Karl Marx, 1847 « misère de la philosophie » 90-91, cité par Bartholy, Marie-Claude et Jean-Pierre Despin,1976 dans « la culture, anthropologie, ethnologie et sociologie ». 2- l’ethnisation est un concept utilisé par Mbock pour exprimer la tendance à privilégier les intérêts de groupes sociaux d’appartenance aux intérêts nationaux ou d’autres groupes. 3 Libéria, en Somalie et au Soudan, peuvent être d’origine ethnique et méritent une réflexion particulière des sciences sociales. Aucun pays n’est à l’abri de ce qui se passe ailleurs. En effet, depuis l’avènement du pluralisme politique au Bénin, l’ethnisation des régions et des communautés met en mal les relations interethniques. Au Bénin, les manifestations de la discrimination gardent un aspect anodin qui masque cependant mal le caractère très marqué des attitudes d’exclusion. Celles-ci se traduisent le plus souvent dans des positions de réserve, de méfiance, de défiance ou de mépris qui entretiennent les différences et les conflits ethniques et qui se cristallisent de temps en temps dans des explosions de violence (Anignikin 1997 :51). Dans le département des Collines et notamment dans la commune de Glazoué, les problèmes domaniaux, identitaires et politiques opposent les Mahi et les Idatcha. Dans le but de rechercher d’attirer l’attention de l’opinion publique nationale sur ces conflits embryonnaires et les sources de ces différends interethniques le Centre d’Expertise pour le Développement Local (CREDEL) a choisi de réfléchir sur le thème: « les déterminants des conflits ethniques entre Maxi et Idatcha de la commune de Glazoué ». Cette étude est bipartite. La première partie présente le cadre théorique, méthodologique et physique de l’étude. Dans la deuxième partie inventorie et apprécie les problèmes en milieu Mahi et Idatcha. 4 PREMIERE PARTIE : CADRE DE L’ETUDE 5 CHAPITRE I : CADRE METHODOLOGIQUE A. CADRE THEORIQUE 1. Problématique Un regard attentif porté sur les conflits locaux à travers le monde révèle une multitude de problèmes qui restent difficiles à résoudre dans l’ensemble. En effet, la vie sociale est régie par des interactions entre les individus d’un même groupe socioculturel ou non. Ces interactions sont souvent objet de conflits. Au lieu d’être sources de richesses, instruments du développement, les différences culturelles sont objet d’antagonismes entre les groupes ethniques. Les hommes se livrent des luttes sans issue favorable. Les conflits déchirent les familles et partant la société. Les hommes se méprisent, se haïssent. L’ethnocentrisme3 est d’actualité dans nos sociétés et se caractérise par des jugements de valeurs. Généralement celui qui n’est pas de la même culture, de la même localité ethnique que soi ne bénéficie pas des mêmes traitements que les siens. Au Bénin, l’imagerie populaire a simplifié le conflit ethnique en la réduisant à une opposition entre les peuples du Nord et ceux du Sud. Mais la réalité des choses paraît plus complexe. Sous cette opposition régionaliste forgée et entretenue par les luttes et manipulations politiques, se développent de multiples manifestations de discrimination qui enveniment les relations aussi bien entre les populations du Sud qu’au sein des populations du Nord (Anignikin 1997 :51). L’homme du sud traite celui du nord d’archaïque, non civilisé. Dans le même temps, 3 L’ethnocentrisme est l’attitude consistant à juger les formes morales, religieuses, sociales d’autres communautés selon nos propres normes et donc à juger leurs différences comme une anomalie (Claude Rivière,1995 :10). Parler des autres ce n’est pas parler sur le dos des autres ni contre eux. Rien de moins facile, cependant, étant donné l’etnocentrisme qui est naturel à tout homme. Chacun s’identifie, par sa langue,son faciès, ses manières de vivre, à une communauté dont il a assimilé les valeurs. Il a tendance à rejeter, critiquer ou dévaloriser ceux qui ne sont pas comme lui. 6 l’homme du nord juge celui du sud de mesquin, de machiavélique. Les agressions verbales sont quotidiennes. Dans le département des collines, des oppositions violentes entre Nago et Fon à Savè d’une part et celles entre Mahi et Idatcha à Glazoué d’autre part ont été fréquentes cette dernière décennie. En effet les expressions ethnocentriques et révoltantes telles que : « ifno ko san ; ifno knda4 » ; »dassanou vnvn; dassanou ma gni gbètn5 », sont quotidiennes. Les frustrations, les médisances, les mépris interethniques, l’exclusion, l’ethnocentrisme sont d’actualité dans les collines, particulièrement dans la commune rurale de Glazoué. En 1998 par exemple, la commune de Glazoué affrontements interethniques dans certains a connu des arrondissements tels que Ouèdèmè, Thio, Assanté, Magoumi. Le 23 novembre 2002, le palais du roi Mahi de Glazoué a été saccagé par après son intronisation. Selon les informations reçues sur le terrain, les auteurs du drame sont arrêtés à la suite d’une plainte déposée par le roi au tribunal d’Abomey. Pourquoi ces violences alors que les différents groupes étaient ensemble depuis des décennies ? Ces conflits sont-ils la résurgence des conflits ancestraux ou s'inscrivent-ils dans la dynamique du changement social? Autrement, quels sont les déterminants socio-anthropologiques des conflits entre Mahi et Idatcha de Glazoué ? Cependant toute recherche qui se réclame objective nécessite la formulation d’hypothèses qui permettent d’atteindre des objectifs fixés. 4 -Ifun ko san, ifun ko daa, expressions idatcha qui signifient « le Fon est mauvais » -Dassanu vovo, dassanu magni gbèto : expressions mahi qui signifient « simple idatcha,idatcha n’est pas un homme ». 5 7 1.1. Hypothèses Pour les besoins de recherche les trois hypothèses retenues sont : - les conflits entre les Mahi et Idatcha de Glazoué résultent de l’exercice du droit foncier traditionnel par les dignitaires fonciers sur les métayers. - les conflits entre les Mahi et Idatcha de Glazoué résultent des différences culturelles des deux groupes socio-culturels. - Les conflits entre les Mahi et Idatcha de Glazoué résultent des enjeux sont économiques et politiques qu’offrent la commune. La vérification de ces hypothèses passe par la formulation des objectifs à atteindre qui sont les suivants : 1.2. Objectif principal Appréhender les principaux fondements qui sous-tendent les tensions ethniques entre Mahi et Idatcha de Glazoué. 1.3. Objectifs spécifiques - Identifier les différents fonciers entre les deux ethnies de même que leurs motifs. - Diagnostiquer au plan culturel, les conflits entre les Mahi et les Idatcha de la commune de Glazoué. - Rechercher les causes économiques et politiques des conflits ethniques entre Mahi et Idatcha de Glazoué. 2. Justification des choix 2.1. Le choix du thème Le développement prospère d’une localité nécessite la cohésion, l’unité et l’harmonie entre les groupes socioculturels qui la composent. La cohésion interethnique est aussi indispensable que les populations sont condamnées à vivre ensemble et à partager les mêmes infrastructures sociocommunautaires. Les violences interethniques ne profitent à personne. Ce sont des situations 8 qui créent la méfiance et bloquent le processus de développement local durable. De nos jours, la stabilité et la paix d’une région sont des facteurs cardinaux de son développement. Dans cette tension interethnique la commune aura du mal à amorcer le développement local dans la paix, l’union et la concorde. Les conflits ethniques à Glazoué interpellent les acteurs du développement et il est utile d’appréhender leurs mobiles. 2.2. Le choix du site Glazoué est une localité à majorité ethnique Mahi et Idatcha du département des collines, qui connaît depuis l’avènement démocratique des conflits réguliers entre les deux ethnies. En 1998 précisément, la commune a connu une série de violences notamment dans les arrondissements de Ouèdèmè, de Thio, de Assanté, de Magoumi, de Zaffé et de Glazoué. Les conflits interethniques Mahi/Idatcha ont failli dégénérer en ethnocide. La situation avait retenu l’attention gouvernement d’alors qui a dépêché une délégation ministérielle calmer les tensions. Mais depuis lors il n’y a eu aucune étude sur ce phénomène social. Aussi souvent dans cette région des propos ethnocentriques révoltants et de mépris de l’autre sont directement ou indirectement vécu. 3. Clarification conceptuelle Les termes fondamentaux de la recherche sont : « conflit » et « ethnie ». 3.1. Conflit Selon Bloch et Wartburg, conflictus du verbe confligere veut dire heurter. Paul Robert6 nous informe que le mot «conflit « apparut à la fin du Xllè siècle est de source latine et en fait de bas latin conflitus : choc. Le premier sens qu’en donne ce document est relatif à la lutte, au 6 Bloch et Walter, Paul Robert , cités par l’abbé Jean-Marie Botchi dans son séminaire de cours de 4ème année de Socio-Anthropologie sur l’aspect Socio-Anthropologique des conflits, 2001-2002. 9 combat. Le deuxième sens a trait à la rencontre d’éléments, de sentiments contraires qui s’opposent. C’est en ce sens qu’on parle d’antagonisme de conflagration, de discorde, de lutte d’opposition, de tiraillement. Ce document évoque un troisième sens où le conflit est la contestation entre deux puissances qui se disputent un droit. C’est dans ce sens qu’on parle de conflits internationaux, d’arbitrage de conflit, de conflit armé, de guerre. Enfin un quatrième sens a trait au droit puisqu’il correspond à la contestation de compétence entre juridiction. Les conflits d’attribution sont par exemple ceux qui relèvent d’une telle compréhension. Le dictionnaire Universel le définit d’une part comme « antagonisme : le conflit des passions, le conflit de tendance, d’autorité » et d’autre part comme « opposition entre deux Etats qui se disputent un droit : conflit armé, guerre ». Selon Grawitz (2000 :85) ce sont des oppositions ou affrontements plus ou moins aigus ou violents entre deux ou plusieurs parties : nations, classes, personnes, ou encore entre tendances, aspirations, motifs à l’intérieur d’un même individu. Le dictionnaire général des sciences humaines a respectivement abordé la notion sous les angles de la biologie comparée, de la psychologie, de la psychanalyse, de la politique et enfin de la sociologie. Le concept est pluridimensionnel et son contenu varie suivant les disciplines. Ainsi, du point de vue juridique, le conflit est une opposition d’intérêts divergents. Du point de vue moral le conflit est une lutte entre deux valeurs. Enfin du point de vue psychiatrique c’est une opposition pouvant exister soit entre des tendances instinctives contradictoires, soit entre ces tendances et les exigences éthico sociales. 10 Le Professeur Denis Amoussou Yéyé7 dans son cours sur l’aspect psychosociologique du conflit le définit comme la situation créée par l’existence de deux pulsions entrant en compétition chez le même individu. René Dégni-Ségui (1995 :37) définit le conflit comme « toute contestation ou opposition d’intérêts ou de droits entre protagonistes ». Au regard des différentes définitions ci-dessus nous dirons que le conflit est la manifestation d’une opposition à un fait, à une situation suite à une frustration. Cette opposition peut se traduire par des tensions, des crises, des violences où le recours aux armes conventionnelles et non conventionnelles est certain. 3.2. Ethnie Du grec ethnos elle est définie dans le Larousse comme un groupement humain qui possède une structure familiale, économique et sociale homogène et dont l’unité repose sur une communauté de langue et de culture. C’est le même sens qu’en donne le dictionnaire Universel en la désignant par un groupement humain caractérisé principalement par une même culture et une même langue. Selon Rivière (1995 :11) l’ethnie se définit généralement comme une population (ethnos=peuple en grec) désignée par un nom (ethnyme),se réclamant d’une même origine, possédant une tradition culturelle commune dont l’unité s’appuie en général sur une langue, un territoire et une histoire identique. Le Robert historique définit le concept comme un ensemble d’individus qui ont en partage un certain nombre de caractères de civilisations 7 - Professeur Amoussou YéYé, séminaire de cours de 4 ème année socio anthropologie sur l’aspect psychosociologique du conflit, 2001-2002. 11 notamment linguistiques ; il tend à remplacer certains emplois abusifs de race mais reste didactique (Patrick 1998 :2). Le Littré8 de 1876 représentatif de l’état de la langue française du XlXème siècle répertorie ethnarchie, ethnarque, ethnique, ethnos-généalogie, ethnographe, ethnographie, ethnographique, ethnologie, ethnologique, ethnologiquement, ethnologiste, mais ne reconnaît pas encore ethnie. On peut y noter que l’ethnographie est la science qui a pour objet l’étude et la description des divers peuples et que l’ethnologie est : « traitée sur l’origine et la distribution des peuples». Ce qui a trait à ethnique est un raccourci historique des avatars de ce mot : - qui appartient au paganisme, dans le style des pères de l’Eglise ; les nations ethniques - terme de grammaire, mot ethnique, mot qui désigne l’habitant d’un certain pays. Français est un mot ethnique. - l’ethnique, la désignation qui caractérise un peuple. Gaulois est l’ethnique d’une population considérable en Europe, Allemand est l’ethnique de la peuplade des alamans, dont les français ont fait l’ethnique de la nation entière. Au-delà de la question des définitions se posent celle des connotations qui sont « flottantes ». C’est aussi le cas des signifiants avec lesquels justement le mot ethnie peut être ou a été confondu avec race, peuple, tribu, nation. Ces flottements ne sont compréhensibles qu’à l’intérieur des contextes sociohistoriques de leurs usages. 3.3. Conflit ethnique Selon Médard (1999 :87), les violences ethniques consistent en des violences spontanées qui opposent des groupes ethniques hostiles. 8 cf « la notion d’ethnie » de FERMI Patrick 1998 :2 12 A partir des différentes définitions nous pouvons retenir qu’un conflit ethnique est une opposition ou des affrontements de toute nature entre déférents groupes socio-culturels vivant sur un espace géographique donné. Il en résulte que tout conflit social n’est pas ethnique mais tout conflit ethnique est social. Le conflit social est toute forme de lutte, de violences entre différents acteurs sociaux. Les conflits ethniques sont une particularité des conflits sociaux. Ce sont souvent des conflits d’identité culturelle. Ces violences sont caractéristiques des ravages, des déplacements des populations dans certains pays africains en guerre notamment la Côte D’Ivoire, le Rwanda, Burundi, le Congo Kinshasa, le Libéria… 4. Revue de littérature L’étude des conflits peut se prévaloir d’une longue et riche histoire faite d’hypothèses, de schèmes conceptuels, de généralisations induites de l’empirie, qui forment un legs de cumulatifs. Dans la sociologie de Karl Marx9, le conflit de classe apparaît comme un thème central. Mais cette intuition devra attendre bien longtemps pour obtenir le développement qu’elle mérite. L’année 1908 de parution de deux ouvrages de G. Sorel : la décomposition du marxisme et réflexions sur la violence, est aussi celle de la publication à Leipzig du Der Streit (le conflit) de G Simmel. Simmel a le mérite d’insister sur le fait que le conflit, sous la forme de compétition ou de discorde, est inhérent à toute société au même titre que le processus d’harmonie et d’association. Le conflit pense-t-il, existe toujours à l’état latent. Dans les vingt (20) premières années du siècle, les pionniers de la sociologie américaine tels L.Ward, E. Ross, A Small, C. Cooley, n’omettent pas, à propos des « Social processes », de traiter 9 - Claude Rivière dans « l’analyse dynamique en sociologie »,1978 :124 13 incidemment du conflit qu’ils voient comme constructif et inhérent à toute organisation. Mais le courant fonctionnaliste, qui par la suite s’élabore aussi bien dans les expériences de E. Mayo et de F. J. Roethlisberger sur le fonctionnement des entreprises que dans les recherches de W L Warner sur les stratifications sociales ou dans les constructions théoriques de T. Parsons10, prend l’intégration comme axe essentiel d’interprétation du social et envisage le conflit sous son aspect disruptif, dysfonctionnel, comme une sorte de maladie sociale. Pour Grawitz (2000 :85), le conflit est une notion essentielle pour les fonctionnalistes, qui, avec des nuances considèrent le conflit comme facteur d’équilibre et même de progrès dans une société assez mûre pour l’intégrer. A l’opposé, les marxistes considèrent le conflit seulement comme lié au mode de fonctionnement de production et se manifeste dans la lutte des classes. Selon Bartholy et Despin (1976 :47), l’origine de conflits de classes se trouve dans l’histoire et le mode de production capitaliste. Dans une lignée théorique proche de la précédente se situe Lewis Coser11 que « the functions of social conflit » montrent attentif à l’abréaction collective et au rééquilibrage des pouvoirs. Les affrontements idéologiques entre blocs, les mouvements d’émancipation nationale, les confrontations raciales, conduisent les sociologues à s’interroger sur les dysfonctionnements des sociétés. Si l’ouvrage de R. Dahrendorf* fait date en 1959, c’est parce qu’il témoigne d’un renouveau d’intérêt pour la pensée de Karl Marx et propose l’un des premiers essais solides de théorisation des conflits industriels. A la même époque fleurissent d’autres recherches synthétiques de C.Brinton, 10 11 - Claude Rivière dans « l’analyse dynamique en sociologie », 1978 :124 - Claude Rivière dans « l’analyse dynamique en sociologie » ,1978 : 125 14 K. Aron, C. Keer, M. Gluckman, sur les révolutions, les guerres, les conflits de travail et la résolution des tensions dans les sociétés archaïques, qui précisent les cadres d’analyse, les typologies, les modèles d’explication des situations : causes, déroulement, acteurs et issues du conflit. A toutes ces analyses qualitatives visant l’importance de la prise en compte des conflits pour dessiner les frontières des groupes comme pour comprendre leur dynamique, s’ajoutent les recherches expérimentales sur la dynamique des petits groupes, des contributions quantitatives au moyen d’indicateurs et de modèles, comme celles de Ted F. Gurr qui met en rapport les conflits avec les inégalités sociales et certaines caractéristiques structurelles des sociétés. J Galtung développe une théorie de l’impérialisme pour expliquer les conflits du tiers monde; A. Stinchombe propose le concept de conflit institutionnel; J. G March et Simon cernent les conflits à l’intérieur des organisations; A .Kriegel12 prend pour guide d’analyse d’une crise celle de mai 1968: le traumatisme ponctuel, l’effondrement de la structure antérieure, les processus de sélection conduisant à la reconstruction d’un nouvel arrangement. Rivière (1978 :126-132) fait remarquer que ces deux orientations de la recherche suggèrent une nécessaire distinction, au moins initiale, entre conflits endogènes s’exprimant à l’intérieur d’une société globale et conflits exogènes ou internationaux. Les conflits internationaux dira-t-il n’ont ni les mêmes enjeux, ni les mêmes armes, ni les mêmes déroulements que les conflits entre organisation. 12 - l’abbé Botchi dans son séminaire de cours de la 4ème année Socio-Anthropologie sur l’aspect SocioAnthropologique des conflits. 15 Pour Rivière, la typologie et l’analyse des variables jointes à des analyses empiriques de la genèse, de l’expression et du développement des conflits dans différents contextes sociaux constituent les premiers pas pour une recherche des corrélations. R. M. Williams dégage par exemple comme conditions minimales du conflit entre groupes : la visibilité, le contact et la rivalité ; comme facteurs de probabilité du conflit : le renforcement de différenciation des groupes quant à leur nombre, et à leur système de valeur, la rapidité du changement social, la généralisation des tensions et la non canalisation de l’agressivité. A la suite de Williams, Rivière montre que la propension au conflit croît avec la différenciation culturelle et la diminution des interactions et des communications. « La multiplicité des conflits mineurs réduit la probabilité d’apparition de conflits importants. La violence de masse est la plus probable dans les conditions suivantes : - Frustration prolongée créant un haut degré de tension, - Présence dans la population d’éléments masculins appartenant aux classes inférieures, - modification éminemment visible et rapide des relations entre groupes, - incident accélérateur du conflit. » Il reste à vérifier ces concomitances et régularités par accumulation d’informations historiques et quantitatives non fragmentaires. En dehors du marxisme, tous les auteurs se montrent généralement allergiques à une explication unitaire des conflits. La réduction de tout conflit international, familial ou psychologique à un conflit de classe. De même, la réduction des conflits sociaux importants actuellement aux seuls facteurs de la situation salariale semble manquer de pertinence et s’appuyer seulement sur une profession de foi. 16 De l’analyse de Claude Rivière il ressort qu’il convient d’affiner la recherche causale en saisissant le conflit à différents plans, même psychosocial, et dans diverses conjonctures historiques. A travers les moments de l’histoire jouent différemment les facteurs de conflits et varie l’intensité de leur manifestation. Deux théories centrées sur l’agression comme instinct primaire ou comme conséquence de la frustration ont été invoquées pour rendre compte de l’origine des conflits. La première hypothèse défendue par des éthologues comme Konrad Lorenz13 se fonde sur un instinct primitif dont l’expression serait dirigée dans les conditions naturelles contre des individus de même espèce. Cet instinct se manifeste dans la défense du territoire, conduit à l’établissement d’une hiérarchie sociale, contribue à la protection des femmes et des jeunes, de même qu’à la conservation de l’espèce. K. Lorenz souligne comme très distinctes dans leur fonction et expression, d’une part, l’agressivité intraspécifique, visible dans l’attaque d’un congénère et liée à des relations que l’on pourrait dire personnelles et affectives au sein d’une structure de groupe et d’autre part, l’agressivité interspécifique qui consiste par exemple à tuer un animal d’une autre espèce pour le manger. Selon la seconde hypothèse soutenue par Barker et Lewin à partir d’expériences menées sur les enfants d’école maternelle, l’agression, au lieu d’être primaire, naîtrait de la frustration, si bien que pour éviter le conflit, il suffirait de réduire et, si possible, de supprimer la frustration, tandis que dans l’hypothèse de Lorenz, la solution optimale consisterait seulement à canaliser l’agressivité en lui proposant des décharges non destructives. Certes les hypothèses peuvent se concilier puisque nous les trouvons toutes deux présentes dans la pensée freudienne et qu’il serait par 13 cf cours de Botchi, 4ème année de Socio-Anthropologie ,2001-2002. 17 ailleurs difficile d’expliquer pourquoi l’agression répond à la frustration si l’on n’admet pas comme force au moins latente un instinct agressif. Néanmoins la question de l’origine du conflit demeure non résolu si l’on veut bien observer que, selon les théories classiques, en même temps qu’un instinct d’agression, existe un instinct grégaire aux effets plutôt contraires, l’agression pouvant être refoulée par des comportements de retrait ou de fuite, ou dérivée vers des soupapes de sûreté par le moyen de sublimation ou d’une idéologie de résignation. L’approche psychosociologique fondée sur l’agression doit être relativisée lorsqu’on veut l’appliquer aux conflits politiques puis qu’elle sous-estime l’aspect rationnel et conscient. Certes Rivière considère comme cause lointaine la propension psychologique à s’engager dans une conduite agressive. Aussi schématise-t-il des sources plus conjoncturelles qui agissent à notre époque et dans nos sociétés en quatre points : - la première, très sensible en milieu éducatif, est l’absence de projet collectif d’envergure ; - la seconde tient à une mythologie du simple et du naturel qui révèle l’épuisement du rêve technologique ; - la source tient à l’usure du modèle institutionnel de démocratie représentative ; - la quatrième raison des conflits qui peut résumer les précédentes et dont M. Crozier14 a cerné quelques aspects, renvoie à la sclérose institutionnelle. Toutes ces causes profondes ou conjoncturelles sont encore, à elles seules insuffisantes à rendre compte des conflits si l’on ne fait intervenir 14 Claude Rivière, 1978 :135 18 directement le facteur humain comme cause immédiatement déclenchant. Ce sont les hommes, acteurs et supports d’opinion qui portent la charge affective de leur situation, qui ouvrent les conflits et les poussent à devenir des sources de transformation. Le rôle collectif ou individuel des acteurs dans le démarrage et la conduite d’un conflit social mérite une attention particulière et permet d’articuler le problème des causes immédiates et déclenchant à celui des mécanismes de développement des conflits par l’action de catalyseurs, de mobilisateurs et de manipulateurs. A cet effet Claude Rivière signale quelques processus généraux relativement fréquents des conflits en ces termes : - « la mobilisation des groupes concernés et leur support importe énormément, - la cristallisation ou la catalyse de situation tend à faire prendre parti, à l’égard de l’objet d’un conflit, des personnes qui n’étaient pas précisément concernées, - la manipulation consiste en une récupération de la force libérée par ceux qui font, à leur profit, les conflits de leurs buts initiaux». Les causes, les manifestations les conséquences, la gestion des conflits étaient au chœur des débats, dans les actes du colloque d’Abidjan sur « les conflits actuels et culture de la paix en Afrique ». Il ressort de ce colloque que toute construction sociale bâtie sur l’injustice et les frustrations, quelle que soit sa durée finit par s’écrouler. Dans ce cadre A. Toumani Touré15 a eu à dire : « les guerres prennent naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ». Le colloque a proposé sept étapes pour la gestion des conflits en Afrique : 15 - A. Toumani Touré au colloque d’Abidjan sur la paix en 1995 19 - la prévention des conflits par l’identification des sources fondamentales et profondes ; - l’intervention par négociation ; - la limitation des conflits par l’arrêt des hostilités et le cessez-le-feu ; - l’imposition du respect de la paix, par la sécurité collective au besoin par moyens militaires ; - la résolution des conflits par le respect des accords et l’identification des remèdes à leur apporter ; - la consolidation de la paix, par le désarmement, le cantonnement des troupes, la démobilisation, le retour des réfugiés ; - le soutien de la paix par la surveillance de la paix et la reconstruction. Les mécanismes institutionnalisés de résolution du conflit dépendent des habitudes culturelles. Pour prévenir à gérer les conflits, une marge de consensus est indispensable (Rivière 1978 :141). B- CADRE TECHNIQUE La recherche nécessite une démarche permettant de réaliser objectivement les objectifs que l’on se fixe. C’est à juste titre que KAPLAN16 disait « le propre de la méthode est d’aider à comprendre au sens le plus large, non les résultats de la recherche scientifique, mais le processus de la recherche lui-même ». Dans cette perspective, le chercheur doit faire recours à une méthode puisqu’elle permet l’utilisation de techniques de collectes de données et de technique de traitement, appropriées à la résolution d’une problématique. 16 - D’OLIVEIRA Bonaventure, initiation à la recherche :cours de la 1ère année de Socio-Anthropologie, 1997-1998. 20 La méthode adoptée est de type qualitatif et s’appuie sur des données du terrain. Cette méthode a été privilégiée à cause de la délicatesse, de la sensibilité de notre objet de recherche. Elle est caractérisée par deux phases: une phase active d’entretien individuel et de groupe, une phase passive qui consiste à observer sans influencer et à prendre note de tous les éléments ou évènements. Ainsi, l’ensemble des processus de recherche de collecte et de traitement des données qui ont permis la réalisation de ce document peut être ordonnée en quatre étapes principales : la recherche documentaire, la pré-enquête, l’enquête proprement dite le dépouillement et l’analyse des données recueillies sur le terrain. 1. Recherche documentaire Elle est une étape primordiale qui permet aux chercheurs de prendre connaissance des travaux par rapport au thème d’étude afin de mieux orienter les recherches. Cette recherche a permis de rassembler et de sélectionner les ouvrages et travaux dont certains ont été présentés dans la revue de littérature. La documentation consultée dans le cadre de cette étude est composée essentiellement des ouvrages généraux et spécifiques comme des travaux de recherches, des actes de colloque, des mémoires, des articles, des brochures relatives à l’éducation à la tolérance. Ces recherches ont eu lieu dans des centres de documentation et bibliothèques et sur Internet. Il s’agit entre autres de : 21 le centre de documentation de la faculté des lettres, arts et sciences humaines (FLASH) où des mémoires de maîtrise ont été consultés. la bibliothèque Universitaire (BU) où des dictionnaires ont été consultés. le centre Basile Cossou (CIBACO) où les actes de colloque sur la culture de la paix et d’autres ouvrages relatifs au racisme ont été consultés. National council of Negro women (NCNW Bénin) où des recherches sur Internet ont permis de découvrir des analyses sur les conflits ethniques. 2. Pré-enquête La pré-enquête a couvert la période de 15 juin au 07 août 2002. Elle a permis de faire les premières descentes sur le champ d’étude à Ouèdèmè, Magoumi, Glazoué. La rencontre avec les personnes ressources tels que les membres du comité de gestion de conflit à Glazoué, certains acteurs du conflit, des cadres de la commune à Cotonou, des étudiants Mahi et Idatcha de Glazoué résident à Calavi et Cotonou, des enseignants en poste à Glazoué, des responsables d’ONG, des femmes commerçantes et des ouvriers, a élargi les connaissances relatives à la question. Cette étape a permis de tester les outils d’investigation élaborés à cet effet. C’était aussi l’occasion d’avoir une idée de l’échantillon à constituer. Au total, la pré-enquête a permis de faire le point des connaissances antérieures en vue de mieux reformuler les hypothèses de travail puis la conception de l’échantillon. 3. Population à l’étude et échantillonnage Elle est composée de la population cible et de l’échantillon 3.1. Population cible La population concernée dans le cadre de la recherche est la communauté Mahi et la communauté Idatcha de la commune Glazoué. 22 Ne pouvant aller dans les dix arrondissements de la commune, nous en avons choisi cinq dans lesquels se distinguent : - Autorités locales - Membres du comité de sages de la commune - Responsables d’association de développement - Personnes Ressources - Témoins des affrontements - Victimes - Acteurs des affrontements - Ressortissants de la localité à Cotonou et à Calavi - Leaders politiques au cours de leurs tractations électorales - Chefs traditionnels 3.2. Echantillonnage L’échantillonnage a été fait en respectant la représentativité des différentes catégories d’acteurs. Il s’agit ici de faire le choix d’un échantillon raisonnable. Les enquêtés ont été choisis par choix raisonné. En effet, un échantillon de 211 personnes a été constitué. Cinq arrondissements ont été choisis à savoir Ouèdèmè, Magoumi, Thio, Aklamkpa à 32km17 et Glazoué centre. Ces cinq arrondissements sont choisis parce que Magoumi, Ouèdèmè, Thio et Glazoué ont été le théâtre de violences interethniques entre Mahi et Idatcha. Aklamkpa est choisi comme un arrondissement témoin, parce qu’il y a une homogénéité ethnique Mahi. Par conséquent il n’y a pas de conflits directs entre leurs populations et les Idatcha. Ces choix nous ont permis de faire une étude comparée des conflits dans la commune. 17 Atlas Monographique des communes du Bénin de 2001. 23 4. Enquête proprement dite Les techniques retenues dans le cadre de ce travail sont l’observation méthodique, l’interview individuelle et l’interview de groupe. L’outil utilisé a été le guide d’entretien, vu la sensibilité de l’objet de recherche. Aussi un appareil enregistreur a-t-il servi à la collecte des données. Avec la permission des enquêtés, toutes les informations sont enregistrées sur bande magnétique. Chaque soir, se fait la transcription des données enregistrées sur bande magnétique. Notifions que la collecte a été faite individuellement et collectivement. De façon collective, elle a été conduite par une équipe de trois acteurs dont un sociologue, un juriste et un responsable d'ONG en activité sur le terrain. Individuellement des interviews ont été réalisées avec les autorités locales, des personnes ressources, des témoins et des acteurs des évènements conflictuels. Aussi des ressortissants de la commune qui résident à Cotonou, calavi, Bohicon ont-ils été interviewés. L’observation directe et méthodique a permis de déceler des aspects intéressants, au cours des entretiens avec des amis de la localité, au cours des réunions politiques. Nous prenions note de tous les comportements subversifs et des propos ethnocentriques. Outre les techniques précédentes, des focus groupes ont été organisés regroupant différents acteurs (les blessés, les dépossédés de terres, les témoins) des évènements de 1998. Les données recueillies ont été traitées et analysées. 5. Dépouillement et analyse des données 24 Le dépouillement des données a été fait à chaque retour du terrain. Il a été manuel et a permis de valider les informations. Une grille de lecture articulée autour des grandes rubriques établies a facilité le dépouillement. L’analyse des contenus a été faite en liaison avec les hypothèses de départ. De même, les différentes notes prises lors des observations ont fait l’objet de comparaison, d’appréciation et de synthèses. Ces données recueillies ont permis de mesurer, d’analyser, les comportements des acteurs des différents groupes socioculturels face aux conflits existant entre eux. La triangulation des données a été la technique adoptée pour l’analyse des informations recueillies. Elle permet de vérifier la justesse et la stabilité des résultats produits. La contrainte et la fiabilité des données a exigé un dépouillement rigoureux. La présente étude a été réalisée pendant une période bien définie. 6. Durée de recherche Les recherches ont débuté en décembre 2006 dans le cadre de notre mini-projet de recherche dont le thème est : « les déterminants des conflits entre mahi et idatcha de Ouèdèmè. » Dans le but de souci d’élargir notre champ de recherche sur le phénomène. 7. Difficultés du terrain Les difficultés rencontrées au cours de cette recherche sont de plusieurs ordres. Mais principalement, celles linguistiques et celles relatives à la disponibilité de certains enquêtés ont retenu notre attention. Du point de vue linguistique il y a réticence de certains enquêtés Idatcha. 25 Malgré ces difficultés, nous avons pu néanmoins collecter les informations dont nous avons besoin pour réaliser le travail. 26 CHAPITRE II : PRESENTATION DE LA COMMUNE DE GLAZOUE A- Historique de la circonscription administrative de Glazoué Glazoué est l’une des six communes du département des Collines. Cette localité est devenue circonscription administrative suite au découpage territorial de 1978. L’objectif du régime d’alors était de rapprocher le pouvoir central des administrés. Avant 1978, Glazoué était un arrondissement (ex-commune) composé des villages Glazoué centre, Magoumi, kpakpaza, Zaffé. Cet arrondissement appartenait à la circonscription administrative de Dassa-Zoumè. Mais dans les années 1960 c’était un village de l’arrondissement de Thio. Les arrondissements de Ouèdèmè, d’Aklampa, dépendaient de Savalou. Le découpage territorial de 197818 a fait de Magoumi, Zaffé, Kpakpaza, et Assanté des arrondissements. Les détachements des villages en vue de créer la circonscription administrative de Glazoué font actuellement de la mairie dix arrondissements à savoir : Aklampa, Assanté, Glazoué, Gomè, Magoumi, Sokponta, Ouèdèmè Thio, Zaffé. Le chef lieu de la commune est Glazoué parce qu’il est situé au centre des neufs autres arrondissements et à cause des opportunités qu’il offre à travers son marché qui est le point de convergences des produits vivriers des différents arrondissements. La création de la circonscription administrative de Glazoué, bien qu’une bonne chose, est indirectement une source de conflit, parce qu’une 18 Les informations relatives à l’histoire de la circonscription administrative de Glazoué nous ont été fournies par le 2ème maire adjoint et le secrétaire Général de la Mairie. 27 délimitation des frontières des différentes communautés n’a pas été préalablement faite. B- Cadre géographique 1- Etendue et limites de la commune La commune de Glazoué s’étend sur une superficie de 1.750km2 ; soit 1,57% de la superficie du territoire national. Elle est située au cœur du département des Collines à 234km de cotonou. Elle est limitée au nord par les communes de Ouèssè et Bassila, au sud par Dassa, à l’Est par les communes de Ouèssè et Savè et à l’Ouest par Bantè et Savalou. La distance bord à bord est de 74km19. 2- Relief-climat-sol-végétation Le relief de la commune est marqué par la présence des collines à Sokponta, Gomè, Camaté, Tankossi, Tchatchégou, Thio, Ouèdèmè, Assanté, Aklampa. Avec un climat subéquatorial, la commune connaît deux saisons de pluie dont une petite et deux saisons sèches dont une petite également. On y trouve plusieurs types de sols à savoir : - Les sols sablonneux blancs - Les sols sablonneux noirs - Les sols ferrugineux - Les sols caillouteux. La végétation est constituée des formations naturelles : forêts riveraines, forêts galeries, forêts denses, forêts claires, des savanes boisées arborées et arbustives. On y trouve également des plantations de tecks et d’anacardiers. La commune est arrosée par le fleuve ouémé au niveau des villages d’Aklamkpa, de Béthel, Riffo, et une petite partie de l’arrondissement de 19 - Atlas monographique des communes du Bénin , 2001 28 Zaffé. Il y a aussi de petits cours d’eau tels que Adoué , Kotobo, Trantran, Tehoui, Antaoyi, Tchololoé… qui favorisent le développement de maraîchage de contre saison et les activités de pêche artisanale ( cf PDC de Glazoué)20. Les Mahi, agriculteurs traditionnels, occupent les espaces fertiles sablonneux noirs. Les Idatcha par contre vivent traditionnellement aux pieds des collines occupant des sols caillouteux, sablonneux blancs parce qu’ils sont des chasseurs. Cette localisation géographique fait objet de conflit parce que, les chasseurs devenus agriculteurs, descendent de leurs collines à la quête de terre fertile. C- CADRE HUMAIN 1- Données démographiques La population totale de la commune de Glazoué est de 90.47521 habitants selon le troisième recensement général du février 2002. La taille moyenne des ménages est de cinq (5) personnes. Le nombre de ménages est estimé à 18.101 dont 14.481 ménages agricoles soit 80%22 20 PDC : Plan du Développement communal de Glazoué validé en 2004. Recensement général des populations et de l’habitat (RGPH2) de 2002 22 - Plan de Développement communal (PDC) 21 29 de ruraux. La densité de la population est environ cinquante et un (51) habitants au km2. La croissance démographique est une source de conflit. Le conflit naît de l’interaction et des échanges croissants entre les acteurs sociaux des différentes communautés. 2- Groupe ethniques et Religieux La commune de Glazoué compte plusieurs ethnies dont les deux majoritaires sont les Mahi et Idatcha. En plus de ces deux groupes socioculturels il y a d’autres comme les Peulhs, les Adja, les Fon d’Abomey, les Dendi, les Yom, lokpa, les Otamari, les Yoruba du Nigéria qui constituent une minorité par rapport aux deux premières. En effet on constate que les Mahi constituent une homogénéité ethnique remarquable dans les arrondissements de Aklamkpa, Assanté, Thio, Ouèdèmè, tandis que les idatcha constituent une homogénéité à Sokponta, Zaffé, Magoumi, Kpakpaza. A Gomè et Glazoué il y a un cosmopolitisme mais surtout à Glazoué. Nos recherches ont révélé qu’à Gomè il y a des Mahi qui sont devenus Idatcha à force de vivre ensemble. Ceux-là sont venus de Monkpa, un village Mahi de Savalou. L’exemple des Zomahoun de Gomè nous a été évoqué à titre de preuve. Nous constatons que les communautés Mahi constituent une forme de ceinture autour de celles Idatcha. L’homogénéité relative et absolue des différentes communautés dans l’espace est porteuse de conflit. Car, majoritaires sur un espace, les minorités font souvent objet de discriminations. Chaque groupe est régi par une organisation du point de vue social et religieux. 2- Organisation sociale et religieuse En milieu Mahi comme Idatcha, outre les chefs élus par l’administration à savoir les chefs d’arrondissement et les délégués du village, il y a la chefferie traditionnelle. Les chefs traditionnels sont renforcés par les chefs de clans, les chefs de collectivité, les dignitaires de chasse et de couvents. Ces dignitaires du pouvoir traditionnel ont une influence déterminante dans toutes décisions concernant la vie de leur groupe socioculturel. Les groupes ethniques majoritaires se sont organisés de sorte qu’un membre d’une autre ethnie ne peut être chef traditionnel dans la localité de l’autre ethnie. Mais à Glazoué où il y a codominance entre les deux ethnies, il y a un chef traditionnel Idatcha qui décide au nom des deux communautés. Chaque communauté a ses valeurs socioculturelles qui lui sont propres et la tendance de l’une à régner seule sur un espace cosmopolite peut entraîner des conflits. 30 D- DONNEES ECONOMIQUES L’économie de la commune de Glazoué s’articule autour des traditionnels secteurs primaire, secondaire et tertiaire. 1- Le secteur Primaire L’économie locale de Glazoué est essentiellement agricole. Le secteur primaire est prépondérant. L’agriculture reste traditionnelle avec l’utilisation des outils archaïque tels que la houe, le coupe-coupe. Quelques rares paysans font usage de charrue de bœuf. L’agriculture n’est mécanisée dans aucun arrondissement de la commune. L’énergie musculaire est celle dont les paysans font usage au quotidien. Les principales cultures vivrières produites dans la commune sont le maïs, l’igname, l’arachide, le manioc, le riz, sorgho. La principale culture d’exportation est le coton. Mais aujourd’hui elle est secondée par les noix d’anacarde dont la plantation est très développée dans les collines en général. Elle est la deuxième culture de rente. Les populations font également l’élevage et la pêche. Le cheptel de la commune est constitué de bovins, d’ovins, de caprins, de porcins. Le porcin est très développé dans les villages Idatcha. Dans l’arrondissement Mahi de Ouèdèmè son élevage est interdit mais sa viande est consommée. La pêche n’est pas développée. Le développement de la chasse contribue considérablement à l’économie locale. La recherche d’espaces cultivables entraîne des confrontations ethniques. 2- Le secteur secondaire 31 Le secteur secondaire à Glazoué est caractérisé par la présence d’une usine d’égrenage de coton, SONAPRA23. L’industrie agroalimentaire est presque inexistante malgré l’abondance des produits vivriers. Les activités minières relatives à la carrière de granite demeure archaïques. Elles sont caractérisées par le concassage manuel. L’artisanat est une activité bien développée. Il est marqué par l’existence de scieries, des ateliers de menuiserie, de couture, de mécanique, de soudure, de coiffure … Le recrutement dans les unités de transformation est une source de conflit. Une ethnie se sent marginalisée par rapport à une autre. 3- Le secteur tertiaire Il est marqué par la commercialisation des produits vivriers au marché international de Glazoué et dans d’autres marchés d’arrondissement. La commercialisation des produits usagers importés du Nigéria est aussi développée dans la localité. Des affrontements sont réguliers entre commerçants Mahi et Idatcha. Le support des uns et des autres dépend du lieu d’animation du marché. E-INFRASTRUCTURES SOCIOCOMMUNAUTAIRES LA commune de Glazoué dispose de quelques infrastructures relatives à la santé, l’éducation, la sécurité, à la culture et au sport. 1- La santé Glazoué a un centre de santé communal situé au chef –lieu et sept centres de santé d’arrondissement. Un seul médecin anime le centre communal et les centres de santé d’arrondissement sont animés par des 23 SONAPRA : société nationale pour la promotion agricole 32 infirmiers. L’affectation ou la nomination du médecin, fait souvent objet de tension ethnique selon qu’il est de l’une ou de l’autre ethnie. 2- Education Il y a six collèges d’enseignement général public et deux collèges d’enseignement professionnel privés. Tous les arrondissements n’ont pas de collège ; mais tous les villages ont d’école primaire publique. On note la tendance à privilégier le recrutement des vacataires dans les établissements d’enseignement selon leur ethnie de provenance. 3- La sécurité Sur le plan sécuritaire il y a un commissariat de police et une brigade de gendarmerie au chef-lieu de la commune. Dans les arrondissements, les chefs d’arrondissement ont formé des brigades de sécurité privée. Selon les informations reçues, le traitement des dossiers des acteurs sociaux dépend de l’ethnie du citoyen et de celle des différentes autorités. 4- Sport et culture Des maisons de culture sont construites dans certains arrondissements. Un complexe sportif est en construction dans l’arrondissement de Ouèdèmè. Tous les arrondissements ont de stade de foot-ball même c’est en mauvais état. L’appropriation des infrastructures sportives et culturelles par une ethnie a été et continue d’être un facteur d’opposition entre les deux communautés. 5- L’eau- l’électricité-téléphone 5.1. L’eau 33 La commune dispose de cent (100) pompes, soixante seize (76) puits aménagés, trois cent quarante trois (343) puits non aménagés, des citernes, l’eau courante (Atlas monographique des communes, 2002). Le forage de la SBEE n’a pas couvert tous les arrondissements. Le forage tarit en saison sèche. 5.2. L’électricité et le téléphone Seuls les arrondissements traversés par la haute tension ont l’électricité et sont encore faiblement couverts. Il y a la téléphonie rurale dans la plupart des arrondissements. Les communautés qui n’ont pas l’eau potable, l’électricité et le téléphone se sentent marginalisées. Le récapitulatif des problèmes entre Mahi et Idatcha, permettra de mieux saisir les sources des conflits opposant les deux communautés. DEUXIEME PARTIE : HISTOIRE DES ETHNIES ET INVENTAIRE DES PROBLEMES 34 CHAPITRE III : HISTOIRE DES MAHI ET IDATCA Il s’agit ici de retracer brièvement l’origine des mahi et idatcha des Collines. A- ORIGINE DES MAHI DES COLLINES De nos recherches, il ressort que les mahi comme la plupart des peuples du bas Bénin constituent un sous-groupe de l’ethnie fon, de source Adja, originaire de Tado. A travers leur histoire, il se dégage deux grands courants de migration qui ont donné naissance aux deux groupes : les uns appelés Mahi de Savalou sont venus de Mitogbodji des abords du lac Ahémé, un village de pêcheurs, les Dovis. Ils étaient des Houédah mélangés d’Adja et de Aïzo et avaient un chef du nom Alédjou. A la mort de ce dernier, son aîné Dessou Atolou, à la suite des disputes alla s’installer auprès de Ligbo, roi de Damè. Là, il eut un fils avec la fille de Ligbo du nom de Gba-hako. A la mort de Ligbo, son successeur devait monter le buffle grand. Sorti victorieux de cette épreuve, il prit le nom de Ahossou Soha et quitte Yayé pour fonder un village qu’il nomma Houawé. Compte tenu de l’ingratitude de son ami Aho, Ahossou Soha quitte Houawé et alla s’installer à Hon au Nord puis à Honhoungo à douze kilomètres (12km) environ de Savalou. De là, Ahossou Soha, décida de s’emparer du village Yoruba Tchébélou, 35 perché sur les collines. Il parvint, obligeant les Nago à se réfugier à tchèti, Otolla, Dounè, Bantè et Bassila. Mais, au lieu de conserver l’emplacement sur les montagnes, Soha reconstruit à l’aide de Aho, le village aux pieds des collines. Tchébélou, par déformation, serait devenu Savalou d’où il devint le premier roi de Savalou. Les autres se réclament d’Agonlin Covè. En effet, à la suite de l’assassinat de Ouou par Aho, Ahossou Soha n’a pas été suivi par tous ses fils pour aller à Hon. Certains allèrent se réfugier à l’Est, au sudouest du pays Agonlin ; les uns à Allahé et d’autres à Houin et Aïzé. Leurs différentes migrations vers le Nord ont conduit à la création des localités comme Paouignan, Soclogbo, Dokoundji, Gbaffo, Minifi, Hlassoé, Agouagon… Il convient de retenir selon le récit que les Mahi ont pour origine lointaine Adja Tado24. Qu’en est-il de l’origine des Idatcha. B- ORIGINE DES IDATCHA Les Idatcha font partie de la communauté Nago des Collines, installée au Bénin. Il s’agit des Ifè et Itcha de Tchèti, de Bantè, des Tchabè de Savè et les Idatcha de Dassa et Glazoué. La communauté Nago provient de l’ère culturelle Yoruba du Nigéria. En effet, la communauté Nago du Bénin dont font partie intégrante les Idatcha s’est installée dans les collines à la suite des mouvements migratoires dus à de nombreuses guerres de conquêtes, de razzias à 24 Mémoire de maîtrise de Vincent AKEFOUIN, 2004 « Sens et portée du Kyo davi dans la dynamique sociale des Mahi de Savalou ». 40-49pp 36 but esclavagiste ou des disputes survenues au moment de successions au trône. Il s’agit des migrations d’origine Oyo et Ilé-Ifè25. Selon les informations reçues, l’ère culturelle Yoruba ne s’étendait pas jusqu’au Dahomey. Elle se limitait au Nigéria où la localité d’Ilé-Ifè faisait figure de capitale religieuse et spirituelle des Yoruba. D’après une version très répandue, les ancêtres des Yoruba seraient partis de la région Nilotique pour venir fonder Ilé-Ifè qui à son tour a donné naissance à d’autres localités comme Oyo, Abéokouta, Ibadan. C’est de ces régions que seraient partis de nombreux migrants pour venir s’installer dans plusieurs localités de l’espace béninois. De façon générale, ce sont ceux-là qui sont communément appelés nago comme nous l’avions signalé plus haut ; bien que quelques uns préfèrent porter un autre nom. En définitive les nago des collines sont progressivement mis en place grâce aux mouvements migratoires d’origine Oyo et Ilé-Ifè au Nigeria. Ils ont pour source, l’ancien peuple Yoruba du Nigeria. Cela justifie l’intercompréhension linguistique et l’identité culturelle entre les Itcha, les Ifè, les Yoruba, les Tchabè et les Idatcha. Après une brève connaissance de l’origine des ethnies, les différentes sources des conflits seront appréhendées à travers l’inventaire des problèmes. 25 Mémoire de maîtrise en Sociologie Anthropologie de Adélaïde LAOUROU ,2005 « la question de la scolarisation des filles à Bantè ». Elle a fait cas dans son travail de l’histoire d’installation des Nago au Bénin.. 37 CHAPITRE IV : INVENTAIRE DES PROBLEMES Les causes des conflits se trouvent dans les problèmes historiques. Elles se trouvent également dans les évènements survenus dans les arrondissements. La chefferie traditionnelle et la politique ne sont pas occultées dans la recherche des sources des conflits. A- LES PROBLEMES HISTORIQUES Nous parlerons ici brièvement des guerres expansionnistes des rois d’Abomey et la confusion qui en résulte comme source de division ethnique. 1. L’expansionnisme des rois d’Abomey Les rois d’Abomey, à cause des guerres ont opposé les habitants des collines en particulier les Mahi et les Idatcha. Ces deux peuples ont été victimes des différentes guerres des aboméens. En effet, les manifestations de discrimination et d’exclusion entre les Fon et Nago tirent leurs sources de la domination exercée pendant des siècles par oyo sur le Danhomè (Anignikin 1997 :63). Mais les razzias d’esclaves ont aggravé les traumatismes. Les situations du genre ont été également vécues à l’intérieur d’une même ère culturelle. Le plus dramatique est le cas des Mahi dont le pays offrait aux rois d’Abomey un terrain idéal de chasse aux esclaves selon J.A. Berger. A chaque saison sèche, les villages Mahi étaient détruits et leurs habitants conduits à Abomey. Mais, pour ce peuple qui refusait les soumissions à Abomey, et qui, de ce fait, a eu droit à toutes les injures, le martyre a été vécu à Houndjlo. Il s’agit d’une véritable extermination. 38 Notons que dans l’aire culturelle Adja-Tado-Fon, la vision stéréotypée est fondée sur la valorisation de l’image de soi. Une démarche qui déprécie automatiquement l’image de l’autre. Ainsi, l’Aboméen manifeste un certain mépris pour les mahi traités comme des bêtes puantes et prétentieuses. Les rapports entre l’aire culturelle Adja-Tado-Fon d’un côté et l’aire culturelle Yoruba-Nago de l’autre sont ceux qui sont franchement mauvais. En effet, la conquête du pays Idatcha constitue un objectif pour les rois de Danhomè dans leur politique expansionniste ou leur quête d’esclaves. L’agrandissement du royaume en pays Mahi et Nago (Dassa, Savè et Kétou notamment) participe en un certain sens au maintien de l’esclavage, même si la traite négrière diminue ». La conquête du pays Idatcha après la chute de la capitale a été le point de départ culminant d’une série d’actions menées depuis le règne d’Agadja jusqu’à celui de Glélé. L’avènement de cette chute est la preuve que depuis, le pays Idatcha est convoité par le royaume de Danhomè. Appréciant ce phénomène, le Professeur Sylvain C. Anignikin écrit : « en effet, comme tous royaumes de la région du Zou/Nord, celui de Dassa était convoité par ses grands voisins, le royaume à l’Est et surtout le royaume de Danhomè ». Dès lors, les menaces devinrent permanentes. La mémoire collective de nos informateurs ne retient que quelques grandes figures, acteurs de ces grandes menaces pour le pays Idatcha. Ainsi, expliquait le vieux Oloré de Modji : « selon les informations reçues de mes grandsparents, le mot d’ordre du roi Idami Kpengla à l’endroit de ses soldats serait la décapitation systématique des populations Idatcha. C’est à cette période, poursuit-il, que l’opinion publique de chez nous se rendit compte que les Idami ne sont qu’à la recherche de tête d’hommes qui servaient à faire de l’argent pour les uns ou à boire de potions magiques pour d’autres. » Ainsi, pour les 39 Nago et les Idatcha, l’aboméen est un mauvais génie, diabolisé. Evidemment pour l’aboméen, les Yoruba et les Nago sont des ennemis héréditaires. Etant de la même famille linguistique, les nago et particulièrement les Idatcha confondent les Mahi aux Fon d’Abomey. 2. La confusion des Mahi aux Fons d’Abomey Une fois les guerres terminées, une confusion s’installa dans la mentalité des Idatcha. Ainsi toute langue parlée autre que celles du Nord est considérée comme Fon. L’histoire se transmettant de génération en génération, elle demeure dans des consciences et accentue les différences entre ces deux ethnies pour finir par nourrir des conflits. Par ailleurs, l’ethnocentrisme s’est développé entre les deux peuples. En effet, l’antipathie de l’homme Idatcha vis-à-vis de son prochain Fon s’est édifiée depuis des siècles. Elle se manifeste d’abord par l’existence de crise de confiance entre les deux communautés. L’homme Idatcha, pour citer les propos d’un enseignant Mahi d’Aklamkpa, monsieur Léodé, « observe une grande réserve par rapport à son prochain Mahi qu’il confond au fon d’Abomey, et ce dans toute entreprise commune. » En clair, les communautés Idatcha ont gardé une haine à l’endroit de leurs « ennemis d’hier », les fon d’Abomey. Les manifestations ouvertes, sont les mêmes partout à l’intérieur des collines. Chez les Idatcha, les termes qui les marquent le plus sont « Dassanu yaya, Dassanu vnvn », des expressions avilissantes utilisées par les Fon et les Mahi pour les qualifier « d’êtres inférieurs ». Les Idatcha aussi n’hésitent pas à dire aux Fnn et Mahi « idami kossan » pour signifier que « le Fnn est mauvais ».Voilà ce qui illustre l’esprit d’ethnocentrisme qui , selon le père Bernard Goudjo26, se définit comme « la tendance à se prendre comme peuple ou groupe de référence primordial et à porter ensuite un jugement de valeur sur des groupes autres ou étrangers dont la culture, 26 - Histoire des conflits ethniques dans les Collines, Saoco BADOU. 40 les mœurs, les institutions et tout autre facteur psychologique , sociologique et historique différent du sien ». Pour les populations Idatcha, avec les nombreuses opérations de razzias, de rapts, de tueries dont elles étaient victimes de la part des fon, ceux-ci ne devraient plus continuer. En revanche, les Idatcha les qualifient aussi de « bêtes sauvages » avec qui il ne doit exister aucune relation de confiance. Les faits historiques ne suffisent pas à eux seuls pour appréhender les conflits. Explorons aussi les évènements conflictuels qui ont eu lieu dans les arrondissements ciblés. B- EVENEMENTS DE L’ARRONDISSEMENT DE Ouèdèmè La recherche des causes des conflits nous amène à explorer l’histoire d’occupation. La création du marché qui a été un facteur déclenchant est aussi abordée de même que l’implication des cadres leaders et l’intervention des autorités d’Etat. 1. Histoire d’occupation de Ouèdèmè Les Mahi et Idatcha vivaient ensemble depuis 1954 à Ouèdèmè selon les informations reçues sur le terrain. Avant cette période Ouèdèmè était occupé uniquement par les Mahi venus de Logozohè. Les Idatcha de Ouèdèmè ont émigré de Tchatchégou et Kpatélé, des localités de Dassa. Leur origine lointaine est la région de Êgba derrière Kétou. Ouèdèmè a été découvert par un chasseur Mahi de Logozohè. Au cours de sa chasse, il découvrit la localité et fut impressionné par la végétation et du sol. Au retour il informa ses amis et proches de la terre promise découverte. Ils se rendirent ensemble sur les lieux et constatèrent que c’est une terre très propice pour la culture d’igname. C’est alors qu’ils ont décidé de créer leur ferme sur le domaine. Vivant là en paix et dans la quiétude ils donnèrent à la zone le nom « wèèmè27 = terre de paix» qui deviendra par déformation Ouèdèmè. C’est ainsi que la localité devint 27 -Ouèwèmè signifie terre de paix. 41 progressivement, avec l’arrivée d’autres Mahi, une grande ferme agricole qui la consacra village. Les Mahi et les Idatcha se rencontraient à la chasse. Leur rencontre était souvent conflictuelle. En effet, quand un groupe de chasseurs Mahi rencontraient un Idatcha avec ses gibiers, ils le malmenaient et lui prenaient tout ce qu’il a tué. La tendance inverse se produisait aussi. C’est souvent les rapports de forces entre chasseurs Mahi et Idatcha. Un intellectuel Mahi, l’un de nos enquêtés a confirmé que dans le passé, les Idatcha ont été trop méprisés, malmenés par les Mahi. Dans l’ancien temps la démographie était peu considérable. Pour ne pas vivre seul en brousse pour subir les affres des rongeurs, des oiseaux, des animaux sauvages dans les champs, on invitait ses frères et amis à vivre avec soi. On leur accordait des terres à exploiter sans limite. La terre n’était monétarisée et n’avait autre valeur économique pour les occupants que l’agriculture. La vie communautaire se passait comme s’il n’arrivera de problèmes à l’avenir. Mais avec l’accroissement des populations, les mentalités ont changé. Désormais, quand on accorde un espace cultivable à un étranger on lui interdit de planter des arbres. Les problèmes domaniaux ont commencé quand les chefs de terre réclamèrent la rétrocession des terres, à cause de leurs enfants devenus nombreux et qui sont en âge d’avoir leur propre espace cultivable. Ces problèmes sont autant interethniques qu'intraethnique. La communauté Idatcha de Ouèdèmè n’était pas installée dans le village avant 195428.De ce fait ils ont une petite propriété foncière historique. En effet, lorsqu’ils étaient venus de Tchatchégou et kpatélé, ils n’ont pas été acceptés par les communautés Idatcha de Kpakpaza et Magoumi, sous prétexte qu’ils sont des malfaiteurs chassés de leur lieu d’origine. Ne 28 1954- date d’arrivée à Ouèdèmè des Idatcha, information reçue de Joseph GANDJI ancien Chef District de Savalou dans les années 60. 42 pouvant plus retourner au lieu de provenance, ils se sont installés au bord d’une rivière à l’entrée de Ouèdèmè en venant de Glazoué. Cet endroit était abandonné par les Mahi parce qu’il est régulièrement inondé. Les premiers occupants Idatcha ont nommé le milieu « Kpoba=zone humide »29.Ils étaient régulièrement victimes des inondations avec ses corollaires. Dépassés par les calamités auxquelles ils sont assujettis, le jeune frère immédiat du plus âgé du groupe, Issiaka, demanda au roi Gandji30 de Ouèdèmè, la permission de s’installer sur son territoire pour être épargné des malheurs qui les abattent. Cette demande leur a été accordée par le roi. Il vint alors construire une maison à Ouèdèmè a un endroit à eux accordé par le roi. Cet emplacement est une terre ferme et le prolongement direct de la zone humide où ils habitaient. Quelques temps après, le roi invita le plus âgé du groupe, Idissou, qui est son ami de jeunesse, à rejoindre son jeune-frère Issiaka sur la terre ferme. Suite à cela, tout le groupe a rejoint Ouèdèmè. Ils ont conservé le nom Kpoba de leur ancienne localité. Les communautés ont ainsi commencé leur cohabitation partageant les mêmes infrastructures socio-communautaires. La barrière linguistique a été source de conflits. Elle rendait les relations interpersonnelles difficiles. Des violences survenaient régulièrement entre les groupes par intolérance culturelle. Quand un Mahi passe devant des Idatcha qui s’expriment dans leur langue, il présume que c’est de lui qu’ils parlent et des injures en résultent. Il a fallu le brassage ethnolinguistique pour diminuer ces tensions qui pourtant demeurent. Pour des raisons relatives aux différences culturelles, le mariage interethnique demeure encore mal perçu par les parents des deux communautés. 29 30 -Kpoba, mot Idatcha signifie zone humide GANDJI, premier roi de Ouèdèmè 43 Les Mahi se prennent pour la référence. Le phénomène a été aggravé en 1998 au moment du choix du site du nouveau marché de Ouèdèmè. 2- Création du marché de Ouèdèmè Depuis l’avènement démocratique au Bénin en 1990, les problèmes ethniques ont connu un nouvel épisode à Ouèdèmè. Tout était parti du choix du site devant abriter le nouveau marché de l’arrondissement de Ouèdèmè. En effet l’historique marché de l’arrondissement devint trop exigu suite à la construction des maisons d’habitation. Le congrès de l’Association de développement composé des deux ethnies, tenu en 1994, décida de son transfert. A cet effet, cinq sites ont été successivement proposés et rejetés. La raison du rejet est le retrait des emplacements de la voie principale Ouèdèmè -Glazoué. Le sixième site retenu et qui est le facteur déclenchant des violences, est situé à l’entrée du village, au bord de la voie principale. Les Idatcha se sont opposés à ce dernier choix. Plusieurs raisons expliquent leur opposition. La première raison avancée est que c’est leur propriété historique. La deuxième est qu’ils n’ont pas été associés au choix de l’actuel site, alors que pour les cinq premiers rejetés ils étaient associés et les activités de dessouchages étaient faites ensemble. Pour la troisième raison le motif de rejet des sites précédemment choisis ne sont pas fondés selon eux. A cet effet, ils ont révélé que les vraies raisons des rejets, sont le refus des propriétaires des domaines concernés de voir déclarer leur domaine d’utilité publique. La dernière raison relève du fait qu’ils sont en pleine activité agricole sur les lieux. Pour vite occuper l’espace et mette fin aux éventuelles polémiques, le chef d’arrondissement d’alors lança un appel aux populations pour la constructions de paillotes sur le site. Construites sans les Idatcha, elles 44 ont été brûlées le troisième jour par ces derniers. Un généreux cadre Mahi donna cinq cent mille franc (500.000fcfa) pour que les paillotes soient construites cette fois-ci en tôles. Construites, les tôles ont été détruites à coup de machette par les Idatcha. Dépassés, les Mahi ont détruit leurs cultures agricoles et les affrontements commencèrent le 17 mai 1998. Les différents acteurs sont soutenus par des cadres leaders de leur communauté. 3- Le soutien des cadres leaders Les protagonistes étaient tous armés et soutenus dans l’ombre par des cadres de leur communauté respective. C’est ainsi que selon les informations du terrain, un cadre Idatcha aurait fourni des munitions d’armes aux siens. Il aurait également financé les communautés Idatcha voisines de lui exterminer les Mahi de Ouèdèmè. Parait-il qu’il aurait promis aux siens un projet japonais de riziculture. Pour ce faire il les aurait exhorté à ne pas laisser leur échapper ce domaine très favorable à un tel projet. Notons que les Mahi aussi auraient eu à leur disposition des armes de guerres. Par solidarité ethnique, les communautés Mahi voisines étaient venues au secours à leurs frères de Ouèdèmè. Les Idatcha ont fuit le village pour deux semaines parce qu’on a menacé d’incendier leurs maisons. Suite à ces évènements, les cadres du village ont convoqué une rencontre pour que finissent les antagonismes. Une délégation ministérielle avait joué l’apaisement des tensions. 4- L’intervention des autorités politiques et administratives Cette situation n’est pas restée sans l’intervention des autorités politiques et administratives. A cet effet, les autorités du village adressaient des correspondances aux Préfet et Sous- Préfet d’alors pour les tenir informer des évènements. Mais ces différentes autorités étaient restées impuissantes devant la situation. Vu la gravité et l’ampleur que prenaient les différends, le ministre de l’intérieur avait invité les représentants des protagonistes et le préfet d’alors. A l’issue de la rencontre et sur injonction du ministre le préfet vint délimiter le site du marché en invitant les communautés à la raison. La Sous-préfecture y a construit quatre hangars. Ces hostilités ont fait tache d’huile dans toute la commune. Comment les conflits sont-ils manifestés entre les Mahi de Hocco et Idatcha de Magoumi ? C- LES EVENEMENTS ENTRE MAHI DE HOCCC ET IDATCHA DE MAGOUMI Nous recherchons ici les sources des conflits dans les conditions d’attributions des terres cultivables aux paysans Idatcha et les discriminations qui en résultent. 45 1- Système d’exploitation des terres Magoumi et Thio sont des arrondissements frontaliers par le village Hoco, la limite nord de Magoumi. HOCO est un village Mahi de Thio où les Idatcha font leurs activités agricoles. Les paysans Idatcha obtiennent sur demande, des terres que leur octroient les propriétaires fonciers Mahi, et, pour lesquelles ils paient des redevances en nature, à la fin de la campagne agricole. Leur contrat est donc régi par le système de métayage. Les paysans Idatcha respectaient le contrat, en donnant après chaque récolte, un demi sac de maïs aux propriétaires domaniaux Mahi. Au-delà des clauses du contrat, certains propriétaires Mahi font encore de prêt d’argent chez leurs métayers. 2- Le déboire des paysans Idatcha En 1998, l’un des propriétaires terriens qui empruntaient de l’argent chez les métayers sans rembourser, demanda à son métayer de lui payer la redevance. Le paysan lui demanda de lui rembourser d’abord ses prêts ou de les remplacer par la redevance. Aussi, les propriétaires ont-ils augmenté la redevance qui passe d’un demi de 50kg à un sac de 50kg. Les paysans se sont opposés à ces nouvelles donnes. Les Mahi leur ont demandé de laisser les terres s’ils ne veulent pas obtempérer. Dans cette opposition un paysan Idatcha laboura son champ. Son propriétaire lui interdit de faire la semence. Le paysan la fit malgré l’opposition. Le propriétaire domanial alla miner le champ avec des rameaux, empêchant ainsi le paysan de continuer ses activités. Mécontents, des paysans Idatcha ont pris d’assaut ledit propriétaire dans son champ et l’ont mis à tabas. Les jeunes Mahi apprenant la nouvelle, se sont soulevés contre les paysans Idatcha et ce fut le début des violences interethniques entre les Mahi de HOCO et les Idatcha de Magoumi. Il s’en est suivi des bagarres à l’issue desquelles le paysan Idatcha concerné et son ouvrier agricole ont été arrêtés et détenus pendant près d’une semaine à la 46 brigade de Glazoué. Les jeunes de Magoumi frustrés par cette détention se sont portés à la brigade pour réclamer la libération de leurs compagnons. Ayant constaté à leur retour au village qu’il y a eu de dégât dans leurs champs, ces jeunes, pour manifester leurs mécontentements, ont bloqué la principale voie d'accès au marché de Glazoué pendant deux semaines. Il y a eu des agressions physiques. Un jeune Mahi de HOCO a été atteint par une balle mais n’en est pas mort. Un camp peuhl appartenant aux paysans Idatcha a été saccagé et les bovins abattus. Les exploitations de quelques paysans Idatcha furent détruites et les terres retirées. Un ultimatum des mahi a été alors lancé à l’ensemble de tous les Idatcha de libérer tous les domaines qu’ils occupent sur le territoire Mahi de Assanté. Les Mahi de HOCO se réclament propriétaires des terres des villages Idatcha de Orokoto et de Glazoué. Les Idatcha se sont plaints au roi Egbakotan de Dassa qui demanda aux protagonistes de revenir à de meilleurs sentiments. Il déplora les évènements en rappelant que les Mahi et idatcha avaient tous contribué à la construction du palais de Dassa. Le roi se demanda pourquoi cette harmonie ne peut plus exister aujourd’hui entre les deux peuples. Les évènements entre Mahi d’Aklamkpa et les Idatcha peuvent aussi nous éclairer dans notre recherche d’identifications des sources des conflits ethniques entre Mahi et Idatcha de Glazoué. D- LES EVENEMENTS ENTRE Mahi d’Aklamkpa ET LES Idatcha Aklamkpa est l’arrondissement le plus éloigné du chef lieu de la commune. C’est la localité Mahi qui n’a jamais connu des problèmes domaniaux avec les Idatcha. Néanmoins il y a eu des situations de tension entre ces deux groupes socioculturels. 1. Différends entre chasseurs Mahi et Idatcha 47 Sur le territoire d’Aklamkpa il n’y a pas de communauté Idatcha comme c’est le cas dans d’autres arrondissements mahi. C’est pour éviter des problèmes que les dignitaires ont refusé d’affecter des terres aux paysans de ladite communauté. Selon l’histoire, les chasseurs Idatcha vinrent à la chasse avec ceux d’Akamkpa dans les forêts de Djagbalo et de Lozin à Bantè. IL s’est fait que deux Idatcha soient allés acheter des viandes chez leur beau-frère chasseur. Au retour ils ont eu le malheur de tomber dans les mailles des agents des eaux et forêts. Le forestier leur a pris tous les gibiers en leur demandant de l’amener vers celui chez qui ils les ont achetés. De peur que leur beau-frère chasseur soit arrêté par le forestier, ils l’ont conduit dans le campement d’un autre chasseur Idatcha. Ce dernier, innocent, a été conduit chez le roi d’Aklamkpa pour être amené à Savalou pour être jugé. Les chasseurs Mahi d’Aklamkpa s’étaient indignés contre l’injustice en promettant de retrouver le vrai coupable. Ils ont réussi à mettre la main sur le présumé vrai coupable et l’ont conduit chez le roi. Cette histoire remonte à la période du cercle de Savalou. Le jour du procès à Savalou, on demanda aux chasseurs Mahi de témoigner les faits. Leur témoignage rétablit la vérité permettant de libérer le premier dont l’innocence a été prouvée. Le vrai coupable a été condamné à une peine d’emprisonnement. Cette vérité révélée par un Mahi pour dénoncer une injustice entre Idatcha a été la source de tension entre les deux ethnies. Les chasseurs Idatcha se méfient désormais de leurs homologues Mahi de peur d’être dénoncé aux agents des eaux et forêts. Les Mahi d’Aklamkpa sont aussi venus secourir leurs confrères en crise avec les Idatcha. 2. La solidarité ethnique des Mahi d’Aklamkpa Autre situation de crise est celle de 1998 qui a fait débarquer les chasseurs d’Aklamkpa à Glazoué, pace que indignés des traitements que subissaient leurs populations qui se rendaient au marché. Ils étaient aussi révoltés contre les traitements que subissaient les autres communautés Mahi de Glazoué. Grâce à leur intervention, le rituel de création du marché de Ouèdèmè a été fait et les agressions sur les chemins de marché ont cessé. La dernière situation qui faillit les mettre en guerre avec les idatcha de Glazoué centre fut une affaire de jalousie, d’exclusion ethnique. De sources informées, les Idatcha de Glazoué ont demandé le départ d’un pharmacien d’Aklamkpa en activité à Glazoué. Le motif était de faire 48 disparaître la pharmacie pour qu’un Idatcha puisse s’installer afin de s’approprier toute la clientèle. Dans cette situation où le pharmacien est menacé, les chasseurs d’Aklamkpa descendirent pour dire non à l’injustice, à la jalousie et à la discrimination interethnique. Ces crises font d’Aklamkpa une localité respectée et crainte. Explorons à présent la situation dans l’arrondissement de Glazoué E- LES EVENEMENTS ENTRE MAHI ET IDATCHA DE L’ARRONDISSEMENT DE GLAZOUE Deux versions des faits ont été recueillies. 1. Version Idatcha Aux dires des enquêtés de cette communauté linguistique, au Bénin, la région naturelle des Idatcha est la commune de Dassa et celle de Glazoué. Ils y vivent depuis des temps immémoriaux. Mais aujourd’hui, les Mahi se disent propriétaires de Glazoué et renvoient les paysans Idatcha de leurs champs. Les différends fonciers Des problèmes fonciers opposaient des paysans Idatcha de Zaffé résidents à la ferme Offè aux Mahi d’Agouagon. La situation a dégénéré au point où les champs des Idatcha aient été incendiés par les Mahi en leur absence le mercredi 25 mars 1998. Ce jour un exploitant Idatcha qui tentait de s’opposer à L’agression des Mahi a été grièvement blessé. De sources informées, le commanditaire des actes est un Mahi d’Agouagon qui aux dires des enquêtés a décidé de se faire justice en obligeant les Idatcha paysans à quitter les lieux. L’intéressé a été arrêté en juin 1999. Mais, il faut signaler que cette situation a commencé depuis 1994, quand un paysan Idatcha a été invité à la mairie, pour signer un engagement de libérer les terres qu’il exploite et qui lui aurait été octroyées par un Mahi d’Agouagon. Tout s’était passé sous les auspices du Secrétaire Général de la mairie d’alors, Mahi lui aussi, qui a légalisé ledit document et l’a fait 49 enregistrer sous le N°4-H/023/SPG/BPAS du 20/04/199431. Suite à cet acte le paysan a accusé le Secrétaire Général de l’avoir obligé à signer un acte qui a servi de prétexte pour le présumé propriétaire Mahi et ses acolytes pour incendier les cases de la ferme Offè le mercredi 25 mars 1998. Selon les Idatcha, ce crime a été le point de départ de toutes les hostilités dans la commune. De leur point de vue, il ressort que le présumé propriétaire foncier Mahi et le Secrétaire Général sont les principaux instigateurs des violences interethniques à Glazoué. 2-Version Mahi « L’histoire des Mahi de Glazoué n’est pas pour exclure mais il faut que l’on comprenne les réalités » : propos du roi de Hlassoé. 2.1. L’histoire du transfert du marché Houndjlo de Hlassoé à Abomey Hlassoé est un village qui existait avant les guerres expansionnistes des Aboméen. Le village en question est situé à trois (3km) de l’actuel Glazoué. C’est Hlassoé qui est devenu par déformation Glazoué. En effet, Hlassoé est un village historique au même titre que Agouagon, HOCO, Soclogbo, Kpaouignan. Le marché Houndjlo s’animait dans ce village. Toutes les populations de la zone y venaient vendre leurs produits agricoles. Le roi d’Abomey avait signé un pacte de non agression avec le roi Djokpé de Hlassoé. Pour violer le pacte et exterminer la communauté Mahi de la localité, Djokpé fut invité à Danhomè par son homologue sous prétexte qu’il a besoin de son aide. Cette trahison a permis aux guerriers de Danhomè de déporter les communautés Mahi en plein marché Houndjlo à Hlassoé. Certains sont tués sur les lieux parce q’ils s’opposaient à la déportation; d’autres se suicidèrent. La plupart des 31 Rapport des conflits à Glazoué en 1998, présenté à la délégation ministérielle qui avait joué à l’apaisement. 50 déportés ont été tués pour le rituel du transfert du marché Houndjlo à Abomey. Désormais, il n’y a plus marché Houndjlo en milieu Mahi. Suite à cet évènement les habitants ont tous fuit pour se réfugier dans les forêts. Ces derniers commencèrent à animer un nouveau marché à Agouagon. Le roi d’Abomey crut avoir réussi son forfait. Ils en étaient là quand des signes de malheur planaient sur le royaume. Les devins de la cour royale ont révélé que si le roi Djokpé ne retourne pas en pays Mahi, des malheurs vont s’abattre sur le peuple. Suite à cette révélation Djokpé fut conduit à Hlassoé avec deux de ses frères et une femme. Constatant le village décimé, ces frères qui l’ont suivi ont rejoint Agouagon. Mais le roi Djokpé refusa d’y aller avec eux. Ces frères l’ont invité de les suivre de peur que les hyènes le dévorent. Mais il leur répliqua qu’il ne veut pas que le nom Hlassoé disparaisse et si l’hyène le dévore tant mieux. Il y avait dans le village une colline au cœur d’une forêt où vivaient des hyènes. Vivant dans le milieu sans être mangé par les Hyènes, il fut rejoint par certains de ses frères de Agouagon. En réalité Hlassoé signifie littéralement « colline des hyènes ». Aux dires des orateurs il n’avait aucun village Idatcha dans le milieu. A l’époque ils étaient à Sokponta où ils faisaient le champ aux pieds des collines. Leurs paysans venaient vendre leurs produits au marché d’Agouagon. 2.2. Histoire de l’actuel marché de Glazoué La communauté Mahi était des producteurs d’ignames. Les ignames étaient convoyées des campements au marché d’Agouagon. Le vieux Djokpé était dans sa forêt quand Djahunta Gomez, Ouidanais, vint lui demander de terre cultivable. Gomez est un agent des réseaux ferroviaires. Il voulait faire la culture d’ignames. L’endroit qui l’a plu est l’actuel quartier Zonhungo de Glazoué. Le roi lui donna la permission. Gomez y produisit d’ignames avec un bon rendement. Vu la quantité d’ignames produites dans la zone et les 51 difficultés de les transporter au marché d’Agouagon, il a essayé de convaincre les paysans de la zone pour que le marché s’anime devant sa maison. Ainsi naquit le marché de Glazoué. Aussi a-t-il réussi à convaincre ses responsables hiérarchiques et le train commença à s’arrêter à Glazoué pour acheminer les marchandises vers Cotonou. Vu le développement des activités commerciales, Djahunta Gomez demanda au roi de Hlassoé s’il peut permettre la création d’une gare de train sur son territoire. Le roi accepta. Il fit les négociations avec les responsables à Ouidah qui acceptèrent la requête. Arrivée chez le roi pour l’acquisition du domaine devant abriter la gare, la délégation lui offrit une bouteille de boisson pour la libation. Suite à cette cérémonie, le domaine a été mesuré et une convention a été établie à cet effet. Le roi a signé la convention en qualité de propriétaire de la zone. Au moment de la convention on demanda au roi le nom à donner à la gare. Mais il répondit qu’il n’y a plus autre nom que Hlassoé. Le représentant du réseau ferroviaire a déformé le nom en écrivant Glazoué. L’actuel site Glazoué était donc une ferme des habitants de Hlassoé selon les orateurs. 2.3. Les différends fonciers dans l’arrondissement de Glazoué Aux dires des orateurs les Mahi et Idatcha étaient en parfaite harmonie et s’assistèrent mutuellement. Vue l’importance que prenait le marché et la disponibilité des terres inexploitées, des paysans Idatcha amis au roi Djokpé, lui demandèrent des espaces cultivables. Il les leur octroya. Ils commencèrent leurs activités agricoles avec leur chasse habituelle. Très tôt, leurs frères de Sokponta et de Dassa les rejoignirent. C’est ainsi qu’ils sont devenus progressivement nombreux à Glazoué. 52 Glazoué se développe progressivement à travers son marché, sa traversée par la voie ferrée et la voie inter-Etat. La localité constitue un pôle d’attraction pour les commerçants. Pour ce faire, certains cadres Idatcha et Mahi se sont concertés pour lancer le premier lotissement de la ville rurale. En ce moment, les dignitaires paysans ne s’y intéressaient pas et n’étaient même pas associés à l’initiative. Ces dignitaires n’avaient aucune notion pécuniaire de la terre en dehors de l’agriculture. Mais comme les deux communautés étaient représentées dans le comité, les dignitaires mahi n’ont plus rien dit. La première phase de lotissement a été donc faite dans une parfaite harmonie et les membres du comité se sont partagés des parcelles de terre sans polémique. La deuxième phase arriva et c’est là que les problèmes domaniaux survinrent. A cette phase, ledit représentant des Mahi dans le comité, s’opposa sous prétexte que la zone à lotir est sa propriété foncière. Les autres membres Idatcha rejetèrent son intention. Hors en ce temps, les membres du comité ont tous pris goût déjà aux intérêts pécuniaires afférant au foncier. Les Idatcha du comité s’étonnèrent du comportement du Mahi qui se présumait propriétaire foncier. A cet effet naquirent les conflits fonciers qui demeurent jusqu’à ce jour dans l’arrondissement de Glazoué. Face à cette situation mettant en mal l’harmonie entre les communautés, les notables et dignitaires Mahi de même que des notables Idatcha se sont rencontrés pour y réfléchir. Il a été demandé aux protagonistes de faire l’histoire d’occupation de Glazoué. Aucun d’entre eux n’en était capable. Le roi de Hlassoé leur fit l’histoire en attirant leur attention sur comment ils abusent de leur patience et ignorance. La cristallisation de la situation entraînera l’incendie des fermes Idatcha à offè. La même situation a conduit au procès foncier entre des collectivités d’Agouagon et des collectivités de Zaffé. 53 Le pouvoir traditionnel n’est-il pas aussi une arène de conflits ethniques dans l’arrondissement de Glazoué. F- LES PROBLEMES DE CHEFFERIE TRADITIONNELLE A GLAZOUE Bien qu’il y ait deux communautés linguistiques majoritaires, il y a une seule communauté qui a un chef traditionnel. Il s’agit de la communauté Idatcha représentée par sa majesté le roi Arodjoko. Pour les Mahi, le pouvoir des Idatcha à Glazoué n’est pas fondé. Ils ont révélé à cet effet la source de leur pouvoir. 1. Source du pouvoir traditionnel des Idatcha à Glazoué La source du pouvoir traditionnel des Idatcha de Glazoué remonte à l’histoire de la gestion du marché de Glazoué. Djahunta Gomez gérait le marché dont il est l’initiateur avec les dignitaires Mahi. Après son départ de la localité, les dignitaires ont confié la gestion à son fils aîné Emile et à un commerçant Idatcha Tchédjinnagni. Le second fait mieux le travail que Emile qui passe son temps dans l’alcool. Pour ce faire, les sages et notables du marché ont investi Tchédjinnagni de plein pouvoir pour continuer la gestion. Cette investiture est la référence de l’origine du pouvoir traditionnel des Idatcha à Glazoué. 2. Intronisation d’un chef traditionnel Mahi à Glazoué Les notables et sages Mahi entreprirent des concertations pour que leur communauté ait un chef traditionnel à Glazoué. Les Idatcha se sont opposés à l’initiative sous prétexte qu’il ne peut avoir « deux capitaines » dans un bateau. Les concertations étaient en cour quand les sages et notables ont reçu une information surprise que Gandé Gbesso Paulin sera intronisé roi des Mahi de Glazoué. Les Mahi n’étaient pas unanimes sur son choix. Des délégations ont été faites à son endroit pour que la date d’intronisation soit repoussée afin d’avoir l’unanimité autour de la question. Ils en étaient là quand le 23 novembre 2002 ils ont appris à la radio que Gandé Gbesso a été intronisé roi Mahi de la 54 commune. Des mêmes sources, les populations ont appris que juste après son intronisation, son palais a été détruit par un groupe de jeunes Idatcha. Selon les informations reçues sur le terrain il semblerait qu’il y a dans l’ombre des mains des hommes politiques. G- LES PROBLEMES POLITIQUES DANS LA COMMUNE DE GLAZOUE La politique est l’une des sources principales des divisions interethniques à Glazoué a dit le roi de Hlassoé. 1. L’ethnisation politique Depuis l’avènement du pluralisme politique au Bénin en 1990, l’ethnisation politique des communautés à la base a rendu la cohabitation interethnique difficile. Traditionnellement, les communautés soutiennent les candidats relevant de leur ethnie ou proposés par un leader de leur groupe socioculturel. Au cours des campagnes électorales, les politiciens développent des idéologies tribales et ethnocentriques. Pour le Idatcha, le Mahi est un prototype de Fon et vu toutes les atrocités dont ils ont été victimes par les guérillas des anciens rois d’Abomey, choisir un dirigeant de ces communautés serait de renouer avec le passé horrible. Les Mahi quant à eux jugent insensés le choix de ceux qu’ils considèrent comme des sous êtres. Toutes les communautés sont sensibilisées pour la cause et sont très vindicatives. C’est le mot d’ordre ethnique qui prend l’envol en périodes électorales. C’est dans cette ethnicité politique que le candidat tête de liste du Rassemblement pour la Démocratie et le Panafricanisme (RDP), parti créé par un Idatcha, est toujours élu député par la communauté Idatcha de Glazoué. Il a gagné la confiance de sa communauté à la base qui le prend pour le porte flambeau de leur groupe socioculturel. Les Mahi quant à eux adoptent le même comportement mais avec nuances. Ils ne se regroupent jamais aussi facilement autour d’un candidat unique comme le font les autres. Ils ne soutiennent non plus les 55 candidatures Idatcha. C’est dans cette perspective qu’ils sensibilisent leur communauté à ne jamais voter pour les Idatcha. Voter pour un candidat de l’autre groupe « c’est permettre à l’esclave de diriger son maître ». Pour eux c’est inadmissible de se laisser diriger par la communauté d’en face. Pendant les élections, on entend des propos comme : « nous ne seront jamais dirigés par un Idatcha, ne voter jamais pour celui qui ira vous vendre aux Idatcha, ne voter jamais pour ifun (ifun=mahi) ». Les communautés à la base sont manipulées par les politiciens de leur groupe ethnique. Dans cette situation naquirent des partis politiques et mouvement à connotation ethnique où on ne trouve quasiment pas un membre de l’autre ethnie. Les leaders politiques, pour assouvir leur faim, pendant les périodes électorales, se rabattent sur les communautés à la base pour se prévaloir les défenseurs de leurs intérêts. Ils divisent ainsi les populations qui, jadis cohabitaient sans incidents majeurs. Cette situation a été très remarquable pendant les élections communales. 2. Les élections communales de 2003 à Glazoué Les élections communales de 2003 ont été vraiment houleuses et tourmentées. Une élection qui devrait permettre aux communautés à la base de s’exprimer librement a été prise en otage par les hommes politiques. En effet, les cadres des différentes communautés s’étaient mobilisés pour que la gestion de la mairie revienne à un ressortissant de leur ethnie. Ainsi dans chaque arrondissement, les conseillers élus sont toujours de l’ethnie majoritaire. L’élection du maire et ses adjoints n’a pas tenu compte de la configuration ethnique de la commune. Des quinzes conseillers élus, il y a sept Mahi et huit Idatcha. Les Idatcha étant majoritaires, le maire et les deux adjoints ont été élus parmi eux. Les Mahi se sont retirés après que le premier adjoint a été élu. Dans une mairie à majorité mahi et idatcha une seule ethnie vient ainsi de prendre tous les postes du bureau communal. Frustrés, les conseillers Mahi n’étaient pas à la cérémonie d’installation du bureau communal. Ils ont unanimement boycotté le conseil municipal pendant un bon moment. La communauté Mahi les soutenait et attendait de voir comment la mairie serait gérée. La situation avait envenimé la crise qui prévalait et un moindre incident allait suffire pour embraser la commune. Le constat est que les leaders politiques et autres cadres ont essayé de mobiliser les sages, les notables, les chefs traditionnels de leur communauté respective autour de leurs ambitions tribales. Il a fallu que le maire, dans le souci du développement harmonieux de Glazoué se départît des querelles interethniques pour que les passions se fussent calmées. 56 CHAPITRE V : ANALYSE ET APPROCHE DE SOLUTION A- ANALYSE 1. Les différentes sources et leurs fondements Il ressort des résultats que les causes des conflits entre Mahi et Idatcha de la commune de Glazoué sont identitaires, domaniales, économiques et politiques. Elles varient d’une localité à une autre et sont dynamiques dans le temps et l’espace. 2. Fondements culturels 57 L’identité culturelle est la base de l’ethnicité entre différends groupes vivant sur un même espace géographique. La lutte pour la défense de l’identité culturelle permet la cohésion interne et dans sa dynamique crée la division interethnique. Les ethnies étant considérées comme des entités culturelles stables, localisées et numériquement quantifiables, elles participent de la culture close de Bergson32, et ne peuvent que rejeter ce qui n’est pas à elles (Mbock 2000 :2). C’est ce qui explique des mépris interethniques, la haine. Les questions identitaires nourrissent des tensions ethniques. La lutte identitaire amène un groupe à porter un jugement de valeur de toute nature sur un autre. La crise entre Mahi et Idatcha s’inscrit dans ce schéma explicatif. En effet, les Mahi proche des Fon d’Abomey ont forgé leur ethnie sur la valorisation de l’image de soi. Ils se prennent pour les chefs de terre, détenteurs de pouvoir en mettant les autres au second plan. La lutte autour de la chefferie en est un exemple. Il en est de même pour la course à la magistrature suprême locale qu’est la mairie. Les Mahi voient inadmissibles de se laisser diriger par les Idatcha. Pour eux c’est une insulte à leur endroit. Pour les Idatcha par contre, le moment est venu de s’affirmer et de montrer qu’ils sont aussi capables de beaucoup de choses au même titre que leurs collaborateurs. 3. Fondements domaniaux Dans la commune, les problèmes domaniaux constituent une cause des crises et aussi un facteur déclenchant. Les conflits ont pour source profonde des questions d’identité culturelle. C’est dans cette logique que chaque ethnie se met à faire l’histoire d’occupation des sols. Il en résulte des problèmes d’allogènes et d’autochtones. 32 - Charly Gabriel Mbock 2000, « construire l’ethnie et déconstruire l’Etat ou le syndrome du sablier » pp2 58 Selon l’histoire d’occupation du sol, les Mahi se réclament propriétaires fonciers. Cela voudrait signifier qu’ils sont les "premiers occupants". Il en ressort qu’ils sont les chefs de terre. En se référent à l’anthropologie juridique, « les chefs de terre disposent du droit de propriété foncières puisque exerçant l’autorité sur le sol parce qu’ils ont le pouvoir sur les hommes ».33 Dans cette perspective ils détiennent le pouvoir de la terre elle-même à partir des alliances conclues par les ancêtres fondateurs avec les dieux de la terre. Tout nouveau venu après les alliances est étranger à la tribu déjà en place. C’est dans cette logique que le pouvoir traditionnel du roi Arodjoko de Glazoué est non fondé pour les Mahi. Puisque selon eux, les Idatcha ne connaissent l’histoire d’occupation de la localité et de ce fait ne peuvent exercer aucun pouvoir sur les hommes. Ils sont considérés comme des allogènes par les Mahi. La distinction entre allogènes et autochtones est une source de clivage dont les effets s’étendent jusqu’à l’intérieur des ethnies. Déjà, au sein d’une même ethnie, et dans un même espace, il suffit d’habiter à quelques kilomètres de la route pour s’entendre appeler allogène par les riverains de la route. 4. Fondements économiques Les problèmes domaniaux sont économiques. En effet, les populations qui jadis étaient quelques centaines, sont de nos jours très nombreuses. Il se pose donc un problème de gestion d’espace cultivable pour les paysans. Les agriculteurs, en quête de terres fertiles, demandent aux paysans qui en ont en réserve. Cette situation les amène à accepter les obligations que leur imposent leurs propriétaires fonciers. C’est dans cette perspective que les paysans Idatcha de Magoumi reçoivent des terres à cultiver chez les dignitaires 33 Introduction à l’anthropologie juridique du Professeur Fagla AHOUANGAN, 2 ème année, 1998-1999. 59 Mahi de Hocco contre des redevances en nature. Les métayers Idatcha sont obligés d’accepter les clauses pour subvenir aux besoins de leurs familles. 5. Fondements politiques Les crises interethniques sont activées et entretenues par les leaders politiques des deux communautés. Les élites sont des vecteurs de la dislocation parce qu’elles exportent ou enveniment les clivages interethniques à des fins de clientélisme électoral. Pour montrer au régime en place qu’ils ont un électorat important afin d’être nommé à des postes politiques, certains cadres ressuscitent les vieilles querelles, en font des motifs de défense de leur identité ethnique. Ils suscitent la division entre les paisibles populations. Ils montent les populations les unes contre les autres. Ils entretiennent la division ethnique afin de satisfaire leurs besoins personnels. Les pouvoirs publics tirent ouvertement avantage de la division des communautés, dans la mesure où la manipulation ethnique est devenue un fond de commerce pour la plupart des politiciens et des hauts responsables d’Etats. Pour corroborer l’idée, Jules Amougou34 a pu affirmer, dès 1986, que le tribalisme est la seule institution d’Etat qui fonctionne efficacement en Afrique (Mbock 2000 :5). Dans le même ordre d’idée le Professeur Sylvain Anignikin, dans son intervention lors du congrès d’un parti politique à Bantè le 28 Août 2004, a déclaré : « les partis politiques au Bénin sont moins nationaux et peuvent être source de conflits ». Les conflits ethniques sont en réalité des problèmes de gestion de la cité. Cette gestion peut être conflictuelle ou apaisée selon l’homme qui en a la responsabilité. C’est dire donc que les problèmes entre Mahi et 34 Charly Gabriel Mbock dans « construire l’ethnie et déconstruire l’Etat ou le syndrome du sablier » , 2000, 60 Idatcha résultent aussi du mode de fonctionnement de la commune depuis 1990. Les responsables politiques et administratifs qui ont eu la charge de la gestion des affaires de la commune de 1996-2003 n’ont pas pu apporter des solutions idoines aux velléités conflictuelles. Car, c’est dans cette période qu’il a eu des conflits déplorables entre les ethnies. Cela traduirait leur volonté sournoise d’entretenir les divisions ethniques en soutenant dans l’ombre les acteurs des conflits. Comment comprendre que le palais d’un roi a été détruit, saccagé juste après son intronisation, alors qu’il y a des forces de l’ordre à disposition pour veiller au bon déroulement des cérémonies ? Tout porte à croire que les autorités sont envoyées dans la localité pour les intérêts de leur communauté d’appartenance. Elles étaient certainement à la solde des leaders politiques qui ont œuvré à leur nomination. Les populations, par ignorance et manque de discernement se laissent embarquer par les cadres assoiffés de pouvoir, et sont les seules à subir les déconvenues. Les paysans ont vu leurs champs brûlés, leurs maisons détruites, leurs cheptels saccagés ; certains sont dépossédés de leur terre, d’autres sont blessés et même essuyé des tirs alors que les leaders instigateurs vivent paisiblement. 6. Conflits entre Mahi et Idatcha : un phénomène social Le conflit est un phénomène social qui résulte du rapport de l’interaction de différents acteurs sociaux. Dans tout conflit les protagonistes s’inscrivent dans une logique bien donnée. C’est une réalité indispensable à la dynamique sociale. Les conflits entre Mahi et Idatcha de Glazoué s’inscrivent dans une nouvelle dynamique du changement social. Le conflit est inhérent à la vie communautaire parce qu’il est généré par l’inégalité des parties et institué par les règles qui organisent cette participation. C’est le procédé par lequel chaque acteur social 61 essaie d’améliorer sa position et sa maîtrise des enjeux. Pour Héguel35 toutes les situations ne sont que des étapes transitoires dans le développement sans fin de la société humaine. Ces conflits ont permis aux deux ethnies de mieux s’organiser en leur sein. C’est donc un facteur de cohésion intraethnique. C’est une occasion pour chaque communauté de laisser les problèmes internes pour faire face à l’ennemi externe. Les conflits sont aussi une expression des frustrations accumulées. Claude Rivière, soutient que « la lutte sociale est un fondement du droit, une force créatrice de la loi. Quelle aboutisse à des réformes ou à des révolutions. Dès lors se renforcent les structures, soit par confirmation d’une structure d’une interprétation contestée, soit au contraire en donnant satisfaction au groupe revendicatif ». 7- Diversité culturelle , richesse des peuples La diversité culturelle quoi que conflictuelle est une richesse des communautés vivant sur un territoire donné. Les idatcha ont des valeurs socio culturelles qui leur sont propres. Il en est de même pour les mahi. Dans l’environnement des idatcha comme mahi il existe des sites touristiques dont chaque ethnie est la seule à détenir le secret. L’exploitation judicieuse des différentes cultures est une source de rentabilité économique de la commune. 8. Conflits ethniques et l’ordre social Les conflits débouchent sur un nouvel équilibre social après avoir risqué à perturber l’ordre existant et constituent ainsi les épisodes entre deux phases d’intégration plus ou moins marquées. A Ouèdèmè par exemple, les Idatcha sont désormais associés à toutes initiatives allant dans l’intérêt de l’arrondissement. A Glazoué le comité de gestion du marché 35 - FODE Diawara, « le manifeste de L’homme primitif » 62 a été revu et rééquilibré par l’actuel maire. Pour des postes à pourvoir dans les structures communales, le maire recommande qu’on tienne compte des deux ethnies majoritaires. Tenant compte du passé, le maire, tient à corriger des discriminations qui pouvaient alimenter de nouveaux conflits. Les conflits lui ont donc permis de se mettre très tôt au-dessus des intérêts ethniques pour être au service de toutes les communautés sociolinguistiques dont il a la charge. L. Coser36 a particulièrement mis en relief, l’utilité du conflit comme signal d’alerte sociale, comme procès de réajustement des valeurs et des influences. C’est dire donc que les conflits interethniques ont une certaine utilité pour les communautés. Comme l’a dit l’un des enquêtés : « désormais les Mahi et Idatcha se respectent mutuellement puisqu’ils se sont mieux connus à travers les évènements, même si les conflits demeurent ». L’utilité des conflits n’est pas une raison pour les susciter. Si le conflit est indispensable à la dynamique sociale, s’il est générateur de nouvelles valeurs sociales, sa maîtrise et sa canalisation éviteraient des effets néfastes obstacles de l’épanouissement des acteurs sociaux. C’est ce manque de maîtrise des tensions entre les communautés qui a conduit aux affrontements interethniques qui ont failli dégénérer en ethnocide. Les conflits ont perturbé l’ordre social sans l’avoir rompu. 9. La responsabilité politique et administrative Les autorités politiques et administratives ont une part de responsabilités dans les violences de par leur gestion des affaires de la commune. Certains cadres, leaders politiques, animés d’esprit égoïste et de division alimentent et entretiennent la haine au sein des populations locales. Ils créent des partis politiques ethniques pour ressusciter les 36 Claude Rivière, 1978 « l’analyse dynamique en sociologie » 63 vieilles querelles entre les deux communautés. Ils soulèvent les communautés les unes contre les autres dans l’ombre et quand la situation déborde ils viennent jouer aux pompiers. L’artiste musicien, l’Ivoirien Tiken Dja Fakoli l’a si bien exprimé dans l’une de ses chansons en ces termes : « ils allument le feu, ils l’activent et après ils viennent jouer aux pompiers, on a tout compris. » Les paisibles populations se laissent guider par les assoiffés de pouvoir et sont par la suite les seules victimes des désastres. B- APPROCHE DE SOLUTION Parmi les procédures habituelles de règlement des conflits, après que les parties en présence ont confronté leurs revendications et mesuré leurs forces respectives, les plus fréquentes sont l’arbitrage, le compromis et la compétition institutionnalisée : - dans l’arbitrage d’un tiers, une juridiction est reconnue apte à trancher les différends sur la base de règles impersonnelles admises pour les deux parties ; - le compromis est le résultat ou d’une négociation qui tend à ajuster les positions en fonction de la puissance respective des acteurs, ou d’une concertation dans laquelle se transmettent de part et d’autre des informations, éventuellement par l’intermédiaire d’un consultant détenteur d’un pouvoir ; - la compétition organisée entre concurrents (institutionnalisation du conflit) adopte dans d’autres cas des règles du jeu institutionnalisées comme les mécanismes électoraux de représentation et les procédures d’expression des partis au parlement. Les parlementaires ont cette fonction vicariante de se substituer à leurs mandants pour apporter des solutions (Rivière 1978 :140-141). 64 La valeur de l’un ou l’autre de ces mécanismes dépend évidemment des croyances qui soutiennent leur efficacité et de la légitimité de l’institution qui leur donne un sens. « L’institution quand à elle, comme ensemble de normes de base et de règles du jeu, n’a de pouvoir qu’en raison du consensus qui la vitalise ». Elle ne saurait par elle-même traiter les conflits qui portent sur ses propres fondements. Pour qu’elle soit en mesure d’accomplir correctement ses fonctions d’assomption des conflits, il faut qu’elle présente comme caractéristique d’être d’abord complexe et d’offrir des possibilités de stratégies suffisamment sophistiquées et flexibles pour éviter qu’un blocage n’aboutisse à une violence. Par institution, nous entendons un corps d’usage, de normes sociales ou de règles imposant des sanctions régissant un groupe : ethnie, cité, Etat. C’est dire donc que les mécanismes Institutionnalisés de résolution des conflits dépendent des habitudes culturelles. Il arrive que les mécanismes habituels soient inadaptés à l’importance du conflit à résoudre, qu’ils ne s’attaquent pas aux racines des désaccords. La culture ne se modifiant pas au même rythme que la société, il se peut aussi que les mécanismes habituels soient anachroniques et déphasés : l’ordalie cesse d’être efficace lorsque les hommes cessent de croire en l’intervention directe des dieux dans le règlement des situations épineuses. Pour parvenir à gérer les conflits, une certaine marge de consensus est indispensable. Le consensus suppose la concession, le compromis et la tolérance. 1. Rôle des communautés pour une solution apaisée Le développement à l’ère de la décentralisation nécessite la synergie de toutes les composantes sociales. Les Mahi et Idatcha de Glazoué 65 constituent déjà une société globale, une communauté, une famille, compte tenu du temps de cohabitation et des liens de parenté qui existent entre eux. De ce fait, nul ne peut séparer les uns des autres. Ils sont obliger de taire des querelles vindicatives qui ne promeuvent pas leur cohésion sociale. Aucune solution magique de réconciliation ou de gestion des différends ne peut venir de l’extérieur. Les communautés dans lesquelles naissent les problèmes sont mieux placées pour trouver les solutions appropriées et durables. C’est à juste titre que Rivière (1978 :141) dit : « les mécanismes de résolution des conflits dépendent des habitudes culturelles ». Seule la prise de conscience des différents acteurs des conflits, permettra donc le règlement progressif et définitif des violences. Les communautés Mahi et Idatcha de Glazoué ont heureusement ou malheureusement un destin commun. Elles sont condamnées à vivre ensemble quelle que soit la situation qui les oppose. Pour ce faire elles sont obligées d’être tolérantes les unes envers les autres. A travers la tolérance mutuelle, les communautés pourront concéder à chacun un certain privilège afin d’éviter des frustrations. 2 La tolérance, culture de la paix La tolérance est un gage de la paix. Elle fait partie intégrante des droits de l’homme et de la paix. Comme l’indique le Directeur Général de l’UNESCO, « la tolérance fait partie intégrante des droits de l’homme du respect des droits de l’homme et de l’instauration de paix, et elle leur est indispensable. »37 Sous sa forme la plus simple et la plus fondamentale, la tolérance consiste à accorder aux autres les droits de voir leur personne et leur dignité respectée. Les valeurs politiques et sociales modernes dont sont issues les normes internationales actuelles en 37 cf « l’éducation à la tolérance, pourquoi ? » UNESCO, 1994 66 matière des droits de l’homme furent d’abord formulées dans un appel à la tolérance en tant que condition essentielle du maintien de l’ordre social. Reconnaître que la tolérance est un facteur cardinal de la paix entre les communautés fut un élément important du climat historique qui aboutit aux premières déclarations modernes des droits couronnés trois siècles plus tard par la déclaration universelle des droits de l’homme. L’esprit de tolérance fait triompher la raison plutôt que la passion et l’émotion. Sans la tolérance il ne peut avoir compromis et consensus entre Mahi et Idatcha de Glazoué et c’est le développement de la localité qui prendra le coup. La tolérance n’est pas une fin mais un moyen. C’est la qualité essentielle minimale de relations sociales qui refusent la violence et la contrainte. Sans tolérance, il ne peut y avoir de paix. Avec la tolérance, toute une série de possibilités humaines et sociales positives peuvent être recherchées, dont l’instauration d’une culture de paix. 3. Rôle des autorités politiques et administratives pour le maintien l’ordre social Les conseillers municipaux ont intérêt à œuvrer pour l’éducation à la tolérance dans les communautés. C’est ambitieux mais cela vaut la peine. Car, c’est dans une ambition conviviale qu’ils peuvent contribuer réellement à la construction de Glazoué. La tolérance est une éducation, une vertu à cultiver par les différents acteurs des communautés pour maintenir l’ordre social. Elle permettrait aux politiciens de se mettre audessus des ambitions tribales, de se départir de leur ego, et de servir les communautés avec équité. L’actuel maire de Glazoué l’a certainement très tôt compris. C’est pour cela que pour corriger les frustrations créées par les élections communales aux Mahi, il leur a confié la présidence de quatre (4) commissions sur les six (06). Cela fait prévaloir un engagement à se mettre au-dessus de la politique. Aussi cela traduit-il 67 un esprit de partage de pouvoir. La commune étant composée de deux ethnies majoritaires, permettre à une seule de prendre tout le pouvoir et l’exercer sur la seconde, c’est encourager la division et partant les violences interethniques ; c’est mettre en mal la paix sociale et le développement local. La décentralisation est une arène de développement à la base. Pour qu’elle se réalise, les acteurs du développement local doivent se départir du mentaux de la vieille politique qui consiste à diviser pour régner. Elle a besoin du concours de toutes les composantes sociales vivant sur un espace donné pour son effectivité. C’est à cela que les autorités locales doivent s’atteler pour rassembler toutes les ethnies dans un creuset commun de développement durable. Elles doivent mettre tout en œuvre pour éviter les prises de positions ethniques face aux enjeux de développement local dans la commune. Il faut un leadership social. 4. Rôle des autorités traditionnelles dans le maintien de l’ordre social Les têtes couronnées mahi et idatcha ont une grande responsabilité dans le maintien de la paix dans la commune de Glazoué. La chefferie traditionnelle demeure une arène de conflits ethniques. Pour ce faire un cadre de concertation regroupant les rois et autres chefs traditionnels des deux communautés est utile pour réfléchir périodiquement sur les problèmes de leurs différentes communautés. Dans le processus de décentralisation chaque acteur doit jouer sa partition pour favoriser le développement local et la démocratie à la base. Dans ce cas, il est souhaitable que le pouvoir traditionnel ne se laisse prendre en otage par les politiciens afin de garder leur autonomie et leur dignité pour peser dans les instances de prise de décisions. 68 Pour ce faire il faudra que chacune des deux ethnies majoritaires aient son représentant traditionnel. Il faudra donc un chef traditionnel Mahi et un chef traditionnel Idatcha à Glazoué. L’opposition interethnique face à ce problème est une source durable de conflit. Le pouvoir traditionnel ne peut être confondu à celui moderne qui est unique à toutes les communautés. Les autorités politiques et administratives sont alors conviées à faire preuve de leadership communal pour la gestion apaisée de leur localité. 5. Rôle de la jeunesse dans la paix durable Les jeunes constituent des éléments essentiels pour le retour de la paix durable dans la commune. C’est la cible à prendre en compte dans toute initiative de maintien de l’ordre social. Majoritaires dans la commune, les jeunes des deux communautés sont la couche sollicitée pour les troubles sociaux. C’est eux que les vrais instigateurs, dans l’ombre, incitent à la violence. Pour preuve lorsqu’on observe les conflits qui agitent le monde on constate que c’est essentiellement les jeunes qui sont aux fronts. La jeunesse doit alors faire attention à toute manipulation et prendre conscience que c’est à elle de favoriser l’intégration interethnique pour apaiser les velléités. Pour ce faire les jeunes des deux groupes ethniques doivent être la cible principale d’une série d’actions de conscientisation sur la nécessité de surpasser les tendances conflictuelles néfastes pour faire face au rayonnement de la commune de Glazoué. En somme pour prévenir et gérer les conflits il faudra : - Faire une bonne gestion foncière des milieux ruraux ; - Développer et promouvoir l’esprit de tolérance au sein des communautés ; 69 - Prendre en compte tous les groupes socioculturels dans toute initiative de développement local ; - Créer et animer régulièrement un cadre de réflexion et de concertation pour tous les acteurs sociaux sans distinction aucune ; - Prendre conscience du passé pour éviter des tendances subversives ; - Prendre conscience des enjeux de la décentralisation et œuvrer pour l’union des différents groupes sociaux ; - Susciter la maturité d’esprit aux populations locales afin de ne plus être la marionnette des hommes politiques. - Exploiter positivement les opportunités qu’offre la diversité culturelle pour le rayonnement des communes. 70 CONCLUSION En somme il convient de retenir que comme causes premières à la base des conflits interethniques, on trouve généralement un sentiment de frustration profonde chez l’une ou les deux parties en présence, qui peuvent avoir des causes très diverses mais étroitement liées. C’est dire donc que les conflits entre Mahi et Idatcha résultent des frustrations accumulées par les différents acteurs par rapport aux problèmes historiques, aux questions d’identité ethnique, aux questions foncières, économiques, démographiques et politiques. Plusieurs éléments se sont donc combinés pour aggraver la situation tendue entre les différents groupes et déclencher ou alimenter le conflit interethnique Mahi/Idatcha. Les conflits naissent aussi et surtout du fait des inégalités sociales internes dans la commune. Les hommes politiques profitent des inégalités pour mettre en confrontation les populations afin de satisfaire leurs intérêts personnels et égoïstes. L’avenir des communes et leur développement durable suppose l’acceptation par tous de la différence, de la tolérance dans l’expression plurielle des opinions et des préférences. C’est comme cela que les communautés à la base peuvent s’approprier la démocratie pluraliste. Mais cette démocratie elle-même suppose un apprentissage de ses contours, de ces mécanismes et c’est précisément la vocation de la culture de la paix de la développer et de la véhiculer par tous les moyens et les structures de diffusion de la pensée. Culture de paix pour les leaders politiques, pour les citoyens et ce dès la base, c'est-à-dire dans les écoles et universités. C’est à juste titre que l’UNESCO a édité en 1994 une brochure intitulée : « l’éducation à la tolérance pourquoi ? » 71 Par ailleurs, les contradictions interethniques sont aussi une source de vitalité entre les groupes en situation de conflits. Ce sont des situations qui surgissent spontanément pour dynamiser les interactions. S’inscrivant dans la perspective Durkheimienne, les différends entre Mahi et Idatcha sont des manifestations normales qui résultent de l’interaction des acteurs sociaux. Mais ces antagonismes sont anomiques à cause de l’ampleur et des effets désastreux sur les populations. Selon Bartholy et Despin (1976 :43), le conflit est normal parce qu’une société qui en serait exempt est tout à fait impossible. Les protagonistes doivent comprendre qu’aucune ethnie ne peut à elle seule gérer la commune ; c’est une œuvre collective et communautaire. La prévention des conflits autant que leur gestion, reposent au moins sur cinq (5) piliers : - la promotion de l’unité nationale ; - la nécessité d’une répartition équitable des richesses ; - la promotion du développement démocratique à la base ; - le respect du pluralisme pour l’épanouissement individuel et collectif ; - la justice, car tant que les responsables des crimes resteront impunis, les victimes ne seront pas durablement apaisées. Epousant les idées Durkheimiennes sur le « crime » (1963 :65-67), pour que dans une société donnée, les actes réputés conflictuels pussent cesser d’être commis, il faudrait donc que les sentiments qu’ils blessent se retrouvassent dans toutes les consciences individuelles sans exception et avec le degré de force nécessaire pour contenir les sentiments contraires. Or, à supposer que cette condition pût être effectivement réalisée, le conflit ne disparaît pas pour cela, il changerait seulement de forme ; car la cause même qui tarirait ainsi les sources des conflits en ouvrirait immédiatement de nouvelles. 72 BIBLIOGRAPHIE OUVRAGES GENERAUX ET SPECIFIQUES BARTHOLY Marie-Claude, et DESPIN Jean-Pierre : la culture, anthropologie, ethnologie et sociologie, Paris, Magnard, pp.31-123 FODE Diawara, 1972, « le manifeste de l’homme primitif », Paris, Bernard Grasset, pp.15-141. Fodé 73 RIVIERE Claude, 1995, « Introduction à l’Anthropologie », Paris V, Hachette, pp.9-25. 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