1/ Il est attaché à des hiérarchies sociales
L’objectif d’une telle école n’est pas de favoriser la mobilité sociale.
Cependant, elle apparaît juste dans une société de classes marquée par de fortes
inégalités sociales. Les niveaux sont aussi des barrières pour reprendre
l’expression d’Edmond Goblot.10 Les positions sociales (les niveaux) les plus
élevées ne sont pas faciles à atteindre (il existe des barrières), sauf pour les
héritiers.
Les enfants des classes populaires étaient condamnés, dès la naissance, aux
études courtes. Ils visaient le certificat d’études primaires. La moitié l’obtenait.
Les enfants des classes aisées accédaient directement au petit lycée et au lycée
où ils visaient l’obtention du baccalauréat. Ce modèle fait preuve de
malthusianisme : au début des années 1950, 6 % des enfants d’une classe d’âge
atteignait le baccalauréat. En 1965, la moitié des enfants quittait le système
scolaire à l’âge de fin de scolarité obligatoire (14 ans).
2/ Il repose sur des hiérarchies disciplinaires
À l’école élémentaire, il s’agit de lire, écrire, compter alors que dans
l’enseignement secondaire les humanités classiques (latin, grec) sont au sommet
de la hiérarchie. Plus tard, les mathématiques furent rajoutées. Les sections
modernes enfin, fondées sur la primauté de la technologie et des sciences
naturelles, fortement dévalorisées, auront du mal à s’imposer.
L’élitisme républicain n’est pas un modèle de l’égalité des chances, mais
plutôt un mode de production d’une petite bourgeoisie d’État dont les enfants
avaient la possibilité d’accéder aux classes supérieures. La sélection scolaire
apparaît, avant tout, comme sélection sociale dans laquelle l’instituteur se voit
confier la sélection des meilleurs enfants du peuple, qui pouvaient, grâce à leur
talent, entrer au collège voire au lycée, s’ils sont exceptionnellement doués. Il
s’agit d’une école ségrégative dans son principe, l’inégalité est en son cœur et
tout le monde ne part pas à égalité. Paradoxalement l’école est vécue comme
juste car elle n’intervient pas dans le destin social, déjà fixé par la naissance.
« Un instituteur du Périgord avait réussi pleinement son travail de hussard de la
République, s’il attachait ses trente petits paysans aux vertus de la République,
s’il faisait réussir au certificat d’études la moitié d’entre eux et s’il fabriquait un
instituteur et un gendarme parmi ses trente enfants ».11
L’école apparaît cependant comme un îlot d’égalité et de justice car elle est
en mesure de changer le destin de ceux qui le méritent (Albert Camus, Pierre
Bourdieu). Ils ne sont cependant pas si nombreux, mais ces exceptions ont pour
effet d’enchanter le modèle pourtant très inégalitaire en son principe. Les
10 - Goblot (Edmond), La barrière et le niveau, Paris, Alcan, 1925.
11 - Dubet (François), Pourquoi changer l’école ?, Paris, Textuel, 1999.